Santé en Guyane

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle un débat sur la santé en Guyane, à la demande de la commission des affaires sociales.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales .  - Le vaste territoire français recouvert par la forêt amazonienne qu'est la Guyane possède de nombreux atouts. Mais il fait aussi face, pour des raisons géographiques, démographiques et sociales, à des défis singuliers, même en comparaison avec les autres collectivités ultramarines.

Le Sénat utilise toujours l'expression d'outre-mer au pluriel, conscient que le copier-coller est inopérant pour ces territoires. C'est pourquoi j'ai souhaité que le Sénat consacre un temps spécifique à la santé en Guyane, deux ans après la fin du mouvement social et les accords de Cayenne.

La progression démographique, cinq fois plus dynamique que la moyenne, met tout le système de santé sous pression. Professionnels de santé épuisés, vétusté des équipements, précarité sociale - entre 20 % et 30 % des patients n'ont pas de couverture sociale ou pas de papiers d'identité -, turnover des équipes...

L'enclavement du territoire intérieur est terrible : moins de la moitié des dix-huit centres délocalisés de prévention ont une présence médicale continue.

Le coût des évacuations sanitaires grève les budgets.

L'ensemble de la Guyane, avec moins de 600 médecins en activité, est en déficit.

Tous les métiers sont en souffrance, mais la pédiatrie et la néonatalité sont particulièrement touchées, alors que la Guyane enregistre 9 000 naissances par an et que 40 % de la population a moins de 20 ans.

La Guyane devrait être à l'avant-garde de la transformation du système de santé en s'appuyant sur l'innovation. Je pense à la coopération : les sages-femmes et les infirmiers pourraient être des relais, par exemple. Je reviendrai sur le constat de la Cour des comptes, sollicitée par notre commission, sur la prévention et le traitement du VIH.

Il est crucial de développer des formations d'infirmiers et de sages-femmes. Sans être un CHU, l'hôpital de Cayenne a des services de pointe qui mériteraient d'en faire un centre de référence. La place des médecins diplômés hors Union européenne pourrait être élargie - sans transiger avec la qualité. Je pense à Cuba, où la formation des médecins est particulièrement intéressante.

Comment répondrez-vous à l'urgence de l'attractivité médicale de la Guyane ? Certains aspects rapprochent cette dernière de Mayotte, où j'ai souhaité que la commission se déplace en 2020.

Dominique Voynet et le préfet Marcel Renouf ont été chargés par le Premier ministre d'une mission sur la coopération frontalière. Qu'en est-il ?

Dans ce débat, les enjeux sont transverses. Tous les problèmes ne trouveront pas une solution aisée, mais vous pouvez compter sur notre détermination. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et Les Républicains)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé .  - Permettez-moi de rendre hommage à un grand homme politique décédé récemment, ami des outre-mer, et notamment de la Guyane, où il avait effectué neuf déplacements. Il avait déclaré : « C'est grâce en grande partie à ces territoires des outre-mer que la France est, et reste une grande Nation ». Il est aussi à l'origine de la journée nationale, le 10 mai, de commémoration de l'abolition de l'esclavage. Il avait compris la richesse de ce territoire, mais aussi les défis immenses, là où tout n'est qu'extrêmes. En effet, la population a doublé en vingt ans ; les moins de 20 ans représentent 40 % de la population ; il y a dix fois plus d'homicides qu'en métropole ; l'économie est nourrie à 90 % par la commande publique.

Or la Guyane est trois fois moins équipée que la moyenne nationale. Le diagnostic que fait la commission des affaires sociales est sévère. Je profite de l'occasion pour prier les élus guyanais de m'excuser pour avoir dû reporter mon déplacement, mais je me rendrai sur place avant la fin de l'année.

Ce n'était pas un hasard si le président de la République s'y était rendu dès le début de son mandat. Le Gouvernement avait décrété une mobilisation générale : pas moins de 25 millions d'euros ont ainsi été apportés à l'hôpital de Saint-Laurent-du-Maroni, l'hôpital de Kourou qui était à vendre a été transformé en hôpital public, et 20 millions d'euros ont abondé le budget de Cayenne pour combler les déficits.

