Agriculture

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur l'action du Gouvernement en faveur de l'agriculture, à la demande du groupe Les Républicains.

M. Laurent Duplomb, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Le débat est important. Pour comprendre ce qu'il se passe, il faut revenir trois ans en arrière. L'élection du président Macron a suscité un espoir immense chez les agriculteurs, celui de la reconnaissance. Les États généraux de l'Agriculture ont amplifié cet espoir d'être enfin compris, et que le problème de leurs revenus allait être traité.

Puis est venu le discours de la Sorbonne, passé inaperçu sur le moment, d'autant qu'un autre discours fut prononcé à Rungis ; or le Président de la République y a porté un coup fatal à la PAC, en évoquant le financement d'autres priorités sur le budget existant.

Or la France n'a jamais soutenu sérieusement le principe de subsidiarité en agriculture, contrairement à l'Allemagne.

C'est le projet de loi EGalim qui a suscité l'espoir mais là aussi, ce fut la déception. Le titre premier augmentait le seuil de revente à perte, restreignant les promotions agressives. Mais quelque 2 500 amendements de l'Assemblée nationale au titre II ont créé de nouvelles contraintes pour les agriculteurs et accru la stigmatisation, les messages accusateurs en direction de l'agriculture. Les zones de non-traitement grandissent, le glyphosate sera interdit - contrairement aux autres pays d'Europe, les importations augmentent. Je ne parle même pas de la ratification du CETA par l'Assemblée nationale. Or la vraie question, c'est celle du projet de la France pour son agriculture.

Le ministère prône-t-il le non-productivisme ? Comment défendrez-vous la PAC ? Allez-vous enfin arrêter d'en parler avec des mots et nous donnerez-vous des chiffres ? Pensez-vous amplifier la subsidiarité, c'est-à-dire une politique agricole de moins en moins commune ? Le verdissement entravera-t-il encore plus les agriculteurs ? Quid des risques et aléas climatiques ? Du stockage de l'eau, de l'irrigation ? Et du progrès des semences ? Le Conseil d'État vient de les classer OGM.

Monsieur le ministre, votre tâche est difficile. À votre place, je me poserais la question suivante : quel projet agricole ? Je vais essayer de vous aider. En premier, soutenez que la production agricole française est diversifiée. Arrêtez d'opposer les agricultures, de dire que vous voulez changer de modèle. Le savoir-faire français rayonne à l'étranger. N'oublions pas que 25 % des revenus agricoles proviennent de l'exportation. Deuxièmement, luttez contre la suprématie des quatre centrales d'achat. EGalim n'a pas réglé la question.

Troisièmement, soutenez les progrès technologiques ! Une initiative comme celle d'Axema permet, grâce à l'intelligence artificielle embarquée, de faire baisser de près de 90 % le volume de produits phytosanitaires pour certaines cultures.

Quatrièmement, prenez en compte par un suramortissement les investissements qui contribuent à des priorités telles que le bien-être animal, la lutte contre les risques climatiques, etc.

Puis, dressez un véritable état des lieux de ces charges administratives, normatives, qui pèsent tant sur les agriculteurs.

Enfin, battez-vous pour une PAC forte, à 390 milliards d'euros. Dites-nous que vous le ferez...

M. le président.  - Il faut vraiment conclure.

M. Laurent Duplomb.  - L'Europe est forte quand la PAC est forte. Arrêtons d'opposer ou de combattre les agriculteurs. Au contraire, venez avec un projet et une vision forte, et vous verrez : ils vous surprendront ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation .  - Vous disiez ce matin en commission qu'il fallait parler sans passion... La politique de ce Gouvernement est claire : travailler pour les agriculteurs, les éleveurs, les pêcheurs, les conchyliculteurs. Car ce sont eux, qui y travaillent, les plus à même de faire comprendre les réalités auxquelles ils sont confrontés, même si l'on peut comprendre la dynamique agricole sans être agriculteur.

L'agriculture n'est pas à bout de souffle et pour lutter contre l'agribashing, il faut parler positivement de l'agriculture.

Le premier engagement, c'est celui de la transition agroécologique. Nous ne voulons pas changer le modèle, mais le faire évoluer, sans quoi le fossé avec les consommateurs ne se comblera jamais.

Il faut ralentir le temps court, accélérer le temps long. Le Gouvernement tente de tenir la position médiane qu'est la transition agroécologique.

L'agriculture doit rémunérer ses paysans, assurer notre autonomie alimentaire et favoriser l'exportation, condition de notre compétitivité.

