Mobilités du futur

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur les mobilités du futur, à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective.

Mme Michèle Vullien, rapporteure de la délégation sénatoriale à la prospective .  - (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, SOCR, LaREM et Les Indépendants) Ce travail collectif sur les nouvelles mobilités au service des territoires a été réalisé sous la houlette de Roger Karoutchi, excellent président de la délégation à la prospective. Quelques semaines plus tard, les gilets jaunes manifestaient contre la hausse des prix du carburant qui grève le pouvoir d'achat de ceux qui n'ont pas d'alternative à la voiture.

Nous vivons une révolution des mobilités, avec de nouveaux modes de déplacement. Ce n'est pas seulement une question de mode. La mobilité est une condition essentielle au développement d'un territoire, dans sa dimension économique, sociale et environnementale - les trois piliers du développement durable.

Pendant cinquante ans, promouvoir la mobilité s'est résumé à favoriser la voiture individuelle mais ce modèle a trouvé ses limites : congestion, pollution, dépendance au pétrole. Les transports collectifs ou partagés, le vélo en libre-service enrichissent les mobilités connectées dans les zones denses. Mais comment faire en zone rurale ? Des territoires entiers risquent de rester au bord du chemin...

Les autorités organisatrices de transport (AOT) ne couvrent pas l'ensemble du territoire. Le projet de loi d'orientation des mobilités (LOM) remédiera à cette lacune en supprimant les zones blanches en la matière. Veillons à ne pas aggraver la fracture territoriale ! Ayons un pilotage politique fort qui accompagne, encadre et organise, pour que les mobilités connectées profitent à tous. La mission confiée à M. François Philizot sur la desserte fine des territoires va dans le bon sens.

Le TGV a été longuement préparé, la voiture a mis soixante ans à s'imposer. Désormais, avec les nouvelles technologies, les entreprises testent leurs solutions en conditions réelles : grâce à des applications, vélos et trottinettes en libre-service sont mis sur les voies, de nouveaux acteurs concurrencent les taxis.

Cela vient percuter nos politiques de transport, qui sont des politiques du long terme. L'innovation ne doit pas conduire à l'anarchie. C'est pourquoi il faut un pilotage politique de mobilités à deux niveaux : par les collectivités territoriales pour les mobilités de proximité et par l'État pour les autres.

M. le président.  - Veuillez conclure.

Mme Michèle Vullien, rapporteure.  - La ruralité n'est pas condamnée par l'évolution des mobilités. Nous souhaitons le maillage pour tous ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UC, SOCR et Les Indépendants)

Mme Françoise Cartron, rapporteure de la délégation sénatoriale à la prospective .  - Lorsque nous avons choisi ce sujet, nous ne pensions pas être à ce point dans l'actualité !

Les enjeux sont multiples. L'enjeu environnemental : les transports contribuent pour 30 % aux émissions de gaz à effet de serre. L'enjeu industriel : la chaîne de valeur se transfère vers les fournisseurs de données ou les fabricants de batteries, majoritairement asiatiques et américains. L'Europe va-t-elle conserver une industrie des transports innovante ?

L'enjeu est aussi social, car l'absence de solution de mobilité est un facteur d'exclusion et un frein à l'emploi. La mobilité numérique pose la question de l'exclusion numérique, sachant que l'illectronisme touche trois à six millions de personnes et que certains territoires ruraux sont encore en zone blanche.

L'enjeu territorial est enfin essentiel. Les mobilités relient certes des territoires, mais avant tout des femmes et des hommes.

Plusieurs critères influencent les mobilités, à commencer par les dynamiques territoriales, avec un risque de polarisation accrue autour des métropoles. Quel sera le coût des nouvelles mobilités et comment les financer ? Quelle gouvernance publique, quelle coordination des acteurs ? Attention à ce que les mobilités nouvelles ne soient pas cantonnées aux territoires les plus attractifs. Les progrès viendront des micro-initiatives sur le territoire - covoiturage, pistes cyclables, etc.

