Modernisation de la distribution de la presse (Conclusions de la CMP)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la modernisation de la distribution de la presse.

M. Michel Laugier, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire .  - Ce texte qui réforme en profondeur la loi Bichet de 1947 était attendu, tant notre système de distribution était grippé.

Monsieur le ministre, vous avez mené le chantier à bien, avec courage et habileté. Ce texte, trouvant un point d'équilibre entre les diffuseurs, les éditeurs, les messageries et les dépositaires centraux, offre enfin des perspectives de développement et conforte le modèle économique de la presse. Je salue votre capacité d'écoute et celle de vos services.

Le premier principe du texte est la régulation entièrement confiée à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) : ainsi les nouvelles sociétés agréées oeuvreront, à compter de 2023, dans l'intérêt général.

Deuxième point, les sociétés de distribution seront placées au centre du système et pourront mener une véritable politique commerciale. Si la distribution de la presse d'information politique générale sera intangible, le reste de l'assortiment fera l'objet de négociations.

Troisième principe, la prise en compte de la distribution numérique de la presse. Mme Catherine Morin-Desailly reviendra prochainement en séance sur ce thème. Les deux chambres ont amélioré le texte ; le Sénat, à l'initiative de Jean-Pierre Leleux, garantit l'accès en réseau des nouveautés ; le sénateur Assouline a fait voter l'inclusion des principes d'indépendance, de continuité territoriale, et du pluralisme dans le cahier des charges des distributeurs.

L'avis du maire pour l'implantation des points de vente est redevenu un avis simple plutôt que conforme, comme nous l'avait proposé Mme Laborde : à la réflexion, je crois que cet avis simple est plus prudent. L'Assemblée nationale a mené un important travail de coordination du texte : le délai de 48 heures pour répondre à des problèmes relatifs à la distribution des quotidiens correspond aux engagements pris par le ministre au Sénat.

Seules deux divergences persistent. D'abord sur la question des dépositaires centraux, même si un compromis a été trouvé. Ensuite, l'Assemblée nationale est revenue à l'avis simple du maire pour l'installation de points de vente ; à la réflexion, c'est plus prudent.

À très court terme, il faut trouver une solution pour Presstalis dont la présidente va partir et les comptes restent déficitaires. Nous avons pu avancer depuis avril, et un défaut de la société serait désastreux.

À moyen terme, il faut adapter le réseau des vendeurs de presse, en améliorant leurs conditions d'exercice. Les éditeurs doivent mettre à niveau le système informatique défaillant.

À plus long terme, il faut s'assurer que le secteur pourra se passer du renflouement régulier de l'État, dont ce n'est pas le rôle. Nos débats ont mis en évidence de réelles convergences. La proposition de loi Assouline sur les droits voisins a été adoptée à l'unanimité par le Sénat et conforme par l'Assemblée nationale.

Monsieur le ministre, je compte sur vous pour mener Google à la raison. Je vous proposerai d'adopter ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

M. Franck Riester, ministre de la culture .  - Nous y voilà. On disait la réforme de la loi Bichet impossible et pourtant nous l'avons faite ; vous l'avez faite. Je vous remercie de votre travail, mené dans un esprit résolument constructif.

J'ai eu un grand plaisir à travailler avec vous, monsieur le rapporteur, avec vous, madame la présidente, en très bonne intelligence. Nous démontrons notre capacité à dépasser les clivages et arrière-pensées au service de l'intérêt général.

Il fallait moderniser sans casser les acquis du système. Ce projet de loi préserve le principe coopératif obligatoire, le droit absolu à la distribution de tous les titres d'information politique générale (IPG), l'accès à la pluralité des opinions sur tout le territoire.

Reporters sans frontières vient de le rappeler : attenter à la distribution de la presse, c'est un moyen d'attenter à la liberté de la presse elle-même, donc à la démocratie.

En dehors de l'information politique générale, les vendeurs auront davantage de choix dans les titres proposés. Les deux principales messageries auront le temps à se préparer à l'arrivée de concurrents.

Ce texte est le fruit d'un long travail de concertation. Je remercie les journalistes, les éditeurs, les marchands, les distributeurs de deuxième niveau et la présidente de Presstalis, Michèle Benbuman, dont le dévouement a été sans faille et les résultats incontestables ; les organisations syndicales et les salariés qui ont fait un effort important ; les messageries lyonnaises de presse ; enfin vous-mêmes et les députés pour le travail réalisé.

