Mettre en oeuvre une imposition de solidarité sur le capital

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, demandant au Gouvernement de mettre en oeuvre une imposition de solidarité sur le capital afin de renforcer la justice fiscale et sociale et de répondre au défi de financement de la crise sanitaire, économique et sociale du Covid-19.

Discussion générale

M. Vincent Éblé, auteur de la proposition de résolution .  - La théorie économique qui fonde l'action du Gouvernement depuis 2017 mérite le nom de fable. Vous avez fait du ruissellement votre credo, l'alpha et l'oméga de votre politique économique et sociale alors que c'est une mystification.

L'idée que lorsque les pouvoirs publics favorisent l'enrichissement des plus aisés de nos compatriotes, il en découle un effet économique positif indirect pour l'ensemble de la population est une mystification car personne jamais ne l'a observé.

Il s'agit d'une croyance magique selon laquelle à chaque fois qu'une grande fortune s'enrichit de 70 millions d'euros, chaque Français gagne ainsi un euro. Cette politique économique aggrave les inégalités. Ceci est d'autant plus regrettable que l'ensemble des études attestent du creusement de l'écart des richesses dans notre pays aujourd'hui.

Dans la Critique de la raison pure, Kant distingue le savoir, l'opinion et la croyance. Le savoir est objectivement et subjectivement suffisant ; l'opinion est objectivement insuffisante et subjectivement suffisante ; la croyance, quant à elle, est objectivement et subjectivement insuffisante. À ce stade, la théorie du ruissellement est donc une opinion.

Nous avons commis il y a huit mois, avec le rapporteur général, un rapport d'information de 400 pages sur le remplacement de l'ISF par l'IFI qui démontre l'absence de tout ruissellement tout en dénonçant une forme d'hypocrisie de la part du Gouvernement puisque le logiciel Mesange ne prévoyait que des résultats très modestes à 20 ans : hausse de 0,5 point de PIB et création de seulement 50 000 emplois.

Ainsi, la théorie du ruissellement n'est même plus qu'une croyance parfaitement insuffisante pour légitimer la conduite d'une politique publique d'allègement constant et déterminé de la fiscalité des Français les plus riches.

La réforme fiscale de la loi de finances pour 2018 prétendait soutenir notre économie. Mais, en sortant du champ de l'ISF de nombreux capitaux et actifs improductifs tandis que d'autres, productifs eux, étaient taxés comme les locaux industriels et commerciaux ou les immeubles de bureaux, vous avez affaibli notre économie. L'imposition sur le capital, dans notre pays, est désormais fondée sur une théorie fumeuse et se traduit par un dispositif totalement contradictoire avec l'intention de favoriser notre économie.

Cette proposition de résolution nous permettra d'échanger sur les principes de ce système quand une proposition de loi aurait permis de discuter d'un dispositif. C'est un bien pour un mal. En effet, nous souhaitons convaincre le Gouvernement et la majorité sénatoriale de la nécessité d'une réforme adaptée. L'acceptabilité, en effet, est centrale en matière fiscale. Nous sommes prêts à imaginer un dispositif totalement nouveau. Pour ne pas faire croire à un retour en arrière, nous avons préféré parler d'imposition de solidarité sur le capital plutôt que d'ISF. Il ne faut ni totem, ni tabou.

Thomas Piketty comme Esther Duflo, récent prix Nobel d'économie, constatant l'accroissement des inégalités dans notre pays, appellent de leurs voeux la création d'un impôt sur le capital. J'entends même des appels en ce sens de la part de votre majorité présidentielle. Il serait irresponsable d'exclure ce sujet de nos travaux. Nous avons travaillé, au sein de notre groupe, sur les droits de succession, l'ISF 2.0, les encours d'assurance-vie.

Nous devons rétablir l'équité contributive à l'impôt gravement mise à mal, ce qui a été douloureusement vécu par nos concitoyens comme l'a montrée la crise des gilets jaunes.

Le premier décile et a fortiori le premier centile de la population bénéficient d'exonérations scandaleuses. Toute la population doit prendre part à l'impôt selon ses revenus, en particulier les plus fortunés, ni plus ni moins. Il y va de l'équité dans notre société.