Au-delà de la rénovation des infrastructures, il s'agit également de lutter contre le manque de professionnels. La densité des généralistes sur le territoire est deux fois moindre qu'en métropole. Mais la densité de sages-femmes est plus élevée qu'ailleurs.

Avec l'ARS, nous mettons tout en oeuvre pour attirer des professionnels dans le territoire, et la tendance est plutôt favorable.

Trois mesures améliorent l'accès aux soins : les trois maisons de santé ; le plan de prévention avec la création de 100 postes d'assistants spécialistes à temps partagé, dont certains fléchés pour l'outre-mer ; la contractualisation de l'ARS avec l'AP-HP, afin de mieux superviser les partenariats et les échanges, avec des effets intéressants dans certaines filières.

Mais il faut prendre en compte d'autres facteurs : schéma routier, partenariat avec les pays voisins, de manière à admettre certains de leurs ressortissants tout en contrôlant l'afflux.

Soyez assurés que le ministère des solidarités et de la santé a pleinement conscience de la spécificité des problèmes de ce territoire, mais aussi de ses richesses et de son potentiel.

La Guyane a besoin que l'État tienne parole et fasse preuve d'une volonté sans faille. Comme l'a dit le chef de l'État, les territoires d'outre-mer sont des trésors pour la République : c'est la République dans tous les océans.

Mme Nassimah Dindar .  - M. Milon a anticipé mes questions. Tout le territoire guyanais est classé déficitaire en offre de soins ; pédiatrie, PMI, accompagnement du handicap, places en Ehpad, tous les indicateurs sont au rouge, alors que le public est très vulnérable. Les professionnels de santé sont en situation de crise permanente. L'offre de soins n'est pas adaptée à l'organisation territoriale. Les cinq bassins de population identifiés - vallée du bas Maroni, vallée du haut Maroni, vallée de l'Oyapock, bassin des savanes ou centre littoral avec l'île de Cayenne - ne sont pas également desservis par les trois maisons de santé.

Le transport de malades ne pouvant être assuré par ambulance, il faut des hélicoptères. La démographie galopante, aggravée par l'immigration, asphyxie les centres de santé.

Quelles aides le Gouvernement accordera-t-il à la Guyane, dans le cadre du projet de l'hôpital connecté ? Et quelles perspectives en termes de coopération transfrontalière ?

Mme la présidente.  - Je rappelle que les orateurs n'ont que deux minutes pour s'exprimer.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Sur l'accès aux soins, je vous renvoie à mon propos liminaire.

Une mission a été confiée en 2018 à Dominique Voynet et Marcel Renouf, avec pour objectif un accord de coopération entre la Guyane et le Suriname. Cinq comités de pilotages se sont tenus entre juin 2018 et février 2019. Malheureusement, cela n'a pas abouti, et l'ARS de Guyane a pris le relais dans les discussions, dans l'attente que l'accord se concrétise.

M. Bernard Jomier .  - Les grands indicateurs de santé de la Guyane sont dégradés : 79,8 ans d'espérance de vie, une mortalité infantile trois fois supérieure à la moyenne nationale. La démographie galope ; 260 000 habitants en 2016, 300 000 aujourd'hui. Il est donc impératif de résorber les inégalités de santé, ce qui exige des moyens significatifs.

Le nouvel hôpital a été inauguré il y a un an à Saint-Laurent-du-Maroni. Celui de Kourou a intégré le secteur public hospitalier. À Cayenne, la situation financière a été redressée et les premières modernisations sont en cours, avec un service de chirurgie et 40 millions d'euros d'investissements complémentaires.

Ce n'est qu'une première étape.

Quels sont les projets du Gouvernement pour améliorer l'offre hospitalière en Guyane et résorber les déséquilibres structurels ? Le coefficient géographique ne prend pas en compte les spécificités des charges qui pèsent sur les hôpitaux guyanais.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - La situation des hôpitaux publics guyanais est paradoxale. Malgré la hausse des besoins de santé, les établissements demeurent fragiles : difficulté à facturer, à recouvrer les sommes dues, manque d'attractivité du territoire, précarité des publics, notamment immigrés.

