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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Modification de l'ordre du jour de la commission des affaires européennes

Bilan du soutien aux territoires ruraux les plus fragiles

M. Jean-Claude Requier, pour le groupe RDSE

M. Arnaud de Belenet

Mme Cécile Cukierman

Mme Nelly Tocqueville

Mme Maryse Carrère

M. Jean-Claude Luche

M. Daniel Chasseing

M. Charles Guené

M. Bernard Delcros

Mme Anne-Marie Bertrand

M. Jean-Paul Émorine

M. Bernard Fournier

M. Sébastien Lecornu, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé des collectivités territoriales

Délégation sénatoriale (Nomination)

Précarité énergétique des ménages

M. Fabien Gay, pour le groupe CRCE

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire

Mme Cécile Cukierman

M. Roland Courteau

Mme Françoise Laborde

M. Jean-Paul Prince

Mme Colette Mélot

M. Guillaume Chevrollier

Mme Françoise Cartron

M. Joël Bigot

Mme Denise Saint-Pé

M. Philippe Mouiller

Mme Angèle Préville

Mme Nicole Duranton

M. François Bonhomme

M. Louis-Jean de Nicolaÿ

M. Vincent Segouin

M. Fabien Gay

Lutte contre le mariage des enfants, les grossesses précoces et les mutilations sexuelles féminines

Discussion générale

Mme Annick Billon, auteure de la proposition de résolution

Mme Marta de Cidrac, auteure de la proposition de résolution

Mme Maryvonne Blondin

Mme Françoise Laborde

Mme Nassimah Dindar

Mme Colette Mélot

Mme Chantal Deseyne

Mme Patricia Schillinger

Mme Laurence Cohen

M. Loïc Hervé

Mme Nicole Duranton

Mme Brigitte Lherbier

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé

Explications de vote

Mme Annick Billon

M. Marc Laménie

Mme Hélène Conway-Mouret

Annexes

Ordre du jour du mardi 19 mars 2019

Analyse des scrutins publics

Nomination à une délégation




SÉANCE

du jeudi 14 mars 2019

70e séance de la session ordinaire 2018-2019

présidence de Mme Hélène Conway-Mouret, vice-présidente

Secrétaires : M. Éric Bocquet, M. Guy-Dominique Kennel.

La séance est ouverte à 10 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Modification de l'ordre du jour de la commission des affaires européennes

Mme la présidente.  - À la demande du Gouvernement, la réunion de la commission des affaires européennes consacrée au débat préalable au Conseil européen, initialement fixée cet après-midi à 17 heures ainsi que l'avait prévu la Conférence des présidents, a dû être avancée à 16 h 30. La séance ne pourra pas être levée avant que ne commence le débat.

Cette concomitance tout à fait exceptionnelle est liée à une contrainte d'agenda de la ministre. Je rappelle au Gouvernement qu'il doit apporter l'attention nécessaire à la bonne organisation de nos travaux.

Bilan du soutien aux territoires ruraux les plus fragiles

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle un débat sur le thème « Le bilan des dispositifs de soutien aux territoires ruraux les plus fragiles », à la demande du groupe RDSE.

M. Jean-Claude Requier, pour le groupe RDSE .  - Bonaparte, dont la figure est particulièrement liée à notre institution disait : « la répétition est la plus efficace des figures de rhétorique... » : c'est dans cet esprit que nous vous proposons un nouveau débat sur la ruralité, comme il y a deux ans.

Même en Île-de-France, la question rurale se pose pour les communes de la grande couronne avec encore plus d'acuité et d'urgence qu'il y a deux ans. Il faut donc faire un bilan du soutien à la ruralité.

Avec 80 % du territoire et 20 % de la population, malgré un dynamisme économique et démographique, les campagnes subissent le recul désastreux des services publics et l'établissement de déserts médicaux.

Depuis dix ans, l'État a certes engagé des actions pour soutenir les territoires ruraux, avec les pôles d'équilibre territoriaux et ruraux (PETR), chers à M. Vall, la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) qui a été augmentée en 2018, les zones de revitalisation rurale (ZRR) créées en 1995 pour favoriser l'implantation d'entreprises. Les pouvoirs publics agissent, le Sénat a mis en avant ces questions cruciales, mais les outils manquent d'efficacité, de lisibilité et de simplicité dans leur gouvernance.

Il est regrettable que, à rebours de la décentralisation, les ressources propres diminuent au bénéfice des subventions étatiques sur lesquelles les collectivités territoriales n'ont pas de prise. Comme l'a montré Loïc Hervé, les commissions départementales d'élus n'ont qu'un contrôle limité sur l'attribution des subventions - elles n'examinent d'ailleurs qu'un faible nombre de dossiers...

En juillet 2017, lors de la Conférence nationale des territoires, le président de la République avait appelé à un « pacte girondin », pour rapprocher la décision des territoires. Dans la ruralité, ce sont d'abord les élus municipaux qui font le lien avec les citoyens. Nous devons renforcer leur contrôle sur les dotations d'investissement. Ce n'est malheureusement pas ce qui se profile : l'instruction du 9 mars 2018 indique que la DETR a vocation à financer les priorités du Gouvernement !

Un peu de cohérence : un nouvel acte de la décentralisation, comme le président de la République a semblé le vouloir, demande que l'on commence, au moins, par réduire l'écart de DGF par habitant entre les territoires urbains et ruraux !

Les outils à disposition doivent être renforcés pour être efficaces. Les PETR permettent à plusieurs EPCI de s'unir autour d'un projet de territoire. Ces territoires structurés sont un outil pertinent mais des améliorations pourraient permettre de renforcer le dialogue et la solidarité entre rural et urbain. Les EPCI sont une opportunité pour les services de proximité.

Mais l'IFOP a montré en novembre 2018, dans son étude « Les Français et leurs maires », la déception des élus municipaux face à des EPCI trop centralisés. Et je ne parle pas de la loi Nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) ; ce débat n'y suffirait pas.

Le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et le Fonds européen de développement économique régional (Feder), gérés depuis 2014 par les régions, ne sont pas assez lisibles. Il serait utile, aussi, de renforcer le département comme échelon de proximité, tout en favorisant le droit à l'expérimentation.

De même, il faut faire un bilan précis des ZRR et des contrats de ruralité, qui sont vitaux mais dont l'efficacité est contrastée. La nouvelle carte des ZRR, définie lors de la loi de finances rectificative de 2015, exclut des communes qui devraient avoir droit à ces aides, mais dont les EPCI sortent des critères. Est-il bien efficace d'attribuer ces financements à 15 000 communes, au risque de saupoudrer l'action publique ?

Il faut réfléchir à l'instauration d'un contrat unique, comme le suggérait Alain Bertrand dans son rapport sur l'hyper-ruralité en 2014.

Les territoires ont besoin de plus de lisibilité, d'un financement sécurisé et de plus de confiance dans les collectivités, en renforçant la décentralisation.

Monsieur le ministre, vous savez combien la ruralité est inhérente à l'identité du groupe RDSE. Nous avons déposé de nombreuses propositions de loi sur ces thèmes, sur le désenclavement des territoires, la désertification bancaire, l'Agence nationale de la cohésion des territoires...

Mais seule une action volontariste de l'État, dans une relation de confiance avec les collectivités territoriales, pourra traiter cette question. C'est tout l'enjeu de ce débat. (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Arnaud de Belenet .  - Merci au groupe RDSE pour ce débat, particulièrement important pour le Sénat et pour le groupe LaREM en particulier, tant les soubresauts que connaissent les territoires ruraux montrent que les tensions y sont exacerbées. Ce débat pourrait être l'occasion de faire un constat catastrophique et de céder à la tentation d'instrumentaliser des questions qui compliquent la vie des maires : écoles, restriction des services publics nationaux, dotations...

Je m'efforcerai de ne pas céder à la tentation de faire ce constat larmoyant - et me tournerai plutôt vers l'avenir.

Cependant, on doit dire combien la baisse des dotations intervenue depuis 2011 est forte, et qu'elle se conjugue avec la baisse de la population et les effets de l'intercommunalité : pour les petites communes rurales, c'est la triple peine.

Au-delà de ce constat, nous voyons aussi des dynamiques fortes dans la politique du Gouvernement. Je note par exemple que la contractualisation avec les opérateurs téléphoniques répond aux attentes, il y aura 5 000 équipements nouveaux d'ici 2025, de même qu'avec le déploiement de la fibre : le programme d'action est fort parce qu'il en va de la revitalisation des territoires ruraux. Avec l'action « Coeur de ville », c'est la question des centralités dans le monde rural qui a retenu toute l'attention du Gouvernement. Il y a encore le plan Santé, avec la revalorisation des services de proximité, qui garantit 500 hôpitaux de proximité et augmente le nombre d'assistants médicaux. La ruralité est également prise en compte dans la loi d'orientation des mobilités (LOM), la réforme de la fonction publique territoriale, le soutien au numérique en milieu rural, la formation professionnelle, l'apprentissage - et, bien entendu, l'école, avec l'engagement tenu de ne pas fermer d'école.

Il y a une grande distorsion entre le sentiment de déclassement et la réalité de l'ambition gouvernementale et des dynamiques enclenchées.

Sur un plan opérationnel, je ferai quatre remarques.

En matière de DETR, la commission départementale n'examine que les projets dépassant 100 000 euros, elle ignore tout des nombreuses subventions accordées aux projets moins coûteux ; la moindre des choses serait que les préfets informent la commission de ses choix pour ces projets plus petits.

Il y a, ensuite, une question spécifique pour les très petites communes qui sont à quelques milliers d'euros près - et dont les élus, c'est devenu un exemple largement cité, en sont à tondre par leurs propres moyens les espaces publics communaux... Le mouvement des gilets jaunes pointe ce sujet avec beaucoup d'acuité. Pourquoi ne pas prévoir des moyens spécifiques, dédiés à ces situations ? Cela coûterait certes 400 ou 500 millions d'euros, je connais la réponse de M. Darmanin, mais ce serait une façon d'améliorer les choses pour les élus de ces petites communes.

Les réformes à venir, ensuite, en particulier celle de la fonction publique territoriale, sont l'occasion d'améliorer les choses, d'être plus efficace - je pense, par exemple, à la possibilité que plusieurs communes, via un centre de gestion, emploient un même agent public, c'est un levier pour renforcer les services de proximité.

Enfin, la notion de différenciation doit être au coeur de l'action en direction des territoires ruraux, elle est indispensable à la réussite de toutes nos politiques pour ces territoires. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et RDSE ; M. Philippe Bonnecarrère et Mme Nelly Tocqueville applaudissent également.)

Mme Cécile Cukierman .  - Merci au groupe RDSE pour ce débat, dont le sujet sous-jacent porte sur les moyens - car ils ont baissé drastiquement ces dernières années.

Je parlerai de ce que les territoires ruraux ont en moins. Attachée à l'égalité républicaine, je m'insurge contre les inégalités de DGF ; 16 745 communes, soit 47 % de l'ensemble, ont vu leur DGF diminuer en 2018 ; c'est le cas pour 70 % des communes de la Loire, département à 80 % rural et où, en cinq ans, la DGF est passée de 147 à 104 millions d'euros - c'est dramatique, sachant que les communes rurales investissent le plus.

Selon que la commune soit considérée comme rurale ou urbaine, la DGF varie entre 65 et 130 euros par habitant.

L'avenir des communes rurales repose sur une politique d'aménagement territorial volontariste, et les pouvoirs publics doivent laisser plus de place aux élus de terrain, qui connaissent la réalité. Pour rendre les territoires plus attractifs, il faut des moyens et une volonté.

Le Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac) est indispensable - le Sénat en est persuadé. Mais les élus locaux doivent mener une réflexion plus globale sur les commerces de centre-ville ou de centre-bourg et les centres commerciaux.

Les ZRR rencontrent aussi des problèmes, depuis que le collectif budgétaire pour 2015 en a établi les critères à l'échelle des intercommunalités, combinant densité de population et revenu fiscal.

L'installation de jeunes agriculteurs et de médecins est difficile, comme celle de toutes les activités ; il faut donc prendre en compte la réalité des territoires, répondre par des actions concrètes, adaptées.

Parlerais-je de l'accès à internet et même à la téléphonie mobile, devenu une condition à la vie même dans les territoires ruraux ? Parlerais-je de la politique des infrastructures, qui laisse de côté la desserte des territoires enclavés au bénéfice des métropoles ?

L'égalité d'accès aux services publics est sacrifiée, alors qu'il est au coeur de l'aménagement du territoire. Stoppons le délitement et l'éloignement des services publics, il en va du socle même de nos territoires : le service public doit rester un élément déterminant du maillage territorial. Il en va de l'égalité républicaine ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE et sur quelques bancs des groupes SOCR et RDSE)

Mme Nelly Tocqueville .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Nous l'avons démontré à maintes reprises ici, la ruralité est une chance pour notre pays, mais elle doit être soutenue.

