SÉANCE

du mercredi 25 mars 2020

69e séance de la session ordinaire 2019-2020

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : M. Victorin Lurel, M. Michel Raison.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance est adopté.

Questions de contrôle au Gouvernement

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions de contrôle au Gouvernement.

Si nous mesurons la gravité de la situation qui justifie les mesures exceptionnelles adoptées ces derniers jours et que nous soutenons, le Sénat a le devoir d'accomplir de manière adaptée sa mission constitutionnelle de contrôle de l'action du Gouvernement. Nous devons assurer la continuité de la vie démocratique du pays. Une autre séance de questions se tiendra la semaine prochaine. Je voudrais rappeler à nos compatriotes l'importance du respect des mesures de confinement telles que demandées par le Gouvernement et qui sont fixées par la loi d'urgence sanitaire.

Pour les Français qui nous regardent, je précise que nous siégeons en effectif restreint, adapté aux contraintes sanitaires, en accord avec les présidents de groupes politiques que je remercie et que je salue.

Avant de laisser la parole aux auteurs des questions, je voudrais vous faire part des suites données à nos débats de la semaine dernière sur le projet de loi d'urgence et sur le projet de loi de finances rectificative.

Je vous ai adressé deux lettres, monsieur le Premier ministre (M. le Premier ministre hoche la tête en signe d'assentiment.), pour rappeler les engagements pris par le Gouvernement devant notre assemblée.

La première rappelle que l'adoption sans modification du projet de loi de finances rectificative est à la fois confiance et exigence. Il reviendra au Gouvernement de travailler à l'élaboration d'une mesure simple, lisible et efficace pour soutenir la rémunération des salariés et des indépendants qui assurent la continuité de la vie économique.

Il faudra informer le Parlement de manière précise et régulière du déploiement des mesures de soutien à l'activité économique ainsi que de l'impact de la crise sur l'hôpital public et les collectivités locales.

Le second courrier souligne l'engagement pris par le ministre des Relations avec le Parlement dimanche, en séance publique, d'informer mensuellement les commissions permanentes du Sénat des mesures prises en application de la loi d'urgence destinée à faire face à l'épidémie de Covid-19.

Cette information porte sur trois points : les actes pris par l'exécutif et ses représentants locaux dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ; les dispositions envisagées par le Gouvernement dans les ordonnances et leurs décrets d'application - je note avec satisfaction que nous avons reçu dès hier soir de Matignon une fiche sur les 25 ordonnances qui ont été présentées ce matin en conseil des ministres ; les mesures prises pour assurer la continuité du fonctionnement des assemblées délibérantes locales et les modalités d'organisation du second tour des élections municipales.

Le Sénat entend accomplir la plénitude des missions que lui confie la Constitution, en respectant les contraintes que nous impose la situation sanitaire, dans un juste équilibre entre ces contraintes et l'exigence démocratique. Je sais pouvoir compter sur vous, monsieur le Premier ministre, pour établir entre nous une collaboration confiante et le Gouvernement sait pouvoir compter sur le Sénat. Je souhaite également qu'une attention toute particulière soit portée à nos compatriotes des outre-mer et aux Français établis hors de France, que nous représentons également. Nous recevons d'eux de nombreux messages, il est essentiel que nous vous les transmettions.

Nous ferons nôtre la priorité sanitaire.

Notre séance de questions est, comme à l'accoutumée, retransmise en direct sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat.

Mobilisation des cliniques privées, tests et traitements

M. René-Paul Savary .  - Monsieur le Premier ministre, je veux rendre hommage à tous nos concitoyens qui sont au front, comme à tous ceux qui sont en arrière-ligne, dans cette crise. Je tiens à rendre hommage aux médecins décédés au champ d'honneur. Mais l'incompréhension des Français est de plus en plus manifeste, comme le montrent les titres de la presse locale : hier, c'était la « La crise des masques » ; aujourd'hui ce sont les « Drames dans les maisons de retraite » qui inquiètent.

Quid des masques arrivés - je ne parle pas des masques commandés ? Quid des traitements diminuant la charge virale ? Ne vaut-il pas mieux les prescrire en début plutôt qu'en fin d'épidémie ? Quelle articulation entre le public et le privé, alors que les lits sont vides dans des cliniques où il n'y a plus de consultation de spécialistes, tandis que le secteur public est en surcharge ? Quelles mesures allez-vous prendre pour anticiper la fin du confinement, s'agissant des tests de dépistage ?

