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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Saisine du Conseil constitutionnel

Questions prioritaires de constitutionnalité

Dépôt de rapports

Retrait d'une question orale

Mises au point au sujet de votes

Débat sur la France et l'Europe face à la crise au Levant

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères

M. Jacques Legendre, président de la mission d'information sur la position de la France à l'égard de l'accord de mars 2016 entre l'Union européenne et la Turquie relatif à la crise des réfugiés et sur les conditions de mise en oeuvre de cet accord

M. Michel Billout, rapporteur de la mission d'information

Mme Nathalie Goulet

Mme Leila Aïchi

M. Gaëtan Gorce

M. David Rachline

Mme Michelle Demessine

M. Robert Hue

M. Claude Malhuret

M. Didier Marie

M. Jacques Legendre

M. Bernard Fournier

M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international

Questions d'actualité

Aides européennes agricoles

M. Jean-Jacques Lasserre

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Avenir de la langue française

M. Jacques Legendre

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche

Avenir de la ligne ferroviaire du Cévenol

M. Alain Bertrand

Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargée de la biodiversité

Démantèlement de la « jungle » de Calais

Mme Esther Benbassa

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur

Accord commercial entre le Canada et l'Union européenne

M. Michel Billout

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du développement et de la francophonie

Garde nationale

Mme Gisèle Jourda

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur

Violences à l'encontre des forces de l'ordre

M. Jackie Pierre

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur

Aide humanitaire pour Haïti

M. Maurice Antiste

Mme Ericka Bareigts, ministre des outre-mer

Bataille de Mossoul

Mme Colette Mélot

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du développement et de la francophonie

Parcours professionnels et carrières des fonctionnaires

Mme Éliane Giraud

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement

Égalité et citoyenneté (Procédure accélérée - Suite)

Explications de vote

Mme Aline Archimbaud

M. Jacques-Bernard Magner

M. Jean-Claude Lenoir

M. Jean Louis Masson

M. Christian Favier

Mme Françoise Laborde

Mme Françoise Gatel

Scrutin public solennel

Intervention du Gouvernement

M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports

Dépôt d'un rapport

Candidatures à une éventuelle CMP

Réforme des rythmes scolaires dans les petites communes (Question orale avec débat)

Mme Françoise Cartron, auteure de la question

Mme Maryvonne Blondin

Mme Catherine Troendlé

M. Patrick Abate

Mme Mireille Jouve

Mme Françoise Férat

Mme Marie-Christine Blandin

Mme Danielle Michel

Mme Brigitte Micouleau

M. Daniel Laurent

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche

Nominations à une éventuelle CMP

Débat sur l'orientation scolaire

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication

M. Jacques-Bernard Magner, président de la mission d'information

M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur de la mission d'information

M. Patrick Abate

Mme Françoise Laborde

Mme Marie-Christine Blandin

Mme Agnès Canayer

M. Claude Kern

M. Jacques-Bernard Magner

M. Jacques Grosperrin

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche

Ordre du jour du mercredi 19 octobre 2016

Analyse des scrutins publics




SÉANCE

du mardi 18 octobre 2016

8e séance de la session ordinaire 2016-2017

présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : Mme Frédérique Espagnac, M. Bruno Gilles.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu intégral publié sur le site internet du Sénat, est adopté. 

Saisine du Conseil constitutionnel

M. le président.  - Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat qu'il a été saisi le 17 octobre 2016, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs, de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle.

Le texte de la saisine est disponible au bureau de la distribution.

Questions prioritaires de constitutionnalité

M. le président.  - Le Conseil constitutionnel a également informé le Sénat, le 17 octobre 2016, qu'en application de l'article 61-1 de la Constitution, le Conseil d'État lui a adressé deux décisions de renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité portant, d'une part, sur le II de l'article 31 de la loi du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 (Impôt sur les sociétés - report en arrière de déficit) et, d'autre part, sur l'article L. 541-10-9 du code de l'environnement (Obligation de reprise des déchets du BTP).

Le texte de ces décisions de renvoi est disponible à la direction de la séance.

Dépôt de rapports

M. le président.  - J'ai reçu de M. le Premier ministre le rapport du fonds d'intervention régional pour l'exercice 2015, ainsi que le rapport annuel pour 2015 relatif au fonds de modernisation des établissements de santé publics et privés, et le rapport sur le développement et la valorisation des consultations pluridisciplinaires au sein des établissements de santé. Ils ont été transmis à la commission des affaires sociales.

Retrait d'une question orale

M. le président.  - J'informe le Sénat que la question orale n° 1494 de M. André Reichardt est retirée du rôle des questions orales, à la demande de son auteur.

Mises au point au sujet de votes

M. Jacques Genest.  - M. Mathieu Darnaud, lors du scrutin public n°31 portant sur les amendements identiques nos330 et 455 rectifié ter au projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté, a été enregistré votant contre alors qu'il souhaitait voter pour.

M. Bernard Delcros.  - Lors du scrutin n°30 sur l'amendement n°316 rectifié bis au même projet de loi, j'ai été enregistré comme ne prenant pas part au vote alors que je souhaitais voter pour. Il s'agissait de la peine d'inéligibilité en cas de condamnation pour agression et violences sexuelles.

M. le président.  - Dont acte.

Débat sur la France et l'Europe face à la crise au Levant

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la France et l'Europe face à la crise au Levant, à la demande de la commission des affaires étrangères et de la mission d'information sur la position de la France à l'égard de l'accord de mars 2016 entre l'Union européenne et la Turquie relatif à la crise des réfugiés et sur les conditions de mise en oeuvre de cet accord.

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères .  - Merci d'avoir permis ce débat à une période préoccupante. Jamais, depuis que je suis le spectateur des affaires du monde, la situation n'a été aussi dégradée, et le Levant conjugue toutes les crises.

On voit aujourd'hui les dirigeants russes chercher à l'extérieur des satisfactions qu'ils n'obtiennent pas à l'intérieur, vu la situation économique du pays. Nous sommes partis au Levant avec les Américains, et nous nous retrouvons plutôt avec les Russes.

Alep, malgré la trêve, est ruinée, blessée, meurtrie. Vous avez eu raison, monsieur le ministre, d'y dénoncer des crimes de guerre. Demain, ce sera peut-être le tour de Mossoul. Sur ce dernier front, la France est très présente et visible, alors qu'elle ne représente que 5 à 20 % des frappes en Syrie.

Ce conflit a déjà fait 300 000 morts, 5 millions de réfugiés, 8 millions de déplacés. Il exerce sur nous des effets réactifs profondément néfastes. Que deviendront les 700 Français qui font la guerre dans les rangs de Daech, lorsqu'ils voudront revenir en France ? À moins qu'ils ne veuillent aller porter le fer en Libye, voire en Tunisie...

La Méditerranée est notre première frontière, notre première ligne d'intérêt. Nous ne la protégerons pas seulement par les armes. Bien sûr, il faut agir avec force contre le terrorisme. Mais je n'oublie pas les mots de Jacques Chirac, en 2003 : « La guerre appelle le terrorisme, la brutalité appelle la brutalité, les tensions appellent les tensions ». La vraie solution, c'est le développement, et d'abord en Tunisie, en Algérie et au Maroc ! (Applaudissements nourris au centre et droite ; M. Jacques Mézard applaudit aussi)

Nous apprécions les efforts humanitaires de la France, ses efforts pour relancer le processus politique en Syrie. Le projet de résolution français au Conseil de sécurité a eu le mérite de révéler qui avait la volonté d'avancer. Mais il faut aller plus loin, en réaffirmant le rôle de notre pays, la nécessité d'une armée puissante et d'une force de dissuasion propre. Nous sommes aux côtés de nos soldats qui se battent devant Mossoul, comme de nos forces de sécurité. N'oublions pas cependant que l'issue de la crise sera politique.

Le mot d'ordre de notre politique étrangère, ce doit être la volonté d'indépendance, celle-là même qui nous permet de parler avec les États-Unis comme avec la Russie ou la Chine. Nous n'avons pas apprécié le récent imbroglio humiliant avec M. Poutine. (M. Hubert Falco renchérit) Nous ne trouverons pas de solution sans la Russie, et il ne nous appartient pas de juger les dirigeants d'un grand pays comme celui-là. (Applaudissements au centre et à droite ; M. Jacques Mézard applaudit également)

Bien sûr, nous condamnons les bombardements d'Alep. Mais si nous voulons la paix, nous devons discuter avec la Russie comme avec les États-Unis qui, s'ils étaient avec nous sur la ligne de départ, se sont rapidement retirés nous plaçant dans une situation de fragilité.

Cette politique d'indépendance nationale est indissociablement liée à une politique de paix. On ne peut que se féliciter des contrats conclus récemment par nos industries de défense, et saluer l'action de M. Le Drian à cet égard, mais si l'Australie achète nos sous-marins, l'Égypte nos Rafale, c'est qu'elles ne croient guère en la paix...

À cela s'ajoute la question des migrants. Nous attendons un sursaut des Européens, qui devront revoir les règles de Schengen pour mieux protéger leurs frontières. Les migrations pèsent lourd politiquement, comme on le voit avec le Brexit et la montée des populismes. C'est une question dont nous devons mieux débattre, loin des postures. La France doit maîtriser ses flux migratoires, se montrer accueillante mais aussi faire respecter ses règles avec toute l'autorité nécessaire.

Les désordres du monde appellent la France à prendre la parole, avec le souci de l'indépendance nationale et celui de la paix ! (Applaudissements au centre et à droite ; Mme Leila Aïchi et M. Jacques Mézard applaudissent également)

M. Jacques Legendre, président de la mission d'information sur la position de la France à l'égard de l'accord de mars 2016 entre l'Union européenne et la Turquie relatif à la crise des réfugiés et sur les conditions de mise en oeuvre de cet accord .  - L'accord du 18 mars 2016 entre l'Union européenne et la Turquie, qualifié de déclaration, avait pour but d'endiguer le flux de réfugiés et de migrants transitant de la Turquie, via les îles grecques et les Balkans, vers le nord et l'est de l'Europe : 860 000 avaient emprunté cette route en 2015, beaucoup étaient morts dans des naufrages, et la fermeture unilatérale de la route des Balkans menaçait la Grèce d'une grave crise humanitaire.

Depuis, les flux se sont taris, puisqu'on est passé d'environ 2 000 arrivées par jour en février à 50 cet été et 100 actuellement. Paradoxalement, ces résultats ont été obtenus alors même que le principal dispositif de l'accord, soit le renvoi provisoire en Turquie de tous les migrants, ne fonctionne pas : début octobre, seuls 633 migrants avaient été renvoyés. Ils ne sont pas moins de 15 000 à attendre dans des hotspots, en raison de l'engorgement de la procédure grecque d'asile et de la réticence de la Grèce à considérer la Turquie comme un pays sûr.

Aucune route alternative d'envergure n'a été identifiée, mais des flux irréguliers persistent entre les îles grecques et le continent comme aux frontières terrestres turco-grecque, turco-bulgare et gréco-macédonienne.

La réussite de l'accord est tributaire de la bonne volonté de la Turquie. Or celle-ci a obtenu des contreparties politiques qui posent problème, vu la situation politique intérieure turque : relance des négociations d'adhésion à l'Union européenne et libéralisation des visas. La mission plaide pour une dissociation du volet politique et de celui qui concerne les réfugiés. À nous d'honorer sans plus tarder nos engagements sur ce plan, en versant l'aide financière promise pour améliorer le sort des réfugiés en Turquie, et en accélérant l'implantation des réfugiés syriens en Europe.

La mission recommande aussi de débloquer rapidement le traitement des demandes d'asile dans les hotspots grecs. Il y a urgence, le récent incendie à Lesbos l'a montré. Seulement, 40 experts de l'European Asylum Support Office (EASO) travaillent sur place alors que 400 avaient été promis. La France pourrait en fournir une centaine. Nous disposons à l'Ofpra des compétences nécessaires, le Gouvernement devrait inviter l'Office à reconsidérer sa position.

Autre recommandation : renforcer, avec Frontex, la protection des frontières extérieures de l'Union européenne. Le problème n'est pas réglé, les filières se réorganisent à une vitesse surprenante.

La question migratoire se pose à nous pour longtemps, car le phénomène est structurel. C'est devenu une question de politique étrangère à part entière, que notre diplomatie doit intégrer. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Michel Billout, rapporteur de la mission d'information .  - En avril dernier, lors de la signature de l'accord entre l'Union européenne, l'inquiétude dominait : les négociations semblaient avoir été conduites par l'Allemagne, on critiquait le chantage exercé par la Turquie et les atteintes portées dans ce pays aux droits fondamentaux, ainsi que la solution consistant à renvoyer en Turquie tous les migrants et à échanger les Syriens contre les autres ; on déplorait enfin l'absence de ratification parlementaire. C'est ce qui a conduit à mettre en place la mission d'information dont je fus le rapporteur.

Depuis, certaines de nos préventions à propos de la conduite des négociations ont été levées. Ceux qui craignaient une atteinte au droit d'asile constatent que le système de sous-traitance à la Turquie ne fonctionne pas. L'accord était nécessaire pour des raisons humanitaires. Sept mois après, il tient malgré l'échéance de juin pour les visas, les soubresauts de la politique intérieure turque et la période estivale, plus propice aux traversées.

La situation des réfugiés en Turquie progresse, grâce aux compléments apportés au cadre juridique de la protection internationale comme à l'aide financière européenne : sous l'égide du Programme alimentaire mondial (PAM) et du Croissant rouge turc, un « filet de sécurité sociale d'urgence » permettra à plus d'un million de réfugiés de percevoir une somme mensuelle pour couvrir leurs besoins de base. Il n'en demeure pas moins que 500 000 enfants restent non-scolarisés, que 8 000 permis de travail seulement ont été accordés, que le sort des non-Syriens mérite notre vigilance. Plus préoccupant, la frontière entre la Syrie et la Turquie est désormais fermée et plusieurs dizaines de milliers de réfugiés s'y entassent.

Plusieurs hypothèques pèsent aussi sur la mise en oeuvre de l'accord, à commencer par les exigences politiques de la Turquie. Il n'est pas question de céder sur le respect des critères de la feuille de route : l'État de droit, le pluralisme, les droits de l'homme ne sont pas négociables.

En revanche, les Européens doivent s'appliquer à mettre en oeuvre leurs propres engagements au sujet des réfugiés, qu'il s'agisse de l'aide financière ou de la réinstallation : 1 614 personnes avaient été réinstallées fin septembre, au lieu des 72 000 envisagées. De même, il importe de mettre en oeuvre le plan de relocalisation des migrants arrivés en Grèce avant l'accord.

La Grèce mérite aussi notre soutien : les efforts qu'elle consent doivent être pris en compte lors de la renégociation de sa dette. Les 46 000 migrants arrivés avant l'accord doivent bénéficier de l'aide humanitaire promise, la priorité étant de mettre à l'abri les 2 200 mineurs isolés.

