Constitutionnalisation de l'IVG

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la constitutionnalisation de l'interruption volontaire de grossesse (IVG).

Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste .  - 2017 a été une année marquante pour les droits des femmes. La libération de leur parole a été une grande avancée dans la lutte contre une société patriarcale millénaire, imbriquée aux forces conservatrices et néo-libérales. Il faut une traduction socio-politique d'envergure à ce soulèvement.

Première violence faite aux femmes, celle qui consiste à leur interdire de disposer librement de leur corps. Le groupe CRCE a déposé le 3 mai dernier une proposition de loi inscrivant le droit à l'interruption volontaire de grossesse dans la Constitution. Le présent débat vise à évaluer les positions, débusquer les réticences, et convaincre le plus grand nombre.

Jusqu'en 1942, l'avortement était un crime contre l'État, punissable de mort. En 1971 était publié le manifeste dit des « 343 salopes » ouvrant la voie à l'historique loi Veil de 1975. Cette loi de libération a oeuvré pour l'émancipation des femmes, pour l'égalité, le progrès de la société toute entière. Ce fut une grande conquête démocratique et laïque. Soyons à la hauteur.

Il y a eu 212 000 IVG en France en 2016 ; une femme sur trois y aura recours dans sa vie. Cet acquis a connu plusieurs avancées : remboursement en 1982, allongement des délais en 2001, fin du délai de réflexion et prise en charge à 100 % des examens associés en 2016, création du délit d'entrave numérique en 2017.

Pourtant les freins demeurent. Délai pour un premier rendez-vous, fermeture de 130 centres en dix ans lors de restructurations hospitalières, réseau insuffisamment structuré, pénurie de praticiens, manque de moyens pour les associations, planning familial en tête...

Les politiques austéritaires s'appuient sur des arguments moraux, religieux et idéologiques. En Espagne, en Pologne, aux États-Unis avec Donald Trump, ce droit est sans cesse remis en cause. La moitié des avortements réalisés dans le monde le sont illégalement, dans des conditions sanitaires effroyables, provoquant la mort de milliers de femmes - dont un tiers en Afrique.

Pour garantir ce droit fondamental, il faut l'ériger au plus haut niveau de la hiérarchie des normes, au même titre que l'abolition de la peine de mort, et ainsi le placer sous la protection de la République.

Le droit à l'IVG est inscrit dans l'article L. 2212-1 du code de la santé publique ; nous proposons son inscription à l'article 34 de la Constitution, mais sommes prêts à discuter du meilleur emplacement. Pourquoi pas une charte ad hoc des droits des femmes intégrée dans le bloc de constitutionnalité ?

La formulation ne devra en aucun cas limiter ou conditionner le droit à l'avortement et devra prévoir les moyens de l'exercer, notamment en termes d'information et de financement. À défaut d'examen rapide de notre proposition de loi, nous pourrions profiter de la révision constitutionnelle qui se profile.

Quoi qu'il en soit, le pays des droits de l'homme se doit d'être exemplaire en matière de droits des femmes. Finissons-en avec le patriarcat, renforçons la digue contre les conservateurs et passéistes toujours prêts à délégitimer ce droit acquis de haute lutte. Simone de Beauvoir disait : « N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique, ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. » La vigilance et la mobilisation restent indispensables, voire décisives. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; MM. Bernard Jomier et Franck Menonville applaudissent également.)

Mme Françoise Laborde .  - Merci au groupe CRCE d'avoir mis ce débat à l'ordre du jour. Difficile, en tant que femme, citoyenne, vice-présidente de la délégation aux droits des femmes et membre du Haut Conseil à l'égalité de m'opposer à l'idée généreuse d'une inscription du droit à l'IVG dans la Constitution.

Néanmoins, les termes de notre débat dépassent les convictions personnelles. Y a-t-il ou non nécessité juridique et politique d'inscrire ce droit dans le marbre constitutionnel ?