La délégation propose un pilotage à deux niveaux, avec des AOM à compétence large partout, des moyens en ingénierie renforcés, moins de freins réglementaires à l'innovation et une meilleure association des citoyens. Préservons les capacités d'investissement national dans les infrastructures de transport.

La deuxième exigence est celle de l'intermodalité : il faut multiplier les alternatives à la voiture en créant des pôles multimodaux, au travers de parcs-relais, avec des systèmes d'information des voyageurs fiables. Imposons l'ouverture des données mobiles, encourageons les start-up et l'innovation en France, captons les fonds européens et permettons aux particuliers de participer à ces services.

Les futurs débats sur la LOM permettront de rentrer plus en détail dans ces sujets. (Applaudissements sur le banc de la commission)

M. Roger Karoutchi, président de la délégation à la prospective.  - Très bien.

M. Didier Mandelli, au nom de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire .  - Veuillez excuser le président Maurey, retenu dans son département par le lancement d'un autre débat avec le président de la République. (Sourires)

La commission m'a fait l'honneur de me nommer rapporteur du projet de loi d'orientation des mobilités, déposé le 26 novembre sur le bureau du Sénat. Je salue le travail de la délégation sénatoriale à la prospective, très complémentaire de celui mené par notre commission, et la qualité de son rapport de novembre 2018. Quatre des cinq rapporteurs participent d'ailleurs activement aux auditions que je conduis, avec Françoise Gatel, rapporteur pour avis de la commission des lois.

Les grandes mutations en cours doivent être bien comprises pour faire des choix dans un contexte que l'actualité rend sensible. Les mutations sont entremêlées : une révolution des usages, qui recoupe des enjeux environnementaux, économiques, industriels et territoriaux, et une révolution numérique qui impacte offre et demande de transports, véhicules et modes de conduite et qui soulève des questions juridiques diverses - de l'ouverture de données au statut des personnes travaillant pour les plateformes de mise en relation électronique.

Pensons les mobilités de demain comme des outils pour réduire les fractures actuelles. Le covoiturage, le free floating ne doivent pas être l'apanage des villes tandis que les zones rurales seraient condamnées à l'auto-solisme et pénalisées financièrement.

Aux États-Unis, les innovations concernent surtout les villes et les plus jeunes, comme l'a montré une récente étude. Mettons les mobilités du futur au service du désenclavement des territoires !

C'est grâce aux sénateurs du Conseil d'orientation des infrastructures que priorité a été donnée au désenclavement des petites villes.

Le projet de loi d'orientation y répond, avec la généralisation des autorités organisatrices de la mobilité (AOM), alors que 80 % du territoire représentant 30 % de la population ne sont pas couverts. Citons aussi la possibilité d'élaborer des plans de mobilité rurale, l'ouverture des données de mobilité ou l'expérimentation de solutions nouvelles dans les zones peu denses. D'autres articles visent à développer le covoiturage ou les bornes de recharge.

Pour que cela suffise, il faut un financement pérenne et crédible à l'appui de ce projet de loi. Les collectivités territoriales doivent avoir les moyens, les outils, les marges de manoeuvres pour soutenir les initiatives. Faites confiance à l'intelligence des territoires !

Les financements doivent être transparents et des services créés dans tous les territoires, en concertation avec les collectivités territoriales. Les contrats opérationnels de mobilité sont de bons outils à l'échelle des bassins de mobilité.

Ce débat nourrira celui autour du projet de loi. Le travail se poursuit, nous avons déjà mené 65 auditions et d'autres vont suivre. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; Mme Michèle Vullien et M. Olivier Jacquin applaudissent également.)

Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports .  - Merci pour ce débat et ce rapport d'information qui arrivent au moment opportun.

Les transports occupent une place centrale dans la vie quotidienne ; ils conditionnent l'accès à l'éducation, à l'emploi, à la santé, à la culture et à de nombreux services. L'accès à la mobilité pour tous et partout est facteur de cohésion sociale et territoriale. L'urgence environnementale nous oblige également à des mesures fortes.

