Nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes et à l'affectation des dividendes à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France, présentée par Mme Éliane Assassi et plusieurs de ses collègues (demande du groupe CRCE).

Discussion générale

Mme Éliane Assassi, auteure de la proposition de loi .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE) En février 2014, Mireille Schurch déposait au nom du groupe communiste une proposition de loi pour renationaliser les sociétés d'autoroutes, identique à celle que nous examinons aujourd'hui. L'ensemble des groupes, à l'exception du nôtre, avaient rejeté ce texte, préférant attendre la fin des concessions pour rendre à l'État sa propriété.

Cette position s'est révélée hasardeuse et peu pertinente car la fin des concessions n'a cessé de reculer, à cause de contrats et de protocoles intervenus depuis, tous opaques - au point que le Gouvernement en cache le contenu, malgré les assignations en justice. C'est un scandale d'État !

Les gilets jaunes réclament la renationalisation des autoroutes, leurs opérations « péages gratuits » ne sont pas anodines. Car les péages sont devenus le symbole du racket organisé sur les usagers captifs, avec la complicité du Gouvernement. La colère est légitime ! La vente des sociétés d'autoroutes n'est rien d'autre que la captation des intérêts publics au profit d'intérêts privés, une spoliation puisque les autoroutes ont été financées par l'impôt de tous.

Les privatisations de 2005 par Dominique de Villepin étaient une erreur, une décision guidée par la seule obsession de réduire le déficit public. L'Autorité de la concurrence comme la Cour des comptes l'ont dénoncé, soulignant une rentabilité exceptionnelle des sociétés d'autoroutes, une rentabilité qui n'est guère justifiée par les risques ou les coûts supportés par ces sociétés.

Certains juristes estiment même que l'absence d'aléas dans la prise de risques pourrait constituer un vice de nature à fonder une demande de résiliation des contrats de concession. Mais personne, jusqu'à présent, ne s'est engagé dans cette voie...

Les sociétés concessionnaires d'autoroutes se portent bien : leur chiffre d'affaires a augmenté de 43 % entre 2009 et 2016, avec des bénéfices et des dividendes records - 4,7 milliards d'euros de dividendes - qui leur ont permis de rembourser déjà leur achat, estimé en 2007 à 14,8 milliards d'euros.

Les sociétés concessionnaires d'autoroutes ont dégagé en 2017 une marge brute de 73 %, et certaines d'entre elles empruntent pour verser des dividendes ! En 2014, le Gouvernement avait engagé une procédure de renégociation. Les tarifs ont été gelés momentanément mais la hausse n'a été que reportée sur les années 2019 à 2023 et le protocole d'accord, signé le 9 avril 2015, par Mme Royal et M. Macron, prolonge les concessions de trois à cinq ans en contrepartie de travaux sur les autoroutes. Des avenants ont été signés en 2017 assurant 800 millions d'euros d'investissements supplémentaires avec en contrepartie une hausse des tarifs des péages et la participation des collectivités territoriales.

L'Arafer indique qu'il n'est pas justifié de faire supporter les financements de 23 opérations par les usagers. Pourtant, les tarifs continuent à augmenter. Comment l'État peut-il rester indifférent face à ce racket ?

L'intérêt général est bafoué. L'État s'avère incapable de défendre ses intérêts et l'intérêt général face au privé ; depuis dix ans, il fait systématiquement les mauvais choix.

Il faut sortir de ce piège, en analysant les rapports de force. Les pratiques des sociétés autoroutières sont légales puisqu'elles découlent de contrats signés avec l'État, lequel est littéralement pieds et poings liés, incapable de demander toute révision des contrats.

Lorsque l'État demande une réduction, il ne le fait pas au nom de l'intérêt général, mais il demande une aumône à des sociétés qui sont dans leur bon droit, et toute puissantes. L'État a organisé sa propre impuissance, et toute charge nouvelle demandée aux concessionnaires doit être « compensée », autrement dit facturée aux usagers.

Dès lors, il ne reste qu'une solution : l'État peut, pour un motif d'intérêt général, mettre fin aux contrats. Il en coûterait entre 28 et 50 milliards d'euros, que l'État verserait sur le long terme, par des emprunts qui seraient remboursés par les péages. L'État pourrait être offensif, en s'appuyant sur le principe constitutionnel interdisant aux personnes publiques de consentir des libéralités - par exemple une indemnisation manifestement disproportionnée au préjudice, y compris en cas de rupture d'un contrat administratif. C'est le cas ici, partant de la sous-estimation initiale des concessions, qui a lésé l'État.

À l'heure où se développe en France une fronde sur les taxes et la vie chère, cette option est tout à fait pertinente. Pourquoi ne pas prendre exemple sur l'Espagne qui a renationalisé 500 kilomètres de tronçons d'autoroutes ? Tout est donc affaire de volonté politique pour sauvegarder les intérêts de la Nation : c'est le sens de ce texte utile. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Guillaume Gontard, rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable .  - Je veux saluer Évelyne Didier qui avait travaillé en 2014 sur un texte similaire.

Cette proposition de loi vise à corriger l'erreur du Gouvernement Villepin de 2006. Elle répond à deux questions qui font l'actualité : le renchérissement du coût des mobilités, lié à la diminution de l'offre de transports collectifs ; la privatisation d'ADP, symbole d'une politique de court terme où le Gouvernement n'hésite pas à dilapider les biens de l'État pour dégager des liquidités.

Si la majorité sénatoriale s'est opposée à la privatisation d'ADP, c'est bien qu'elle a pris la mesure du catastrophique précédent de la privatisation des autoroutes en 2006. Aujourd'hui, une vingtaine de sociétés gèrent 9 000 kilomètres d'autoroutes, avec 1 000 aires de repos, 987 échangeurs, mobilisant 13 000 emplois.

Cette proposition de loi nationalise quatorze sociétés d'autoroutes, opération qu'elle gage par une hausse de l'impôt sur les sociétés - sachant que le Gouvernement pourra avancer la somme nécessaire, puis se rembourser via les péages, car la nationalisation, ce n'est pas la gratuité.