Entre 2016 et 2018, 50 millions d'euros d'aide exceptionnelle ont été versés au centre hospitalier de Cayenne ; 9 millions d'euros ont été accordés en revalorisation pérenne des dotations. L'établissement a été placé sous administration provisoire par l'ARS, ce qui a permis de conforter le schéma directeur immobilier et d'aboutir à la certification des comptes.

La reconstruction du centre hospitalier de l'ouest guyanais, grâce à une aide nationale de 48 millions d'euros, permet de viser un retour à l'équilibre à moyen terme. Celui de Kourou, créé en janvier 2018, sera suivi par le Comité interministériel de performance et de la modernisation de l'offre de soins (Copermo).

M. Guillaume Arnell .  - La Guyane, comme beaucoup d'autres territoires ultramarins, traverse une crise dans le secteur de la santé, du social et du médico-social. La question de l'offre de soins est au centre de nos préoccupations.

Avec 4 000 évacuations sanitaires par an, pour un coût de 4 millions d'euros à 5 millions d'euros, l'équilibre budgétaire des centres hospitaliers est menacé.

Comment s'organise la coopération régionale avec les autres territoires français et pays limitrophes ? Quels outils pour mieux accompagner les patients et leur famille quand la situation médicale l'exige ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - L'évacuation peut être urgente ou programmée. L'ARS et l'assurance maladie élaborent une plateforme territoriale d'appui pour les transports complexes afin d'alléger la charge de travail pour les professionnels et gagner en lisibilité.

Autre piste, développer l'offre sur place et la coopération avec les Antilles. Il existe désormais une offre de cardiologie interventionnelle, assurée par une équipe martiniquaise. Une équipe martiniquaise vient une fois par mois pour traiter les patients et former les équipes. Les cas les plus complexes sont pris en charge en Martinique.

C'est un modèle gagnant/gagnant que nous souhaitons étendre à d'autres offres de soins. Un nouveau chef de service a été nommé à l'hôpital de Cayenne en septembre 2018 avec pour mission de restructurer les évacuations.

M. Guillaume Arnell.  - Cela ne peut plus durer. Il faut mettre fin à la dérive des évacuations sanitaires. À Saint-Martin, nous avons trouvé un palliatif. Des évacuations qui devaient relever de la desserte régulière se faisaient par Évasan (Évacuation sanitaire). Espérons que le Gouvernement sera plus attentif que par le passé...

M. Antoine Karam .  - Je remercie le président Milon de son intervention impartiale.

L'arrêté du 23 janvier créant le groupement hospitalier de territoire (GHT) qui réunit les centres hospitaliers de Saint-Laurent-du Maroni, de Kourou et de Cayenne doit résorber les difficultés de ces hôpitaux mais les enjeux sont considérables. Les inquiétudes du personnel médical persistent, je me permettrai de vous les relayer dans un courrier, monsieur le ministre.

L'offre de soins sera-t-elle réellement améliorée dans les sites les plus isolés ?

De plus, un GHT appelle un CHU qui pour le moment n'existe pas en Guyane. La création d'un CHU figure pourtant parmi les engagements du protocole d'accord du 9 juin 2017, arraché après 75 jours de grève, dont je suis l'un des cosignataires. À quand une UFR de médecine à l'université de Guyane ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Le GHT de Guyane est le plus étendu de France. Contrairement aux craintes qui s'étaient exprimées, il prend forme : les équipes travaillent à un projet médical partagé, des renforts ponctuels sont échangés, les patients sont orientés. Les établissements poursuivent une stratégie commune en matière de système d'information ou de ressources humaines, en évitant de se faire concurrence. Enfin, le programme Performance hospitalière pour des achats responsables (Phare) permettra une mutualisation entre les établissements.

Soyez convaincus de la volonté du ministère et de l'ARS de prendre en compte la spécificité de chaque territoire.

M. Antoine Karam.  - Le CHU marque la volonté des Guyanais de renverser la table pour changer l'image désastreuse d'un système de santé défaillant. Nous restons mobilisés.