La colère des gilets jaunes a montré l'importance de l'enjeu : offrir à tous l'accès à une mobilité abordable et soutenable pour l'environnement. La révolution numérique et l'émergence de l'économie du partage sont des opportunités à saisir pour répondre aux attentes. Les nouvelles mobilités offrent une alternative à la voiture thermique, souvent seule solution de transport dans les territoires ruraux.

Je partage les constats de votre rapport d'information, dont je salue la qualité. Vous prônez une solution de mobilité pour tous, dans tous les territoires. Le projet de loi d'orientation traduit l'engagement du président de la République de donner la priorité aux déplacements du quotidien. Il a été nourri par l'intense travail de concertation entamé avec les assises de la mobilité.

Le premier pilier concerne la gouvernance des mobilités, avec l'objectif de couvrir 100 % du territoire par les AOM - contre seulement 20 % actuellement - en privilégiant l'exercice de la compétence intercommunale, avec intervention de la région en cas de nécessité. Les collectivités auront de nouveaux outils pour promouvoir des mobilités plus partagées et plus propres. L'exercice de ces compétences s'appuiera sur le versement mobilité, ex-versement transport. Il faudra se pencher aussi sur l'adéquation entre le potentiel fiscal et les besoins.

Le deuxième pilier est le soutien à l'innovation, avec l'ouverture des données de transport et des services de billettique multimodale. Cela permettra d'offrir aux voyageurs toutes les informations sur les mobilités dans leur territoire.

La stratégie de la France en faveur du véhicule autonome donne la priorité aux navettes autonomes.

Troisième pilier, la transition vers la neutralité carbone, qui suppose de changer les comportements. Les mobilités actives, et en particulier le vélo, peuvent jouer un rôle accru. C'est l'enjeu du plan vélo qui prévoit de tripler la part du vélo dans nos trajets quotidiens d'ici 2024.

Certes, la voiture restera parfois incontournable. Nous la voulons plus partagée, plus propre et plus économe. L'objectif est que nos concitoyens puissent se passer de leur deuxième ou troisième véhicule.

Quatrième pilier, les investissements dans les infrastructures, qui augmentent de 40 % par rapport au précédent quinquennat, iront aux infrastructures essentielles pour les mobilités quotidiennes, au désenclavement routier des territoires ruraux et les villes moyennes. Nous concentrons les moyens sur ce qui sert le quotidien : des routes et des voies ferrées en bon état, des itinéraires enfin achevés plutôt que de grands projets. (M. François Bonhomme s'exclame.)

Les enjeux sont aux mains des porteurs de projet, dans les territoires qui, vous le savez, regorgent d'initiatives et de solutions innovantes.

J'ai lancé la démarche French Mobility pour favoriser les expérimentations. Il s'agit de donner aux porteurs de projets tous les outils, juridiques et opérationnels, pour que les solutions concrètes se déploient. Les nouvelles mobilités incluent et rassemblent, elles doivent être accessibles à tous. Le grand débat est une nouvelle opportunité d'écouter les Français et de faire connaître nos actions. Nous avons décalé de quelques semaines le débat sur le projet de loi d'orientation afin de tenir compte des propositions qui pourraient l'enrichir. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, RDSE, Les Indépendants et SOCR)

Mme Martine Filleul .  - Penser les mobilités du futur, c'est favoriser les déplacements respectueux de l'environnement et de la santé, donc réduire la part du trafic routier, première cause de la pollution de l'air. La congestion dans les grandes villes est un fléau qu'il est urgent de réguler. Plusieurs solutions, comme les péages urbains sont envisageables - le principe en était inscrit dans l'avant-projet de loi d'orientation sur les mobilités.

