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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Adapter la France aux dérèglements climatiques

M. Jean-Yves Roux, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective

M. Ronan Dantec, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire

M. Guillaume Gontard

M. Jérôme Bignon

Mme Sylvie Vermeillet

M. Roger Karoutchi

Mme Nicole Bonnefoy

M. Éric Gold

M. Antoine Karam

M. Jean-Pierre Moga

Mme Céline Boulay-Espéronnier

M. Rachid Temal

M. Jean-François Husson

M. Xavier Iacovelli

Mme Sylviane Noël

M. Stéphane Piednoir

M. Guillaume Chevrollier

M. Jean-Yves Roux, rapporteur

M. Ronan Dantec, rapporteur

Violences sexuelles sur mineurs en institutions

Mme Catherine Deroche, présidente de la mission commune d'information

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé

M. Jean-Louis Lagourgue

Mme Dominique Vérien

Mme Marie Mercier

Mme Michelle Meunier

Mme Françoise Laborde

M. Thani Mohamed Soilihi

Mme Esther Benbassa

Mme Annick Billon

M. Bernard Bonne

Mme Marie-Pierre de la Gontrie

Mme Chantal Deseyne

M. Xavier Iacovelli

M. Michel Savin

Mme Nicole Duranton

M. Stéphane Piednoir

Mme Catherine Deroche, présidente de la mission

Santé en Guyane

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé

Mme Nassimah Dindar

M. Bernard Jomier

M. Guillaume Arnell

M. Antoine Karam

Mme Laurence Cohen

M. Jean-Louis Lagourgue

M. René-Paul Savary

M. Gérard Poadja

M. Michel Magras

Mme Victoire Jasmin

M. Alain Milon

M. Maurice Antiste

Mme Chantal Deseyne

M. Alain Milon, président de la commission

Annexes

Ordre du jour du mardi 8 octobre 2019




SÉANCE

du jeudi 3 octobre 2019

3e séance de la session ordinaire 2019-2020

présidence de M. Jean-Marc Gabouty, vice-président

Secrétaires : Mme Françoise Gatel, M. Guy-Dominique Kennel.

La séance est ouverte à 10 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Adapter la France aux dérèglements climatiques

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur les conclusions du rapport d'information : « Adapter la France aux dérèglements climatiques à l'horizon 2050 : urgence déclarée », à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective.

M. Jean-Yves Roux, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective .  - L'inertie du système climatique fait que l'histoire du climat des trente prochaines années est déjà largement écrite. Les indispensables mesures d'atténuation n'auront pas d'effet immédiat et n'éviteront pas un réchauffement global de deux degrés en 2050 par rapport à l'ère préindustrielle. La France doit donc se préparer à un choc climatique.

Le rapport que j'ai rédigé avec Ronan Dantec explique ce que signifie le réchauffement climatique pour notre pays, en dressant la carte de France des dérèglements climatiques à venir et de leurs impacts : risques naturels accrus, canicule, sécheresse des sols, tension hydrique.

Il dessine les défis économiques, sanitaires et sociaux à venir, et fait dix-huit propositions pour un nouvel élan à donner à la politique d'adaptation climatique au niveau des territoires.

Pour lancer notre débat, j'évoquerai trois enjeux.

D'abord celui de l'adaptation du bâti et de l'urbanisme. Dans les outre-mer, le sujet central est l'évolution des normes de construction et des mécanismes d'assurance pour tenir compte d'un risque cyclonique qui va s'intensifier. Le défi est le même dans les zones soumises au risque d'inondation ou de submersion. Les deux canicules historiques de cet été ont montré que le problème le plus aigu était celui de l'adaptation du bâti au réchauffement, particulièrement prégnant dans les villes. Ce sujet est encore bien trop absent des réflexions ; nous proposons d'inscrire la question du confort thermique d'été au centre de la norme RT 2020.

Un deuxième enjeu concerne les politiques de l'eau, qui doivent donner la priorité à une utilisation plus économe de la ressource, ainsi qu'aux solutions fondées sur la nature, telles que la désartificialisation des sols, la restauration des haies ou la préservation des zones humides. Nous n'y parviendrons pas sans faire évoluer les mécanismes de tarification de l'eau. C'est un chantier nécessaire mais sensible. Cela ne se fera pas non plus sans préserver les moyens des agences de l'eau - et j'attire l'attention du Gouvernement sur les dangers de mesures budgétaires de court terme. Il faudra mobiliser tous les acteurs pour faire émerger des projets de territoire. Des exercices de prospective comme Garonne 2050 peuvent aider à enclencher ces dynamiques locales.

Enfin, il faut oser poser la question du stockage. Pourrons-nous faire face partout aux besoins uniquement par des mesures d'économie de la ressource et des mesures fondées sur la nature? Je n'en suis pas sûr. II ne faut donc pas exclure a priori les solutions de stockage, mais plutôt soumettre chaque projet à une condition : faire la preuve qu'il est nécessaire et que sa réalisation ne se fait pas au détriment de solutions d'adaptation alternatives.

M. Jean-François Husson.  - Très bien !

M. Jean-Yves Roux, rapporteur.  - Troisième enjeu, l'adaptation de l'agriculture, qui sera le secteur le plus perturbé par le changement climatique. Pour autant, nous ne devons pas adopter une position défensive et pessimiste : l'agriculture constitue un atout dans la transition climatique. Elle n'est pas le problème, mais une partie de la solution si elle engage les transformations nécessaires.

L'agriculture française est vulnérable, confrontée à une concurrence internationale féroce de pays qui ne respectent pas toujours des normes aussi exigeantes qu'elle. Il nous faut soutenir les agriculteurs par un plan national d'adaptation. Nous proposons de mieux rémunérer les services agroenvironnementaux rendus par l'agriculture et d'accélérer la mutation vers l'agroécologie, en mobilisant des fonds sur le pilier 2 de la PAC.

Il faut intégrer l'enjeu de l'irrigation de manière responsable en développant le stockage de surface là où il est nécessaire mais en le conditionnant à des pratiques agricoles plus économes de l'eau et plus respectueuses de la biodiversité.

Enfin, il faut faire évoluer les mécanismes de couverture assurantielle pour en faire un outil incitatif, qui encourage les exploitants agricoles à réaliser les efforts d'adaptation nécessaires. (Applaudissements sur toutes les travées)

M. Ronan Dantec, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective .  - Notre rapport présente sans faux-semblants l'ampleur des défis. Ni catastrophiste, ni fataliste, il n'en est pas moins sévère sur les retards pris dans la mobilisation des acteurs publics et des filières économiques, au-delà de nos grandes structures scientifiques qui, elles, sont engagées dans la réflexion et produisent des préconisations précises.

Les défis ne sont pas insurmontables et nos dix-huit propositions aideront à y faire face, j'évoquerai les leviers d'action transversaux.

Le deuxième plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc-2) le montre, chaque territoire doit se saisir de ces enjeux : c'est à l'échelle des territoires que se situe la réponse pertinente, l'adaptation ne peut pas être uniforme ; mais elle a besoin d'accompagnement, et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), comme l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (Onerc) y jouent un rôle important.

Il faut aussi conforter la fonction d'orientation stratégique des régions par la généralisation de prospectives régionales sur le modèle aquitain AcclimaTerra, qui portent un diagnostic précis des évolutions prévisibles. Nous avons besoin de projets démonstrateurs régionaux et de contractualisation d'objectifs d'adaptation dans les financements régionaux.

Deuxième levier transversal de mobilisation, le soutien financier à la recherche et la simplification de l'accès aux données - car les crédits ne sont pas au rendez-vous. Nous avons besoin de mesurer tous les impacts du changement climatique et les données doivent être accessibles à tous, gratuitement et facilement. Les connaissances et l'expertise scientifiques sont indispensables pour nourrir notre action. Nous devons donc accentuer le soutien financier qui leur est consacré, et accorder un accès gratuit, et surtout facile, aux données nécessaires à l'élaboration des politiques d'adaptation, notamment aux scénarios climatiques territorialisés de Météo-France.

Le Pnacc-2 doit associer l'ensemble des services et opérateurs compétents de l'État, être un véritable guichet unique d'un service public de l'adaptation, c'est une priorité.

Troisième levier de transformation, nous devons mobiliser le secteur assurantiel, lui faire prendre en compte le risque climatique, pour la construction aussi bien que l'agriculture - ou bien les assurances resteront un facteur d'immobilisme. Le droit des assurances étant en grande partie régulé à l'échelon européen, il faut que le Gouvernement porte ce dossier au niveau communautaire.

Nous proposons également qu'un projet de loi-cadre sur l'adaptation de la France au changement climatique soit présenté au Parlement : ce serait la meilleure façon de placer ce thème au coeur du débat public et d'offrir une vision transversale de ces enjeux. Cela renforcerait également le rôle du Parlement. (Applaudissements des travées du groupe SOCR jusqu'à celles du groupe Les Républicains)

Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire .  - Je veux d'abord saluer la qualité de ce rapport, dont les constats sévères mais justes sont cohérents avec les travaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Nous devons poursuivre avec acharnement la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, pour atteindre la neutralité carbone en milieu de siècle. Pour autant, l'impact des émissions passées est inévitable et le réchauffement climatique, inéluctable.

La France est un des pays les plus avancés en matière d'adaptation aux changements climatiques, avec une stratégie nationale définie dès 2006, puis un plan d'action en 2011.

Le Gouvernement a présenté le Pnacc-2 en 2018, axe 19 du plan Climat, dont l'objectif est d'adapter la France dès 2050 à une hausse des températures de deux degrés par rapport à l'ère préindustrielle, en cohérence avec l'accord de Paris. Il comporte quatre priorités : territorialisation de la politique d'adaptation, implication des filières économiques, recours aux solutions fondées sur la nature, et place donnée aux outre-mer.

Nous travaillons sur plusieurs axes dont la gouvernance, la prévention, la nature et le milieu, la communication et l'information, et l'action à l'international.

Les douze ministères concernés prévoient de consacrer 1,5 milliard d'euros par an pendant cinq ans contre 171 millions d'euros pour le précédent plan. S'y ajoutent les 500 millions d'euros investis chaque année par les agences de l'eau et de bassin. Les leçons du premier plan ont montré qu'un suivi régulier était nécessaire. Un bilan annuel sera présenté à la commission spécialisée présidée par Ronan Dantec.

Depuis décembre, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), l'Ademe et Météo-France ont développé un centre de ressources sur l'adaptation aux changements climatiques. Ces changements ont été intégrés dans la trajectoire bas carbone. Les normes ISO ont été revues. Les actions de prévention aux risques naturels ont été renforcées en métropole et dans les outre-mer.

Le Pnacc-2, concerté avec 300 experts de la société civile et représentants des collectivités territoriales, est cohérent avec les orientations du rapport de votre délégation.

Nous devons cependant accélérer nos efforts ; les deux canicules de cet été ont montré que la France était déjà exposée aux conséquences du changement climatique, en particulier les outre-mer, où la submersion marine est aggravée par les cyclones.

Un retour d'expérience sur les deux canicules de 2019 permettra de voir si le contexte législatif est suffisant pour anticiper ce genre de situation. Le plan national canicule pourrait être étendu aux impacts autres que sanitaires. La rénovation des bâtiments publics est un autre domaine d'action à envisager. Les élus bénéficieront d'un kit d'information.

La prévention des risques naturels est un enjeu crucial, dix ans après la tempête Xynthia, et à l'heure où le niveau des mers ne cesse d'augmenter, comme le montre le dernier rapport du GIEC. Nous devons nous doter d'outils, comme le fonds de prévention des risques naturels majeurs ou bien le plan de prévention des risques glaciaires et périglaciaires, dans les territoires de montagne. En outre-mer, il faut améliorer la résilience, et renforcer le système des transports. Des actions sont ainsi conduites sur les réseaux électriques.