Ce vocable recouvre des réalités variables : certains espaces sont plus fragiles, et leurs habitants expriment un sentiment d'abandon. Il faut compter aussi avec les nouveaux enjeux, les nouveaux défis que représentent la préservation de l'environnement, l'aménagement du territoire, la biodiversité ou encore le logement.

Il faut un accompagnement pour relever ces défis. Les campagnes les plus fragiles sont caractérisées par un affaiblissement démographique. Elles représentent 800 cantons et couvrent le tiers du territoire national, elles sont peu denses, avec une population vieillissante et une activité agricole elle-même en souffrance. S'y ajoutent les espaces ruraux ouvriers et traditionnels, au tissu industriel en déclin, comme c'est le cas en Normandie et dans le tiers nord de la France - où nous sommes confrontés à un taux de chômage très élevé.

L'État et les élus doivent s'interroger sur l'efficacité des politiques publiques.

Les Assises des territoires ont permis de cartographier les ruralités dans leur diversité, et ces territoires les plus fragiles en particulier. Depuis 2015, les maisons de service au public (MSAP) répondent à un besoin fort de désenclavement - 1 300 maisons ont ouvert, 500 sont en projet.

Les contrats de ruralité 2016-2022, les dotations d'investissement telles que la DETR ou la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) permettent d'engager des projets de dynamisation.

Le Feader et le programme Leader viennent en appui. Les petites communes n'ont pourtant pas les outils adaptés pour monter des dossiers, elles se découragent. C'est regrettable, car ce sont des leviers utiles pour relancer l'activité en milieu rural. La crise des gilets jaunes est en partie symptomatique de la fracture sociale et territoriale.

Les maires ruraux l'ont dit lors des débats avec le président de la République, les services de proximité disparaissent, obligeant nos concitoyens à se déplacer où à recourir à internet... alors que leurs territoires ne sont pas bien connectés. Il y a encore bien trop de zones « blanches »...

Quel dispositif se substituera au Fisac ? On ne peut envisager qu'il n'y en ait pas.

La disparition de la réserve parlementaire est regrettable ; seules 80 % de ces sommes ont été basculées dans la DETR.

Une action concertée entre l'État et les élus est indispensable, au nom de l'égalité des territoires. Pourquoi ne pas mener une réflexion identique à celle qui a été conduite pour la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs ? Même chose pour les mobilités : il ne faudrait pas qu'au nom de la rentabilité, on accentue encore le sentiment d'abandon...

Ne nous contentons pas d'affirmer que la ruralité est une chance. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

Mme Maryse Carrère .  - Merci pour ce débat. La semaine dernière, j'interrogeais le Gouvernement sur le non-versement de 700 millions d'euros d'aides du fonds européen Leader - occasion de rappeler combien ce fonds est important, mais difficile à obtenir pour les petites communes. Dans l'océan des aides, fonds et dotations, trop peu sont versés simplement et rapidement, efficacement.

Certes les PETR, la hausse de la DETR et l'arrêt de la baisse des DGF sont à noter, mais cela ne suffit pas : l'investissement public recule dans nos territoires ruraux.

Les limitations de dépenses pour les départements sont difficiles à respecter alors que de nouvelles compétences, telle la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemafi), se sont ajoutées à leurs compétences habituelles.

Ces communes restent frileuses sur les investissements. Face à la lenteur et à la multiplication des aides, nous devons aller vers une simplification. Dans mon département, 11 communes ont été exclues des ZRR en 2015. La hausse de la cotisation foncière des entreprises ne suffira pas. Un report est prévu en 2020, mais ces collectivités n'ont aucune solution à court terme.

J'espère que l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) y pourvoira. Cette simplification doit se faire en accord avec tous les responsables politiques, avec pour objectif de simplifier le quotidien de milliers d'élus locaux démunis. Le regroupement des aides ne devra pas s'accompagner d'une baisse des aides.

Mais l'ANCT ne suffira pas. La mère de toutes les batailles passe par la reconquête démographique et l'attractivité.

Mon groupe RDSE a déposé sur ces sujets de nombreuses propositions de loi.

Comment ne pas évoquer le big bang de la loi NOTRe ? Il faut mener une réflexion sur les budgets des nouvelles intercommunalités.

Les élus locaux sont les plus à même de renforcer la démocratie. Leur redonner des possibilités d'investissement, c'est vivifier le principe de libre administration des collectivités territoriales inscrit à l'article 72 dans la Constitution. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et LaREM ; MM. Jean-Paul Émorine et Bernard Delcros applaudissent également.)

M. Jean-Claude Luche .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC ; M. Daniel Chasseing applaudit également.) Oui, les PETR, les contrats de santé, les maisons de services au public ont le mérite d'exister. Mais la ruralité a besoin de la présence physique des services publics et d'activité économique.

Même lorsqu'elle a droit à des aides, la ruralité ne les perçoit pas ; il y a de quoi se révolter lorsqu'on apprend que près de 700 millions d'euros lui ont échappé à cause de dysfonctionnements dans les fonds européens.

Comme on parle de politique de la ville et de zones franches urbaines (ZFU), il faudrait parler de politique de la ruralité et de zones franches rurales. La vie en rural n'est pas la même qu'en métropole. Il faut des textes ou des interventions spécifiques à cette ruralité.

Il faut attirer des jeunes. Plutôt que de s'agglutiner dans les métropoles, ils pourraient trouver à la campagne une qualité de vie appréciable. Mais il leur faut trouver un emploi pour tous.

En attendant, le maintien des ZRR est essentiel, autant que le maintien des services publics. Mais nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour mettre en place des zones franches rurales ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, RDSE et LaREM ; M. Jean-Paul Émorine applaudit également.)

M. Daniel Chasseing .  - Ce débat utile est l'occasion de dresser un bilan de l'action publique en direction des territoires ruraux.

Il n'y a pas une, mais des ruralités. Dans la ruralité à proximité des villes, le périurbain, les élus doivent promouvoir le foncier, les services publics... Dans la ruralité plus éloignée, les élus se battent pour défendre tout simplement la vie et la création d'emplois. Je me concentrerai sur celle-ci, l'hyper-ruralité. C'est là que se joue l'avenir de notre cohésion territoriale, donc le principe constitutionnel d'égalité des territoires.

Nous sommes à la croisée des chemins. Nos outils ne sont pas tous à la hauteur des enjeux. Les ZRR n'ont pas répondu aux attentes des territoires les plus fragiles, malgré la réforme de 2015. Les contrats de ruralité vont dans le bon sens mais ils sont insuffisants.

La DGF se stabilise mais reste deux fois inférieure dans le rural que dans l'urbain. Les maisons de service au public, les maisons de santé vont dans le bon sens, comme la suppression du numerus clausus et les aides à l'installation des médecins pour un maintien de la médecine en zone rurale, mais il faudrait aller vers une meilleure prise en charge de la dépendance, à domicile comme en établissement.

Il faut davantage travailler pour le haut débit. Le département de Corrèze a ainsi choisi courageusement d'être maître d'ouvrage pour l'accès sur tout le territoire à la fibre en 2021, avec l'aide de la région et de l'État. C'est indispensable pour l'implantation d'entreprises et pour que les particuliers puissent vivre une vie identique à celle de leurs concitoyens.

L'État doit s'engager pour maintenir vie et emploi sur le territoire, en mettant des moyens suffisants. Cela doit être la grande cause du ministère de la cohésion des territoires, avec une politique concertée entre préfets, élus, chambres consulaires.... Seule l'installation des TPE y aidera. Les zones franches y contribueront, de même que des ZRR nouvelle formule avec des aides conséquentes.

Les zones hypodenses doivent être aidées par l'État. Poursuivons les mesures de la loi EGAlim, alors que trois quarts des emplois ont été perdus dans ce secteur. Nous sommes attentifs aux négociations européennes. Dans les actions « Coeur de ville », les communes rurales doivent bénéficier du Fisac.

Aidons aussi les actifs dans leurs déplacements. L'État doit compenser leurs frais. La taxe carbone ne doit pas être augmentée.

Le groupe Les Indépendants pense qu'il faut réinventer la ruralité grâce à l'intervention de l'État, des créations d'entreprises. Nous sommes prêts à soutenir le Gouvernement pour repenser ses dispositifs, afin qu'ils soient plus simples et intégrés dans une véritable politique d'aménagement du territoire. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, LaREM et RDSE ; M. Jean-Paul Émorine applaudit également.)

M. Charles Guené .  - Les dispositifs d'aménagement du territoire doivent être refondés. Je ne reviendrai pas sur les déboires des zones de revitalisation rurale. La réforme votée en 2015 à l'issue d'un rapport important constitue une catastrophe pour les territoires ruraux en déclin, notamment avec une exception pour les territoires de montagne et son report à 2020. Toute réforme fait des gagnants et des perdants mais encore faut-il qu'elle soit équitable.

Les critères retenus sont incohérents. Les deux nouveaux relèvent du pâté de cheval et d'alouette : on a cumulé une densité de population et un revenu fixe par unité de consommation. Le premier varie de 1 à 1 500, le deuxième de plus ou moins 15 %. La cartographie est choquante et lumineuse (M. Charles Guené montre une carte.) : de nombreuses communes de la « diagonale aride » ont été frustrées au profit de communes de l'ouest et du sud-est.

J'ai plusieurs fois proposé, par amendement, de traiter différemment les cinq EPCI ayant moins de 15 habitants/km2, voire les vingt qui se situent en deçà de 20 habitants/km2. Le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) et Joël Giraud, rapporteur général de l'Assemblée nationale, m'ont répondu en octobre 2018 qu'il faudrait plutôt réformer globalement ces dispositifs...

Les ZRR sont très utiles ; je parle d'expérience. Même si elles coûtent 313 millions d'euros, ce ne sont pas des « chimères » dénoncées par l'Assemblée nationale. Surtout, monsieur le ministre, ne transférez pas leur montant dans la DETR. Le précédent du devenir de la réserve parlementaire nous laisse dubitatif...

Réformons les aides aux territoires, qui s'achèvent en 2020, et revitalisons cette ruralité qui se meurt. Débattons à nouveaux des critères en se fondant non sur une base nouvelle abstraite, mais sur la réalité des territoires. Le Sénat est prêt à y participer. N'ajoutez pas la psychose du vide au désarroi actuel ! La loi de finances rectificative pourrait être un cadre adéquat. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Bernard Delcros .  - (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et UC) Jean-Claude Requier a rappelé que de nombreux mécanismes de solidarité ont été mis en place pour soutenir des territoires ruraux les plus fragiles. Pourtant, des différences se sont accentuées. Comment en est-on arrivé là ?

La décentralisation a transféré de nouvelles compétences sans transfert efficace de régulation des richesses. L'épargne nette du Cantal par exemple a été réduite à zéro sous le poids de dépenses sociales toujours plus lourdes.

L'ouverture au marché de certaines activités indispensables, faute d'accompagnement de mesures contraignantes pour les opérateurs, a créé de nouvelles fractures territoriales - par exemple pour le téléphone mobile ou le numérique.

Face aux enjeux démographiques, avec une population qui peut augmenter de sept millions d'habitants d'ici trente ans, ayons une politique volontariste d'aménagement équilibré du territoire.

Notre société se transforme. Les nouvelles technologies d'information et de communication (NTIC) en sont des marqueurs. Saisissons ces chances pour développer les territoires, et sortons de décisions seulement comptables qui raisonnent sur le seul plan du nombre d'habitants.

Investissons plutôt que d'assister, nous aiderons au développement de territoires exemplaires en matière de santé, d'attractivité, de transition énergétique.

Nous devons investir dans les infrastructures, les services, la matière grise, comme décider que tous les territoires doivent avoir accès aux nouvelles technologies. Investir dans la ruralité aujourd'hui, c'est investir dans le pays pour demain.

Faites de l'ANCT le garant de l'équité territoriale pour renforcer une cohésion territoriale malmenée.

Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour une politique d'aménagement du territoire dynamique, efficace, offensive ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et RDSE et sur quelques bancs du groupe SOCR)

Mme Anne-Marie Bertrand .  - Avec 80 % de la population qui vit sur 20 % du territoire, la France est constituée de villages - touristiques, agricoles ou dortoirs. Les nouveaux ruraux demandent les mêmes services que leurs concitoyens citadins, c'est bien normal. Je ne parle pas de ceux qui veulent que les coqs se lèvent plus tard ou que les cloches arrêtent de sonner, mais des ruraux qui ne veulent pas être en seconde zone. En s'installant à la campagne, ils n'ont pas renoncé aux transports en commun, aux services publics, aux soins ou au haut débit... Parfois, ce n'est pas un choix, car les centres-villes sont devenus trop chers.

Nous avons mis en place de nombreux fonds qui, au fil des ans, ont fondu. L'écrêtement interne de la DGF dénature l'objectif de la péréquation verticale et la baisse continue des dotations creuse les inégalités territoriales.

Les intercommunalités devaient être le rempart des communes rurales, à force de synergie et de mutualisation. Or, dans les faits, ce sont souvent les communes rurales qui financent les communes urbaines. Certes, elles bénéficient de certains investissements mais les projets éligibles à la DETR doivent être portés par des intercommunalités.