Notre arsenal législatif est solide, complet et parait suffisant. Il est vrai que la législation ne dispense pas d'un engagement constant des pouvoirs publics - et des élus - pour en garantir l'exercice.

En 2017, le Sénat a voulu renforcer la pénalisation du délit d'entrave à l'IVG, punissant désormais de deux ans de prison et de 30 000 euros d'amende le fait d'empêcher l'information sur l'IVG et sa pratique, à travers des blocages ou des pressions morales, psychologiques et physiques sur les femmes et les professionnels des établissements.

Dès lors, qu'apporterait une inscription dans la Constitution ? Notre groupe lui préfère l'inscription du principe de l'égalité entre les femmes et les hommes, dont découle le droit de chacun à disposer de son corps et donc le droit à l'IVG. La Constitution organise nos grands principes républicains et n'a pas vocation à devenir un catalogue bavard de droits et de libertés, quel que soit leur bien-fondé. Il revient au législateur, appuyé par le juge, d'oeuvrer au progrès des droits et libertés.

Inscrivons plutôt le principe d'égalité devant la loi sans distinction de sexe à l'article premier, comme le propose la délégation aux droits des femmes ; le reste en découlera. Et concentrons notre combat sur l'effectivité de l'accès à l'IVG sur le terrain, partout en France. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE et sur quelques bancs des groupes LaREM, Les Indépendants et UC)

Mme Nicole Duranton .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Je rends hommage à Simone Veil qui déclarait : « l'avortement doit rester l'exception, l'ultime recours pour des situations sans issues. Mais comment le tolérer sans que la société ne paraisse l'encourager ? Cela restera toujours un drame. »

Les mots du député Henry Berger, rapporteur du projet de loi sur l'IVG en 1974, sont toujours d'actualité : le sujet suscite les passions, déchaine les controverses.

Fallait-il relancer le débat ? Inscrire l'IVG dans la Constitution ? L'esprit de la loi, l'intention de Simone Veil étaient de répondre à une situation grave, non de proclamer de manière symbolique un droit fondamental.

L'avortement, c'est la possibilité de faire un choix - un choix déchirant. Simone Veil qualifiait l'avortement d'échec ; elle voulait le contrôler, le dissuader, et demandait à ce que l'on fasse confiance aux jeunes générations pour conserver à la vie sa valeur suprême. Il nous appartient de préserver cet héritage. Ce serait une déviance que de faire de l'IVG un droit fondamental. « Mon corps, mon choix » : oui mais c'est aussi le corps d'un autre. Étrange société qui trouve des preuves de vie sur Mars et non dans l'embryon humain...

L'avortement ne doit pas être banalisé, encore moins encouragé. La réponse aux grossesses non désirées, c'est la prévention, l'information et l'accès à la contraception. Or la vogue des contraceptions dites naturelles, la banalisation de l'IVG et la méconnaissance de ses conséquences conduisent certaines à se faire avorter de manière répétée : un médecin me parlait d'une jeune fille de 15 ans qui venait pour un quatrième avortement, sans véritablement prendre conscience de ses actes...

Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ne figurent pas nécessairement dans la Constitution : c'est le Conseil constitutionnel ou le Conseil d'État qui leur reconnaissent une valeur constitutionnelle. Il n'y a pas de sens à ajouter le droit à l'IVG à l'article 34, qui définit le domaine de la loi. Si les piliers du bloc de constitutionnalité sont aussi actuels, c'est qu'ils énoncent des principes généraux et clairs.

Vous le comprendrez, je suis opposée à cette proposition. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains et sur certains bancs du groupe UC)

M. Thani Mohamed Soilihi .  - La loi de 1975 a contribué à la libération des femmes. Avant son adoption, subir, pratiquer, ou aider une interruption de grossesse était pénalement sanctionné. On allait à l'étranger, ou on avortait clandestinement - près de mille par jour, dans des conditions souvent déplorables.

