SÉANCE

du jeudi 8 mars 2018

62e séance de la session ordinaire 2017-2018

présidence de Mme Valérie Létard, vice-présidente

Secrétaires : Mme Catherine Deroche, M. Daniel Dubois.

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Questions d'actualité

Mme la présidente.  - Au nom de toutes mes collègues de cet hémicycle, en ce 8 mars, Journée internationale pour les droits des femmes, je suis très heureuse de présider cette séance de questions d'actualité au Gouvernement. (Applaudissements) C'est un beau symbole et je tiens à en remercier sincèrement notre président Gérard Larcher. (Applaudissements sur tous les bancs)

L'ordre du jour appelle donc les questions d'actualité au Gouvernement.

Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur France 3, Public Sénat, sur le site Internet du Sénat et sur Facebook.

Au nom du Bureau du Sénat, j'appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges l'une des valeurs essentielles du Sénat : le respect des uns et des autres, ainsi que le temps pour permettre à chaque collègue de bénéficier de la diffusion complète de sa question et de la réponse.

Je suis heureuse de donner la parole en premier lieu à la présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat.

Lutte contre les violences faites aux femmes

Mme Annick Billon .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC ainsi que sur de nombreux autres bancs) En cette journée, je souhaite poser la question des moyens mis en oeuvre pour lutter contre les violences faites aux femmes. Le président de la République déclarait le 25 novembre 2017 que l'égalité entre les femmes et les hommes serait la grande cause de son quinquennat, avec une augmentation de 13 % des crédits dédiés à la lutte contre les violences faites aux femmes. Cette politique publique repose seulement sur des associations et le dévouement de leurs bénévoles ; or les financements qui leur sont alloués sont non pérennes et souvent insuffisants. Comment mener une vraie politique publique en s'appuyant sur des subventions incertaines et à géométrie variable selon les territoires ?

La libération de la parole des femmes a révélé les besoins et les attentes. Toutes les femmes, sur tout le territoire, doivent avoir les mêmes droits. Derrière chaque femme victime de violences, il y a des familles, des enfants.

Aussi, quels sont les moyens qu'entend mettre en place le Gouvernement ?

Notre société doit être une société de respect où hommes et femmes progressent ensemble. (Applaudissements sur la plupart des bancs)

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes .  - Oui, le président de la République a décrété grande cause de son quinquennat l'égalité hommes-femmes. Le programme 137, consacré à presque 100 % au financement des associations a vu ses crédits augmenter, jusqu'à près de 30 millions d'euros. Les crédits interministériels s'élèvent à 420 millions d'euros. Il est vrai qu'en matière d'égalité femmes-hommes, la société civile est motrice et que l'État suit et aide les associations.

L'État doit reprendre la main. Les droits des femmes sont de sa compétence. Il doit redevenir une locomotive. Ce sont les associations qui accompagnent les victimes dans leurs plaintes actuellement. C'est pourquoi Gérard Collomb a annoncé la création d'une plateforme numérique pour recueillir en ligne les plaintes des femmes et faciliter le dialogue direct avec les policiers afin que l'État puisse ensuite les accompagner dans la judiciarisation. Pas moins de 5 000 places d'hébergement d'urgence seront également créées.

De plus, les subventions aux associations nationales de lutte contre les violences sexuelles et l'égalité des hommes et des femmes n'ont pas baissé d'un euro. J'ai créé un groupe d'experts pour évaluer l'ensemble du dispositif des subventions aux associations concernées. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

Centres éducatifs fermés pour les jeunes filles mineures

Mme Josiane Costes .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) Nous savons tous que la protection judiciaire de la jeunesse exerce sa mission délicate dans des conditions difficiles.

Il n'existe qu'un centre éducatif fermé réservé aux adolescentes. Les jeunes filles mineures sont trop souvent placées dans des établissements pénitentiaires pour femmes.