Ce type d'accord n'a, selon nous, pas vocation à se reproduire. Développons plutôt une politique migratoire européenne ambitieuse, en soutenant le développement des pays d'origine, en ouvrant de nouvelles voies légales de migration et en luttant implacablement contre les passeurs qui exploitent la misère humaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen et quelques bancs du groupe socialiste et républicain ; M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission, applaudit aussi)

Mme Nathalie Goulet .  - L'usage du singulier dans l'intitulé de ce débat est optimiste, compte tenu de la multiplicité des crises... Il n'en est pas moins tout à fait intelligent de relier la situation au Levant à la crise migratoire. Un remarquable colloque s'est tenu ici le 7 octobre, et plusieurs de nos commissions travaillent sur le sujet.

Nul ne sait comment mettre fin au déluge actuel de sang, de larmes et de réfugiés. Faisons donc un peu d'histoire. Cent ans après les accords Sykes-Picot, l'Orient reste compliqué, comme disait le général de Gaulle, et beaucoup ont sur lui des idées trop simples : on oppose les bons et les méchants, les démocrates et les dictateurs... Ce furent cent ans de politique binaire et post-colonialiste. Des accords Sykes-Picot au Grand Moyen-Orient de George Bush, combien de feuilles de route pour stabiliser enfin la région, mettre enfin en ordre ce Rubik's Cube ? On traite les effets sans traiter des causes, pour ne pas avoir à s'interroger sur ses propres responsabilités.

Des guerres ont nourri le terrorisme qu'elles étaient censées combattre. L'embargo sur l'Irak a fait 500 000 morts : « cela en valait la peine », disait Mme Albright... Nos interventions militaires ont aussi alimenté les flux migratoires. Les historiens le savent : chaque fois que Bagdad est détruite, la carte du monde a dû être redessinée. L'Irak est aujourd'hui un État failli, une zone de non-droit où prospèrent tous les trafics.

Le rapporteur a abordé quelques éléments techniques. À l'aube du soixante-quinzième anniversaire de l'Agence française de développement (AFD), comment renforcer notre aide au développement en Méditerranée ?

Je suis allée avec notre commission visiter les camps de Gaziantep en Turquie, pays où transitent 2,7 millions de migrants. Quid de la convention de sécurité intérieure du 1er août 2012, qui n'a jamais été appliquée ?

Apportons tout notre soutien à ces pays fragiles que sont la Jordanie, avec ses 937 000 réfugiés, le Liban qui accueille 1,5 million de personnes, l'Égypte qui deviendra un nouveau foyer d'émigration sans développement économique, ou encore la Tunisie dont la stabilité est menacée par les attentats et la situation économique. Nous avons besoin, en Méditerranée, d'une stratégie efficace et ciblée, qui mette l'accent sur le développement - je pense aux projets d'électrification chers à Jean-Louis Borloo.

Nous n'en sommes pas encore au pic de la crise, attaquons-nous donc à ses causes. Et n'oublions pas que, derrière les chiffres, il y a des femmes, des hommes et des enfants dans la détresse. (Applaudissements au centre et sur quelques bancs à droite)

Mme Leila Aïchi .  - Le 29 juin 2016, Claude Malhuret, Claude Haut et moi-même présentions le rapport : « La Turquie, une relation complexe mais incontournable ». Nous soulignions alors que la situation évoluait vite : nous ne croyions pas si bien dire...

En juin, M. Erdogan amorçait un virage diplomatique en exprimant des regrets à la suite de l'abattage d'un avion militaire russe. Depuis, le tourisme russe en Turquie a repris, le commerce énergétique aussi, des visites officielles ont été échangées. MM. Poutine et Erdogan partagent une même conception de l'exercice du pouvoir, refusant le modèle occidental libéral.

Le 25 juillet 2016, un putsch raté et inattendu entraînait en Turquie une répression tous azimuts dont s'inquiète le Conseil de l'Europe. Que les autorités turques aient eu l'impression que les Européens tardaient à réagir n'a fait qu'aggraver les malentendus.

Le 24 août 2016, l'opération militaire turque rebattait les cartes dans la région. L'un des objectifs d'Ankara était d'empêcher le parti kurde syrien de consolider ses positions à la frontière turque.

Malgré ces événements, notre rapport conserve sa pertinence. Après dix ans de développement économique, de stabilité politique, d'ouverture diplomatique, la Turquie connaît aujourd'hui une hausse des violences internes comme des tensions avec ses partenaires européens et américains. Si cette évolution géostratégique se confirme, ce serait un véritable tournant.

La Turquie est un pivot, partenaire stratégique incontournable dans la lutte contre Daech et pour l'accueil des réfugiés. Aidons-la pour qu'elle soit une lueur d'espoir et un aiguillon pour le monde musulman.

L'accord du 18 mars a eu des effets positifs, mais nous ne devons pas transiger sur les critères à satisfaire avant toute libéralisation des visas. La Turquie a besoin de nous comme nous avons besoin d'elle. Après le Brexit, l'Europe devra être refondée en cercles concentriques, ce qui pourrait poser la question de l'adhésion de la Turquie en termes différents...

Un intellectuel turc disait : « Si l'élargissement vers les pays d'Europe de l'Est a intégré l'autre Europe, l'élargissement vers la Turquie intègrera l'autre de l'Europe ». Ayons des échanges à tous les niveaux. En Syrie, malgré nos divergences, nous partageons avec les Turcs le souci de l'unité territoriale du pays. Monsieur le ministre, deux interrogations : quelles furent les répercussions du coup d'État en Turquie sur notre collaboration avec les Turcs ? Quel est l'agenda de la France pour renforcer ces relations ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs au centre et à droite)

M. Gaëtan Gorce .  - Les nations européennes font face à un paradoxe : elles ont du mal à s'adapter à un système international qui correspond pourtant à ce qu'elles ont longtemps appelé de leurs voeux : un monde libéré de la logique des blocs comme de la superpuissance américaine.

La crise au Levant est la conséquence de ces évolutions. Évitons de simplifier en ramenant toujours les conflits qui y font rage à des guerres de religion. Tirons aussi les leçons de nos erreurs : l'intervention désinvolte des États-Unis en Irak, la nôtre en Libye ont gravement déstabilisé ces pays.

On voit se nouer de nouvelles alliances. C'est ainsi que la Turquie se rapproche de la Russie, laquelle a pour but d'empêcher l'essor des forces islamistes dans le Caucase comme de consolider son statut international retrouvé. Efforçons-nous de comprendre les stratégies de chacun au lieu de nous contenter de jugements moraux. Les droits de l'homme ne sont plus une règle acceptée par tous.

Face à cela, que doit faire l'Europe ? Elle doit être déterminée, forte et savoir où elle veut aller. Certes, face à la crise migratoire, l'Europe a défini des objectifs et des moyens, elle a consacré des moyens à des interventions humanitaires, elle s'est engagée pour l'accueil et la relocalisation des réfugiés, et une réflexion est en cours pour réformer Schengen. Mais faute de volonté politique suffisante, les États sont contraints de prendre l'initiative. Où en serions-nous si Mme Merkel avait fermé la porte aux réfugiés ; si elle n'avait pas pris les devants pour négocier avec la Turquie ? Seule l'Europe, néanmoins, est en mesure de résoudre la crise en profondeur, en mettant au point une politique de gestion des flux qui passe par l'aide au développement des pays d'origine. Tant que l'aide publique au développement rapportera moins à ces derniers que ce qu'ils perçoivent de leurs ressortissants sur notre sol, nous n'en sortirons pas.

Si la France est courageuse, elle n'est peut-être pas toujours parfaitement lucide : va-t-on construire une Syrie démocratique où 80 % des forces rebelles sont acquises au djihad ?

La France n'a pas à rougir, elle concilie ses valeurs avec des ambitions fortes. Qu'elle les fasse partager à ses voisins européens - et notamment l'Allemagne - pour rebâtir une stratégie politique, au-delà de la morale et de l'émotion. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et sur le banc de la commission)

M. David Rachline .  - Je rends hommage à tous nos soldats qui combattent dans des conditions très rudes, ainsi qu'aux populations civiles d'Alep et de Mossoul. La crise est protéiforme : économique, humanitaire et, aujourd'hui, diplomatique. Politiques et médias caricaturent. Obnubilés par le soi-disant succès des printemps arabes, les gouvernements français, sous d'amicales pressions venues d'outre-Atlantique et de la péninsule arabique, ont apporté leur soutien aux opposants à des gouvernements légitimes, avec le résultat que l'on sait... Où est passée la voix de la France ? À croire que notre diplomatie s'élabore non plus sur les bords de la Seine mais sur ceux du Potomac...

Certes, le régime syrien a commis des actes condamnables. Mais il y a quelques années encore, les minorités vivaient en paix en Syrie, à commencer par les chrétiens. La France a fourni des armes à des opposants soi-disant modérés, qui se sont empressés de les livrer à Al-Nosra ou à Daech. On a même entendu dire qu'Al-Nosra ferait « du bon boulot ». En décapitant des enfants ?

En Irak, la coalition obtient quelques résultats. C'est beaucoup moins vrai en Syrie. À Alep, il y a des morts - le lot de toute guerre - à l'Est comme à l'Ouest. Arrêtons la désinformation. La trêve a d'ailleurs été rompue par les rebelles islamistes.

Je n'ai guère le temps d'évoquer l'accord entre l'Union européenne - ou plutôt l'Allemagne - et la Turquie, qui est loin d'avoir favorisé les intérêts français. Notre politique étrangère doit être dictée par les seuls intérêts de la France et des Français, sans être inféodée aux Américains ou aux Saoudiens, ni à l'idéologie droit-de-l'hommiste. C'est alors que la voix de la France sera entendue.

Mme Michelle Demessine .  - Je salue la tenue de ce débat, permettant à chacun de clarifier ses positions. Le groupe CRC est favorable à un examen attentif des demandes d'asile, tradition française. À ce propos, je rends hommage à tous les élus locaux, pleinement investis pour accueillir les réfugiés.

L'action de la France doit être nationale, européenne et mondiale. Au niveau national, le Gouvernement doit lancer un vaste plan d'action pour accueillir dignement les réfugiés sur tout le territoire. Appeler à constituer des « zones sans migrants », c'est tourner le dos aux valeurs de la République. C'est en s'enfonçant dans une telle logique que l'on a laissé se constituer la jungle inhumaine de Calais, où je me suis rendue avec mes collègues Pierre Laurent, Éliane Assassi et Dominique Watrin.

Au niveau européen, la France devra participer à des solutions partagées, communes, efficaces pour accueillir les réfugiés, depuis le dispositif médico-social jusqu'à leur insertion professionnelle et scolaire.

Face à cet enjeu historique, la décision de certains pays comme la Hongrie est une honte. Malgré les critiques que nous portons à son encontre, une dislocation de l'Union sur la question des réfugiés conduirait à une disparition pure et simple de l'Europe, regrettable à notre sens.

Nous n'oublions pas que l'Union européenne s'est construite sur des valeurs de paix, comment comprendre qu'elle tourne le dos aux réfugiés ? La fermeture de la route des Balkans a abouti à un blocage que la Grèce et la Turquie ont dû gérer seules. L'accord du 18 mars dernier et l'aide d'urgence de 300 millions d'euros ne suffiront pas.

Enfin, il faut revoir notre diplomatie sur la Syrie, l'Irak, la Libye. L'opération en cours pour libérer Mossoul sera une avancée si elle ne crée pas de nouveaux foyers de guérilleros.

Nous avons deux inquiétudes : d'abord l'augmentation de l'APD de 18 millions d'euros ne saurait cacher une baisse de 500 millions sur l'ensemble du quinquennat. Ensuite, Syrie, Libye, Irak, où sont les possibilités d'alternance ? En Libye, la France discute avec le gouvernement de Tripoli, comme avec celui de Tobrouk... Cette situation est encore compliquée par les ingérences turques contre les kurdes, comme à Rojava, iraniennes par le biais d'Hachd al-Chaabi ou encore russes en Syrie.

La priorité est de reprendre le message de paix de 2003 et de parler avec tous. Comme le disait un ancien ministre des affaires étrangères avec lequel nous n'avons pas toujours été d'accord : « La France est un vieux pays d'un vieux continent, qui a connu les guerres et la barbarie, et qui pourtant n'a cessé de se tenir face à l'Histoire et devant les hommes, fidèle à ses valeurs ».

La priorité est à présent le dialogue entre Moscou et l'Europe, d'une part, la Russie et Washington, d'autre part.

En attendant une solution politique, l'accueil de tous les demandeurs d'asile est un devoir moral et d'humanité. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen ; M. Yves Pozzo di Borgo applaudit aussi)

présidence de M. Jean-Claude Gaudin, vice-président

M. Robert Hue .  - La mission d'information vient de rendre ses conclusions sur la position de la France sur l'accord de mars 2016 entre la Turquie et l'Union européenne.

La question des migrants est la conséquence de la crise au Levant dont nous débattons alors qu'a commencé la bataille de Mossoul, que le ministre de la défense a qualifié « d'émettrice d'idéologie ». Si son issue ne fait pas de doute, combien de temps durera-t-elle ? Combien de victimes civiles ? Quand nous aurons délogé l'État islamique de la ville, nous n'en aurons pas fini avec les djihadistes. On le voit avec le Fatah al-Cham. Aussi devons-nous reprendre le dialogue.

Notre diplomatie n'est certes pas restée inerte, comme en témoigne la proposition de cessez-le-feu faite au Conseil de sécurité des Nations unies. Son exclusion des discussions de Lausanne, samedi dernier, est regrettable.

Pour le groupe RDSE, il n'y aura de solution au Levant comme ailleurs que politique. En attendant, les migrants continuent d'affluer aux portes de l'Europe. Certes, l'accord entre l'Union européenne et la Turquie a ralenti les flux.

Il a été critiqué, notamment au regard des conditions politiques internes en Turquie, mais il a le mérite d'exister, de créer un pont avec Ankara, partenaire incontournable, tout comme la Russie ; et sans lui, qu'aurions-nous fait ?

Tout indique que les flux migratoires sans précédent vont reprendre, notamment en provenance du Sahel. Nous devons ouvrir des voies légales d'immigration, bâtir une politique migratoire commune. Comment un ensemble de 500 millions d'habitants a-t-il pu accueillir un million de réfugiés seulement quand la Turquie en reçoit 2,7 millions et le Liban, un million ?

Hélas, dès que la solidarité est mise à l'épreuve, les réflexes souverains finissent par l'emporter comme l'a illustré la remise en cause de l'espace Schengen.

Nous devons repenser l'Europe dans ses fondements mêmes, au-delà des outils techniques, alors qu'émerge de plus en plus une Europe à la carte en lieu et place du principe de solidarité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE ; ainsi que sur plusieurs bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

M. Claude Malhuret .  - Nous débattons non de la France face à la crise au Levant mais de la France et de l'Europe face à la crise au Levant. Pour ma part, c'est de ce deuxième terme de l'intitulé dont je veux parler ici, en me livrant au « jeu des sept erreurs » pour que nous ne les reproduisions pas, car cette crise n'est qu'un prodrome des crises à venir.