Le 20 février dernier, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a souligné l'importance du sujet et la nécessité que l'État utilise tous ses outils pour mieux réguler les concessions et les tarifs. Elle a rappelé que les hausses importantes de tarifs résultent des décisions irresponsables prises par le passé. Mme Royal avait obtenu un gel des tarifs des péages en 2013, mais avec un rattrapage entre 2019 et 2023, pour un montant de 500 millions d'euros pour les usagers... Les sociétés concessionnaires d'autoroutes ne font pas de cadeaux !

En 2014, un groupe de travail de la commission, coprésidé par MM. Filleul et de Nicolaÿ, a suggéré d'avancer sur la voie d'une reprise en main progressive par l'État, moins coûteuse qu'une nationalisation en une fois.

Depuis 2014, le contrôle sur les sociétés autoroutières a été renforcé, mais il demeure perfectible. Un exemple : Bercy ne nous a toujours pas transmis le protocole d'accord négocié en 2015 par Mme Royal et M. Macron et qui prolonge la durée des concessions jusqu'en 2036 en échange de travaux réalisés dans le cadre du Plan de relance autoroutier. Le Conseil d'État s'apprête à trancher la question de la communication de ce protocole, la rapporteure publique s'est prononcée pour. Il est inacceptable, s'agissant de fonds publics, que ce texte ne nous ait pas été communiqué : il est essentiel au contrôle de l'action du Gouvernement, qui est l'une de nos missions constitutionnelles.

Vu le coût de la renationalisation estimé à 50 milliards, et tenant compte de l'impréparation de l'État, la commission, contre mon avis, a repoussé la renationalisation.

Trois remarques, ensuite, pour éclairer nos débats.

D'abord, il est manifeste que l'État s'est lié les mains avec la privatisation, s'enfermant dans des montages contractuels complexes. Il n'est plus en mesure de défendre ses intérêts patrimoniaux.

L'exploitation des autoroutes, ensuite, n'est pas un marché risqué, même si la définition des concessions laisse penser le contraire : le prix du pétrole a baissé, les taux d'intérêt restent bas, le trafic routier continue à augmenter de 12 % pour les véhicules légers et il est parvenu au même niveau qu'en 2013 pour les poids lourds.

Les sociétés d'autoroutes se refinancent à des taux avantageux. Les tarifs des péages augmentent constamment, au-delà du plafond initialement fixé. Ils répercutent la hausse de l'inflation, celle de la taxe d'aménagement du territoire et les travaux supplémentaires mis à la charge des concessionnaires.

Enfin, contrairement à ce que l'on croit souvent, rien n'empêche l'État de reprendre la main, via un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) « Routes de France » qui permettrait de gérer les autoroutes, tout en ouvrant une réflexion sur les nouvelles formes de mobilités.

C'est pourquoi le groupe CRCE propose de nationaliser les sociétés concessionnaires d'autoroutes. Hélas la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable ne nous a pas suivis... (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports .  - Ce sujet intéresse beaucoup les parlementaires et les citoyens. Je crois sincèrement que l'hypothèse d'une nationalisation n'est pas réaliste : 50 milliards d'euros c'est beaucoup, vu l'état de nos finances publiques.

De plus, quel intérêt pour l'État à racheter à un prix exorbitant les sociétés concessionnaires d'autoroutes, alors qu'il retrouvera à partir de 2033 la propriété du réseau ?

Mme Éliane Assassi.  - Ce n'est pas sûr !

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Les concessions ont permis à la France, depuis la loi du 18 avril 1955, de se doter d'un réseau performant de 9 000 kilomètres d'autoroutes.

Les concessions avaient d'abord un capital public, leurs bénéfices allaient aux investissements dans les transports, la durée était limitée.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Pourquoi ne pas continuer ainsi ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Ensuite, on a eu recours à l'adossement, en particulier pour financer les liaisons interurbaines moins rentables. L'adossement a eu des effets positifs sur l'aménagement du territoire, tout en allongeant la durée des concessions. Historiquement, les sections à péage étaient loin des agglomérations et elles servaient essentiellement aux trajets occasionnels des particuliers et pour les transports de marchandise longue distance. Avec l'extension des agglomérations et les changements de modes de vie, beaucoup de Français utilisent aujourd'hui l'autoroute pour leur déplacement quotidien. Cela pose la question de l'acceptabilité de notre modèle d'autoroute à péage - et la question se pose tout autant de l'acceptabilité de l'impôt.

J'en viens aux privatisations de 2005. Les relations entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes sont régis par des contrats signés alors qui ne pouvaient être modifiés ou recalés - le déséquilibre vient de là. Ce modèle, cependant, a évolué, avec la transparence et le travail de l'Autorité de la concurrence. Un mot sur la transparence : la loi impose la publicité des contrats. L'Arafer est consultative et exerce un pouvoir de régulation, sous l'oeil aussi de la Commission européenne. Le Parlement est destinataire aussi d'un rapport annuel sur l'exploitation des autoroutes et l'évolution des péages.

Depuis 2015, un rééquilibrage s'est opéré ; les nouveaux contrats prévoient désormais des modulations de péages si les conditions européennes évoluent. En cas de surperformance, les tarifs de péage baissent ou la durée de concession est réduite. L'Arafer créée par la loi du 6 août 2015 a été dotée d'un pouvoir de régulation. Les relations entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes se sont donc rééquilibrées.

La question de la communicabilité des protocoles sera prochainement tranchée par le Conseil d'État.

Demander aux sociétés concessionnaires de prendre leurs responsabilités reste la seule voie possible. Racheter des concessions n'est pas une option. Les concessions d'autoroute arriveront à leur terme dans dix ans. Le choix du nouveau modèle reste ouvert : l'État pourrait ainsi en venir à gérer son réseau autoroutier. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

M. Michel Dagbert .  - Je n'irai pas dans la facilité consistant à rejeter la responsabilité de l'échec des privatisations sur le Premier ministre d'alors, Dominique de Villepin. Si les gouvernements successifs se sont attachés à améliorer les conditions de l'achat privé, l'État s'est montré un bien mauvais négociateur. La Cour des comptes a estimé qu'il manquait 10 milliards d'euros pour que l'opération soit à son juste prix. Les conditions de la privatisation n'ont pas pu éviter la constitution d'une rente.