L'adaptation au changement climatique, sujet transversal s'il en est, nécessitera une mobilisation de tous les acteurs, et en particulier des collectivités territoriales. Il pourra être utile de faire un point régulier avec les élus locaux sous la forme d'un séminaire annuel. Vous le voyez, le Gouvernement est pleinement mobilisé. (Applaudissements sur le banc de la commission et sur les travées des groupes RDSE, Les Indépendants et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

M. Guillaume Gontard .  - L'adaptation aux dérèglements climatiques est une nécessité.

Ce week-end, j'étais invité à une pendaison de crémaillère dans un bâtiment intéressant : plusieurs logis assurant une économie du foncier, écologiques, en matériaux biosourcés trouvés sur place, avec des blocs de chanvre et une toiture végétalisée dotée de panneaux solaires et d'outils de récupération d'eau. Ces logements sont faciles à chauffer ; leur bilan CO2 est extrêmement faible et le confort thermique est permanent dans ces maisons qui respirent. Et s'il fallait les démolir, les matériaux retourneraient au sol. Ce n'est pas du champ à l'assiette mais du champ au logis.

Ces habitations n'ont rien d'exceptionnel, elles sont de bon sens, mais pourtant, elles restent marginales. Il faut lever les obstacles, accompagner la gestion durable de la filière bois et adapter la formation des artisans plutôt que de céder à la standardisation des géants du BTP. L'adaptation ne pourra se faire qu'à l'échelon local mais avec les moyens financiers nécessaires, par une mobilisation politique nationale.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Je partage tout à fait l'intérêt de développer les matériaux biosourcés. La France est le premier pays cultivateur de chanvre, pour 50 % des surfaces en Europe et 1 200 agriculteurs. Il s'agit d'une agronomie saine et efficace, qui ne nécessite pas de phytosanitaires et qui peut être mobilisée pour l'alimentation, le béton, l'isolation. La France gagnerait à devenir leader dans ce domaine.

L'État investit 200 000 euros dans le programme Qualité d'action pour la construction et la transition énergétique. Stocker du carbone est un autre levier à privilégier. D'où la stratégie nationale dont la France s'est dotée pour adapter les forêts au changement climatique et assurer la qualité et la régularité de l'approvisionnement en bois de l'industrie. La nouvelle réglementation des bâtiments devrait favoriser l'utilisation du carbone biogénique.

M. Guillaume Gontard.  - Je salue moi aussi la qualité du rapport de notre délégation. Oui la France avance, mais dans la filière du bâtiment, elle est à la traîne. Nous importons du bois alors que nous avons des forêts...

M. Jérôme Bignon .  - Merci à Ronan Dantec et Jean-Yves Roux pour la qualité de leur travail. Leurs propositions sont très utiles.

Les nouvelles simulations du GIEC parlent d'une augmentation de sept degrés en 2100, (M. Bruno Sido en doute.) et, malgré les sceptiques, c'est un risque. Si nous ne faisons rien, la Terre deviendra invivable.

Hier matin, j'étais sur Glorieuses, avant-hier sur Juan de Nova et le jour d'avant sur Europa, dans les îles Éparses. J'y ai vu des militaires et des scientifiques qui sont à la fois des passionnés de la souveraineté mais aussi des sentinelles du changement climatique. La France a une responsabilité toute particulière : madame la ministre, quelle politique pour l'adaptation outre-mer ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Le dernier rapport du GIEC sur les océans et la cryosphère montre que l'adaptation est urgente. Ce rapport est effrayant puisqu'il démontre que même si on n'émettait désormais plus un gramme de CO2, des conséquences inéluctables surviendront dans les siècles à venir. L'action d'adaptation doit être menée avec beaucoup de détermination et les outre-mer sont particulièrement concernés. En Polynésie, des atolls disparaîtront. Les outre-mer doivent être à l'avant-garde des solutions fondées sur la nature telles que les mangroves et les récifs de coraux.

Mme Sylvie Vermeillet .  - Ronan Dantec et Jean-Yves Roux nous ont brillamment exposé le 16 mai dernier ce à quoi on peut s'attendre dans les années à venir. Ne faut-il pas créer une compétence Réchauffement climatique pour l'État, les régions, les EPCI et les communes ? On pourrait permettre aux communes de prévoir des ouvrages drainant l'eau. Il serait judicieux de compter sur le bon sens local pour lutter contre les fléaux déjà installés.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Les sujets d'adaptation et d'atténuation touchent toutes les compétences et tous les secteurs à tous les niveaux - État, régions, intercommunalités.

La loi NOTRe a confié les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) aux collectivités territoriales, qui incluent l'adaptation au changement climatique. Les intercommunalités de plus de 20 000 habitants doivent préparer des plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET).

Depuis 2016, les projets ayant un impact sur l'environnement doivent être évalués au regard de leur vulnérabilité au changement climatique. Vous le voyez donc, les outils existent, il faut s'en servir.

Mme Sylvie Vermeillet.  - Comme pour l'accessibilité des locaux aux personnes handicapées, il faut prendre en compte le changement climatique dans tous les marchés publics.

Nous devons agir conjointement et immédiatement.

M. Roger Karoutchi .  - Que cela nous plaise ou non, il faut faire la révolution, d'abord dans nos grandes villes. Pendant des décennies, on nous a dit de construire dense et en hauteur pour ne pas prendre d'espace. En conséquence, aujourd'hui le réchauffement climatique est un drame dans les villes et on nous dit qu'elles doivent respirer grâce à des poumons verts et à la présence de l'eau. C'est une inversion des demandes par rapport à ce qu'elles étaient il y a trente ans.

Très peu de textes réglementaires et législatifs sont clairs sur l'équilibre à trouver. Le Gouvernement envisage-t-il une modification des textes sur le logement et l'urbanisme, pour prendre en compte l'adaptation au changement climatique ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Ce sujet est vaste : vaut-il mieux poursuivre une politique de ville dense ou accélérer l'étalement urbain, ce qui n'est favorable ni au climat ni à la biodiversité ?

Il faut lutter contre l'artificialisation des sols, avec les collectivités territoriales. L'étalement urbain génère des émissions de CO2 et peut être très coûteux pour nos concitoyens.

Il faut mieux intégrer la renaturation des villes ainsi que la circulation de l'air. Cela nécessite des dispositifs techniques s'appuyant sur le végétal, l'animal, l'eau et les sols.

Nous devons oeuvrer pour une plus grande biodiversité en France.

M. Roger Karoutchi.  - Prenons les mesures adéquates. Dans les Hauts-de-Seine, nombre de communes veulent végétaliser mais ne se sentent accompagnées ni au niveau réglementaire ni au niveau financier. Impulsons une vraie dynamique.

Mme Nicole Bonnefoy .  - Le rapport du GIEC du 26 septembre est alarmant. La France figure parmi les zones les plus menacées par la submersion. La densité de population est, dans le monde, 2,4 fois plus élevée sur le littoral qu'ailleurs et, en 2040, 40 % de la population mondiale vivra sur les bords de mer.

Les catastrophes naturelles, loin d'être exceptionnelles, devraient devenir de plus en plus fréquentes.

Les Français sont de plus en plus confrontés aux aléas climatiques. Il est donc crucial de réorienter les politiques en tenant compte des dérèglements. Au-delà des outils actuels, par exemple le fonds Barnier, à quand des actions ambitieuses ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - C'est tout l'objet du plan d'adaptation au changement climatique.

Il faut mener parallèlement des politiques d'atténuation - cela est décliné dans les lois Énergie, Climat, Hydrocarbures, Mobilités et EGalim - et les mesures d'adaptation - ce que nous faisons avec le plan national d'adaptation. Sur la question spécifique des inondations, le site Vigicrues permet une vigilance pour toutes les crues.

Avec le fonds Barnier, nous disposons d'un outil important pour prendre en compte l'accroissement des risques naturels.

Mme Nicole Bonnefoy.  - Nous aurons l'occasion de voir si ce fonds Barnier n'est plus ponctionné en loi de finances.

M. Éric Gold .  - Le rapport de notre délégation apporte un éclairage intéressant sur cette question majeure.

Les vagues de chaleur seront de plus en plus longues et sévères. Nous en avons vécu deux cet été qui ont accru la sécheresse. Les agriculteurs ont été particulièrement touchés. De deux mois actuellement, on passerait à quatre mois de sécheresse des sols, de juin à octobre.

Le 21 août, le ministre de l'Agriculture a accepté l'usage des jachères pour nourrir les bêtes, les réserves de fourrage étant dangereusement faibles.

L'une des solutions est la mise en place de retenues collinaires, dont une soixantaine devrait être mise en place en 2022. Est-ce la solution ? Pensez-vous que dans certaines régions la solution passe par une évolution globale pratique agricole ?

M. Bruno Sido.  - Les deux !

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - L'agriculture est particulièrement exposée. Il faut réduire sa vulnérabilité au manque d'eau. Les Assises de l'eau y ont travaillé. Le Gouvernement veillera à ce que l'instruction de mai 2019 soit suivie pour des économies d'eau et plus de recherche dans l'agriculture : sobriété, optimisation de l'usage de l'eau, stockage, transfert d'eau et agroécologie. Les retenues collinaires sont une solution parmi d'autres. Souvent elles ont moins d'impact que les barrages mais avant le stockage il faut examiner les solutions de sobriété.

M. Éric Gold.  - Hier, j'étais au salon de l'élevage à Clermont-Ferrand avec le ministre de l'Agriculture. Je veux insister sur la détresse des agriculteurs qui ont besoin d'orientations très claires.

M. Bruno Sido.  - Très bien !

M. Antoine Karam .  - Il y a quelques semaines les images de l'Amazonie en feu ont ému le monde entier. Notre maison brûle et cette fois nous la regardons en direct. L'émotion passée, chacun s'interroge des conséquences de cet incendie sur le climat : dégagement de CO2, destruction de puits de carbone et de biodiversité, assèchement, perturbation du cycle du climat.

Une déforestation de 20 % à 25 % de l'Amazonie - contre 19 % aujourd'hui - modifierait irrémédiablement son climat.

Comment la France peut-elle déployer en Guyane des politiques d'adaptation pour préserver l'Amazonie ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Les images d'incendie en Amazonie ont ému toute la communauté internationale. Cela a été un thème important du G7 à Biarritz et le 23 septembre aux Nations unies. Nous sommes alertés une fois de plus sur le changement climatique et la biodiversité.

Nous devons lutter contre la déforestation - la France est l'un des premiers pays à s'être mobilisé contre la déforestation importée. Il faut agir dès maintenant. Le récent service de valorisation économique de la biodiversité agit en ce sens.

M. Jean-Pierre Moga .  - Ma question porte sur la raréfaction de la ressource en eau, qui frappe particulièrement les nappes phréatiques dans deux régions : le sud-ouest dont mon département, le Lot-et-Garonne, et le bassin de la Loire.

D'après l'étude « Garonne 2050 », de l'agence de bassin, le bassin de Garonne connaît un déficit annuel de 200 millions de m3.

Agriculture, tourisme, milieux aquatiques seront affectés.

Pour améliorer le rapport entre besoins et ressources, plusieurs mesures sont possibles dont une meilleure affectation de l'eau et le stockage.

Madame la ministre, face aux postures anti-irrigation et anti-stockage, comment conserver une agriculture qui nous nourrisse et préserver un étiage suffisant ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Le Gouvernement n'est pas dans une posture anti-irrigation ni anti-stockage. Nous prévoyons des projets des territoires avec une approche globale - alimentation en eau potable, maintien de la biodiversité, lutte contre les incendies, activité agricole dans de bonnes conditions.

La réflexion passe nécessairement par l'examen des pistes pour une plus grande sobriété. Cela peut se faire grâce à de nouveaux matériels agricoles ou des variétés de plantes plus adaptées aux terroirs. Nous devons aussi prendre en compte la sécurité juridique des projets. J'ai bien conscience que certains sont contestés.

M. François Bonhomme.  - On attend toujours Sivens.

Mme Céline Boulay-Espéronnier .  - La Ville de Paris est particulièrement impactée par le dérèglement climatique. Du fait de la densité du tissu urbain, elle génère un microclimat d'îlot de chaleur. Les canicules, appelées à devenir de plus en plus fréquentes, en seront d'autant plus insupportables.