La loi Veil ne suspendait la pénalisation de l'avortement que pour cinq ans. Il a fallu attendre 1979 pour que sa légalisation devienne définitive. Est venu ensuite le remboursement, en 1983 ; puis la suppression de l'autorisation parentale et l'allongement du délai à douze semaines en 2001. Le délit d'entrave, qui existe depuis 1993, a été renforcé en 2017.

Mais tous les pays d'Europe n'en sont pas au même point. En Pologne, l'IVG, légale pendant quarante ans, a de nouveau été interdite en 1997, hors viol, inceste ou raisons médicales. Chypre ne l'autorise qu'en cas de viol ou de risque majeur pour la santé. En Irlande, la libéralisation de l'avortement va faire l'objet d'un référendum le 25 mai.

En 2013, le gouvernement espagnol avait dû retirer sous la pression un projet de loi très restrictif mais imposé le consentement parental pour les mineures. Au Portugal et en Slovaquie, les femmes supportent le coût de l'IVG. À Malte, l'avortement est totalement interdit.

C'est donc dans un contexte de recul européen que ce débat intervient. L'inscription dans la Constitution n'offre pas une garantie absolue contre une éventuelle remise en cause. Au-delà du symbole mettons plutôt l'accent sur l'accès concret à ce droit, menacé par la pénurie de praticiens, les restructurations hospitalières, le manque de moyens pour les associations...

C'est dans les outre-mer que le taux d'avortement est le plus élevé - près du double de la métropole, 25,2 pour mille contre 13,9 pour mille ; Mayotte est en tête en ce qui concerne les mineures. Ces chiffres témoignent d'un manque d'information sur la contraception. C'est pourquoi les campagnes d'information, notamment en direction des mineurs, sont indispensables. Informer sur l'avortement, ce n'est pas l'encourager. C'est répondre à une situation de fait, des histoires parfois dramatiques qui transcendent les convictions. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et RDSE ; Mme Sophie Joissains applaudit également.)

Mme Laurence Cohen .  - L'objet de notre proposition de loi était de consolider un droit fondamental chèrement acquis par la lutte féministe et progressiste. L'IVG, symbole d'émancipation des femmes, ne se pratique jamais le coeur léger. C'est une décision difficile, mûrement réfléchie, que prennent 200 000 femmes chaque année en France. Mais donner naissance à un enfant est aussi une décision dont il faut pouvoir assumer les conséquences.

Le droit à l'IVG a été inscrit dans le code de la santé et sa prise en charge améliorée. Il y a néanmoins des raisons objectives d'être inquiet. D'abord, une vague conservatrice globale, matérialisée par les commandos anti-IVG qui se renforcent, exercent leur propagande sous des dehors officiels, à travers des sites de désinformation. Nous avons dû, l'an dernier, créer un délit d'entrave numérique à l'accès à l'IVG.

M. Roland Courteau.  - Tout à fait.

Mme Laurence Cohen.  - Quatre pays européens interdisent l'IVG hors circonstances exceptionnelles : la Pologne, l'Irlande, Andorre et Malte, tandis que Chypre vient d'assouplir sa législation.

En Pologne, des millions de femmes ont manifesté pour défendre leur droit, comme en Espagne, contre le projet de M. Rajoy en 2013. En Irlande, un référendum se tient en mai pour mettre fin à l'hypocrisie qui contraint des milliers d'Irlandaises à avorter au Royaume-Uni pour éviter quatorze années de prison.... Aux États-Unis, l'élection de Donald Trump a signé la fin de l'aide aux associations. Enfin, l'interdit demeure dans de nombreux pays d'Afrique et d'Amérique latine, preuve qu'en 2018, le droit de disposer de son corps n'est pas garanti. Pourtant, selon la Conférence mondiale sur les femmes des Nations unies, les droits fondamentaux des femmes incluent la maîtrise de leur sexualité et la liberté de décision en matière de procréation...