Les sociétés d'autoroutes ont été incapables de protéger les intérêts des usagers, malgré des rentrées d'argent conséquentes.

Cet argent aurait été très utile au Gouvernement actuel qui affiche son ambition dans la prochaine loi d'orientation des mobilités examinée le 19 mars au Sénat, laquelle manque cruellement de moyens.

Si l'article premier de cette proposition de loi a le mérite de reprendre de manière exhaustive les sociétés concessionnaires d'autoroutes, il ne rend que plus hypothétique les chances de la faire aboutir. Comment imaginer dans cette période contrainte au niveau budgétaire, que le Gouvernement puisse mobiliser 45 milliards d'euros ?

Madame la ministre, nous sommes les représentants des territoires élus par des gens rompus à l'exercice des mandats locaux. Il leur arrive chaque année de procéder des délégations de service public sans jamais appauvrir le budget de leur commune. Cela devrait servir de modèle au Gouvernement à l'heure où il procède à la privatisation d'ADP.

À l'heure du grand débat, il n'est pas saugrenu de définir avec précision les politiques stratégiques sur lesquelles la Nation tout entière est en droit de se prononcer.

Le groupe socialiste s'abstiendra sur ce texte. Pour autant, il est impératif que l'État conserve les ingénieries administratives, juridiques et financières pour préparer au mieux le retour à la gestion étatique.

Si d'aventure, les données économiques s'amélioraient pour anticiper l'échéance de 2031, nous voterions favorablement une troisième proposition de loi du groupe CRCE. (Rires sur le banc de la commission et du groupe CRCE)

M. Jean-Pierre Corbisez .  - Alors que l'Assemblée nationale débat de la privatisation d'ADP, le sujet des concessions autoroutières nous revient. À l'évidence, l'État n'a pas été assez pugnace. Le rapport de la Cour des comptes l'a montré. L'assainissement des comptes publics aurait dû être secondaire par rapport à la défense du service qui s'imposait au cahier des charges plus exigeant.

L'idée de renationaliser le réseau concédé n'est pas pour autant opportune. Juridiquement, les autoroutes ne sont pas privatisées mais appartiennent à l'État.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Ce sont les bénéfices, qui sont privatisés...

M. Jean-Pierre Corbisez.  - La gestion et l'exploitation des autoroutes reviendront dans le giron de l'État dans une dizaine d'années. L'évaluation financière n'est pas aboutie, allant de 20 à 57 milliards d'euros. La rupture des contrats entraînera une indemnisation des sociétés concernées et un alourdissement de la dette publique.

Le texte ne comporte aucune obligation normative sur le transfert des fonds à l'Afitf. Le standard de nos autoroutes reste très exigeant et peu d'États peuvent se targuer d'un réseau d'une telle qualité : plus des deux tiers sont en très bon état et un cinquième en bon état. Quant à critiquer les grands groupes, rares sont les entreprises assez robustes pour gérer de telles infrastructures.

Nous pouvons toutefois améliorer la coopération entre Bercy et le ministère des transports pour négocier de meilleurs contrats avec les concessionnaires. Nous pouvons améliorer la transparence de la hausse des tarifs des péages.

Nous devons aussi être intraitables sur les travaux à imposer aux sociétés d'autoroutes.

Le groupe RDSE dans sa majorité ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

M. Pierre Médevielle .  - Le débat sur les concessionnaires d'autoroutes rebondit régulièrement. Le voici à nouveau devant nous. La nationalisation des sociétés d'autoroutes est un fil rouge depuis 2006, avec la tentative de Ségolène Royal en 2014 de revoir les contrats de concession. La ministre avait très vite déchanté, car une éventuelle renationalisation coûterait 50 milliards d'euros à l'État, ce qui n'est guère envisageable.

Le sujet de la gratuité des autoroutes est également ouvert. Cependant comment faire alors qu'il faut assurer la sécurité et la pérennité du réseau ? Soyons pragmatiques : la situation financière et sociale de la France nous oblige au consensus. L'heure est à la négociation entre l'État et les concessionnaires. Les sociétés d'autoroutes doivent entendre les demandes de nos concitoyens en faveur de leur pouvoir d'achat et baisser les tarifs des péages. Ce serait une meilleure solution que d'improbables gestes commerciaux ciblés.

Une solution serait qu'elles compensent cette perte par un court allongement de la durée des concessions.

Le groupe centriste ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC et sur quelques bancs du groupe Les Républicains)

M. Jean-Pierre Decool .  - La privatisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes, en 2006, n'a pas fait l'unanimité, loin s'en faut. Le constat est clair : la situation actuelle n'est pas satisfaisante. De là à débourser 50 milliards d'euros pour des autoroutes qui retomberont dans le giron de l'État d'ici dix ans, ce n'est pas réaliste.

Où trouver l'argent ? La France doit-elle encore plus s'endetter ? S'appuyer sur l'impôt sur les sociétés est fantaisiste alors qu'il doit progressivement disparaître, ce dont nous nous félicitons.

Le Gouvernement est engagé dans le projet de loi d'orientation des mobilités dont nous débattrons dans une dizaine de jours. Nous regrettons que la gestion des autoroutes n'y figure pas.

Ce débat est opportun pour préparer la fin des concessions. La privatisation, il y a treize ans, n'était pas la meilleure idée. Ce fut une bonne affaire, mais pas pour l'État. Le prix des cessions a été sous-estimé et les contrats ont lié les mains de l'État, alors que la rentabilité des concessions ne fait qu'augmenter. L'Autorité de la concurrence l'a même qualifiée d'exceptionnelle et d'injustifiée au regard des coûts.