Mme Laurence Cohen .  - Membre de la délégation de la commission des affaires sociales en Guyane et en Guadeloupe, j'ai pu constater que les attentes des Guyanais après le mouvement social de 2017 et les accords de Cayenne restent fortes. Un engagement avait été pris dans le protocole de fin de conflit sur la transformation du centre hospitalier de Cayenne en CHU. Le dossier est au point mort.

Comment un territoire de 300 000 habitants peut-il être privé de CHU ? Où en est ce projet et quand aboutira-t-il ?

En décembre 2018, j'ai alerté la ministre des outre-mer sur la prévalence du suicide dans les populations amérindiennes, qui souffrent d'isolement et de discrimination. Quelles mesures allez-vous prendre pour l'enrayer ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - La création d'un département universitaire est une prérogative des universités. Or il n'existe pas de faculté de médecine de Guyane. Le modèle d'avenir est celui de la consolidation du centre hospitalier de Cayenne comme établissement de référence. Le Gouvernement soutiendra fortement le développement de la recherche en Guyane.

Un rapport parlementaire de la sénatrice Archimbaud a attiré l'attention sur le suicide chez les Amérindiens, de plus en plus jeunes. Le programme « Bien-être des populations de l'intérieur », doté de 1,5 million d'euros, a été mis en place pour mieux les accompagner, notamment en renforçant leur estime de soi. L'ARS développe une formation nationale de prévention, une ligne téléphonique d'écoute, un dispositif de vigilance.

J'y serai très attentif lors de mon déplacement en Guyane, car il s'agit de protection de l'enfance.

Mme Laurence Cohen.  - Je salue la patience de mes collègues ultramarins. Vos réponses ne tiennent pas compte des retards accumulés en matière de politiques publiques de santé, de moyens humains et financiers. Les paroles doivent être suivies d'effet ! On peut toujours rêver d'un changement de cap...

M. Jean-Louis Lagourgue .  - Les difficultés de la métropole sont exacerbées en Guyane, plus vaste territoire de France et l'un des moins densément peuplé. L'accès aux soins est la première problématique de santé. Quelque 20 % de la population est issue de l'immigration, souvent clandestine, sans couverture sociale ; le taux de pauvreté atteint 44 % et le taux de fécondité, 3,5 enfants par femme.

L'éloignement du système de santé retarde le dépistage de maladies comme le VIH et les hôpitaux frontaliers sont particulièrement sollicités.

Il faut adapter la politique nationale pour répondre aux besoins des populations. Les accords du 21 avril 2017 ont débloqué un milliard d'euros ; quel en est le bilan ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Le Gouvernement a conscience des spécificités guyanaises - situation épidémiologique préoccupante, populations isolées - et décidé d'investir massivement.

Il est trop tôt pour tirer le bilan des mesures de 2017, qui sont en cours de déploiement. Nous avons créé le GHT, développé les coopérations, les maisons de santé.

J'entends l'impatience. L'outre-mer a trop longtemps été privé des investissements nécessaires pour rattraper son retard. Le plan Outre-mer 5.0, notamment, témoigne de la volonté du Gouvernement de garantir à nos concitoyens d'outre-mer des droits équivalents à ceux de l'Hexagone.

M. René-Paul Savary .  - Monsieur le ministre, allez sur le terrain ! Je n'ai pas été déçu du voyage en Guyane. Médecin, je n'imaginais pas qu'un territoire puisse connaître des problèmes de santé qui ont disparu depuis longtemps en France hexagonale.

On constate la prévalence des maladies infectieuses mais aussi de maladies chroniques : le nombre de diabétiques a doublé en dix ans et le nombre de décès de malades atteints de maladies cardiovasculaires est en hausse du fait d'une prise en charge trop tardive.

Le volet outre-mer de la stratégie nationale de santé prévoit un rattrapage qualitatif du système de santé. Mieux vaudrait faire de la Guyane un laboratoire d'innovation en s'appuyant sur la créativité des équipes de terrain. L'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 permet des expérimentations d'organisations innovantes en santé ouvertes et la loi Santé des protocoles de coopération rénovés.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Il est prévu que j'aille en Guyane. On ne peut pas comprendre les problèmes des Guyanais sans se rendre sur le territoire.