Madame la Garde des Sceaux, envisagez-vous de développer des centres éducatifs fermés pour jeunes filles mineures ? Élue du Cantal, je suis prête à en accueillir un sur mon territoire, afin de donner une nouvelle chance à ces jeunes femmes. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE, ainsi que sur ceux du groupe LaREM)

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Les centres éducatifs fermés, créés en 2002, au nombre de cinquante, constituent une alternative à l'incarcération des jeunes délinquants mineurs, tout en répondant à une demande sociale de sécurité et de contrôle. Leur pertinence dans la prévention de la récidive a été saluée.

Le président de la République a la volonté de créer plus de centres éducatifs fermés sur l'ensemble du territoire. Je compte en créer vingt dont un pour les jeunes filles. Il n'en existe actuellement qu'un, à Doudeville, en Seine-Maritime.

Les centres éducatifs fermés accueillaient, en 2016, 6 % de filles et 94 % de garçons. La mixité, si elle est régulée, n'est pas un handicap. Nous ne connaissons pas encore les sites envisagés mais j'ai noté la candidature du Cantal. (Applaudissements sur les bancs des groupes RDSE et LaREM, ainsi que sur quelques bancs du groupe UC)

Mme Josiane Costes.  - Les jeunes filles du centre ou du sud de la France qui sont en Normandie sont coupées de leurs liens affectifs. Il importe de créer des centres pour jeunes filles ailleurs sur le territoire.

Violences faites aux femmes dans le milieu professionnel

Mme Michelle Gréaume .  - La Journée internationale des droits des femmes rappelle chaque année l'actualité de l'égalité hommes-femmes. Cette année, la parole enfin libérée montre que la France ne fait pas exception : une femme sur cinq est victime de violences sexistes ou sexuelles sur son lieu de travail. Il n'y a pas de recul des violences sans recul des inégalités sociales. Les femmes les plus menacées sont parmi les plus précaires, les plus isolées.

La très grande majorité des femmes sont payées aux minima sociaux ou se voient imposer le temps partiel.

Les inégalités salariales entraînent une perte de près de 300 000 euros en moyenne sur une carrière et un manque à gagner de 246 milliards d'euros de revenus et cotisations salariales : de quoi remettre en cause cette vieille croyance selon laquelle le progrès social serait néfaste à l'économie, alors que c'est tout l'inverse.

L'égalité hommes-femmes est la grande cause nationale du quinquennat ? Très bien ! Mais, au-delà des effets d'annonce, quels moyens mettrez-vous en oeuvre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE)

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail .  - Les violences sexistes et sexuées au travail et l'égalité salariale sont deux sujets essentiels pour les femmes. Hier, avec le Premier ministre et la secrétaire d'État à l'égalité entre les femmes et les hommes, nous avons ouvert des pistes de travail sur l'information, la formation, la création de référents et les sanctions pour remédier aux violences dans le milieu professionnel. L'ensemble des intervenants dans le domaine des ressources humaines, les médecins du travail, les élus du personnel et les salariés doivent être sensibilisés à l'accueil des femmes concernées.

Dans le secteur public, un plan ambitieux sera mis en oeuvre.

Quant à l'inégalité salariale, elle est inacceptable et représente un aveuglement sur le plan économique. Nous étions ce matin avec le président de la République et la secrétaire d'État à l'égalité dans une entreprise. Plus de mixité rend l'entreprise plus performante. Nous travaillons sur le sujet. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

Mme Michelle Gréaume.  - Les CHSCT, instruments nécessaires de la lutte contre les violences au travail, ont été supprimés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe CRCE, ainsi que sur quelques bancs du groupe SOCR)

Droits des femmes

Mme Hélène Conway-Mouret .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) L'égalité est un droit. Vous avez annoncé un big bang sur la formation professionnelle, tandis que le président de la République fait de l'égalité entre les hommes et les femmes la grande cause du quinquennat. Le Gouvernement multiplie les annonces comme si rien n'avait été fait. Or Mme Rossignol était responsable d'un ministère à l'égalité des femmes. Il s'est transformé en un secrétariat d'État modeste, représentant 0,06 % du budget. Quel progrès pour l'égalité entre les hommes et les femmes !