En France même, le droit à l'IVG n'est pas si accessible : en dix ans, 130 centres d'IVG ont fermé, victimes de restrictions budgétaires. Les praticiens manquent. Vous déplorez les déserts médicaux, les inégalités territoriales, mais comment s'en étonner quand on vote des Ondam aussi contraints ? Le Haut Conseil à l'égalité préconise d'ailleurs un moratoire sur les fermetures.

Notre groupe est le seul à s'opposer à ces décisions budgétaires, qui entament aussi les moyens des associations comme le planning familial. N'oublions pas que chaque année, 5 000 Françaises avortent à l'étranger, ayant dépassé le délai de douze semaines, en assumant tous les frais financiers...

Bref, le droit à l'IVG est loin d'être garanti en France. D'où notre proposition. Le président Macron n'a-t-il pas fait de l'égalité femme-homme une grande cause du quinquennat ? La constitutionnalisation de l'IVG serait un signal fort dans le monde entier. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE ; Mme Michelle Meunier applaudit également.)

Mme Françoise Gatel .  - Sans doute la remise en cause de l'IVG dans certains pays de l'Union européenne explique-t-elle ce débat. La situation est préoccupante en Pologne ou en Italie, où 70 % des gynécologues font valoir leur clause de conscience.

Un référendum au résultat incertain aura lieu bientôt en Irlande. Le panorama rapide montre l'actualité de ce sujet. C'est d'ailleurs la troisième fois que le Sénat en débat depuis 2016.

Les professionnels de santé et responsables associatifs alertent sur le manque de moyens et la persistance des obstacles.

Toutefois, la constitutionnalisation de l'IVG ne paraît pas être la bonne solution. Un gouvernement déterminé pourra toujours revenir dessus, en maniant l'article 11 ! Cette protection est donc illusoire. Un tel ajout en revanche ouvrirait la boîte de Pandore : comment refuser dès lors l'inscription d'autres droits tout aussi essentiels ? Surtout, cette inscription dans la Constitution ne lèverait en rien les obstacles pratiques auxquels se heurtent les Françaises désireuses d'avorter et pourrait même affaiblir l'efficacité de l'information sur la contraception et la sexualité. (Mmes Éliane Assassi et Laurence Cohen en doutent.)

Concentrons plutôt l'effort sur l'application de la loi. Alors que la demande est stable, pas moins de 130 établissements ont fermé en dix ans...

Mme Laurence Cohen.  - À cause de qui ?

Mme Françoise Gatel.  - Résultat, 5 % des établissements pratiquent 23 % des IVG (Mme Françoise Laborde renchérit.). Les inégalités territoriales se creusent, les recours allant du simple au double selon les régions.

Alors qu'une femme sur trois a recours à l'IVG au cours de sa vie, il est essentiel qu'elle puisse être réalisée dans de bonnes conditions.

Il est aussi essentiel de mettre l'accent sur l'information à la sexualité, la prévention, la contraception. Souvenons-nous des propos de Simone Veil : l'avortement doit être l'exception car il n'est jamais sans souffrance. Le référencement des sites officiels sur Internet doit être renforcé : le site IVG.net, destiné à induire en erreur les femmes, arrive toujours en deuxième position, juste après celui du Gouvernement !

Une proposition purement symbolique n'apporterait pas d'amélioration au quotidien. Espérons plutôt que ce débat sera l'occasion pour le Gouvernement de réaffirmer son engagement à renforcer l'information sur la sexualité, la prévention, la contraception et l'IVG.

Mme Laurence Cohen.  - Ce n'est pas contradictoire...

Mme Françoise Gatel.  - Pour les centristes, l'IVG doit rester l'ultime recours. Pour ces raisons, le groupe UC ne saurait être favorable à cette proposition. (Applaudissements sur les bancs du groupe UC)

Mme Michelle Meunier .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) Merci à Mmes Cohen et Assassi pour leur fidélité à nos combats.