Repenser une imposition de solidarité sur le capital n'est pas une question dogmatique mais juste une question de nécessité pour que la solidarité de notre société soit entière au travers des dispositifs fiscaux plus justes.

Nous dire que cette imposition ne donnerait lieu qu'à moins de 5 milliards d'euros de recettes n'est pas entendable. Les pouvoirs publics ont besoin de ressources. Or, dans cette période, seul le capital est mobilisable, puisque ni le revenu, ni la consommation ne le sont. Rejeter une réflexion sur l'imposition du capital, le stock plutôt que le flux, est un non-sens économique absolu. Ceux-là négligent au surplus la question pourtant essentielle en matière d'équité contributive des représentations symboliques desquelles découle l'acceptabilité des dispositifs fiscaux.

Cette nouvelle imposition que nous appelons de nos voeux est basée sur un principe de progressivité renforcée, notamment sur le premier centile, avec la suppression du plafonnement du plafonnement, proposée par le Gouvernement Juppé et validée par le Conseil constitutionnel, et la définition des barèmes pour distinguer les petits riches, à l'instar de la fameuse veuve de l'Île de Ré.

Il faudra aussi opérer une distinction entre capital productif et improductif comme le recommande Albéric de Montgolfier. Il a raison.

La question des nouvelles recettes à trouver ne doit pas nous affranchir d'une remise à plat de notre système fiscal, en particulier en incluant les enjeux de la transition écologique. Au contraire, la période exceptionnelle nous y invite. C'est notre responsabilité pour les générations à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

M. Éric Bocquet .  - On pourrait désigner le débat du jour par l'expression « débat boomerang » ou « débat sparadrap » en référence au fameux sparadrap dont le capitaine Haddock ne parvenait pas à se défaire dans l'affaire Tournesol. (Sourires)

Dans l'euphorie des premiers temps du quinquennat, le Gouvernement voulait tirer un trait sur cet impôt saugrenu, l'ISF, afin d'éviter de faire fuir les plus riches alors qu'aucune étude ne démontre cette thèse. De fait, entre 2011 à 2017, les ménages redevables sont passés de 287 000 à 358 000. Les riches n'ont pas pu revenir puisqu'ils n'étaient pas partis.

Alors que l'ISF rapportait 5 milliards d'euros, l'IFI a rapporté 1,3 milliard d'euros en 2019. Comme le Gouvernement a également réduit les impôts sur les revenus du capital, il manque 4,5 milliards d'euros chaque année dans les caisses de l'État, soit plus de la moitié du budget de la justice.

Durant le confinement des millions de personnes ont vu leurs revenus s'effondrer. Les entreprises sont au bord de la faillite. Les premiers de cordée doivent comprendre qu'il est dans leur intérêt de contribuer à la solidarité nationale dont ils bénéficient aussi.

De nombreuses voix d'horizons divers réclament cette réforme. M. Ferrand déclarait il y a quelques jours : « s'interroger sur une contribution des plus aisés, pourquoi pas ? » Mme Fiona Lazaar, députée LaREM du Val d'Oise, nous dit « les plus riches devraient contribuer davantage », ou encore le président du groupe Modem, M. Patrick Mignola, estime qu'il il faut créer un impôt sur la fortune improductive.

Les contempteurs de l'ISF ne restent pas l'arme au pied craignant que la digue idéologique ne cède. L'ISF est un impôt idiot scande Gérald Darmanin - on disait la même chose de la taxe professionnelle. Il semble que les impôts sur les salariés soient les seuls impôts intelligents dans notre pays... Bruno Le Maire en dit autant, estimant que l'ISF est le combat du XXe siècle. Tout Bercy est mobilisé.

Des formules choc, aux mots bien choisis mais, au fond, jamais de démonstration étayée.

Ces propos sont doux aux oreilles de la majorité sénatoriale. M. Retailleau déclarait il y a peu qu'il était contre le rétablissement de l'ISF. Cela a le mérite d'une grande cohérence.

Avec cette proposition de résolution, exit l'ISF, voici l'ISC, dont certaines modalités nous laissent dubitatifs : le relèvement du seuil d'assujettissement à 1,5 million d'euros reste insuffisant. Nous soutenons toutefois l'idée de progressivité de l'imposition du capital.