L'écart salarial entre les femmes et les hommes s'élève en France à 25,7 % tous postes confondus, à 9 %, postes et expériences équivalents ; les femmes ont plus de contrats précaires et partent en retraite un an après les hommes avec une pension plus faible.

Cette inégalité ne saurait durer. Pourquoi attendre 2022 pour y remédier et mettre en place les mesures annoncées ? En Irlande, le changement législatif a été immédiat. Il est bientôt 15 h 30, c'est l'heure où les femmes cessent d'être payées chaque jour, sur la base d'une journée standard... (On s'impatiente sur certains bancs du groupe les Républicains.)

Mme la présidente.  - Veuillez conclure.

Mme Hélène Conway-Mouret.  - L'égalité entre les hommes et les femmes, c'est maintenant ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR ; quelques-uns applaudissent debout.)

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail .  - Un point de désaccord : Mme Schiappa, secrétaire d'État directement rattachée auprès du Premier ministre, n'est pas « modeste » ; elle a beaucoup de talent, est extrêmement mobilisée et mobilise le Gouvernement : nous étions seize ministres réunis ce matin sur ces enjeux (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

En revanche, sur l'égalité salariale, je suis d'accord avec vous, l'échec est collectif.

Nous avons dans ce domaine d'abord un combat de long terme à mener avec les partenaires sociaux pour examiner les métiers, l'implication des dirigeants, casser les stéréotypes, les plafonds de verre.

Nous voulons sur le quinquennat supprimer ce scandale de la République qui est l'inégalité des salaires de 9 %. (Quelques applaudissements) Nous proposons, et en discuterons avec les partenaires sociaux dans les semaines qui viennent, de mieux mesurer les écarts, grâce à un logiciel facile et gratuit, de dédier des enveloppes au rattrapage salarial d'ici trois ans, dans le cadre de la négociation annuelle sur les salaires, d'impliquer les dirigeants, d'augmenter le nombre des contrôles ciblés de l'inspection du travail sur les entreprises. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM, ainsi que sur quelques bancs du groupe UC)

Prostitution des adolescentes

Mme Colette Mélot .  - La libération de la parole des femmes donne à ce 8 mars un retentissement tout particulier. Un constat inquiétant a émergé récemment sur la prostitution des adolescentes, phénomène peu connu, mal combattu et particulièrement choquant. La recrudescence de cas signalés en Seine-et-Marne est notable et cette réalité est sans doute nationale.

Des milliers d'adolescentes se prostituent dès le collège selon l'association Agir contre la prostitution des enfants. Les profils de ces adolescentes sont multiples, mais beaucoup le font pour se nourrir ou payer leurs études.

Principalement, il s'agit de jeunes filles de 13 à 17 ans qui sont fragiles et déscolarisées. Naïves et très jeunes, elles ne voient pas le mal de ces relations tarifées et sont manipulées. Pourtant les conséquences sur leur vie future seront dramatiques.

Il s'agit donc de protection des mineurs. Il faut une grande enquête d'envergure et des solutions pour former les travailleurs sociaux, les forces de l'ordre et créer des lieux d'accueil. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Indépendants)

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes .  - Nous avons connaissance de ce sujet et oeuvrons avec la Mission interministérielle de protection des femmes et de lutte contre la traite des êtres humains.

La traite des jeunes filles augmente dans certains quartiers. Nous travaillons aussi sur le proxénétisme en ligne avec M. Mahjoubi. En comité ministériel, il a été décidé que toute personne victime d'exploitation sexuelle devait bénéficier d'un parcours de réinsertion. Le dispositif bénéfice d'un budget de 2,4 millions d'euros pour 600 personnes mobilisées. Une évaluation sera réalisée dans deux ans.