À l'heure de la vente par internet, des circuits courts et du made in France, nos granges peuvent devenir des ateliers d'excellence - si l'on donne à notre ruralité les moyens d'innover. Une ruralité forte, c'est une France forte ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et RDSE)

M. Jean-Paul Émorine .  - La loi de 2005 relative au développement des territoires ruraux, dont j'étais rapporteur, est la première grande loi sur la ruralité. À l'époque, nous avions beaucoup travaillé avec la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (Datar) à l'instauration de dispositifs financiers prenant en compte la densité de population : le seuil était fixé à 35 habitants/km2. Il a fallu expliquer aux inspecteurs des finances que dans la ruralité, 300 millions d'euros par an équivalent à 3 milliards dans les ZFU !

En 2014, un rapport de l'Assemblée nationale soulignait la pertinence de ces actions mais la loi de finances rectificative de 2017 a relevé les seuils, à 63 habitants/km2 et un revenu médian de 19 111 euros par habitant, écartant de facto certaines communes.

J'ai lu le rapport du député Viguier sur les déserts médicaux. Il faut nous appuyer sur les dispositifs existants, sur les cartes de référence : on ne résoudra pas les problèmes sans aider les professionnels de santé. Même les vétérinaires hésitent désormais à s'installer en zone rurale !

Venez à la Conférence de la ruralité, monsieur le ministre, relancez les pôles d'excellence ruraux ! Nous comptons sur vous pour une ruralité vivante, elle constitue notre patrimoine national ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, RDSE et Les Indépendants)

M. Bernard Fournier .  - Pour 80 % des Français, la vie à la campagne est l'idéal ; or rarement nos territoires ruraux n'auront été si maltraités et la fracture territoriale si prégnante.

Les ruraux se sentent abandonnés par l'État, méprisés par les grandes métropoles. Les treize plus grandes métropoles concentrent 27% de la population mais plus de la moitié des offres d'emploi.

La baisse des dotations est incontestable. La disparition du Fisac a été actée par le projet de loi de finances pour 2019, de même que la suppression de la réserve parlementaire qui permettait à de nombreuses collectivités de boucler leurs projets. Les pôles d'excellence rurale touchent à leur fin, l'engagement pour la prime d'aménagement du territoire, si précieuse pour les entreprises rurales, s'effondre.

Quelle iniquité entre les communes de moins de 3 500 habitants, dont la DGF varie de 64 à 88 euros par habitant, et les communes de plus de 20 000 habitants où elle est de 128 euros !

Depuis le début des années 2000, le repli massif des services publics, observé sur tout le territoire, frappe tout particulièrement les communes rurales.

Sur 687 millions d'euros de fonds européen Feader destinés aux 340 territoires ruraux français, seulement 4 % ont été versés aux régions. Cela pénalisera des milliers de projets ruraux. Belle illustration du peu de soutien de nos gouvernants aux territoires ruraux les plus fragiles ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, Les Indépendants et RDSE)

M. Sébastien Lecornu, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé des collectivités territoriales .  - Je remercie le groupe RDSE de son initiative qui prolonge notre débat du 21 novembre dernier. Maire dans un territoire rural, président de conseil départemental, je partage votre attachement à la ruralité.

En tant que coordinateur du grand débat national, j'accompagne le président de la République dans sa grande consultation des maires. La question du soutien au développement des territoires ruraux y est largement évoquée par des élus locaux dont le sentiment d'abandon s'accentue. Le président de la République a eu des paroles fortes, refusant tout défaitisme. Il a annoncé un agenda rural. Il faut des réponses adaptées, c'est tout l'enjeu du droit à la différenciation prévu dans la révision constitutionnelle et déjà expérimenté avec la collectivité européenne d'Alsace.

Le Gouvernement est mobilisé en faveur des territoires ruraux. Pour la deuxième fois consécutive, il n'y a pas de baisse globale de la DGF. La DETR a augmenté de 400 millions d'euros depuis 2014 et dépassera 1 milliard d'euros en 2019. Elle finance des priorités définies à l'échelle locale ; j'ai signé lundi, avec Mme Gourault, une circulaire rappelant aux préfets les règles de bon fonctionnement des commissions départementales d'élus.

Nous avons pérennisé la DSIL, qui devait être exceptionnelle, et qui atteindra 570 millions d'euros cette année.

La loi de finances pour 2019 a renforcé le mécanisme de péréquation en faveur des territoires les plus fragiles. La DSR a augmenté de 90 millions d'euros pour atteindre 1,5 milliard d'euros en 2019, contre 421 millions d'euros en 2004. Cette même loi de finances a également prévu un mécanisme de rattrapage en cas de perte d'éligibilité à la DSR cible. Vous avez également créé une dotation budgétaire en faveur des communes de moins de 10 000 habitants dont une part importante du territoire est classée en zone Natura 2000 - c'est la première fois que l'on appréhende ainsi la notion de densité. Merci à M. Charles Guené, que je remercie pour la qualité de son travail. (On apprécie sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Il est faux de dire qu'en matière de DGF, un urbain vaut deux ruraux. Il ne faut pas confondre dotation forfaitaire et DGF ! Grâce à la péréquation, l'effort de solidarité a été renforcé depuis 2017. Dans le Lot, monsieur le président Requier, la commune de Saint-Cirgues, 429 habitants, a bénéficié d'une dotation forfaitaire de 250 euros par habitants et d'une dotation de péréquation de 64 euros par habitant, soit une DGF globale de 314 euros par habitant.

M. François Bonhomme.  - Ils sont riches !

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - De son côté, Cahors, ville préfecture, avec ses 21 008 habitants, recevait 72 euros par habitant de dotation forfaitaire et 40 euros de dotation de péréquation, soit un total de 112 euros par habitant. Et je peux faire la même démonstration dans tous les départements. Tenir compte de la seule dotation forfaitaire n'a pas de sens. Merci, monsieur de Belenet, d'y être revenu.

Il est vrai que la DGF est très complexe et ses critères pléthoriques. Le président de la République n'est pas fermé à la réflexion - même si le sujet n'a pas été évoqué hier par Territoires Unis.

L'accompagnement financier ne suffit pas, et le Gouvernement actionne tous les leviers de l'action publique. Le renforcement des pôles de centralité que sont les petites et moyennes villes, notamment via le programme « Action Coeur de ville » - 5 milliards d'euros sur cinq ans - a un effet d'entraînement sur les territoires ruraux. De même, le programme « Territoires d'industries », lancé avec l'AdCF et Régions de France, bénéficiera aux territoires ruraux frappés par la désindustrialisation. À ce jour, 136 territoires d'industrie sont labellisés et 29 territoires pilotes signeront leur contrat d'ici la fin du mois.

Les territoires les plus en difficulté comme la Nièvre, la Creuse ou encore les Ardennes bénéficient de contrats particuliers ; demain, je signerai le Pacte Ardennes en présence de MM. Huré et Laménie.

M. Requier propose de revoir le zonage de la ZRR, qui recouvre actuellement une commune sur deux. Je suis preneur de toutes vos propositions.

Merci, monsieur Émorine, d'avoir évoqué les cabinets médicaux. Je redis mon attachement aux pôles d'équilibre territorial et rural (PETR), plébiscités.

Soutenir les territoires ruraux les plus fragiles suppose d'y garantir les services publics. C'est le sens des 1 300 maisons de services au public que le Gouvernement continue de déployer, avec un maillage territorial de plus en plus fin ; 85 % sont dans des communes de moins de 5 000 habitants et 126 structures itinérantes existent. Nous étudions avec bienveillance ces projets.

L'accès aux soins est un enjeu sensible, avec la baisse de la démographie médicale. C'est l'un des premiers thèmes évoqués dans le grand débat national. Le président de la République et Agnès Buzyn ont pris des engagements forts pour attirer davantage de médecins dans les territoires ruraux et leur rendre du temps médical disponible.

La fin du numerus clausus donnera des résultats à terme. D'ici là, 400 médecins salariés seront déployés dans les déserts médicaux, de même que des communautés professionnelles de santé.

L'Agence nationale de cohésion des territoires soutiendra les territoires les plus en difficulté. Deux amendements de l'Assemblée nationale ont été adoptés mardi, avec l'aval du Gouvernement : le premier renforce la solidarité entre métropoles et territoires environnants, le second crée le contrat de cohésion.

Conserver le lien avec les territoires ruraux passe aussi par le numérique : on ne peut accepter les zones blanches. Le Gouvernement a lancé un New Deal mobile pour une couverture mobile de qualité d'ici fin 2020 ; avec le plan France Très Haut Débit, cela représente un investissement de 3,3 milliards d'euros pour le développement des réseaux d'initiative publique. Certains territoires sont en surchauffe et font face à une pénurie de main-d'oeuvre ! Le très haut débit fait partie des sujets évoqués dans le grand débat, mais les progrès sont notables. Les zones « Territoires d'initiatives » avancent même plus vite que les zones AMII.

La tournée des maires engagée par le président de la République a révélé un besoin de proximité. Cela signifie qu'il faut revoir la loi NOTRe, que j'ai toujours combattue, non pour la détricoter mais pour l'adapter pragmatiquement et réhabiliter les échelons de proximité historiques que sont la commune et le département.

Mme Françoise Laborde.  - Très bien !

M. Sébastien Lecornu, ministre.  - Merci à la réunion Territoires Unis pour sa contribution. Il faut être fidèle au principe « qui paie décide », mais aussi à son corollaire, « qui décide assume ».

Le président de la République a annoncé un agenda rural, idée portée par l'AMRF, ciblé sur les territoires les plus fragiles. En avril, il annoncera des mesures fortes à la suite du grand débat national. Nous en reparlerons ensemble, comme nous l'avons fait lors de la proposition de loi de Mme Gatel sur les communes nouvelles, qui sera débattue à l'Assemblée nationale et dans le cadre des conclusions du grand débat national.

Merci de vos contributions pour la ruralité, pour les ruralités françaises. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, RDSE, Les Indépendants et UC, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes Les Républicains et SOCR)

La séance est suspendue à midi.

présidence de M. Thani Mohamed Soilihi, vice-président

La séance reprend à 14 h 30.

Délégation sénatoriale (Nomination)

M. le président.  -  J'informe le Sénat qu'une candidature pour siéger au sein de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a été publiée. Elle sera ratifiée si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre Règlement.

Précarité énergétique des ménages

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur la précarité énergétique des ménages, à la demande du groupe CRCE.

M. Fabien Gay, pour le groupe CRCE .  - Madame la ministre, comment remarque-t-on la bascule de la précarité à la pauvreté, puis à l'extrême pauvreté ? Cela commence souvent par un coup dur, perte de travail, divorce, séparation, retraite après une carrière chaotique, qui oblige à se serrer la ceinture : vous commencez par faire attention, puis très attention à votre alimentation, non pas pour manger mieux, mais moins cher, moins varié, avec moins de viande, puis de plus en plus de pâtes ; les sorties culturelles sont bannies ; les seules balades ont lieu au centre commercial, sans achat ; puis vient le jour, faute de pouvoir la payer, où vous devez retirer les enfants de la cantine, où leur était servi leur seul repas équilibré... Le 15 du mois, il faut choisir entre payer le loyer et la facture de gaz ou d'électricité... C'est cette dernière que vous « choisissez », parce que le montant est moins élevé et parce que vous croyez pouvoir vous rattraper ensuite : erreur ! Rapidement, ce poste enregistre plusieurs mois d'impayés et vous ne savez plus vers qui vous tourner pour demander de l'aide.

Je veux dire à nos concitoyens, de plus en plus nombreux, des centaines de milliers, qui sont dans ce cas qu'ils ne doivent pas avoir honte. Nous devrions avoir honte ! Comment un pays qui compte quarante milliardaires et deux millions de ménages ayant un patrimoine supérieur au million de dollars, où les actionnaires ont reçu 57 milliards d'euros de dividendes, ne permet-il pas l'accès de chacun à l'énergie ?

Selon l'Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), douze millions de personnes sont concernées. Selon le Médiateur de l'énergie, près de 30 % de ménages baissent le chauffage pour économiser. Selon l'Insee, entre l'été 2017 et la fin 2018, les prix de l'énergie ont augmenté de 13,5 %, faisant basculer davantage de ménages dans la précarité énergétique.

Comment s'étonner dès lors que des millions de nos concitoyens enfilent des gilets jaunes et occupent des ronds-points pour crier leur colère et exiger justice   La problématique est majeure.

Elle va au-delà de la situation économique des ménages. L'augmentation du prix du pétrole et du gaz, comme la libéralisation du marché de l'électricité, sont en cause, de même que la hausse des prix de l'immobilier, la stagnation des revenus, l'étalement urbain, et j'en passe...

Au risque de vous choquer, j'affirme qu'il faut un service public de l'énergie en situation de monopole, a contrario des politiques menées depuis vingt ans. Les usagers sont devenus des clients et les dividendes versés aux actionnaires - 27 milliards d'euros pour Engie en sept ans - s'envolent.