Première erreur, la politique de l'autruche. Après l'Irak, la Libye et j'en passe, nous aurions dû réagir. Les migrations sont un phénomène ancien, qui n'a fait que s'amplifier.

Deuxième erreur, le chacun pour soi. La Grèce et l'Italie ont été purement et simplement abandonnées à leur sort. Elles ont laissé filer les réfugiés puis les frontières ont été bloquées. Tout cela sous le regard des caméras de télévision donnant quasiment chaque soir l'impression d'une marée humaine, ce qui a plongé les populations dans une alternance de pitié culpabilisée et de panique horrifiée.

Troisième erreur, l'incapacité de l'Union européenne à agir rapidement, comme l'ont montré les deux réunions du Conseil européen de septembre 2015 qui n'ont abouti qu'à l'accueil de 120 000 Syriens seulement. En conséquence, l'Europe s'est fragilisée entre Est et Ouest, aboutissant - c'est la quatrième erreur - au « Un pour tous » : la chancelière allemande ayant décidé unilatéralement d'accueillir un million de réfugiés sur son sol, provoquant un afflux nouveau, l'effacement de la France, et le court-circuitage des institutions européennes.

Cinquième erreur, à nouveau conséquence de la précédente, la négociation dans l'urgence et sous le coup de la panique avec une Turquie au bord de la guerre civile, négociation strictement germano-turque, qui lie de manière aberrante réfugiés et visas pour les citoyens turcs, donne un blanc-seing de démocratie à la dictature Erdogan, dans un pays au bord de la guerre civile. Bref, l'Europe s'assoit sur ses valeurs. La prochaine vague de réfugiés, si les visas sont accordés, sera turque : 500 000 Kurdes, chassés par la guerre civile du Kurdistan, sont déjà réfugiés à l'ouest de la Turquie, qui formeront, à n'en pas douter, la prochaine vague de demandeurs d'asile en Europe. Beaucoup d'autres suivront.

Sixième erreur, une Commission européenne prête à signer n'importe quoi avec la Turquie pour lui accorder des visas contre l'accueil des réfugiés, au prix du mensonge : selon elle, seules 10 des 76 conditions sur les visas étaient remplies en mars 2016 ; sur 26 autres, la Turquie était estimée « en bonne voie » ; or elle en dénombre 67 deux mois plus tard alors que le régime s'est, à l'évidence, considérablement durci : c'est de l'enfumage, ni plus ni moins. C'est aussi un argument de poids donné aux eurosceptiques qui ne cessent de dire, hélas à raison en l'occurrence, que l'Europe est un processus opaque et non démocratique.

Septième erreur, la répétition de toutes ces erreurs avec la Turquie d'Erdogan alors que cette crise n'est qu'une répétition générale. Les migrations économiques, climatiques et politiques ne font que commencer. Après le Brexit, l'explosion de Schengen, la montée des populismes, quels dirigeants politiques auront le courage de relever ce défi majeur ? (« Très bien ! » et applaudissements à droite et au centre)

M. Didier Marie .  - Merci au président et au rapporteur pour les auditions et les travaux menés au sein de la mission d'information.

Alors que les flux migratoires atteignaient 10 000 arrivées par jour en décembre 2015, l'accord du 18 mars dernier a atteint son but : nous n'en sommes plus qu'à 100 arrivées par jour. Pour autant, cet accord est controversé parce qu'il semble céder à un chantage de la Turquie, après la répression qui a suivi le coup d'État manqué en Turquie le 15 juillet dernier. Et parce que les contreparties politiques ne sont pas en lien direct avec la question des réfugiés.

Cet accord est aussi insatisfaisant, parce que le dispositif de renvoi est inopérant, 633 migrants seulement ayant été renvoyés après le 20 mars, alors que 20 000 étaient en situation de l'être. J'ajoute que l'accueil des migrants en Grèce se dégrade : les hotspots sont déjà au double de leur capacité.

Il faut renforcer le soutien à la Grèce et les frontières demeurent poreuses. Grâce à cet accord, le traitement des migrants en Turquie s'est toutefois amélioré, au moyen de l'aide alimentaire notamment. Pour autant, ce pays ne leur accorde pas le droit d'asile et leur accès au marché du travail reste limité. Le statut des réfugiés syriens est insuffisamment protecteur, et seuls 1 614 des 72 000 prévus ont été accueillis en Europe.

Si la Turquie ne facilite pas la mise en oeuvre de l'accord, nous n'en devons pas moins accélérer le versement de l'aide financière. Notre dialogue avec la Turquie doit être franc et « donnant-donnant » : l'Europe doit veiller à la démocratie. La Turquie n'est pas prête à intégrer l'Europe si nous n'avançons pas, en particulier sur les chapitres 23 et 24 relatifs aux droits de l'homme et à la justice et à la sécurité.

Cet accord ne peut être un modèle, il a eu le mérite de mettre un terme aux naufrages tragiques en mer Égée, qui ont coûté la vie à plus de 800 personnes. L'UE doit accroître significativement son aide au Liban et à la Jordanie qui accueillent la part la plus importante de réfugiés rapportée à leur population. À moyen terme, cet accord ne peut se substituer à la construction d'une politique commune d'immigration et d'asile. On ne peut pas se contenter d'externaliser le traitement de l'asile. Oui, l'Europe doit se ressaisir pour demeurer fidèle à ses valeurs et ouverte sur le monde ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Jacques Legendre .  - L'Europe a déjà fait face à de grands mouvements de population, que l'on a trop vite oubliés, souvenez-vous de l'après-Seconde Guerre mondiale. Mais les outils que l'Europe avait conçus dans les années 1990 n'étaient pas faits pour la tempête. Certes, elle a réagi depuis un an mais la gestion chaotique de la crise migratoire risque de faire éclater la pierre angulaire qu'est l'espace Schengen. En conséquence, elle a délégué la gestion de la crise à une Turquie qui connaît un tournant autoritaire, en contrepartie d'une libéralisation des visas.

Les arrivées reprendront par la Méditerranée, en provenance d'Afrique en particulier, car ce continent passera de 750 millions d'habitants actuellement à 1,2 milliard en 2050 ; les mouvements migratoires sont donc inévitablement appelés à durer.

Ne faisons pas preuve, face à cette évolution d'ores et déjà prévisible, de la cécité qui nous a aveuglés dans la crise syrienne. Des garde-côtes européens ne suffiront pas à contenir ces flux. Tournons résolument notre regard, en particulier, vers l'Afrique, dont la démographie, je l'ai dit, est très dynamique. Une sécheresse dans le Sahel, la persistance d'une dictature brutale dans la Corne de l'Afrique se traduira immanquablement par l'arrivée sur nos côtes de gens qui rêvent d'Europe et n'ont plus rien à perdre chez eux.

La question migratoire est existentielle pour l'Europe, comme pour la France, il est plus que temps d'en prendre pleinement conscience ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; Mme Bariza Khiari applaudit aussi)

M. Bernard Fournier .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Cinq ans de guerre en Syrie, 300 000 morts et 5 millions de déplacés, sans parler de l'extension du territoire contrôlé par Daech, jusqu'à l'intervention de la coalition en janvier 2015, l'Irak et la Syrie en ruines, Alep rasée, le Liban et la Jordanie qui tiennent malgré tout avec beaucoup de courage et auxquels nous devons apporter tout notre soutien...

La crise au Levant déstabilise aussi nos pays. Le Brexit est un vote de peur, nous ne l'avons pas assez souligné. Que voulons-nous faire ? J'ai été abasourdi devant les hésitations du président Hollande à recevoir le président Poutine.

M. René-Paul Savary.  - Très bien !

M. Gérard Longuet.  - Ah ! Les états d'âme du président Hollande !...

M. Bernard Fournier.  - Notre désunion européenne et la position incohérente des États-Unis ont fait de ce pays un acteur incontournable de la crise. Comment mettre fin à cette guerre sans la Russie ? Est-elle notre ennemi ?

Or la chancelière Merkel négocie seule, l'accord conclu avec le président Erdogan en est la preuve. La France et l'Europe sont tout bonnement inaudibles.

Lors de déplacements en Jordanie et au Liban, avec l'association des chrétiens d'Orient, j'ai entendu chrétiens, catholiques et orthodoxes, tout comme les musulmans nous avertir que l'Europe se trompait, était aveugle : « il ne s'agit pas d'une guerre civile, c'est une guerre internationale ». Écoutons-les. Parfois, la realpolitik peut sauver des vies ! (« Très bien ! » et applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international .  - Merci d'avoir pris l'initiative de ce débat, que vous m'aviez annoncé lors de ma dernière venue devant votre commission, vous savez que je suis à l'entière disposition du Sénat.

L'Europe et le Levant, avec le trait d'union de la Méditerranée, ont un destin commun. C'est pourquoi la crise au Levant nous affecte tous. L'onde de choc de la crise en Syrie se propage chez ses pays voisins, la Jordanie, l'Irak, le Liban, la Turquie, mais aussi au coeur de l'Europe, nous posant, à nous Européens, deux défis majeurs, sécuritaire et migratoire. N'oublions pas pour autant la persistance du conflit israélo-palestinien, qui demeure crucial.

La crise au Levant est née de la réaction à l'aspiration des peuples à l'émancipation, qu'ont révélée les printemps arabes. Cette vague de rejet des régimes autoritaires est venue de l'intérieur, reflétant de profonds bouleversements politiques, économiques et sociologiques accentués par la mondialisation. La Syrie de Bachar el-Assad n'y a pas échappé. Le régime dominé par la minorité alaouite a lancé une répression sauvage contre sa population.

Avec l'appui des Russes et de l'Iran, le Gouvernement syrien a mis à feu et à sang son pays, quasiment détruit après cinq ans de guerre civile, ravivant les lignes de faille entre sunnites et chiites qui ne datent pas d'aujourd'hui.

La Syrie est devenue le réceptacle de toutes ces tensions. Les pays arabes, l'Iran, la Turquie, la Russie se sont progressivement impliqués dans ce conflit, qui a rebattu les cartes du pouvoir dans la région, notamment la dimension kurde. Daech menace ses voisins, l'Europe mais aussi la Libye et l'Afrique, avec Boko Haram. Al-Qaïda a également repris des couleurs, à l'image de sa branche syrienne, Jabhat al-Nosra, aujourd'hui Jabhat Fatah al-Cham. Nous appelons l'opposition modérée à se distinguer clairement de ce groupe dont nous condamnons les activités avec la plus grande fermeté.

Non, monsieur Gorce, les forces rebelles ne sont pas à 80 % des djihadistes. Sur les 10 000 combattants présents à Alep, nos services de renseignement estiment à 200 ou 300 le nombre de membres du Fatah al-Cham. (M. Gaëtan Gorce s'exclame) Nous pouvons recouper ces informations. Avec les Russes, nous estimons la part totale de djihadistes au maximum à10 % des combattants.

La guerre en Syrie est aussi une crise humanitaire sans précédent, avec plus de 5 millions de réfugiés, plus de 6 millions de déplacés à l'intérieur de la Syrie ; ce sont au total plus de 13 millions de personnes qui ont besoin d'une aide humanitaire. Un chiffre terrible ! Les migrants sont accueillis dans les pays voisins, fragilisés : au Liban bien sûr, où ils représentent près de 25 % de la population, mais aussi en Jordanie et en Turquie. En Europe également, car l'Europe a un devoir de solidarité. Dans une période de doutes et de difficultés économiques, cet afflux met à l'épreuve nos sociétés et nos systèmes politiques.

Face à cette crise multiforme, la France agit ; militairement d'abord, car Daech nous a déclaré la guerre. La France s'est engagée pleinement dans la coalition internationale. À la demande des autorités irakiennes, l'opération Chammal a été lancée le 3 septembre 2014 en Irak. Depuis lors, la France n'a cessé d'intensifier ses efforts et les a étendus, le 7 septembre 2015, à la lutte contre Daech en Syrie.

Le 22 juillet dernier, le président de la République a annoncé le renforcement de notre soutien en perspective de la bataille de Mossoul. Nos pilotes, nos instructeurs participent à la formation des forces de sécurité irakienne. Le groupement tactique d'artillerie soutient les forces irakiennes engagées dans la reprise de Mossoul, ainsi que les marins et pilotes des Rafale du groupe aéronaval autour du porte-avions Charles de Gaulle, déjà déployé en 2015 et à nouveau sur zone depuis le 29 septembre dernier.

La libération de Mossoul sera une étape importante mais nous devons préparer la paix. Nous nous y attèlerons dès la semaine prochaine en réunissant les parties à Paris, notamment mon homologue irakien, sous la présidence du président de la République. Ne répétons pas les erreurs commises en Irak : le futur Gouvernement syrien devra être inclusif.

La France lutte aussi contre le financement du terrorisme, dans notre pays mais aussi dans le monde. En témoigne la résolution 2199 du Conseil de sécurité des Nations unies. Nous avons pris toutes dispositions pour nous-mêmes et appelons nos partenaires à se mobiliser.

Tous ces efforts portent leurs fruits : Daech a perdu 55 % de son territoire en Irak et 25 % de son territoire en Syrie. Il faut continuer : Raqqa doit être reprise.

Pour autant, la solution est et ne peut être que politique. C'est en ce sens que la France ne cesse d'agir également par sa diplomatie, qui suit une ligne cohérente et constante, nullement inspirée par l'idéologie, mais par la conviction que seule une transition politique pourra assurer une paix durable. Or on ne négocie pas sous les bombes : les bombardements sur Alep doivent cesser.

La Russie était isolée dans son refus de notre projet de résolution, seul le Venezuela la suivait. Peut-on imaginer qu'une Syrie divisée offre une perspective de paix ? Non et j'aurais aimé vous entendre à la tribune refuser la reconquête d'une « Syrie utile ». On ne peut pas trouver une solution avec Bachar el-Assad qui fait fuir 65 % de sa population et massacre ses derniers opposants. À cet égard, les propos de certains candidats à la primaire de la droite me choquent.

La France agit, je l'ai dit, en toute indépendance et notre action implique que nous parlions à tout le monde. Nous parlons avec la Russie ! Nous n'avons jamais cessé de le faire. Mais nous voulons continuer à parler de la Syrie avec elle. Je me suis rendu à Moscou, j'ai rencontré mon homologue Sergueï Lavrov, nous nous rencontrerons à Berlin demain soir en format Normandie pour débattre de l'Ukraine. Cela n'empêche pas de dire ce qui doit l'être, en particulier sur l'entêtement à soutenir Bachar el-Assad envers et contre tout. (Protestations à droite)

Quant à la visite du président Poutine à Paris, nous voulions évoquer la crise syrienne, non participer à des mondanités, exposition de tableaux ou inauguration d'église. C'est le président Poutine qui a annulé cette visite. (On se récrie à droite)

La France agit aussi au Liban, victime des forces contraires qui déchirent le Proche-Orient. Par ses contacts avec toutes les parties, la France est prête à faciliter l'élection d'un nouveau président, dont dépend l'indispensable déblocage de l'impasse institutionnelle actuelle.