La concurrence est réduite et le coût des travaux est compensé par l'État. Le tarif des péages est en augmentation constante - nous en sommes épargnés dans les Hauts-de-France où beaucoup d'autoroutes sont gratuites.

L'article 4 de la loi de 1955 dispose que les autoroutes sont en principe gratuites. Or la plupart des autoroutes sont aujourd'hui payantes et l'augmentation des tarifs est très difficile à endiguer. L'an prochain, les usagers paieront une hausse équivalente à 500 millions d'euros.

Nous regrettons le manque de vision de l'État sur ce sujet qui aboutit à des conséquences malheureuses pour les usagers. Le rôle de l'Arafer doit être renforcé.

Le groupe Les Indépendants ne votera pas cette proposition de loi, inopportune en l'état. Cependant, nous prenons date. Le débat sur la gestion des autoroutes est nécessaire pour les prochaines années. L'examen du projet de loi d'orientation des mobilités sera l'occasion de poser les bases de cette réflexion.

M. Frédéric Marchand .  - Dans moins de deux semaines, nous examinerons le projet de loi d'orientation des mobilités. Nos collègues du CRCE sont trop impatients, d'où ce texte. Restons légers : « C'est un scandale, j'ai pris l'autoroute à contresens et on ne m'a même pas remboursé », disait un comique français.

La privatisation déclenchée en 2006 a certes été sous-évaluée, mais de 1,5 milliard sur 2,4 milliards et non de 10 milliards comme indiqué par les auteurs de la proposition de loi, selon la Cour des comptes en 2009. Les entreprises qui ont remporté le marché ont vu leur profit augmenter considérablement. Le financement de l'Afitf en a subi les conséquences.

Le contrat de concession et le cahier des charges annexé définissent le cadre d'évolution des tarifs. Un accord a été trouvé en avril 2015 pour rééquilibrer les relations entre l'État et les sociétés concessionnaires qui ont dû réaliser un programme de travaux de plus de 3 milliards d'euros. L'Arafer a été créée.

En septembre 2016, un nouveau plan autoroutier prévoyait un milliard d'euros d'investissements. Dans le contrat passé en 2006 avec les sociétés d'autoroutes, aucune augmentation tarifaire n'était prévue, celle-ci se calquant sur l'inflation.

L'estimation du coût de la renationalisation est de 30 à 50 milliards d'euros sans compter les contentieux.

La ministre des transports a appelé les concessionnaires à des gestes commerciaux, face à la grogne des gilets jaunes. Mais seule leur bonne volonté a été sollicitée.

Il serait contre-productif de renationaliser dès à présent. Cependant, gardons à l'esprit l'échéance de 2033.

Le groupe LaREM votera contre ce texte.

Mme Céline Brulin .  - Lors du débat sur la privatisation d'ADP, chacun au Sénat a reconnu que celle des autoroutes avait été catastrophique. Cette question pose celle du rôle de l'État dans l'aménagement du territoire. Le droit des contrats passés devient plus fort que la souveraineté politique et l'État n'est plus en mesure d'imposer sa volonté aux concessionnaires. Ainsi les véhicules de police, des pompiers et du SAMU paient les péages ! L'État a renoncé à la gratuité, parce qu'elle aurait impliqué une indemnisation des sociétés concessionnaires. Les autoroutes sont tout aussi stratégiques que les aéroports franciliens.

L'État a organisé sa propre incapacité à mettre en place des tarifications sociales. La privatisation des autoroutes a des conséquences économiques lourdes.

Il y a un consensus sur la rente, ou la « rentabilité exceptionnelle » selon l'Autorité de la concurrence, des sociétés concessionnaires d'autoroutes qui ont rapidement récupéré leur mise de départ. Mais cet argent est issu de la hausse des tarifs payés par les Français. C'est leur argent. Or l'État continue d'être mis à contribution pour construire de nouvelles bretelles, j'en ai des exemples en Normandie comme vous en avez dans chacune de vos régions.

Nationaliser les autoroutes, ce serait utiliser leurs bénéfices pour l'intérêt général, notamment en faveur du report modal. Or l'Afitf a été privée de ressources pérennes par la privatisation des autoroutes.

Alors que nous nous apprêtons à débattre d'un projet de loi d'orientation des mobilités gravement sous-financé, il faudrait retrouver des ressources pérennes plutôt que de multiplier par deux les recettes des radars, comme le proposent certains.

Les gilets jaunes réclament massivement la nationalisation des autoroutes ; voyez les opérations « péage gratuit ». Les Français sont nombreux à ne plus pouvoir utiliser les autoroutes. Si celles-ci sont bien entretenues, c'est au détriment du réseau secondaire, auquel la renationalisation bénéficierait.

La population ne veut pas d'une nationalisation dans dix ou vingt ans ni risquer de voir les contrats reconduits indéfiniment, ce qui constituerait une privatisation de fait. Montrez à nos concitoyens que vous n'êtes pas sourds à leurs revendications : votez donc avec nous cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE;  M. Patrice Joly applaudit également.)

M. Vincent Delahaye .  - Merci au groupe CRCE de faire vivre le débat sur les concessions autoroutières...

M. Éric Bocquet.  - Cela commence très bien !

M. Vincent Delahaye.  - Le groupe UC avait proposé un débat parlementaire sur ce sujet, qui malheureusement a dû être reporté en raison de la manifestation contre l'antisémitisme.

Il y a plus de douze ans, l'État privatisait les autoroutes, pour des concessions de trente ans en moyenne, nous présentant l'opération comme une « bonne affaire » : 14,8 milliards d'euros furent ainsi engrangés dans ses caisses, or les dividendes réalisés en douze ans dépassent cette somme ! Les entreprises concessionnaires ont dégagé 73 % de marge brute, ce qui est sans équivalent dans le privé.

La renationalisation proposée est estimée à 50 milliards d'euros, soit le triple de ce qu'a rapporté la privatisation.