L'histoire de l'IVG est celle d'une longue marche des femmes pour conquérir leurs droits, d'un parcours difficile : manifeste des 343 en 1971, Mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception en 1973, loi Veil de 1975, confortée définitivement en 1979.

En 1982, la nouvelle majorité vote le remboursement, intégral depuis 2013, et allonge le délai. En 1992, fin de la pénalisation ; en 1993, création du délit d'entrave, renforcé en 2017. En 2000, gratuité de l'IVG médicamenteuse d'urgence pour les mineures ; en 2014, suppression de la mention de « situation de détresse ».

Ces petits pas ont contribué à faire de l'IVG la liberté fondamentale que l'on connaît dans notre pays. L'inscrire dans la Constitution la consacrerait, en interdisant tout recul. L'entrée de Simone Veil au Panthéon est un symbole de reconnaissance de l'avancée sociétale qu'elle a permise. L'IVG est plus qu'un acquis social, c'est un marqueur fort de notre société. Il n'y a pas de meilleur indicateur sur le développement d'une société que la place dévolue aux femmes, disait Simone de Beauvoir.

Pour les jeunes générations, ce droit fondamental participe de l'identité de notre pays, alors qu'il est fragile chez certains de nos voisins. Ainsi l'IVG est-il menacé de disparition en Pologne, sous les coups de boutoir des forces traditionalistes.

Lui donner une valeur constitutionnelle, c'est affirmer notre attachement à ce droit, c'est éclairer le chemin de nos soeurs de lutte, c'est se prémunir contre tout recul. (Applaudissements sur les bancs des groupes CRCE et SOCR)

Mme Colette Mélot .  - L'IVG a été reconnue au terme d'un combat de longue haleine. Rappelons-nous le discours historique de Simone Veil, le 26 novembre1974, devant une Assemblée nationale qui ne comptait que neuf femmes, dénonçant une situation intolérable et injuste.

La loi de 1975 n'était que provisoire. Il fallut attendre 1979 pour que l'avortement soit définitivement légalisé. Rappelons-nous l'engagement des femmes, qui ont obtenu par leur mobilisation que la loi Veil soit réellement appliquée.

Rappelons-nous le courage, la conviction qu'il faudra, en 1982, pour obtenir le remboursement, qui n'était qu'un premier pas. Ont suivi le délit d'entrave en 1993, la loi de 2001, l'IVG pour les mineurs sans autorisation parentale, etc.

L'IVG est un droit, à disposer de son corps, de son avenir, un droit à affirmer librement son choix. L'avortement doit rester l'exception, nulle n'y recourt de gaieté de coeur.

Chez nos voisins, c'est encore souvent un chemin de croix. En Allemagne, donner des informations sur l'IVG est un délit. En Pologne, on envisage de durcir le recours à l'IVG.

Faut-il pour autant inscrire ce droit dans la Constitution ? Est-ce un droit inaliénable ? Le groupe Les Indépendants est favorable à l'imprescriptibilité du droit à l'IVG. Pourtant, la constitutionnalisation est-elle la solution optimale ? Une formulation imprécise ou maladroite pourrait conditionner ou limiter les droits des femmes... Faut-il seulement inscrire le droit à l'IVG ou aussi sa gratuité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants et sur certains bancs du groupe Les Républicains ; Mme Laurence Cohen applaudit également.)

Mme Patricia Morhet-Richaud .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Ce débat fait suite au dépôt par le groupe CRCE d'une proposition de loi constitutionnelle en mai 2017.

L'IVG est un droit depuis la loi de 1975 : l'article L. 2212-1 du code de la santé publique reconnaît que les femmes sont libres de disposer de leur corps. En 2017, nous délibérions sur le délit d'entrave numérique. L'IVG est un droit chez nous mais les disparités sont grandes de par le monde : référendum en Irlande sur son autorisation, manifestations très violentes en Argentine contre sa légalisation, etc. La remise en cause de l'IVG est un argument électoral pour certains partis, on l'a vu en Espagne.