Le Gouvernement continue à livrer le secteur de l'énergie au privé, dont l'objectif est simple : le profit, le profit, le profit ! Seul le secteur public répond aux intérêts de l'humain et de la planète. Les ménages les plus fragiles ont les dépenses énergétiques proportionnellement les plus élevées. Ne les taxons pas davantage !

L'État doit également intervenir dans l'aménagement du territoire et accélérer son action en matière de rénovation de logements. Au rythme où nous allons aujourd'hui, soit 288 000 rénovations dites performantes ont lieu chaque année, dont 54 000 sur des logements classés F et G, les plus inefficaces, il faudrait 140 ans pour les rénover tous ! Les aides existantes sont concentrées sur les propriétaires, alors que les précaires sont locataires dans leur immense majorité.

M. Roland Courteau.  - Très bien !

M. Fabien Gay.  - Il n'est pas justifié, dans la France du XXIe siècle, de couper l'électricité et le gaz, quelle que soit la saison !

M. Roland Courteau.  - Très bien !

M. Fabien Gay.  - L'énergie doit se voir appliquer la TVA réduite à 5,5 %. Au-delà, au lieu de pratiquer la charité à coup de chèque Énergie dont les gens ne veulent pas, il faut partager le gâteau de la richesse, en augmentant les salaires pour lutter efficacement contre toute forme de précarité ! (Bravos et applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR ; Mme Françoise Laborde applaudit également.)

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire .  - La précarité énergétique est hélas une réalité pour nombre de nos concitoyens. Selon l'Observatoire national de la précarité, 11,8 % des Français consacrent plus de 8 % de leurs revenus à l'énergie, contre 13,8 % en 2013. En dépit de ces progrès réels, l'enquête annuelle du médiateur de l'énergie montre que 15 % des répondants souffrent du froid dans leur logement, le plus souvent à cause d'une isolation insuffisante.

Le Gouvernement a mis en place des aides. En 2015, quelque 150 000 ménages ont bénéficié d'une aide du fonds de solidarité pour le logement (FSL) pour payer leurs factures d'énergie et en 2017 on a compté près de 550 000 interventions des fournisseurs d'énergie après impayés. Les mesures que nous avons prises afin de faciliter le paiement des factures seront renforcées en 2019 et 2020. Le chèque Énergie a touché plus de 3,6 millions de ménages en 2018. Il est envoyé automatiquement aux ménages éligibles. En 2019, il passera, comme nous l'avons annoncé à l'automne, à une moyenne de 150 euros à 200 euros et concernera 5,8 millions de ménages.

Mais le coeur du problème concerne les logements. L'objectif est d'en rénover 500 000 par an, dont 150 000 passoires énergétiques du parc privé et 100 000 logements sociaux, avec le concours de la Caisse des dépôts et consignations. La France compte 7 millions à 8 millions de passoires énergétiques. Plusieurs outils existent : le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), les aides de l'ANAH notamment. Cette dernière a accompagné 62 000 rénovations en 2018.

Elle renforcera son action pour atteindre un objectif de 75 000 logements par an. Les certificats d'économies d'énergie (CEE) ont permis la rénovation de 200 000 logements depuis leur création.

Au total, 300 000 logements sont rénovés chaque année pour améliorer l'isolation. L'éco-prêt à taux zéro a été simplifié par la loi de finances pour 2019, pour les types de travaux et pour les logements éligibles. Nous mobilisons les banques pour qu'elles informent leurs clients des solutions disponibles.

Nos efforts portent également sur la mobilité pour réduire les pollutions mais aussi aider les plus modestes. Ainsi, 300 000 dossiers ont été déposés en 2018 pour la prime à la reconversion automobile, 255 000 ont été traités et pour 71 % des ménages non imposables, l'aide s'élève à 2 000 euros. Le dispositif sera renforcé en 2019 pour atteindre 4 000 euros, voire 5 000 euros pour l'achat d'une voiture électrique, pour les personnes relevant des deux premiers déciles de revenus, ou pour les personnes non imposables qui roulent plus de 60 kilomètres par jour pour leurs déplacements professionnels. Nous savons que nous devons aller encore plus loin en matière de lutte contre la précarité énergétique.

Le CITE est un secteur bloquant pour les ménages modestes ou très modestes, compte tenu de son paiement décalé. Il sera réformé.

Nous devrons mieux informer nos concitoyens sur les aides existantes et mieux coordonner l'action de tous les acteurs sous une bannière unique, via une charte signée bientôt, sous l'égide de François de Rugy et de Julien Denormandie. Nous devons repenser l'organisation générale du service public de l'efficacité énergétique, au regard du travail engagé avec Régions de France, afin de décliner les solutions nationales sur le plan régional, dans des territoires pilotes, dès le troisième trimestre 2019.

Nous devons venir à bout des passoires thermiques, en particulier dans le parc locatif privé, en aidant les propriétaires bailleurs.

Le chemin est long et d'autres formes d'intervention, et de propositions concrètes, notamment issues des retours du grand débat national en cours, doivent être avancées. Soyez assurés de la totale détermination du Gouvernement.

Mme Cécile Cukierman .  - La commission de régulation de l'énergie (CRE) a lancé, contre l'avis de l'Autorité de la concurrence, une nouvelle attaque contre le service public de l'électricité, en annonçant, le 7 février dernier, une augmentation de 5,9 % des tarifs réglementés. Même si les promesses n'engagent que ceux qui y croient, le Premier ministre s'était engagé, le 30 novembre, à ce que ces tarifs n'augmentent pas pendant l'hiver.

La France traverse pourtant une crise sociale sans précédent, avec le mouvement des gilets jaunes dont l'une des premières préoccupations est liée à l'énergie.

Le silence du Gouvernement est d'autant plus gênant que cette augmentation est contestée par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et par l'Autorité de la concurrence qui reproche à la CRE d'abuser de son pouvoir en empiétant sur le domaine législatif. La situation est inédite. C'est la première fois que deux autorités administratives indépendantes se trouvent ainsi publiquement en conflit ! Le Gouvernement doit prendre position. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Les tarifs de l'électricité n'ont pas été augmentés cet hiver, comme le Gouvernement s'y était engagé. La prochaine augmentation n'aura pas lieu avant le 1er juin, selon les formules figurant dans la loi, conformément aux directives européennes. L'Autorité de la concurrence n'a jamais dit que la CRE avait outrepassé ses pouvoirs.

M. Roland Courteau .  - De 10 % à 12 % de nos concitoyens se trouvent en situation de précarité énergétique, liée au prix de l'énergie, à la mauvaise isolation du logement et à leur modeste niveau de revenus.

Des mesures curatives ont été prises, comme le chèque Énergie consolidé. Il faut renforcer les dispositifs curatifs et préventifs et agir massivement sur la rénovation thermique des logements en remplaçant le CITE par une prime. Pour les logements en location, il faut mettre en face un niveau minimum de performance pour en finir avec les passoires. Quelles sont vos intentions, madame la ministre ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Vous avez bien isolé les trois causes principales de la précarité énergétique. La prime d'activité améliore utilement les revenus des ménages modestes. En outre, nous transformerons effectivement le CITE en prime. Nous luttons aussi contre les passoires thermiques et avons renforcé sensiblement le chèque Énergie qui passe de 3,6 millions à 5,8 millions de ménages éligibles.

M. Roland Courteau.  - Oui, il y a trop de passoires énergétiques, trop de logements sont indécents au sens du décret de 2002. Il faut mettre en place des normes minimales pour les logements. En effet, les mauvaises isolations ont des conséquences sur l'état de santé de nos concitoyens : dépression, anxiété, migraine, bronchite chronique, mal de vivre... C'est inacceptable ! (Marques d'approbations sur les bancs du groupe CRCE)

Mme Françoise Laborde .  - « Dès que le froid arrive, c'est le casse-tête qui recommence(...) J'ai acheté un radiateur à roulettes que je mets en route le soir quand les enfants rentrent de l'école ; la journée, je me débrouille en allant dans les endroits chauffés comme les galeries marchandes, car il fait 12 degrés dans le salon. Bien sûr, nous dormons tous ensemble pour avoir moins froid ». En février 2019, la Fondation Abbé Pierre a publié ce témoignage d'une victime de la précarité énergétique.

Les collectivités locales jouent un rôle fondamental pour lutter contre ce phénomène aggravant pour les ménages les plus fragiles. Aujourd'hui, la part du logement dans les dépenses des ménages atteint plus de 22 %, contre 9,3 % en 1959. Quelles mesures compte prendre le Gouvernement pour réduire cette charge pour les ménages les plus précaires ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Je vous remercie de citer ce témoignage. Nous travaillons pour améliorer la situation des Français dans le besoin.

Les collectivités locales sont effectivement en première ligne ; c'est pourquoi nous favorisons la contractualisation entre l'ANAH et les collectivités territoriales et les intercommunalités, pour démultiplier localement les actions et favoriser l'accès des ménages les plus modestes aux aides.

Nous avons concentré les certificats d'économie d'énergie dans le dispositif Coup de pouce qui permet de changer la chaudière au fuel pour une chaudière au gaz moyennant 1 euro. Un appareil aux normes permet de réduire les dépenses en énergie.

M. Jean-Paul Prince .  - Les tarifs de l'abonnement effacement jours de pointe (EJP) ont connu une forte augmentation, profitable tant aux consommateurs qui allègent leur facture qu'au fournisseur d'électricité qui profite de leur consommation réduite pendant les 22 jours de pointe. Cet abonnement n'est plus disponible aux nouveaux consommateurs depuis 1998. Toutefois, pas moins de 450 000 foyers l'utilisent encore. On constate une hausse continue pour les jours classiques qui ont augmenté de 6,5 % en 2017, et une baisse du tarif pour les jours de pointe. L'option effacement jours de pointe est donc de plus en plus dénuée d'intérêt.

Certains abonnés pourraient se retrouver en situation de précarité énergétique, en dépit des avantages de ce système, qui fait baisser la demande dans des périodes critiques et s'inscrit pleinement dans les objectifs souscrits par notre pays pour réduire la consommation d'énergie. N'est-il pas pertinent de ne pas le priver d'effet, à défaut d'offrir une alternative ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Le tarif EJP a en effet vocation à faire baisser la consommation les jours de pointe, en modulant les tarifs. L'option Tempo en 1996 a permis une avancée en apportant une gestion plus fine qu'EJP, mais avec les mêmes objectifs. En 1997, l'option EJP a donc été mise en extinction.

Ces deux outils ne sont pas destinés à lutter contre la précarité énergétique, mais permettent effectivement de réduire la demande dans les périodes de grande tension. Je porterai une attention particulière aux tarifs EJP ; en attendant, nous étudions avec l'Ademe et la CRE, l'utilité et les modalités de ces tarifs d'effacement.

Mme Colette Mélot .  - Mme Laborde a bien décrit les conséquences de la précarité énergétique, qui touche 10 % des Français. Elle est un facteur aggravant de la pauvreté, pousse les ménages au surendettement.

Des fonds européens dédiés aux collectivités locales permettent de financer les rénovations thermiques des appartements HLM mais aussi des propriétés dégradées. Ainsi, grâce à la communauté d'agglomération Melun-Val-de-Seine, l'Office public départemental a reçu un million d'euros, soit 50 % du coût de la rénovation thermique de 234 logements, représentant 30 % d'économies sur les charges de chauffage des locataires.

La précarité énergétique est un sujet où l'écologie s'accorde le mieux avec l'économie. Il faut en finir avec les passoires énergétiques ; le Gouvernement compte-t-il s'inspirer d'une recommandation formulée dans un rapport d'information parlementaire du 29 janvier dernier, suggérant d'augmenter les aides aux opérateurs pour en finir avec les passoires énergétiques ?

Mme Nassimah Dindar.  - Très bien !

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - La précarité énergétique a été définie dans la loi Grenelle II. Vous avez raison de citer le surendettement ; nous travaillons donc avec les banques pour faire connaître les dispositifs CITE et PTZ. Nous avons un objectif annuel de 100 000 rénovations de logements sociaux, grâce à un concours de 3 milliards d'euros de la Caisse des dépôts et consignations, au financement du grand plan d'investissement et grâce à une contractualisation avec les bailleurs. La stabilité des résultats obtenus depuis plusieurs années devrait nous inciter à être toujours plus ambitieux...

M. Guillaume Chevrollier .  - (M. Vincent Segoin applaudit.) Plus de cinq millions de Français subissent la précarité énergétique ; vivant dans des passoires thermiques, ils sont les premières victimes de la hausse des prix de l'énergie comme de celle des carburants.

Les pouvoirs publics ont mis en place des dispositifs pour aider à payer les factures, de manière préventive ou curative, grâce au FSL ou aux aides de l'ANAH, qui ciblent les ménages les plus modestes. J'ai échangé avec l'Agence du logement de la Mayenne. Elle m'a fait part du manque de lisibilité et de l'émiettement des aides locales, régionales ou nationales, qui freinent leur efficacité.