C'est possible si elle s'appuie sur le triptyque : compétitivité, recherche création de valeurs et de richesses.

Certains souhaitent l'arrêt de l'utilisation des produits phytosanitaires, d'autres leur prolongation. Pour notre part, nous voulons aider chaque filière à sortir de sa dépendance à ces produits.

Il faut rassurer les consommateurs : on peut faire confiance à la durabilité de l'agriculture et à la qualité de l'alimentation française. Aujourd'hui, il y a trop de violences dans notre monde et nous devons lutter contre celles dont sont victimes les agriculteurs.

Monsieur Duplomb, vous essayez de mettre en place une politique de votre parti, Les Républicains, sur l'agriculture. Ce qui importe, ce ne sont pas les effets d'annonce, c'est le concret. Le Président de la République se rend à Bruxelles avec un seul mandat : défendre la position française sur la PAC, afin d'éviter la disparition de centaines d'exploitations.

M. Laurent Duplomb.  - Des chiffres !

M. Didier Guillaume, ministre.  - Je vous les donnerai. Nous ne voulons retirer aucun euro au premier pilier, tout en imposant les éco-schémas.

Je ne sais pas d'où vient le montant de 390 milliards que vous avancez... Il n'existe même pas en rêve !

Mais de grâce, n'évoquez pas celui de 370 milliards, qui correspond à la proposition initiale de la Commission européenne, dont nous ne voulons pas. Avec vingt autres pays, nous l'avons fait plier et obtenu qu'elle mette sur la table 375 milliards d'euros, correspondant au montant de la précédente programmation, grâce au front commun de vingt pays et à l'Allemagne qui a fait évoluer sa position. Nous défendons maintenant 380 milliards d'euros, et nous allons nous battre jour et nuit pour cela, avec le Président de la République C'est le chiffre que les syndicats agricoles soutiennent. Telle est notre objectif et nous ne laisserons pas la PAC se disloquer.

Le Président de la République a imposé que l'aide destinée au développement des pays de l'Est ne nuise pas à notre agriculture, alors que les distorsions de concurrence, et les distorsions sociales existent encore, manifestement.

L'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) est indispensable. J'aborderai les autres sujets dans la suite du débat.

M. Franck Montaugé .  - Depuis près de deux ans, dans un contexte très problématique, le Sénat a fait des propositions sur la prochaine PAC. Le cadre financier pluriannuel se traduira par une baisse de 15 % pour le premier pilier et de 25 % pour le deuxième. Les États membres devront présenter leur plan stratégique pour la nouvelle gouvernance de la PAC. Sur quels principes allez-vous le fonder ? Comment mettre en oeuvre les 40 % des deux premiers piliers concernant l'environnement et le climat ? Quelles mesures prendrez-vous pour soutenir les marchés du bio qui baisseront inévitablement en valeur ?

M. Didier Guillaume, ministre.  - Arrêtez de dire que le budget de la PAC va baisser de 15 % pour le premier pilier et 25 % pour le deuxième pilier, à moins que vous soyez le porte-parole de la Commission ! Ces chiffres ne sont plus d'actualité. Mais nous voulons les ramener à zéro.

Nous travaillons sur le plan stratégique avec le président Muselier. Ainsi, les ICHN sont indispensables pour certaines régions. Idem pour les aides couplées notamment pour les vaches allaitantes.

Nous allons travailler sur les zones intermédiaires, sur l'installation. Nous allons lancer une assurance généralisée et mutualisée entre toutes les filières grâce à des fonds du deuxième pilier pour faire face aux aléas climatiques.

M. Franck Montaugé.  - Les agriculteurs fournissent des efforts considérables pour le bio. Ne les laissons pas sans aide !

M. Henri Cabanel .  - Nous connaissons bien les grandes mutations de l'agriculture. Devenir agriculteur n'est plus une évidence. Cela ne fait plus rêver les jeunes. Il faut pourtant pourvoir le secteur en main-d'oeuvre. L'agroécologie, la polyactivité, le numérique doivent être promus.

Quel soutien public pour pourvoir les 70 000 offres d'emploi en souffrance ? Il faut nous interroger sur nos politiques à cet égard. Alors que la question du chômage est de plus en plus prégnante dans nos territoires ruraux, il faut faire appel à de la main-d'oeuvre étrangère. C'est désolant. Alors que le nombre d'agriculteurs a été divisé par dix depuis les années cinquante, l'agriculture a besoin de bras ! Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour développer l'emploi.