La France apporte son appui aux pays voisins de la Syrie. Elle participe pleinement à l'effort collectif de l'Union européenne qui s'est engagée le 4 février dernier à débloquer trois milliards d'euros supplémentaires. La France lutte dans l'urgence mais aussi pour des solutions durables : déploiement de garde-côtes et de garde-frontières ou encore modification du code Schengen pour un contrôle d'identité systématique aux frontières extérieures, afin de protéger tous les Européens.

L'Europe agit en responsabilité et de manière solidaire et la France n'est pas effacée. C'est elle, avec l'Allemagne, qui a proposé nombre de ces mesures.

Il nous faut donc dialoguer, sans relâche, avec la Turquie, qui est acteur de la crise en Syrie où elle se défend, elle-aussi, contre le terrorisme. C'est dans cet esprit de partenariat que je me rends à Ankara, la semaine prochaine. Membre du Conseil de l'Europe, elle doit respecter ses valeurs. La perspective de la libéralisation des visas n'adviendra que lorsque les 72 critères seront remplis. Quant aux négociations sur l'adhésion à l'Union européenne, elles sont conduites sans préjuger du résultat.

Je ne veux pas conclure ce débat sans évoquer le conflit israélo-palestinien. Certains estiment que les bouleversements en Syrie ont rebattu les cartes et les priorités. Ce n'est pas la position de la France.

Si nous ne faisons rien, il sera bientôt trop tard. Penser que le Levant pourra retrouver la paix sans un règlement de ce conflit est une illusion.

Beaucoup se sont résignés. Ce n'est pas le cas de la France. En rassemblant une trentaine de délégations, à Paris, le 3 juin dernier, nous avons permis que s'exprime la volonté de la communauté internationale de s'engager à nouveau en faveur de la solution des deux États. (Mme Bariza Khiari applaudit) Nous avons insufflé une nouvelle dynamique : des groupes de travail se mettent en place.

Au Levant, la France agit avec trois principes : lucidité, approche collective et détermination pour aboutir à une paix durable reposant sur la préservation de l'unité des États et la perspective de la création d'un État palestinien.

L'enjeu est essentiel : assurer la paix et la prospérité de cette région, plus que jamais cruciale pour notre propre équilibre et notre propre sécurité. La diplomatie française est mobilisée à cette fin. Je compte sur vous pour nous aider à y parvenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; MM. Robert del Picchia et Jean-Jacques Lasserre applaudissent aussi)

La séance est suspendue à 16 h 30.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 16 h 45.

Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement. La séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat.

Conformément à la préoccupation constante du Bureau, des Questeurs et de moi-même à l'égard des personnes ayant une moindre acuité auditive, Public Sénat assurera désormais, à compter d'aujourd'hui, le sous-titrage des questions d'actualité au Gouvernement lors des séances du mardi et du jeudi. (Applaudissements sur tous les bancs)

Au nom du Bureau du Sénat, j'appelle une nouvelle fois chacun d'entre vous à observer au cours de nos échanges l'une des valeurs essentielles du Sénat : le respect.

Aides européennes agricoles

M. Jean-Jacques Lasserre .  - Monsieur le ministre de l'agriculture, vous avez présenté, le 22 septembre dernier, un projet de nouvelle carte des zones défavorisées simples (ZDS). L'Europe a, en effet, imposé de nouvelles règles. L'unité de base communale inquiète les maires et les agriculteurs. Si les communes n'appartiennent plus aux ZDS, les agriculteurs qui y travaillent perdront leurs aides. 10 400 communes et plus de 30 % de la surface agricole utile nationale, 42 % des bénéficiaires de l'indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN) sont concernés par la révision de cette carte.

Après trois ans de crise, les agriculteurs ont besoin d'être soutenus ; 121 communes des Pyrénées-Atlantiques seraient rayées de la carte, 4 millions d'euros d'ICHN, 1 000 exploitations concernées. Vous comprendrez nos inquiétudes...

Votre carte a été établie sur le fondement de huit caractères biophysiques ; il faut travailler sur d'autres critères : la polyculture-élevage, les taux de chargement ou encore la présence de zones inondables. Allez-vous proposer une nouvelle carte ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe du RDSE)

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement .  - Vous posez une question et vous apportez la réponse... La modification des ZDS a été décidée par l'Union européenne en 2003, l'application en revient à ce gouvernement. Les critères des ZDS, qui datent de 1970, ont été modifiés après un vote unanime du Parlement européen. L'application sera effective en 2018.

Aucune zone de montagne et haute montagne n'est concernée par la révision, même si 5 % du territoire a été écarté. Je ne vais pas rayer des communes de la carte mais appliquer les règles avec une marge de 10 % pour rajouter de nouvelles communes ; nous y travaillerons ensemble. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe du RDSE)

Avenir de la langue française

M. Jacques Legendre .  - Monsieur le Premier ministre, en France, la politique de la langue est une politique d'État. Vous avez souhaité confier un rapport sur la lutte contre l'illettrisme à M. Thierry Lepaon, ancien secrétaire général de la CGT, qui pourrait être placé à la tête d'une agence de la langue française.

Mais la politique de la langue ne saurait se réduire à la lutte contre l'illettrisme. Il faut voir le problème dans sa globalité. Monsieur le Premier ministre, quelles sont vos intentions ? Il est indispensable que pareille réforme de structure soit précédée d'un débat au Parlement plutôt que le résultat d'une simple décision administrative... (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Oui, la politique de la langue est une politique d'État. Nous partageons votre préoccupation. 18 % des jeunes Français n'ont pas une bonne maîtrise de la lecture, 8 % sont des lecteurs médiocres, et 10 % sont proches de l'illettrisme.

La loi pour la refondation de l'école a mis l'accent sur la maîtrise des fondamentaux ; de même que la réforme des rythmes scolaires en libérant du temps... Le retour de la dictée quotidienne, la préscolarisation des enfants de moins de 3 ans vont dans le même sens, et les progrès sont réels.

Mais vous avez raison, la lutte contre l'illettrisme ne se mène pas qu'à l'école. D'où la mission confiée à M. Lepaon (mouvements divers à droite) ; la nouvelle agence veillera aussi plus largement à la promotion de la langue française. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Jacques Legendre.  - Vous n'avez pas répondu à ma question. On parle de rattacher diverses structures à la nouvelle agence... Vous ne pouvez pas engager de telles réformes, ni prétendre mener une politique de la langue, sans que la représentation nationale ait eu à en connaître ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe LeRépublicains)

Avenir de la ligne ferroviaire du Cévenol

M. Alain Bertrand .  - Les trains d'équilibre du territoire (TET) sont financés par l'État et assurent la desserte des territoires ruraux. . En juillet, M. Vidalies a annoncé le désengagement de l'État des deux lignes ferroviaires qui desservent le Massif central, le Cévenol et l'Aubrac. Sauf intervention des régions, qui n'ont guère de moyens, ces lignes sont condamnées à disparaître. Or dans la ruralité et l'hyper-ruralité, même en partenariat avec les régions, l'État doit rester chef de file en matière de transport.

Je vous propose une ligne trans-Massif central Paris-Clermont - sur laquelle le renouvellement du matériel roulant est engagé - avec deux branches, l'une vers Nîmes et l'autre vers Béziers. Ce serait un atout pour nos territoires et rentabiliserait les investissements déjà engagés. Qu'en pensez-vous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du RDSE)

Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargée de la biodiversité .  - Les TET sont essentiels pour la desserte de nombreux territoires, vous avez raison ; mais ils ont perdu 20 % de voyageurs et leur situation financière est de moins en moins soutenable. À la suite du rapport Duron, le Gouvernement a pris des décisions fortes, en particulier un investissement de 2,5 milliards d'euros pour le renouvellement du matériel roulant.

La concertation se poursuit sur la gouvernance de certaines lignes. Nous avons déjà abouti à un accord avec la Normandie. L'articulation avec les autres transports doit être recherchée grâce à la mobilisation conjointe de l'État et des régions.

La ligne dite du Cévenol est maintenue, comme en témoignent les travaux réalisés sur la section nord. Le CPER 2015-2020 a prévu les crédits d'entretien nécessaires. L'État a en outre investi 10 milliards pour l'infrastructure de la ligne de l'Aubrac. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe du RDSE)

M. Alain Bertrand.  - Merci pour votre réponse. La ruralité et l'hyper-ruralité paient autant d'impôt que les autres. Elles ont droit au train. Le Gouvernement fait beaucoup pour la ruralité (On se récrie à droite ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain) mais il n'y a pas de République juste sans aménagement du territoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe du RDSE)

Démantèlement de la « jungle » de Calais

Mme Esther Benbassa .  - Fin septembre, le président de la République déclarait : « nous devons démanteler totalement et définitivement la jungle de Calais ». Vous-même, monsieur le ministre de l'intérieur, parlez d'une opération humanitaire. Cependant, la date du 24 octobre choisie pour le démantèlement suscite des inquiétudes. Y a-t-il suffisamment de places en centres d'accueil et d'orientation (CAO) ? La réussite de l'opération dépendra de la qualité de sa préparation avec les acteurs locaux, en lien avec la population.

De nombreuses associations et le Défenseur des droits s'interrogent sur la manière dont sera assurée la protection des centaines de mineurs qui ne seront pas admis en Angleterre ; qu'adviendra-t-il des migrants qui ne souhaitent pas demander l'asile en France et chercheront toujours à traverser la Manche au péril de leur vie ? Évitons un nouveau Sangatte. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste)

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur .  - À question précise, réponses précises.

Nous avons ouvert 164 CAO qui ont accueilli 5 600 personnes dont 80 % ont demandé l'asile. Nous avons 1 000 places de plus aujourd'hui dans les CAO qu'il y a de personnes dans la « jungle » de Calais. L'opération de démantèlement n'est pas improvisée.

Les mineurs isolés - question essentielle - ne doivent pas être laissés dans le froid et la boue, sans protection. Les négociations sont engagées avec les Britanniques, elles ne sont pas faciles mais ont évolué positivement ces dernières heures. Les mineurs isolés sont pris en charge intégralement par l'État.

Toutes les conditions humanitaires sont réunies pour réussir cette opération, qui n'est pas une première. Maintenir dans un camp des personnes qui ont déjà beaucoup souffert n'est pas un idéal humanitaire pour ceux qui sont attachés au droit d'asile. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Esther Benbassa.  - Seulement 16 mineurs ont été acceptés par la Grande-Bretagne, il en reste 1 200... Nous espérons que le mot humanitaire recouvrera son vrai sens, loin de tout affichage.

Accord commercial entre le Canada et l'Union européenne

M. Michel Billout .  - Le Conseil des ministres du commerce extérieur de l'Union européenne se tient aujourd'hui au Luxembourg, alors que le parlement wallon a signifié son refus du traité global de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne - le CETA. La procédure de ratification prévue le 27 octobre est bloquée. Des négociations sont en cours avec la commission pour rallier coûte que coûte la signature de la Belgique avant cette date.

D'autres dénonciations de l'accord se sont pourtant multipliées, tant cet accord menace les standards européens et notre système de règlement des différends. Onze universitaires canadiens, membres de l'ICS, en ont pointé les dangers, prenant appui sur le précédent de l'Alena.

Les négociations avec le Canada se sont déroulées dans la plus parfaite opacité. La consultation des parlements nationaux avant toute application anticipée du CETA a été refusée. Nous confirmez-vous que la signature définitive aura lieu le 27 octobre, contre l'avis du parlement wallon, ou la sagesse l'emportera-t-elle enfin en permettant l'expression démocratiques des parlements nationaux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du développement et de la francophonie .  - La situation ne change rien à la position de la France : l'entrée en vigueur ne peut être reportée sans porter un coup à la crédibilité de notre signature et pénaliser nos exportateurs. Les dispositions relevant du périmètre communautaire rentreront donc en vigueur ; celles relevant du périmètre national ne s'appliqueront qu'après ratification par les parlements nationaux.

Le CETA supprime la quasi-totalité des droits de douane et ouvre les marchés publics canadiens aux entreprises européennes. Il reconnaît 42 de nos indications géographiques, ne remet pas en cause le principe de précaution. Pour vendre en Europe, les entreprises canadiennes devront respecter les normes sanitaires européennes. L'accord rompt enfin avec les mécanismes d'arbitrage privé.

L'opposition au CETA, comme aux autres accords commerciaux, ne doit pas être de pur principe... Ces accords sont un moyen d'imposer nos intérêts économiques et nos valeurs dans la mondialisation.

Garde nationale

Mme Gisèle Jourda .  - Mercredi dernier, a été annoncée en Conseil des ministres la création d'une garde nationale.

Le 28 juillet dernier, je présentais avec Jean-Marie Bockel un rapport proposant une telle mesure et suggérant d'en développer l'attractivité, d'en diversifier le recrutement et d'améliorer la condition sociale et financière des réservistes. L'objectif du président de la République est d'une garde nationale de 85 000 hommes et femmes à l'horizon 2018, soit une hausse de plus d'un tiers des personnels mobilisés au sein des armées et des forces de sécurité. Soulager celles-ci, renforcer notre résilience nationale face au terrorisme est plus que jamais urgent.

Comment attirerez-vous les Français, notamment les jeunes, vers la garde nationale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur .  - Merci pour les travaux que vous avez menés avec M. Bockel. Pourquoi cette garde nationale ? Pour lutter contre une menace terroriste extrêmement élevée. Depuis le début de l'année, et encore ce matin, les forces de sécurité ont appréhendé plus de 365 individus dans le cadre de la lutte antiterroriste. En sus des 9 000 emplois supplémentaires que nous avons créés dans la police et la gendarmerie, il faut des forces pour assurer la sécurité de certains événements en province.