Vos constats sont donc partagés mais vos propositions manquent d'ambition, vu l'ampleur des difficultés économiques et sociales qui sont devant nous. Faire contribuer les revenus conforterait le consentement à l'impôt.

Les informations sur le contenu des portefeuilles financiers doivent être automatiquement transmises par les banques françaises et étrangères aux services fiscaux.

Ce débat agite aussi nos voisins européens. Si cette proposition de résolution eut été une proposition de loi, nous l'aurions votée, mais en l'état nous nous abstiendrons.

M. Emmanuel Capus .  - Le rétablissement de l'ISF ne serait pas un sparadrap mais une révolution qui revient à intervalles réguliers depuis 2017... comme un astre qui tourne autour de son orbite !

Résolution, révolution : la différence tient parfois à une seule lettre, et cette lettre compte, tout autant que les mots... comme entre l'IFI, l'ISF et l'ISC ! Oui, fortune ou capital, telle est la question... Derrière ces mots ronflants, sonnant comme des titres de magazines économiques, la justice sociale fait son retour. Vaste sujet ! Qu'est-elle au juste ? Commençons par ce qu'elle n'est pas : la « haine des riches » selon les auteurs de la proposition de résolution. Heureuse précision dans le climat social qui est le nôtre ! Précision ne vaut pas définition, cependant. Brandie comme un étendard, la justice sociale et fiscale ne peut signifier toujours plus d'impôts pour les riches, voire les moins riches, comme s'il s'agissait d'une loi de gravitation universelle !

La proposition de résolution se fonde sur l'article 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, dont on peut douter de l'interprétation. Dans le cadre de la crise sanitaire, il s'agit de choix politiques collectifs. Il faut faire face à l'urgence de la dégradation des comptes publics : notre taux d'endettement a bondi de 15 points en trois mois ! Du jamais vu !

Je me réjouis de trouver dans cette proposition de résolution quelques convergences avec les auteurs, notamment celles-ci : il n'est pas légitime de faire porter le poids financier de cette crise à nos enfants et à nos petits-enfants ; une taxation accrue de la consommation ou des revenus serait une erreur. Mais je ne parviens pas à la même conclusion !

Un rendement fiscal d'à peine 3 milliards d'euros pour l'ISC n'est pas négligeable, mais ce n'est pas la panacée et la mesure risquerait de nuire à l'attractivité de la France, qui était en forte hausse avant la Covid.

Mon groupe est hostile à toute augmentation des impôts sur le capital, ISF ou autre... Pour surmonter la crise dans laquelle nous venons à peine d'entrer, nous aurons besoin d'unité nationale, davantage que de division ou de bouc émissaire. Vouloir faire payer toujours plus ceux qui paient déjà tant n'y contribue certainement pas !

M. Vincent Éblé.  - Il ne s'agit pas de cela !

M. Emmanuel Capus.  - Nous avons fait un choix collectif, nous l'assumerons collectivement !

M. Franck Menonville.  - Très bien !

Mme Sylvie Vermeillet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe UC) Le nouvel impôt proposé augmenterait à 1,8 million d'euros le capital d'entrée dans le dispositif, ce qui exclurait 40 % des anciens contribuables de l'ISF, pour une perte de recettes de 500 millions d'euros environ, qui pourrait être compensée par un relèvement de 2 points du prélèvement forfaitaire unique. Il est également prévu de revenir au plafonnement du plafonnement, mis en place jadis par le Gouvernement Juppé.

L'objectif, louable, serait de sauver les emplois et les entreprises. Quel est le meilleur moyen pour l'atteindre ?

Reconnaissons que le symbole est fort, et faisait partie des revendications des gilets jaunes. Souvenons-nous que le Président de la République s'était engagé à dresser un bilan de l'IFI.

En 2017, l'ISF a rapporté 4,5 milliards d'euros, l'IFI 1,8 milliard d'euros. Dans tous les cas, c'est insuffisant face à l'ampleur de la crise.

Il n'empêche qu'il est utile de s'interroger sur la pertinence de l'IFI. La taxation du seul patrimoine immobilier devrait promouvoir l'investissement dans les entreprises ; la commission des finances ayant émis des doutes sur ce point, nous attendons son bilan par Emmanuel Macron avec impatience...