Faut-il pour autant inscrire l'IVG dans la Constitution ? Pour la garantir, il existe d'autres moyens. L'IVG n'est pas sans conséquence pour la femme et sa santé tant physique que psychique. Il ne faut pas la banaliser ou la sanctuariser.

L'IVG ne doit pas être considérée comme une méthode contraceptive comme une autre. Les écarts entre régions perdurent, du simple au double : dix IVG pour mille femmes en Pays-de-Loire, vingt en PACA et vingt-cinq outre-mer.

Si le taux d'IVG reste stable depuis quinze ans, il n'a pas pour autant diminué : 212 000 IVG en France en 2016. Je suis réticente à l'inscription de l'IVG dans la Constitution. Mettons l'accent sur la prévention et l'information sur la sexualité. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants)

M. Bernard Jomier .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) La Constitution est le sommet de notre architecture juridique. Elle énonce les principes, les valeurs et les règles qui font de la République française une démocratie sociale.

Depuis 1958, elle a évolué et contient désormais 89 articles, auxquels s'ajoutent la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le Préambule de 1946 et la Charte de l'environnement de 2004. Les droits des femmes sont un sujet largement plus signifiant que bien des scories qui alourdissent le texte.

Sans être un fourre-tout, notre Constitution doit intégrer les grandes évolutions des droits qui traduisent les grandes évolutions de l'identité républicaine de notre peuple.

Au-delà de la proclamation de l'égalité entre hommes et femmes, les progrès des droits des femmes sont une avancée heureuse des dernières décennies. L'article premier proclame l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux responsabilités professionnelles et sociales. C'est bien peu, alors que ces valeurs sont constitutives de notre identité républicaine.

C'est bien peu au moment où les droits des femmes sont menacés, en Europe même. Le chef de l'État souhaite marquer son quinquennat par un engagement européen fort.

Il y a là matière à lancer en Europe un grand combat progressiste. L'inscription du droit à l'IVG dans la Constitution serait un signe fort. Ce droit est bien de niveau constitutionnel. Il peut et doit y être inscrit au même titre que la fin de la peine de mort. C'est un sophisme que de l'écarter au motif qu'il peut être remis en cause. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR et CRCE)

M. Christophe Priou .  - Je veux rendre hommage à Simone Veil et Lucien Neuwirth. L'action de la première a été déterminante, comme celle du second, longtemps parlementaire. Lucien Neuwirth sut convaincre le général de Gaulle. J'ai eu le bonheur de parler des heures avec lui, il y a quelques années. Le Premier ministre Pompidou lui avait prédit qu'avec sa proposition de loi, il ne serait ni ministre, ni réélu. Cela s'est avéré faux. Il a été reconduit dans ses fonctions de député, puis a été sénateur.

M. Jean-Pierre Grand.  - Il a même été questeur.

M. Christophe Priou.  - Le Général lui aurait dit, avec son franc-parler unique : « Vas-y Lucien avec ta pilule, mais comme les Français la préfèrent à la natalité, elle ne sera pas remboursée » - et, effectivement, elle n'a d'abord pas été remboursée par la sécurité sociale. Après sa loi sur la pilule - adoptée grâce au soutien des élus communistes... -, Lucien Neuwirth fut un soutien de Simone Veil. Personne ne remettra le droit à l'IVG en cause. Le président de la République y veillera. Ce droit a au contraire été plusieurs fois élargi au fil des ans, jusqu'en 2016. Le droit des femmes à disposer de leur corps est absolu. C'est la condition de l'égalité hommes-femmes.

Le droit à l'IVG doit-il figurer dans une Constitution ? Je ne le crois pas. La devise « Liberté, égalité, fraternité » proclame déjà nos droits. Montesquieu disait qu'il ne fallait toucher aux lois que d'une main tremblante. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé .  - J'interviens devant vous en tant que ministre, femme, médecin. L'IVG est un droit de la femme, un droit humain inscrit dans notre patrimoine juridique.