« Bonne affaire » pour le contribuable ? Certainement pas ! Pas pour les usagers non plus ! Selon les chiffres à notre disposition - assez peu transparents - le chiffre d'affaires des sociétés a augmenté beaucoup plus vite que le trafic. Par conséquent, les bénéfices proviennent de la hausse des péages, supérieure à l'inflation. Les automobilistes dépensent autant en péage qu'en carburant désormais.

Entre 2010 et 2013, 167 nouveaux kilomètres d'autoroutes ont été construits sur 9 000 kilomètres de réseau. Cela n'a jamais été aussi peu.

Les sociétés concessionnaires d'autoroutes ont obtenu une prolongation des concessions en 2015, ainsi que de nouvelles hausses tarifaires, en contrepartie d'un pseudo-gel des tarifs. Certes une rétrocession des surprofits est prévue et intégrée dans la loi Macron mais elle est facilement contournée. Pourquoi ?

L'accord de 2015 conclu avec Mme Royal est toujours officiellement secret. Pourquoi ? Parce que les Français découvriraient qu'il est au profit des sociétés concessionnaires d'autoroutes et à leur détriment ?

Toutefois, une renationalisation n'est pas une bonne idée : elle serait dangereuse juridiquement et très lourde financièrement. L'État n'est pas toujours bon gestionnaire.

M. Jean-Pierre Grand.  - C'est pour ça qu'il faut laisser les autoroutes au privé. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)

M. Vincent Delahaye.  - Toutefois, nous continuerons de demander au Gouvernement de faire toute la lumière sur les contrats. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC ; M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)

M. Patrick Chaize .  - Au risque de surprendre, je commencerai par être bienveillant à l'égard de cette proposition de loi. Trop souvent nous examinons des textes non normatifs ou consacrons des mesures qui ne seront jamais atteintes. Difficile, alors d'être trop ambitieux, ou de faire de la politique.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Justement ! Faisons de la politique !

M. Patrick Chaize.  - Par cette proposition de loi, les membres du groupe CRCE montrent qu'ils n'y renoncent pas...

M. Pierre-Yves Collombat.  - On est là pour ça !

M. Patrick Chaize.  - Bravo ! Le groupe Les Républicains non plus, mais sa politique n'est pas la même... Comme Jean-Pierre Grand le rappelle dans son amendement, l'affectation des dividendes au financement des infrastructures de transport est une pure pétition de principe. La commission a rejeté ce texte.

Je peux m'associer à nombre de constats de l'exposé des motifs. En effet, le produit des péages a servi au budget de l'État et non à l'Afitf. Je souscris aussi à l'analyse de la rentabilité financière des sociétés concessionnaires, adossée aux rapports de la Cour des comptes de 2013 et de l'Autorité de la concurrence de 2014, lesquelles n'ont pas exactement eu la même appréciation.

L'opération de rachat a été évaluée par les auteurs de 28 milliards à 50 milliards d'euros et par le Sénat de 30 milliards à 40 milliards d'euros. Je n'alimenterai pas ce débat. J'eus l'honneur de faire partie du groupe de travail mené par notre collègue Louis-jean de Nicolaÿ et notre ancien collègue Jean-Jacques Filleul, aux côtés de notre ancienne collègue Évelyne Didier, qui siégeait sur les bancs des auteurs de la proposition de loi. Nous avancerions en plein brouillard.

Nous sommes hostiles au rachat des contrats de concessions existants. La position de notre groupe est claire et conforme à celles qu'il a exprimées précédemment, en 2017, et en 2014. À leur issue, nous voulons que l'État évalue l'ensemble des possibilités, notamment celle de reprendre la main. Il ne faut en effet rien s'interdire. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Christine Lavarde .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Dans un rapport de juillet 2013, la Cour des comptes soulignait l'insuffisante régulation des hausses de tarifs. Le décret de 1995, estimait-elle, protégeait insuffisamment les intérêts du concédant et des usagers. Elle jugeait aussi que la compensation par les hausses tarifaires d'investissements faibles et peu utiles à l'usager était anormale. Dans un avis du 17 septembre 2014, l'Autorité de la concurrence observait que le chiffre d'affaires des sociétés concessionnaires augmentait plus vite que le trafic. Elle émettait également des propositions pour une meilleure régulation des tarifs et une amélioration de la concurrence.

Les articles 5 et 6 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, ont renforcé les prérogatives de l'Arafer sur les tarifs autoroutiers.

En juillet 2018, le rapport de l'Arafer sur les marchés et les contrats constate que la majorité des achats des sociétés concessionnaires d'autoroutes font l'objet de procédures transparentes. Elle note aussi dans son rapport annuel de novembre 2018 que l'effet des hausses spécifiques liées à la compensation de la redevance domaniale ou des investissements supplémentaires prévus par les contrats de plan s'est atténué, même s'il reste supérieur à l'inflation.

J'appelle l'attention des députés, qui débattent en deuxième lecture du projet de loi Pacte, sur le vote du Sénat sur les articles 47 et 48 relatifs aux contrats aériens, qui donnent la possibilité à l'État d'imposer des obligations à ADP pour faire prévaloir l'intérêt général.

Je voterai contre la proposition de loi. Laissons au temps le temps de faire son oeuvre avant de rebattre à nouveau les cartes. Mais soyons vigilants quant à la privatisation d'autres infrastructures de transport. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)

Mme Élisabeth Borne, ministre .  - La décision du Conseil d'État sur l'opportunité de rendre public le protocole transactionnel est imminente, mais je rappelle que des dispositions ont été traduites dans les contrats, qui sont publics. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)

La rentabilité sera évaluée à la fin de la décennie 2020. C'est là que l'allongement des contrats qui accompagne le plan de relance autoroutier pourrait être remis en cause.

Rappelons que les tarifs ont augmenté de 13,7 % entre 2010 et 2019, alors que l'inflation a été de 10,4 % sur la même période.

Les séquences tarifaires prévues dans les contrats de concession sont de 70 % de l'inflation ou 90 % en cas d'investissement supplémentaire.

