Reconstruction du pacte social national

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Les conditions de la reconstruction du pacte social national dans le cadre de la sortie de la crise sanitaire ».

Mme Monique Lubin, pour le groupe socialiste et républicain .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Débattre de la reconstruction du pacte social national après la crise sanitaire, c'est définir le monde d'après. « Le souverain, c'est le peuple », dit Jean-Jacques Rousseau. Il s'est choisi une République sociale.

Le confinement a fait apparaître les vices de notre organisation économique et sociale. En deux mois, des milliers de Français ont basculé dans la pauvreté ou l'extrême pauvreté. Quelque 4,3 millions de « nouveaux vulnérables » se rajoutent aux 400 000 de pauvres supplémentaires dénombrés en 2019 du fait de la baisse des APL et de la PAJE, de la désindexation des pensions de retraite, de la réforme de l'assurance chômage... La satisfaction des besoins vitaux et le respect de la dignité humaine n'ont pas été votre priorité.

Avant la crise, au lieu de réduire les inégalités, vous meniez une politique fiscale en faveur des plus riches, tablant sur un vain ruissellement. « Seul le choc avec le réel peut réveiller d'un sommeil dogmatique » dit Alain Supiot. Nous y sommes.

Il faut réparer - rétablir l'ISF, restituer leurs moyens aux associations, abroger la réforme de l'assurance chômage - mais aussi innover, considérer ceux qui exercent les métiers indispensables, « ceux qui ne sont rien », les derniers de cordée. Intéressons-nous au concept d'équité salariale, cher au Québec, selon lequel tous les emplois doivent être rémunérés à hauteur de leur utilité sociale, et à l'aune de quatre facteurs : qualification, responsabilités, efforts requis, conditions de travail. Cela conduit à mieux rémunérer les emplois féminins, comme le personnel soignant ou les caissières qui ont été en première ligne pendant la crise. La place des femmes doit faire partie intégrante de l'évolution du pacte social.

Or le Gouvernement a répondu à la crise par une multiplication anarchique de primes en direction de différentes catégories de personnels. Nous voulons pour notre part l'application des promesses du 13 avril : prendre en compte l'utilité sociale de ces métiers et restaurer la démocratie sociale au sein de l'entreprise et de la fonction publique.

Le rapport à nos aînés est également un enjeu central. La Covid-19 a ouvert la porte des Ehpad. C'était parfois sordide. Nous espérons une loi Grand Âge de qualité. Quelle stratégie pour prévenir et traiter la dépendance ? Comment offrir un service égal, quels que soient les revenus ? Pourquoi ne pas envisager des Ehpad intégrés au domicile ? Quelle formation pour les personnels dédiés ? La vie d'une personne âgée dépendante ne peut être uniquement liée aux soins.

Toutes les générations doivent faire l'objet de notre attention. Alors que nous avons vu des résidences étudiantes devenir des zones de parcage de jeunes économiquement fragiles, un revenu de base s'impose pour tous. De nombreux jeunes sont laissés pour compte, avec un ascenseur social en panne, une Éducation nationale qui n'arrive pas à briser le mur des inégalités liées au capital socio-culturel des familles.

Il faut casser à la base la spirale du déterminisme social, en agissant dès la petite enfance. Ouvrons les vannes de la garantie jeunes, mise en place sous le précédent quinquennat, pour aider les primo-demandeurs d'emploi. Je ne peux tout citer.

La redéfinition du pacte social national doit faire coexister les différentes composantes de notre société, en assurant toujours plus de justice entre classes sociales et entre générations. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé .  - Je remercie le groupe socialiste et républicain de ce débat.

Le pacte social français a joué un rôle essentiel durant cette crise. Nous avons eu de la chance de ne pas avoir à improviser dans l'urgence un système de protection sociale. Le filet social a joué son rôle. Nous avons maintenu les revenus via un recours massif à l'activité partielle, qui a concerné 12 millions de salariés, avec un dispositif dédié pour les particuliers-employeurs. Nous avons maintenu la protection sociale complémentaire, versé des indemnités journalières aux personnes vulnérables face au virus ou qui devaient garder leurs enfants. Nous avons évité les ruptures de droit avec le versement automatique des minima sociaux, travaillé avec les collectivités locales, le secteur médico-social et les services de l'État pour que chacun puisse satisfaire ses besoins essentiels pendant la crise.