Mme Sophie Primas.  - Très bien !

M. Didier Guillaume, ministre.  - Je ne sais pas si vous étiez d'accord mais je rappelle que le Gouvernement a réformé l'assurance chômage pour inciter les gens à aller au travail. C'est en train de porter ses fruits. Nous avons maintenu le dispositif des travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi (TODE). Je sais que la rémunération de la main-d'oeuvre étrangère est délicate sans TODE.

Nous sommes très fiers de la renaissance de l'enseignement agricole, véritable pépite, obtenue grâce à la campagne « L'aventure du vivant », alors que l'enseignement agricole se dégradait fortement, avec une réduction de plusieurs milliers d'élèves inscrits chaque année. Nous sommes en hausse de 750 élèves par an.

L'élevage est le secteur qui a le plus de succès alors que c'est celui où l'on vit le moins bien. Cela témoigne d'une véritable confiance en son avenir.

Nous avons travaillé avec M. Blanquer et la direction générale de l'enseignement scolaire de son ministère pour le mettre en avant lors des forums d'orientation. Cela ne se faisait pas auparavant et porte ses fruits. L'agriculture est un beau métier et devait être un premier choix. Nous avons inversé la courbe ! C'est très encourageant.

M. Henri Cabanel.  - Certes vous avez stabilisé les chiffres de l'enseignement agricole, mais les services à la personne le disputent à l'agriculture dans les établissements.

Mme Noëlle Rauscent .  - La mise en oeuvre de la loi EGalim est décevante, notamment dans la filière bovine : l'inversion de la construction du prix se heurte au blocage de la distribution et des industriels, qui mettent un veto à la prise en compte des coûts de production, constamment sanctuarisés.

L'État ne s'est pas doté de véritables moyens de pression, faute de contrainte législative... Quels sont donc les leviers d'action du Gouvernement pour lever ces blocages ?

M. Didier Guillaume, ministre.  - Les États généraux de l'alimentation ont marqué un nouveau départ. La loi EGalim fonctionne bien, sauf pour la rémunération des agriculteurs.

L'inversion de la construction du prix est une mesure sans précédent. En agriculture, la coopérative décidait du prix, et non pas le producteur. Les filières ont mis en place, certes tardivement, leurs propres indicateurs, ce qui marque déjà une avancée. Les prix commencent à augmenter.

Dans la filière bovine, la situation est particulière car un opérateur français pèse 75 % des volumes et l'interprofession est complexe. De plus, la viande maturée recule face au steak haché, avec pour conséquence qu'à Paris, 80 % des restaurants ne servent pas de viande française. Tout le monde doit jouer le jeu et j'ai récemment discuté avec des restaurateurs à ce sujet.

Mme Noëlle Rauscent.  - L'élevage est une filière recherchée par les jeunes et reconnue. Il faudra que l'opérateur que vous évoquez ait un interlocuteur qui puisse lui tenir tête.

Mme Colette Mélot .  - Si l'action du Gouvernement en faveur de l'agriculture est essentielle au niveau national, elle est indispensable au niveau européen.

Alors que les négociations sur le prochain cadre financier pluriannuel se poursuivent, l'agriculture est un point central où la France doit jouer son rôle de chef de file. En mars doit être publiée la stratégie « De la ferme à la fourchette » au niveau européen ; les défis, tels ceux de la croissance verte, de la transition agricole, etc., sont nombreux.

Les évolutions agricoles se trouvent à la croisée des chemins des politiques européennes. Il s'agit de notre futur commun, dont il faut soutenir la transition environnementale et énergétique.

Monsieur le ministre, comment le Gouvernement français peut-il articuler la nouvelle PAC et les exigences du pacte vert européen ?

M. Didier Guillaume, ministre.  - Merci pour votre question très précise. La France veut un maintien du budget de la PAC en euros courants.

Le New Green Deal européen n'est pas inclus dans la PAC ; il s'y ajoute.

On pense souvent que le premier pilier est réservé aux plus riches, le deuxième aux aides territoriales. Ce n'est pas cela ! Il y a aussi l'agroécologie dans le premier pilier. Dans le second pilier, il n'y a pas que le verdissement.

L'aide au foncier, à l'assurance, c'est aussi du développement économique. N'opposons pas économie et écologie ; les deux doivent aller de pair.

Mme Colette Mélot.  - La réforme de la PAC doit être articulée avec le pacte vert.