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé .  - J'entends cette rumeur sur la participation des hôpitaux privés. Elle est inexacte. L'ensemble des hôpitaux publics et privés se sont vu intimer la consigne stricte de reporter les opérations programmées et de libérer tous les lits qui pouvaient l'être. J'ai appelé moi-même les directeurs des cliniques du Grand Est. Les lits y sont disponibles pour accueillir, comme dans les hôpitaux publics, les malades.

Les cliniques sont totalement mobilisées et je les en remercie. Tout le monde est sur le pont !

Depuis le début de la crise, fin février, 70 millions de masques ont été déstockés. Vingt millions de masques supplémentaires ont été déstockés, à destination des établissements de santé et des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ephad), notamment dans les régions où le virus circule le plus. Compte tenu des caractéristiques de celui-ci, la consommation de masques est encore plus massive. La priorité est à la protection des personnes qui travaillent dans les services de réanimation auprès des malades les plus graves.

J'ai autorisé, comme le Haut Conseil de la santé publique me le demandait, la prescription collégiale, sous la responsabilité des médecins qui le décident, d'hydroxychloroquine aux patients hospitalisés les plus gravement atteints.

Des centaines de patients sont en train de participer, dans les hôpitaux, à des protocoles cliniques, à différents stades de la maladie. Un protocole va être lancé pour tester, dès le début de la maladie, différentes molécules, notamment celle-là. Si un produit concilie sécurité et efficacité, il pourra être prescrit sans délai aux Français.

Croyez-le bien : tout le monde, soignants, agences régionales de santé (ARS), caisses d'assurance maladie, public et privé, est sur le pont, chaque heure de chaque jour et de chaque nuit.

M. René-Paul Savary.  - La situation est compliquée : je comprends que vous écoutiez les remontées de votre administration, mais écoutez aussi les élus ! La grogne est en train de monter. En période de guerre, peut-être pourrait-on prendre des décisions qui ne sont pas scientifiquement consacrées, pour soigner la population. On a besoin de masques, de tests, de traitements, pour anticiper la sortie du confinement.

Mobilisation pour les récoltes agricoles

M. Vincent Capo-Canellas .  - Hier, les marchés ont été interdits - dans des conditions qui font débat.

Du fait de la fermeture des frontières, l'agriculture va manquer de 200 000 saisonniers au cours des mois à venir, selon la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA).

Le ministre de l'Agriculture a lancé un vibrant appel aux Français sans activité à aller travailler dans les champs, suscitant quelque incompréhension, au moment même où les mesures de confinement sont durcies ! Plus de 40 000 personnes se sont portées volontaires et le Gouvernement a annoncé la mise en place d'une plateforme dédiée. Dans quelles conditions sanitaires ce dispositif pourra-t-il fonctionner ? Si la mobilisation est insuffisante, comment notre agriculture va-t-elle pouvoir répondre à la demande ? N'y a-t-il pas risque de pénurie ?

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail .  - C'est une question très importante. La santé est notre priorité à tous : la garantie d'une alimentation de qualité dans les semaines et les mois qui viennent est essentielle, d'autant que le printemps est la saison des premières récoltes et des semis pour l'automne.

Depuis quelques jours, nous travaillons, avec les ministres de l'Agriculture et de l'Économie, en lien avec les professionnels du secteur, pour faire face à ce besoin de 200 000 saisonniers. Nous éditons un guide de bonnes pratiques pour garantir que les saisonniers travaillent sans mettre en danger leur santé.

Une plateforme commune à Pôle emploi et la FNSEA permettra de s'assurer que l'offre rencontre la demande, afin que tous les emplois soient pourvus. Nous ferons le point quotidiennement. Nous autoriserons en outre le cumul entre le chômage partiel et la rémunération d'une activité saisonnière dans l'agriculture. Nous faisons de même avec les indépendants, de telle sorte qu'ils puissent cumuler le versement de 1 500 euros par le fonds de solidarité avec des contrats courts dans l'agriculture.

Nous sommes tous sur le pont également pour l'agriculture et l'alimentation.