Les métropoles de Lille et Grenoble ont aussi envisagé un écobonus rétribuant les habitants qui évitent d'utiliser leur automobile pendant les heures de pointe. Face aux revendications des gilets jaunes contre une taxation injuste, pénalisant les ruraux, le Gouvernement a supprimé les articles relatifs à leur expérimentation au sein du projet de loi LOM, sans distinguer pénalité et récompense. Madame la ministre, envisagez-vous de revenir à la possibilité d'un écobonus ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Les péages urbains existent dans la loi depuis le Grenelle de l'environnement. Nous pensions préciser ses modalités mais il nous a semblé préférable, compte tenu des circonstances, de supprimer nos précisions mal comprises.

À Lille, le projet de système inversé de péage urbain favorise les usagers vertueux. Mais l'application nécessite un recours large à la vidéosurveillance, de façon disproportionnée par rapport à l'impératif de respecter la vie privée des automobilistes. Nous recherchons une solution, en concertation avec la CNIL.

Mme Martine Filleul.  - Il y a urgence à trouver des solutions pour lutter contre la pollution atmosphérique dans les métropoles. Une catastrophe sanitaire se prépare. L'État doit accompagner les collectivités territoriales innovantes en la matière.

M. Jean-Pierre Corbisez .  - La lutte contre le réchauffement climatique est indispensable. L'hydrogène représente une solution intéressante, bien que coûteuse, adaptable au transport individuel aussi bien que collectif. Le récent plan Hydrogène est une première intéressante, mais nous devons être plus ambitieux pour développer une filière innovante - des Länder allemands en sont, eux, à signer avec Alstom pour des trains utilisant l'hydrogène.

Où en sont les initiatives soutenues depuis 2015 ? Les collectivités territoriales seront-elles incitées à recourir à l'hydrogène pour leurs propres flottes ? Le Gouvernement envisage-t-il de renforcer sa production d'hydrogène, sachant que la filière pourrait représenter 6 milliards d'euros ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Le Gouvernement est convaincu de l'intérêt de l'hydrogène dans le développement des mobilités propres, en particulier pour les véhicules lourds et les flottes captives. Nous avons présenté un plan de développement dans ce sens. Nous avons ainsi élargi à l'hydrogène les mesures de verdissement, par exemple le suramortissement poids lourds, le bonus écologique ou encore la prime à la conversion. Nous soutenons également l'émergence d'écosystèmes favorables à l'usage de l'hydrogène - l'Ademe a lancé un appel à projets en octobre pour développer des clusters.

Nous avons aussi confié au député Benoit Simian une mission sur le train à hydrogène.

Mme Nadia Sollogoub .  - De nouveaux modes de mobilité s'imposent. Les territoires urbains s'organisent mais les territoires ruraux demeurent dépendants du véhicule individuel.

Les nouvelles mobilités posent des questions d'usage de l'espace public et de responsabilité assurantielle. Des voies seront-elles dédiées aux véhicules autonomes ? Dans le cas contraire, comment s'organisera la cohabitation entre véhicules ? La priorité, pour la mise en service des véhicules autonomes, ce devrait être le milieu rural, plus sécuritaire.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Il y a là des enjeux d'innovation et d'acceptabilité. Cette cohabitation existe déjà avec des véhicules bénéficiant d'une assistance à la conduite, de freinage d'urgence automatique, de régulateur de vitesse ou encore de maintien sur la voie. L'État soutient les expérimentations en cours sur les véhicules autonomes, elles amélioreront les connaissances en particulier sur l'acceptabilité de ces véhicules.

Le Gouvernement est favorable aux navettes autonomes, elles doivent bénéficier à l'ensemble des territoires, y compris ruraux. Les collectivités territoriales sont les mieux placées pour connaître leurs besoins dans ce domaine.

Mme Nadia Sollogoub.  - Merci pour ce soutien, mais il faudra des moyens supplémentaires, car les territoires ruraux peinent déjà à entretenir leur voirie...

M. Alain Fouché, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective .  - Les mobilités se trouvent au coeur des préoccupations de nos concitoyens. La liberté de chacun à circuler à un coût raisonnable doit être préservée.