M. Claude Kern .  - Le 13 février, le Président de la République a insisté sur la transition agricole et le renforcement de la qualité de nos modèles agricoles.

La portée de l'article 44 de la loi EGalim est édulcorée par son application telle qu'elle est envisagée. On a cherché, en effet, à satisfaire toutes les parties concernées, en laissant des produits ne respectant pas notre contrat social ni nos normes de production franchir nos frontières.

Comment envisagez-vous de garantir la qualité des produits et notre souveraineté ? Pouvez-vous assurer que les contraintes ne seront pas alourdies par de nouvelles normes franco-françaises ? Quid de l'application concrète de l'article 44 de la loi EGalim ?

M. Didier Guillaume, ministre.  - « N'importons pas une agriculture que nous ne voulons pas », disent certains des syndicalistes. Je fais mienne, au nom du Gouvernement, cette phrase.

95 % de nos importations viennent d'Europe et c'est à ce niveau que nous devons travailler. Il faut aller plus loin dans la convergence normative ! Un poulet produit en Ukraine sera toujours moins cher qu'un poulet de France...

Nous pouvons être fiers des contrôles de la Direction générale de l'alimentation (DGAL) et de la Direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) qui garantissent la qualité de notre alimentation.

Enfin, concernant les mesures franco-françaises, le Président de la République s'est engagé à ce qu'aucune nouvelle norme ne soit imposée.

M. Claude Kern.  - Nous serons vigilants. Je retiens votre formule : « N'importons pas l'agriculture que nous ne voulons pas ».

M. Jean Bizet .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) La filière bovine française est en difficulté structurelle, en raison d'un décalage entre l'offre et la demande, de l'absence de stratégie pérenne à l'export, de l'attentisme de l'interprofession, du statu quo du modèle économique et de l'individualisme de nombreux éleveurs.

Une partie de la solution est clairement européenne, sur le modèle du Capper-Volstead Act de 1922 aux États-Unis. Mais il faut aussi modifier en profondeur le règlement du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles, responsable de deux verrous : la faible capacité d'agir des organisations de producteurs, l'impossibilité pour les autorités françaises d'accroître en solo les incitations financières en leur faveur.

À questions claires, réponses claires, monsieur le ministre...

M. Didier Guillaume, ministre.  - Il y a un mois, lors de la remise des prix du Concours général agricole, le Président de la République a évoqué l'exception agricole et alimentaire française, sur le modèle de l'exception culturelle. On ne peut échanger des produits agricoles contre des fusées ou des voitures ! Les contrats commerciaux doivent en tenir compte. C'est la première fois que ce principe est énoncé ; il sera porté au niveau européen.

Sans les aides PAC, les aides couplées, les ICHN, une partie du bassin allaitant aurait disparu malgré sa qualité. Il y a un décalage, c'est vrai, entre l'offre et la demande. L'offre doit donc s'adapter.

La filière doit s'organiser, créer des organisations de producteurs et des appellations d'origine protégée (AOP). Elle commence à le faire ; je la soutiendrai pour cela.

M. Jean Bizet.  - Dont acte. La commission des affaires européennes déposera une proposition de résolution européenne qui sera soumise à la commission des affaires économiques. (Mme Sophie Primas le confirme.)

Des marchés s'ouvrent, il faut en profiter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Roland Courteau .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Les ventes de vin français sur le marché américain ont baissé en volume et en valeur, victimes d'une taxation à 25 %. Cela représente 250 millions de pertes, et si le marché disparaît, il en coûtera plus d'un milliard d'euros à la filière ! Une négociation pour stopper ces taxes s'impose. En attendant une négociation, il faut des mesures de compensation. Par ailleurs, un accord avec le Royaume Uni est nécessaire dans le cadre du Brexit, car les vins et spiritueux français représentent 1,2 milliard d'euros d'importations outre-Manche.

Il faut aussi ouvrir le marché chinois en protégeant nos indications géographiques.

Une ordonnance prise sur la base de l'article 11 de la loi EGalim banalise le statut des coopératives agricoles.

Qu'en pensez-vous ?

Enfin, un projet, cher à Franck Montaugé, consiste à cultiver des plantes aromatiques et médicinales à l'ombre de panneaux photovoltaïques. Allez-vous le soutenir ?