D'après une enquête de Se Loger, les logements parisiens sont mal isolés et énergivores : la consommation moyenne est de 242 kW/h par mètre carré, soit une qualité énergétique de niveau E. La majorité des Parisiens peinent à maintenir une température décente chez eux, et je parle en connaissance de cause. Seuls les travaux de rénovation énergétique garantissent le confort, été comme hiver. Je m'étonne donc de la décision du Gouvernement de transformer le CITE en prime dépendant des revenus des ménages, excluant les deux derniers déciles - souvent propriétaires, donc plus enclins à réaliser des travaux que des locataires. L'absence d'aide à la rénovation globale, la plus efficace, va à contre-sens de votre objectif.

Comment le Gouvernement entend-il inciter les Français à adapter leur logement au changement climatique ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - À 10 000 euros le mètre carré, les propriétaires parisiens peuvent payer !

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - La rénovation thermique des bâtiments est au coeur de notre politique d'atténuation et d'adaptation, comme la lutte contre les îlots de chaleur dans les grandes métropoles. Je vous assure de notre détermination à avancer. Certains outils ont été prévus dans la loi Énergie-Climat, notamment la sortie des passoires thermiques à l'horizon 2028.

Aujourd'hui, c'est un parcours du combattant pour obtenir de l'aide. En tant que préfète de région, j'ai vu des dossiers qui devaient cumuler les aides de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), le C2E, le préfinancement du CITE, les aides des collectivités. Ce n'est pas très fluide ! (M. Stéphane Piednoir renchérit.)

Nous allons simplifier cela. (M. Jean-François Husson s'exclame.) Avec la transformation du crédit d'impôt en prime, les propriétaires n'auront plus à faire l'avance. Ce sont 200 millions d'euros de C2E qui seront mis à disposition des plateformes de rénovation, au plus près des territoires.

M. Jean-François Husson.  - Trop facile !

M. Rachid Temal .  - Bravo aux auteurs de ce rapport. Les premières victimes de la fracture énergétique sont les plus précaires, et le dérèglement climatique accentue les inégalités. Questions sociales ou environnementales, les deux sont liées.

Le candidat Macron avait promis de faire disparaître les passoires thermiques en 2025. La loi Énergie-Climat repousse l'objectif à 2028 - mais les instruments sont flous, et les financements sont insuffisants. Vous dites rendre le dispositif plus lisible, mais avec 14 milliards d'euros sur cinq ans, on est bien loin des 7 milliards par an qu'il faudrait ! Au-delà des mots, quelles mesures concrètes proposez-vous pour en finir avec les passoires thermiques ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Je vous rassure, monsieur le sénateur, il y aura un débat sur la loi de finances.

La rénovation thermique des logements est un élément clé de notre politique d'adaptation pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre et améliorer le confort de nos concitoyens, été comme hiver. C'est le sens de la réglementation environnementale à laquelle nous travaillons.

Le Parlement a adopté des dispositions visant à sortir des passoires thermiques à horizon 2028, avec un dispositif progressif qui ne mette pas en difficulté des millions de ménages. Ceux-ci doivent être accompagnés par des outils simples, justes et efficaces. C'est le sens des dispositions portées dans le projet de loi de finances.

M. Rachid Temal.  - Le projet de loi de finances a été publié, il est normal de l'évoquer. Madame la ministre, vous avez de l'ambition, mais vous n'y mettez pas les moyens.

M. Jean-François Husson .  - Le rapport d'information met en lumière la baisse du débit annuel moyen des cours d'eau. Cet été, les débits ont baissé de 30 % à 100 % et de nombreuses sources se sont taries - du jamais vu !

Quelles mesures le Gouvernement prendra-t-il pour développer les projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) et atteindre l'objectif quantitatif fixé lors des Assises de l'eau ? Quels moyens administratifs et budgétaires pour faire face aux recours contre les PTGE ? Entendez la supplique des territoires ! La période est trop grave, en ces temps d'agribashing, pour céder aux expressions les plus violentes. Il faut remettre de la raison dans le débat.

Il faut une vision panoramique, grand-angle, des enjeux climatiques. Quels financements prévoyez-vous pour les agences de l'eau, dont l'État a trop longtemps fait les poches ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Oui, il faut remettre de la raison dans le débat et se fonder sur des faits scientifiques - sur l'eau comme sur l'incendie qui a frappé récemment une grande métropole. Cet été, la France a connu un épisode de sècheresse sans précédent : 88 départements ont été soumis à une mesure de limitation ou de suspension ; 42 ont pris un arrêté de crise.

L'adaptation au changement climatique exige de repenser les composantes de la prévention des sécheresses : désartificialisation des sols pour augmenter la capacité d'infiltration et limiter le ruissellement, préservation des milieux humides, restauration des capacités de ralentissement de l'écoulement par les cours d'eau en période de stress hydrique.

C'est le sens de l'instruction du 7 mai 2019 prise avec le ministre de l'Agriculture qui invite à réaliser des PTGE promouvant des pratiques sobres, des actions de restauration et l'innovation technique et prévoit des réserves de substitution. Les agences de l'eau apporteront 5,1 milliards d'euros sur la période 2019-2024.

M. Jean-François Husson.  - Le Gouvernement devra faire évoluer sa posture et trouver des moyens financiers structurels, solides, pérennes, pour les territoires.

Vous avez fait allusion à l'incendie à Rouen. Je ne mets en cause personne, mais quand on attend cinq jours, il y a des doutes. Vous verrez, les analyses de l'air justifieront les inquiétudes...

M. Xavier Iacovelli .  - À mon tour de féliciter les auteurs du rapport.

Le changement climatique impacte la santé, et la pollution de l'air est tout particulièrement nocive pour les enfants.

Statuant sur une demande de réparation des parents de Timon, 9 ans, souffrant de problèmes respiratoires chroniques, le tribunal administratif a qualifié l'État de « fautif ». L'Unicef estime que trois enfants sur quatre respirent un air pollué en France. La pollution augmente la mortalité infantile et réduit la fonction pulmonaire. Les enfants sont exposés à la pollution à l'intérieur même des écoles de la République, souvent proches des axes routiers.

Pourtant des solutions existent, comme la généralisation des zones à faibles émissions et la diminution du trafic routier à proximité des écoles.

Comment le Gouvernement compte-t-il protéger la santé des plus vulnérables ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Vous auriez pu évoquer la pollution à l'ozone liée à l'ensoleillement, dont nous avons souffert pendant les épisodes de canicule.

La qualité de l'air nous tient à coeur. Notre pays était en retard dans le déploiement des zones à faible émission qui ont fait leurs preuves chez nos voisins : quand je suis entrée au Gouvernement, il n'y avait que deux zones à circulation restreinte. Grâce à la loi Mobilités, nous accompagnons désormais 23 territoires représentant 17 millions de Français. Nous avons prévu des moyens de vidéo-verbalisation et des sanctions automatiques.

Je partage votre préoccupation. C'est pourquoi il faut proposer des alternatives à l'usage de la voiture individuelle, dans les métropoles comme sur tout le territoire.

M. Xavier Iacovelli.  - Tout est lié : l'utilisation de la voiture et la pollution qu'elle génère est l'une des causes du dérèglement climatique. Selon une étude américaine, la pollution de l'air pourrait engendrer des troubles psychiatriques chez les enfants. Collectivités et État doivent travailler ensemble pour un air plus pur.

M. Jean-François Husson.  - Lisez notre rapport.

Mme Sylviane Noël .  - Je félicite mes collègues pour leur rapport. Selon le GIEC, 80 % de la surface des glaciers aura disparu en 2100. Or les grands fleuves européens prennent leur source en montagne. D'ici 2100, le débit des fleuves devrait augmenter de 20 % en hiver et diminuer de 17 % au printemps et de 50 % en été. Les populations des plaines seront donc soumises à des risques accrus d'inondations en hiver et de sécheresses en été.

Dans ces conditions, la perspective de l'ouverture à la concurrence des barrages hydroélectriques inquiète, pour la maîtrise de gestion des crues et le soutien d'étiage.

Par ailleurs, face à la multiplication des phénomènes extrêmes en montagne, il est impératif de préserver les stations locales de Météo-France de Chamonix, Bourg-Saint-Maurice et Briançon, dont les agents fournissent des prévisions irremplaçables. La délocalisation vers un centre grenoblois serait un non-sens.

M. Loïc Hervé.  - Très bien !

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - La gestion des concessions hydroélectriques touche aux enjeux de production d'électricité mais aussi d'aménagement du territoire et de gestion hydraulique. Nous le mettons en avant dans nos échanges avec la Commission européenne.

Météo-France a axé son projet stratégique autour d'une amélioration des techniques et d'un nouveau calculateur. Les nouveaux outils technologiques impliquent une réorganisation qui peut conduire à remettre en cause certaines implantations territoriales. La question des Alpes sera abordée au cours des échanges prévus ces prochains jours entre la nouvelle PDG et les élus.

M. Stéphane Piednoir .  - Le rapport préconise une politique de rénovation thermique des bâtiments, qui est au croisement des politiques d'adaptation et d'atténuation. À cet égard, la réforme du CITE est un bien mauvais signal.

Il faut une véritable impulsion pour atteindre l'objectif de 500 000 logements rénovés par an. Aujourd'hui, le financement est illisible et impose un véritable parcours du combattant.

Comme vos collègues Emmanuelle Wargon et Julien Denormandie, vous considérez que les régions et les intercommunalités doivent piloter un programme d'actions opérationnelles que l'on ne trouve pas toujours dans les Sraddet et les PCAET, qui peinent à être traduits concrètement.

L'idéal serait de couvrir le territoire de structures portées par les collectivités, à l'instar des Agences locales de l'énergie et du climat (ALEC), dotées de moyens humains et financiers pérennes.

Il faut aussi partager les solutions avec les professionnels de la construction, souvent perdus dans les normes et labels imposés.

Quid de la rénovation des établissements scolaires, véritables passoires thermiques ?

M. Jean-François Husson.  - Très bien.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Le bâtiment, c'est 45 % de la consommation énergétique et 27 % des émissions de gaz de serre. Les bâtiments publics doivent être exemplaires. Nous accompagnons les collectivités territoriales par des prêts de la Caisse des dépôts et via la DSIL. Certains départements ont largement engagé des actions de rénovation, d'autres moins.

Je plaide pour la simplification des aides, dont la complexité peut dissuader. L'accompagnement et le conseil de proximité sont primordiaux. C'est le sens de la concertation engagée par Mme Wargon et M. Denormandie.

On a besoin d'un chef de file clair : ce pourrait être la région. L'action de proximité relève, elle, de l'échelon communal et intercommunal.

De la visibilité, il y en a : nous avons prévu 200 millions d'euros sur quatre ans et j'espère que les collectivités territoriales doubleront la mise.

M. Guillaume Chevrollier .  - Le climat est un sujet complexe qui appelle des actes concrets mais aussi beaucoup d'humilité.

L'adaptation des politiques de l'eau est un sujet d'actualité après les deux canicules de cet été : elles doivent donner la priorité à l'usage économe de l'eau et aux solutions fondées sur la nature. Les barrages réservoirs, les ouvrages dans le lit mineur comme les moulins, les retenues collinaires, la restauration des zones humides naturelles permettent de mieux exploiter l'eau excédentaire des saisons pluvieuses.

Pourtant, l'administration de l'eau a détruit plus de 150 petits barrages sur nos rivières ces dix dernières années, modifiant les écosystèmes, fragilisant le bâti, faisant baisser les nappes alluviales et impactant l'agriculture et le tourisme.

Appuyons-nous au contraire sur notre patrimoine hydraulique local.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - L'eau non retenue par les barrages ou stockages alimente les nappes phréatiques, les cours d'eau en aval et les zones humides, au service de la biodiversité.

Les 88 départements soumis à une mesure de limitation ou de suspension et les 42 arrêtés de crise sont une alerte. Il faut préserver les zones humides, limiter le ruissellement, améliorer l'infiltration, restaurer la capacité d'écoulement de nos cours d'eau.

Nous menons une politique de restauration de la continuité écologique piscicole - mais pas au détriment du soutien de l'étiage, qui touche aussi à la biodiversité. Ces deux objectifs doivent être conciliés, j'y veillerai.

M. Guillaume Chevrollier.  - La situation critique exige zéro perte nette en eau ! Il faut protéger les ouvrages hydrauliques qui stockent l'eau et favorisent la biodiversité.