Enfin, un plan de protection de l'enfance sera présenté en 2019.

Violences faites aux femmes

Mme Céline Boulay-Espéronnier .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Voilà quarante ans que des lois imposent comme principe essentiel l'égalité des rémunérations entre les hommes et les femmes. En 2018, l'écart est encore de 10 % à poste égal ! Cette discrimination est bien un échec collectif. Il faut faire respecter la loi mais aussi changer les mentalités en amont pour que l'on cesse de croire que les femmes ont moins de valeur que les hommes. Tout le monde doit s'y mettre : Gouvernement, élus, partenaires sociaux...

L'exemple doit venir du sommet de l'État. Or parmi les douze conseillers nommés auprès du Premier ministre on ne compte qu'une seule femme (Marques de désapprobation sur les bancs du groupe Les Républicains) et 13 femmes sur les 52 membres de son cabinet. (Même mouvement)

Au-delà des mots, il faut des actes !

Madame la Ministre, modifierez-vous cet équilibre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail .  - Les deux sujets sont liés. Pour faire le changement, chacun doit s'impliquer à son niveau. Dans le secteur public, un programme piloté par la secrétaire d'État à l'égalité entre les hommes et les femmes et par le secrétaire d'État à l'action publique devrait améliorer la situation et donner l'exemple.

Dans le secteur privé, nous avons proposé que les dirigeants des sociétés cotées délibèrent chaque année sur le bilan de l'égalité salariale. (On ironise sur les bancs du groupe Les Républicains.)

La moitié du Gouvernement est composé de femmes. Une grande partie des cabinets ministériels sont paritaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

M. François Bonhomme.  - Vous êtes trop modeste !

Mme Muriel Pénicaud, ministre.  - C'est un progrès.

Mme Céline Boulay-Espéronnier.  - Il y a urgence. Dire que vous n'êtes pas parfaits n'est pas valable. Il faut des actes ! La preuve, voilà ce qui est important. (Plusieurs applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Conditions de détention des femmes

Mme Jocelyne Guidez .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe UC) En cette journée internationale de la femme, je veux attirer votre attention sur les 3 000 femmes incarcérées, souvent oubliées. À Fleury-Mérogis, une crèche a certes été ouverte, mais c'est l'arbre qui cache la forêt, car les défis à relever restent immenses pour améliorer les conditions de détention. À Fleury-Mérogis toujours, les détenues n'ont pas un accès quotidien aux douches - le personnel soignant en vient à prescrire des douches médicales.

Les activités proposées se limitent souvent aux activités ménagères, la localisation géographique complexifie le maintien des liens familiaux, et l'accès aux soins, notamment gynécologiques, est mal assuré.

Dans son rapport du 27 janvier 2016, le contrôleur général des lieux de privation de liberté a attiré l'attention sur le respect de l'égalité entre hommes et femmes, y compris en prison. L'exigence d'égalité et de dignité ne peut laisser insensible. Comment le Gouvernement entend-il lutter contre ces injustices ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UC ; M. André Vallini applaudit également.)

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Difficile de ne pas penser à Olympe de Gouges, auteure de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Si les femmes ont le droit de monter à l'échafaud, elles doivent avoir le droit de monter à la tribune, disait-elle. L'égalité veut aussi que la rigueur de la loi pénale s'applique de la même manière aux femmes et aux hommes.

On compte 3 000 femmes incarcérées sur 70 000 détenus, mais ce chiffre est en hausse, et nous leur devons la dignité et la sécurité. Nous héritons d'une situation immobilière difficile avec des quartiers de femmes souvent situés dans des bâtiments vétustes.

Nous leur devons une prise en charge spécifique. Il faut accompagner les détenues pendant les grossesses et l'accouchement, prévoir des cellules mère-enfant, se soucier des liens familiaux et de la réinsertion.