Notre combat doit se poursuivre pour une IVG pertinente, sûre et de qualité, accessible à toutes les femmes, quels que soient leur condition et leur territoire.

La loi Veil a sauvé et sauve encore nombre de femmes de complications gravissimes, voire mortelles. Nous devons tout faire pour préserver cet acquis et veiller à sa bonne application.

Plusieurs mesures ont été adoptées au fil du temps. Loin de se reposer sur ces acquis, le Gouvernement doit prolonger cette action pour faciliter une mise en oeuvre réelle de la loi Veil.

Il n'est pas nécessaire d'inscrire le droit à l'IVG dans la Constitution. La loi fondamentale doit être la plus générale possible. Évitons l'inflation législative, en particulier dans la Constitution. Le Conseil constitutionnel est déjà le garant de l'IVG, en l'ayant reconnue comme une composante de la liberté des femmes, énoncée par l'article 2 de la Déclaration des droits, donc à ce titre érigée en liberté fondamentale.

Cependant, l'IVG est toujours contestée en paroles et en actes - et c'est pourquoi nous devons la défendre partout. Je continuerai à défendre le droit à l'IVG avec fermeté tant à l'échelon national qu'international.

Je porterai mon engagement à l'étranger. Je regrette la frilosité de certains en Europe. Le Conseil de l'Europe a rappelé que le choix de l'IVG doit revenir à la femme, qui doit être la seule à décider de son corps. À Malte, en Irlande, en Pologne, l'IVG n'est pourtant pas autorisée ou fait l'objet de politiques restrictives. En Italie, quatre médecins sur cinq refuseraient de la pratiquer.

Des vagues d'attaques se font jour en France qui recourent à la ruse de la désinformation et des campagnes dans les réseaux sociaux. Je veillerai à protéger l'accès à l'IVG partout dans notre pays, en diversifiant les lieux de prise en charge, l'offre et en luttant contre la désinformation sur Internet afin que chaque femme puisse prendre une décision éclairée et responsable. L'entrave n'est en effet plus seulement physique. Certains dans cet hémicycle ont voté contre la loi de 2017 sur l'entrave numérique, au nom de la liberté d'expression.

Mme Françoise Laborde.  - Ils ne s'en souviennent pas !

Mme Agnès Buzyn, ministre.  - Or le délit d'entrave condamne ceux qui pratiquent la désinformation, pas ceux qui l'expriment. Nous avons fait de réels progrès avec la mise en place d'un numéro vert et l'ouverture d'un site sur Internet.

En Outre-mer, je rendrai effectif l'accès à l'IVG pour toutes.

J'ai une pensée particulière pour les jeunes femmes, notamment les plus éloignées du soin. L'anonymat et la confidentialité sont une protection indispensable pour les mineures, vulnérables aux pressions de leur entourage.

Considérer l'accès à l'IVG comme distinct de la santé sexuelle est une erreur.

J'engage une démarche globale pour une vie sexuelle sans danger. Ma feuille de route en la matière mettra l'accent sur la prévention et l'éducation à la sexualité. Les femmes, et les couples, doivent pouvoir choisir quand ils veulent un enfant.

Nous travaillons en partenariat avec le planning familial, qui oeuvre depuis les années soixante.

En outre-mer, nous renforçons l'information et l'accès aux soins. Une convention entre le ministère des outre-mer et le planning familial a été signée en ce sens. Le droit à compensation pérenne, de 120 millions d'euros, a été prévu dès 2018. Le centre hospitalier de Mayotte a signé avec le département de Mayotte pour une meilleure protection maternelle et infantile.

Nous connaissons tous les mots de Simone Veil. Leur modernité résonne. Maintenons sa lumière pour des actions concrètes qui facilitent l'accès à ce droit fondamental ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOCR, RDSE, Les Indépendants, LaREM)

La séance, suspendue à 17 h 50, reprend à 17 h 55.