De plus, le démarchage téléphonique frauduleux qui explose dans ce secteur abuse de la confiance des consommateurs. Certains bailleurs ne rénovent pas leur bien, profitant de la pauvreté de leurs locataires. Comment y remédier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe UC)

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Vous avez raison : il existe de nombreuses aides et elles ne sont pas toutes lisibles. Le FSL aide 300 000 ménages chaque année - pour 250 euros environ en moyenne  - géré par les conseils départementaux ; le chèque Énergie touchera 5,4 millions de ménages et le CITE sera élargi.

Nous massifions les programmes de rénovation, financés par les certificats d'économies d'énergie, portés désormais par les grands énergéticiens. Le programme Faire, partagé par tous les acteurs, doit permettre les synergies et développer un label reconnu par tous nos concitoyens. Nous travaillons avec Régions de France à un service public de l'efficacité énergétique. Nous simplifions les guichets et certifions l'existence de tiers de confiance à même de convaincre nos concitoyens de mener des actions de rénovation.

M. Guillaume Chevrollier.  - Dans ce domaine comme dans d'autres, il faut de la simplicité et de la stabilité.

Mme Françoise Cartron .  - La précarité énergétique est devenue un sujet de préoccupation majeure. Au cours de l'hiver dernier, 15 % des ménages ont affirmé avoir souffert du froid chez eux. Un sur quatre est en situation de vulnérabilité énergétique, avec une surreprésentation des ruraux, des agriculteurs et des retraités.

Des dispositifs existent : remplacement des tarifs sociaux par le chèque, porté à 200 euros cette année. Mais à long terme, la meilleure façon d'éradiquer la précarité reste de rénover les logements.

L'ANAH, avec le programme Habiter mieux, finance jusqu'à la moitié des travaux mais les plus pauvres n'y ont guère recours, faute d'information parfois. Comment faire passer les messages à ces « invisibles » ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Oui, nous devons atteindre tous ceux qui se perçoivent comme « invisibles ». Le taux de recours au chèque Énergie en 2017 était de 85,5 % - plutôt un bon taux. Mais nous devons faire mieux et relancer les bénéficiaires qui ne l'ont pas activé.

Nous pouvons aussi faire mieux sur l'accès au programme ANAH, c'est le rôle de la plateforme Faire. Le collectif pour les énergies renouvelables (CLER) a un programme « Services locaux d'intervention pour la maîtrise de l'énergie » (Slime). La Poste a aussi son propre programme de sensibilisation des ménages.

M. Joël Bigot .  - La veille du dépôt du projet de loi Énergie, le Gouvernement a décidé de revoir sa copie ; cela arrive au moment où « l'affaire du siècle » se déploie. Les deux questions de l'écologie et de la précarité énergétique sont intimement liées.

J'espère que le Gouvernement prendra en compte les remarques du Conseil national de la transition écologique (CNTE) qui vous invitait à instaurer le « service public de performance énergétique de l'habitat » comme prévu par la loi relative à la transition écologique et à la croissance verte. Nous sommes encore très loin, avec 350 000 rénovations par an, d'atteindre l'objectif des 500 000 inscrit dans la programmation pluriannuelle de l'énergie. Il faudrait 15 milliards à 30 milliards d'euros de dépenses chaque année pendant trente ans pour rattraper le retard. Le Gouvernement s'inspirera-t-il des dispositifs belges et scandinaves, efficaces et lisibles ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Je veux vous rassurer, le projet de loi Énergie n'est pas moins ambitieux. Il a pour ambition d'atteindre la neutralité carbone en 2050, ce qui est en fait une réduction plus élevée que la division par quatre de nos émissions de gaz à effet de serre qui était visée auparavant.

Le service public de l'économie d'énergie doit être mis en oeuvre. Nous y travaillons avec les régions et les collectivités territoriales. Oui, il faut simplifier les empilements d'aides et mieux coordonner les collectivités locales. C'est le sens de l'expérimentation qui commence dans trois régions pilotes et nous permettra de trouver la meilleure organisation possible pour nos concitoyens.

Mme Denise Saint-Pé .  - Entre 5,8 millions et 6,7 millions de ménages sont touchés par la précarité énergétique. Il faut renforcer les moyens de lutte contre la mauvaise isolation des logements. Ne faut-il pas s'interroger sur les méthodes de calcul des tarifs de l'énergie, qui ne cessent d'augmenter ?

Les aides excluent ceux qui ont froid et ne se chauffent pas. Le chèque Énergie est utilisé à 70,57 % à fin 2018. Que faire pour lutter contre le non-recours aux certificats qui ouvriraient aux consommateurs précaires d'autres droits ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Le chèque Énergie, d'un montant de 200 euros en moyenne, a précisément pour but d'accompagner les ménages les plus vulnérables ; il est plus simple et plus juste que les tarifs sociaux. Il est attribué en fonction des revenus des ménages indépendamment de leur effort ; ils touchent donc aussi ceux qui ne se chauffent pas. Le montant de l'aide a été augmenté de 150 à 200 euros. Nous ne sommes pas moins ambitieux en visant 500 000 rénovations par an.

Mme Denise Saint-Pé.  - Madame la ministre, le chèque Énergie doit faire mieux que 70 % - 69 % dans mon département. Comment se fait-il que ses bénéficiaires ne puissent pas bénéficier des autres aides car on leur demande de renvoyer de nombreux documents justificatifs à leurs fournisseurs ?

M. Philippe Mouiller .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Le tarif de première nécessité (TPN) a fonctionné de 2004 à 2017 ; il était financièrement compensé auprès du fournisseur. Depuis 2017, le chèque Énergie s'est substitué aux tarifs sociaux TPN. Il n'est pas entièrement automatisé car les bénéficiaires doivent l'envoyer au fournisseur sous format papier, occasionnant une hausse des coûts de gestion, lesquels ne feront qu'augmenter encore, avec l'extension de 3,6 millions à 5,8 millions de bénéficiaires. Comment comptez-vous remédier à cette situation ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Le taux de recours du chèque Énergie est de près de 83 %, après une expérimentation de deux ans. Il est devenu un moyen de paiement en ligne pour 30 % des bénéficiaires. Il peut donner lieu à une pré-affectation à un fournisseur. Depuis 2019, l'attestation pourrait elle aussi être pré-affectée, ce qui correspond à environ 600 000 demandes au titre de la campagne 2018 et permettra aux bénéficiaires dont la situation ne change pas de n'avoir aucune démarche à faire.

Mme Angèle Préville .  - Vivre dans un logement indigne, une pièce calfeutrée est devenue une réalité en France.

Trop de locataires précaires sont captifs d'un marché insuffisamment réglementé, contraints d'habiter dans des logements mal isolés - classés F et G - leurs factures de chauffage et d'électricité explosent et ils renoncent à se chauffer et à utiliser l'eau chaude.

Certes, il y a des réponses : chèques Énergie, aides sociales, DPE opposable... mais il n'y a rien pour rendre obligatoire la rénovation de ces passoires énergétiques : les locataires n'ont pas les moyens de contraindre les propriétaires à faire des travaux.

M. Roland Courteau.  - Eh oui !

Mme Angèle Préville.  - La justice sociale est au coeur du débat. Que comptez-vous faire pour remédier à cette situation ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - La question est cruciale. Nous aidons les locataires à payer leurs factures, mais il est difficile d'atteindre les bailleurs et les propriétaires, qui n'ont guère de bénéfice à ce que les factures baissent alors que la rénovation leur coûte.

Nous agissons par le levier de l'incitation. Dès 2020, le CITE sera élargi aux propriétaires bailleurs qui font des travaux. Un audit des logements en DPE F et G sera obligatoire dès 2021 préalablement à leur location.

À plus long terme, il faudra éventuellement, si ces mesures s'avèrent inefficaces, réfléchir à une interdiction de la location de ces passoires énergétiques.

Mme Angèle Préville.  - Notre pays s'est engagé à promouvoir le développement durable, à rendre le coût de l'énergie abordable, à réduire les inégalités. Dès lors, ne faut-il pas agir en amont, faire du préventif plutôt que du curatif ? Pourquoi ne pas plafonner les loyers des logements classés F et G ? Il y a urgence climatique, sociale, énergétique : nous serons très attentifs à la future loi Énergie.

Mme Nicole Duranton .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Selon un sondage IFOP, six Français sur dix attachent de l'importance à la transition énergétique ; cependant, les travaux de rénovation énergétique ont un coût important. Les prêts de rénovation sont attribués aux propriétaires occupants ou bailleurs qui font des travaux. Avec le PTZ, prorogé jusqu'à 2021, les emprunteurs ont trois ans pour réaliser jusqu'à 30 000 euros de travaux. Le dispositif est favorable mais il porte le risque d'une explosion des défaillances à cause du taux d'endettement élevé des ménages modestes.

La Banque de France souligne ainsi une hausse des dossiers de surendettement et met en garde les autorités sur ce risque. Un ménage qui dispose de 1 500 euros mensuels ne peut avoir à rembourser davantage que 495 euros par mois, c'est la règle du tiers ; or, sur 15 ans, le remboursement de 30 000 euros représente 166 euros mensuels, hors assurance : c'est donc considérable pour les ménages précaires.

L'État pourrait-il se substituer à ces emprunteurs précaires pour l'assurance et se porter garant auprès des organismes de crédit ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Effectivement, la rénovation énergétique ne doit pas conduire à augmenter le surendettement. C'est pourquoi nous développons les mesures qui réduisent le reste à charge : les certificats d'éco-énergie ne laissent qu'un euro en reste à charge, permettant le changement d'une chaudière ou la rénovation de combles sans endettement. De même, nous avons remplacé le CITE par une prime immédiatement disponible, financée par l'ANAH et sans avance de frais.

Nous avons également simplifié l'éco-PTZ, supprimé l'obligation d'un bouquet de travaux, ce qui diminue le reste à charge, allongé la durée de remboursement et nous sensibilisons davantage les banques sur ce prêt, ainsi que sur les risques de surendettement.

M. François Bonhomme .  - La précarité énergétique touche plus de 6 millions de personnes en France. Notre pays, qui se présente en leader en tout, fait figure de mauvais élève : nous serions, en Europe, au dixième rang pour la précarité énergétique liée au logement et au onzième pour celle liée aux transports.

La vulnérabilité énergétique est donc une réalité, surtout quand 40 % des dépenses énergétiques passent dans l'achat de carburants. En Occitanie, l'une des plus vastes régions de France, la politique ferroviaire est un levier contre la vulnérabilité liée à la mobilité : il faut soutenir les petites lignes du quotidien et associer les collectivités à cette action. Il serait intéressant d'ouvrir la gestion de certaines lignes du réseau ferré national aux collectivités territoriales, ou d'autoriser les collectivités à une tarification de stationnement spécifique pour les ménages précaires.

Quels outils allez-vous mettre en place pour lutter contre la précarité énergétique dans les transports ? Quel rôle comptez-vous donner aux collectivités pour atteindre cet objectif ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Précarité énergétique et transports sont des sujets connexes en effet. Le Gouvernement souhaite penser une mobilité plus durable. C'était le sens des Assises de la mobilité, conduites sous l'égide d'Élisabeth Borne et auxquelles les collectivités territoriales ont été associées étroitement.

Le projet de loi LOM, prochainement discuté au Sénat, crée des autorités organisatrices de la mobilité (AOM) sur tout le territoire pour développer la convergence multimodale et proposer des mobilités homogènes.

Nous avons renforcé l'an passé la prime à la conversion en élargissant son champ et en augmentant son montant ; plus de 300 000 demandes ont été faites, 71 % des bénéficiaires ne sont pas imposables. Nous allons continuer dans ce sens, avec l'objectif de doubler la prime pour les 20 % des ménages les plus modestes et pour ceux qui ont des distances de trajet élevées.

Enfin, un nouvel appel à projet sera lancé en 2019 pour des actions de mobilité.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ .  - Les certificats d'économie d'énergie sont efficaces pour déclencher des travaux. Mais si le modèle est vertueux, il est, en pratique, vicié par les lourdeurs administratives.

Le recours au certificat doit en effet être notifié avant les travaux, mais ce n'est qu'posteriori que les ménages savent s'ils sont éligibles. Pour gagner en efficacité et éviter tout refus posteriori, ne faudrait-il pas que le fournisseur se charge lui-même du contrôle de l'éligibilité du consommateur ?

Ensuite, l'information n'étant pas toujours très claire, les ménages peuvent difficilement faire jouer la concurrence - alors que les écarts de prix peuvent être très importants. De plus, le montant de la prime est calculé sur la base du gain énergétique moyen et non du gain réel. Il faut donc renforcer la transparence en imposant la publication des tarifs du kW.

Le certificat, encore, manque d'efficacité et d'équité parce qu'étant payé par les vendeurs d'énergie, son coût est en fait répercuté sur les factures, donc acquitté par le consommateur. Les locataires sont les premiers perdants : ils contribuent, sans en être bénéficiaires. Ne faudrait-il pas, plutôt, un système de bonus/malus qui inciterait les bailleurs à faire des travaux ?

Enfin, le certificat reste peu connu, donc peu utilisé, les pouvoirs publics mettant davantage l'accent sur les aides publiques comme la TVA réduite ou le CITE, alors même qu'ils sont cumulables.