L'innovation sociale sur nos territoires doit être évaluée avant d'être éventuellement généralisée. Nul besoin de réinventer chaque matin le fil à couper le beurre.

L'ARS de Guyane a accompagné le centre hospitalier de Cayenne en ophtalmologie, pour développer les petits actes chirurgicaux hors hôpital. Même chose pour la diabétologie avec la promotion d'une prise en charge partagée. Nous soutenons ces projets et nous apportons un appui technique et méthodologique. L'ARS financera des formations dans quatre domaines : les pathologies chroniques stabilisées, la cancérologie, les maladies rénales chroniques et la psychiatrie.

M. René-Paul Savary.  - Vous n'avez pas du tout répondu à ma question. L'expérimentation, c'est de confier le dépistage ou la vaccination à d'autres acteurs que les médecins. Il faut réinventer le fil à couper le beurre en Guyane. Il y va de la santé de nos compatriotes.

M. Gérard Poadja .  - La Guyane et la Nouvelle-Calédonie connaissent les mêmes problèmes. Étendus, difficiles d'accès, ces deux territoires ont des caractères communs. L'un est isolé par la mer, l'autre par la forêt ; l'offre de soins y est concentrée dans les villes-centres. Tous deux peinent à recruter des médecins généralistes ou spécialistes pour les centres de santé et les dispensaires.

La pénurie des médecins spécialistes trouve son origine dans le numerus clausus et une faible attractivité due à une rémunération insuffisante. En outre, la sous-densité médicale conduit les médecins sur place à l'épuisement et au renoncement. Certes, des médecins « sac à dos » arrivent régulièrement de métropole pour trois à six mois, le temps d'un stage ou de la découverte du pays. Ils ne restent pas.

L'AP-HP a engagé un partenariat en 2018 avec la Guyane pour encourager l'arrivée de médecins spécialisés. Où en est-on ? Quid de la suppléance des médecins par d'autres professionnels de santé ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - La densité médicale en Guyane est trois fois inférieure à la moyenne et les médecins sont âgés. En 2005, une mesure dérogatoire a permis le recrutement de praticiens extracommunautaires.

Le dispositif « Assistants partagés », qui concerne les jeunes thésés, fait l'objet d'une forte promotion de l'ARS. Celle-ci développe aussi une plateforme d'appui aux professionnels de santé. Enfin, elle a contractualisé avec l'AP-HP en 2018, vous le disiez. Cette convention facilite l'intégration en Guyane de jeunes professionnels dont beaucoup craignaient une forme de solitude médicale.

Concernant l'évolution des pratiques des personnels paramédicaux pour pallier le manque de médecins, l'ARS se mobilise pour l'application des dispositions du plan Ma Santé 2022.

M. Michel Magras .  - La définition d'une politique de coopération sanitaire avec le Suriname permettrait de rééquilibrer la prise en charge des patients de part et d'autre du fleuve Maroni.

La pression migratoire est forte en Guyane car les conditions de prise en charge y sont plus favorables.

Le centre hospitalier de l'ouest guyanais subit les mêmes contraintes que le précédent : demande supérieure à sa capacité d'accueil, patientèle précaire, en situation irrégulière, ne parlant pas le français.

Le Maroni est une frontière mais aussi un bassin de vie où la coopération sanitaire aurait tout son sens. Une mission avait été confiée à Dominique Voynet en 2018. Où en est-on ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Lors de son déplacement en Guyane en 2017, le président de la République avait pu constater cette pression migratoire sur l'hôpital. Une mission a été confiée à Dominique Voynet et Marcel Renouf, trois groupes de travail mis en place. Des freins ont été identifiés, liés au tracé frontalier, à la faible couverture santé des Surinamais, aux orpailleurs brésiliens en situation irrégulière.

L'ARS a poursuivi ses travaux avec les autorités du Suriname. Une déclaration d'intention a été signée entre la Guyane et le Suriname en janvier 2017.