Les mesures d'attractivité ? Le financement du permis de conduire, 100 euros d'aide par mois, une prime de fidélisation de 250 euros et un dispositif de mécénat pour les entreprises. Voici comment nous atteindrons l'objectif fixé par le président de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Violences à l'encontre des forces de l'ordre

M. Jackie Pierre .  - Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur. La manifestation des policiers, cette nuit, sur les Champs-Élysées est une première, signe de l'exaspération des forces de police ; plus de 400 policiers d'entre eux se sont rassemblés devant l'hôpital où l'un de leurs collègues, gravement agressé à Viry-Châtillon, est toujours entre la vie et la mort. Il y a urgence à répondre à leur malaise, auquel la réponse quantitative devient dérisoire. (Mouvements divers sur les bancs du groupe socialiste et républicain). Devant la multiplication des violences, le Gouvernement persiste dans les erreurs d'appréciation. Cette politique absurde de l'impunité, par laquelle les délinquants sont trop souvent considérés comme des victimes (Exclamations sur les mêmes bancs), la désagrégation de l'autorité de l'État qui ne sait plus, à Notre-Dame-des-Landes comme place de la République, faire respecter l'ordre républicain pas plus que la validité de la décision démocratique. Et le Gouvernement tient les policiers pour suspects : dans le projet de loi Égalité et citoyenneté, il veut obliger les policiers à fournir des vidéos pour attester de leur bonne foi lors des contrôles d'identité... La réalité est un démenti à votre politique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur .  - Merci de votre question mais quelle est-elle ? Nous sommes dans un exercice politique qui est la primaire - qui ne porte pas si mal son nom... (Rires sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; exclamations à droite)

Je veux bien que le quantitatif ne serve à rien mais je vous invite à venir dans les commissariats et les gendarmeries entendre ce qu'on pense de la suppression de 13 000 emplois lors du quinquennat précédent ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen et du groupe socialiste et républicain ; exclamations à droite) Venez devant les CRS expliquer la disparition de 15 unités de force mobile. (Mêmes mouvements) Venez justifier devant les policiers la baisse de 15 % des crédits d'investissement, laissant policiers et gendarmes sans armes et sans équipement de protection. Allez donc expliquer dans les commissariats et les casernes que cette politique était excellente !

Depuis cinq ans, nous avons créé 9 000 emplois, augmenté les crédits d'investissement de 15 %, acquis les 6 000 véhicules que le Gouvernement précédent a été incapable de remplacer ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; protestations sur les bancs du groupe Les Républicains) Voilà ce que nous avons fait, voilà, la différence entre votre politique et la nôtre !

Mais les policiers ne peuvent défiler avec véhicules de service et gyrophares, ce n'est pas conforme à la déontologie de la police nationale. (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; huées sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Jackie Pierre.  - Ce n'est pas la manifestation qui est inacceptable, c'est la situation dans laquelle se trouve la police nationale. (Les huées sur les bancs du groupe socialiste couvrent la voix de l'orateur ; vifs applaudissements à droite)

Aide humanitaire pour Haïti

M. Maurice Antiste .  - Le 4 octobre 2016, le cyclone Matthew détruisait le sud d'Haïti, faisait mille morts, des dégâts considérables et faisait planer le risque d'une épidémie de choléra. Que prévoit l'État pour venir en aide au million d'Haïtiens sinistrés ? De leur côté, la Martinique et la Guadeloupe voisines se sont mobilisées pour récolter des biens de première nécessité, mais leur acheminement pose problème. Comment l'État peut-il nous y aider ?

Mme Ericka Bareigts, ministre des outre-mer .  - Le cyclone Matthew a fait en effet de nombreuses victimes et d'importants dégâts. Sous l'égide du ministère des affaires étrangères, par le biais de son centre de crise, le Gouvernement s'est immédiatement mobilisé : trente membres de la sécurité civile ont été déployés sur le terrain, des reconnaissances aériennes effectuées, 70 tonnes d'équipement d'urgence acheminées par deux vols spéciaux, 150 000 euros débloqués d'urgence - portant à 964 000 euros notre enveloppe de soutien au programme d'aide humanitaire.

Les outre-mer, dont la Martinique, ont fait preuve d'une grande solidarité. La question se pose de l'acheminement des dons après vérification par le Gouvernement haïtien qu'ils correspondent aux besoins de la population. Mon ministère a renforcé son aide pour l'acheminement de l'aide depuis la Martinique, par recours à un prestataire privé ; une aide financière a été accordée à l'ONG Urgence Caraïbes pour l'envoi de cinq conteneurs. L'aide parviendra ainsi à bon port. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Maurice Antiste.  - Une conférence caribéenne ad hoc pourrait définir un plan de secours pour les urgences de cette nature - qui se répètent malheureusement. « Il vaut mieux apprendre à pêcher que de donner du poisson en aumône », dit un proverbe célèbre...

Bataille de Mossoul

Mme Colette Mélot .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) La coalition internationale entre dans une phase décisive de la lutte contre Daech en lançant la bataille pour la reprise de Mossoul.

Cette bataille, si elle est indispensable, ne sera pas sans conséquence. Sur les 3 000 à 4 500 combattants djihadistes à Mossoul, nombre d'entre eux chercheront à se replier en Europe pour y commettre des attentats. Le commissaire européen à la sécurité lui-même s'en est inquiété.

Qu'avez-vous prévu pour protéger nos compatriotes ? Quelles actions concertées avec nos partenaires prendrez-vous pour faire face à cette nouvelle vague de menaces contre nos démocraties ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du développement et de la francophonie .  - L'offensive sur Mossoul, deuxième ville d'Irak, vient de commencer. La ville est tenue par Daech depuis deux ans. La France participe à l'opération avec le déploiement d'un groupement tactique d'artillerie des forces spéciales. Le président Poutine appelle à limiter les pertes civiles... Nous aimerions qu'il en soit de même à Alep... À Mossoul, un couloir d'évacuation sera ménagé pour permettre aux civils de quitter la ville - ce que le président Poutine refuse aux habitants d'Alep... La France a pris l'initiative d'une réunion à Paris, demain, pour évoquer la gouvernance de Mossoul une fois Daech vaincu.

Il faudra en effet prendre garde à la fuite de terroristes vers la Syrie. Le prochain objectif de la coalition est Raqqa d'où ont été planifiés les attentats contre la France.

Mme Colette Mélot.  - Merci pour ces précisions mais ma question concernait le risque terroriste pesant sur les Français. Nos concitoyens ne pardonneraient pas une nouvelle erreur d'appréciation... (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Parcours professionnels et carrières des fonctionnaires

Mme Éliane Giraud .  - Nous aimons tous l'infirmière qui apporte des soins à nos malades, les professeurs, les policiers, la personne dévouée qui accompagne les créateurs d'entreprise. Tous sont des fonctionnaires, nationaux, territoriaux, hospitaliers ! Des fonctionnaires ! Tous les candidats à la primaire de la droite proposent, qui 300 000, qui 500 000, qui un million de suppressions de postes. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain) On a le sentiment qu'ils jouent à qui perd gagne... Il ne faut pas avoir la mémoire courte. La casse des fonctionnaires sous Nicolas Sarkozy et François Fillon n'a pas réduit le déficit public mais celui de la sécurité sociale a augmenté et la dette publique aussi... Les emplois de policiers supprimés alors seraient bien utiles aujourd'hui... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; mouvements divers sur les bancs du groupe Les Républicains)

Les fonctionnaires sont les garants d'un service public de qualité, lui-même instrument de lutte contre les inégalités sociales. Leur engagement est précieux. Devant les propositions de la droite, pouvez-vous, monsieur le ministre, nous donner la vision du Gouvernement ? (Huées sur les bancs du groupe Les Républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement .  - Beaucoup de nos compatriotes pensent comme vous, ils savent qu'ils peuvent se tourner vers les fonctionnaires lorsqu'ils sont dans la difficulté. Chaque agent est indispensable, leur statut est une protection, garante de l'intérêt général. Dans un contexte budgétaire contraint, nous avons dégelé le point d'indice, adopté la loi sur la déontologie, relancé le dialogue social ; ce sont des avancées réelles.

Oui, j'ai entendu la proposition de réduire de 300 000 le nombre de fonctionnaires, dont 150 000 fonctionnaires d'État, sans toucher à la sécurité, ni à la justice, ni à la défense... En supprimer 50 000 serait possible sans remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite dans l'éducation nationale. Madame la ministre, vous imaginez, un enseignant sur deux ! Mais où sont les 100 000 autres ? (Huées sur les bancs du groupe Les Républicains) Quelle crédibilité avez-vous ? À moins que vous ne soyez en train de préparer des plans de licenciement dans les collectivités territoriales... (Huées sur les bancs du groupe Les Républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

La séance est suspendue à 17 h 35.

présidence de M. Jean-Claude Gaudin

Secrétaires : Mme Frédérique Espagnac, MM. Bruno Gilles, Claude Haut.

La séance est reprise à 17 h 50.

Égalité et citoyenneté (Procédure accélérée - Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l'égalité et à la citoyenneté.

Explications de vote

Mme Aline Archimbaud .  - Le projet de loi Égalité et citoyenneté avait l'ambition d'encourager l'engagement républicain, de mieux répartir le logement social et de promouvoir l'égalité. Après une série d'attentats terroristes, alors que nos concitoyens sont tentés par le repli et que les extrêmes soufflent sur les braises, il avait suscité beaucoup d'espoir.

Las, la majorité sénatoriale l'a dénaturé. Au titre premier, elle a supprimé la possibilité pour les mineurs de diriger une association ou d'être responsables d'une publication, pour les plus de 15 ans de devenir directeurs de publication, supprimé la répartition des sièges entre personnes de toutes les classes d'âge dans les CESE régionaux ou les conseils de développement, introduit un sous-contrat de quinze heures maximum payé au Smic horaire.

Or la précarité augmente chez les jeunes ; les trois quarts des nouveaux pauvres ont moins de 25 ans.

La lutte contre les sites internet qui, avançant masqués, militent contre l'avortement a été entravée, c'est un immense recul. Pourquoi empêcher le débat ? Cet amendement du Gouvernement n'était nullement dénué de lien avec le texte, puisque ce sont les plus isolés, les plus modestes qui, ne sachant vers qui se tournent, cherchent à s'informer sur internet : il était donc question d'égalité.

Autres régressions : sur les cantines scolaires, avec le retrait de l'interdiction de discrimination sur la base de la situation professionnelle des parents, ou sur les gens du voyage, qui se voient imposer un quota de 3 % au maximum sur les listes électorales, mesure discriminatoire et inacceptable.

Au titre II, les objectifs chiffrés de logements sociaux ont été remplacés par une contractualisation avec les villes : on touche là au coeur de la loi SRU, alors que deux millions de personnes attendent un logement et que le délai moyen d'obtention approche les six ans ! Sans base légale chiffrée, les discussions ne peuvent être construites que sur du sable.

La citoyenneté implique certes des devoirs, mais d'abord des droits. Or 35 % des personnes éligibles au RSA-socle, et 20 % des éligibles à la CMU-C - soit un million de personnes - ne réclament pas ces prestations auxquelles elles ont droit ! Nos amendements ont malheureusement été rejetés sur ce point.

Bref, cette version du texte n'est pas bonne. Elle préfigure certains programmes de la droite. Nous voterons contre, avec tristesse et inquiétude, tout en souhaitant que les députés lui rendent son esprit d'origine. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur de nombreux bancs des groupes socialiste et républicain et communiste républicain et citoyen ; Mme Hermeline Malherbe applaudit aussi)

M. Jacques-Bernard Magner .  - Après les attentats de 2015, le Gouvernement a souhaité réaffirmer les valeurs de la République, jusque dans le quotidien de nos concitoyens. Les soixante mesures annoncées alors trouvaient leur prolongement dans le projet de loi qui nous est soumis. Malheureusement, le texte a été dénaturé par la majorité sénatoriale.

En commission spéciale, des artifices de procédure, telles les irrecevabilités des articles 40 et 41 de la Constitution, ont été utilisés contre nos amendements, pénalisant ainsi pour des raisons politiciennes les Français les plus modestes ! La facilitation de l'accès aux prestations sociales, première étape de la réforme des minima sociaux, a ainsi été supprimée.

La répression du délit d'entrave à l'IVG sur internet a été retoquée, ce qui montre combien le droit à l'avortement demeure fragile en France.

Certes, les dispositions relatives à la réserve citoyenne et au service civique ont été adoptées. Mais le projet d'engagement, très attendu par les associations et les 16 millions de bénévoles qui s'y investissent, a été supprimé au profit d'une forme de sous-contrat précaire, analogue au défunt CPE. Toutes les mesures qui visaient à favoriser l'engagement des jeunes, leur participation à la vie sociale ont été systématiquement balayées. La droite n'a pas confiance dans la jeunesse de notre pays. (On se récrie à droite)

M. David Assouline.  - C'est clair !

M. Jacques-Bernard Magner.  - Sur l'enseignement privé, alors que chacun perçoit la nécessité de combattre les dérives sectaires, la majorité a agité le chiffon rouge d'une remise en cause de la liberté d'enseignement.

Sur le logement social aussi, la droite sénatoriale a fait preuve de la plus grande frilosité, vidant les lois Alur et SRU de leur contenu, refusant qu'un quart des logements sociaux soient réservés aux plus modestes hors des quartiers prioritaires. Exit aussi, la création de la société foncière solidaire.

M. Hubert Falco.  - Que n'a-t-elle pas fait, cette droite sénatoriale !

M. Jacques-Bernard Magner.  - Au titre III, la majorité a même porté atteinte aux équilibres de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, ouvrant grand la porte à des demandes de réparation civile. Elle a refusé le principe de non-discrimination des enfants dans l'accès aux cantines scolaires, qui n'obligeait nullement les maires à ouvrir de nouvelles cantines. Seul motif de satisfaction : l'extension de la répression de la négation et de la banalisation à tous les crimes contre l'humanité.

Bref, la majorité sénatoriale n'a pas seulement réécrit ou modifié le texte, elle l'a dénaturé, refusant de renforcer l'égalité dans notre pays. (Exclamations ironiques à droite) Le groupe socialiste et républicain ne pourra en conséquence le voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; M. Alain Bertrand et Mme Christine Prunaud applaudissent aussi)

M. Alain Néri.  - Bravo !

M. Jean-Claude Lenoir .  - Restaurer les valeurs de la République, rassembler autour d'elles la communauté nationale, telle était l'ambition affichée de ce projet de loi. En réalité, le Gouvernement s'est contenté de déclarations de principe tout en cherchant à encadrer toujours davantage la société.

C'est ainsi que le texte issu du Conseil des ministres entendait imposer autoritairement la mixité sociale, feignant d'ignorer que toutes les communes ne se ressemblent pas. Jamais on n'avait vu telle ardeur centralisatrice de la part de ceux qui proclament leur attachement aux grandes lois de décentralisation !

Quant à l'égalité réelle, expression bien vague qui a pris pendant quelques mois le visage d'une jeune secrétaire d'État, bientôt appelée à d'autres fonctions, elle a conduit à défier le bon sens en construisant une sorte de démocratie rêvée des anges : celle dans laquelle l'État pourrait faire disparaître d'un coup les discriminations par la grâce de lois vertueuses.

Le texte du Gouvernement avait au moins une cohérence idéologique ; il a été transformé par l'Assemblée nationale, prise de logorrhée déclarative, en véritable bric-à-brac. Faute de pouvoir changer le cours des choses, la gauche se réfugie dans une forme de redressement moral, et multiplie les incantations comme les textes visant à régenter la vie sociale. D'où ces longs paragraphes, ces longues phrases écrites par ceux qui n'ont plus rien à dire, plus rien à répondre, ou qui lisent sidérés ce que le chef de l'État n'aurait jamais dû dire...