Nous avons aussi maintenu l'aide alimentaire, constitué une réserve sociale et civique pour aider les associations, consacré 39 millions d'euros au plan d'urgence d'aide alimentaire : 25 millions pour les associations, 14 millions pour les territoires en souffrance. Nous avons prolongé la trêve hivernale jusqu'au 10 juillet, créé des centres spéciaux pour les sans-abri atteints d'une forme non grave de Covid, financé 178 000 places d'hébergement d'urgence, contre 157 000 avant la crise.

Le 15 mai, 4,1 millions de foyers ont reçu une aide exceptionnelle de solidarité, sans aucune démarche préalable. Les 18-25 ans en grande précarité percevront une aide de 200 euros au mois de juin, pour 800 000 d'entre eux. La solidarité a joué pleinement son rôle.

Mais nous devons combler les failles existantes, et renforcer le pacte social national. Le cancer de la pauvreté ne date pas de la crise. Dès 2017, nous avons engagé des chantiers et des moyens inédits pour lutter contre la pauvreté : 8,5 milliards d'euros pour l'investissement social.

Nous avons revalorisé l'AAH et le minimum vieillesse de 100 euros, augmenté la prime d'activité, créé la Complémentaire santé solidarité et le 100 % Santé.

Voici quelques chantiers engagés, qu'il faut poursuivre.

Les travaux de sortie de crise du Gouvernement ne sont pas terminés, mais je me centrerai sur les axes destinés à soutenir notre pacte social.

Premier axe, chacun doit satisfaire ses besoins essentiels grâce à la simplification de l'accès au droit et à la lutte contre le non-recours. Je pense aussi au déploiement d'une politique publique de lutte contre la précarité alimentaire : tarifs avantageux dans les cantines, distribution de petits-déjeuners.

Il faut l'articuler avec une politique d'insertion par l'activité économique, améliorer également l'accès aux soins des plus vulnérables et lutter contre le décrochage scolaire. Les chantiers sont nombreux.

Le deuxième axe essentiel est le soutien au pouvoir d'achat et le maintien dans l'emploi.

Les aides doivent être plus réactives et efficaces. Les secteurs les plus touchés devront être soutenus et les freins à l'emploi levés.

Le taux de chômage des jeunes et le nombre d'élèves décrocheurs demeurent trop élevés : ainsi, 60 000 mineurs ne sont ni en études, ni en formation, ni en emploi. Il faut enfin développer l'apprentissage et le service civique et mettre en place des actions spécifiques dans les quartiers de la politique de la ville...

M. le président. - Il faut conclure. Vous pourrez continuer lors du débat qui suit.

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - Notre action doit être immédiate, concertée et massive.

M. Philippe Mouiller .  - Ma question porte sur le pacte national en matière de santé. En France, son accès est garanti à tous, mais la crise a montré la nécessité d'une réforme d'ampleur. Avec le Ségur de la santé, le Gouvernement s'y est engagé.

Les difficultés sont nombreuses. Un médecin généraliste allemand gagne plus de quatre fois le salaire moyen de son pays, contre moins de trois fois pour un médecin français. Le salaire moyen des infirmiers français est l'un des plus faibles des pays de l'OCDE.

Les salaires doivent être revalorisés pour tous les professionnels hospitaliers. Leur statut, corseté par les rigidités de la fonction publique, doit être réformé ainsi que leurs conditions de travail. L'administration doit laisser davantage de place aux médecins dans la gouvernance de l'hôpital public.

Partagez-vous ces objectifs ?

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - Je salue nos soignants. Malgré les difficultés, notre système de santé a tenu pendant la crise. Il s'est montré réactif, agile et résilient. Le parcours de prise en charge a été rapide pour les patients Covid. Nous avons posé des jalons dans le cadre de Ma Santé 2022 afin de mieux orienter les patients, de renforcer le rôle des infirmières et l'accès des services et de développer la télémédecine. On a constaté plus d'un million de téléconsultations par semaine. Cela a été utile.

Pour aller plus loin, le 25 mai, le Premier ministre a annoncé le Ségur de la santé reposant sur quatre piliers, notamment l'amélioration de la rémunération des soignants et l'adaptation du système de soins aux besoins des territoires. Ses travaux en cours seront clos mi-juillet.