M. Vincent Capo-Canellas.  - Trois questions demeurent en suspens. Comment le comité scientifique appréciera les mesures ? Comment gérer l'éventuelle pénurie ? Ne faut-il pas des aides spécifiques pour l'agriculture, peu concernée par les mesures économiques d'ordre général  mises en place jusqu'à présent?

Mayotte et territoires ultramarins

M. Thani Mohamed Soilihi .  - Depuis lundi minuit, les vols entre l'Hexagone et l'outre-mer sont interdits, sauf dérogation. Or l'outre-mer n'est pas épargné par cette pandémie, où elle est sans doute sous-estimée ; d'autant que s'y ajoute, comme à La Réunion et à Mayotte, une épidémie de dengue d'une ampleur exceptionnelle. On compte déjà une trentaine de cas à Mayotte - dont vous connaissez les défaillances en matière de santé. Il n'y a que 16 lits de réanimation à l'hôpital, et 28 médecins libéraux seulement exercent sur ce territoire pour une population officielle de 256 000 habitants - mais beaucoup plus nombreuse en réalité, en raison de l'immigration clandestine.

Hier, avec le préfet et les élus de Mayotte, nous avons fait le point par visioconférence. Il est souvent impossible d'appliquer les gestes barrières et les règles de confinement, dans des habitations traditionnelles sans sanitaires.

À ceux qui peuvent respecter les règles imposées mais qui agissent avec insouciance, je redis : ne prenez pas ce virus à la légère, ne croyez pas que le climat ralentira sa progression et restez chez vous pour vous protéger et protéger les autres !

Quelles dispositions seront prises s'agissant du transport aérien ? Comment le Gouvernement compte-t-il aider les territoires d'outre-mer, particulièrement vulnérables, pour lutter contre cette pandémie ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre .  - Je m'associe à votre coup de chapeau aux professionnels de santé, à ceux du centre hospitalier de Mamoudzou en particulier. Des efforts ont été consentis ces dernières années pour rehausser le niveau de soins à Mayotte, avec la création de l'ARS et des moyens supplémentaires pour les hôpitaux, notamment à Mamoudzou. En Guadeloupe, un CHU plus résilient est en cours de construction, mais n'est pas encore achevé.

Cette épidémie est à prendre au sérieux, dans les territoires insulaires plus encore qu'ailleurs.

C'est pourquoi nous avons pris des décisions très rudes, notamment la limitation très forte des vols commerciaux vers les territoires d'outre-mer, dont l'organisation sanitaire est, par nature, plus fragile qu'en métropole. C'est pourquoi nous avons imposé une quatorzaine stricte à l'arrivée dans ces territoires. Mais des cas sont malheureusement à déplorer, en Guadeloupe, en Martinique, à Mayotte et ailleurs outre-mer.

Nous affirmons la solidarité de la Nation envers tous ces territoires. Nous veillons à freiner, compte tenu des limites de l'organisation sanitaire, encore plus fort que dans le territoire métropolitain, la propagation du virus. Ainsi, les préfets pourront sans doute être amenés à prendre des mesures de couvre-feu et de confinement plus strictes encore que celles prévalant en métropole. Je leur ai demandé leurs propositions, en fonction de leur analyse fine de la situation de chaque territoire. C'est à ce prix que nous pourrons freiner la circulation du virus.

S'il fallait projeter des moyens supplémentaires à destination des territoires d'outre-mer, nous le ferions, dans la limite de nos capacités, pour aider ces populations françaises à faire face à ce défi considérable.

Interdiction des marchés

M. Joël Labbé .  - Tout d'abord, au nom de mon groupe, je veux affirmer notre solidarité avec tous ceux qui sont mobilisés dans la lutte contre le coronavirus, notamment les soignants.

Le 23 mars, la décision est tombée comme un coup de massue : le Gouvernement a interdit les marchés, sauf autorisation du préfet après avis du maire.

Pourtant, sur le terrain, de nombreux marchés avaient déjà mis en place des bonnes pratiques, bien au-delà de celles des grandes surfaces, dans lesquelles les clients circulent et manipulent librement les produits.

Pourquoi créer du gaspillage alimentaire et une rupture d'égalité entre des grandes surfaces et les marchés tenus par des acteurs locaux, alors que ces derniers sont porteurs de résilience ?