Nous apporterons des réponses dans le cadre de la réforme pénitentiaire que le président de la République vient tout juste d'annoncer. Le nouvel établissement pénitentiaire qui doit ouvrir à Lutterbach en 2020 offrira des conditions d'accueil décentes pour les femmes ; c'est un premier pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur certains bancs du groupe UC)

Mercosur et veto climatique

M. Ronan Dantec .  - (« Ah ! » sur les bancs du groupe Les Républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) Une commission indépendante composée d'experts et présidée par l'économiste Katheline Schubert a remis un rapport au Gouvernement l'alertant sur les impacts environnementaux, climatiques et sanitaires de l'accord commercial entre l'Union européenne et le Canada, le CETA.

Ce rapport propose la création d'un veto climatique en cas de non-respect des objectifs de développement durable. Le Premier ministre en a intégré le principe dans le plan d'action du Gouvernement sur le CETA, mais sans en définir les conditions d'opérationnalité, d'où le scepticisme des ONG environnementales.

Les discussions sont en cours avec l'Amérique latine sur le Mercosur, notamment sur le volet agricole et l'élevage bovin - sujet sur lequel notre groupe a d'ailleurs déposé une proposition de résolution.

Les possibles répercussions économiques et sanitaires des nouveaux contingents de viande bovine sud-américaine inquiètent, tout comme les conséquences climatiques de cette production émettrice de gaz à effet de serre et cause de déforestation.

Les négociations commerciales sont un important levier de la mise en oeuvre de l'Accord de Paris.

Avez-vous défini les critères d'instauration du véto climatique ? Pourra-t-il s'appliquer dans le cadre du Mercosur ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

M. Nicolas Hulot, ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire .  - Je rêve d'un jour où l'on parlera non plus de libre échange mais de juste échange.

Je partage votre préoccupation pour la prise en compte de la dimension environnementale dans les accords commerciaux, y compris le Mercosur. Je me fie aux propos du président de la République : en matière de politique commerciale, nous ne braderons ni nos intérêts, ni nos valeurs, encore moins la planète.

La Commission européenne se dit prête à travailler à la mise en place de ce véto climatique : cela prendrait la forme d'une nouvelle déclaration juridique interprétative adossée à la partie consacrée aux investissements du CETA. Mais il faut encore obtenir l'accord du Conseil avant de finaliser le dispositif. Nous poursuivrons ce printemps notre travail de conviction auprès de nos partenaires européens et canadiens.

Le 22 février 2018, le président de la République a indiqué clairement, devant les jeunes agriculteurs, quelles étaient les lignes rouges, en matière d'indication géographique, sanitaire et phytosanitaire, mais aussi respect de l'Accord de Paris. Un accord Union européenne-Mercosur n'entrera en vigueur que s'il respecte ces normes sanitaires et environnementales ; à défaut, la France s'y opposera. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et RDSE)

Formation professionnelle

M. Yves Daudigny .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR) La formation professionnelle est la pierre angulaire de la lutte contre le chômage et de la compétitivité des entreprises. Le précédent gouvernement avait entamé la réforme avec le compte personnel de formation.

Votre projet comporte des avancées : droit à la formation accrue pour les salariés peu qualifiés, création d'un compte personnalisé de transition, mais que dire de la méthode ? Un big bang, sur la gouvernance notamment, unilatéral et sans concertation...

La monétisation du compte personnel de formation inquiète. Les 500 euros d'aujourd'hui suffiront-ils à financer les vingt heures de formation d'hier sur tout le territoire ? Quelle place pour les régions ?

Le transfert vers l'Urssaf ne doit pas conduire à écarter les branches professionnelles ou les organisations syndicales.

