Modification de la loi organique n°2010-837 et de la loi n°2010-838 du 23 juillet 2010 (Conclusions des CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions des commissions mixtes paritaires chargées d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique modifiant la loi organique n°2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution ; et du projet de loi modifiant la loi n°2010-838 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution et prorogeant le mandat des membres de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet.

Il a été décidé que ces deux textes feraient l'objet d'une discussion générale commune.

Discussion générale commune

M. Yves Détraigne, rapporteur pour le Sénat des commissions mixtes paritaires .  - Le 4 février, la CMP est parvenue à un accord sur les deux projets de loi relatifs à l'article 13 de la Constitution. Initialement, le Gouvernement présentait ces deux textes comme un travail d'actualisation, voire de coordination, concernant la liste des nominations soumises à l'avis préalable des commissions parlementaires. Il fallait, par exemple, tirer les conséquences du changement de dénomination de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) ou de la privatisation de la Française des jeux (FDJ). Sur le plan technique, le travail n'était du reste pas abouti, il a fallu des ajustements techniques.

Surtout, nous avons constaté un problème de méthode : nous étions invités à tirer les conséquences de trois ordonnances qui n'ont pas encore été ratifiées ! Ainsi de l'ordonnance du 3 juin 2019 qui réorganise de fond en comble la SNCF : huit mois plus tard et malgré nos nombreuses relances, le Gouvernement ne nous a communiqué aucun calendrier de ratification. Cette situation me paraît profondément regrettable pour le Parlement, et contraire à l'esprit de l'article 38 de la Constitution. De même pour l'ordonnance du 10 octobre 2019 relative aux jeux d'argent et de hasard.

Sur le fond, les projets de loi adoptés en Conseil des ministres auraient conduit à un recul même léger du contrôle parlementaire sur les nominations aux emplois publics, ce que le Sénat n'a pu accepter.

Nous avons rappelé notre attachement à la procédure prévue par l'article 13 de la Constitution. Elle permet au Parlement de bloquer une négociation si trois cinquièmes des suffrages exprimés y sont défavorables ; et, ainsi, d'écarter des candidatures de complaisance et d'améliorer la transparence des nominations.

Il aurait fallu modifier les règles de majorité. Le Parlement, en réalité, n'a jamais exercé son veto. Il a failli le faire, à une voix près pour la nomination, en décembre dernier, du directeur de l'Office national des forêts (ONF). Nous aurions souhaité étendre le périmètre des nominations soumises au Parlement, le Gouvernement hélas y est opposé.

La CMP a retenu la majorité des apports du Sénat. Le Parlement sera désormais consulté sur la nomination du président de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), mesure portée depuis longtemps par Jacques Mézard. Je suis très étonné que le Gouvernement ait pu estimer, à l'Assemblée nationale, que la CADA « est assez loin de la défense des droits et libertés constitutionnelles » ! Le rapport Hyest-Bouchoux avait au contraire montré son rôle fondamental pour les droits des citoyens qui demandent communication de documents administratifs. Le Conseil constitutionnel l'a reconnu dans sa décision du 29 octobre 2014 sur l'accès aux documents administratifs en Polynésie française.

La CADA reçoit chaque année 1 800 dossiers. Ses délais de traitement dépassent quatre mois, alors que la loi prévoit une durée théorique d'un mois. Il faut encore deux mois de plus pour que le demandeur obtienne une réponse de l'administration, voire forme un recours. C'est un véritable labyrinthe.

À l'initiative de Jean-Yves Leconte, le Parlement sera également consulté sur la nomination du directeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) - c'était logique, puisque c'est déjà le cas pour l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra).

La CMP a aussi entériné l'application de l'article 13 aux directeurs de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Nous sommes allés plus loin que le code de la santé publique, qui prévoyait l'audition de ces personnalités, mais sans veto, par les commissions des affaires sociales.