Cela étant, le groupe UC n'a jamais été favorable à la taxation des revenus immobiliers, qui contribuent largement à l'activité et à l'emploi. Il y a matière à réformer.

En outre, l'IFI ne taxe plus le patrimoine polluant : avions privés, voitures de luxe et yachts ont disparu du capital taxable. C'est incohérent au regard des objectifs écologiques du Gouvernement.

Il faut davantage cibler l'IFI sur les freins de l'économie.

L'institution de la flat tax à 30 %, la réduction du taux de l'impôt sur les sociétés sont des mesures efficaces pour l'économie. Il est toujours tentant de s'attaquer au capital déjà constitué, mais les épargnants sont bien informés. Moins de capital signifie des investissements et des salaires plus faibles.

Afin de relancer l'économie de demain, plusieurs mesures fiscales sont possibles pour verdir notre système, en intégrant, à recettes égales, les coûts occasionnés par les dommages à l'environnement. Le but n'est pas d'augmenter la pression fiscale globale mais de rendre la fiscalité plus stimulante pour l'offre productive.

Notre groupe votera contre cette proposition de résolution mais défend une nécessaire et rapide révision de l'IFI. (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Vincent Segouin .  - J'ai assisté aux débats sur le dernier projet de loi de finances rectificative et je garde en mémoire le long amendement de M. Éblé sur le rétablissement de l'ISF, n'ayant pas abouti. Je me doutais donc que ce débat reviendrait rapidement devant nous.

Selon le Gouvernement, l'IFI devait transformer l'immobilier, considéré comme une épargne dormante, en investissement dans les entreprises. Il est trop tôt pour en tirer un bilan mais il est certain que l'objectif annoncé ne sera pas atteint en raison de votre réforme de l'impôt sur le revenu, dont les contribuables sont dissuadés de déduire leurs investissements dans le capital des PME.

Certains contribuables se font prendre plus de 60 % de leurs gains par l'État, ce qu'ils estiment injuste - on les comprend !

Ne caricaturez pas mon propos ! Je suis favorable à une solidarité et heureux que nous aidions les plus démunis, que notre assurance santé soit universelle, que l'éducation soit gratuite pour tous, que notre défense intérieure et extérieure ait les moyens de nous protéger. Mais les transferts sont devenus trop massifs. La France est le pays le plus taxé de la zone euro, à 45 % du PIB, pour une dépense publique de 56 % ! C'est de la folie ! Seuls 43 % des Français paient des impôts et certains ont le culot de leur dire qu'ils ont de la chance d'en payer.

Voici que le groupe socialiste et républicain nous propose un nouvel impôt qui pèsera sur ceux qui sont déjà les plus gros contributeurs...

M. Vincent Éblé.  - C'est totalement faux !

M. Vincent Segouin.  - Ils partiront ! Et plus les contribuables partiront, moins nous aurons de recettes fiscales. Il faudra donc augmenter les taux d'imposition ! Pouvons-nous nous payer ce luxe ? C'est suicidaire ! Nous sommes au bout d'un système révolu. Je ne le crois pas.

L'enjeu est de créer des richesses en refondant notre industrie. Au contraire, un impôt pour le capital privera l'industrie d'investissement.

Il faut également réduire les dépenses, la suradministration.

Il faut aussi moins de charges sociales pour plus de pouvoir d'achat et des normes simplifiées. Il faut, enfin, comme en Allemagne, une TVA sur les produits importés qui soulage les charges sociales et rende de la compétitivité à nos produits à faible marge.

Il existe donc d'autres pistes pour réduire le poids de la dette française tout en permettant aux capitaux français de s'investir dans notre économie. Halte à l'augmentation des taxes !

Nous avons besoin de tous les Français. Cessons de nous diviser ; sortons de cette opposition perpétuelle des riches aux pauvres, des retraités aux actifs : c'est tous ensemble que nous avancerons. Tous les responsables politiques devraient s'accorder sur le constat que les contribuables, les Français en général, ne peuvent plus être la variable d'ajustement des dépenses non maîtrisées de l'État.