La réforme va dans le sens de l'individualisation. Cependant, la formation professionnelle ne peut se réduire à un clic sur une application numérique, sans accompagnement. Le big bang que vous annoncez sera-t-il à la hauteur des attentes ? Le doute est permis quand ni les chômeurs de longue durée, ni les travailleurs handicapés, ni les indépendants n'y ont trouvé place. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOCR)

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail .  - L'enjeu est double. La France était en avance dans les années 1970 et 1980 sur la formation professionnelle. Le système est désormais en échec. Il est injuste : les employés et ouvriers ont deux fois moins de chance que les cadres de se former. Seul un chômeur sur dix accède à une formation chaque année. Les salariés des TPE et PME sont deux fois moins nombreux que ceux des grandes entreprises à y accéder. Il y a 500 000 salariés handicapés au chômage, faute de formation initiale et continue.

Si on ne change rien, le train de la croissance repartira, mais bon nombre de Français ne pourront y monter.

Avec la transition écologique et numérique, 50 % des métiers seront transformés dans les dix ans à venir. Si l'on ne bouleverse pas la formation professionnelle, ce sera un désastre pour les TPE et PME qui constituent l'essentiel de notre tissu économique.

L'accord entre les partenaires sociaux sur les droits des salariés est à saluer, mais le système actuel n'aide pas les PME et les moins qualifiés. Nous aurons l'occasion d'évoquer ces sujets en détail lors de l'examen du projet de loi que je présenterai.

Quant aux 500 euros, ils sont plus équitables : une caissière a le même droit à formation qu'un ingénieur. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et RDSE)

Dangers du scrutin proportionnel

M. Max Brisson .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Depuis dimanche, le président de la République Italien tente de dénouer le noeud gordien issu des urnes, comme le président René Coty sous la IVe République, au temps de la proportionnelle, avec ses majorités éphémères construites sur des compromis de couloir, ses changements incessants de Gouvernement. On a vu de telles situations plus récemment en Belgique, en Espagne, en Allemagne. Le dénominateur commun ? La proportionnelle, intégrale ou partielle ! (Marques d'approbation sur les bancs du groupe Les Républicains) Avec le scrutin majoritaire à deux tours hérité du général de Gaulle, les Français bénéficient, eux, de majorités claires et stables.

Au vu de la situation à Rome, le Gouvernement compte-t-il toujours introduire une dose substantielle de proportionnelle, au risque d'ajouter une crise politique aux difficultés économiques ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur certains bancs du groupe UC ; M. Didier Guillaume applaudit également.)

M. Édouard Philippe, Premier ministre .  - Merci d'avoir évoqué René Coty, un grand Havrais !

Le risque politique qui s'attache au blocage institutionnel serait lié, selon vous, au scrutin proportionnel. C'est un débat ancien. La Ve République a vécu pendant un temps avec un scrutin proportionnel intégral. (« Merci Mitterrand ! » à droite) Or personne ne peut dire que les institutions étaient bloquées. Il est en outre arrivé que des majorités relatives gouvernent sous la Ve, et ce n'était pas à l'époque de la proportionnelle !

M. Jean-Pierre Sueur.  - C'est vrai.

M. Édouard Philippe, Premier ministre.  - Quant au système allemand, il a permis le renouvellement, pendant plusieurs mandats, de majorités stables sous MM. Schröder, Kohl ou Mme Merkel, avec à la clé une action publique cohérente, courageuse et continue.

Le président de la République s'est engagé pendant la campagne à introduire une dose de proportionnelle dans la désignation des députés. Elle existe au Sénat, que je sache... Il s'agit de garantir à des pans de la population une représentation à l'Assemblée nationale. La dose de proportionnelle serait de 10 % à 25 %. C'est-à-dire - M. de Lapalisse ne me renierait pas - que 75 % à 90 % des députés resteraient élus au scrutin majoritaire. Je ne crois pas que cela remette l'équilibre institutionnel.