M. Didier Guillaume, ministre.  - Les taxes américaines ne sont pas acceptables pour la France : les agriculteurs sont les victimes collatérales du conflit entre Boeing et Airbus. Nous demandons leur suppression. Je l'ai dit en tête-à-tête à Sonny Perdue, secrétaire américain à l'agriculture. Nous négocions, avec Jean-Yves Le Drian et Bruno Le Maire, pour faire stopper ces taxes. Dans cette attente, des aides européennes directes de compensation à hauteur de 300 millions d'euros sont demandées. Nous avons obtenu de Phil Hogan une aide à la communication sur les marchés des pays tiers.

Face à la Chine et au Royaume-Uni, la reconnaissance des indications géographiques protégées (IGP) est cruciale. Nous l'avons obtenue, lors du dernier déplacement du chef de l'État en Chine : la contrefaçon, c'est fini ! C'est une avancée majeure !

Quant au statut coopératif, la coopération agricole ayant sollicité le tribunal administratif, attendons de voir ce qui en sortira.

Enfin, nous sommes défavorables aux panneaux photovoltaïques en plein champ. Les panneaux doivent être installés ailleurs, sur le toit des bâtiments notamment.

M. Roland Courteau.  - La viticulture française, ce sont des emplois et un excédent commercial. Soutenons-la !

Mme Denise Saint-Pé .  - Mme Isabelle Hudon, ambassadrice du Canada en France, a été reçue par la commission des affaires économiques du Sénat à propos du CETA, et nous avons échangé sur les inquiétudes pour la filière bovine, en butte à l'hostilité du public, aux normes et aux attentes des consommateurs.

Les difficultés de ce secteur sont emblématiques de la fragilité de notre modèle. Qu'allez-vous faire pour soutenir cette filière ? La loi EGalim va dans le bon sens, mais elle ne suffit pas.

M. Didier Guillaume, ministre.  - Parlons aussi de ce qui va bien, notamment la réorganisation de la filière avec des organisations professionnelles et des AOP. Le président Xi Jinping a mangé de la viande française avec un vin rouge du Sud de la France lors de la visite d'État d'Emmanuel Macron. Nous exportons plus de 1 000 tonnes de viande bovine en Chine, avec un objectif de doubler cette quantité, empêché en février par le coronavirus, mais en importons seulement 50 tonnes du Canada.

Aidons les éleveurs à vivre, exportons davantage le vif, repensons l'organisation du broutard. Le marché, et non le Gouvernement, fixe les prix. Les habitudes de consommation ont évolué, les campagnes de communication en tiennent compte. Mais il reste que nous ne produisons pas assez. En tout cas, la filière bovine se bat, se développe et nous la soutenons : parlons-en en positif !

Mme Denise Saint-Pé.  - Je suis la troisième sénatrice à évoquer la filière bovine. La suppression des zones défavorisées simples a causé du tort.

M. Daniel Laurent .  - (Mme Sophie Primas applaudit.) La mise en oeuvre définitive de l'arrêté relatif aux zones de non-traitement (ZNT) est confuse. Les syndicats demandent un moratoire jusqu'à la prochaine période culturale, dans l'attente d'une clarification. Les viticulteurs demandent un texte qui les sécurise juridiquement. Les jeunes agriculteurs sont de plus en plus sensibilisés aux questions environnementales.

Or la liste du matériel a été publiée avant la sortie des textes d'application. Ne sont visés que les appareils réduisant la dérive de 66 %. Il est nécessaire de la revoir rapidement. La profession agricole demande une compensation économique. Comment imposer à nos agriculteurs des mesures restrictives tout en laissant entrer en France des produits traités par des substances interdites. Les agriculteurs attendent votre réponse, qui doit être claire et précise, car il y a trop d'incertitudes. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Didier Guillaume, ministre.  - Si nous en sommes là, c'est à cause de la décision du Conseil d'État, je le rappelle ! Le Conseil a estimé que les riverains ne sont pas assez protégés. Nous avons mené une enquête publique en attendant les recommandations de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), que nous respecterons.

Instruction a été donnée aux préfets de coordonner les chartes des riverains. Nous incitons au développement de ces chartes. Dans cette attente, les ZNT seront mises en place, mais sans contrôle, car les agriculteurs sont en insécurité juridique.

Nous réfléchissons également à la question de l'indemnisation. Le Gouvernement fait tout pour que les agriculteurs ne soient pas les dindons de la farce.

M. Yannick Botrel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Le 5 février, la commission des finances du Sénat a publié un rapport sur le financement public de l'agriculture biologique. Cette dernière représente une opportunité économique pour les agriculteurs et répond à des attentes sociétales fortes.