L'association des maires de France a contribué à un important mouvement qui associe aussi les maires à la distribution.

Je songe aussi à l'amendement de M. Lafon sur le rôle de l'Arcep dans l'assortiment.

Je me félicite de cette CMP conclusive, qui ouvre la voie à une promulgation rapide.

L'avenir de la presse dépend de sa distribution et d'un juste partage de la valeur créée. Vous avez porté cette ambition, Monsieur Assouline, Madame Morin-Desailly, avec la proposition de loi adoptée cet été sur les droits voisins.

Les déclarations de Google sur la question de la rémunération de la presse sont inacceptables. J'ai fermement réagi, tout comme plusieurs d'entre vous l'ont fait. Il est inenvisageable de répondre ainsi, en contradiction avec ce que le vice-président de Google France m'avait dit le matin même.

Mme Catherine Morin-Desailly.  - On ne peut pas leur faire confiance...

M. Franck Riester, ministre.  - Au niveau européen, nous allons contraindre Google à entrer dans des négociations collectives avec les éditeurs de presse.

Il convient de refondre la directive e-commerce pour responsabiliser les plateformes et les conduire à respecter les acteurs traditionnels de la presse. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; MM. David Assouline, Michel Laugier, rapporteur, et Mme Annick Billon applaudissent également.)

M. Claude Malhuret .  - La CMP est parvenue le 24 septembre à un accord sans surprise, signe que nos assemblées peuvent travailler de façon constructive pour sauver un symbole de notre démocratie.

La chute du volume de vente au numéro de 54 % en dix ans, la fermeture de nombreux points de vente sont les symptômes de la crise qui affecte la distribution.

Ce texte y répond, notamment en instaurant une quasi-liberté d'assortiment des titres, avec certains garde-fous - accès des titres d'IPG à tout le réseau et non-discrimination, en particulier.

Le Gouvernement a fait le choix de moderniser la loi Bichet en en conservant les grands principes. Ces principes sont plus que jamais d'actualité, et, pour reprendre les mots du Conseil National de la Résistance, il nous faut veiller à garder intact « la liberté de la presse, son honneur et son indépendance à l'égard de l'État, des puissances de l'argent et des influences étrangères ».

Nous nous félicitons de l'adoption par l'Assemblée nationale de l'amendement républicain visant à restreindre les parts pouvant être détenues par un actionnaire extracommunautaire dans une société de distribution de presse. Cela limitera l'immiscion de puissances étrangères, états ou multinationales, dans ce que notre démocratie a de plus sensible : l'opinion publique.

Monsieur le ministre, nous sommes attentifs au dialogue parfois abrasif que vous poursuivez avec les plateformes en ligne - vous y avez notre plein soutien.

La commission de la culture a souhaité associer le maire à la décision d'implantation sur sa commune d'un diffuseur de presse. Le Sénat a également renforcé les pouvoirs de l'Arcep, pour rendre plus efficace et plus transparente la régulation du secteur, notamment à l'égard du Parlement et des organisations professionnelles des diffuseurs de presse, qui seront consultées avant de fixer le cadre de leur rémunération.

Ce texte va dans le bon sens ; l'avenir de la presse dépend de son adoption. Nous ne pouvons que le soutenir. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean-Pierre Leleux .  - « La presse est un élément jadis ignoré, une force autrefois inconnue, introduite maintenant dans le monde. Pouvez-vous faire qu'elle n'existe pas ? Plus vous prétendrez la comprimer, plus l'explosion sera violente ». Ces mots de Chateaubriand restent d'actualité, alors que nous essayons de préserver le pluralisme de la presse.

Nous saluons l'accord sur ce texte en CMP. En première lecture, le Sénat avait apporté des améliorations notables, notamment une liberté accrue des points de vente de choisir leur assortiment pour mieux répondre à l'attente de leurs clients.

L'Arcep sera chargée de la régulation. Je dois aussi saluer les améliorations de l'Assemblée nationale. Les députés ont ainsi limité à 20 % les points pouvant être détenus dans un titre par un actionnaire extra-communautaire.

Il faudra surveiller la mise en oeuvre effective de cette loi.

Presstalis est proche de la faillite, mais ce texte ne traite pas de sa situation. Quelles sont les intentions du Gouvernement ?