M. Philippe Mouiller.  - Selon vous, tout se passe relativement bien... Je suis plutôt inquiet de votre réponse.

M. David Assouline .  - Souvenons-nous, c'était il n'y a pas longtemps : alors que les morts s'égrenaient, nous étions tétanisés et admiratifs de ceux qui allaient au front. J'espérais alors que la revalorisation de leur salaire serait une évidence. Hélas, dès la première loi de relance, il a été question de sacrifier des congés, tandis que le Medef, sortant aussitôt de sa torpeur, prônait l'augmentation du temps de travail. Je n'ai pas espéré longtemps. On n'a plus du tout entendu parler des salariés de l'agroalimentaire, du commerce, des services, des transports. Très vite, nous avons compris qu'il y aurait du sang et des larmes, pour tout le monde.

Allez-vous montrer l'exemple en augmentant le point d'indice des cinq millions de fonctionnaires qui n'a pas évolué depuis 2017 ?

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - Le soutien à l'emploi via le chômage partiel pour plus de 12 millions de salariés en France a été sans précédent, afin d'éviter les licenciements et les baisses de revenus.

Ceux qui bénéficient de la prime d'activité recevront une compensation partielle de la baisse de leurs ressources, on l'a trop peu rappelé.

Il n'est pas encore temps de dresser un bilan concret et définitif de cette crise sociale. Nous travaillons pour activer différents leviers, afin d'éviter un accroissement de la précarité et de la pauvreté.

Le développement du télétravail en est un. Muriel Pénicaud l'a marqué lors des premiers textes que nous vous avons soumis, le dialogue social est essentiel, qui facilite les discussions sur l'évolution des salaires.

Les soignants bénéficieront d'une revalorisation de leur rémunération et d'une réorganisation de leur temps de travail. C'est l'objectif du Ségur de la santé.

M. Jean-Claude Requier .  - Je remercie le groupe socialiste pour ce débat. La crise a aggravé les inégalités. Les jeunes sont les premiers touchés. Les plus précaires, au nombre de 800 000 jeunes et étudiants, bénéficieront d'une aide de 200 euros. Cela ne sera pas suffisant. D'aucuns proposent leur intégration dans le dispositif du RSA. Mais cette solution ne semble pas emporter l'adhésion du ministre de l'Éducation.

Quelles sont les pistes envisagées par le Gouvernement pour que nos jeunes ne soient pas la « génération sacrifiée » du coronavirus ?

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - La garantie jeunes accompagne 100 000 jeunes sur le million et demi de précaires. D'autres dispositifs existent, dont les écoles de la deuxième chance. Il faut trouver une réponse à cette précarité, RSA ou revenu universel, il faudra y réfléchir avec le Parlement.

Il faut aussi prévenir en luttant contre le décrochage scolaire, afin que les décrocheurs ne deviennent pas « invisibles », comme Jean-Michel Blanquer s'y est attelé avec la loi sur l'école de la confiance. Nous avons aussi mis des moyens supplémentaires pour éviter les sorties sèches de l'ASE.

Les dispositifs d'insertion par l'activité économique sont aussi efficaces.

M. Xavier Iacovelli .  - Quel contrat social sommes-nous prêts à accepter ? Pour des citoyens partageant un commun, plutôt que des individus partageant un intérêt, quelle solidarité mettre en oeuvre ? Doit-elle reposer sur les individus ou sur la collectivité ? La crise nous a recentrés sur l'essentiel : la santé, la solidarité et la famille qui ne doivent pas remplacer l'État, même si 300 000 Français ont rejoint la réserve civique pendant la crise. Les moyens ont évolué. Les attentes des citoyens vis-à-vis de la puissance publique sont grandes.

Il est urgent de reconstruire notre pacte social tout en stimulant la solidarité individuelle. La santé gratuite et notre État providence ne sont pas des coûts ou des charges, mais des biens précieux quand le destin frappe. Le Président de la République l'a rappelé.

La création d'une cinquième branche de la sécurité sociale pour la perte d'autonomie est très attendue.

Comment le Gouvernement compte-t-il mettre les solidarités collectives au coeur du contrat social ?