Par cette décision, ce sont des petits producteurs en vente directe, des acteurs de la pêche artisanale, des ostréiculteurs qui voient leur survie économique menacée.

L'alimentation étant un secteur stratégique, ne vaut-il pas mieux soutenir et sécuriser les marchés et les initiatives de vente directe ?

Votre réponse, monsieur le Premier ministre, hier, à l'Assemblée nationale, n'a pas permis de clarifier la situation et cette mesure continue de faire débat sur les territoires. Oui il faut faire confiance aux maires, mais oseront-ils demander des dérogations, alors que les préfets ont des interprétations diverses de l'arrêté et que certains ont déjà refusé des demandes ?

Pouvez-vous avoir une parole claire pour encourager les maires et les préfets à maintenir des marchés et les pratiques de vente directe, dans le respect des règles sanitaires ? (MM. Hervé Marseille et Vincent Capo-Canellas applaudissent.)

M. Édouard Philippe, Premier ministre .  - Je sais que ce sujet suscite interrogation et appréhension chez nos agriculteurs, nos concitoyens. Les élus et les préfets ont des décisions bien délicates à prendre.

Le principe général est l'interdiction des marchés, dans un souci de prudence. Mais il est possible de déroger à ce principe, par autorisation du préfet et sur demande et avis du maire. Les maires sont les mieux placés pour apprécier si un marché est nécessaire et susceptible d'être organisé dans le respect des conditions de sécurité sanitaire, dans leur commune ou un quartier de celle-ci.

J'ai été maire ; je sais que si certains marchés ne peuvent être organisés dans de bonnes conditions sanitaires, d'autres petits marchés peuvent l'être, dans certains quartiers.

On ne peut reprocher aux préfets d'être avant tout soucieux de préserver la santé et de limiter les risques. Il importe de bien expliquer la règle ; je le fais ici, le ministre de l'Intérieur s'y attachera également.

Mon objectif est que, dans les communes rurales ou les quartiers où le marché est indispensable et peut être organisé dans de bonnes conditions, il puisse se tenir. Les Français ont besoin de produits frais - ce n'est pas un luxe - et les agriculteurs d'écouler leur production.

Je le redis au Sénat : les maires sont les mieux placés pour faire des propositions, les préfets auront des consignes d'écoute et de bon sens.

Peut-être y a-t-il eu entre l'annonce et son application, des questionnements...

M. René-Paul Savary.  - Oui !

M. Édouard Philippe, Premier ministre.  - Mais nous veillons à régler les choses du mieux possible.

M. René-Paul Savary.  - Merci !

M. Joël Labbé.  - L'urgence est à la souveraineté alimentaire des territoires, pas à la concentration du pouvoir des grandes surfaces.

Attention à la distorsion de concurrence. Dans les temps d'après, notre agriculture paysanne, nos producteurs locaux, nos territoires ruraux seront porteurs d'avenir ; préservons-les dès maintenant !

Nationalisations

Mme Éliane Assassi .  - L'heure est grave, l'épidémie s'étend sur toute la planète. Les mesures exceptionnelles prises par le Gouvernement sont insuffisantes. Nos hôpitaux, nos Ehpad ont besoin de masques, de tests, de réanimateurs, bientôt de médicaments. L'incapacité de la sixième puissance mondiale à les fournir est révélatrice des ravages du libéralisme - que vous portiez aux nues naguère - mais ça, c'était avant.

L'État doit reprendre la main, un État citoyen au service du peuple. Il faut rouvrir et nationaliser l'usine Luxfer, seul fabricant en Europe de bouteilles d'oxygène, fermée par son propriétaire britannique mais dont les 134 salariés ont préservé l'outil. De même, il faut réquisitionner les usines textiles pour la fabrication de masques.

Emmanuel Macron l'a dit lui-même : un modèle de développement dévoile ses failles au grand jour. « Nationalisation » n'est plus un gros mot. Le Medef adjure même le Gouvernement d'y recourir. Contrairement à lui, nous ne prônons pas des nationalisations temporaires, visant à sauver les actionnaires, mais bien des nationalisations visant à libérer les services publics des lois du marché. Allez-vous vous y résoudre ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre .  - Votre question comprend plusieurs temporalités : la gestion de l'urgence et l'avenir. Je ne vous surprendrai pas en disant que nous ne voyons pas le monde d'après de la même façon : je ne partage sans doute pas votre prédilection pour l'appropriation collective des moyens de production. (Sourires ; Mme Éliane Assassi s'exclame.) Nous aurons ce débat, sain et nécessaire, le moment venu.