La majorité sénatoriale s'est efforcée de revenir à l'essentiel. S'agissant de la citoyenneté, elle a rappelé son attachement à des droits votés sous une majorité précédente, que l'on voudrait faire croire nouveaux. Sur le logement social, la contractualisation nous a paru le meilleur moyen d'atteindre les objectifs fixés ; nous avons également étendu la liste des logements pris en compte dans le décompte des logements sociaux, afin d'encourager l'accession sociale à la propriété. En matière d'égalité, nous avons écarté de nombreuses dispositions inutiles. Le groupe Les Républicains pourra voter le texte ainsi amendé.

Nos débats sur l'égalité réelle me font penser à ces vers de Victor Hugo, dans La Légende des siècles, imaginant les peuples enfin réconciliés et rassemblés dans une nef volant en plein ciel :

Elle a cette divine et chaste fonction

De composer là-haut l'unique nation,

À la fois dernière et première,

De promener l'essor dans le rayonnement,

Et de faire planer, ivre de firmament,

La liberté dans la lumière.

(Applaudissements nourris et admiratifs sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Jean Louis Masson .  - Ce projet de loi se veut une réponse aux récents actes de terrorisme, mais son efficacité est pour le moins douteuse. La réserve citoyenne est une bonne idée, mais elle ne dissuadera pas les extrémistes musulmans : ils ne s'y enrôleront pas, sauf à y jouer le rôle d'une cinquième colonne. Le vrai problème, c'est le communautarisme musulman. La preuve ? Les milliers de jeunes des quartiers qui ont refusé de respecter la minute de silence après les attentats de janvier 2015.

Lorsque j'ai dénoncé l'immigration après les attentats, les belles âmes m'ont vilipendé. C'était quinze jours avant le Bataclan...

Nous avons besoin d'une politique d'assimilation et je pèse mes mots, quoi qu'en pensent les tenants du multiculturalisme ou d'une identité heureuse. Pour conforter l'unité de la nation et couper les extrémistes de leur vivier de recrutement, il faut lutter vigoureusement contre le communautarisme musulman qui se manifeste dans le voile, les horaires de piscine différenciés, etc.

Cette loi élude le vrai problème : je ne la voterai donc pas. (M. Stéphane Ravier applaudit)

M. Christian Favier .  - Cette loi aborde tant de sujets que nous avons parfois perdu le fil. Il était néanmoins légitime de rappeler que la citoyenneté est le fondement de la République. La notion de citoyenneté n'est pas figée : elle définit ce qui nous est commun et nous rassemble, et évolue au gré des aspirations et des rapports de force. C'est pourquoi nous avons contribué aux débats en soumettant de nombreux amendements.

Nos échanges ont été vifs : des visions divergentes de la société se sont exprimées. Le texte de l'Assemblée nationale manquait de souffle, celui du Sénat a fait disparaître, ou peu s'en faut, les notions mêmes d'égalité et de citoyenneté.

Malgré les engagements du président de la République, aucun droit nouveau n'est donné aux personnes d'origine étrangère. Les quelques mesures prévues initialement, sur la fonction publique et la SNCF, ont disparu. Le droit de vote des étrangers fait l'objet d'un silence assourdissant. Quant aux gens du voyage, on n'a rien trouvé de mieux que de limiter à 3 % leur présence sur les listes électorales des communes.

M. Jean Desessard.  - Lamentable.

M. Christian Favier.  - S'agissant de la jeunesse, rien n'est fait pour valoriser son engagement ou remettre en marche l'ascenseur social : au congé associatif, la droite a préféré un nouveau contrat précaire pour les jeunes...

La liberté de la presse a aussi été malmenée.

Pis encore, la majorité sénatoriale a enterré la loi SRU, qui consacrait le droit au logement constitutionnellement garanti. Contrairement à ce que l'on prétend souvent, la loi n'encourageait pas une urbanisation débridée : elle n'imposait aucune obligation de construction mais une obligation d'équilibre entre parc privé et public. Le secteur est ainsi livré aux promoteurs, alors que 65 % de la population est éligible au logement social et que de nombreux Français sont dans une situation très précaire : 3,8 millions d'entre eux sont mal logés ; il manque 2 millions de logements.

Sur le logement intermédiaire, nous nous félicitons de la suppression des nouvelles niches créées en commission. Pour nous, le logement intermédiaire, c'est le PLS, et nous sommes farouchement hostiles au surloyer. Malheureusement, la majorité sénatoriale défend la conception résiduelle du logement social issue de la loi Boutin...

Pour construire des logements sociaux, il faudrait d'abord desserrer l'état financier où se trouvent prises les collectivités. Il est inadmissible de voir les aides à la pierre diminuer une nouvelle fois en 2017, alors que le coût du Pinel continue de progresser.

Ce projet de loi, chamboulé par le Sénat, crée des droits à géométrie variable, défend une vision étriquée de la citoyenneté et une idée régressive de la solidarité : le groupe CRC ne pourra le voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen ; Mme Evelyne Yonnet applaudit aussi)

Mme Françoise Laborde .  - Qui dit inflation dit dévalorisation. « Quand la loi devient bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu'une oreille distraite », disait le Conseil d'État dans son rapport public de 1991 sur la sécurité juridique. Ce texte en est une nouvelle illustration, incapable de trouver une cohérence, malgré les efforts des deux rapporteurs spéciaux.

Notre débat a été entravé par une application inéquitable des articles 40, 41 et 45 de la Constitution, qui porte atteinte à notre droit d'amendement alors que les députés ont pu multiplier à loisir les cavaliers... Une interprétation plus unifiée est indispensable : l'examen au Sénat n'a pas vocation à servir de contrôle de constitutionnalité a priori des textes de l'Assemblée nationale...

Venons-en au fond. La création de la réserve citoyenne, comme tout ce qui contribue au renforcement du service civique - né à l'initiative du groupe RDSE  - recueille notre aval. En revanche, le texte ne va pas assez loin en matière d'éducation. Comme Victor Hugo, notre groupe voit dans l'instruction gratuite et obligatoire « l'organe de l'égalité » et une fonction régalienne de l'État. Nous regrettons que nos propositions tendant à assurer un contrôle effectif sur l'éducation à domicile et les établissements privés hors contrat n'aient pas été retenues. Il semblerait néanmoins que les contrôles ex post soient renforcés : nous resterons vigilants, comme sur le régime d'autorisation d'ouverture que proposera le Gouvernement.

Sur le logement social, nous proposions une voie intermédiaire, avec un minimum de 15 % de logements sociaux réservés aux plus démunis hors des quartiers de la politique de la ville ; la majorité sénatoriale lui a préféré une position plus extrême, donc moins sage. Quant à la loi SRU, même s'il faut évidemment adapter les règles aux réalités locales, on peut craindre que la rédaction du Sénat revienne à exonérer purement et simplement les communes de leurs obligations...

Nous nous réjouissons en revanche de la sécurisation de la minorité en cas de transfert du PLU à l'intercommunalité. Ce choix est plus respectueux de la volonté exprimée par le législateur lors de la loi Alur.

Au titre III, la liberté de la presse a fait l'objet d'âpres débats. Que des demandes en réparation puissent désormais être présentées, en cas d'abus de la liberté d'expression, devant les juridictions civiles mettra fin au sentiment d'impunité de certains auteurs anonymes. L'allongement à un an du délai de prescription vaut mieux qu'un point de départ mobile qui aurait conduit à une imprescriptibilité de fait. Toutefois, selon nous, l'adaptation du régime de 1881 mérite un débat apaisé et éclairé.

On n'a d'ailleurs pas hésité à malmener la liberté d'expression à l'article 38 ter, qui crée un délit de négation, de banalisation ou de minoration des génocides, crimes contre l'humanité ou de guerre et de la réduction en esclavage. Espérons que le Conseil constitutionnel, fidèle à sa jurisprudence, rappellera qu'il n'appartient pas au législateur d'écrire l'histoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe du RDSE ; M. Bruno Retailleau applaudit aussi)

Comment donner un avis sur un texte aussi incohérent ? Nous nous abstiendrons.

Mme Françoise Gatel .  - Né de l'effroi des attentats de 2015, ce projet de loi poursuit un objectif ambitieux : renforcer la cohésion sociale en encourageant l'engagement civique et en luttant contre les discriminations. Nul ne conteste le constat alarmant de la désintégration de la société française, où la liberté et les droits individuels ont été érigés en valeurs suprêmes, au détriment de l'engagement, de la responsabilité et de la solidarité. Le Premier ministre l'a dit : la République est devenue une illusion pour bon nombre de nos concitoyens. Le président du Sénat a réaffirmé quant à lui que la nation française est un héritage à partager. Le groupe UDI-UC souscrit à l'objectif de refonder la société française sur la base de la responsabilité et de la solidarité.

Nous approuvons donc le développement de la réserve citoyenne et du service civique. Encore faut-il s'en donner les moyens : il ne sera pas simple de passer de 100 000 à 350 000 jeunes accueillis...

Le texte de l'Assemblée nationale contenait aussi toute une série de mesures concernant les jeunes, que le Sénat a supprimé pour bon nombre d'entre elles, parce qu'elles n'apportaient rien de neuf - les conseils de jeunes existent déjà - ou parce qu'elles s'apparentaient à des hochets. Sans une lutte sans merci contre le chômage et les inégalités scolaires, comment prétendre mettre fin aux injustices sociales et territoriales ? L'école est le ressort de l'égalité et de l'intégration, et l'on ne peut ignorer le risque de dévoiement de la liberté d'enseignement. Aussi le Sénat a-t-il très fortement durci et sécurisé le régime d'ouverture des écoles privées hors contrat - refusant par là même d'accorder un blanc-seing au Gouvernement...

Au titre II, le Sénat, suivant sa rapporteure Dominique Estrosi Sassone, a préféré une contractualisation exigeante à des règles aveugles à la diversité des territoires. Le groupe UDI-UC a alerté sur les risques de déstabilisation du marché que comportait la création de la Foncière solidaire. Dans ce domaine, la politique recentralisatrice du Gouvernement donne de bien piètres résultats...

Le Sénat a travaillé avec rigueur, sans esprit partisan, faisant en sorte que la dignité de chacun soit respectée : mobilité des apprentis, élargissement de la fonction publique à de nouveaux profils, protection contre toute discrimination ou harcèlement, inversion de la règle de séniorité en cas d'égalité de suffrage à une élection... L'objectif affiché de cohésion sociale méritait mieux que des manoeuvres grossières de dénigrement du Sénat. Ces critiques péremptoires masquent en réalité l'impréparation fiévreuse du Gouvernement et sa tentative de rassembler une majorité effritée... Les Français sont las des polémiques, ils attendent de nous rigueur et efficacité.

Nous voterons donc ce texte tel que le Sénat l'a construit, sans illusion cependant sur sa capacité à donner aux oubliés de la société l'envie d'appartenir à notre nation. (Applaudissements nourris au centre et à droite)

Scrutin public solennel

M. le président.  - Il va être procédé dans les conditions prévues à l'article 56 du Règlement au scrutin public solennel sur l'ensemble du projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté. Ce scrutin, qui sera ouvert dans quelques instants, aura lieu en salle des Conférences.

La séance, suspendue à 18 h 40, reprend à 19 h 5.

M. le président.  - Voici le résultat du scrutin n° 37 sur l'ensemble du projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté, compte tenu de l'ensemble des délégations de vote :

Nombre de votants 346
Nombre de suffrages exprimés 323
Pour l'adoption 177
Contre 146

Le Sénat a adopté le projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté.

Intervention du Gouvernement

M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports .  - Je vous prie d'excuser Mme Cosse, retenue à Quito. Nous avons passé près de cinquante heures ensemble sur ce texte ; nous n'avons pas été d'accord sur tout, même si j'ai pu compter sur le soutien actif de l'opposition sénatoriale. C'est le propre du débat républicain. Nos divergences n'ont pas empêché 41 articles d'être adoptés conformes. Pour le reste, nous reprendrons la discussion à l'Assemblée nationale - sans surprise.

La qualité de nos débats montre que la Haute Assemblée est à la hauteur de sa réputation. Je ne désespère pas de vous convaincre que l'on ne peut arrêter le besoin de justice sociale de nos concitoyens. Vous avez cité Victor Hugo, je citerai Richelieu...

M. Jean-Louis Carrère.  - Ça va leur plaire !

M. Patrick Kanner, ministre.  - « La politique est l'art de rendre possible ce qui est nécessaire », disait le Cardinal. C'est l'ambition que nous portions à travers ce projet de loi. Merci encore pour la qualité de nos débats. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain, du RDSE et écologiste)

La séance est suspendue à 19 h 10.

présidence de M. Claude Bérit-Débat, vice-président

La séance reprend à 19 h 15.

Dépôt d'un rapport

M. le président.  - M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport 2016 sur le financement des établissements de santé.

Acte est donné du dépôt de ce rapport qui a été transmis à la commission des affaires sociales.

Candidatures à une éventuelle CMP

M. le président.  - J'informe le Sénat que la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi « Égalité et citoyenneté » a procédé à la désignation des candidats à une éventuelle commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté.

Cette liste a été publiée conformément à l'article 12, alinéa 4, du Règlement et sera ratifiée si aucune opposition n'est faite dans le délai d'une heure.

Réforme des rythmes scolaires dans les petites communes (Question orale avec débat)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 14 de Mme Françoise Cartron à Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche sur la mise en oeuvre des nouveaux rythmes scolaires dans les petites communes.

Mme Françoise Cartron, auteure de la question .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain) Missionnée fin 2015 par le Premier ministre, j'ai remis mon rapport sur les projets éducatifs territoriaux le 20 mai dernier, lors du comité interministériel aux ruralités, à Privas, en Ardèche. C'est le fruit de plus de 30 déplacements et 130 auditions : un mini-Tour de France qui s'est conclu, il y a dix jours, à Ajaccio. Je salue l'engagement remarquable du groupe d'appui départemental de Corse-du-Sud. Je préconise d'ailleurs que l'on redynamise ces groupes, pour soutenir la mutualisation des moyens et des actions.

Un millier de communes de plus de 86 départements ont répondu à mon questionnaire. Merci à mes collègues de l'avoir relayé auprès des maires de leur département. Je salue, dans la tribune, la présence d'une délégation du Val-d'Oise.

Les communes qui ont répondu à mon questionnaire regroupent plus de 4,3 millions d'habitants, de 360 000 enfants scolarisés et 60 % d'entre elles comptent moins de 2 000 habitants. C'est significatif !