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - Oui, pendant la crise, les solidarités de proximité ont été essentielles. L'État ne peut agir tout seul ; il a aussi besoin des collectivités territoriales. Les départements sont les chefs de file de cet écosystème, compte tenu de leur responsabilité en matière sociale, mais y participent aussi les mairies, avec les CCAS et les services sociaux des communes, ainsi que les associations.

Aussi l'État a-t-il contractualisé avec les départements dans le cadre de sa stratégie de lutte contre la pauvreté, à hauteur de 200 millions d'euros en 2021.

Une cinquième branche sera effectivement créée. Des travaux vont s'engager, pour déterminer quelle place voulons-nous laisser à nos séniors dans notre société, selon qu'ils vivent à domicile ou en établissements, où le reste à charge est important. Déjà, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a apporté 500 millions d'euros pour les personnes âgées.

Mme Éliane Assassi .  - La crise économique et sociale s'annonce terrible : déjà plus de 843 000 chômeurs supplémentaires en avril.

D'autres, comme le PDG d'Air France, qui a reçu un bonus faramineux, s'en sortent mieux !

La crise a montré la faiblesse de notre hôpital public, pilier de notre système de santé. L'argent a pris le dessus sur toute autre considération. Malgré la crise, le Gouvernement ne veut pas rétablir l'ISF. Il faut lutter contre l'évasion fiscale et créer un pôle public et financier pour que l'État se dégage de l'emprise des marchés. Nous ne devons pas nous écraser sur le mur social, mais changer radicalement de logiciel mis en oeuvre depuis quarante ans, pour renouveler le contrat social, autour d'une répartition des richesses différente. C'est une urgence absolue. C'est la voie du salut public, pour sortir du règne de l'argent-roi et faire de nouveaux choix fiscaux, pour donner à l'État les moyens d'agir et de sortir de l'emprise des marchés. Qu'en pensez-vous ?

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - La pression fiscale, déjà très forte, l'une des plus élevées de l'OCDE, n'est pas la réponse à la crise sociale. La baisse d'impôts et l'augmentation de la prime d'activité pour les plus modestes ont amélioré le pouvoir d'achat.

Les entreprises ont besoin de marges de manoeuvre pour recruter, car le recrutement, c'est plus d'emplois.

Parmi les deux millions de bénéficiaires du RSA, plus de la moitié y sont depuis plus de quatre ans et n'ont aucun accompagnement vers l'emploi.

L'impôt n'est pas la réponse. Il faut favoriser le retour des investissements dans notre pays. L'emprunt est un outil à notre disposition. L'État prend toutes ses responsabilités pour faire vivre la solidarité nationale. Les propositions du président Macron et de la chancelière Merkel vont dans ce sens.

M. Joël Guerriau .  - La crise a montré les faiblesses de notre modèle social, mais aussi son adaptabilité, à l'instar du développement du télétravail plébiscité par 62 % des Français. Certaines entreprises proposent aussi un modèle hybride et pas par philanthropie.

C'est un enjeu de développement des territoires : 75 % des salariés en télétravail envisageraient de déménager.

Le télétravail serait le moyen de désengorger les centres urbains surpeuplés et pollués. Il faut éviter cependant qu'il ne favorise les délocalisations des emplois qualifiés vers des pays à bas salaires.

Comment faire pour que cette évolution permette un nouvel équilibre territorial et ne profite pas aux pays où les rémunérations sont basses ?

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - Pendant la crise, le télétravail a été massivement utilisé. Il se poursuit largement. Avec les ordonnances relatives au travail promulguées en 2017, la France l'a encouragé, au moyen d'une des législations les plus favorables à son développement. Un guide opérationnel de bonnes pratiques a été récemment publié, à destination des employeurs et des salariés. Ceux-ci devront nourrir le dialogue social à ce sujet.

Vous avez raison, nous devons néanmoins veiller au maintien de l'emploi local. En juin 2019, le programme « nouveaux lieux, nouveaux liens », lancé par le ministère de la Cohésion territoriale et doté de 45 millions d'euros, a permis aux collectivités territoriales de développer des lieux de travail commun, pour lutter contre l'isolement.

Le dialogue social sera également essentiel pour éviter les dérives.

M. Joël Guerriau.  - L'État réfléchit-il au développement du télétravail dans ses propres services ? Je pense notamment aux impôts et aux services de contrôle.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe .  - Pour reconstruire le pacte social, Il faut réunir au moins quatre conditions : du travail, du pouvoir d'achat, du dialogue social et de la solidarité.