La mobilité du futur doit être plurielle, intelligente, collaborative, propre, solidaire et responsable. Il faut sortir de la dépendance à la voiture, tout en prenant en compte les spécificités des territoires ruraux. Comment utiliser les mobilités innovantes pour reconnecter le rural et l'urbain ? (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et RDSE)

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Je vous rejoins : les nouvelles mobilités doivent profiter à tous et partout. L'innovation ne doit pas être un privilège de citadin. Nous devons soutenir l'innovation et l'expérimentation dans ce domaine. C'est l'objectif de l'appel à projets French Mobility. Quelque 26 projets dans des territoires ruraux et périurbains sont soutenus en ingénierie. Cette dynamique sera poursuivie et étendue à d'autres territoires. Les régions devront s'assurer que tout leur territoire, d'ici 2021, est couvert par une solution numérique.

M. Alain Fouché, rapporteur.  - Votre réponse me satisfait pleinement.

M. Didier Rambaud, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective .  - Le projet de loi d'orientation sera l'occasion de débattre de nos choix de mobilité. En Isère, nous travaillons sur un projet commun à plusieurs AOT pour organiser les mobilités dans le sud du département. Nous avons repéré les difficultés liées à l'étalement urbain depuis longtemps, avec le recours accru à l'automobile. Nous avons besoin d'intelligence territoriale, de nous adapter. Nos concitoyens ne comprennent pas pourquoi un bus ne va pas un peu plus loin, et ce à cause d'une limite territoriale. Il faut permettre aux territoires de constituer des communautés de projets s'agissant des mobilités en levant les freins à leur constitution. Quelle est votre position sur cette question ? Le taux unique du versement transport peut constituer un obstacle. Comment favoriser les projets de coopération au service de nos concitoyens ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Je suis convaincue de l'intérêt d'une meilleure coopération entre collectivités territoriales à l'échelle des bassins de mobilité. C'est l'un des objectifs de la LOM. Cette coopération doit permettre d'organiser intelligemment la complémentarité entre mobilités - par exemple via les contrats opérationnels de mobilité. Le projet de loi facilite également le rapprochement des syndicats mixtes pour moduler le taux unique de versement transport. Une cellule régionale rassemblera l'ensemble des compétences et des acteurs locaux.

Mme Éliane Assassi .  - Si nous encourageons évidemment le développement des nouvelles mobilités, nous estimons que le rail doit demeurer la pierre angulaire des politiques publiques de transport. Mais l'offre ne cesse de se réduire, notamment dans les zones peu denses. Les petites lignes ferment, les petites gares sont supprimées, les trains de nuit disparaissent. Les 62 000 km de rail des années 1930 ont été divisés par deux et le rapport Spinetta préconise la suppression de 10 000 km de lignes. Une étude menée en juin 2018 par l'association des usagers AFNOT montre pourtant que le train est préféré au car. Un train remplacé par un car, c'est une baisse de 40 % de voyageurs. Un car remplacé par un train, c'est une hausse de 65 %. Allez-vous favoriser davantage le train ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Nous n'avons pas la même vision de la réforme ferroviaire : elle a vocation à donner un nouveau souffle au train. Je vous rappelle qu'elle s'accompagne d'une augmentation de 50 % des moyens consacrés à l'entretien et à la régénération du réseau ferroviaire. J'ai confié au préfet Philizot une mission sur l'adaptation de l'offre ferroviaire en fonction des besoins de chaque territoire. Les lignes de desserte fine, cependant, ne feront pas de porte à porte, il faut d'autres modes de transports, complémentaires - c'est l'un des enjeux des nouvelles mobilités.

M. Philippe Dominati .  - En Île-de-France, quatre sociétés se partagent des travaux d'infrastructures avec des devis élevés, toujours dépassés, et des délais fluctuants, chaque fois différés.