L'article XI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme. Puisse ce texte contribuer à le renforcer ! Le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Céline Brulin .  - Le secteur de la presse connaît de profondes mutations : le numérique a bouleversé l'économie du secteur, les kiosques voient les invendus s'envoler. Les Gafam subtilisent, sous couvert de mise en relation, le travail de la presse traditionnelle. Google annonce d'ailleurs son intention de contourner la loi sur les droits voisins ; raison de plus pour légiférer courageusement et de faire respecter la souveraineté démocratique.

Il fallait adapter la législation existante mais sans rompre avec les valeurs de la loi Bichet qui ont porté la mise en place, à la libération, de notre système de distribution, fondé sur l'égalité d'accès à l'information sur tout le territoire et sur le pluralisme. La presse n'était pas traitée comme une vulgaire marchandise ; ne le perdons pas de vue.

Or monsieur le ministre, j'ai peur que ce texte ne propose pas de garde-fous suffisants. Le plan de distribution demandé aux sociétés agréées ne garantit pas l'égalité territoriale. Les effets délétères de la libéralisation se manifestent déjà, à commencer par le dépérissement de Presstalis, qui remontait pourtant la pente, et dont la présidente vient d'ailleurs de démissionner.

Je déplore l'absence de mécanisme efficace pour préserver les points de vente. Le pluralisme est menacé : je crains que la structure pyramidale mise en place ne crée des barrières tarifaires pour les petits titres moins rentables.

Enfin, nous restons réservés sur le rôle donné à l'Arcep. Vous appréhendez la régulation de la presse sous l'angle de la concurrence libre et non faussé, alors que l'information est un enjeu majeur de notre fonctionnement démocratique. Au-delà de ce renversement symbolique, cette nouvelle gouvernance sera-t-elle vraiment efficace ?

Faisant fi des recommandations des acteurs du secteur, ce texte reste décevant. Il ouvre la voie à des inégalités territoriales renforcées et à l'affaiblissement du pluralisme. La crise de confiance envers les médias exigeait pourtant des efforts pour la diffusion de l'information. C'est pourquoi le groupe CRCE ne votera pas ce projet de loi, qui est un rendez-vous manqué. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. David Assouline .  - La presse, pilier de notre démocratie, est menacée par la révolution numérique qui emporte les outils que nous avions mis en place pour préserver cette liberté fondamentale.

La loi Bichet, votée à la Libération, a garanti la diffusion d'une presse pluraliste sur tout le territoire, contribuant à enraciner le sentiment démocratique partout. Je craignais qu'en réformant cette loi, on n'en fragilise les principes fondamentaux. Cela n'a pas été le cas, le débat a été respectueux et le ministre comme le rapporteur se sont attachés à réformer sans casser.

Reste que la réforme ne me convient toujours pas. Elle arrive trop tôt ou trop tard. Le plan de redressement de Presstalis commençait à porter ses fruits sous l'impulsion de sa présidente. Mais l'annonce d'une loi qui ouvrait le secteur de la concurrence a bloqué ce développement, les clients ont préféré attendre.

Or si Presstalis déposait le bilan - le départ de sa présidente n'augure rien de bon - ce serait un séisme, quelle que soit la loi.

De même, la régulation de la presse doit-elle relever de l'Arcep ? La défense du pluralisme n'est pas une question économique mais éminemment politique, au coeur de la démocratie. Il est vrai toutefois que le texte, grâce aux apports de notre rapporteur, encadre les missions de l'Arcep pour respecter ces principes.

À la suite d'un engagement du Gouvernement, j'ai retiré - une fois n'est pas coutume - l'un de mes amendements visant à défendre les kiosquiers, souvent oubliés et négligés alors qu'ils sont le dernier lien avec les citoyens et assurent le maillage territorial. Leurs conditions de travail, leur protection sociale méritaient qu'on se penche sur leur sort. Le Gouvernement a tenu ses engagements en déposant un amendement à l'Assemblée nationale. Je l'en remercie.

Notre abstention ne traduit pas un manque d'engagement. Nous serons toujours là pour aider à surmonter la crise de la presse. Mais les annonces de Google hier montrent que le bras de fer continue. Je suis sûr que nous gagnerons grâce à une mobilisation au niveau européen. Soyons déterminés pour que jamais Google ne puisse se considérer au-dessus des lois édictées par les États.

M. Jean-Claude Requier .  - Notre belle histoire parlementaire est riche d'enseignements. Au lendemain de la Libération, après des débats animés sur le démantèlement du monopole d'Hachette, la loi Bichet était adoptée - son auteur, je le signale, était un député non pas communiste mais MRP. Elle a garanti une distribution indépendante de la presse afin qu'elle ne puisse dépendre du bon vouloir du pouvoir politique, en établissant un système coopératif unique au monde.