Plusieurs pistes favorisent la relance du pouvoir d'achat. La généralisation de l'intéressement en est une. Des plans d'intéressement sont sous-utilisés alors que sans coûter un seul centime à l'État, ils faciliteraient le développement du pouvoir d'achat.

Le sujet des retraites est loin d'être derrière nous, après que le Gouvernement eut décidé de surseoir à l'examen du projet de loi. Néanmoins des avancées sociales avaient été actées, notamment le minimum retraite et la lutte contre les carrières hachées, en particulier des femmes. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale nous fera avancer et on pourra envisager une conférence sociale à l'automne.

Enfin, pourquoi ne pas expérimenter le revenu universel de base pour soutenir les plus précaires et favoriser l'insertion des jeunes ? « De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace » proclamait Danton en 1792 ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC)

M. Jean-François Husson.  - Très bien !

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - Nous avons mobilisé plus de 6 milliards d'euros en faveur des plus précaires, par la revalorisation des minima sociaux, l'AAH, l'ASPA et la prime d'activité.

La loi Pacte incite les entreprises à mettre en oeuvre des mesures en faveur de l'intéressement. Elle prévoit des accords négociés au niveau de la branche pour développer l'intéressement dans les PME.

Il ne me revient pas de débattre sur les arbitrages en cours en matière de retraites. Nous y travaillons dans le cadre de la préparation du prochain PLFSS qui sera examiné par le Parlement.

Quant au revenu universel d'activité (RUA), les travaux ont été interrompus par la crise. Le montant des minima sociaux est un sujet dont on doit débattre. Le RUA est rendu complexe par le fonctionnement des CAF, chacune ayant son propre fichier. Il faudrait pouvoir expérimenter au niveau national, donc de deux ou trois territoires.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe.  - J'ai noté certaines ouvertures. Pourquoi ne pas supprimer les cotisations salariales et patronales et les remplacer par une cotisation légère, de 2 % sur les paiements scripturaux, qui dégagerait 400 milliards d'euros pour payer toutes les prestations sociales (hors retraites) ? La proposition vient de la fédération pour la défense du pouvoir d'achat et de l'emploi.

M. Guillaume Chevrollier .  - L'entrée des jeunes sur le marché de l'emploi est rendue difficile par la crise. Il est indispensable d'inscrire un volet de soutien à l'apprentissage faute de quoi la France manquera de main-d'oeuvre.

Dans ma région des Pays-de-la-Loire, l'apprentissage concerne près de 30 000 jeunes, formés dans 54 centres. Mais les entreprises risquent de se montrer frileuses, entraînant dans un cercle infernal la baisse des financements pour les centres d'apprentissage.

Les régions ont fait la preuve de leur agilité et de leur réactivité lorsqu'elles exerçaient cette compétence, mais vous avez souhaité modifier cet équilibre qui sera difficile à faire évoluer à nouveau, à cause des lourdeurs administratives !

La transition après la sortie de crise ne pourra qu'être délicate. Nous devons sécuriser les parcours des apprentis, ainsi que les centres de formation et développer des soutiens à l'apprentissage dans les entreprises. Que ferez-vous pour préserver la rentrée de l'apprentissage ?

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - Muriel Pénicaud a oeuvré pour le développement de l'apprentissage avec succès, mais la dynamique a été ralentie par la crise. La ministre est en lien avec les régions pour continuer à développer le levier de l'apprentissage.

Le décrochage scolaire menace cependant. D'où le courrier que nous avons adressé aux préfets et aux recteurs avec Jean-Michel Blanquer, pour inciter les réorientations et l'accompagnement vers l'apprentissage.

Mme Sophie Taillé-Polian .  - À tout mettre bout à bout, politique fiscale et sociale, on constate un enrichissement des 5 % les plus riches et un appauvrissement de 5 % des plus pauvres.

Émeutes de la faim, annoncées par des préfets, basculement dans la pauvreté et agios bancaires dont nous venons de parler. Face à ces maux, il faudrait des décisions de rupture. Le revenu universel d'activité en est une. Quand l'autoriserez-vous ?

N'entrez pas dans une dynamique de création de pauvreté ! Annulez la réforme de l'assurance chômage !