Les moyens restent trop peu lisibles, donc insuffisamment mobilisés : comment comptez-vous remédier à ces difficultés ?

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Le certificat d'économie d'énergie a contribué à 146 000 rénovations des combles, 40 000 isolations de murs, au remplacement de 46 000 chaudières et 250 000 fenêtres. C'est donc un outil utilisé massivement, qui mobilise des moyens importants.

Cependant, il faut, comme vous le suggérez, renforcer la transparence, nous y travaillons avec l'opération « Coups de pouce » qui informe sur l'offre tarifaire et sur la concurrence.

M. Vincent Segouin .  - La précarité énergétique nous touche au quotidien, les maires le constatent très largement dans leurs permanences. Dans mon territoire, nous avions l'espoir qu'une Opah servirait de guichet unique mais, après 100 000 euros engagés en études préalables et trois ans d'exercice, le bilan est bien maigre : à peine 130 dossiers traités, tant les difficultés administratives ralentissent les travaux.

En effet, les aides s'empilent et les dispositifs manquent de clarté : impossible de s'y retrouver. J'ai essayé, comme particulier, de déposer un dossier. J'ai commencé par aller sur le site de l'ANAH, mais il ne reconnaît pas mon numéro fiscal et me renvoie sur un numéro vert - et c'est mon jour de chance, car je tombe juste dans le créneau hebdomadaire où quelqu'un est censé répondre. J'appelle, presque heureux... mais je tombe alors sur une messagerie... qui me renvoie vers le site de l'ANAH, celui-là même qui exige mon numéro fiscal, mais qui ne le reconnait pas ! (Sourires) En fait, rien n'a changé : l'argent public reste toujours aussi mal utilisé, le fonctionnement l'emporte toujours sur l'investissement.

Quand allez-vous simplifier les procédures, uniformiser et stabiliser les critères des aides ? (Applaudissements sur de nombreux bancs)

Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État.  - Merci pour ce retour d'expérience client, il est important de se placer dans la perspective du particulier qui demande de l'aide pour la rénovation énergétique de son logement. Toutes les aides à la rénovation énergétique ne relèvent pas de l'État, les collectivités territoriales ont aussi les leurs ; c'est pourquoi, il importe de travailler ensemble à un service public de l'efficacité énergétique. C'est pourquoi nous travaillons à la création d'un guichet unique et que nous fusionnons le crédit d'impôt avec les aides de l'ANAH.

Malgré tout, le CITE bénéficie à un million de foyers, 350 000 logements ont été rénovés et 75 000 dossiers sont suivis par l'ANAH. Les aides sont donc très utiles.

M. Vincent Segouin.  - Croyez mon retour d'expérience : si je gérais ma société de services comme l'État gère ces dossiers, mon entreprise aurait fait faillite depuis longtemps ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Fabien Gay .  - Merci à tous pour ce débat. La précarité énergétique, il faut d'abord savoir ce que cela recouvre - je le dis car l'Observatoire national, en supprimant le critère du froid ressenti, a effacé de ses tableurs deux millions de personnes ! Or il y aurait 30 % des ménages qui souffrent ou ressentent qu'ils souffrent du froid dans leur logement...

Nous proposons d'ajouter le thème de la mobilité, qui est un enjeu de précarité énergétique quand tant de nos compatriotes n'ont pas d'autre choix que de prendre leur véhicule - du fait même des trop nombreuses zones blanches de la mobilité.

Il faut, selon nous, s'attaquer aux causes. Le chèque Énergie fait débat, dites-vous, parce que trop de Français n'y recourent pas alors qu'ils y ont droit. Mais, en réalité, il faut aussi noter qu'il ne représente que 150 euros, alors que, selon l'Observatoire, il faudrait entre 523 et 735 euros pour sortir une personne de la précarité énergétique ! Le problème, c'est donc aussi celui des revenus : il faut augmenter les salaires, à commencer par le Smic, pour que tous nos compatriotes vivent dignement.

On ne saurait passer sous silence la question de la privatisation du service public de l'énergie. Vous voulez vendre Engie, avec la loi Pacte, et il se murmure que vous voulez démanteler aussi EDF (Mme la ministre le nie.), déjà obligée de vendre l'énergie nucléaire au privé. Pensez-vous vraiment qu'un opérateur privé, qui ne se préoccupe que du profit, puisse apporter des réponses à la précarité énergétique ? Nous ne sortirons pas nos compatriotes de la précarité énergétique en privatisant les opérateurs énergétiques !

Enfin, devant l'ampleur des besoins de rénovation énergétique des logements, nous avons besoin d'un plan Marshall ! Au rythme actuel, il faudrait 140 années pour rénover tout le parc.

Je rappelle nos propositions : une TVA à 5,5 % et l'interdiction des coupures d'énergie toute l'année pour les précaires, annulation de la CSPE - mais nous avons une proposition de loi sur ces sujets d'importance, nous en reparlerons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

La séance, suspendue à 15 h 55, reprend à 16 heures.

Lutte contre le mariage des enfants, les grossesses précoces et les mutilations sexuelles féminines

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, pour soutenir la lutte contre le mariage des enfants, les grossesses précoces et les mutilations sexuelles féminines.

Discussion générale

Mme Annick Billon, auteure de la proposition de résolution .  - La proposition de résolution que Mmes Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac et moi-même vous présentons est l'aboutissement des travaux de la délégation aux droits des femmes. Plus de 100 sénateurs de groupes divers l'ont cosignée, signe de l'engagement du Sénat aux côtés du Parlement européen et de l'Association parlementaire du Conseil de l'Europe contre ces fléaux qui touchent les femmes : les mariages forcés, les grossesses précoces et les mutilations sexuelles.

L'actualité récente conforte notre combat : la dernière lauréate du prix Simone Veil, Aïssa Doumara Ngatansou, lutte contre le mariage forcé et le Gouvernement a lancé un plan pour éradiquer l'excision. Nous nous réjouissons de cette concomitance.

Il faut lutter contre la pratique barbare qu'est l'excision. Elle menace aussi les adolescentes sur le territoire français - qui risquent, à l'occasion de congés passés dans le pays d'origine de leur famille, de se retrouver excisées puis mariées contre leur gré. Et l'on sait que des mineures excisées accouchent dans nos hôpitaux.

Les chiffres sont effrayants : 12 millions de filles mineures mariées contre leur gré dans le monde chaque année, une femme sur cinq donne naissance à son premier enfant avant 18 ans, 70 000 décès sont causés chaque année par les grossesses et les accouchements précoces, soit la deuxième cause de décès des jeunes filles de 15 à 19 ans dans le monde. Le mariage des enfants, quoi qu'en croient les familles qui y ont recours, aggrave la pauvreté. Il faut généraliser la mobilisation contre le mariage des enfants.

Je salue l'engagement de celles et ceux qui oeuvrent contre les violences faites aux femmes - le relativisme culturel ne saurait justifier ces violences. Il faut qu'ils disposent des moyens nécessaires à leurs actions. Nos combats aboutiront s'ils sont aussi portés par des hommes. Je salue donc nos 40 collègues cosignataires.

M. Pierre Ouzoulias.  - C'est une fierté.

Mme Annick Billon.  - Voter cette proposition de résolution, ce serait un signal fort envoyé par le Sénat. (Applaudissements sur tous les bancs)

Mme Marta de Cidrac, auteure de la proposition de résolution .  - (Applaudissements) C'est une grande satisfaction de discuter cette proposition de résolution quelques jours après la Journée internationale du droit des femmes.

Annick Billon a rappelé les chiffres effroyables. L'excision fait une victime toutes les 15 secondes dans le monde. La délégation aux droits des femmes a récemment commis un rapport sur les mutilations sexuelles féminines. Ce fut l'occasion d'entendre des témoignages de victimes et d'actes de la lutte contre l'excision. Celle-ci est souvent une véritable épreuve dans un long parcours allant du mariage forcé aux violences conjugales. Parmi les jeunes femmes accueillies au foyer Une femme, un toit, 80 % de celles ayant subi une excision ont été mariées de force ou menacées de mariage forcé.

Le Gouvernement a annoncé un plan contre l'excision. Nous serons heureux qu'il puisse s'appuyer sur nos recommandations.

Mme Maryvonne Blondin.  - Tout à fait !

Mme Marta de Cidrac.  - Dans ce cadre, les actions doivent être menées dans les établissements secondaires. Il faut notamment renforcer les moyens de la médecine scolaire ; médecins, infirmiers et psychologues de la communauté éducative sont en première ligne pour repérer et orienter les jeunes filles. Les jeunes mineures excisées ont été victimes d'actes criminels, comme nous le rappelait le docteur Emmanuelle Piet que nous avons auditionnée.

Nous sommes fières que la loi contre les violences sexuelles et sexistes ait repris l'une de nos propositions : le repérage et l'orientation des mineures victimes ou menacées de mutilations sexuelles font désormais partie des missions de l'aide sociale à l'enfance.

La convention d'Istanbul, qui oblige à sanctionner les mutilations et les mariages forcés, est un instrument précieux. Nous souhaitons marquer notre soutien aux associations qui oeuvrent dans ce domaine en proposant une augmentation de leurs moyens. Je vous invite à voter cette proposition de résolution sans hésitation. (Applaudissements sur tous les bancs)

Mme Maryvonne Blondin .  - (Applaudissements) Je remercie la présidente et les membres de la délégation aux droits des femmes d'avoir permis ce projet de résolution et toutes les associations qui luttent contre les violences faites aux femmes.

Je me souviens des témoignages poignants des femmes que nous avons rencontrées. J'entends leurs paroles sobres et pudiques mais ô combien chargées de souffrances, nous disant le choc terrible ou le néant complet après le « charcutage » qu'elles ont subi et leur reconnaissance envers tous ceux qui les ont aidées. Certains d'entre vous ont certainement vu le film Fleur du désert... On ne sort pas indemne d'un tel travail...

Dans le monde, 200 millions de femmes sont victimes d'excision, dont 44 millions de jeunes filles de moins de 15 ans. Ni l'Europe ni la France ne sont épargnées par le phénomène : il y aurait 53 000 victimes en France.

Souvent, les victimes vivent tout un parcours traumatique comprenant mariage et grossesse précoces, continuum de violences faites aux femmes.

Aucune tradition culturelle ou religieuse ne peut justifier de telles pratiques ancrées dans la conviction de l'infériorité des femmes et des filles - et qui s'apparentent à une torture ! C'est une pratique sociétale qui s'explique par la crainte qu'une femme non excisée ne trouve pas de mari.

Après une période de « gloire » à la Renaissance, le clitoris a été volontairement rendu invisible et indigne par une grande vague d'obscurantisme sexuel pendant des siècles : première apparition dans un manuel de biologie en 2017 seulement.

L'excision conduit à des complications obstétriques, à l'incontinence, à des rapports sexuels douloureux... Il s'agit bien d'une torture.

La reconstruction peut s'avérer difficile. Dans certains pays, ce sont des professionnels de santé qui pratiquent l'excision. La plupart du temps, des fillettes ou des nourrissons sont concernés lors d'un retour au pays pendant les vacances, parfois contre l'avis des parents, car c'est la grand-mère qui a autorité sur ces questions.

Les professionnels de santé, du social, de la justice et de l'éducation sont en première ligne de ce combat collectif.

La loi de 2013 a aggravé les sanctions. La France a ratifié la convention d'Istanbul du Conseil de l'Europe en 2014 : c'est un instrument juridique exceptionnel contre les mutilations sexuelles féminines.

Mais la sanction ne suffira pas. Il faut faire évoluer les mentalités par des actions de prévention auprès des communautés concernées.

L'ONU, l'OMS, l'Unicef se sont saisies du sujet. Nous devons nous en réjouir ! Dès 2001, une résolution a été adoptée par l'Association parlementaire du Conseil de l'Europe, dont je fais partie. Ce type d'action contribue à la visibilité de notre combat, mais la pratique de l'excision demeure.

Dès lors, l'objectif de son éradication en 2030 semble bien proche...

Le Sénat a raison de participer à cette cause internationale, qui appelle notre pleine et entière adhésion. (Applaudissements sur tous les bancs)

Mme Françoise Laborde .  - (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et UC) Les droits des femmes à disposer de leur corps et de s'émanciper du patriarcat ne sont toujours pas acquis, comme le montrent régulièrement les travaux de notre délégation. La convention d'Istanbul a été ratifiée par 33 États, dont la France. En juin 2018, à Charlebois, au Québec, les États du G7 se sont engagés en faveur du droit des femmes, notamment en favorisant leur éducation et la lutte contre les violences. Cet engagement sera repris à Biarritz en août à l'initiative de la France lors du prochain sommet.

Les membres du groupe RDSE ont décidé à l'unanimité de cosigner ce texte. Le premier pas à franchir pour combattre ces actes est de les nommer. Des lanceurs d'alerte consacrent leur vie à la prévention et au soutien des victimes.