M. Édouard Philippe, Premier ministre.  - La discussion sur la révision constitutionnelle sera utile et intéressante. Il s'agit de tenir un engagement de campagne, ce qui n'est pas sans valeur. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et RDSE)

M. Max Brisson.  - Sachons tirer les leçons de l'histoire ! La proportionnelle serait le retour au vieux monde, celui de l'instabilité politique et du régime des partis. Le scrutin majoritaire est inscrit dans la logique de nos institutions. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Situation de la psychiatrie en France

Mme Florence Lassarade .  - Lors de sa visite au CHU de Saint-Étienne en janvier 2018, la contrôleure des lieux de privation de liberté a observé des conditions d'accueil indignes, des pratiques abusives d'isolement et de contention, un défaut d'information des patients sur leurs droits - constituant un traitement inhumain ou dégradant au sens de la Convention européenne des droits de l'Homme.

Cette situation est plutôt symptomatique des difficultés qui touchent la psychiatrie en France, entre baisse des moyens et manque de formation. En trente ans, le nombre de lits a été divisé par deux. Un millier de postes en psychiatrie restent vacants et les infirmiers spécialisés ont disparu.

Ces recommandations n'ont fait l'objet d'aucune réponse du Gouvernement dans le délai imparti.

Monsieur le Premier ministre, quelles mesures allez-vous prendre contre ces dysfonctionnements ? (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Christophe Castaner, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement .  - (Quelques protestations sur les bancs du groupe Les Républicains) Selon l'OMS, une personne sur quatre sera touchée par un trouble psychique d'ici 2020. (Murmures)

La spécialisation dans la médecine de l'âme est apparue au XVIIe siècle. En ce 8 mars, je veux citer Madeleine Pelletier, première femme psychiatre en 1906, féministe militante qui estimait que la femme est un individu avant d'être un sexe.

Mme Buzyn, retenue à l'Assemblée, a fait de ce sujet l'un de ses combats prioritaires. Elle présidera personnellement la future instance nationale de psychiatrie et de santé mentale et annoncera douze mesures d'urgence, ainsi que des mesures de plus long terme.

Il faut renforcer la recherche sur le repérage plus précoce des pathologies. La psychiatrie est une thématique prioritaire du programme hospitalier de recherche clinique pour 2018.

Nous devons aussi trouver des réponses territorialement adaptées pour accompagner et préserver l'autonomie, afin de mieux prendre en compte cette réalité. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe LaREM)

Mme Florence Lassarade.  - L'ambition doit être jupitérienne, avec des moyens matériels et humains adaptés, sans quoi la situation s'aggravera... (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UC)

Enseignement français à l'étranger

M. Ronan Le Gleut .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Le rayonnement de la France dans le monde passe par nos écoles, collèges et lycées français à l'étranger. Or vous avez procédé à des coupes claires d'une grande violence en amputant de 10 %, soit 33 millions d'euros, le budget de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) qui scolarise 342 000 élèves dans 495 établissements de 137 pays. Sans concertation, vous supprimez 512 postes sur trois ans, dont 180 dès la rentrée prochaine, alors que le recrutement d'enseignants francophones est difficile. Les déconventionnements risquent de s'envoler...

Les frais de scolarité, déjà de 5 à 10 000 euros par an et par enfant, devront encore augmenter. Que cherchez-vous ? Démanteler le réseau de l'enseignement français à l'étranger ou vous battre pour nos établissements, fer de lance de la francophonie, qui incarnent encore une « certaine idée de la France », comme disait de Gaulle ? (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC, Les Indépendants, RDSE et sur plusieurs bancs du groupe SOCR)

Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes .  - Le réseau de l'AEFE, exceptionnel, assure une mission de service public et une mission d'influence puisque deux tiers des élèves sont étrangers. En termes budgétaires, c'est la priorité de notre diplomatie d'influence, avec 60 % du programme 185. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains)

Les annulations de crédits ont été rendues obligatoires par l'état de nos finances publiques. C'est vrai, en 2017, 282 millions d'euros de crédits ont été annulés dont 33 millions sur le budget de l'AEFE.

J'entends vos inquiétudes mais je veux vous rassurer. Le président de la République a salué le travail de l'AEFE devant l'Assemblée des Français de l'étranger (On ironise sur les bancs du groupe Les Républicains.) et confirmé que ses crédits seraient préservés en 2018 et 2019. Une dotation exceptionnelle de 14 millions d'euros a en outre été débloquée pour la sécurité.