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - La crise actuelle a montré des failles ; mais elle a aussi montré la solidité de notre système de protection sociale.

J'ai reçu les représentants du groupe de travail socialiste sur le revenu universel. Nous partageons l'objectif de la lutte contre le non-recours en développant un dossier unique.

Nous devrons nous poser la question de la place des jeunes dans notre système de protection sociale.

Toute prestation doit donner lieu à un accompagnement. Elle permet de vivre en situation de pauvreté mais pas de sortir de la pauvreté. Nous avons contractualisé avec 99 départements pour développer un meilleur accompagnement aux bénéficiaires du RSA.

Mme Sophie Taillé-Polian.  - Cessons de mettre les personnes en difficulté en situation d'avoir sans cesse à se justifier ! Cela les empêche de se construire un projet professionnel. Cessez de leur mettre le couteau sous la gorge avec votre réforme de l'assurance chômage ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

Mme Laurence Rossignol.  - Très bien !

M. Olivier Henno .  - Il faudra longtemps pour mesurer les conséquences économiques et sociales du confinement. Au Sénat, nous sommes les premiers témoins et acteurs de l'extension du télétravail. Son développement transformera nos modes de vie : gain de temps, meilleure conciliation entre vie familiale et professionnelle, transformation du choix de lieu de vie, mais aussi transformation du lien social sont quelques-unes des conséquences.

N'est-il pas temps d'organiser une grande conférence sociale pour appréhender ces mutations ?

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - Je le répète, un guide du télétravail vient d'être publié pour faciliter sa mise en oeuvre. Le télétravail va continuer. Dans certains métiers cependant, la relation humaine prime comme dans ceux de la petite enfance.

Les administrations doivent trouver un juste équilibre entre télétravail et présentiel. Laissons travailler employeurs et salariés sur le sujet. Je ferai part à Muriel Pénicaud de votre proposition de conférence sociale.

M. Olivier Henno.  - La cohésion sociale va subir des chocs violents aussi graves qu'en 1929, annonce Bruno Le Maire.

Mme Nicole Duranton .  - Le 22 février 1945, une ordonnance instaurait un pacte social national visant à créer un modèle social pour les salariés après une période difficile. Les 4 et 19 octobre 1945, deux autres ordonnances créaient la sécurité sociale. Le Président de la République a qualifié la période que nous traversons de guerre. Il a mis en oeuvre des mesures d'urgence qu'il faut désormais évaluer.

Une aide conjoncturelle ne suffit pas. Il faut une aide sur le long terme. L'alliance entre le privé et le public, la solidarité des Français et l'intervention des collectivités territoriales sont trois enjeux essentiels.

Quels outils mettrez-vous à la disposition des collectivités territoriales pour faire face au risque économique et sanitaire ?

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - Régions, départements, communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) : chaque niveau s'investit dans le champ sanitaire et social. L'État travaille en partenariat avec eux. Je consulte régulièrement l'Association des Maires de France et des présidents d'Intercommunalités (AMF) et l'Union nationale des centres communaux d'action sociale (Unccas) notamment sur la politique de la petite enfance. Cet écosystème doit pouvoir travailler par contractualisation et en évitant les doublons pour que chacun s'y retrouve.

Je travaille avec l'Assemblée des départements de France (ADF) sur l'accompagnement des plus pauvres.

Formation, développement économique, accompagnement des demandeurs d'emploi fonctionnent comme un triptyque.

M. Olivier Jacquin .  - Le confinement a rendu visible ce que vous ne voulez pas voir, la précarité des travailleurs ubérisés dont le droit dit qu'ils sont de faux indépendants, voire des « indépendants fictifs » selon la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 4 mars dernier.

Depuis 2017, vous bricolez et tergiversez, vous mettez en oeuvre des chartes inutiles alors que ces travailleurs ne peuvent plus attendre. Nous avons proposé une coopérative d'activités et d'emplois pour réguler l'activité des plateformes.

Vos chartes et solutions sont considérées comme non moins précaires que les plateformes que vous tentez de protéger. Il faut imposer aux plateformes qu'elles assument enfin leurs responsabilités, en créant de vrais statuts pour les travailleurs indépendants, comme le préconise un récent rapport des Affaires sociales.

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - La ministre Muriel Pénicaud a lancé une mission sur les travailleurs indépendants en mars dernier.