Le plan du Gouvernement se monte à 45 milliards d'euros pour des mesures d'urgence immédiates, auxquels s'ajoutent 300 milliards d'euros de garanties sur les prêts bancaires. Il est de la même ampleur que le plan allemand.

Lorsque nous aurons passé la crise - car nous la passerons - il faudra relancer la machine, faire repartir le corps économique. Cet effort sera considérable ; il sera national mais devra aussi être coordonné au niveau européen et mondial.

L'État est déjà actionnaire de grands groupes stratégiques. Il n'a pas vocation à l'être de toutes les entreprises françaises. Là où il est déjà actionnaire, l'État prendra ses responsabilités. S'il devait intervenir au-delà, par des prêts particuliers ou des prises de participation, pour sauver des entreprises stratégiques en difficulté, ou menacées par des interventions étrangères, il prendrait là aussi ses responsabilités pour qu'elles puissent passer la crise.

Nous n'excluons rien, mais annoncer par principe l'intervention de l'État, c'est se condamner à ne pas pouvoir intervenir partout. Bercy regarde avec attention où et quand il conviendra d'intervenir, en fonction de la capacité des entreprises à passer ce cap et de leur caractère stratégique ou non.

Je sais que ma réponse ne vous satisfait pas. Non, nous n'allons pas nationaliser toutes les entreprises françaises ! (Sourires)

Mme Éliane Assassi.  - Allons ! Ce n'est pas ce que je demandais !

M. Édouard Philippe, Premier ministre.  - Votre enthousiasme pourrait nous entraîner très loin ! Mais nous ferons ce qu'il faudra.

Encadrement des prix

M. Rachid Temal .  - J'ai une pensée pour tous nos concitoyens, qu'ils soient confinés chez eux, touchés par la maladie ou par le deuil, mais aussi pour tous ceux qui assurent le fonctionnement de notre pays en termes de santé, d'entretien, d'alimentation, de sécurité, d'enseignement, de production ou de continuité du service public.

Face à cette crise sans précédent, le Gouvernement, le Parlement et les collectivités territoriales ont dû adopter un certain nombre de mesures, strictes mais vitales.

Alors que le confinement sera vraisemblablement prolongé, nous constatons les premières conséquences économiques et sociales, avec des tensions sur les prix des produits de première nécessité.

La crise sanitaire aura un impact sur le pouvoir d'achat des Français. Nous devons l'anticiper et prendre des décisions immédiatement. Face à cette inflation de crise, nous demandons au Gouvernement, en application de l'article 2 de la loi d'urgence sanitaire votée dimanche, de limiter par décret les prix des produits de consommation de première nécessité.

Nous demandons également un dispositif pour maintenir le pouvoir d'achat des agriculteurs et producteurs. Quand le blocage des prix sera-t-il prononcé ?

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances .  - Tous ceux qui, dans les usines, les entrepôts, sur les routes et dans les magasins, contribuent à nourrir les 67 millions de Français méritent effectivement un coup de chapeau.

Le Gouvernement suit attentivement l'évolution du prix des denrées alimentaires, notamment des produits frais. Moins de 10 % de ceux-ci ont connu une augmentation de plus 10 % la semaine du 16 au 22 mars, d'après les chiffres de Rungis. Mais il convient de rester vigilant, dans un contexte où les coûts de production et de logistique augmentent.

Le code rural prévoit un dispositif d'accords de modération des marges sur les fruits et légumes frais ; à ce jour, seize accords ont été signés. Ils ont été activés hier sur les fraises rondes et gariguettes et sur les asperges.

En cas de flambée anormale des prix, le Gouvernement peut prendre des mesures de fixation des prix en application du code de commerce.

L'enjeu est de nourrir les Français. Nous faisons un point quotidien avec la filière agroalimentaire afin de supprimer les grains de sable - du manque de bras dans les exploitations à la distribution en passant par la logistique - qui bloqueraient l'approvisionnement.