M. Jean-Yves Roux, rapporteur .  - Les territoires de montagne sont vulnérables. Le dérèglement climatique menace le pastoralisme et le tourisme, les risques naturels vont s'accroître avec le réchauffement. Le plan national d'adaptation au changement climatique devra accompagner l'adaptation de l'économie montagnarde vers un tourisme des quatre saisons.

Merci au président Karoutchi pour son soutien et à Mme la ministre pour ses réponses directes et franches. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE)

M. Ronan Dantec, rapporteur .  - Je me joins à ces remerciements : la délégation continue ses travaux avec un colloque le 31 octobre.

Je ne suis pas sûr que l'on mesure ce que sera la France en 2050, quand le réchauffement sera de deux degrés, soit un de plus qu'aujourd'hui. Il faut intégrer dès à présent cette problématique.

Nous sommes face à des injonctions contradictoires, MM. Chevrollier et Karoutchi l'ont bien montré : biodiversité et agriculture, densité urbaine et îlots de chaleur... Il faudra du temps pour le débat et l'approfondissement, travailler avec les collectivités territoriales sur l'adaptation (M. Jean-François Husson s'exclame.)

J'entends votre commande à l'Onerc. Le coût sera important pour les collectivités territoriales, d'où notre proposition de consacrer une partie des C2E à la rénovation thermique des bâtiments.

Autres sujets : les outre-mer, les solutions fondées sur la nature - cela fait beaucoup de chantiers ! Si nous voulons un nouveau contrat collectif, il faudra sans doute une loi-cadre pour répondre aux défis dont le dernier rapport du GIEC a confirmé la gravité.

La séance est suspendue à 12 h 15.

présidence de Mme Catherine Troendlé, vice-présidente

La séance reprend à 14 h 30.

Violences sexuelles sur mineurs en institutions

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport d'information « Violences sexuelles sur mineurs en institutions : pouvoir confier ses enfants en toute sécurité », à la demande de la mission commune d'information.

Mme Catherine Deroche, présidente de la mission commune d'information .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC ainsi que sur le banc de la commission) Les violences sexuelles sur mineurs sont une réalité difficilement concevable : comment imaginer que les plus innocents et les plus vulnérables soient victimes de telles agressions ?

Majoritairement commises dans le cadre familial, elles surviennent aussi dans les institutions qui les prennent en charge. C'est à cette deuxième catégorie que s'est intéressée notre mission dont le rapport d'information a été adopté le 28 mai dernier.

Les abus sexuels au sein de l'Église catholique ont en effet incité le Sénat à constituer une mission commune d'information sur le thème, après que le groupe Les Républicains ait demandé une commission d'enquête.

Le périmètre de la mission commune d'information a finalement été élargi à toutes les structures accueillant des enfants, associations sportives, services de l'aide sociale à l'enfance, établissements d'enseignement culturel et artistique, colonies de vacances, centres aérés. Elle a mené cinquante auditions et effectué trois déplacements. Je tiens à remercier les trois rapporteures : Marie Mercier, spécialisée dans le droit pénal en la matière, Michelle Meunier, qui nous a apporté sa connaissance des politiques de protection de l'enfance et Dominique Vérien qui connaît bien les modalités de prise en charge des auteurs. Nous avons fait 38 propositions, en gardant en tête l'intérêt des victimes : libérer la parole, soulager du traumatisme de l'agression, éviter que de tels faits se reproduisent.

Il n'y a pas d'éléments chiffrés sur ces violences, c'est pourquoi la mission réclame la création d'un observatoire. Les données existent pour les colonies de vacances et les centres aérés, mais pas en milieu sportif. Or nous savons que la relation de proximité qui s'établit entre un entraîneur et un jeune athlète peut favoriser l'apparition de phénomènes d'emprise pouvant déboucher sur des agressions.

Il nous paraît souhaitable de généraliser les meilleures pratiques afin de construire autour des jeunes de notre pays un environnement aussi sécurisant que possible.

Une formation et une sensibilisation adaptées sont indispensables. Le Fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV) doit être utilisé pour éviter que ceux qui y figurent n'entrent au contact avec des mineurs.

La mission commune d'information a consacré une large part de ses travaux aux abus commis au sein de l'Église catholique et des autres cultes. L'agression sexuelle commise par un religieux est particulièrement dévastatrice pour la victime car à la violence physique et à la violence psychologique s'ajoute un abus spirituel qui peut être extrêmement déstabilisant.

L'Église nous a semblé prendre conscience de la réelle gravité du problème et a affirmé la volonté de mettre un terme à l'omerta qui avait longtemps prévalu ; nous avons pris acte de la volonté d'indemniser les victimes, même pour des faits prescrits.

Nous espérons que la commission Sauvé proposera des mesures complémentaires.

Concernant les établissements destinés aux mineurs en situation de handicap, il semble qu'il n'y avait pas de vraie prise de conscience de ce problème à la hauteur de la vulnérabilité du public qu'ils accueillent. Il faudrait renforcer le contrôle au moment du recrutement.

Nous espérons que le Gouvernement tiendra compte de nos recommandations, notamment dans le plan sur les mille premiers jours de l'enfant qui fait suite au plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants 2017-2019 porté par Mme Rossignol lorsqu'elle était ministre en charge de la famille.

Soyez assuré, monsieur le ministre, du soutien du Sénat à une politique ambitieuse de protection de l'enfance. Un consensus devrait être trouvé autour de quelques orientations fortes et d'un ensemble de mesures concrètes. (Applaudissements)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé .  - En octobre dernier, votre mission commune d'information a choisi de prolonger la réflexion ancienne du Sénat sur ce sujet par une réflexion approfondie sur les violences sexuelles sur mineurs.

J'ai bien noté vos 38 propositions, qui traitent de la formation des professionnels, de la prise en charge des victimes mais aussi des auteurs.

Les pistes que vous lancez rejoignent des réflexions menées au sein de mes services.

Le plan de lutte contre les violences faites aux enfants que j'annoncerai en novembre prolongera, je l'espère, le plan lancé par la ministre Rossignol en 2017, centré sur les violences intrafamiliales, trop longtemps taboues.

Le chemin est long pour libérer la parole des enfants, lutter contre les violences qu'ils subissent en tout lieu. La société entière doit être mobilisée. Soyez assurés de ma volonté d'y engager tout le Gouvernement. Un intense travail interministériel est conduit.

Vous proposez de créer un observatoire national des violences sexuelles sur mineurs, mais nous disposons déjà d'un Observatoire national de l'enfance en danger, outil utile et précieux articulé avec les observatoires départementaux de protection de l'enfance, certes perfectible, notamment au plan de la gouvernance ou du croisement des données. Il faut appréhender plus finement les violences sexuelles sur mineurs, sans pour autant créer un nouvel organisme.

L'observatoire, dans son dernier rapport, dévoile des chiffres édifiants : 22 000 mineurs victimes de violences sexuelles en 2017, en hausse de 10 %, par rapport à 2016, 2,5 mineurs sur 1 000 ont déclaré être victimes de violences sexuelles, cette même année.

Pour autant, il n'est pas forcément nécessaire de modifier encore le droit. Mieux vaut appliquer celui qui existe. Il est trop tôt pour faire le bilan de la loi Schiappa du 3 août 2018, qui renforce la pénalisation des violences sexuelles sur mineurs en la faisant aller jusqu'à dix ans d'emprisonnement, précise la contrainte morale et allonge les données de prescription. Le Gouvernement va confier à la députée Alexandra Louis une mission d'évaluation de cette loi.

Quant au contrôle des antécédents judiciaires des personnes en contact avec les mineurs, il est insuffisant, par méconnaissance des administrations. L'Éducation nationale et les sports ont néanmoins déployé des moyens à la hauteur de l'enjeu, ce qui n'est pas le cas de la santé.

Madame la présidente, j'arrive au bout de mon temps de parole...

Mme la présidente. - Oui, de huit minutes...

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Je reviendrai donc sur les autres aspects que je souhaitais développer dans mes réponses aux questions.

Nous ne réussirons à combattre le fléau qu'en mobilisant le législateur, les associations, les professionnels et tous les citoyens.

M. Jean-Louis Lagourgue .  - Les mineurs handicapés sont particulièrement exposés au risque de violences sexuelles en institutions. La mission commune d'information (MCI) a perçu un décalage entre cette vulnérabilité et la faiblesse des contrôles au moment du recrutement dans les établissements médico-sociaux.

Il faut appliquer strictement les contrôles prévus par la loi, en les complétant par une information claire sur les procédures, un accès au FIJAISV pour le recrutement et l'extension du contrôle aux employés des prestataires de services des établissements.

Quelles sont vos intentions vis-à-vis de ces propositions ? Quelles mesures envisagez-vous et dans quels délais ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur le banc de la commission)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Les femmes handicapées subissent la double peine : elles sont cinq fois plus victimes de violences sexuelles que les autres. Je suis très sensible à la question des mineurs handicapés. Député, j'avais défendu des amendements à la loi Schiappa prévoyant un référent sur les violences, notamment sexuelles, dans chaque établissement médical et socio-médical. Il a été rejeté par le Sénat, si je ne me trompe. Les Apprentis d'Auteuil l'ont mis en place et des dispositions analogues figurent dans le plan que je présenterai en novembre.

Mme Dominique Vérien .  - Je salue la présence dans les tribunes d'une classe du lycée Saint-Étienne de Sens, dont la professeure a choisi notre mission d'information pour montrer comment se construit une politique publique. (Applaudissements)

La peine est censée suffire à éviter la récidive. Mais quel sens donner à deux ans d'enfermement pour un pédophile, qui pourra à loisir, dans sa cellule, regarder la chaîne Gulli et feuilleter le magazine Parents, sans probablement voir de psychiatre pour lequel les délais d'attente en prison sont de l'ordre de dix-huit mois, s'il accepte cette prise en charge, pourtant indispensable?

À la prison de Joux-la-Ville, dans l'Yonne, les détenus participent à des groupes de parole sur la perception du corps et de la sexualité. À Lyon également, une telle prise en charge donne de bons résultats. Tous les condamnés ne relèvent pas d'un tel besoin de soins. Comment identifier ceux qui en relèvent, et comment les prendre en charge au plus vite en prison ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - La loi de 1998 a instauré un dispositif commun à la santé et à la justice pour l'accompagnement thérapeutique des auteurs de violences sexuelles. Mais cette prise en charge est insuffisante. Un protocole santé-justice prévoit la mise en place par l'ARS de protocoles locaux, avec des centres de ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (CRIAVS) constitués en réseau.

Une action a été engagée pour renforcer la prise en charge sanitaire des auteurs de violence à leur sortie de prison. La question des auteurs potentiels des violences doit être traitée dans la phase de prévention afin d'éviter tout passage à l'acte.

Mme Marie Mercier .  - Prévenir pour protéger : au bout de plusieurs mois de travail, cette nécessité a fait consensus. Mais nous ne savons pas comment faire. Comment accompagner un adulte dont on sait qu'il est attiré par les jeunes enfants ? Lui-même sait que ce n'est pas acceptable, mais il ne sait pas à qui s'adresser. Le dispositif allemand Dunkelfeld pourrait servir de modèle. Il s'agit d'une ligne téléphonique joignable 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, par ces jeunes adultes en souffrance, qui leur offre une écoute et leur propose un accompagnement thérapeutique. Un Dunkelfeld à la française est-il possible et aurait-il votre soutien ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Le Dunkelfeld, cette zone d'ombre que vous évoquez, est en effet un service d'écoute et d'accompagnement, anonyme et gratuit, à destination des adultes attirés par les mineurs avant leur passage à l'acte, mais aussi après. Ce type de dispositif participe au processus de révélation du phénomène. Des sites comme « PedoHelp » qui oriente les personnes pédophiles vers des professionnels ou « une vie » qui s'adresse aux soignants sont aussi des outils utiles.

Un réseau d'écoute existe en France. L'idée d'un numéro vert et d'une campagne d'information est en cours d'examen. Mes équipes y travaillent.

Mme Marie Mercier.  - Vous n'avez pas parlé de « moyens » et je vous en remercie. Ils doivent être à la hauteur de l'enjeu. De telles initiatives constituent non pas une dépense, mais un investissement pour l'avenir, car il s'agit de prendre soin de nos jeunes.