Les autoentrepreneurs et indépendants sont le premier pas vers la reprise ou la création d'emploi. Voyez par exemple « Lulu dans ma rue » : ce type de dispositif n'a rien de précaire, mais constitue un parcours d'insertion.

Ces travailleurs bénéficient de la prime d'activité, aide qui nous permet de les accompagner.

Le dispositif peut être amélioré. Nous y travaillons. Certaines personnes souhaitent continuer d'en bénéficier.

M. Olivier Jacquin.  - La mission Frouin que vous mentionnez reste dubitative face à l'arrêt de la Cour de cassation. Petits boulots et parcours d'insertion, dites-vous ? Allez voir les précaires de Seine-Saint-Denis ou les migrants !

Mme Laurence Rossignol.  - Très bien !

M. Jean-Raymond Hugonet .  - Crise financière, économique, démocratique, quoi qu'il en soit, durable. D'un côté, les privilégiés nantis, de l'autre les plus faibles et, entre les deux, une solidarité qui s'effrite : sécurité sociale et morale des élites, tout doit être sacrifié sur l'autel du pragmatisme.

Plus de débat idéologique, mais des questions techniques à régler. La démocratie s'achève en technocratie. Nous y sommes.

Réhabiliter la Nation peut paraître comme intuitif aux bonnes consciences écologiques, humanistes et j'en passe...

Nous devons pourtant le faire en développant un dialogue et un débat d'idées sobre et efficace. Partagez-vous cette ambition ?

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - Je partage l'ambition d'un équilibre dans la redistribution des richesses.

Pendant la crise, notre pacte de solidarité a tenu. Les amortisseurs ont fonctionné, chômage partiel, arrêts de travail pour la garde d'enfants, maintien des droits, soutien aux plus vulnérables.

Mais il faut répondre aux failles révélées par la crise, comme la précarité des jeunes, l'accès à l'emploi et le maintien dans l'emploi, la place des juniors et des seniors dans la société - avec en particulier la cinquième branche, pour couvrir la dépendance.

Nous devons avoir une ambition forte pour la protection du XXIe siècle, comme l'a dit le Président de la République. Nous avons commencé à construire ce système du XXIe siècle, notamment dans le dernier PLFSS, sur les modes de garde ou d'autres sujets ; et ce, afin que chaque citoyen se retrouve dans cette solidarité.

M. Jean-Raymond Hugonet.  - Le Gouvernement a mis en place les éléments qu'il fallait dans une situation critique, j'en conviens. Mais il faut aller beaucoup plus loin et mettre les Français devant leurs responsabilités. Veulent-ils encore vivre ensemble, avec une solidarité qui dépasse les bricolages technocratiques ? Il faut un vrai grand débat. (M. Jean-François Husson applaudit.)

Mme Christine Lavarde .  - Je veux citer les exemples de deux entrepreneurs de Boulogne-Billancourt. Patrice Kretz, PDG de Chantelle, a réorienté ses outils de production : masques à Cachan et blouses à Épernay. Emmanuel Nizard, atteint du Covid, a changé de métier et a monté de toutes pièces une nouvelle usine à Meudon pour fabriquer des masques : 50 000 en sortent par semaine et l'objectif est d'en produire 200 000 par semaine en septembre. Réactivité et proximité, made in France. Voilà ce qu'ils ont fait.

Il faut éviter une trop grande dépendance aux autres économies, et répondre au besoin d'emploi. Enfin le made in France répond à la demande de nos concitoyens d'une consommation locale. À Meudon, ces masques ont un bilan carbone 98 % inférieur à celui des masques chinois !

Que comptez-vous faire pour favoriser le made in France ?

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - Le made in France est une solution. Actions publiques, privées, se sont combinées et c'est ainsi que nous avons pu répondre aux besoins des citoyens.  Nous atteindrons une production de 50 millions d'unités de masques par semaine d'ici à septembre.

Ce n'est pas le made in France contre la mondialisation : il faut aussi penser à l'export.

Sur l'aide alimentaire, j'ai travaillé avec les associations pour cesser d'acheter des produits ailleurs, en Europe, si on peut les acheter à des agriculteurs qui en ont besoin. C'est l'intelligence des consommateurs et des producteurs qui mettra en adéquation offre et demande à des coûts raisonnés. Cela fait écho à la loi EGalim : rémunérer mieux, mais acheter local, voire bio, y compris pour les plus précaires. Et ce, afin d'être souverains dans notre société.