M. Vincent Éblé.  - N'importe quoi !

M. Vincent Segouin.  - L'augmentation des prélèvements est une voie sans issue qui exaspère les Français.

Notre groupe est hostile à cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Patrick Kanner .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) La crise que nous traversons est sanitaire, économique et sociale. Le rebond que nous appelons de nos voeux doit être rapide, durable et solidaire.

Le groupe socialiste et républicain a souhaité débattre rapidement de cette résolution, car nous savons que les crises sont rarement fécondes d'un monde plus juste et que cet accouchement est souvent difficile. Or la procrastination en matière de justice fiscale est une source majeure de frustration. Agissons ici et maintenant !

Parce que l'exécutif a refusé la procédure accélérée pour censurer une proposition de loi qui lui déplaisait, nous avons déposé cette proposition de résolution.

Oui, nous espérons que l'idée de l'impôt de solidarité sur le capital fera son chemin et finira par se matérialiser dans la loi, mettant fin à ce nouveau bouclier fiscal instauré par la majorité « L. R.- E. M », (Sourires sur les travées du groupe SOCR) bien en phase sur cette question, ou d'autres...municipales.

M. Vincent Éblé.  - Très bien !

M. Patrick Kanner.  - Nous appelons le Gouvernement à mener une politique plus solidaire afin d'éviter un mouvement des gilets jaunes puissance dix. Richard Ferrand n'y serait pas hostile...

Avec notre proposition, nous faisons preuve de modernité et de progressisme, contrairement à ce qu'a dit Bruno Le Maire, qui a parlé poliment d'un « combat du XXe siècle ». Nous écartons les petites fortunes immobilières, qui bien souvent n'en sont pas, et nous assurons de la progressivité de cet ISC.

Quelle sera votre écoute ? Lorsque Gérald Darmanin parle d'idéologie fiscale, il fait part de son opposition épidermique à l'augmentation des salaires comme au rétablissement de l'ISF. Où vous situez-vous, madame la ministre, sur une échelle qui va du président de l'Assemblée nationale au ministre-maire de Tourcoing ? Je crains votre réponse.

Dans votre « nouveau monde », le recul de l'État est érigé en doctrine au profit d'une cause politique. Vous êtes allés jusqu'à la suppression de la taxe d'habitation, fort utile aux communes. Vous oubliez que le périmètre de l'État est plus large en France que chez ses voisins. L'État providence a pourtant un coût. Son intervention est plus que jamais nécessaire. Vous ne pouvez plus fonctionner avec votre logiciel libéral ou nous courons à la catastrophe.

La suppression de l'ISF, qui plus est, n'a pas atteint son but : il n'a nullement fait cesser les exils fiscaux. Il faut le rétablir en le réformant.

Les temps qui s'annoncent sont durs : il faut tout faire pour empêcher le creusement des inégalités. Notre contribution est modeste mais indispensable pour éviter à un grand nombre de Français de sombrer dans la précarité.

Si cette main tendue était à nouveau rejetée par l'exécutif, il est à craindre que les jours qui viendront n'aient rien d'heureux.

M. Jean-Claude Requier .  - Le rétablissement d'une imposition plus stricte de la fortune est l'objet d'un débat récurrent depuis 2018 entre le Gouvernement et la gauche.

Avec l'IFI et la flat tax, le Gouvernement a remis au goût du jour les débats que nous avons connus sur le bouclier fiscal en 2007, voire lors de la suppression de l'impôt sur les grandes fortunes en 1986 pendant la première cohabitation...

C'est une mesure fortement symbolique qui démarque la droite de la gauche. La question est en réalité plus complexe.

Notre radicalisme se reconnaît peu dans ces débats idéologiques. Il promeut le principe selon lequel chacun doit contribuer selon ses moyens, en application de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, et que le système fiscal doit être lisible. En dépit de la complexité de celui-ci, Il reste attaché à l'idée citoyenne de l'impôt sur le revenu, cher à Joseph Caillaux.

Que dire d'une imposition plus forte sur le capital ? L'ISF rapportait 4 milliards d'euros par an - ce n'était pas symbolique ! Le Président de la République avait voulu taxer uniquement le patrimoine immobilier. L'opposition de gauche soutient l'idée d'un rétablissement de l'ISF, en écho aux gilets jaunes.