Au total, le périmètre est passé à 55 nominations. La seule divergence persistante porte sur la SNCF : Le Sénat voulait conserver un droit de regard sur SNCF Réseau, une entité va répartir les heures de passage entre les opérateurs de transport, dont SNCF... Chacun voit le problème. L'Assemblée nationale ne partageait pas notre point de vue, et songeait avant tout à l'unité managériale du groupe SNCF. Ce débat se prolongera au moment de la ratification de l'ordonnance du 3 juillet 2019.

Enfin, il s'agissait de prolonger le mandat des administrateurs actuels de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi), appelée à disparaître dans quelques mois par fusion avec le CSA.

Je vous recommanderai d'adopter ces deux textes dans la version issue des travaux de la CMP, qui préservent les principaux apports du Sénat.

M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique .  - Je suis heureux que députés et sénateurs se soient accordés sur ce texte dont l'intention est double : tirer les conséquences du paquet ferroviaire et de la loi Pacte, et éviter d'avoir à nommer de nouveaux administrateurs dans la Hadopi pour quelques mois.

Sénateurs et députés sont tombés d'accord pour maintenir la nomination du directeur de la CADA dans le champ de l'article 13. Dont acte.

Quant à SNCF Réseau, l'Assemblée nationale est revenue au texte initial du Gouvernement ; nous nous en félicitons.

OFII, ANSM et Anses ont été ajoutés à la liste.

Le Gouvernement n'entend aucunement préjuger de l'adoption de la future loi sur l'audiovisuel, mais veut simplement donner à la Hadopi la possibilité de fonctionner jusqu'au rapprochement avec le CSA.

Le Gouvernement est favorable à l'adoption des deux projets de loi dans les rédactions de la CMP.

M. Franck Menonville .  - Le 4 février, la CMP est parvenue à un accord sur ces deux textes. Le Parlement a un pouvoir de veto sur certaines nominations du Président de la République « en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés, ou la vie économique et sociale de la Nation », à une majorité des trois cinquièmes des deux commissions compétentes.

Un tel contrôle est indispensable. Depuis 2010, la liste des postes concernés n'a cessé de s'étoffer, élargissant le champ d'intervention du Parlement. Avec ce texte, l'OFII, l'ANSM et l'Anses ainsi que la CADA ont été ajoutés à la liste, qui atteint 55 autorités.

Je me félicite des améliorations apportées, qu'il s'agisse des intitulés des organismes ou des fonctions, de l'extension du champ de la procédure ; je me réjouis que le rôle de la CADA n'ait pas été minimisé alors que la demande d'accès aux documents administratifs n'a jamais été aussi forte.

La seule divergence avec les députés portait sur SNCF Réseau, dont le caractère est pourtant stratégique. Cependant le groupe Les Indépendants votera ce texte et remercie le rapporteur de son excellent travail.

M. Philippe Bas, président de la commission.  - Bravo ! C'est important de le dire !

M. François Bonhomme .  - Malgré la technicité apparente de ces textes, qui à première vue se résument à une série d'ajustements, nous touchons à un sujet de la plus grande importance. En effet, la liste des emplois et fonctions soumis à l'avis du Parlement est modifiée.

Or le veto aux nominations est, pour le Parlement, une forme de droit de regard. Par rapport à la liste actuelle, un certain nombre d'organismes sont ajoutés ou retirés, certains noms modifiés. Ces textes prolongent également le mandat des six membres de la Hadopi.

Il y a un problème, déjà signalé : ces deux textes tirent les conséquences d'ordonnances non encore ratifiées. (Mme Éliane Assassi le confirme.) Le Gouvernement présume ainsi de l'accord du Parlement sur de futurs projets de loi. Cela fait désordre...

De plus le texte initial faisait passer de 54 à 51 le nombre d'emplois concernés. Nous avons pour notre part inclus dans la liste le président de la CADA et le directeur général de l'OFII. La commission de l'aménagement du territoire proposait de soumettre à l'avis du Parlement les quatre dirigeants de la SNCF.

Nous sommes heureux que l'Assemblée nationale ait largement partagé notre manière de voir, sauf hélas sur SNCF Réseau, acteur stratégique du transport en France. Didier Mandelli, rapporteur de cette commission, estimait que ce serait judicieux.