Cela s'explique par la hausse de la taxe d'aménagement du territoire ou de redevance domaniale. Le gel de 2015 doit aussi faire l'objet d'un rattrapage.

J'ai souhaité que les sociétés concessionnaires d'autoroutes prennent leurs responsabilités, d'où leur engagement de réduire de 30 % les péages au-delà de dix allers-retours mensuels sur un même trajet. Cette mesure concerne potentiellement près d'un million d'usagers. Les sociétés l'ont présentée aux comités des usagers.

M. Guillaume Gontard, rapporteur .  - Les travaux de la commission l'ont montré : nous sommes tous à peu près d'accord sur le constat que la privatisation de 2006 est un échec et qu'à l'issue des concessions, il faudra travailler sur des modifications. Mais j'entends tout de même parler de possibles prolongations. Attention à éviter les petits pas progressifs qui résultent en une prolongation des concessions !

Madame la ministre, rien n'empêche l'État, pour couper court à toutes les suspicions, de publier le protocole transactionnel.

La discussion générale est close.

Discussion des articles

M. le président. - La commission n'ayant pas élaboré de texte, nous examinons les articles de la proposition de loi initiale.

ARTICLE PREMIER

Mme Marie-Noëlle Lienemann .  - Les sociétés concessionnaires d'autoroutes ont fait un profit considérable après l'équivalent d'un leverage buy-out (LBO) au détriment de la Nation. Vous dites : ce n'est pas le moment de renationaliser. Mais ce n'est jamais le moment !

Notre collègue député Chanteguet, qui n'est nullement suspect de gauchisme, a fait la preuve de la possibilité de renationaliser.

J'ai des doutes sur l'indépendance des hauts fonctionnaires de Bercy (M. Pierre-Yves Collombat feint l'indignation.) qui ont puisé dans un rapport du cabinet Deloitte commandé par les entreprises elles-mêmes les critiques à l'encontre des données de la Cour des comptes et de l'Autorité de la concurrence. Sur les 40 milliards d'euros que la nationalisation est censée coûter, on omet de dire qu'il y a 20 milliards de reprise de dette devant de toute façon être payés !

Vous serez comptables devant les Français dans dix ans quand le gaspillage sera supérieur au prix de la renationalisation, de même que la politique des tarifs en 2015 aura entraîné un surcoût de 500 millions d'euros, plein pot, pour les usagers !

Ces pratiques discréditent le politique, il faut renationaliser ici et maintenant ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; Mme Sophie Taillé-Polian et M. Patrice Joly applaudissent aussi.)

M. Olivier Jacquin .  - Quelques jours après le débat sur ADP, quelques jours avant le projet de loi d'orientation des mobilités, je tiens à parler de rationalité économique et de bon sens.

Chez moi, un kilomètre d'A31, pour les finances de l'État, c'est une pure sortie d'argent. L'autoroute est gratuite. En revanche, un kilomètre d'autoroute concédée, c'est une vache à lait à très court terme, mais à long terme, une charge différée qui retombe sur l'usager.

Je ne suis pas opposé par principe à la concession, dès lors qu'il y a un contrôle public efficace. Or, par culture, l'État contrôle très mal les opérateurs. Il est faux de dire que l'État ne sait pas entretenir son patrimoine : il profite en fait de la concession pour tirer sur la corde.

M. Pierre Laurent .  - (Murmures à droite) Tout le monde dit qu'il faudra un changement ; certains, sur d'autres bancs, opposés aux nôtres, vont jusqu'à envisager une reprise en main publique. Mais le Gouvernement l'écarte dogmatiquement. On parle des autoroutes ; l'an dernier, on a discuté de la maîtrise, ou plutôt de la non-maitrise du ferroviaire. Comment mener une politique de mobilité en écartant du périmètre de la puissance publique un outil aussi majeur ? On ne peut pas concéder par morceaux les infrastructures publiques.

Le débat va rebondir dans quelques jours, lorsque nous aborderons le projet de loi d'orientation des mobilités. Continuer à repousser le problème à plus tard, c'est commettre un contresens historique, à l'heure de la transition écologique. C'est maintenant que la question de la nationalisation des autoroutes se pose. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

Mme Sophie Taillé-Polian .  - Je voterai cette proposition de loi. Beaucoup d'orateurs ont affirmé que les privatisations avaient dégagé des capacités d'investissement. L'échec est justement d'avoir demandé au privé de prendre en charge les investissements dans les infrastructures publiques. Cette logique rend l'État impuissant, au nom de quoi ? D'un respect artificiel des indicateurs trompeurs de dette publique et des critères maastrichtiens de dépenses publiques. En privatisant les autoroutes, nous avons transféré 19 milliards d'euros de dette. Mais la dette privée est-elle meilleure que la dette publique ? C'est oublier que c'est elle qui nous a conduits à la crise de 2008. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Fabien Gay .  - Il y a un fossé entre les citoyens et les élus. Les premiers en ont marre des doubles discours. Comment une ministre peut-elle demander au préfet une concertation sur l'opportunité du CDG Express et ses impacts sur le RER B, et, « en même temps », signer le papier qui permet de lancer le chantier, alors que le Gouvernement envoie les CRS pour seule réponse à la maire de Mitry-Mory qui se mobilise contre le début des travaux ?

Tout le monde ici, reconnaît que la privatisation de 2006 a été plus qu'une erreur, un scandale ! Et ce, sur la plupart des bancs, en séance, comme en commission spéciale Pacte, où l'on a rejoué Les Révoltés de la Bounty (Sourires)...Et l'on va recommencer avec ADP ! Plutôt que d'engraisser le privé, l'argent des péages doit alimenter les services publics. Les gens en ont assez et supportent mal le cadeau fait à Vinci, déjà principal concessionnaire des autoroutes...

M. le président. - Veuillez conclure.

M. Fabien Gay.  - Retrouvons nos esprits, votons cette proposition de loi de bons sens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; M. Patrice Joly applaudit également.)