Une nouvelle gouvernance est-elle prévue en matière de transport en Île-de-France ? J'apprends que le projet Charles De Gaulle Express pourrait être mis en cause par la présidente de région et la maire de Paris. Le préfet de région vient de lancer une concertation. Respecterez-vous la volonté de la présidente de la région et de la maire de Paris ? N'y a-t-il pas quelque chose à faire pour le déficit de 23 milliards d'euros de la Société du Grand Paris. La gouvernance doit être modernisée.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - L'État travaille avec les collectivités territoriales en Île-de-France comme ailleurs. Les investissements sont inscrits dans un contrat de plan État-région. En Île-de-France, il n'a pas été modifié depuis l'arrivée du Gouvernement auquel j'appartiens car la région ne l'a pas demandé.

En Île-de-France, l'État soutient les transports publics, contrairement à ce qui se passe dans d'autres métropoles - qui aimeraient pourtant que ce soit le cas.

L'État, depuis des années, a indiqué que le CDG Express ne serait pas financé par des subventions publiques - même s'il a consenti un prêt du Trésor.

Je prendrai en compte l'avis des collectivités territoriales et l'enjeu national de la plateforme CDG. Je note toutefois que Mmes Hidalgo et Pécresse ne disent pas la même chose...

M. Michel Dagbert .  - Je porte un grand intérêt aux mobilités du quotidien. Mais le Parlement britannique vote aujourd'hui sur le Brexit. On apprend que, sur décision du ministre Chris Grayling, 100 millions de livres sont sur la table pour soutenir trois armateurs assurant les liaisons entre le Royaume-Uni et l'Europe continentale sans passer par Calais.

Sans remettre en cause la souveraineté anglaise, quelles mesures prendre pour rassurer les transporteurs ? Trouvez-vous cette intervention du gouvernement britannique, bien conforme aux règles de la concurrence ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Nous avons demandé des explications au gouvernement britannique.

Nous nous préparons à toutes les éventualités, y compris un Brexit sans accord, afin de renforcer les moyens des contrôles douaniers et sanitaires, qui n'étaient pas nécessaires jusqu'ici. Nous travaillons également sur les aménagements d'espace nécessaires à ces contrôles. Calais peut bénéficier de subventions importantes au titre du Mécanisme d'interconnexion européen (MIE), faisant partie du réseau central.

M. Michel Dagbert.  - Bon nombre d'acteurs sont inquiets de ces annonces. Le 6 novembre 2018, vous avez pu constater leur mobilisation.

Mme Sylvie Vermeillet .  - Faudra-t-il aménager les axes urbains pour prendre en compte les nouveaux engins de la mobilité du futur - telles les trottinettes électriques, les overboards ? L'État y participera-t-il ? L'État placera-t-il la priorité sur les mobilités urbaines ou préfèrera-t-il traiter les carences dans les territoires ruraux ?

Vous avez parlé d'un effort majoré de 40 % sur le ferroviaire et le routier. Quelle en sera la répartition ? Quels dossiers avez-vous reçus dans le cadre de l'appel à projets French Mobility ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Nous répondons à tous les territoires mais force est de constater que l'innovation est concentrée dans les grandes villes et que les start-up veulent faire connaître leurs solutions d'abord à Paris, à Lyon ou à Toulouse.

C'est le rôle de l'État de s'assurer que tous les territoires en profitent. La priorité est cependant la rénovation des axes ferroviaires et routiers.

Nous oeuvrons pour supprimer les zones blanches de la mobilité, en rénovant les routes qui en ont le plus besoin. Cela passe notamment par l'encouragement des petites intercommunalités à travailler avec les plus grandes, en particulier pour moduler le versement transport et le versement mobilité.

L'objectif est de démultiplier les solutions qui fonctionnent, le plus rapidement possible.

Mme Sylvie Vermeillet.  - En novembre, l'État a annoncé le zonage de 124 territoires d'industrie. Il serait heureux de les coordonner avec le transport.