Mme Michelle Meunier .  - La parole s'est libérée. D'abord dans le clergé catholique, ensuite ailleurs. Elle ne doit pas être vaine et pour cela nous devons apprendre aux enfants à parler de ce qui leur arrive et aux adultes à les écouter. La plateforme du 119 doit être renforcée. L'information et la sensibilisation doivent être accrues pour mieux la faire connaître. Comment ferez-vous ?

Aucun enfant ne doit pâtir des hésitations des adultes. Nous devons renverser les mentalités et en finir avec l'idée que nous nous occuperions de ce qui ne nous regarde pas.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Cette question de la parole est centrale. Oui, il faut libérer la parole dans notre pays. Et ce que vous faites au sein de cette mission d'information contribue à la libérer. Plus de 60 % des appels au 119 ne donnent pas lieu à une écoute, ce qui n'est plus acceptable. Il faut écouter et traiter tous les cas. J'ai annoncé que les moyens du 119 seraient renforcés dans ce but.

La parole doit aussi être protégée. On ne recueille pas celle d'un enfant de 3 ou 4 ans comme celle d'une autre personne qui se rendrait dans un commissariat. Nous allons multiplier les cellules d'écoute spécialisées dans les commissariats et les unités médico-judicaires spécialisées. Notre connaissance des situations est imparfaite. Nous engagerons dans le cadre de la stratégie de protection de l'enfance la modernisation d'un certain nombre de Cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP) qui constituent un maillon important de notre dispositif de signalement.

La campagne d'information sur le 119 aura lieu en novembre.

Mme Michelle Meunier.  - Nous sommes à quelques semaines de l'examen du budget pour 2020. Nous serons nombreux à veiller à ce que nos propositions et nos ambitions communes s'y traduisent concrètement.

Mme Françoise Laborde .  - Les 36 propositions de la mission d'information contribueront à briser un tabou et à engager une politique globale de prévention de la pédocriminalité. Les propositions du rapport ne sont pas suffisantes concernant les violences intrafamiliales envers les mineurs. Elles méritent d'être encore davantage traitées, même si je sais que la mission d'information portait sur les institutions.

Je regrette que mes amendements durcissant les peines contre les violences à caractère incestueux n'aient pas été adoptés lors de l'examen de la dernière loi sur la justice. Que comptez-vous faire pour prévenir ce fléau ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - La seule étude épidémiologique sérieuse sur l'inceste est américaine.

Elle conclut à 6 % de personnes victimes. Une étude déclarative française aboutit au même taux, soit 4 millions de personnes. L'inceste est le tabou des tabous car il sape l'institution sacrée qu'est la famille.

J'ai rencontré de nombreux acteurs qui oeuvrent dans ce domaine, dont Laurent Boyet. Toutes les mesures que nous prendrons pour lutter contre les violences sexuelles sur mineurs auront aussi vocation à traiter ce fléau.

Libérer la parole reste là encore le levier essentiel à actionner, cette fois-ci au sein de la famille. Or le verrou dans le cercle familial est probablement le plus difficile à faire sauter. C'est un travail de fond que nous allons entreprendre, aux côtés des mesures précises que nous annoncerons.

Mme Françoise Laborde.  - L'examen de la résolution 751 que je viens de déposer sur la surqualification pénale de l'inceste nous donnera l'occasion de poursuivre ce débat.

Je salue la création d'un groupe de travail au Sénat sur le signalement dans les professions qui ont une obligation de secret.

Monsieur le ministre, j'espère que vous serez de notre côté, car en tant que parlementaires nous sommes limités par l'article 40 de la Constitution.

M. Thani Mohamed Soilihi .  - Le 5 septembre dernier, un protocole de signalement des violences sexuelles a été signé entre le procureur et l'archevêque de Paris pour une expérimentation d'un an. Il contribuera à responsabiliser les parties prenantes.

Cependant, un tel dispositif met en lumière les manques législatifs en la matière. Dénoncer les infractions sur mineurs ne suffit pas à établir un cadre législatif suffisant.

Le rapport recommande une obligation de signalement dans toutes les institutions. Qu'en pensez-vous ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Le protocole conclu entre l'Église et le parquet facilite le signalement. Des dispositions existent déjà dans le droit. C'est surtout le partage d'information qui fait défaut.

Le secteur médical, pourtant en position privilégiée pour repérer les maltraitances, connaît un taux de signalement faible. Introduire une obligation de signalement au titre judiciaire n'est pas forcément la bonne solution, ce peut être contre-productif puisque la centralisation ne se fait plus à la CRIP et la justice serait engorgée de façon verticale par des informations ne se recoupant pas. J'ajoute qu'une telle situation entraînerait des placements judiciaires intempestifs.

En revanche, un travail est engagé pour sensibiliser les professionnels et pour que les institutions fassent remonter les informations en interne.

Les textes sont explicites. Il s'agit surtout de mieux les faire connaître et respecter, et d'améliorer la coordination.

Mme Esther Benbassa .  - Pas moins de 265 000 personnes se sont estimées victimes d'abus sexuels en France en 2017. C'est un phénomène de masse. Des vies sont brisées dès l'enfance.

Quelle réponse le Gouvernement apporte-t-il pour lutter contre cette pandémie ? Quelle réponse aux enfants souffrants de traumatismes durables ?

La mission d'information a mis en valeur l'absence de moyens pour lutter contre les violences sexuelles sur mineurs. Le chemin est encore long pour que nous donnions aux victimes le suivi qu'elles méritent.

Comment mettre fin aux déserts médicaux, notamment en matière de psychiatrie infantile ? Prévoyez-vous la gratuité des frais médicaux du traitement psychologique dans la prise en charge des victimes ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Le plan de lutte contre les violences que nous présenterons en novembre mettra l'accent sur la prévention. À chacun de nos déplacements, on me fait part du problème de la prise en charge des psychotraumas et de la pédopsychiatrie, qui bénéficiera du plan d'investissements de 100 millions d'euros pour la psychiatrie annoncé par Agnès Buzyn. Nous travaillons à mettre en place des équipes psychomobiles pour les enfants victimes. Nous avons créé dix postes de chefs de clinique l'an dernier et en créons à nouveau dix cette année. Nous ouvrirons dix centres de prise en charge traumatique.

Le coût des soins psychologiques doit être expertisé. Nous devons aussi étudier la formation des professionnels. Une expérimentation est en cours, « Écoutez-moi », pour une durée de trois ans, avec un suivi interministériel.

Mme Esther Benbassa.  - Prévoyez-vous la prise en charge intégrale des frais médicaux psychologiques ? Vous n'avez pas répondu. (On feint de s'en étonner à droite.) Nous y serons attentifs lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Mme la présidente.  - Le ministre ne peut pas vous répondre. Il a épuisé son temps de parole. (Mouvements divers)

Mme Annick Billon .  - Je salue le travail accompli par la mission d'information. La question du signalement a suscité des débats. La disposition adoptée par le Sénat tendant à introduire dans le cadre de la loi pour prévenir les violences sexuelles et sexistes l'obligation de signalement avait ensuite été retirée. Le signalement ne doit pas être associé à la délation. Il s'agit au contraire de sauver des vies. Seulement 5 % des enfants victimes de violences sexuelles sont détectés par les médecins. En outre, le nombre de médecins scolaires a baissé de 25 %.

Quelle est la position du Gouvernement sur l'introduction dans le code pénal d'une obligation de signalement faite aux professionnels de santé ?

Des moyens financiers seront-ils dégagés pour renforcer la médecine scolaire ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Seul un Français sur quatre appelle le 119 en cas de suspicion de violences sexuelles. Je le dis solennellement, la responsabilité repose sur chacun d'entre nous. Il n'est pas question de délation, seulement de protéger les enfants.

Les textes existent. Une obligation de dénoncer s'impose, y compris pour les médecins. Les outils sont bien là. Il faut les faire connaître. Systématiser le signalement pourrait avoir des effets pervers.

Dans le plan 2017-2019 de Mme Rossignol, la mise en place d'un référent sur les violences sexuelles est prévue. Ce pourrait être l'interlocuteur privilégié pour faire remonter les signalements.

Mme la présidente.  - Je salue en tribune les membres du conseil municipal de Ranspach-le-Bas, auquel j'appartiens. (Sourires et applaudissements)

M. Bernard Bonne .  - La consultation du FIJAISV, qui contient plus d'informations que le casier judiciaire, est loin d'être systématique. Seul le fichier n°2 du casier judiciaire est interrogé concernant les professionnels recrutés dans les établissements d'accueil des jeunes enfants ou destinés à travailler auprès d'enfants handicapés. Même chose pour l'agrément des assistantes maternelles par le conseil départemental.

Certaines structures, par manque de personnel, embauchent à titre temporaire des personnes sous-qualifiées et n'interrogent pas les fichiers. Le président du conseil départemental n'a alors aucun pouvoir.

Comment rendre obligatoire la consultation d'avant recrutement ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Trois questions se posent concernant le FIJAISV : les conditions d'inscription, la consultation et les modalités de mise en oeuvre de la consultation. Nous voulons que ce fichier et le B2 du casier soient plus efficacement utilisés, même s'ils peuvent aussi être améliorés - et nous y travaillons avec le ministère de la Justice.

Il y a une absence de mécanisme de consultation automatique dans certaines administrations, contrairement à l'Éducation nationale ou au ministère des Sports.

Nous devons garantir, par une action interministérielle, une évolution positive à cet égard ; nous devons également réfléchir à la société que nous voulons pour nos enfants, entre protection des mineurs et libertés individuelles.

M. Bernard Bonne.  - Le rapport de la mission d'information a montré qu'une télédéclaration, pour interroger le fichier, favoriserait une consultation simple. Il est légitime de savoir qui l'on emploie.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie .  - Je veux débuter mon propos par une pensée solidaire pour les fonctionnaires de la préfecture de police de Paris, frappés par une attaque il y a quelques instants. Plusieurs sont décédés.

J'avais signé avec Laurence Rossignol une demande de commission d'enquête sur les abus sexuels dans l'Église catholique. Le Sénat a refusé. L'Australie a consacré 300 millions de dollars à ce fléau, identifiant 40 000 victimes ; l'Irlande a constitué une commission d'enquête gouvernementale ; aux États-Unis un procureur de Pennsylvanie a identifié 300 prêtres pédophiles ; la Belgique a constitué une commission parlementaire.

En France, c'est la Conférence des évêques de France qui a constitué la commission Sauvé, laquelle a déjà reçu 2 500 appels. Que fait l'État ? Le 119 porte sur la maltraitance d'aujourd'hui. Mais que fait l'État pour les victimes antérieures ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR)

Mme la présidente.  - Tout le Sénat s'associe à vos propos sur la mort de ces quatre policiers, auxquels nous rendons hommage.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - En 2018 a été révélée l'ampleur insoupçonnée des abus commis par des membres du clergé catholique dans notre pays. Un protocole a été signé entre le procureur et l'archevêque de Paris pour la transmission au parquet de tous les signalements, même en l'absence de plainte.

La commission présidée par Jean-Marc Sauvé bénéficie du soutien de l'Inserm, de la Maison des sciences de l'homme, de l'École pratique des hautes études, de la Chancellerie, des Archives nationales et départementales. La Chancellerie demandera au parquet de faire l'inventaire des faits dont il a eu connaissance.

Nous attendons les préconisations de cette commission.

Mme Marie-Pierre de la Gontrie.  - Je suis très déçue par cette réponse, ou alors nous ne nous sommes pas compris. La commission Sauvé ne relève pas de l'État. Je parle aussi d'information et de communication : lorsque l'Australie consacre au problème 300 millions de dollars, ce n'est pas pour écrire une circulaire. Il faut que les victimes sachent qu'elles peuvent parler et être entendues.

Mme Chantal Deseyne .  - La loi Schiappa comporte plusieurs avancées mais est loin de répondre aux attentes des victimes. Les jugements ne sont pas à la hauteur. Un grand-père, au Mans, a été condamné à huit mois avec sursis par le tribunal correctionnel, pour le viol de sa petite-fille de 8 ans, alors qu'il aurait encouru devant une cour d'assises trente ans de réclusion.