Le Sénat était opposé à la privatisation de la Française des jeux, mais cette opération étant réalisée, il convenait d'en tirer les conséquences. Le groupe Les Républicains votera donc ces deux textes.

M. Olivier Jacquin .  - Je salue le travail de tous nos collègues, ainsi que celui des députés du groupe LaREM qui n'ont pas suivi le Gouvernement et ont soutenu les ajouts du Sénat, le rapporteur donnant un avis favorable sur la CADA et l'OFII. C'est une belle avancée démocratique.

Seule pierre d'achoppement : la nomination du PDG de SNCF Réseau, gestionnaire des 30 000 kilomètres d'infrastructures ferroviaires de notre pays. Nous n'avons pas obtenu le contrôle du Parlement sur cette nomination : c'est un recul, voire une incohérence. Car le rapporteur Christophe Euzet à l'Assemblée nationale a invoqué le statut de SNCF Réseau, filiale de la SNCF, refusant de créer une double légitimité qui pourrait susciter des difficultés de gouvernance. Mais il compte sur l'Autorité de régulation des transports (ART) pour veiller à l'indépendance du réseau ! Notre collègue député méconnaît le nouveau pacte ferroviaire et les intenses discussions qui ont eu lieu à ce sujet...

Nous nous sommes tous battus, ici, pour transformer huit ordonnances en un vrai texte de loi avec un véritable volet social.

Néanmoins nous nourrissons des inquiétudes sur la « muraille de Chine » évoquée par Élisabeth Borne qui devait se dresser entre les deux entités SNCF et SNCF Réseau. L'ART a exprimé des doutes ; son président, Bernard Roman estimait le contrôle parlementaire nécessaire à cette indépendance. Comme le dirait Jean-Pierre Sueur, pourquoi se donner tant de mal pour réduire les pouvoirs de contrôle du Parlement ? Quel inconvénient y aurait-il à soumettre le directeur général de SNCF Réseau au dernier alinéa de l'article 13 ?

Ces textes n'étaient pas une priorité, mais ils existent et font l'objet d'un accord. En matière de CMP, un tien vaut mieux que deux tu l'auras. Le groupe socialiste et républicain les votera. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR et sur le banc de la commission)

Mme Françoise Laborde .  - La CMP est parvenue à un accord non sans une certaine déception chez les défenseurs d'un réseau ferroviaire de qualité. Ces textes ont une importance politique majeure malgré une apparence anodine.

Une grande partie des nominations de ceux qui définissent la politique de notre pays n'est pas soumise au Parlement. Tel n'est pas le cas aux États-Unis. L'exercice consiste à trouver un équilibre entre le contrôle du Parlement et la nécessité de laisser des marges de manoeuvre au Gouvernement. D'où la liste exhaustive définie au cinquième alinéa.

L'importance des fonctions varie selon les compétences attribuées, ou la manière dont elles sont exercées : certaines personnalités ont marqué durablement leur institution comme le Défenseur des droits ou le directeur de l'Ofpra. Il est en tout cas indispensable d'actualiser régulièrement la liste.

La marginalisation de l'État actionnaire fait diminuer le pouvoir de nomination étatique et avec lui, le contrôle du Parlement. Comment du reste apprécie-t-on l'importance pour la vie économique et sociale : par la taille, par le secteur ? S'agit-il encore de protéger les monopoles naturels que certains économistes dénoncent depuis longtemps ?

Dans un contexte où la cohésion des territoires est un sujet prégnant, il serait anormal de priver le Parlement de son contrôle sur la nomination de certains dirigeants comme celui de SNCF Réseau.

Le groupe RDSE a toujours abordé la question ferroviaire sans dogmatisme, avec souci d'efficacité. Malgré cette petite dissonance, il votera ces textes. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)

M. Bernard Buis .  - Ces deux projets de loi renforcent les pouvoirs de contrôle du Parlement, contribuant à ce que le « pouvoir arrête le pouvoir » pour reprendre Montesquieu dans L'esprit des lois.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - Très bien !