Soyons également tous solidaires dans notre façon de consommer...

M. Rachid Temal.  - J'entends. Nous devons nourrir les Français et permettre à la filière agricole de travailler. Mais il faut anticiper. On constate déjà des augmentations de prix. J'espère que le Gouvernement agira comme il l'a fait pour le gel hydroalcoolique. Le dispositif existe, utilisons-le, y compris outre-mer.

Mobilisation des assurances

M. Claude Malhuret .  - Dans une crise sanitaire, comme dans toute catastrophe, l'action publique doit d'abord parer au plus urgent : protéger les vies humaines, quoi qu'il en coûte. C'est la ligne retenue par le Gouvernement, celle aussi soutenue par le Parlement, et surtout celle attendue par les Français. Je me joins à l'hommage aux personnels soignants.

Après les mesures fortes et courageuses pour limiter l'expansion du virus, il faut agir avec la même force pour que l'économie ne s'effondre pas. Nous y avons contribué en adoptant dimanche les deux projets de loi du Gouvernement qui dispose désormais d'importants moyens qui sont autant de filets de sécurité.

Mais l'État ne peut pas tout. Alors que tout indique un ralentissement globalisé de l'économie, la mobilisation du secteur privé sera également indispensable : aucune des forces vives du pays ne doit manquer à l'appel.

Bon nombre de nos entreprises accusent le coup et s'apprêtent à ouvrir des lignes de crédits garantis par l'État. Afin de remettre les entreprises sur les rails de l'activité, l'action des professionnels de l'assurance sera également nécessaire.

La couverture d'un risque consiste à évaluer la probabilité qu'un événement se produise, et les dégâts financiers qu'il pourrait causer. Quand l'événement est inédit et les dégâts incommensurables, la tâche évidemment se complique...

Or de très nombreuses pertes d'exploitation actuellement subies par les entreprises ne sont pas couvertes par leurs contrats d'assurance. Leurs dirigeants sont très inquiets.

Que peut faire le Gouvernement pour adapter le cadre assurantiel à la gravité de la situation que nous connaissons ? L'état d'urgence sanitaire a-t-il vocation à intégrer un volet assurantiel, par exemple sur le modèle du régime existant en matière de catastrophes naturelles ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre .  - Le Gouvernement remercie le Parlement de lui avoir, avec ces deux lois, donné les moyens de réagir face à la crise. Nous avons utilisé le cadre juridique que vous avez voté en présentant en Conseil des ministres ce matin pas moins de 25 ordonnances pour répondre, secteur par secteur, sujet par sujet, aux questions juridiques qui se posaient, aux besoins du tissu économique et aux difficultés des établissements de santé et de leur personnel soignant.

Nous avons annoncé 45 milliards d'euros de mesures d'urgence et 300 milliards d'euros de garanties de prêts, ce qui montre l'engagement de l'État et donc de la Nation.

Pour les assurances, il est vrai que, dans leur immense majorité, les garanties en matière de pertes d'exploitation ne prévoient pas ce type d'événement. Constatant cette impossibilité, nous sommes intervenus de trois façons.

Nous avons demandé aux assurances de participer au fonds de solidarité. Elles s'y sont engagées à hauteur de 200 millions d'euros pour le mois de mars. C'est important pour les indépendants et les TPE confrontés à l'interruption de leur activité.

Les garanties d'assurance seront également maintenues pour les TPE qui ne pourraient plus payer leur police d'assurance parce qu'elles n'ont plus de recettes.

Enfin, le ministère de l'Économie et des finances va travailler avec les assureurs pour proposer des couvertures adaptées à ce type d'aléa. Une réflexion approfondie est nécessaire. Le secteur des assurances devra nous aider, mais il faudra aussi veiller à ce qu'il ne disparaisse pas.

Je ne peux vous dire aujourd'hui quels seront les résultats de cette discussion, mais je puis vous affirmer qu'elle est déjà engagée.

Efficacité des mesures d'urgence

M. Philippe Dallier .  - Le Sénat a voté à la quasi-unanimité votre dispositif pour soutenir l'activité et l'emploi. Mais il y a quelques trous dans la raquette : nous l'avions dit en séance publique et les remontées de terrain le confirment.