Une mission se penche sur les modalités d'accès des Guyanais aux équipements de radiothérapie et à l'AZT. Enfin l'ARS a mis en place une coopération avec le Brésil sur le paludisme, avec la mise à disposition de kits d'autodiagnostic et d'autotraitement.

M. Michel Magras.  - Certaines questions propres à nos territoires trouveraient solution si l'on prenait en compte leur contexte, dans une approche intégrée. Elles nécessitent souvent des solutions dérogatoires et innovantes qui supposent une volonté politique forte et assumée. Je ne suis pas certain qu'elle soit là.

Mme Victoire Jasmin .  - Terre française en Amérique du Sud, la Guyane abrite le fleuron qu'est la base spatiale de Kourou. Pourtant, ce territoire enclavé manque cruellement de moyens en matière de santé. Qu'il s'agisse des femmes, de l'accompagnement prénatal, de la prévention des maladies infectieuses ou sexuelles, le compte n'y est pas. Il faut développer la prévention primaire et l'éducation plurilingue à la santé.

Interrompues depuis 2005, les collectes de sang sont pourtant indispensables pour la prise en charge de la drépanocytose. Il est impératif de pouvoir collecter du sang en Guyane car il faut limiter les transports de sang depuis les Antilles ou la Métropole, les plaquettes ayant une durée de vie courte. Que comptez-vous faire ? Quand le CHU verra-t-il le jour ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - La collecte de sang a été arrêtée en 2005 à cause de la prévalence de la maladie de Chagas et du paludisme, et d'accidents avérés de transfusion. La reprise de cette collecte est envisageable si les conditions de sécurité sont réunies. Une expertise a été demandée à l'Établissement français du sang et à Santé publique France. Nous vous tiendrons au courant.

M. Alain Milon .  - Le 1er février 2019, le GHT de Guyane est devenu le plus vaste de France. Il réunit les établissements de Cayenne, Kourou et Saint-Laurent-du-Maroni. L'acte II des GHT engage la mutualisation des ressources humaines médicales. Or, en Guyane, certaines spécialités sont en souffrance, comme la cardiologie ou la chirurgie. La perspective d'une mutualisation pose la question de l'accès aux soins sur un territoire aussi vaste. Quelle sera votre stratégie pour renforcer le pôle hospitalier de Guyane dans le respect de l'équilibre des territoires ? Comment valoriser l'attractivité médicale et préserver l'excellence médicale en l'absence de CHU ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - L'université dispose de sa propre stratégie de développement. Il n'existe pas de département de médecine à l'Université de Guyane et ce n'est pas dans les projets actuels de l'université. Les étudiants doivent se rendre à l'université de Guadeloupe. La création d'un CHU en Guyane est difficile à envisager.

Le modèle du centre hospitalier de Cayenne privilégie la consolidation de ce qui existe. Pour autant, le ministère de la santé soutient la recherche en Guyane. En témoigne la construction d'un bâtiment dédié à la recherche à l'hôpital de Cayenne. La Guyane peut devenir une référence pour la recherche sur les maladies infectieuses.

Des campagnes de promotion pour l'assistanat partagé sont mises en place par l'ARS qui devrait encourager l'installation de professionnels de santé en Guyane.

M. Maurice Antiste .  - L'appareil de soins n'est pas adapté à un territoire de plus de 80 000 km2 dont la population est en forte augmentation. L'inégale répartition de l'offre de soins a pour conséquence une crise sanitaire, d'autant plus que la Guyane fait face à de nombreuses pathologies infectieuses et chroniques, sans compter la drépanocytose !

Ce n'est pas à la Guyane de s'adapter au modèle de santé métropolitain, mais plutôt l'inverse. Le niveau d'équipement est deux à trois fois inférieur à celui de l'Hexagone et les besoins en ressources humaines sont importants : d'ici 2030, il faudrait 71 généralistes, 51 spécialistes, 33 chirurgiens-dentistes, 13 sages-femmes, 162 infirmières.

Que dire des besoins en périnatalité, du retard dans l'accueil des handicapés, de la difficulté de se procurer les médicaments prescrits ?