M. Patrick Chaize, vice-président de la commission.  - Non.

M. Patrice Joly .  - Les années passent, les sociétés d'autoroutes engrangent des résultats mirifiques : en 2016, un bénéfice de plus de 3 milliards d'euros, en hausse de 25 %, et des dividendes en augmentation de 40 % !

L'existence d'une rente autoroutière est avérée. La rentabilité des exploitants n'a aucune justification économique ou sociale. Cette rente met en évidence des carences de gouvernance. Le Gouvernement qui a négocié la privatisation est tout particulièrement responsable.

Dans l'intérêt de l'État, donc du contribuable, il faut une maîtrise des grandes infrastructures.

De plus, il y a une opportunité conjoncturelle à nationaliser, c'est pourquoi je voterai ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Jean-François Longeot .  - Oui, la privatisation a été menée dans de mauvaises conditions. Mais je ne peux pas ne pas réagir à tout ce que je viens d'entendre : ne faisons pas croire que nous allons trouver 50 milliards d'euros, comme cela ! Ce n'est pas rien, tout de même ! Veut-on taxer encore plus les sociétés ? Est-ce ainsi que nous assurerons l'avenir industriel de la France, que nous venons d'évoquer lors des questions d'actualité ?

Si nous renationalisons les autoroutes, serons-nous capables de les entretenir, de réduire les tarifs ?

Mme Éliane Assassi.  - Oui !

M. Jean-François Longeot.  - Ne donnons pas l'impression que demain tout ira mieux avec une nationalisation. Restons prudents. (Applaudissements sur les bancs des groupes UC et Les Indépendants)

M. Michel Vaspart .  - Je n'avais pas prévu d'intervenir mais je voudrais répondre à M. Gay. Nous sommes nombreux à reconnaître que la privatisation des autoroutes a été une faute. Nous avons voté contre la privatisation d'ADP pour éviter de la reproduire.

Mais si nous mettons 50 milliards d'euros pour racheter les autoroutes, combien d'années faudra-t-il pour récupérer la mise, sans augmentation des tarifs, alors que le prix de vente était de 14,8 milliards d'euros et que les dividendes se sont élevés à 14,9 milliards d'euros ? (MM. Fabien Gay et Pierre Laurent protestent.)

Ces deux votes ne relèvent pas de la même logique.

M. Pascal Savoldelli .  - Selon l'Arafer, en 2017, les sociétés concessionnaires d'autoroutes ont réalisé un excédent brut d'exploitation de 7,3 milliards d'euros pour un chiffre d'affaires de 10 milliards.

Je ne connais aucune TPE ou PME, dans le Val-de-Marne, qui fasse 73 % de marge brute. Pourquoi oublions-nous qu'en 2004, une mission d'information parlementaire s'était intéressée à la maîtrise publique des autoroutes ? Ses membres n'étaient ni moins intelligents ni moins responsables que nous, ils ont posé la question de l'impôt et celle du péage...

Enfin, madame la ministre, si l'État vend ses parts d'ADP, aura-t-il la conscience tranquille si Vinci, Eiffage, Aventis - les concessionnaires d'autoroutes - les rachètent ? (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; Mme Sophie Taillé-Polian et M. Patrice Joly applaudissent aussi.)

M. Jean-Raymond Hugonet .  - Je dois à mon tour intervenir car j'ai porté la suppression de l'article 44 de la loi Pacte, qui rapproche les points de vue dans cet hémicycle.

Cette proposition de loi, elle, est jusqu'au-boutiste, irréaliste et financièrement périlleuse.

Il y a eu des exagérations, oui, notamment la création d'un péage inique sur l'A10, à seulement 23 kilomètres de Paris, pour faire un cadeau au concessionnaire. Il faut les dénoncer, comme je l'ai fait avec Laure Darcos et Olivier Léonhardt ici présents, car laisser croire que l'État ne peut rien faire est insupportable. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes Les Républicains et Les Indépendants, ainsi que sur les bancs du groupe CRCE et sur plusieurs bancs du groupe UC)

M. Pierre Médevielle .  - J'ai fait partie du groupe de travail mené par Jean-Jacques Filleul et Louis-Jean de Nicolaÿ. Nous avons constaté, lors de nos auditions, que le rapport de l'Autorité de la concurrence était à charge, puisqu'il ignorait, dans le calcul de la rentabilité des autoroutes, le coût du rachat et de la reprise de la dette. Oui, l'activité est rentable, mais ce n'est pas un scandale.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Et l'avis de la Cour des comptes ?

M. Pierre Médevielle.  - Elle a démonté le rapport de l'Autorité de la concurrence.

De plus, il est irréaliste de prétendre mettre 50 milliards d'euros sur la table.

Mme Éliane Assassi .  - Le coût du rachat peut être négocié ; on peut même dénoncer les contrats viciés et déséquilibrés devant les tribunaux. (Mme la ministre le conteste.)

Et puis, on trouve bien 40 milliards pour le CICE ! De l'argent, il y en a ! On pourra aussi utiliser les recettes des péages. Ce sont des choix politiques ; souffrez que nous les contestions. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

M. Olivier Léonhardt .  - J'ai posté à l'instant un message sur les réseaux sociaux, rappelant que je refuse le dogmatisme. Je pourrais accepter que l'État ne soit plus actionnaire de Renault, puisque nous devons être le seul pays à posséder un groupe automobile à participation publique ! (Murmures sur les bancs du groupe CRCE) En revanche, les autoroutes sont sans conteste beaucoup plus proches de l'intérêt public.

Soutenir cette proposition de loi peut attirer l'attention sur le scandale des péages. Ce texte ne sera sans doute pas voté par l'Assemblée nationale.

M. Pierre-Yves Collombat.  - On ne sait jamais !

M. Olivier Léonhardt.  - Je voterai ce texte, pour lancer l'alerte et rester vigilant pour l'avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; M. David Assouline et Sophie Taillé-Polian applaudissent également.)

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Grand.

Supprimer cet article.