Mme Christine Lavarde.  - Nous partageons une même volonté. Mais les coûts du travail sont un frein pour l'industrie française.

M. Jean-François Husson .  - Après les gilets jaunes, la réforme tumultueuse des retraites, la crise actuelle est inédite.

Pénurie de masques, carence des tests, dysfonctionnements de la chaîne de commandement entre les ARS et les préfectures, appel en urgence aux collectivités territoriales : nous avons toujours su puiser dans nos ressources, mais le pacte social ne peut plus fonctionner selon les recettes d'hier. Comment le Gouvernement compte-t-il s'employer à concilier urgence sociale, redressement économique, protection sanitaire et transition écologique ? Entend-il s'appuyer sur les corps intermédiaires, si malmenés depuis 2017 ?

Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État.  - On peut toujours critiquer, mais nous n'avons pas à rougir des actions communes mises en oeuvre pour répondre à la crise. Le système de santé a fonctionné. Nous avons ensemble trouvé des solutions.

Nous sommes encore dans le temps de la gestion de crise, non encore à l'heure du bilan. Mais déjà les conséquences apparaissent et nous préparons l'après-crise, sur les solidarités, l'éducation, le logement ou les finances.

L'État ne pourra pas répondre seul. Le maillage territorial, l'ensemble des collectivités publiques et privées, composent tout un écosystème. C'est ensemble que nous apporterons des réponses, dans le respect des compétences des uns et des autres.

Nos concitoyens veulent une lisibilité des dispositifs et une place claire, pour faire société et faire Nation.

M. Jean-François Husson.  - Nous devons, pour faire France ensemble, prendre appui sur la décentralisation, partager les compétences, les moyens, les responsabilités.

Ensemble : cela suppose de retrouver le goût du dialogue social, qui n'est pas un vieux reste de l'ancien monde, ni un obstacle aux réformes, mais un passage utile et obligé pour enrichir celles-ci.

Ensemble, c'est créer une politique écologique qui ne pénalise pas les plus modestes. Ensemble, c'est oser le débat, souffrir la contradiction et préférer la concorde républicaine à la disruption jupitérienne.

Mme Laurence Rossignol, pour le groupe socialiste et républicain .  - Je salue le propos de la ministre en introduction à ce débat. Elle a rendu hommage au système de protection sociale. Je préfère ces mots au « pognon de dingue ». Il faut un système de protection sociale fort, pour défendre les plus fragiles.

Vous avez dû revenir sur vos décisions, suspendre par exemple l'application de la réforme du chômage, qui serait très intéressante dans un pays à taux de chômage résiduel, mais c'est loin d'être notre cas...

Nous espérons définitive la suspension de la réforme de l'assurance vieillesse, ce système qui vous paraissait trop généreux...

Un mot de la suspension de la nouvelle phase, prévue à partir du 1er juin, de la réforme de l'Aripa, l'agence de recouvrement des impayés des pensions alimentaires. Vous aviez annoncé un service public des pensions alimentaires, terme un peu exagéré pour une simple intermédiation entre créancier et débiteur. Quoi qu'il en soit, les familles monoparentales sont celles qui vivent la crise le plus durement, or elles vont souffrir six mois de plus. Comment avez-vous pu accepter de reporter cette réforme, madame la ministre, dont vous avez la charge ?

Quant aux effets de la crise à venir, les chiffres du chômage en témoignent, ce sont les intermittents du travail qui paient cash la crise sanitaire et pour eux, la situation sera bien douloureuse.

Vous ne nous avez pas dit que vous alliez annuler la réforme de l'assurance chômage. C'est ce que les Français attendent...

Plus de 700 000 jeunes arriveront bientôt sur le marché du travail dans des conditions plus dramatiques que jamais. Donnez-leur un RSA jeune, mais pas la prime d'activité.

Le travail au noir est une réalité. Après l'état d'urgence, il faudra s'occuper de ces travailleurs privés de leurs petits jobs.

Dans notre pays, les précaires, les jeunes, les personnes âgées sont-ils trop protégés ? Ne leur demandons pas de traverser la rue, tendons-leur plutôt la main.

La séance, suspendue quelques instants, reprend à 18 h 50.