Il faut des mesures fortes d'urgence : création d'un CHU, coopération régionale, annulation de la dette des hôpitaux... La Guyane est une terre de paradoxes, d'infinis : infiniment grande pour sa capacité à exploiter l'espace, infiniment petite dans son incapacité à lutter contre les virus pathogènes. (Mme Nassimah Dindar applaudit.)

Mme Laurence Cohen.  - Bravo !

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Oui, c'est au système de s'adapter à la Guyane et non l'inverse. Le GHT favorisera la coopération entre les établissements, par exemple sur les achats. Cinq maisons de santé professionnelle ont été créées. Les investissements du centre hospitalier de Cayenne ont été financés à 100 % et 55 millions d'euros consacrés au centre hospitalier de Saint-Laurent-du-Maroni. La création d'un CHU n'améliorerait en rien la santé des Guyanais.

La protection maternelle et infantile, sujet qui m'est cher, a fait l'objet d'un rapport de Michèle Peyron. Une campagne de rattrapage vaccinal est également prévue.

Mme Chantal Deseyne .  - Notre commission a adopté en juillet un rapport préconisant de renforcer la prévention du VIH et d'améliorer la prise en charge des malades.

Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes et Guyane sont les trois régions les plus touchées. Si le nombre de nouvelles infections baisse à Paris, la situation est plus problématique en Guyane, où l'accès aux traitements préventifs reste difficile, alors que 1,6 % des moins de 15 ans sont touchés contre 0,5 % en métropole. Immigration, notamment en provenance d'Haïti, prostitution liée au développement des chantiers d'orpaillage en sont les causes principales.

Pourquoi ne pas avoir étendu à la Guyane l'expérimentation « Au labo, sans ordo » qui permet un dépistage gratuit ?

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Alors que le VIH recule dans l'Hexagone, la Guyane est le département le plus touché par le VIH. La principale difficulté réside dans le dépistage, insuffisant et trop tardif. L'habitat disséminé est source de difficultés.

Nous devons améliorer le dépistage en ciblant les diverses populations et en le combinant à celui des autres pathologies, au plus près des populations. Il doit être diversifié régulièrement dans ses modalités, ciblé et adapté aux conditions locales, en tenant compte de la diversité culturelle et linguistique, de l'analphabétisme, selon la logique de « l'aller vers », avec des équipes mobiles et des médiateurs culturels.

La stratégie de prise en charge évolue vers plus d'autonomisation des patients. Nous travaillons avec le Brésil, à travers le programme « Oyapock coopération santé », à renforcer la prévention des risques.

Quant à l'expérimentation « Au labo sans ordo », le remboursement dérogatoire de l'examen de biologie médicale non prescrit, réalisé à la demande du patient, a été accepté par les caisses primaires d'assurance maladie volontaires, de Nice et de Paris.

M. Alain Milon, président de la commission .  - Merci à l'ensemble des intervenants, dont vous, monsieur le ministre.

La santé révèle les fragilités d'un territoire. Ces défaillances sont ressenties comme une injustice criante.

La singularité des frontières doit être prise en compte. La commission des affaires sociales le verra sans doute bientôt à Mayotte. Ces départements sont pauvres par rapport à l'Hexagone mais ils constituent une sorte d'Eldorado par rapport aux territoires frontaliers, les Comores pour Mayotte, l'Amérique latine pour la Guyane.

La situation difficile de la Guyane est une opportunité à saisir, qui nous oblige à être inventifs, à trouver des coopérations entre professionnels de santé - qui peinent à se mettre en place dans l'Hexagone - et avec les autres pays et vous avez évoqué la coopération transfrontalière avec le Suriname.

Il semble que l'offre de soins ne soit pas si mauvaise dans ce pays ; c'est donc pour des raisons autres que médicales que le fleuve est franchi. Les territoires, telle la Guyane, qui concentrent des difficultés particulières, méritent toute l'attention de la République. (Applaudissements)

Prochaine séance, mardi 8 octobre 2019, à 14 h 30.

La séance est levée à 17 h 35.

Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,

Jean-Luc Blouet

Chef de publication