M. Jean-Pierre Grand.  - Ce débat me rajeunit. J'ai l'impression d'être revenu en 1981, à l'époque où Charles Fiterman était ministre des transports et que l'on parlait de nationalisations...

Les Assises de la mobilité l'ont montré, il faut apporter des réponses adaptées aux besoins de déplacement du quotidien. Je pourrais, entre autres exemples, vous parler de la jonction entre l'A75 et l'A9 et du contournement de Montpellier. L'État et les collectivités territoriales ne peuvent financer de telles infrastructures. Le concessionnaire, lui, le peut si on lui offre pour contrepartie le rallongement de la concession.

Gardons à l'esprit ces chiffres simples : sur 10 euros de péage, 4,2 euros reviennent à l'État sous forme d'impôts et de taxes, 1,2 euro va à l'exploitation, 2,1 euros au remboursement de la dette et à la rémunération des investisseurs et, enfin, 2,5 euros sont affectés à la construction et à la modernisation du réseau. Si la gestion des autoroutes était nationalisée, cela tomberait dans le tonneau des Danaïdes de Bercy.

Les auteurs de ce texte comptent affecter les dividendes à l'agence de financement des infrastructures de transport mais cela reste une affirmation de principe dénuée de base législative.

Supprimons cet article, la concession reste le seul moyen de maintenir notre réseau autoroutier dont la qualité et le confort en Europe sont reconnus dans toute l'Europe.

M. Guillaume Gontard, rapporteur.  - La commission a émis un avis favorable, contre son rapporteur. Je regrette que, dans le cadre de cette niche, on ne puisse pas aller au bout de l'examen de ce texte.

M. Jean-Pierre Grand.  - Ce ne serait plus une niche mais une farce !

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Le Gouvernement n'est pas favorable à la renationalisation des sociétés d'autoroutes ; donc, avis favorable.

Ce mécanisme d'adossement peut être envisagé pour quelques cas particuliers. Il est fortement encadré, comme tout allongement de concession, et nécessite une notification auprès de la Commission et un vote du Parlement. En tout état de cause, allonger indéfiniment les concessions d'autoroutes n'est pas une bonne idée si l'on veut équilibrer les relations entre l'État et les sociétés concessionnaires.

M. le président.  - Si cet amendement était adopté, l'article premier serait supprimé et les articles suivants deviendraient sans objet. Il n'y aurait donc plus lieu de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

M. Olivier Jacquin.  - Je veux adresser un salut amical à Evelyne Didier, appréciée pour ses compétences, qui représenta mon département au Sénat. Si elle nous écoute, son sang doit bouillir. Monsieur Grand, la puissance publique est capable de mener à bien des investissements et des projets de grande ampleur !

Les sociétés autoroutières du Mont-Blanc et celui du Tunnel de Fréjus, dont le président est Thierry Repentin, sont exemplaires. Les tronçons sont parfaitement entretenus et les innovations nombreuses dans la gestion des péages, avec des offres particulières et des voies réservées.

Alors que les taux d'intérêt sont faibles, développer notre patrimoine par l'emprunt n'est pas une mauvaise idée. Dès que les sociétés d'autoroutes ont été en situation de faire des OPA, elles ont vidé les caisses. La logique de grand emprunt est une piste pour sortir de l'alternative de la concession.

Je voterai contre l'amendement n°1.

M. Jean-Pierre Grand.  - À Montpellier, il a fallu 800 millions d'euros pour construire 20 kilomètres d'autoroutes ; ce sont les ASF qui ont payé. Si l'on attend des fonds publics pour payer les 200 millions d'euros nécessaires au contournement ouest de Montpellier et les 200 millions d'euros pour celui de Nîmes, ce sera comme la LGV jusqu'à Perpignan : il faudra patienter. Il n'y a pas 36 solutions si nous voulons que cela bouge maintenant !

Merci, madame la ministre, pour vos propos. J'y ai entendu une ouverture malgré vos réticences.

Mme Nathalie Goulet.  - Pour être rapporteur spécial du budget « Engagements financiers de l'État », je sais qu'il « vaut mieux devoir que ne pas pouvoir rendre. » En l'espèce, nous ne pouvons plus rendre...

M. Pierre-Yves Collombat.  - Ils ont fait tout ce qu'il faut pour !

Mme Nathalie Goulet.  - Un grand emprunt ne me paraît pas à l'ordre du jour. Il y a eu des erreurs sur les concessions autoroutières mais la solution que vous proposez n'est pas la bonne. Je voterai l'amendement de M. Grand.

M. Sébastien Meurant.  - Oui, les autoroutes sont un bien commun mais dans un monde idéal. Le principe de réalité, c'est que l'État n'est pas capable d'entretenir les infrastructures. Dans le 95, le pont de Gennevilliers, à cause d'un défaut d'entretien, a dû être fermé pendant plusieurs jours. Résultat, des embouteillages monstres.

Mme Laurence Cohen.  - C'est une histoire de choix politique ! Quand on veut, on peut. Quelque 40 milliards d'euros pour le CICE ! Madame Goulet, si vous considérez que notre solution n'est pas la bonne, proposez-en une !

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Le financement de la nationalisation, c'est évidemment un débat. Déjà, pour les 20 milliards d'euros de dette, il n'y a pas de cash à sortir. Ensuite, comme l'a dit le rapporteur, nationalisation ne signifie pas gratuité. Le Gouvernement pourra donc utiliser les recettes des péages. Je constate que les sociétés concessionnaires d'autoroutes ont très peu investi, privilégiant les dividendes. Dans dix ans, les taux d'intérêt seront certainement plus élevés. On a intérêt à agir maintenant !

À la demande des groupes CRCE et Les Républicains, l'amendement n°1 est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°60 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 341
Pour l'adoption 248
Contre   93

Le Sénat a adopté et l'article premier n'est pas adopté.

En conséquence, les articles 2 et 3 ne sont pas adoptés, non plus que la proposition de loi.

La séance est suspendue quelques instants.