M. Philippe Pemezec .  - Les autorités sont nombreuses à s'occuper de transport dans une région comme l'Île-de-France, sans coordination efficace. Le rôle ne devrait-il pas en revenir à la région ? L'État, qui veut tout faire, fait tout mal...

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Je ne partage pas votre vision. Les compétences de transport sont décentralisées. Les autres régions seraient très satisfaites que l'État n'intervienne plus en Île-de-France et qu'il redistribue ses subventions aux autres régions... (Sourires)

L'architecture actuelle valorisant la mobilité de proximité, avec la région comme chef de file, me semble être la bonne, elle réserve des possibilités de mutualisation qui tiennent compte des territoires.

En Île-de-France, c'est IDF Mobilités qui a pour rôle d'organiser l'ensemble des mobilités.

M. Philippe Pemezec.  - Je retiens l'idée d'une région chef de file. Paris, totalement congestionné, interdit son entrée aux banlieusards. Chacun préférerait sans doute des transports en commun moins polluants.

Mme Victoire Jasmin .  - Il est urgent pour les DOM, et notamment la Guadeloupe, qui est un archipel, d'organiser un service public de mobilité à l'échelle de tout le territoire, pour en assurer la continuité territoriale pour les passagers et les marchandises.

Grâce à la péréquation horizontale, les zones les plus enclavées profiteraient des bénéfices des transports dans les zones les plus denses. Cela décongestionnerait les axes routiers et améliorerait la sécurité des usagers.

À l'heure actuelle, La Désirade subit un isolement sans précédent depuis que le seul bateau qui effectuait la liaison a cassé son moteur. Seuls les marins-pêcheurs assurent cette desserte.

Il faudrait privilégier les transports doux en centre-ville pour éviter l'usage systématique de la voiture. En 2018, sur 33 victimes de la route, 11 étaient des piétons.

M. le président.  - Veuillez conclure.

Mme Victoire Jasmin.  - Je conclus en rappelant que c'est 140 à 150 euros pour quinze minutes de transport pour La Désirade.

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Il faut effectivement lutter contre la congestion notamment par une coordination assurée par la région, le cas échéant par le biais d'un syndicat. C'est ce qui a été étudié à La Réunion. On peut et on doit progresser pour offrir des alternatives à la voiture.

Quant à la desserte de La Désirade, le sujet relève des collectivités territoriales mais le préfet est mobilisé.

M. Michel Raison .  - Cet après-midi, le président de la République, dans l'Eure, a de nouveau dressé le constat d'une fracture entre les territoires de notre pays. C'est le cas notamment en matière de mobilité.

L'heure n'est plus aux constats. Comment allez-vous bouleverser le logiciel français d'abandon des territoires ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Depuis dix-huit mois, je soutiens qu'il faut modifier totalement nos priorités. Dans les territoires victimes du tout TGV, les citoyens sont condamnés au tout voiture. Nous devons y répondre en donnant la priorité à l'entretien des réseaux, au désenclavement des territoires, en offrant plus de solutions ferroviaires quand il y a une congestion automobile, en reprenant des projets anciens que les territoires attendent depuis longtemps.

Nous voulons proposer une alternative à la voiture pour au moins se passer d'une deuxième, voire d'une troisième voiture.

M. Michel Raison.  - J'ai un doute quand vous dites que vous mettrez en oeuvre les projets anciens. C'est une bonne occasion d'écouter le Sénat qui émet des propositions.

Vous auriez pu nous écouter sur les 80 km/h ou sur la taxe sur les carburants, pour éviter l'étincelle qui allait allumer la mèche de la marmite qui bouillonnait depuis déjà bien longtemps ! Écoutez le Sénat, madame la ministre ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, Les Indépendants et RDSE ; M. Olivier Jacquin, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective, et Mme Victoire Jasmin applaudissent également.)