Le programme Ambition Bio 2022 fixe un objectif de 15 % de la surface agricole utile en bio en 2022, et de 20 % de bio dans la restauration collective. Cet objectif ne pourra pas être atteint avant 2026 ; en attendant, la France importe 30 % des produits bio qu'elle consomme.

Il est temps de lever les freins, de remettre à plat les aides au bio, trop dispersées, trop lentes à atteindre leur cible. Pour garantir la fiabilité des produits bio importés, il faut renforcer les contrôles de la DGCCRF.

Quels moyens le Gouvernement compte-t-il donner à l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) et à l'Agence Bio ? L'Institut technique de l'agriculture biologique (ITAB) est en crise, or son rôle est stratégique. Quels moyens pour accompagner la recherche, quelles perspectives de développement de l'agriculture biologique ?

M. Didier Guillaume, ministre.  - Je suis avec beaucoup d'attention les travaux du Sénat, mais le rapport de votre commission des finances m'a interloqué. Il est partisan, subjectif et comporte de nombreuses contre-vérités. Je pourrais énumérer les dizaines d'erreurs que j'y ai relevées, et dont j'espère qu'elles sont involontaires...

L'État finance 99 % des aides au bio, contrairement à ce que vous dites. L'aide à la conversion est toujours sur cinq ans, et non trois.

Il y a eu six mille conversions au bio l'an dernier et le mouvement s'accélère : autant au premier trimestre que sur l'an dernier ! Nous en sommes à 7,5 % de la surface agricole utile en bio. Les objectifs fixés pour 2025 peuvent être tenus.

M. Yannick Botrel.  - C'est 2022.

M. Didier Guillaume, ministre.  - Non, 2025 : il nous reste du temps, et la trajectoire est en place.

L'ITAB est en difficulté ? L'État lui consacre un million d'euros et travaille avec les chambres d'agriculture. Je suis au regret de vous dire que vous n'avez pas écrit la vérité dans votre rapport, et je suis prêt à venir m'en expliquer devant votre commission.

M. Michel Raison .  - Les agriculteurs ont toujours su s'adapter aux transitions technologiques ou écologiques, et les pouvoirs publics ont contribué à financer l'innovation.

L'Association nationale pour le développement agricole (ANDA) a longtemps été financée par les céréaliers. Elle l'est désormais par la taxe Casdar (Compte d'affectation spéciale pour le développement agricole et rural), plafonnée par la loi de finances à 136 millions d'euros. L'an dernier, son produit a été de 140 millions d'euros, et Bercy, coutumier des hold-up, compte bien reverser plusieurs millions au budget général de l'État. Où en sont les négociations ? Quel sera l'arbitrage du Premier ministre ? Ces sommes financent des actions dans les instituts techniques et les chambres d'agriculture, elles doivent leur revenir !

M. Didier Guillaume, ministre.  - Le Casdar a été sanctuarisé à 136 millions d'euros. Reste que le modèle a vécu et doit évoluer vers plus de flexibilité. Une réflexion est en cours. Le Casdar joue un rôle essentiel mais il finance des choux et des carottes.

Je vous rappelle par ailleurs que les taxes ne sont pas affectées. Elles vont au budget général de l'État. Nous discutons avec Bercy pour qu'à l'avenir, le produit des cotisations des paysans revienne bien aux agriculteurs. Il est urgent de rénover le Casdar.

Mme Laure Darcos .  - La délégation aux droits des femmes travaille à un rapport sur les retraites des femmes, après un riche rapport en 2017 sur les retraites des agricultrices.

Aujourd'hui, seulement 31 % des agricultrices et agriculteurs totalisent 150 trimestres de cotisation. Avec le système universel à points et l'obligation d'avoir accompli une carrière complète, ne va-t-on pas réduire encore la retraite des agricultrices, qui embrassent souvent la carrière plus tardivement ?

La liquidation unique des retraites des régimes alignés a été une simplification pour les polypensionnés. Qu'adviendra-t-il avec le système universel à points ? Les agricultrices ne vont-elles pas en pâtir ?

M. Didier Guillaume, ministre.  - Le régime universel à points est très favorable aux agriculteurs, malgré la hausse des cotisations. Les syndicats agricoles y sont d'ailleurs favorables, à une exception près.