Un intéressant rapport de 2019 a conclu à des effets négatifs insuffisamment pris en compte dans le remplacement de l'ISF par l'IFI pour les patrimoines les plus élevés, l'IFI ressemble à l'impôt additionnel à la taxe foncière.

Faut-il voir dans cette réforme l'origine de l'amélioration de l'attractivité de notre pays ? On peut en douter. D'autant qu'il ne faut pas négliger les effets des réformes antérieures comme celle sur le droit du travail.

Depuis le 17 mars 2020, il ne s'agit plus d'attractivité économique de notre pays, mais de soutenir nos entreprises. M. Darmanin annonçait bien 220 milliards d'euros de déficit public en 2020 ; ce qui impose de trouver de nouvelles recettes. Du strict point de vue des comptes publics, l'augmentation de la taxation du capital serait une solution intéressante qui apporterait quelques milliards de recettes.

Le relèvement du plafond de 1,3 million à 1,8 million d'euros pour sortir les petites fortunes immobilières serait une bonne chose.

Une taxation du capital ne serait pas plus illégitime que l'augmentation de l'impôt sur le revenu.

La situation des finances publiques sera un sujet de préoccupation majeur dans les prochains mois, c'est pourquoi les propositions, dans leur diversité, sont bienvenues. Les membres du groupe RDSE voteront en majorité cette résolution, les autres s'abstenant. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)

M. Julien Bargeton .  - Dans cette crise, chacun voit midi à sa porte. Chacun ressort de vieilles martingales présentées comme des panacées.

Premier effet de cette proposition de résolution : une fracture à gauche ! On apprend que le groupe CRCE ne la votera pas... (Mme Michelle Gréaume et M. Guillaume Gontard le confirment.)

Les prophéties sont parfois autoréalisatrices. Des conservateurs voient dans la crise la preuve de la faillite du progressisme, les libéraux celle de l'étatisme hypertrophié, et de la nécessité de réduire toujours plus cet État Léviathan...

On fête les 40 ans de Pac-Man : cette vieille ficelle fiscale dévorerait donc tous les investissements et les emplois du futur. C'est humain, après tout, de croire que la crise confirme ses biais.

On vit donc les prémices du débat fiscal de la présidentielle - c'est de bonne guerre. J'invite la gauche à relire Keynes qui disait : en période de crise, on n'augmente pas les impôts et on ne réduit pas la dépense publique - de ce point de vue, le Gouvernement n'y va pas avec le dos de la cuillère, il est vrai. (M. Vincent Segouin surenchérit.)

Dans la réindustrialisation, les impôts de production sont un frein. Ils représentent 76 milliards d'euros au bénéfice des collectivités locales, de sorte qu'il est difficile de les réformer.

Cela ne signifie pas que le débat fiscal soit fermé. L'harmonisation fiscale dans l'Union européenne est un vrai sujet, par exemple. Si le couple franco-allemand permet une reprise coordonnée, cela deviendra un sujet important.

Il y a aussi la fraude, en France comme dans l'Union européenne.

Dans un entretien récent, Thierry Breton a évoqué une taxe à l'entrée dans l'Union européenne. Pour faire face aux géants chinois et russe, l'Europe doit cesser d'être un nain géopolitique et fiscal.

Les Gafam sont taxés 14 points de moins que les autres entreprises. C'est aussi une piste.

L'imposition verte en est une autre - même si les gilets jaunes ont montré la difficulté d'exploiter le levier fiscal au service de l'écologie, tout en ménageant le pouvoir d'achat. Il faut néanmoins débattre de réformes structurelles. En tout cas, ce n'est pas le moment, dans cette crise, de rajouter une strate d'impôt supplémentaire.

Mme Sophie Taillé-Polian .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Je ne sais pas si la gauche est fracturée sur cette proposition de résolution, mais la droite se rassemble de Les Républicains à LaREM !

M. Emmanuel Capus.  - C'est très bien !

Mme Sophie Taillé-Polian.  - « Les milliardaires ne paient pas suffisamment - ce n'est pas notre proposition de résolution qui le dit, mais un membre du Gouvernement. Nous avons un devoir politique voire moral, de réintroduire un ISF pour plus de justice fiscale et de préservation de l'environnement » - question que Keynes ne peut pas résoudre.