La garde des Sceaux a déclaré en juin que la loi Schiappa contenait des évolutions positives, dont les juges s'étaient emparés. Quel est votre retour ? La qualification de viol est-elle plus fréquente qu'auparavant ? Observe-t-on des condamnations pour des faits datant de plus de trente ans, ou ces affaires aboutissent-elles à des classements sans suite ?

Pour évaluer la loi de 2018, accepterez-vous un collège pluraliste, associant des députés et des sénateurs ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - J'ai entendu les débats à l'époque de l'examen de la loi Schiappa. Attendons les résultats de la mission d'Alexandra Louis. Je ne veux pas polémiquer, mais certains juges que je rencontre se félicitent de la correctionnalisation parce qu'elle accélère le passage des agresseurs devant la justice et permet des poursuites qui n'auraient, sinon, pas eu lieu.

La loi du 3 août 2018 apporte de réelles avancées. Des peines ont été aggravées et les délais de prescriptions allongés.

M. Xavier Iacovelli .  - Tous les mois, la presse se fait l'écho de scandales insupportables. Le 23 septembre, au Mans, une éducatrice était démasquée ; le 25 septembre, un directeur de centre de loisirs dans les Yvelines était mis en examen pour le viol d'une fillette de 3 ans : il avait déjà été condamné en 2017 pour exhibition sexuelle.

Comment admettre qu'une personne ainsi condamnée travaille encore auprès des enfants ? Ne faut-il pas inclure l'exhibition sexuelle dans le FIJAISV ? Pourquoi des structures qui ont accès aux fichiers spécialisés ne les consultent pas ? Elles ne renouvellent pas non plus la consultation au cours de la carrière de leurs employés, si bien qu'elles ne savent pas si l'un d'eux a été condamné.

Dans le plan de lutte contre les violences sexuelles sur les mineurs que vous allez dévoiler à l'occasion du trentième anniversaire de la convention internationale des droits de l'enfant, allez-vous inclure des mesures à cet égard ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Les affaires que vous évoquez sont en cours. Mais nous sommes tous bouleversés par ce genre de cas.

La loi Villefontaine du 14 mars 2016 a créé une obligation d'information du procureur vis-à-vis des administrations, en cas de condamnation. Dans les faits, on constate que cette disposition n'est pas toujours respectée, alors que l'administration de l'État est chargée du contrôle.

La possibilité pour l'employeur de consulter le fichier n'est pas toujours connue ; le délai de réponse est trop long et la personne est parfois déjà recrutée lorsque l'information arrive. Nous oeuvrons à rendre l'obligation plus effective.

Toutefois, le fichage de tous les condamnés ne résoudra pas à lui seul le problème. La prévention est indispensable.

L'inscription comme la consultation du fichier feront l'objet de mesures que j'exposerai le 20 novembre.

M. Michel Savin .  - Le monde du sport n'est hélas pas épargné. Je salue les nombreux sportifs qui ont récemment dénoncé des abus - cette prise de conscience est une vraie avancée, tout comme la mobilisation des pouvoirs publics.

Nous manquons de données, notamment en raison de l'omerta qui règne généralement, les enfants se murant dans le silence.

L'association Colosse aux pieds d'argile rappelle que 10 % des sportifs et 13 % des sportives sont concernés. La plupart de ces actes ont lieu entre sportifs. Mais trop d'abus proviennent également d'entraineurs ou d'éducateurs. Depuis 2015, près d'une centaine d'entre eux ont été recensés, mais il demeure des trous dans la raquette. La ministre avait évoqué un contrôle du casier judiciaire des bénévoles encadrant les jeunes. Qu'en est-il ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Nous avons travaillé sur les trois volets : prévention, signalement et contrôle. La formation des intervenants inclut désormais un module sur les violences sexuelles. Il est important pour l'éducateur de prendre conscience qu'il est en position d'autorité vis-à-vis des personnes qu'il encadre.

La ministre des Sports soutient financièrement Colosse aux pieds d'argile.

Nous proposons des fiches « réflexes », pour faciliter les signalements par les institutions, ainsi qu'un guide juridique pour les mineurs eux-mêmes.

Enfin, quelles sont les modalités les plus appropriées pour contrôler l'honorabilité des bénévoles ? Faut-il envisager une licence ? La question est en cours d'expertise.

Mme Nicole Duranton .  - En 2017, 8 788 plaintes pour viols ont été déposées et 1 473 pour atteintes sexuelles.

Il est temps de dégager les mesures les plus appropriées, les secteurs prioritaires et les bonnes méthodes, pour ensuite les inscrire dans la loi.

Je salue le travail de la MCI qui prône la création d'un observatoire en charge d'une enquête sur le modèle de l'enquête épidémiologique « Virage », consacrée aux violences faites aux femmes.

Quelle est votre vision du futur observatoire ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - La mission d'information a été étonnée de voir à quel point nous disposons de peu de données sur les violences sexuelles sur mineurs et plus généralement sur la protection de l'enfance. J'ai eu le même étonnement à mon arrivée au ministère. On ne peut pas mener de politique publique sans connaissance précise des phénomènes ni des personnes concernées.

Toutefois nous disposons de quelques travaux, notamment une enquête du CNRS sur les violences incestueuses de 2017 ou l'enquête Violences et rapports de genre (Virage) de l'Institut national d'études démographiques (INED).

Je vous rejoins, nous devons améliorer notre connaissance de la protection de l'enfance. Ce sujet recoupe celui de la gouvernance de cette politique publique, conjointe entre l'État et les départements. Nous devons nous doter d'un outil de recherche statistique, qu'il s'appelle observatoire ou non. C'est l'un des projets pour 2020, pour une mise en place au 1er janvier 2021.

M. Stéphane Piednoir .  - La mission d'information ne traitait pas des infractions sexuelles dans le cadre familial, de loin les plus nombreuses ; mais nos travaux ont porté sur la prévention. Or, en ce domaine, les enseignants ont un rôle non négligeable à jouer. Idem pour la détection.

La mission a dégagé des signaux d'alerte : variation brusque du niveau scolaire ou du comportement, gestes sexualisés sans rapport avec l'âge, etc. Nous avons constaté que l'éducation à la sexualité prévue dans le cadre scolaire est rarement dispensée. Or elle serait l'occasion d'indiquer aux enfants les limites que les adultes ne doivent pas franchir. Le Gouvernement compte-t-il activer ce levier ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Oui. Les enseignants sont en position privilégiée et doivent être formés à la détection et la prévention.

D'ores et déjà, la formation initiale et continue des enseignants, inscrite dans le code de l'éducation, met l'accent sur la prévention des violences. La formation continue comprend le repérage de signaux d'alerte et la connaissance des dispositifs départementaux.

Tous les ans, un séminaire de formation à l'éducation à la sexualité est organisé pour les cadres de l'Éducation nationale. Les ressources doivent être mieux connues. Et souvent, il y a des lacunes dans la coordination. On fait toujours mieux quand on partage l'information !

Avec le ministre de l'Éducation nationale, nous travaillons à une meilleure sensibilisation des enfants dès la dernière année de maternelle. Nous l'annoncerons en novembre.

Mme Catherine Deroche, présidente de la mission .  - Merci au président du Sénat et à la Conférence des présidents d'avoir organisé cette séance. Merci à tous les collègues présents, qui ont posé des questions très pertinentes. Merci, monsieur le ministre, pour vos réponses. L'exercice est difficile, dans le temps très contraint qui nous est alloué !

La lutte contre les violences sexuelles contre les mineurs est l'affaire de tous : Éducation nationale, mais aussi communes. Nous nous réjouissons qu'un membre du Gouvernement soit particulièrement chargé de ce problème.

Nous n'avons pas voulu revenir sur la loi Schiappa, très récente. Mais la commission des lois et la commission des affaires sociales ont accepté de former un groupe de travail spécifique pour se pencher sur cette question. Cette semaine, nous avons commencé nos auditions. Nous en avons déjà mené sept afin d'examiner la question de l'obligation du signalement par les professionnels et les ministres du culte - le secret sacerdotal est assimilé au secret professionnel.

Nous serons très attentifs à ce que les diverses charges qui pourraient être créées par vos décisions trouvent une correspondance budgétaire. (Applaudissements)

La séance est suspendue quelques instants.

Santé en Guyane

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle un débat sur la santé en Guyane, à la demande de la commission des affaires sociales.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales .  - Le vaste territoire français recouvert par la forêt amazonienne qu'est la Guyane possède de nombreux atouts. Mais il fait aussi face, pour des raisons géographiques, démographiques et sociales, à des défis singuliers, même en comparaison avec les autres collectivités ultramarines.

Le Sénat utilise toujours l'expression d'outre-mer au pluriel, conscient que le copier-coller est inopérant pour ces territoires. C'est pourquoi j'ai souhaité que le Sénat consacre un temps spécifique à la santé en Guyane, deux ans après la fin du mouvement social et les accords de Cayenne.

La progression démographique, cinq fois plus dynamique que la moyenne, met tout le système de santé sous pression. Professionnels de santé épuisés, vétusté des équipements, précarité sociale - entre 20 % et 30 % des patients n'ont pas de couverture sociale ou pas de papiers d'identité -, turnover des équipes...

L'enclavement du territoire intérieur est terrible : moins de la moitié des dix-huit centres délocalisés de prévention ont une présence médicale continue.

Le coût des évacuations sanitaires grève les budgets.

L'ensemble de la Guyane, avec moins de 600 médecins en activité, est en déficit.

Tous les métiers sont en souffrance, mais la pédiatrie et la néonatalité sont particulièrement touchées, alors que la Guyane enregistre 9 000 naissances par an et que 40 % de la population a moins de 20 ans.

La Guyane devrait être à l'avant-garde de la transformation du système de santé en s'appuyant sur l'innovation. Je pense à la coopération : les sages-femmes et les infirmiers pourraient être des relais, par exemple. Je reviendrai sur le constat de la Cour des comptes, sollicitée par notre commission, sur la prévention et le traitement du VIH.

Il est crucial de développer des formations d'infirmiers et de sages-femmes. Sans être un CHU, l'hôpital de Cayenne a des services de pointe qui mériteraient d'en faire un centre de référence. La place des médecins diplômés hors Union européenne pourrait être élargie - sans transiger avec la qualité. Je pense à Cuba, où la formation des médecins est particulièrement intéressante.

Comment répondrez-vous à l'urgence de l'attractivité médicale de la Guyane ? Certains aspects rapprochent cette dernière de Mayotte, où j'ai souhaité que la commission se déplace en 2020.

Dominique Voynet et le préfet Marcel Renouf ont été chargés par le Premier ministre d'une mission sur la coopération frontalière. Qu'en est-il ?

Dans ce débat, les enjeux sont transverses. Tous les problèmes ne trouveront pas une solution aisée, mais vous pouvez compter sur notre détermination. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et Les Républicains)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé .  - Permettez-moi de rendre hommage à un grand homme politique décédé récemment, ami des outre-mer, et notamment de la Guyane, où il avait effectué neuf déplacements. Il avait déclaré : « C'est grâce en grande partie à ces territoires des outre-mer que la France est, et reste une grande Nation ». Il est aussi à l'origine de la journée nationale, le 10 mai, de commémoration de l'abolition de l'esclavage. Il avait compris la richesse de ce territoire, mais aussi les défis immenses, là où tout n'est qu'extrêmes. En effet, la population a doublé en vingt ans ; les moins de 20 ans représentent 40 % de la population ; il y a dix fois plus d'homicides qu'en métropole ; l'économie est nourrie à 90 % par la commande publique.

Or la Guyane est trois fois moins équipée que la moyenne nationale. Le diagnostic que fait la commission des affaires sociales est sévère. Je profite de l'occasion pour prier les élus guyanais de m'excuser pour avoir dû reporter mon déplacement, mais je me rendrai sur place avant la fin de l'année.

Ce n'était pas un hasard si le président de la République s'y était rendu dès le début de son mandat. Le Gouvernement avait décrété une mobilisation générale : pas moins de 25 millions d'euros ont ainsi été apportés à l'hôpital de Saint-Laurent-du-Maroni, l'hôpital de Kourou qui était à vendre a été transformé en hôpital public, et 20 millions d'euros ont abondé le budget de Cayenne pour combler les déficits.