Le 11 mars, au Royaume-Uni, une femme a été condamnée pour avoir excisé sa fille, pratique interdite depuis 1985. La honte et la peur doivent changer de camp ; il faut lever le voile sur ce tabou, reconnaître la souffrance physique et psychologique des victimes.

Malheureusement, ce n'est pas seulement en zone de guerre que ces violences ont lieu : c'est le quotidien de 200 000 femmes et filles dans le monde, dont 60 000 en France - statistiques sans doute sous évaluées. Combien encore de victimes de cette pratique, perpétrée par des femmes qui se conforment au diktat du patriarcat ?

En France, la loi punit l'excision de dix ans de prison et de 150 000 euros d'amende. Mais la loi ne suffit pas à changer les mentalités. Depuis 2012, aucune condamnation n'a été prononcée. Il y a toujours des mutilations...

Les équipes éducatives ont un rôle de prévention majeur, du primaire au lycée. Un effort de formation à destination des personnels éducatifs et médico-sociaux s'impose, tout comme le soutien aux associations de terrain, pour inciter les populations à refuser des traditions contraires aux droits humains universels et aux conventions internationales, tout simplement parce qu'elles sont criminelles. C'est par l'éducation que nous gagnerons la bataille des mentalités.

Le législateur doit rester vigilant. Lutter contre les mariages forcés, les grossesses précoces et les mutilations sexuelles féminines, c'est lutter contre la pédo-criminalité - objet d'une mission d'information du Sénat. Appelons un chat un chat !

Le groupe RDSE invite le Sénat à voter en faveur de cette résolution et à s'inscrire dans une dynamique émancipatrice. (Applaudissements)

Mme Nassimah Dindar .  - (Applaudissements sur divers bancs) Cette résolution s'inscrit dans la tradition du Sénat, qui votait dès 2006 l'interdiction du mariage avant 18 ans. Aujourd'hui encore, à travers le monde, une fille sur cinq est mariée de force avant ses 18 ans. Aujourd'hui encore, des mutilations sexuelles menacent les jeunes filles en Afrique ou en Asie du Sud. Aujourd'hui encore, à La Réunion et ailleurs, les grossesses précoces freinent l'épanouissement d'une vie.

La France a pour devoir d'éclairer les consciences. « Tous les êtres humains naissent égaux en dignité et en droits » dit la Déclaration universelle des droits de l'Homme et du Citoyen, en son article premier. Nous en sommes les garants. Merci aux auteurs de cette proposition de résolution ne nous rappeler à cette responsabilité morale.

Cette résolution, forte de quinze constats et de quinze recommandations, mériterait d'être largement diffusée. Les trois fléaux contre lesquels elle lutte sont liés. Ils émanent de systèmes sociaux qui consacrent l'infériorité de la femme. L'objectif est toujours le même : nier le corps de la femme, refuser l'envol de son esprit en lui refusant l'éducation.

Malala, cette jeune Pakistanaise, nous a rappelé que certains sont prêts à tuer pour laisser les jeunes femmes dans l'ignorance. Nassimah, mariée à 17 ans, en France, peut vous dire que certains parents croient bien faire en perpétuant leurs propres traditions. L'école est la seule voie pour s'extraire de ces chemins tout tracés...

Les conséquences de ces pratiques sont toujours les mêmes : psychologiques et sanitaires, mais aussi sociales et économiques, car ces sociétés se privent d'une partie de leur potentiel de développement.

Il faut dénoncer mais surtout agir par des campagnes de communication, en aidant les associations, en soutenant des projets de coopération avec les pays les moins avancés, car le mariage des enfants reste étroitement associé à la pauvreté. Dans beaucoup de ces pays, les filles sont perçues comme des bouches à nourrir.

Simone Veil aurait été heureuse de savoir que le premier prix qui porte son nom a été remis le 8 mars dernier à Aïssa Doumara.

Souvent se taisent, dans le secret des communautés, des pratiques discriminatoires voire criminelles. Je pense à ces adolescentes des Comores qui me confiaient les abus perpétrés, en toute impunité, par des maîtres d'école coraniques. Je pense à l'Éthiopie où 75 % des petites filles sont excisées. Agissons pour elles. (Applaudissements)

Mme Colette Mélot .  - « Tant que les femmes ne vivront pas à l'abri de la peur, de la violence et de l'insécurité quotidienne, il nous sera impossible de prétendre vivre dans un monde juste et égal. » Dans cette phrase d'António Guterres, tout est dit.

La violence à l'égard des femmes et des filles est la violation des droits de l'Homme la plus répandue, la plus persistante. Rien ne saurait justifier ces mutilations barbares dont les chiffres sont pourtant en hausse. Les arguments hygiéniques sont absurdes. Et je ne parle pas des conséquences médicales...

Il faut dénoncer, mais aussi agir. Agir, c'est ce que fait Waris Dirie, cette jeune Somalienne qui a fui, à 13 ans, un mariage forcé avant de devenir mannequin et ambassadrice de bonne volonté de l'ONU après avoir raconté son excision. C'est ce que fait la Camerounaise Aïssa Doumara, au sein de l'Association de lutte contre les violences faites aux femmes (ALVF). Tous les jours, des milliers d'Aïssa et de Waris bravent les préjugés sexistes, au péril de leur vie.

Agir, c'est le combat mené par Denis Mukwege, ce gynécologue « qui répare les femmes », prix Nobel de la paix.

Agir, c'est l'initiative Spotlight, partenariat entre l'Europe et l'ONU pour améliorer la vie des femmes. C'est, comme le Royaume-Uni, condamner à onze ans de prison une femme ougandaise pour l'excision de sa fille de 3 ans.

Les femmes excisées à l'étranger sont 60 000 à vivre en France. Nous devons convaincre nos concitoyens que ces pratiques sont inacceptables. Je salue la mobilisation de Marlène Schiappa sur ce dossier.

L'éducation des filles est cruciale ; les priver d'instruction les maintient dans la vulnérabilité et la dépendance. Comme l'a dit Kofi Annan, il n'y a pas de meilleur instrument de développement que l'éducation des filles.

Parce que ces actes portent atteinte à la dignité humaine, la France doit se montrer à la hauteur de son histoire et faire entendre sa voix.

À l'heure où l'égalité entre les hommes et les femmes est menacée en Hongrie, l'avortement en Pologne, il nous faut garder une vigilance de tous les instants. C'est l'honneur de la France de mener ce combat qui est celui du XXIe siècle. Je félicite la délégation aux droits des femmes d'avoir porté cette proposition de résolution auquel le groupe Les Indépendants apporte tout son soutien. (Applaudissements)

Mme Chantal Deseyne .  - (Applaudissements sur divers bancs) Au lendemain de la Journée internationale des droits des femmes, la délégation aux droits des femmes nous invite à débattre sur une proposition de résolution appelant à lutter contre des pratiques inhumaines qu'aucune tradition ne saurait justifier.

Les statistiques terribles méritent d'être martelées. Toutes les sept secondes dans le monde, une fille de moins de 15 ans est mariée. Une fille sur cinq met au monde son premier enfant avant 18 ans. Plus de 70 000 décès sont causés chaque année par les grossesses précoces.

Le mariage forcé des jeunes filles, c'est le viol conjugal permanent, avec une dimension pédophile aggravante. En traitant les filles comme monnaie d'échange, en les privant de scolarisation, on leur interdit de s'émanciper.

Pour prévenir le mariage des enfants, il faut investir massivement dans l'éducation, meilleur instrument contre ces fléaux.

Il existe un continuum entre mariage forcé des enfants et excision : il est fréquent qu'une très jeune fille subisse une excision pour être ensuite mariée de force. Les statistiques sont dramatiques. Toutes les quinze secondes, une fille est excisée. Les victimes sont 200 millions dans le monde ; 44 millions ont moins de 15 ans.

La proposition de résolution rappelle que l'inscription à l'état civil est un droit fondamental qui conditionne les autres droits. Une personne non déclarée à l'état civil peut être victime de toutes sortes de trafics. L'interdiction du mariage avant 18 ans devrait servir d'exemple.

Elle appelle à sanctuariser dans un cadre pluriannuel les moyens alloués par la France aux associations investies dans ces causes.

Elle appelle à sensibiliser les personnels de l'Éducation nationale sur le problème. Les moyens de la médecine scolaire devraient être revalorisés pour un meilleur repérage des victimes potentielles, susceptibles d'être excisées et mariées de force lors d'un séjour dans leur pays d'origine.

La diplomatie française doit mettre l'accent sur l'accès à l'éducation des filles et être particulièrement attentive au sort des filles dans les régions en crise.

Merci à Mmes Billon, de Cidrac et Blondin pour ce texte qui manifeste l'attachement de notre institution à cette cause. Bien sûr, le groupe Les Républicains le votera. (Applaudissements)

Mme Patricia Schillinger .  - (Applaudissements sur divers bancs) Chaque année, douze millions de filles sont mariées avant l'âge de 18 ans, parfois avant 11 ans, avec un partenaire imposé, le plus souvent bien plus âgé. Les grossesses précoces causent 70 000 morts chaque année - c'est la deuxième cause de décès pour les filles de 15 à 19 ans.

Mariage des enfants et mutilations sexuelles sont liés. Là aussi, les chiffres sont effroyables : une excision toutes les quinze secondes, 200 millions de victimes, dont le quart a moins de 15 ans.

Les conséquences physiques et psychologiques de ces mutilations sont graves : 10 à 25 % de mortalité immédiate si elles sont pratiquées avant l'âge de 3 ans.

En France, l'excision est fermement condamnée, mais des adolescentes vivant sur notre territoire sont menacées lors de séjours dans le pays d'origine de leur famille.

Culture et tradition ou illusoire prétexte d'hygiène, il est impératif de lutter contre tout type de croyance cherchant à justifier ces mutilations.

Dans certains pays, ces crimes sont perpétrés dans une situation de conflit ou d'après-conflit, et leurs auteurs ne seront jamais condamnés. Cette impunité est intolérable.

Dans la lutte pour l'égale dignité des femmes et des hommes, l'implication des hommes est décisive.

Cette proposition de résolution rend hommage à celles et ceux qui s'engagent dans ces combats. Je pense en particulier à Denis Mukwege, « l'homme qui répare les femmes », et à Aïssa Doumara Ngatansou. Je salue aussi l'action des ONG telles que l'Unicef.

Avec cette proposition de résolution, le Sénat rejoint la résolution du Parlement européen du 23 mars 2009 et je m'en réjouis. La Chambre Haute et sa délégation démontrent ainsi leur engagement pour défendre les droits fondamentaux des femmes. ?uvrons à une égale dignité des hommes et des femmes dans le monde. (Applaudissements)

Mme Laurence Cohen .  - À mon tour de remercier la présidente de la délégation et les deux rapporteures, Mmes Blondin et de Cidrac. Après le travail de la délégation, il était essentiel que le Sénat prenne position en approuvant cette résolution que l'ensemble du groupe CRCE a cosignée.

On compte 160 millions de femmes excisées dans 85 pays, et 3 millions de fillettes chaque année sont menacées. Chaque année, 12 millions de filles sont mariées avant 18 ans, 70 000 décès sont dus à des grossesses précoces. La cause principale de ces violences est la domination masculine, le système patriarcal, partout dans le monde. Il faut dénoncer ces violences de genre qui infériorisent les femmes, leur interdisant tout désir, tout plaisir. Ces mutilations sexuelles sont l'expression de l'appropriation du corps des femmes par les hommes.

Je veux saluer le travail exceptionnel du centre Women Safe de Saint-Germain-en-Laye et de la maison des femmes de Saint-Denis.

Comment ne pas penser aux témoignages bouleversants de jeunes filles à qui on a volé l'enfance, pour reprendre le titre du livre de Diaryatou Bah ?

Je salue l'action des associations, comme la fédération GAMS ou « Excision, parlons-en ! ». Il est indispensable que les subventions soient renforcées et s'inscrivent dans un cadre pluriannuel. Des campagnes d'information doivent être menées, notamment auprès des jeunes. Il faut aussi augmenter les moyens de la Cimade, de l'Office français des réfugiés apatrides ou de l'aide sociale à l'enfance, autant de structures indispensables pour repérer et accompagner les victimes.

Il faut aussi former les professionnels qui travaillent auprès des enfants et des adolescents, comme les médecins scolaires, les infirmières et assistantes sociales. Je regrette que l'obligation de signalement pour les médecins, votée par le Sénat dans la loi sur les violences sexuelles et sexistes, ait disparu en CMP.

Au niveau international, il est indispensable que la convention d'Istanbul soit ratifiée par tous les pays. Pourquoi ne pas profiter de la présidence française du G7 en août pour avancer sur cette question et inciter les État à pénaliser les mutilations sexuelles féminines ? Mme Schiappa a annoncé un plan contre l'excision avant l'été. Pouvez-vous nous en dire plus, ainsi que sur les dix lieux de soins innovants annoncés par le président de la République ?