Mais l'émergence de la télévision et d'Internet a rebattu les cartes. Notre presse d'information politique et générale a tardé à adapter son modèle économique à la diffusion en ligne. Les dysfonctionnements de Presstalis n'ont fait qu'aggraver les choses et la presse papier apparaît désormais archaïque, d'où des difficultés pour les points de vente...

Sa crise nous oblige à revoir un système de distribution très généreux pour la presse de divertissement. Il fallait recentrer l'accessibilité sur la mission d'information, tout en préservant la presse spécialisée.

Ce texte apporte également une réponse aux préoccupations des kiosquiers, indispensables aux territoires tenus en marge de la transition numérique.

Nous nous félicitons que les grands principes de la loi Bichet aient été maintenus.

Grâce à nos amendements, la garantie du pluralisme figure désormais parmi les objectifs de l'Arcep, qui devra adapter ses pratiques à ce nouveau champ de compétences. Nous avons également été entendus sur la saisine en urgence de l'Agence en cas de litige lié à la distribution.

Nous avions proposé de transformer l'avis simple du maire en avis conforme en cas d'installation de points de presse en zone commerciale. Nous verrons à l'usage s'il est besoin d'y revenir.

Reste que l'information en ligne échappe aux règles garantissant le pluralisme, car elle repose sur un modèle économique traitant l'information comme un produit. Cela rend les choix des éditeurs plus opaques et enferme le citoyen dans un algorithme de préférences supposées sur lequel il n'a que peu de prise.

Mme Catherine Morin-Desailly .  - Cet accord en CMP est une grande satisfaction. En tant que présidente de la commission de la culture, je salue la qualité du travail réalisé par notre rapporteur, sa diplomatie et sa fermeté. Le Sénat a su faire entendre sa voix, grâce à un très large accord entre les groupes, sur ce texte comme sur la proposition de loi de M. Assouline. Le travail avec le ministère a aussi été harmonieux. J'espère qu'il en ira de même lors de l'examen de la future loi audiovisuelle.

Je veux aussi dire ma satisfaction en tant qu'élue locale. Les marchands de presse jouent un rôle crucial dans l'animation locale de notre démocratie. Le texte que nous avons amélioré préserve la spécificité française qu'est l'égalité de diffusion sur tout le territoire. Il place les marchands de presse au centre, grâce à un nouveau système leur garantissant une vraie autonomie dans les choix des titres pour s'adapter aux attentes du lectorat. Ce texte devrait enrayer la spirale mortifère des fermetures de kiosques.

À l'initiative de M. Laugier, le maire sera consulté avant toute ouverture de point de vente.

Ce projet de loi apporte une nouvelle pierre à la régulation du numérique, sujet qui m'est cher. Nous examinerons bientôt la proposition de loi sur les contenus en ligne. Or cette question appelle une stratégie d'ensemble, et je crains que la multiplication de lois ne nuise à la cohérence. Les moyens du régulateur devront être mieux définis.

L'annonce pleine de mépris de Google sur les droits voisins est scandaleuse ; elle m'a confortée dans ma conviction que l'on ne peut travailler en confiance avec les géants du numérique. Ils défient les institutions, pillent nos données personnelles, pratiquent l'optimisation fiscale, vantent la liberté mais refusent de payer pour l'information. Quel paradoxe !

Mme la présidente.  - Veuillez conclure.

Mme Catherine Morin-Desailly.  - La déclaration d'hier n'est pas une péripétie mais bien une déclaration de guerre. Monsieur le ministre, vous pouvez compter sur notre soutien et vous appuyer sur les travaux de notre commission pour défendre, au plan européen, une stratégie globale offensive. (Applaudissements sur les bancs des groupeUC et Les Républicains ; M. David Assouline applaudit également.)

La discussion générale est close.

Mme la présidente.  - Je rappelle qu'en application de l'article 42, alinéa 12 de notre Règlement, aucun amendement n'est recevable, sauf accord du Gouvernement. Le Sénat étant appelé à se prononcer avant l'Assemblée nationale, il statue par un seul vote sur l'ensemble du texte.

Le projet de loi est adopté.

La séance est suspendue à 13 h 25.

présidence de M. Philippe Dallier, vice-président

La séance reprend à 15 heures.