Au-delà de la rénovation des infrastructures, il s'agit également de lutter contre le manque de professionnels. La densité des généralistes sur le territoire est deux fois moindre qu'en métropole. Mais la densité de sages-femmes est plus élevée qu'ailleurs.

Avec l'ARS, nous mettons tout en oeuvre pour attirer des professionnels dans le territoire, et la tendance est plutôt favorable.

Trois mesures améliorent l'accès aux soins : les trois maisons de santé ; le plan de prévention avec la création de 100 postes d'assistants spécialistes à temps partagé, dont certains fléchés pour l'outre-mer ; la contractualisation de l'ARS avec l'AP-HP, afin de mieux superviser les partenariats et les échanges, avec des effets intéressants dans certaines filières.

Mais il faut prendre en compte d'autres facteurs : schéma routier, partenariat avec les pays voisins, de manière à admettre certains de leurs ressortissants tout en contrôlant l'afflux.

Soyez assurés que le ministère des solidarités et de la santé a pleinement conscience de la spécificité des problèmes de ce territoire, mais aussi de ses richesses et de son potentiel.

La Guyane a besoin que l'État tienne parole et fasse preuve d'une volonté sans faille. Comme l'a dit le chef de l'État, les territoires d'outre-mer sont des trésors pour la République : c'est la République dans tous les océans.

Mme Nassimah Dindar .  - M. Milon a anticipé mes questions. Tout le territoire guyanais est classé déficitaire en offre de soins ; pédiatrie, PMI, accompagnement du handicap, places en Ehpad, tous les indicateurs sont au rouge, alors que le public est très vulnérable. Les professionnels de santé sont en situation de crise permanente. L'offre de soins n'est pas adaptée à l'organisation territoriale. Les cinq bassins de population identifiés - vallée du bas Maroni, vallée du haut Maroni, vallée de l'Oyapock, bassin des savanes ou centre littoral avec l'île de Cayenne - ne sont pas également desservis par les trois maisons de santé.

Le transport de malades ne pouvant être assuré par ambulance, il faut des hélicoptères. La démographie galopante, aggravée par l'immigration, asphyxie les centres de santé.

Quelles aides le Gouvernement accordera-t-il à la Guyane, dans le cadre du projet de l'hôpital connecté ? Et quelles perspectives en termes de coopération transfrontalière ?

Mme la présidente.  - Je rappelle que les orateurs n'ont que deux minutes pour s'exprimer.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Sur l'accès aux soins, je vous renvoie à mon propos liminaire.

Une mission a été confiée en 2018 à Dominique Voynet et Marcel Renouf, avec pour objectif un accord de coopération entre la Guyane et le Suriname. Cinq comités de pilotages se sont tenus entre juin 2018 et février 2019. Malheureusement, cela n'a pas abouti, et l'ARS de Guyane a pris le relais dans les discussions, dans l'attente que l'accord se concrétise.

M. Bernard Jomier .  - Les grands indicateurs de santé de la Guyane sont dégradés : 79,8 ans d'espérance de vie, une mortalité infantile trois fois supérieure à la moyenne nationale. La démographie galope ; 260 000 habitants en 2016, 300 000 aujourd'hui. Il est donc impératif de résorber les inégalités de santé, ce qui exige des moyens significatifs.

Le nouvel hôpital a été inauguré il y a un an à Saint-Laurent-du-Maroni. Celui de Kourou a intégré le secteur public hospitalier. À Cayenne, la situation financière a été redressée et les premières modernisations sont en cours, avec un service de chirurgie et 40 millions d'euros d'investissements complémentaires.

Ce n'est qu'une première étape.

Quels sont les projets du Gouvernement pour améliorer l'offre hospitalière en Guyane et résorber les déséquilibres structurels ? Le coefficient géographique ne prend pas en compte les spécificités des charges qui pèsent sur les hôpitaux guyanais.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - La situation des hôpitaux publics guyanais est paradoxale. Malgré la hausse des besoins de santé, les établissements demeurent fragiles : difficulté à facturer, à recouvrer les sommes dues, manque d'attractivité du territoire, précarité des publics, notamment immigrés.

Entre 2016 et 2018, 50 millions d'euros d'aide exceptionnelle ont été versés au centre hospitalier de Cayenne ; 9 millions d'euros ont été accordés en revalorisation pérenne des dotations. L'établissement a été placé sous administration provisoire par l'ARS, ce qui a permis de conforter le schéma directeur immobilier et d'aboutir à la certification des comptes.

La reconstruction du centre hospitalier de l'ouest guyanais, grâce à une aide nationale de 48 millions d'euros, permet de viser un retour à l'équilibre à moyen terme. Celui de Kourou, créé en janvier 2018, sera suivi par le Comité interministériel de performance et de la modernisation de l'offre de soins (Copermo).

M. Guillaume Arnell .  - La Guyane, comme beaucoup d'autres territoires ultramarins, traverse une crise dans le secteur de la santé, du social et du médico-social. La question de l'offre de soins est au centre de nos préoccupations.

Avec 4 000 évacuations sanitaires par an, pour un coût de 4 millions d'euros à 5 millions d'euros, l'équilibre budgétaire des centres hospitaliers est menacé.

Comment s'organise la coopération régionale avec les autres territoires français et pays limitrophes ? Quels outils pour mieux accompagner les patients et leur famille quand la situation médicale l'exige ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - L'évacuation peut être urgente ou programmée. L'ARS et l'assurance maladie élaborent une plateforme territoriale d'appui pour les transports complexes afin d'alléger la charge de travail pour les professionnels et gagner en lisibilité.

Autre piste, développer l'offre sur place et la coopération avec les Antilles. Il existe désormais une offre de cardiologie interventionnelle, assurée par une équipe martiniquaise. Une équipe martiniquaise vient une fois par mois pour traiter les patients et former les équipes. Les cas les plus complexes sont pris en charge en Martinique.

C'est un modèle gagnant/gagnant que nous souhaitons étendre à d'autres offres de soins. Un nouveau chef de service a été nommé à l'hôpital de Cayenne en septembre 2018 avec pour mission de restructurer les évacuations.

M. Guillaume Arnell.  - Cela ne peut plus durer. Il faut mettre fin à la dérive des évacuations sanitaires. À Saint-Martin, nous avons trouvé un palliatif. Des évacuations qui devaient relever de la desserte régulière se faisaient par Évasan (Évacuation sanitaire). Espérons que le Gouvernement sera plus attentif que par le passé...

M. Antoine Karam .  - Je remercie le président Milon de son intervention impartiale.

L'arrêté du 23 janvier créant le groupement hospitalier de territoire (GHT) qui réunit les centres hospitaliers de Saint-Laurent-du Maroni, de Kourou et de Cayenne doit résorber les difficultés de ces hôpitaux mais les enjeux sont considérables. Les inquiétudes du personnel médical persistent, je me permettrai de vous les relayer dans un courrier, monsieur le ministre.

L'offre de soins sera-t-elle réellement améliorée dans les sites les plus isolés ?

De plus, un GHT appelle un CHU qui pour le moment n'existe pas en Guyane. La création d'un CHU figure pourtant parmi les engagements du protocole d'accord du 9 juin 2017, arraché après 75 jours de grève, dont je suis l'un des cosignataires. À quand une UFR de médecine à l'université de Guyane ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Le GHT de Guyane est le plus étendu de France. Contrairement aux craintes qui s'étaient exprimées, il prend forme : les équipes travaillent à un projet médical partagé, des renforts ponctuels sont échangés, les patients sont orientés. Les établissements poursuivent une stratégie commune en matière de système d'information ou de ressources humaines, en évitant de se faire concurrence. Enfin, le programme Performance hospitalière pour des achats responsables (Phare) permettra une mutualisation entre les établissements.

Soyez convaincus de la volonté du ministère et de l'ARS de prendre en compte la spécificité de chaque territoire.

M. Antoine Karam.  - Le CHU marque la volonté des Guyanais de renverser la table pour changer l'image désastreuse d'un système de santé défaillant. Nous restons mobilisés.

Mme Laurence Cohen .  - Membre de la délégation de la commission des affaires sociales en Guyane et en Guadeloupe, j'ai pu constater que les attentes des Guyanais après le mouvement social de 2017 et les accords de Cayenne restent fortes. Un engagement avait été pris dans le protocole de fin de conflit sur la transformation du centre hospitalier de Cayenne en CHU. Le dossier est au point mort.

Comment un territoire de 300 000 habitants peut-il être privé de CHU ? Où en est ce projet et quand aboutira-t-il ?

En décembre 2018, j'ai alerté la ministre des outre-mer sur la prévalence du suicide dans les populations amérindiennes, qui souffrent d'isolement et de discrimination. Quelles mesures allez-vous prendre pour l'enrayer ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - La création d'un département universitaire est une prérogative des universités. Or il n'existe pas de faculté de médecine de Guyane. Le modèle d'avenir est celui de la consolidation du centre hospitalier de Cayenne comme établissement de référence. Le Gouvernement soutiendra fortement le développement de la recherche en Guyane.

Un rapport parlementaire de la sénatrice Archimbaud a attiré l'attention sur le suicide chez les Amérindiens, de plus en plus jeunes. Le programme « Bien-être des populations de l'intérieur », doté de 1,5 million d'euros, a été mis en place pour mieux les accompagner, notamment en renforçant leur estime de soi. L'ARS développe une formation nationale de prévention, une ligne téléphonique d'écoute, un dispositif de vigilance.

J'y serai très attentif lors de mon déplacement en Guyane, car il s'agit de protection de l'enfance.

Mme Laurence Cohen.  - Je salue la patience de mes collègues ultramarins. Vos réponses ne tiennent pas compte des retards accumulés en matière de politiques publiques de santé, de moyens humains et financiers. Les paroles doivent être suivies d'effet ! On peut toujours rêver d'un changement de cap...

M. Jean-Louis Lagourgue .  - Les difficultés de la métropole sont exacerbées en Guyane, plus vaste territoire de France et l'un des moins densément peuplé. L'accès aux soins est la première problématique de santé. Quelque 20 % de la population est issue de l'immigration, souvent clandestine, sans couverture sociale ; le taux de pauvreté atteint 44 % et le taux de fécondité, 3,5 enfants par femme.

L'éloignement du système de santé retarde le dépistage de maladies comme le VIH et les hôpitaux frontaliers sont particulièrement sollicités.

Il faut adapter la politique nationale pour répondre aux besoins des populations. Les accords du 21 avril 2017 ont débloqué un milliard d'euros ; quel en est le bilan ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Le Gouvernement a conscience des spécificités guyanaises - situation épidémiologique préoccupante, populations isolées - et décidé d'investir massivement.

Il est trop tôt pour tirer le bilan des mesures de 2017, qui sont en cours de déploiement. Nous avons créé le GHT, développé les coopérations, les maisons de santé.

J'entends l'impatience. L'outre-mer a trop longtemps été privé des investissements nécessaires pour rattraper son retard. Le plan Outre-mer 5.0, notamment, témoigne de la volonté du Gouvernement de garantir à nos concitoyens d'outre-mer des droits équivalents à ceux de l'Hexagone.

M. René-Paul Savary .  - Monsieur le ministre, allez sur le terrain ! Je n'ai pas été déçu du voyage en Guyane. Médecin, je n'imaginais pas qu'un territoire puisse connaître des problèmes de santé qui ont disparu depuis longtemps en France hexagonale.

On constate la prévalence des maladies infectieuses mais aussi de maladies chroniques : le nombre de diabétiques a doublé en dix ans et le nombre de décès de malades atteints de maladies cardiovasculaires est en hausse du fait d'une prise en charge trop tardive.

Le volet outre-mer de la stratégie nationale de santé prévoit un rattrapage qualitatif du système de santé. Mieux vaudrait faire de la Guyane un laboratoire d'innovation en s'appuyant sur la créativité des équipes de terrain. L'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 permet des expérimentations d'organisations innovantes en santé ouvertes et la loi Santé des protocoles de coopération rénovés.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Il est prévu que j'aille en Guyane. On ne peut pas comprendre les problèmes des Guyanais sans se rendre sur le territoire.