M. Laurent Duplomb.  - Ce n'est pas la panacée...

M. Didier Guillaume, ministre.  - Certes, ils partent de très bas. Le problème concerne le « stock » des retraités actuels. Avec l'artisanat et le commerce, l'agriculture est le secteur où les retraites sont les plus faibles. Je me suis engagé à trouver une solution pour les conjointes collaboratrices, ces femmes qui ont travaillé toute leur vie à la ferme avec leur mari sans jamais cotiser et, souvent veuves, se retrouvent avec une pension de misère.

Un groupe de travail s'y penche à l'Assemblée nationale et le Premier ministre a demandé un rapport afin de proposer rapidement des mesures. Nous souhaitons vraiment trouver une solution.

Mme Laure Darcos.  - Je vous remercie pour votre réponse qui a l'accent de la sincérité. Les agricultrices souhaitent un vrai statut social. Le Gouvernement nous avait hélas empêchés de voter la proposition de loi communiste revalorisant les pensions à 85 % du Smic, qui aurait été une première étape. Nous sommes à votre disposition pour trouver des solutions dans le cadre de la discussion sur la réforme des retraites.

M. Antoine Lefèvre .  - Nos agriculteurs, qui travaillent 50 à 70 heures par semaine pour nous nourrir, sont victimes de l'agribashing, d'un harcèlement permanent de la part d'extrémistes, de campagnes d'intimidation, d'actions violentes inacceptables.

Ces six derniers mois, il y a eu soixante interventions malveillantes dans des fermes, sans compter les cambriolages. Dans la Marne, un agriculteur, cambriolé plus de quarante fois depuis 2015, a grièvement blessé le cambrioleur. Ce climat anxiogène explique le nombre élevé de suicides chez les agriculteurs - un par jour.

Les cellules Demeter visant à recenser et à lutter contre l'agribashing et les actes de délinquance auront-elles les moyens de mener à bien leur mission ?

Le 7 janvier, une réunion à la Chancellerie a évoqué la création d'une circonstance aggravante en cas d'intrusion eu égard à la violation des normes sanitaires et des règles de biosécurité.

Une proposition de loi sur le délit d'entrave a été votée au Sénat mais reste en attente à l'Assemblée nationale. Quand les choses vont-elles évoluer ?

M. Didier Guillaume, ministre.  - Ce dénigrement permanent, ces intrusions régulières sont inacceptables. Le Gouvernement défend le monde agricole. J'ai créé il y a un an des cellules départementales dédiées qui réunissent tous les acteurs, le ministre de l'Intérieur a mis en place les cellules Demeter. Ce n'est pas un problème de moyens. Il faut que le dépôt de plainte soit systématique.

M. Jean Bizet.  - Et la sanction !

M. Didier Guillaume, ministre.  - Bien sûr ! Souvent, le délit d'intrusion n'est pas caractérisé, car il n'y a pas de portail... Il faut faire bouger cela pour que toute intrusion dans un élevage soit sanctionnée. (M. Laurent Duplomb approuve.) Nous ne pouvons pas tolérer ces actions. Le bien-être animal est important ; celui de l'éleveur est essentiel. (Mme Sophie Primas renchérit.)

M. Louis-Jean de Nicolaÿ .  - La transition agroécologique, utile, ne doit pas peser économiquement sur les agriculteurs. Quid de l'impact économique des zones de non traitement ? Aucune évaluation n'a été fournie. Quelles compensations financières des éventuels surcoûts ? Les investissements en matériel seront-ils aidés ?

La mise en oeuvre de la réglementation au 1er janvier 2020 a envoyé un mauvais signal aux agriculteurs auxquels on demande sans cesse de s'adapter, malgré l'amélioration continue de leurs pratiques.

Il faut garantir, par ailleurs, la stabilité des espaces agricoles. Bientôt il faudra prendre en compte non seulement les zones de riverains mais aussi les routes ! Pouvez-vous garantir que l'implantation de zones de non traitement se fera sans consommation supplémentaire de foncier agricole ?

M. Didier Guillaume, ministre.  - La transition agroécologique ne doit pas se faire contre le modèle économique des exploitations, dont la viabilité est prioritaire.

Nous travaillons à un plan d'investissement pour les agroéquipements, puisque le Conseil d'État nous impose de faire autrement. Avec les nouveaux pulvérisateurs, on diminue de 70 % à 80 % la consommation de produits phytosanitaires : c'est tout l'intérêt des agroéquipements.

M. Laurent Duplomb.  - Très bien !

M. Didier Guillaume, ministre.  - Hélas, les matériels sont coûteux. Nous travaillons aussi à l'indemnisation, certes partielle, des zones de non traitement.