Le président de la République a demandé au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et au ministre de l'Éducation nationale des propositions pour réformer l'Agence et la conforter dans la durée...

M. François Grosdidier.  - Les moyens d'abord !

Mme Nathalie Loiseau, ministre.  - ... afin qu'elle puisse poursuivre sa mission de scolarisation des élèves français et de promotion de notre modèle éducatif. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM)

M. Ronan Le Gleut.  - En supprimant 33 millions d'euros, soit 10 % du budget de l'AEFE, vous ne défendez pas l'enseignement français à l'étranger. Mettez en conformité vos paroles et vos actes ! (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains, UC et sur plusieurs bancs du groupe SOCR)

Situation à Mayotte

M. Thani Mohamed Soilihi .  - Depuis trois semaines, la population de Mayotte, lassée des violences, manifeste contre l'insécurité, bloque les routes. Les fonctionnaires et les transporteurs utilisent leur droit de retrait.

La violence, c'est aussi l'embolie du système éducatif, les difficultés d'accès aux soins, le manque de logements, la faiblesse des infrastructures, l'absence de services et d'encadrement. La maternité de Mamoudzou est celle qui enregistre le plus de naissances en France. Quel avenir pour les jeunes dans un département où la moitié de la population a moins de 18 ans ?

Un renforcement des forces de l'ordre et un plan de sécurisation des établissements et des transports scolaires ont été annoncés. La ministre des outre-mer propose la tenue d'une Conférence pour l'avenir de Mayotte - mais la population ne peut plus attendre. La situation appelle des mesures urgentes et concrètes.

Monsieur le Premier ministre, que répondrez-vous à ceux qui pensent que la République a abandonné Mayotte ? (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, RDSE et SOCR)

M. Édouard Philippe, Premier ministre .  - Les Mahorais sont en colère et inquiets. La première réponse, c'est la sécurisation des écoles dès la rentrée, lundi prochain. Trois escadrons de gendarmerie mobile, des médiateurs de l'Éducation nationale et des agents de sécurité sont déployés sur place. Des renforts arriveront mardi. Avec Gérard Collomb, nous mobilisons toutes les forces de l'ordre.

Oui, il faut aller plus loin, en matière de logements, de transports, de lutte contre l'immigration clandestine... Les problèmes ne sont pas récents. Mayotte comptait 15 000 habitants en 1918, 67 000 en 1958, 160 000 en 2002, 186 000 en 2007, 212 000 en 2012 et 254 000 en 2017. Cette explosion démographique, sous l'effet de l'amélioration du solde naturel et de l'immigration clandestine, n'a aucun équivalent et implique un effort inouï en termes d'équipements publics.

Le mécontentement légitime qui s'exprime naît du sentiment que la situation n'est pas maîtrisée.

Nous travaillons avec les élus sur l'organisation institutionnelle et les politiques publiques.

La maternité de Mamoudzou enregistre plus de 10 000 naissances par an, deux fois plus que dans la plus grande maternité parisienne. Faut-il revoir son statut ? Faire évoluer le droit de l'accès à la nationalité ?

M. Christian Cambon.  - Voilà.

M. Édouard Philippe, Premier ministre.  - Je mets tout sur la table.

En tout cas, les appels au dégazage, à dresser des barrages sur les routes ne résoudront rien. Mme Girardin viendra sur place installer la Conférence avec les élus.

Certains maires auraient annoncé leur intention de ne pas organiser les prochaines élections législatives ? Je ne peux croire qu'un élu de la République rentre dans ce jeu. L'État prendra toutes ses responsabilités. Il n'est pas envisageable que les élections législatives ne puissent se tenir à la date prévue. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur certains bancs du groupe UC ; M. Robert del Picchia applaudit également.)

La séance, suspendue à 16 h 5, reprend à 16 h 25.