Il faudrait étendre le dispositif prévu pour le chômage partiel aux artisans, commerçants et aux TPE qui vont rester ouverts parce que leur activité est considérée comme essentielle mais qui vont tout de même subir une perte de chiffre d'affaires. La mesure d'aide de 1 500 euros pour ceux qui ont perdu plus de 70 % de leur chiffre d'affaires par rapport à mars 2019 sera de peu d'effets, les reports de charges et le fonds de solidarité ne seront pas suffisants.

Le fonds de garanties doté de 300 milliards d'euros est une bonne mesure, à condition que les banques puissent accorder ces prêts rapidement sur tout le territoire. Mais beaucoup d'agences bancaires sont fermées. Que faire ?

Nous devons encourager ceux qui sont au travail. Comment comptez-vous le faire ? Êtes-vous prêt à faire un geste, monsieur le Premier ministre, pour les salariés, comme pour le secteur public et, en particulier, les hôpitaux ?

Enfin, les collectivités territoriales ont commandé des masques en Chine mais rencontrent des problèmes de livraison. Qu'est-il prévu ? On parle d'un pont aérien : qu'en est-il ?

M. Édouard Philippe, Premier ministre .  - Merci de votre appréciation positive sur les garanties bancaires. Prenant la mesure des dispositions votées, certaines banques ont déjà contacté leurs clients pour accorder des prêts. Notre objectif est de faire fonctionner cet instrument car les entreprises en ont besoin : le secteur bancaire est très mobilisé, très réactif, même si çà et là des agences peuvent avoir des difficultés pour recevoir le public.

Vous avez évoqué certaines limites des mesures prévues. Néanmoins, notre dispositif de chômage partiel, sans précédent, est le plus généreux d'Europe pour les entreprises : lorsqu'elles passeront en chômage partiel, elles ne subiront aucune perte et le revenu des salariés sera garanti à une hauteur supérieure à ce qui se fait chez nos voisins, y compris en Allemagne. Ainsi, les entreprises et les salariés passeront ce cap difficile.

Le fonds de solidarité pour les TPE comprend deux étages : le premier est automatique : dès lors que l'on remplit les conditions, les 1 500 euros seront versés rapidement par la Direction générale des finances publiques (DGFiP). Le deuxième étage reposera sur l'appréciation des conseils régionaux - qui travaillent en étroite collaboration avec le Gouvernement - et il sera fonction de la situation de chaque entreprise. Il y aura un accompagnement. Et cette mesure durera autant de temps que nécessaire.

Enfin, un certain nombre de commandes de masques ont été passées en Chine par l'État, par le secteur public, par le privé. Des avions-cargos sont prévus et affrétés. Nous pourrions, en cas de besoin, non pas « réquisitionner », comme le dirait Mme Assassi (Sourires), mais faire appel aux moyens des compagnies aériennes nationales. Elles sont prêtes à participer à cet effort, qu'il s'agisse de faire revenir les Français bloqués à l'étranger, ou d'aller chercher ces masques.

Les délais de livraison seront, je l'espère, brefs. Mais dans une situation comme celle-ci, je fais preuve d'un optimisme mesuré : je préfère tenir qu'espérer.

M. Philippe Dallier.  - Vous n'avez pas répondu à ma question relative à l'encouragement financier des salariés en poste. Ils le méritent.

M. le président.  - Je vois que M. le Premier ministre a parfaitement entendu.

Généralisation des tests de dépistage

Mme Sabine Van Heghe .  - La lutte contre le Covid-19 impose l'unité nationale. Je m'associe aux hommages rendus à nos concitoyens qui travaillent dans des conditions très difficiles, les professionnels de santé mais aussi tous ceux qui permettent aux Français de disposer des biens et services indispensables. Rendons aussi hommage aux fonctionnaires des services publics, ces services dont on réalise qu'ils sont indispensables et sont moins une dépense qu'un investissement.

Les maires et les élus locaux sont également en première ligne. L'unité nationale ne doit pas empêcher le débat démocratique : certaines mesures sanitaires prises par le Gouvernement font débat chez nos concitoyens.

Le confinement est indispensable, mais il ne suffit pas. Nous avons impérativement besoin de masques, de tests de dépistage, de respirateurs, de gel hydroalcoolique. Or tous font scandaleusement défaut. Quand les personnels mobilisés pour affronter cette épidémie disposeront-ils de ces protections élémentaires ?