Mme Cécile Cukierman .  - Vous dites vouloir améliorer le quotidien des agriculteurs, mais les prix à la production sont encore en baisse en décembre, de 0,4 %, alors que les prix à la consommation augmentent de 2,1 % !

La commission des comptes de l'agriculture de la Nation a indiqué une baisse de 11 % du résultat net des exploitations.

La loi EGalim n'a pas rééquilibré les relations commerciales et laisse un goût amer aux paysans. Les propositions de loi se suivent pour tenter de la corriger. Quand le Gouvernement va-t-il enfin agir pour redonner de la dignité à une profession précaire, à l'heure où le Salon de l'agriculture met à l'honneur ces métiers qui remplissent une mission d'intérêt public ?

M. Didier Guillaume, ministre.  - Soyons fiers de notre agriculture et de nos agriculteurs ! Arrêtons de toujours critiquer. Le Salon de l'agriculture sera une formidable vitrine pour présenter leurs productions, montrer ce qu'est une vraie alimentation, un vrai élevage.

La loi EGalim n'est pas la réponse mais l'une des réponses. L'inversion de la construction du prix fait bouger les choses. Cela a été le cas dans la filière lait notamment, mais aussi dans la viande. Les choses avancent, même si, je l'ai dit, elles n'avancent pas assez vite. Le Salon de l'agriculture est toujours un accélérateur de négociation.

Faut-il améliorer EGalim ? C'est possible. La prolongation de l'expérimentation sur les seuils de revente à perte a été inscrite dans le projet de loi ASAP pour éviter un arrêt brutal. C'est un filet de sécurité.

M. Laurent Duplomb.  - Avec un bilan d'étape ?

M. Didier Guillaume, ministre.  - Vous connaissez ma position, je n'y reviens pas.

Mme Cécile Cukierman.  - On peut être fier de notre agriculture et souhaiter que les agriculteurs vivent dignement de leur métier. Il faut agir car il est de plus en plus difficile pour ces familles de vivre correctement.

M. Alain Houpert, pour le groupe Les Républicains .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Dans deux jours, le Salon international de l'Agriculture ouvrira ses portes et les Français seront au rendez-vous. Mais cet engouement ne doit pas masquer une réalité sur laquelle le groupe Les Républicains a souhaité tirer la sonnette d'alarme.

Notre agriculture est exportatrice. Elle représente 17 % de la production européenne. Nous avons une tradition d'excellence, notre savoir-faire est reconnu dans le monde entier. Un quart de nos exploitations ont un label de qualité et d'origine.

Notre agriculture est un acteur de la transition énergétique ; elle répond aux enjeux d'une économie toujours plus circulaire et durable. The Economist la classe comme le modèle agricole et alimentaire le plus durable du monde.

Pourtant, les agriculteurs souffrent. Leur revenu baisse, on leur demande toujours plus alors qu'ils subissent la concurrence déloyale des produits importés. Enfin, la renationalisation de la PAC inquiète.

Or malgré les sacrifices consentis par la profession, la méfiance de la population est de plus en plus visible. Les données scientifiques reculent devant l'hystérie collective.

Le Gouvernement doit se montrer plus réactif face à l'agribashing. La décision récente sur les zones de non traitement ne va pas dans ce sens...

Le Sénat a toujours défendu l'agriculture dans ses travaux et formulé des propositions concrètes pour redresser la barre. Malheureusement, le Gouvernement n'y est guère réceptif. (M. Jean Bizet le confirme.)

Une proposition de loi a été adoptée à l'unanimité le 15 janvier dernier pour contrer les effets pervers d'EGalim. Pourtant, à l'article 44 du projet de loi ASAP, l'expérimentation de l'encadrement des promotions est prolongée, sans aucune évaluation. Ce mépris des travaux du Parlement est décidément la marque de fabrique de ce Gouvernement. (M. Laurent Duplomb applaudit.)

Avec Yannick Botrel, nous avons publié un rapport sur le bio dénonçant la diminution des aides au bio, alors que la demande augmente et qu'il nous faut importer 30 % des produits consommés.

Le rapport de Laurent Duplomb préconise de conserver la diversité de notre agriculture capable de conquérir des marchés en Afrique et en Asie, et de lutter contre la concurrence déloyale.

Monsieur le ministre, joignez les actes à la parole et saisissez-vous des propositions concrètes du Sénat. Soyez aux côtés des agriculteurs, et pas seulement devant les caméras au Salon de l'agriculture. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe UC.)

La séance est suspendue quelques instants.