M. Bernard Buis.  - L'audition publique qui précède l'avis de la commission compétente garantit la transparence de la procédure, comme le prévoyait la réforme constitutionnelle de 2008.

La navette parlementaire a permis une coconstruction par les deux chambres. Je salue le travail du rapporteur Détraigne. L'Assemblée nationale et le Sénat ont su s'entendre sur le pouvoir de contrôle du Parlement. L'ajout de la CADA, de l'OFII, l'actualisation de l'Arcep ou la prorogation des mandats de la Hadopi en témoignent.

La rédaction finale tire les conséquences de la transformation de la SNCF en entreprise unifiée depuis le 1er janvier 2020. Seul le directeur général de la SNCF est nommé par le Président de la République après avis du Parlement, conformément au droit commun. La CMP a exclu la nomination du directeur général de SNCF Réseau du champ de l'article 13. Des garanties existent cependant sur l'indépendance de SNCF Réseau. La nomination devra faire l'objet d'un avis conforme de l'ART - comme une éventuelle révocation.

La CMP a porté à 55 les postes soumis à la procédure de nomination, confortant ainsi le pouvoir de contrôle du Parlement.

Le groupe LaREM votera les deux textes.

Mme Éliane Assassi .  - Le 17 décembre, mon groupe a exposé les raisons de son opposition à ces textes. En CMP, beaucoup se sont émus de la violence faite au Parlement par le Gouvernement, lorsqu'il se réfère à des ordonnances non encore ratifiées.

Le Gouvernement a dit au Parlement : « Ne vous inquiétez pas, vous ratifierez les ordonnances ». C'est un pouvoir exorbitant conféré à l'exécutif. Il est compréhensible dans une situation de crise, par exemple en 1945 ou 1958. Rien ne justifie aujourd'hui un recours à un tel autoritarisme constitutionnel. Nous devons rééquilibrer les pouvoirs entre le Parlement et l'exécutif et refusons une telle soumission du Parlement. Nous maintenons notre vote négatif tout en saluant le travail du rapporteur.

M. Philippe Bonnecarrère .  - C'est grâce à la révision constitutionnelle de 2008 que nous sommes conduits à examiner la liste des nominations soumises à l'article 13. Cet article définit un contrôle du Parlement.

Ces textes témoignent-ils d'une soumission du Parlement au Président de la République ? La formule est sévère ! Je crois plutôt qu'en l'absence de cohabitation, il n'y a pas eu d'oppositions fortes...

Passer de 51 à 55 emplois publics constitue-t-il un grand succès ? Là encore, il serait excessif d'affirmer cela, même si nos collègues députés ont eu le bon goût de retenir nos apports et d'ajouter dans le champ de l'article 13 deux importantes autorités sanitaires.

Le débat sur la SNCF a donné lieu à une interprétation littérale de l'Assemblée nationale, qui a considéré le statut de filiale, et une interprétation téléologique du Sénat, qui mettait en avant le contrôle par l'État. Quant à moi, j'estime que nos grands établissements publics ont souffert d'une forme de balkanisation avec des filiales peu contrôlées. Il est important qu'il y ait un seul patron.

Peut-on parler de coconstruction ? Quoi qu'il en soit, je salue le travail de M. Détraigne. Le groupe UC votera ce texte. Le Sénat reste attaché à une réduction du nombre des AAI, par fusion.

Nos collègues désignés dans les AAI en deviennent ensuite les meilleurs défenseurs. Pour autant, le groupe UC considère qu'il faut moins d'AAI et plus de contrôle parlementaire. (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; M. Bernard Buis applaudit également.)

La discussion générale commune est close.

Le projet de loi organique est mis aux voix par scrutin public de droit.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°92 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l'adoption 324
Contre 16

Le projet de loi organique, dans la rédaction élaborée par la CMP, est définitivement adopté.

Le projet de loi, dans la rédaction élaborée par la CMP, est définitivement adopté.

Prochaine séance, mardi 3 mars 2020, à 9 h 30.

La séance est levée à 20 h 25.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Jean-Luc Blouet

Chef de publication