Au-delà de ces chiffres, quels enseignements tirer, quelles préconisations pour franchir une nouvelle étape ? Après les débats caricaturaux qui ont accompagné la réforme et malgré les difficultés de mise en place, la nouvelle organisation des rythmes scolaires est considérée par les maires comme installée. Ils nous disent : nous n'avons pas fourni tous ces efforts pour qu'on décide demain de revenir en arrière ! (Exclamations à droite et au centre) Notre collègue François Baroin, président de l'AMF, ne dit pas autre chose. Comment revenir en arrière, quand, en deux ans, plus de deux millions d'enfants supplémentaires participent à des activités sportives, culturelles et environnementales sur le temps périscolaire, qui pour la plupart n'y avaient pas accès auparavant ? Comment revenir en arrière, quand des centaines d'emplois ont été créés ou consolidés ? Comment revenir à la semaine de quatre jours décidée par Xavier Darcos en 2008, unanimement reconnue comme néfaste ? (Mouvements à droite)

Il fallait une matinée supplémentaire de classe pour alléger les journées et proposer de nouvelles activités aux enfants.

Cette réforme serait inadaptée au monde rural qui manque de ressources ? Faux ! (Exclamations à droite et au centre)

Mme Françoise Férat.  - Vrai !

Mme Françoise Cartron, auteure de la question.  - Les petites communes rurales ont tout des grandes ! Elles proposent des activités variées, ancrées dans l'identité locale : ateliers de langue corse ou chants polyphoniques en Corse, activités échasse, course landaise ou fanfare dans les Landes...

M. François Bonhomme.  - Incroyable !

Mme Françoise Cartron, auteure de la question.  - ...découverte du patrimoine en Gironde, fouilles archéologiques dans le Vexin, ateliers sur les géants des Flandres dans le Nord... (On ironise à droite) Les exemples ne manquent pas, tout ceci est remarquable.

M. François Bonhomme.  - Pauvres enfants !

Mme Françoise Cartron, auteure de la question.  - Beaucoup de ressources existent, qui ne sont pas assez mobilisées : le réseau Canopé, l'INRIA, les réseaux d'éducation populaire. Le réseau des musées nationaux de France va mettre des mallettes pédagogiques à la disposition des communes.

J'ai perçu la volonté farouche des maires ruraux d'investir dans leur école, au service des enfants de leur village. L'école reste la priorité des politiques municipales. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

À Fauville-en-Caux, en Seine-Maritime, le choix du samedi matin comme cinquième matinée a revitalisé le centre-bourg : c'est tout le village qui a changé de rythme ! (Exclamations ironiques à droite)

M. François Bonhomme.  - Et la lumière fut !

Mme Françoise Cartron, auteure de la question.  - À Mayotte, la mise en oeuvre de la réforme a entraîné la création de restaurants scolaires, inexistants jusque-là.

Si des inégalités existent entre les territoires, la réforme ne les a pas créées, ni même accentuées : elle les a révélées. (Rires à droite et au centre) Plus qu'à la taille de la commune, ces inégalités sont liées à la volonté politique de faire ou non de l'école une priorité. Cette réforme contribuera à les réduire.

Mme Anne-Catherine Loisier.  - Vraiment ?

Mme Françoise Cartron, auteure de la question.  - Il convient de travailler les projets éducatifs territoriaux (PEDT) à l'échelon intercommunal. Les communes ont besoin de stabilité, de financements pérennes...

Mme Françoise Gatel.  - Ça, oui !

Mme Françoise Cartron, auteure de la question.  - Obtenir les subventions CAF est trop souvent un parcours du combattant. Le choc de simplification des démarches administratives est attendu.

Le Sénat revient sur le coût de la réforme ? Mais les chiffres avancés sont ceux du coût global du périscolaire, non ceux des seuls temps d'activités périscolaires (TAP). Les aides de l'État, je le rappelle, sont attribuées à tous les enfants scolarisés, même si 50 % des enfants participent aux TAP. (Mme Catherine Troendlé le conteste vigoureusement). La commune perçoit jusqu'à 180 euros par enfant. (Exclamations à droite et au centre)

De quoi un enfant a-t-il besoin ? De contact avec le monde réel. Théâtre, chant, escalade, bricolage, jardinage sont des activités dynamiques qui lui permettent de développer ses compétences motrices et créatrices.

Le jeu est le travail de l'enfant, disait Pauline Kergomard. Oui aux jeux de société, aux jeux d'adresse, de force, de mémoire, de hasard !

M. François Bonhomme.  - L'école est mal engagée !

Mme Françoise Cartron, auteure de la question.  - Autre besoin essentiel, notamment pour les 2 à 4 ans : le sommeil. Oui aux TAP sieste, détente, lecture de contes... L'ordinaire peut se révéler extraordinaire ! (Exclamations à droite)

Mme Catherine Troendlé.  - Les petits sont épuisés !

Mme Françoise Cartron, auteure de la question.  - Sur la fatigue, ne cédons pas aux approximations, au ressenti. (Exclamations à droite)

Une réflexion globale a été engagée autour des temps éducatifs, pour ouvrir les enfants à de nouvelles expériences, à d'autres réalités.

La jeune Malala, prix Nobel de la paix, a dit : « Merci de ne pas m'avoir coupé les ailes et de m'avoir laissé voler ». C'est l'ambition de cette réforme : aider tous les enfants à prendre leur envol. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste)

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.  - Cela fait du bien d'entendre un discours progressiste !

Mme Maryvonne Blondin .  - Depuis 2012, la politique éducative est la priorité du Gouvernement.

M. François Bonhomme.  - À l'évidence !

Mme Maryvonne Blondin.  - L'éducation est redevenue le premier budget de l'État, tout a été fait pour redonner à notre système scolaire son rôle d'ascenseur social, mis à mal pendant la précédente décennie. (Mouvements à droite)

La réforme des rythmes scolaires vise à rendre l'école, pilier de notre société, plus exigeante et plus juste. Initiée à la rentrée 2013 et généralisée en 2014, la réforme répartit mieux les heures de classe sur la semaine - la France avait le moins de journées de classe, mais les plus chargées. Il s'agissait de concentrer le temps d'enseignement sur les moments les plus propices à la concentration.

La réforme entendait aussi mieux articuler temps scolaire et périscolaire et favoriser l'accès de tous aux activités culturelles, sportives et artistiques qui contribuent à l'éveil et au plaisir d'apprendre.

Pour la première fois, les élus communautaires et tous les acteurs ont été incités à se réunir autour des PEDT. Le Gouvernement a accompagné ce mouvement en pérennisant, en mars dernier, le fonds de soutien et en aménageant le cadre réglementaire pour prendre en compte les contraintes et atouts de chacun.

Dans mon département du Finistère, les écoles privées sous contrat qui appliquent la réforme ont, elles aussi, accès au dispositif. Je regrette que toutes les écoles privées n'aient pas suivi car on assiste à des transferts du public vers le privé...

On invoque la fatigue des enfants ; mais enfin ! La fatigabilité ne relève pas uniquement de l'école, et en la matière, les familles ont leur rôle à jouer. (Exclamations à droite et au centre) On avait proposé aux parents et enseignants le samedi matin, ils ne l'ont pas retenu...

M. François Bonhomme.  - Bizarre !

Mme Maryvonne Blondin.  - Contrairement à ce qu'on a pu entendre, les très petites communes ont su exploiter les atouts de leur territoire, fédérer les forces en présence pour proposer des ateliers originaux, adaptés aux réalités du terrain. Ce dynamisme a permis une prise de conscience de l'enjeu d'attractivité que représentent ces activités périscolaires dans le choix d'installation des familles.

Dans mon département, deux communes, de 2 000 et de 600 habitants, ont su faire preuve d'intelligence collective et de pragmatisme pour mettre sur pied une nouvelle école intercommunale, c'est un exemple à suivre pour les petites municipalités.

Je suis persuadée qu'aucun retour en arrière n'est concevable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. François Bonhomme.  - Il a déjà eu lieu !

Mme Catherine Troendlé .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Je rends hommage à l'enseignant roué de coups devant ses élèves, hier soir, hospitalisé, qui a tenu à faire classe à ses élèves ce matin. C'est un acte courageux, qui doit être respecté. (Applaudissements à droite et au centre, ainsi que sur plusieurs bancs à gauche ; Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre, applaudit également)

La réforme des rythmes scolaires a déjà fait l'objet de nombreuses questions et d'une mission d'information que je présidais - qui s'est soldée par le rejet du rapport de Mme Cartron, dont la complaisance envers le Gouvernement éludait complètement la réalité. Son nouveau rapport est tout aussi dithyrambique.

Pourtant, pas un mois ne passe sans qu'un article ne revienne sur la fatigue des élèves, le manque de concentration, le manque de pertinence des activités proposées...

M. Jean-Louis Carrère.  - Et c'est parti !

Mme Catherine Troendlé.  - Lors du Congrès des maires, François Baroin a évalué le reste à charge pour les collectivités à 640 millions d'euros. (M. Jean-Louis Carrère s'exclame) Il a demandé que l'État compense totalement le coût de la réforme, soit 440 millions. On ne peut demander aux petites communes rurales de porter à bout de bras cette réforme sans en accepter le prix réel ! (Applaudissements à droite et au centre) Quelque 36 % des communes interrogées ont estimé le coût de la réforme à plus de 250 euros par enfant et par an. Les reste à charge moyen, en prenant en compte les aides, est de 70 % pour les communes, de 66 % pour les intercommunalités ; pour les communes rurales, il s'élève à 73 % du total.

Mme Françoise Cartron, auteure de la question.  - Non. Il faut voir les budgets.

M. François Bonhomme.  - Il faut voir les maires !

Mme Catherine Troendlé.  - Elles sont 70 % à faire part de difficultés persistantes, 60 % à les juger importantes.

Après le financement, le principal problème est le recrutement de personnel qualifié et disponible.

M. Jean-Louis Carrère.  - Qui veut tuer son chien l'accuse de la rage.

Mme Catherine Troendlé.  - Tous ces efforts, et pourquoi ? Les résultats ne sont pas au rendez-vous. Une enquête de la Snuipp (Mme Françoise Cartron s'exclame) réalisée en 2015 montre que 74 % des professeurs pensent que le temps périscolaire impacte négativement le temps scolaire ; 73 % ont noté une baisse de concentration et d'attention en classe, 79 % demandent une autre organisation horaire de l'école. Vous n'en faites aucun cas... (Protestations à gauche)

M. Alain Néri.  - Tout ce qui est excessif est insignifiant !

Mme Catherine Troendlé.  - Du côté des parents, ils sont 69 % à juger négativement la réforme, 80 % à trouver leur enfant plus fatigué. Décidément, il n'y a qu'au sommet de l'État que l'on pense que « ça va mieux » !

Je demande une évaluation complète par l'éducation nationale de cette réforme. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Patrick Abate .  - Le rapport de Mme Cartron, excellent, dresse un bilan positif malgré les difficultés de mise en oeuvre. L'instrumentalisation politique par certains maires de droite n'a pas aidé ! Nous étions attachés à l'objectif de la réforme, qui était de réduire les inégalités entre élèves.

Plus de jours de classe, moins chargés, c'est un progrès incontestable. La fatigue des élèves est sans doute due à ce que leurs parents les inscrivent encore à d'autres activités en dehors de l'école. C'est un problème de famille, et de société.

Sur le terrain, les activités périscolaires relèvent encore trop souvent de la garderie plus que du loisir éducatif venant compléter efficacement l'enseignement. Certains manquent de cohérence avec le projet éducatif, malgré 97 % de projets éducatifs territoriaux (PEDT) signés. Le fonds d'amorçage est important mais l'intérêt de l'offre varie en fonction des ressources des communes... Les communes les plus riches proposent les activités les plus intéressantes, les plus pauvres ont du mal, alors qu'elles regroupent les populations les plus défavorisées, les moins mobiles, souvent les plus taxées...

Le constat d'inégalité de l'école ne date pas d'hier. La RGPP y a fortement contribué. (Mme la ministre opine) Et la droite continue à surenchérir en promettant de tailler dans le nombre de fonctionnaires ! (Applaudissements à gauche)

M. Alain Néri.  - Très bien ! Parfait !

M. Patrick Abate.  - Quand j'entends ces discours, je m'inquiète pour la pérennité des aides...

Le samedi matin, c'est vrai, les parents appréciaient de pouvoir rencontrer les enseignants. Ceux-ci ont besoin de davantage de temps, il faut des décharges pour les directeurs.

Je vous invite, madame la ministre, à faire partager les bonnes pratiques et assurer la pérennité des aides.

Pour nous, l'école n'est pas une dépense, c'est un investissement. (Applaudissements à gauche)

M. Alain Néri.  - Bravo !

M. Patrick Abate.  - Dommage que l'Europe ne le voie pas ainsi.

Bref, augmentons les moyens, répartissons mieux les richesses sur le territoire national - et ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain et citoyen et du groupe écologiste)

M. Alain Néri.  - Encore bravo !

Mme Mireille Jouve .  - L'excellent rapport de Mme Cartron met en évidence les difficultés de mise en oeuvre de la réforme, mais présente aussi un vaste panel d'activités dans lequel les maires de petite commune, dont je suis, peuvent puiser.

Les élèves français avaient à la fois le nombre de jours d'école le plus faible dans l'OCDE et des journées très chargées. C'est pourquoi du temps a été ménagé pour les activités périscolaires.

La réforme a nécessité des adaptations. Le Gouvernement a répondu aux demandes des collectivités territoriales en apportant des aides techniques et financières pour conclure des PEDT. Ce faisant, il a créé une incertitude sur la pérennité des aides.

Pour nombre de parents, la réforme s'est résumée au périscolaire ; c'est ce qui a causé le plus de difficultés aux petites collectivités. Une aide de 50 euros par enfant, majorée de 90 euros dans les zones urbaines sensibles et les zones de revitalisation rurale, ne suffit pas quand on part de zéro. Je le sais d'expérience...

Que faire si aucun bénévole n'est disponible ? Comment éviter la concurrence entre communes pour les animateurs et les locaux ? Faut-il sacrifier la gratuité ?

Le tissu associatif, dense dans les grandes villes, fait défaut aux petites communes.

L'absentéisme explose le samedi matin : dans mon département, 50 % des effectifs peuvent manquer en maternelle, 20 % en élémentaire. L'augmentation de l'absentéisme pourrait remettre en question l'intérêt pédagogique de la réforme.

Sans rejeter cette réforme, je me fais l'écho de l'inquiétude des maires des petites communes. Je n'ai qu'un voeu : que cette réforme essentielle et salutaire ne renforce pas les inégalités entre communes. (Applaudissements sur les bancs du groupe du RDSE et sur plusieurs bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Françoise Férat .  - La réforme a commencé en janvier 2013 par un décret pris sans concertation avec les élus. Je ne peux laisser dire que les élus ne se sont pas mobilisés, même s'ils ont été placés devant le fait accompli. (Applaudissements au centre et à droite)

Cette réforme se traduit par plus de temps passé à l'école, et des activités moins intéressantes. J'ose à peine le dire, faute d'intervenants, on donne aux enfants des coloriages... Je ne caricature pas !

Mme Françoise Cartron, auteure de la question.  - C'est très bien ! Le coloriage déstresse !