L'innovation sociale sur nos territoires doit être évaluée avant d'être éventuellement généralisée. Nul besoin de réinventer chaque matin le fil à couper le beurre.

L'ARS de Guyane a accompagné le centre hospitalier de Cayenne en ophtalmologie, pour développer les petits actes chirurgicaux hors hôpital. Même chose pour la diabétologie avec la promotion d'une prise en charge partagée. Nous soutenons ces projets et nous apportons un appui technique et méthodologique. L'ARS financera des formations dans quatre domaines : les pathologies chroniques stabilisées, la cancérologie, les maladies rénales chroniques et la psychiatrie.

M. René-Paul Savary.  - Vous n'avez pas du tout répondu à ma question. L'expérimentation, c'est de confier le dépistage ou la vaccination à d'autres acteurs que les médecins. Il faut réinventer le fil à couper le beurre en Guyane. Il y va de la santé de nos compatriotes.

M. Gérard Poadja .  - La Guyane et la Nouvelle-Calédonie connaissent les mêmes problèmes. Étendus, difficiles d'accès, ces deux territoires ont des caractères communs. L'un est isolé par la mer, l'autre par la forêt ; l'offre de soins y est concentrée dans les villes-centres. Tous deux peinent à recruter des médecins généralistes ou spécialistes pour les centres de santé et les dispensaires.

La pénurie des médecins spécialistes trouve son origine dans le numerus clausus et une faible attractivité due à une rémunération insuffisante. En outre, la sous-densité médicale conduit les médecins sur place à l'épuisement et au renoncement. Certes, des médecins « sac à dos » arrivent régulièrement de métropole pour trois à six mois, le temps d'un stage ou de la découverte du pays. Ils ne restent pas.

L'AP-HP a engagé un partenariat en 2018 avec la Guyane pour encourager l'arrivée de médecins spécialisés. Où en est-on ? Quid de la suppléance des médecins par d'autres professionnels de santé ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - La densité médicale en Guyane est trois fois inférieure à la moyenne et les médecins sont âgés. En 2005, une mesure dérogatoire a permis le recrutement de praticiens extracommunautaires.

Le dispositif « Assistants partagés », qui concerne les jeunes thésés, fait l'objet d'une forte promotion de l'ARS. Celle-ci développe aussi une plateforme d'appui aux professionnels de santé. Enfin, elle a contractualisé avec l'AP-HP en 2018, vous le disiez. Cette convention facilite l'intégration en Guyane de jeunes professionnels dont beaucoup craignaient une forme de solitude médicale.

Concernant l'évolution des pratiques des personnels paramédicaux pour pallier le manque de médecins, l'ARS se mobilise pour l'application des dispositions du plan Ma Santé 2022.

M. Michel Magras .  - La définition d'une politique de coopération sanitaire avec le Suriname permettrait de rééquilibrer la prise en charge des patients de part et d'autre du fleuve Maroni.

La pression migratoire est forte en Guyane car les conditions de prise en charge y sont plus favorables.

Le centre hospitalier de l'ouest guyanais subit les mêmes contraintes que le précédent : demande supérieure à sa capacité d'accueil, patientèle précaire, en situation irrégulière, ne parlant pas le français.

Le Maroni est une frontière mais aussi un bassin de vie où la coopération sanitaire aurait tout son sens. Une mission avait été confiée à Dominique Voynet en 2018. Où en est-on ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Lors de son déplacement en Guyane en 2017, le président de la République avait pu constater cette pression migratoire sur l'hôpital. Une mission a été confiée à Dominique Voynet et Marcel Renouf, trois groupes de travail mis en place. Des freins ont été identifiés, liés au tracé frontalier, à la faible couverture santé des Surinamais, aux orpailleurs brésiliens en situation irrégulière.

L'ARS a poursuivi ses travaux avec les autorités du Suriname. Une déclaration d'intention a été signée entre la Guyane et le Suriname en janvier 2017.

Une mission se penche sur les modalités d'accès des Guyanais aux équipements de radiothérapie et à l'AZT. Enfin l'ARS a mis en place une coopération avec le Brésil sur le paludisme, avec la mise à disposition de kits d'autodiagnostic et d'autotraitement.

M. Michel Magras.  - Certaines questions propres à nos territoires trouveraient solution si l'on prenait en compte leur contexte, dans une approche intégrée. Elles nécessitent souvent des solutions dérogatoires et innovantes qui supposent une volonté politique forte et assumée. Je ne suis pas certain qu'elle soit là.

Mme Victoire Jasmin .  - Terre française en Amérique du Sud, la Guyane abrite le fleuron qu'est la base spatiale de Kourou. Pourtant, ce territoire enclavé manque cruellement de moyens en matière de santé. Qu'il s'agisse des femmes, de l'accompagnement prénatal, de la prévention des maladies infectieuses ou sexuelles, le compte n'y est pas. Il faut développer la prévention primaire et l'éducation plurilingue à la santé.

Interrompues depuis 2005, les collectes de sang sont pourtant indispensables pour la prise en charge de la drépanocytose. Il est impératif de pouvoir collecter du sang en Guyane car il faut limiter les transports de sang depuis les Antilles ou la Métropole, les plaquettes ayant une durée de vie courte. Que comptez-vous faire ? Quand le CHU verra-t-il le jour ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - La collecte de sang a été arrêtée en 2005 à cause de la prévalence de la maladie de Chagas et du paludisme, et d'accidents avérés de transfusion. La reprise de cette collecte est envisageable si les conditions de sécurité sont réunies. Une expertise a été demandée à l'Établissement français du sang et à Santé publique France. Nous vous tiendrons au courant.

M. Alain Milon .  - Le 1er février 2019, le GHT de Guyane est devenu le plus vaste de France. Il réunit les établissements de Cayenne, Kourou et Saint-Laurent-du-Maroni. L'acte II des GHT engage la mutualisation des ressources humaines médicales. Or, en Guyane, certaines spécialités sont en souffrance, comme la cardiologie ou la chirurgie. La perspective d'une mutualisation pose la question de l'accès aux soins sur un territoire aussi vaste. Quelle sera votre stratégie pour renforcer le pôle hospitalier de Guyane dans le respect de l'équilibre des territoires ? Comment valoriser l'attractivité médicale et préserver l'excellence médicale en l'absence de CHU ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - L'université dispose de sa propre stratégie de développement. Il n'existe pas de département de médecine à l'Université de Guyane et ce n'est pas dans les projets actuels de l'université. Les étudiants doivent se rendre à l'université de Guadeloupe. La création d'un CHU en Guyane est difficile à envisager.

Le modèle du centre hospitalier de Cayenne privilégie la consolidation de ce qui existe. Pour autant, le ministère de la santé soutient la recherche en Guyane. En témoigne la construction d'un bâtiment dédié à la recherche à l'hôpital de Cayenne. La Guyane peut devenir une référence pour la recherche sur les maladies infectieuses.

Des campagnes de promotion pour l'assistanat partagé sont mises en place par l'ARS qui devrait encourager l'installation de professionnels de santé en Guyane.

M. Maurice Antiste .  - L'appareil de soins n'est pas adapté à un territoire de plus de 80 000 km2 dont la population est en forte augmentation. L'inégale répartition de l'offre de soins a pour conséquence une crise sanitaire, d'autant plus que la Guyane fait face à de nombreuses pathologies infectieuses et chroniques, sans compter la drépanocytose !

Ce n'est pas à la Guyane de s'adapter au modèle de santé métropolitain, mais plutôt l'inverse. Le niveau d'équipement est deux à trois fois inférieur à celui de l'Hexagone et les besoins en ressources humaines sont importants : d'ici 2030, il faudrait 71 généralistes, 51 spécialistes, 33 chirurgiens-dentistes, 13 sages-femmes, 162 infirmières.

Que dire des besoins en périnatalité, du retard dans l'accueil des handicapés, de la difficulté de se procurer les médicaments prescrits ?

Il faut des mesures fortes d'urgence : création d'un CHU, coopération régionale, annulation de la dette des hôpitaux... La Guyane est une terre de paradoxes, d'infinis : infiniment grande pour sa capacité à exploiter l'espace, infiniment petite dans son incapacité à lutter contre les virus pathogènes. (Mme Nassimah Dindar applaudit.)

Mme Laurence Cohen.  - Bravo !

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Oui, c'est au système de s'adapter à la Guyane et non l'inverse. Le GHT favorisera la coopération entre les établissements, par exemple sur les achats. Cinq maisons de santé professionnelle ont été créées. Les investissements du centre hospitalier de Cayenne ont été financés à 100 % et 55 millions d'euros consacrés au centre hospitalier de Saint-Laurent-du-Maroni. La création d'un CHU n'améliorerait en rien la santé des Guyanais.

La protection maternelle et infantile, sujet qui m'est cher, a fait l'objet d'un rapport de Michèle Peyron. Une campagne de rattrapage vaccinal est également prévue.

Mme Chantal Deseyne .  - Notre commission a adopté en juillet un rapport préconisant de renforcer la prévention du VIH et d'améliorer la prise en charge des malades.

Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes et Guyane sont les trois régions les plus touchées. Si le nombre de nouvelles infections baisse à Paris, la situation est plus problématique en Guyane, où l'accès aux traitements préventifs reste difficile, alors que 1,6 % des moins de 15 ans sont touchés contre 0,5 % en métropole. Immigration, notamment en provenance d'Haïti, prostitution liée au développement des chantiers d'orpaillage en sont les causes principales.

Pourquoi ne pas avoir étendu à la Guyane l'expérimentation « Au labo, sans ordo » qui permet un dépistage gratuit ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Alors que le VIH recule dans l'Hexagone, la Guyane est le département le plus touché par le VIH. La principale difficulté réside dans le dépistage, insuffisant et trop tardif. L'habitat disséminé est source de difficultés.

Nous devons améliorer le dépistage en ciblant les diverses populations et en le combinant à celui des autres pathologies, au plus près des populations. Il doit être diversifié régulièrement dans ses modalités, ciblé et adapté aux conditions locales, en tenant compte de la diversité culturelle et linguistique, de l'analphabétisme, selon la logique de « l'aller vers », avec des équipes mobiles et des médiateurs culturels.

La stratégie de prise en charge évolue vers plus d'autonomisation des patients. Nous travaillons avec le Brésil, à travers le programme « Oyapock coopération santé », à renforcer la prévention des risques.

Quant à l'expérimentation « Au labo sans ordo », le remboursement dérogatoire de l'examen de biologie médicale non prescrit, réalisé à la demande du patient, a été accepté par les caisses primaires d'assurance maladie volontaires, de Nice et de Paris.

M. Alain Milon, président de la commission .  - Merci à l'ensemble des intervenants, dont vous, monsieur le ministre.

La santé révèle les fragilités d'un territoire. Ces défaillances sont ressenties comme une injustice criante.

La singularité des frontières doit être prise en compte. La commission des affaires sociales le verra sans doute bientôt à Mayotte. Ces départements sont pauvres par rapport à l'Hexagone mais ils constituent une sorte d'Eldorado par rapport aux territoires frontaliers, les Comores pour Mayotte, l'Amérique latine pour la Guyane.

La situation difficile de la Guyane est une opportunité à saisir, qui nous oblige à être inventifs, à trouver des coopérations entre professionnels de santé - qui peinent à se mettre en place dans l'Hexagone - et avec les autres pays et vous avez évoqué la coopération transfrontalière avec le Suriname.

Il semble que l'offre de soins ne soit pas si mauvaise dans ce pays ; c'est donc pour des raisons autres que médicales que le fleuve est franchi. Les territoires, telle la Guyane, qui concentrent des difficultés particulières, méritent toute l'attention de la République. (Applaudissements)

Prochaine séance, mardi 8 octobre 2019, à 14 h 30.

La séance est levée à 17 h 35.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Jean-Luc Blouet

Chef de publication

Annexes

Ordre du jour du mardi 8 octobre 2019

Séance publique

À 14 h 30

Présidence : M. Gérard Larcher, président

1. Éloge funèbre de Philippe Madrelle

À 15 h 15 et le soir

Présidence : M. Gérard Larcher, président Mme Valérie Létard, vice-présidente M. Thani Mohamed Soilihi, vice-président

2. Projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique (procédure accélérée ; texte de la commission n° 13, 2019-2020)