Nous devons dès maintenant augmenter les moyens financiers et humains qui manquent cruellement à notre système de santé.

L'OMS demande la généralisation des tests de dépistage, afin de confiner les personnes positives et d'éviter de nouvelles contaminations. Or les tests sont pratiqués en nombre insuffisant, quand les 800 000 résidents des Ehpad sont menacés d'une effroyable hécatombe faute de mesures de grande urgence.

Quand allez-vous généraliser les tests ?

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé .  - Votre question me donne l'occasion de revenir sur les annonces que j'ai déjà faites. Nous allons continuer à nous conformer scrupuleusement aux recommandations de l'OMS en ce qui concerne les tests. Elles ont évolué avec la connaissance du virus, l'évolution de la pandémie, et les stratégies choisies, qui sont du reste fonction des moyens dont on dispose. J'ai entendu l'appel du directeur général de l'OMS : « Testez, testez, testez les gens ! ». Il sera encore plus utile de tester les gens à l'issue du confinement. L'enjeu sera en effet de savoir qui a été malade et qui ne l'a pas été.

D'ici à quinze jours, notre capacité passera de 5 000 à 25 000 tests par jour. À titre d'exemple, l'Allemagne en réalise 12 000 quotidiennement. Nous avons commandé des tests dans tous les pays qui en disposent et nous allons également en produire en France.

La biologie moléculaire, le fameux PCR, ne suffit pas ; seule la sérologie nous indiquera qui est immunisé et qui ne l'est pas. C'est ce qui importera au moment du dé-confinement !

À cet égard, la recherche progresse très rapidement. Divers tests sont en cours de développement en France, en Europe et dans le monde et ils seront bientôt disponibles.

M. René-Paul Savary.  - Tout est dit.

Examens scolaires à venir

M. Laurent Lafon .  - Après la fermeture des établissements scolaires, notre système éducatif se trouve dans une situation inédite. Je salue la mobilisation des enseignants qui assurent, malgré tout, la continuité de l'enseignement.

Cependant chaque famille ne possède pas un équipement informatique suffisant et certains parents ne sont pas en mesure d'aider leurs enfants. Cela risque de creuser les inégalités. Quel rattrapage est prévu après la crise ?

Le ministère travaille aux ouvertures et aux fermetures de classe pour la rentrée et certaines communes pourraient recevoir dans quelques jours l'annonce de fermetures. Il faut suspendre ce calendrier, pour éviter des tensions dont nous n'avons pas besoin actuellement !

Quid de l'organisation du bac : les épreuves du contrôle continu, qui devaient intervenir à la rentrée des vacances de printemps, seront-elles maintenues ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse .  - Je rends moi aussi hommage aux professeurs et au personnel de l'Éducation nationale. Certaines familles nous disent même que les élèves ont trop de travail ! Oui, il existe un risque d'accentuation des inégalités. J'ai demandé aux professeurs de veiller à un suivi personnalisé, avec un appel téléphonique par semaine, ou plus, s'agissant des familles défavorisées. Des modules gratuits de soutien scolaire seront également proposés après la fin de la crise.

Quant au baccalauréat et aux concours, j'ai avec ma collègue Mme Vidal publié un communiqué hier. Je suis en discussion avec l'ensemble des organisations syndicales afin de déterminer les modalités de tenue des épreuves du bac, dates et nature des épreuves. C'est l'intérêt des élèves qui prévaudra. Même chose pour les concours : l'objectif est de ne léser aucun élève ni étudiant. Des précisions seront apportées dans les prochaines semaines.

M. Laurent Lafon.  - J'attire à nouveau votre attention sur les conditions de la prochaine rentrée scolaire. Les tensions et les inquiétudes à ce sujet, ne sont pas indispensables...

M. le président.  - Je voudrais saluer nos collègues qui nous suivent sur Public Sénat et les remercier des « remontées » qu'ils nous font parvenir depuis les territoires qu'ils représentent.

Avant de conclure notre séance, je vous rappelle, mes chers collègues, que le droit de questionnement continue également à s'exercer sous la forme des questions écrites auxquelles j'invite le Gouvernement à apporter des réponses dans les délais les plus raisonnables.