Je terminerai en citant le Dr Mukwege, qui dédiait son prix Nobel à « vous, les femmes, qui portez l'Humanité ». (Applaudissements)

M. Loïc Hervé .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) Le 11 octobre 2018, Journée internationale de la fille, António Guterres appelait à aider chaque fille à exploiter tout son potentiel - tout en rappelant le long chemin à parcourir pour faire changer les mentalités.

La délégation aux droits des femmes du Sénat, dont je suis membre, a voulu mettre l'accent sur ces fléaux que sont le mariage des enfants, les grossesses précoces et les mutilations sexuelles féminines. Je regrette d'ailleurs d'être le seul orateur homme inscrit...

Mme Laurence Cohen.  - D'habitude, c'est l'inverse !

M. Loïc Hervé.  - ...mais notez que quarante signataires de la proposition de résolution sont des hommes !

Les chiffres sont terribles : toutes les sept secondes, une jeune fille de moins de 15 ans est mariée ; toutes les quinze secondes, une jeune fille est excisée ; une fille sur cinq a son premier enfant avant 18 ans ; 70 000 décès sont dus chaque année aux grossesses précoces. Il n'est pas tolérable que des professionnels de santé pratiquent dans certains pays des excisions au nom de prétendues raisons hygiéniques ou de traditions culturelles ou religieuses.

Ce texte traite de la place de la femme, de l'enfant, de l'humain dans la société. Je veux saluer les auteures de la proposition de résolution, inspirée des travaux remarquables de la délégation.

Lorsque l'on entend les témoignages sur le terrain, on est effaré. C'est le rôle du législateur de se mobiliser pour faire cesser ces agissements. C'est aussi à la justice de s'en saisir. Nous devons promouvoir partout dans le monde l'éducation des filles, levier de développement. Nous recommandons que la France augmente ses subventions aux associations qui oeuvrent en ce sens. Une prise de conscience est indispensable à l'égard de telles pratiques.

Au nom du groupe UC, je vous invite à voter sans réserve cette proposition de résolution. (Applaudissements)

Mme Nicole Duranton .  - Je félicite les auteures de cette proposition de résolution que j'ai cosignée.

Les grandes vacances en famille au pays de leurs grands-parents devraient être un moment de joie et d'insouciance pour les jeunes filles. Hélas, cela tourne parfois au cauchemar... Nous ne pouvons pas accepter l'inacceptable. Les excisions, les mariages forcés n'ont pas leur place dans une société civilisée. Derrière les chiffres, que de vies brisées, de potentiels gaspillés ! Le mariage précoce, c'est l'abandon de la scolarité, l'enfance volée, l'esclavage domestique, le viol conjugal, les grossesses dangereuses... Imaginez avoir été mariée de force à 15 ans ! Dans des camps de réfugiés, on marie des filles dès 11 ans, afin d'obtenir des rations alimentaires et une protection.

Dans certains pays, les parents voient dans le mariage une solution pour des enfants qu'ils n'ont pas les moyens d'éduquer. Parfois, lorsque des témoins osent parler, la jeune fille peut échapper au mariage forcé, mais les campagnes de sensibilisation se heurtent souvent à des résistances. Les mutilations sexuelles féminines sont défendues par les femmes elles-mêmes dans des sociétés qui considèrent le corps de la femme comme la propriété des hommes. Le non-respect de ces pratiques entraine rejet social et marginalisation. Les jeunes filles intériorisent cette injonction, nous indiquait le Dr Ghada Hatem.

Je me réjouis que le Sénat se mobilise, comme l'a fait le Conseil de l'Europe avec ses résolutions de 2018 sur les mariages forcés et de 2016 sur les mutilations génitales féminines en Europe.

Le Conseil de l'Europe, en 2001 puis en 2013, avait déjà condamné les mutilations génitales et appelé à mener des campagnes de prévention.

Mettons toutes nos forces dans ce combat pour faire cesser ces pratiques barbares et contraires à la dignité humaine. Je voterai pour ma part cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et RDSE)

Mme Brigitte Lherbier .  - (Applaudissements sur divers bancs) À l'université de Lille, dans le cadre d'un master où j'enseignais le droit de la famille, des étudiants avaient choisi comme thème d'études les mariages forcés et les grossesses précoces dans le Nord. Voulant rencontrer des jeunes filles concernées, ils eurent la surprise d'être orientés non vers les lycées mais vers les collèges !

Conseillère générale du département du Nord, j'ai souvent visité les foyers mère-enfant de Douai. J'y ai vu la précarité de ces très jeunes mères, avec parfois non pas un mais deux enfants, elles-mêmes protégées au titre de mineures en danger, leurs enfants faisant aussi l'objet d'une protection judiciaire...

Quel sort sera réservé aux petites Françaises nées ce jour ? En théorie, elles devraient avoir les mêmes droits que leurs concitoyens masculins. L'excision est interdite en France, me direz-vous... Mais la réalité est plus sombre : on compte 60 000 victimes d'excision en France, 500 000 dans l'Union européenne. En France, 70 000 jeunes filles vivent dans la crainte d'un mariage forcé.

Cette proposition de résolution est donc nécessaire. Notre législation n'a cessé d'évoluer - et je pense avec émotion à Simone Veil - mais il reste encore beaucoup à faire pour faire évoluer les mentalités. Une campagne télévisuelle martèle qu'il n'y a rien de viril à frapper une fille. Espérons qu'elle sera entendue !

Alors que de nombreuses étudiantes font de brillantes études et sortent major de promotion, leur place dans le monde professionnel n'est toujours pas à la hauteur.

Profitons de cette proposition de résolution pour réaffirmer nos valeurs. C'est quand nous aurons vaincu nos démons que nous pourrons clamer la voix de la France, celle d'une Nation unie dans l'égalité, qui donne les mêmes opportunités à tous ses enfants, filles et garçons. Pour toutes les filles et femmes du monde, je voterai cette résolution. (Applaudissements sur de nombreux bancs)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé .  - Comme l'a rappelé la Commission nationale consultative des droits de l'homme en 2013, « nul droit à la différence, nul respect d'une identité culturelle ne saurait légitimer des atteintes à l'intégrité de la personne, qui sont des traitements criminels ». Pourtant, les mutilations sexuelles féminines perdurent.

Vous avez rappelé les chiffres. En 2019, toutes les sept secondes, une jeune fille est mariée de force ; toutes les quinze secondes, une fille est excisée. En 2019, les grossesses précoces constituent la deuxième cause de décès des jeunes filles de 15 à 19 ans. Aucune tradition ne saurait être invoquée pour justifier l'excision ou les mariages précoces qui ne sont rien d'autre que des mariages forcés.

Ce sujet nous concerne tous. Je me félicite de cette proposition de résolution qui dépasse les clivages partisans.

La lutte contre les mutilations sexuelles féminines est au coeur de l'action de Mme Schiappa, qui, en ce moment même, est à l'ONU pour rappeler le combat de la France en la matière. L'égalité femmes-hommes est notre grande cause nationale. Vous pouvez compter sur notre détermination. Merci d'avoir rappelé que la loi prévoit désormais la formation des personnels des établissements sociaux et médico-sociaux à la détection et à la prévention des violences sexuelles - j'en étais à l'initiative, quand j'étais député.

Le Gouvernement a annoncé la création de dix centres de prise en charge des psycho-traumatismes des victimes de mutilations. Je salue l'engagement des soignants et des associations.

Le plan d'action de Mme Schiappa contre l'excision est en cours d'élaboration et sera rendu public dans les prochains mois. Il aura un effet levier sur la lutte contre les mariages forcés. Lutter contre les violences sexistes et sexuelles suppose de rappeler dès la crèche le principe d'égalité fille-garçon. L'éducation est la clé de la prévention, et la médecine scolaire concourt au repérage.

Le ministère de la Santé, au travers de nombreux projets comme « On sex-prime » mène des actions d'information sur la sexualité à destination des plus jeunes. Des unités de prise en charge des mutilations sexuelles féminines ont été mises en place ; outre la chirurgie réparatrice, prise en charge à 100 % par l'assurance maladie, elles associent une équipe pluridisciplinaire afin de soutenir les victimes. Prévenir, parler, accompagner, c'est le sens de l'action de Denis Mukwege, qui, avec Nadia Murad, fera partie du conseil consultatif pour l'égalité entre les femmes et les hommes du G7.

La France est signataire depuis 2011 de la convention d'Istanbul et a lancé une campagne pour son universalisation, appelant tous les État à la ratifier. La présidence française du G7 a mis au coeur de ses priorités la lutte contre les violences sexistes et sexuelles et l'accès des filles à l'école.

Combien de temps encore ces pratiques dureront-elles ? Je tiens à saluer l'action de toutes les associations : Aurore, GAMS, Excisions Parlons-en, Une femme un toit, Women Safe, le collectif féministe contre le viol, Enfants présents ou encore la Maison des femmes. Les droits des femmes sont des droits universels qui ne s'arrêtent à aucune frontière, culture ou tradition. Ce combat est éducatif, sanitaire, social et culturel. C'est ensemble, hommes et femmes, Parlement et Gouvernement, politiques et société civile, en France et dans le monde, que nous le gagnerons ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, RDSE, Les Indépendants, SOCR, UC et Les Républicains)

Explications de vote

Mme Annick Billon .  - Faisons en sorte que cette proposition, par notre vote unanime, devienne une résolution du Sénat ! Ce sera un message fort envers les victimes et ceux qui s'engagent pour la lutte contre les mariages forcés, les grossesses précoces et les mutilations génitales.

Le travail de Mmes Blondin et de Cidrac a largement précédé les annonces de Mme Schiappa, souhaitons que le Gouvernement s'en inspire. L'actualité sénatoriale l'a démontré cette semaine, nous sommes souvent en avance.

Monsieur le ministre, déclarer une grande cause ne suffit pas, il faut se donner les moyens de la porter. (Applaudissements)

M. Marc Laménie .  - Je remercie sincèrement la délégation aux droits des femmes, à commencer par sa présidente. Le groupe Les Républicains s'associe évidemment au vote de cette résolution. Il est, en effet, essentiel de se mobiliser pour lutter contre ce fléau de l'asservissement des fillettes à des règles ancestrales toujours édictées par des hommes. Aucune raison culturelle ou religieuse ne justifie la violence faite aux victimes ! Notre société doit la rejeter fermement.

Les chiffres cités montrent l'ampleur du désastre. Cette proposition de résolution n'est pas une simple déclaration de principes, elle appelle le Gouvernement à approfondir son action. L'accueil de populations immigrées appelle une vigilance accrue et un effort financier pluriannuel pour soutenir les associations, former le personnel de l'Éducation nationale dont on sait le rôle central.

Nous comptons également sur l'influence française et sa présidence à la tête du G7, pour que soit encore amplifiée la lutte internationale en faveur de la cause féminine. Faisons cesser ces violences d'un autre âge ! (Applaudissements)

Mme Hélène Conway-Mouret .  - À mon tour de féliciter la présidente de notre délégation aux droits des femmes et mes collègues pour leur engagement. Notre travail parlementaire renforce et accompagne l'action des associations. C'est un signal fort comme l'était la loi portée par Najat Vallaud-Belkacem qui a rendu ces pratiques punissables. Je soutiens de tout coeur cette proposition de résolution. (Applaudissements)

À la demande du groupe UC, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°66 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 343
Pour l'adoption 343
Contre 0

Le Sénat a adopté.

(Vifs applaudissements)

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État.  - Bravo !

Prochaine séance mardi 19 mars 2019, à 9 h 30.

La séance est levée à 17 h 40.

Jean-Luc Blouet

Direction des comptes rendus

Annexes

Ordre du jour du mardi 19 mars 2019

Séance publique

À 9 h 30 Présidence : M. Thani Mohamed Soilihi, vice-président

1. Questions orales

À 14 h 30 et le soir Présidence : M. Gérard Larcher, président du Sénat Mme Valérie Létard, vice-présidente M. Philippe Dallier, vice-président

2. Projet de loi, modifié par lettre rectificative, d'orientation des mobilités (procédure accélérée) (n°157 rect., 2018-2019)

Analyse des scrutins publics

Scrutin n°66 sur l'ensemble de la proposition de résolution pour soutenir la lutte contre le mariage des enfants, les grossesses précoces et les mutilations sexuelles féminines, présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution

Résultat du scrutin

Nombre de votants :343

Suffrages exprimés :343

Pour :343

Contre :0

Le Sénat a adopté

Analyse par groupes politiques

Groupe Les Républicains (145)

Pour : 144

N'a pas pris part au vote : 1 - M. Gérard Larcher, Président du Sénat

Groupe SOCR (74)

Pour : 74

Groupe UC (51)

Pour : 51

Groupe LaREM (23)

Pour : 23

Groupe RDSE (22)

Pour : 22

Groupe CRCE (16)

Pour : 16

Groupe Les Indépendants (12)

Pour : 12

Sénateurs non inscrits (5)

Pour : 1

N'ont pas pris part au vote : 4 - Mmes Christine Herzog, Claudine Kauffmann, MM. Jean Louis Masson, Stéphane Ravier

Nomination à une délégation

Mme Françoise Cartron est membre de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, en remplacement de M. Martin Lévrier.