Mais là, il s'agit de lancer un élan philanthropique. On voit là deux positions. Ceux qui demandent aux chefs d'entreprise : « S'il vous plaît, ne versez pas de dividendes, s'il vous plaît, investissez dans l'économie productive », et ceux qui ajoutent ce petit détail : la décision revient aux représentants du peuple. Car telle est la différence entre la philanthropie et l'impôt : ce « petit détail » qu'est la démocratie ! (« Très bien ! » sur les travées du groupe SOCR)

« Pas d'impôt nouveau », nous dit le Gouvernement, mais en réalité, il prolonge la CRDS ! La facture sera à la charge des salariés et des assurés sociaux, ni vu ni connu !

Nous prônons, nous, la justice fiscale, en proposant un impôt sur le capital...

M. Bruno Sido.  - Vous n'avez que le mot d'impôt à la bouche ! (On s'en désole sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Taillé-Polian.  - ... une taxation exceptionnelle et solidaire sur les encours d'assurance vie supérieurs à 150 000 euros, et sommes favorables à l'idée de trois économistes français, Zucman, Saez et Landais, d'un impôt européen sur le patrimoine, progressif et limité dans le temps qui s'appliquerait aux patrimoines de plus de 2 millions d'euros...

MM. Vincent Segouin et Bruno Sido.  - Ben voyons !

Mme Sophie Taillé-Polian.  - Ce premier pas vers une fiscalité européenne manifesterait la solidarité européenne.

Selon l'OFCE, pendant les huit semaines de confinement, les Français auraient accumulé 55 milliards d'euros d'épargne forcée - très inégalement répartie. Mme Pénicaud demande aux Français de consommer cette épargne. Erreur ! Le monde d'après ne doit pas être celui de la relance par la consommation mais celui de la résilience par le partage des richesses. (Protestations à droite)

La justice fiscale n'est pas une règle morale, mais un ciment social. Justice sociale, démocratie renouvelée et écologie, tel est le triptyque sur lequel repose l'avenir de notre pays. (Exclamations à droite) Et cela commence par un système fiscal juste. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances .  - L'épidémie que nous traversons est d'une extrême gravité. En réaction, nous avons mobilisé 110 milliards d'euros, pour le seul plan d'urgence.

Comment absorber cet impact ? Vous proposez un succédané d'ISF...

M. Vincent Éblé.  - Vous ne nous avez pas bien écoutés !

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État.  - S'il y a bien une leçon à tirer de cette crise, c'est que les vieilles recettes ne marchent pas plus aujourd'hui qu'hier.

Peut-on parler d'économie « ultralibérale » dans un pays où l'impôt représente la moitié de la richesse nationale et où l'État a rémunéré un salarié sur deux ? Il serait inefficace et contreproductif de revenir sur la réforme visant à rediriger le capital vers les entreprises, alors que l'on s'inquiète de leurs besoins en fonds propres et qu'il faut relancer l'investissement.

La France est l'un des pays qui réduit le plus les écarts de revenus par la redistribution vers les plus modestes - c'est le coefficient de Gini. Mais les inégalités de destin sont fortes : en France, il faut cinq à six générations pour changer de catégorie socio-professionnelle - contre deux à trois hier, ou chez nos voisins.

Le combat sur lequel nous sommes attendus, c'est l'école, la santé, l'emploi dans les quartiers populaires et les zones rurales. Il passe par le dédoublement des classes en REP, le plan Pauvreté, l'Agenda rural ou encore le plan Action Coeur de ville, entre autres.

Bien des pays font mieux que nous en matière de réduction des inégalités avec un niveau de prélèvement moindre. Cela relève du savoir, pas de l'opinion.

La réforme de la fiscalité du capital, annoncée par le Président de la République, visait à améliorer la lisibilité, la prévisibilité et la compétitivité de notre fiscalité, trop souvent abordée sous l'angle idéologique. Une taxation du patrimoine plus élevée que chez nos voisins, s'agissant de capitaux très mobiles, nuisait à notre attractivité, donc à notre activité économique, donc à notre situation sociale et à nos finances publiques.