Mme Christine Lavarde .  - Les trois quarts d'émissions à effet de serre sont dus aux transports. Les véhicules électriques n'émettent pas là où ils circulent. Leur développement est fulgurant - les immatriculations ont bondi de 25 % entre 2017 et 2018. Il est important de prendre en considération le cycle de vie de leurs batteries. Le recyclage est perçu comme une contrainte et les constructeurs font le minimum. Or il pourrait être amélioré. C'est la condition du succès écologique des véhicules électriques. La filière sera-t-elle prête lorsque les premières batteries arriveront en fin de vie ? (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - La mobilité électrique diminuera la pollution de l'air et réduira l'émission de gaz à effet de serre. Nous avons l'objectif de multiplier par cinq le parc électrique d'ici la fin du quinquennat et d'arrêter la vente des véhicules thermiques à l'horizon 2040.

Premier volet : s'assurer que la France est attractive pour les fabricants de batteries, ce qui apporte des emplois mais aussi améliore notre mix décarboné. Deuxième enjeu : le recyclage. Les batteries peuvent avoir une seconde vie mais il faut aussi travailler avec les fabricants sur une filière de récupération et de réutilisation des batteries usagées. Nous devons enfin savoir trier entre les batteries selon leur contenu en carbone, et favoriser leur performance environnementale. Tel est le sens de notre feuille de route.

M. Jean-Marc Boyer .  - Merci pour ce rapport sur un sujet essentiel. Les citoyens ruraux souffrent d'être laissés au bord de la route. Nos territoires doivent être un atout et non un fardeau. Le 80 km/h est vécu comme punitif ; c'est l'un des détonateurs du mouvement des gilets jaunes.

Dans le Puy-de-Dôme, qui a une couverture numérique défaillante et une desserte ferroviaire qui reste limitée avec l'Intercité Paris-Clermont-Ferrand qui ne passera pas à trois heures.... Il serait difficile de déployer des nouvelles mobilités, qui nécessitent justement une couverture numérique performante. Où en sommes-nous, un an après la signature de l'accord entre l'État, l'Arcep et les opérateurs ? Les résultats sont-ils à la hauteur des promesses ?

Mme Élisabeth Borne, ministre.  - Je redis toute l'attention que le Gouvernement porte aux territoires ruraux. Dans la partie « programmation » de la loi d'orientation des mobilités, j'ai tenu qu'on ne considère pas comme grands projets les seules lignes nouvelles : les lignes POC (Paris-Orléans-Clermont) et Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (POLT) où nous renouvellerons le matériel roulant, en seront donc.

L'objectif est la construction par tous les opérateurs de nombreux sites 4G mais aussi de faire passer en 4G les sites actuellement équipés en 2G et 3G, et d'améliorer la couverture des réseaux de transport. Cela progresse.

M. Olivier Jacquin, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective .  - Ce débat n'est pas celui de la loi Mobilités, mais il l'annonce. Les sujets sont nombreux : Charles de Gaulle Express, Brexit, gilets jaunes.

Un sujet se révèle en creux : les petites lignes ferroviaires, écartées du débat sur la réforme ferroviaire.

Nous devons comprendre les grands enjeux en ayant bien en tête que les dynamiques peuvent être contraires entre zones denses et peu denses.

L'objectif de transport propre est partagé. L'hydrogène est une perspective prometteuse, comme la bascule du transport individuel vers le transport collectif lorsque c'est possible.

La localisation des utilisateurs et des moyens de transport disponibles grâce aux smartphones est un atout mais il faut qu'ils fonctionnent partout et soient dépourvus d'aspects commerciaux.

Le modèle économique de la LOTI n'est pas remis en cause. Mais un nouveau débat sur la taxation des externalités négatives doit être tenu. La location de sa trottinette, vélo ou voiture va-t-elle supplanter le modèle d'achat et de propriété qui est le nôtre aujourd'hui ? Les zones peu denses ne doivent pas être condamnées à être les grandes oubliées. Les mobilités du futur doivent être inclusives.

L'ensemble de ces réflexions seront au coeur de la LOM ; en l'attendant, je vous remercie !

(Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR, RDSE et LaREM, ainsi que sur le banc de la commission)