Notre réforme a été efficace. (MMVincent Éblé et Patrick Kanner le contestent.) Les expatriations de contribuables ont été divisées par trois. En 2018-2019, la France a été la première destination pour les investissements industriels et de R&D : notre politique fiscale explique ce regain d'intérêt.

La réforme, équilibrée, n'a pas touché à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus. Le poids de l'ISF diminuait à mesure que la richesse augmentait, frappant moins fort les patrimoines les plus élevés, du fait du plafonnement ; c'était la marque d'un mauvais impôt. Les dons n'ont baissé que de 0,1 % car nous avons conservé la réduction d'IFI. Les experts indépendants s'accordent à dire que le nouveau régime - PFU et IFI - est plus lisible et plus dissuasif contre l'optimisation fiscale.

Sa vocation est de réorienter l'épargne des ménages vers l'investissement productif et le financement des entreprises. J'entends vos propositions, madame Vermeillet, et je partage leurs objectifs. Le sujet mérite un débat en PLF.

Notre politique fiscale s'est concentrée sur les classes populaires et moyennes. Vous invoquez l'injustice fiscale et rappelez la dimension symbolique de l'ISF. Mais nos concitoyens attendent des faits, pas des symboles. Sur le quinquennat, nous avons réduit l'imposition des ménages de 27 milliards d'euros et celle des entreprises de 13 milliards. Nous avons proposé un allègement de l'impôt sur le revenu de 5 milliards d'euros, qui touchera dix-sept millions de foyers fiscaux pour un gain moyen de 300 euros. Nous ne renoncerons pas à ces mesures fortes en faveur des classes populaires et moyennes.

Nous avons aussi mis en place une prime exceptionnelle exonérée de contribution sociale et l'impôt sur le revenu dans la limite de 1 000 euros : c'est une aide de 2 milliards d'euros qui bénéficie à cinq millions de salariés. Voilà un exemple de redistribution.

La CRDS est l'impôt dont l'assiette est la plus large, elle s'applique à la vente de bijoux ou de yachts. L'utiliser en décalé comme nous le faisons est une réponse appropriée.

Nous avons mené une action puissante face à la crise, avec 110 milliards d'euros, dont l'essentiel a bénéficié aux salariés et aux indépendants. Vous proposez, vous, une mesure symbolique qui rapporterait 2,5 milliards d'euros, quand nous mobilisons 18 milliards d'euros pour le tourisme, 8 milliards pour l'automobile, en attendant l'aéronautique. Nous nous battons pour relocaliser l'emploi en France et pour protéger l'activité.

Les questions sont nombreuses : comment relancer l'économie, l'industrie, accélérer la transition numérique et énergétique, améliorer l'attractivité et la compétitivité - le mot est lâché ! -, limiter la casse sociale et créer des emplois d'avenir ?

Je vous tends la main, monsieur Kanner, pour recréer les conditions de la confiance et de la croissance, clé de la création de richesse fiscale.

N'oublions pas non plus les enjeux fiscaux européens : taxation des plateformes numériques, taxe carbone aux frontières, lutte contre la fraude fiscale à la TVA... (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)

Vote sur la proposition de résolution

Mme la présidente.  - J'ai été saisie par le groupe Les Républicains d'une demande de scrutin public sur cette proposition de résolution.

M. Patrick Kanner .  - Rappel au Règlement ! Je regrette que la minorité physique présente ait recours au scrutin public pour faire prévaloir la majorité politique. La majorité sénatoriale est cohérente avec ses positions anciennes, même si Nicolas Sarkozy n'a jamais supprimé l'ISF. Sur un tel sujet, qui est un marqueur du clivage gauche-droite, vous auriez pu être plus nombreux et faire prévaloir votre majorité dans l'hémicycle à mains levées ! (Applaudissements à gauche)

Mme la présidente.  - Acte est donné de votre rappel au Règlement.

À la demande du groupe Les Républicains, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin n°110 :

Nombre de votants 339
Nombre de suffrages exprimés 312
Pour l'adoption   83
Contre 229

Le Sénat n'a pas adopté.

Prochaine séance demain, jeudi 4 juin 2020, à 9 heures.

La séance est levée à 19 h 20.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Jean-Luc Blouet

Chef de publication