Mme Françoise Férat.  - En milieu rural, l'amplitude horaire reste liée au transport scolaire. Où en est-on de l'annualisation des vacances, un temps évoquée ? Je vous épargnerai le couplet sur les congés de la Toussaint qui commencent en milieu de semaine...

On me dit que tout va bien. Le bilan est sans doute parfois positif. Mais quand ce n'est pas le cas, n'incriminez pas les mauvaises volontés locales ! Allez-vous réellement sur le terrain ?

Mme Françoise Cartron, auteure de la question.  - Oui !

Mme Françoise Férat.  - Comment appliquer une telle réforme de manière uniforme là où les inégalités territoriales sont si grandes ? Les communes rurales n'ont pas le personnel nécessaire. Dans mon département, la Marne, une intercommunalité, la mienne, qui regroupe 26 communes et 5 000 habitants ne trouve pas d'intervenants. Alors on propose aux enfants des activités au rabais, voire des heures de garderie. Dans mon groupe scolaire, la musique, le dessin, l'initiation au cinéma étaient pratiqués pendant les heures de classe. Aujourd'hui, les enseignants n'en ont plus le temps... Quel gâchis...

Mme Troendlé l'a dit, 70 % du coût est assumé par les communes. Certaines communes doivent demander aux familles une participation financière pour que leurs enfants... soient gardés - et j'utilise ce mot à dessein.

La réforme serait prétendument financée. Pour la deuxième année consécutive, le Gouvernement ponctionne 2,5 millions d'euros sur l'enseignement agricole... Excusez du peu ! Vos services, madame la ministre, me répondent que la pratique est normale en ces temps difficiles... (Marques d'ironie à droite)

Où en sommes-nous, trois ans après la réforme ? Le constat de l'OCDE est toujours aussi accablant. Nous avons tout à portée de main mais nous gâchons l'avenir de nos enfants. Vous évoquerez l'héritage ? Je fais le triste constat que vous n'avez pas fait mieux. Faut-il fragiliser l'enseignement agricole pour des réformettes qui déstabilisent l'école, sans prêter attention aux propositions des sociologues et des experts ? L'école de la République est l'une des plus inégalitaires. Ce n'est plus une école à deux vitesses, mais à plusieurs vitesses... Sachons reconnaître que nous nous sommes trompés pour aller de l'avant. (Applaudissements sur les bancs des groupes Les Républicains et UDI-UC)

Mme Marie-Christine Blandin .  - La semaine de quatre jours avait fait consensus... contre elle. La réforme était nécessaire. La semaine de neuf demi-journées devenue la semaine de cinq matinées a souffert d'un gros non-dit : pour les parents qui travaillent le temps scolaire a un rôle de garderie. Surtout, la réforme a été décrétée hors du débat parlementaire sur la refondation de l'école quand elle devait mobiliser tous les acteurs pour rechercher une meilleure articulation des temps de l'enfant. L'ouverture de l'école sur son territoire est précieuse. Des milliers d'enfants, jadis livrés aux écrans, pratiquent désormais des activités collectives. Certes les responsabilités des municipalités se sont accrues, dans un contexte électoral peu propice à un débat apaisé...

La qualité de la mise en oeuvre est due pour beaucoup à l'implication des acteurs locaux. D'après le mot d'une institutrice rurale, c'est une réforme à la fois humble et ambitieuse. Mobiliser les artisans ou les parents, mutualiser... les pistes sont nombreuses.

Je souscris aux propositions de Mme Cartron, surtout en matière de simplification. Je déplore toutefois un fonctionnement trop cloisonné du Gouvernement : si le ministère de la jeunesse et des sports avait été associé, le dispositif aurait été plus cohérent et les acteurs de l'éducation populaire n'auraient pas eu tant de peine à se faire entendre.

Les propositions concrètes, par exemple la création de modules interprofessionnels de formation dans les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (Éspé), ne manquent pas mais elles ne sont pas toujours mises en oeuvre.

Je me félicite des fonds mobilisés grâce à Mme Royal pour un espace de nature dans 10 000 écoles et collèges. L'éducation à l'environnement se heurte trop souvent à un zèle sanitaire et sécuritaire abusif. Toucher du compost ? Quelle horreur... (Applaudissements à gauche)

Mme Danielle Michel .  - (Applaudissements à gauche) La loi du 8 juillet 2013 a fixé une priorité : réduire l'impact des déterminismes sociaux et des inégalités territoriales.

La loi de refondation de l'école a été adoptée conforme par les deux chambres, signe que la priorité au primaire était partagée. La nécessité d'abandonner la semaine de quatre jours faisait consensus. L'excès de concentration du temps de classe affecte avant tout les enfants les moins favorisés. Aujourd'hui, 90 % des communes ont signé un PEDT. M. Baroin a estimé, au Congrès des maires, qu'il n'y aurait pas de retour en arrière. M. Sarkozy a pris la position inverse... Alain Juppé parle, lui, de liberté laissée aux maires.

Mme Françoise Cartron, auteure de la question.  - C'est la polyphonie !

Mme Danielle Michel.  - De quelle liberté parle-t-on ? Celle de décider du nombre de matinées ? Ce n'est pas possible. D'organiser ou non des activités ? C'est déjà le cas. Quant à M. Le Maire, il parle d'intervenir... Une clarification s'impose...

Le débat tourne autour de la qualité de l'offre, très inégale ; mais ce qui fait la différence, c'est l'antériorité des politiques éducatives et la volonté politique, l'impulsion collective. Pour le maire d'une petite commune, c'est l'attractivité de son territoire qui est en jeu au travers de son école ; je connais des PEDT de grande qualité dans la ruralité. La réforme, si elle a été difficile à mettre en oeuvre, n'a pas créé d'inégalités ; elle doit contribuer à les réduire.

Plus de deux millions d'enfants participent dorénavant à des activités périscolaires. C'est considérable ! Dans mon département, le nombre de places est passé de 10 000 à 30 000 ; trois communes landaises sur quatre ont adopté la réforme dès 2013. Le groupe d'appui départemental (GAD) des Landes fait un travail remarquable pour organiser la mutualisation des ressources et accompagner les maires des petites communes en difficulté. De même que certaines intercommunalités accomplissent un travail remarquable pour proposer à tous les enfants des activités qui sont vecteurs d'inclusion. Dans la communauté de communes du Pays Tarusate, des ateliers ont ainsi été déployés dans quinze écoles publiques, faisant appel à quatre-vingt-dix intervenants. L'objectif de lutte contre les inégalités a été atteint.

Alors que l'on parle beaucoup d'identité ; il est bon d'interroger cette notion de manière positive, comme cela a été rendu possible dans ce cadre. Comme le dit le maire de Morcenx : « nous avons des familles venues de la ville qui ne connaissent pas les traditions ; en les faisant découvrir et apprécier des enfants, ils les partagent. C'est un vecteur d'inclusion ».

À nous, parlementaires, de valoriser ces pratiques. Si la souplesse accordée aux élus a pu être perçue comme un facteur d'incertitude, l'État a apporté des aides. Comment seront-elles pérennisées ? Comment les enseignants et les intervenants seront-ils sensibilisés, dans leur formation, à la question des rythmes scolaires ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Brigitte Micouleau .  - On peut lire, dans la motion sur l'école rurale adoptée par l'Association des maires ruraux de France lors de son dernier Congrès national que « l'école est davantage qu'un service public. Elle est un marqueur de la République et de la communauté nationale sur l'ensemble du territoire. L'école républicaine impose que tous les élèves, ruraux comme urbains, aient accès à la même qualité de l'école ». C'est dire si ce débat est d'actualité.

Tous les rapports ne dressent pas un bilan aussi positif que le vôtre, madame Cartron. Impression confirmée par le témoignage d'élus, de parents, d'enseignants. Selon une enquête de l'AMF de 2016, le coût annuel brut par enfant a été de 225 euros en moyenne pour les communes de moins de 2 000 habitants - financé à 73 % par les communes - contre un reste à charge au maximum de 65 % dans les communes de plus de 2 000 habitants. La complexité des dossiers CNAF a dissuadé de nombreux élus de demander l'aide de 54 euros.

Mme Françoise Cartron, auteure de la question.  - Elle existe...

Mme Brigitte Micouleau.  - Élus, enseignants, parents, en particulier dans le monde rural, s'accordent à dire qu'il y a un déficit d'intervenants formés. Les petites communes ont souvent recours au système D ; et sont bien contentes de pouvoir compter sur des bénévoles.

Enfin, problème commun au monde rural et au monde urbain, la fatigue des enfants. Le Premier ministre nous assure que les écoliers sont moins fatigués... Mais ce n'est le ressenti ni des enseignants, ni des parents... Certains parents conduisent leurs enfants à l'école à 7h30 du matin pour les y chercher entre 18 heures et 18 h 30. Auparavant, ils pouvaient se reposer chez leurs grands-parents le mercredi. D'ailleurs, nos écoles maternelles rurales sont peu fréquentées ce jour de la semaine...

Il faudra adapter la réforme à la diversité de nos territoires et aux modes de vie de nos concitoyens, qui diffère en métropole et à la campagne. (Applaudissements à droite)

M. Daniel Laurent .  - Ah, la réforme des rythmes scolaires ! Je pourrais répéter tout ce que j'ai déjà dit sur ce sujet. Je ne conteste pas la nécessité d'aménager le temps scolaire mais regrette l'absence de consultation en amont des élus et des parents.

Dès la parution du décret, les édiles ont identifié les difficultés de la nouvelle organisation du temps scolaire ; la réalité est qu'elles ont conduit la réforme à l'échec en 2013. Isolés sur le terrain, face à des services déconcentrés aussi démunis qu'eux... On leur a dit en quelque sorte « débrouillez-vous », faites appel aux associations, aux retraités, aux bénévoles... Effectivement, madame Cartron, on peut parler d'ingéniosité des territoires... (Marques d'approbation à droite)

Pourquoi cette réforme du temps scolaire en est-elle venue à se résumer à celle du périscolaire ? Ce glissement, intéressant, indique qu'il aurait fallu insister sur le socle fondamental : apprendre à lire, écrire, compter - plutôt que de transformer l'école en centre de loisirs plusieurs heures par semaine. À ce compte-là, le temps de distraction sera bientôt plus important que celui de l'instruction...

Mme Catherine Troendlé.  - Absolument !

M. Daniel Laurent.  - Les enseignants n'ont pas attendu cette réforme pour profiter du temps où la concentration des enfants est au plus haut.

J'approuve certains constats du rapport, recalibrage du nombre des ateliers, épuisement du vivier des bénévoles, hausse des prix des prestations.

Les élus ruraux, alors qu'ils s'investissent, ont le sentiment que la réforme a été pensée à l'aune des seuls objectifs de l'éducation nationale, sans tenir compte du coût pour les petites communes soumises à une baisse drastique de leurs dotations comme à l'inflation normative.

Madame la ministre, quel bilan tirez-vous de votre réforme ? Avez-vous atteint vos objectifs ? (Applaudissements à droite)

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Je salue chaleureusement Mme Cartron pour la qualité du travail qu'elle a accompli. Elle est allée au-devant des petites communes, des enseignants et des parents d'élèves pour entendre leurs difficultés et leurs attentes. Son rapport est d'une grande richesse.

Cette réforme, qui entre dans sa troisième année, a désormais trouvé son rythme. Après deux ans d'un intense travail d'organisation, nous devons maintenant faire davantage connaître les bonnes pratiques à tous.

Je ne viens pas devant cette assemblée pour tenir un discours provocateur. Je sais les difficultés de mise en oeuvre d'une réforme dont je rappelle qu'elle a été voulue et pensée pour les enfants. (Mouvements divers à droite) J'ai agi pour l'accompagner, stabiliser son cadre et son financement, coordonner des acteurs qui, trop souvent, travaillaient chacun de leur côté.

Clairement, cette réforme a bouleversé les pratiques des enseignants, celles des animateurs et les habitudes des familles.

Clairement, elle a fait débat dans les communes. Pourtant, plus personne ne conteste qu'elle a remis l'école au centre des enjeux politiques locaux. Parce qu'ils sont à raison attachés à leur école, les maires ne la mettent plus en cause. (On le nie vivement sur les bancs du groupe Les Républicains) Ils en ont souvent fait un facteur d'attractivité de leur commune.

Cette réforme est d'abord une réforme pédagogique dont plus personne ne conteste qu'elle était une nécessité car elle corrige les gravissimes erreurs commises dans le passé...

Mme Catherine Troendlé.  - Lesquelles ?

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre.  - ...après l'instauration ubuesque de la semaine de quatre jours en 2008. (On se récrie à droite) Les scientifiques, spécialistes du rythme de l'enfant, l'avaient dit à M. Chatel : l'extrême concentration du temps, conséquence du fait que les écoliers français avaient le plus faible nombre de jours de classe de tous les pays de l'OCDE, 144 contre 187 en moyenne, nuisait aux élèves. Que ne vous a-t-on entendu parler de la fatigue des élèves à cette période ? Il faut avoir l'honnêteté de le reconnaître.

M. René-Paul Savary.  - Vous êtes malhonnête !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre.  - Cette réforme s'inscrit dans la priorité donnée à l'école. Nous avons créé 19 328 postes d'enseignants dans le premier degré, rénové les programmes de maternelle et du primaire, lancé le programme « plus de maîtres que de classes », insisté sur l'accueil des moins de trois ans. La réforme des temps scolaires prend son sens dans cet ensemble.

Le rapport de l'Inspection générale de l'éducation nationale, que j'ai rendu public en juin 2016, s'il estime prématuré de mesurer les bénéfices pédagogiques de la réforme, fait des recommandations dont j'ai tenu compte pour renforcer l'accompagnement des enseignants. Avec les nouveaux programmes, la cinquième matinée est très appréciée par ces derniers.

Mme Françoise Cartron, auteure de la question.  - C'est vrai !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre.  - Nous expérimentons avec des enseignants de plusieurs académies des parcours de formations en ligne.

Avec le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) a été noué un partenariat pour favoriser les formations croisées des enseignants et des animateurs. Une convention a été signée entre les Éspé et le collectif des associations partenaires de la République. Cela répondra à la demande de Mme Blandin.

Voilà l'esprit de notre démarche : accompagner les enseignants et favoriser les synergies. La complémentarité, que, comme Mme Cartron, j'ai constatée de la Somme à l'Ardèche, est bonne pour l'école ; elle devra se généraliser. De nombreuses expériences et ressources méritent d'être mieux connues.

La maternelle ne doit pas être isolée de l'école élémentaire, c'est affaire d'efficacité.

M. Jean-François Husson.  - Vous persistez dans l'erreur !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre.  - Le travail scolaire doit néanmoins tenir compte du rythme des enfants en maternelle. Dès mon arrivée au ministère, j'ai adressé une circulaire pour que soit respectée l'alternance entre temps de repos et temps d'apprentissage. Ainsi, les enfants déjeunant à la cantine doivent-ils être couchés pour la sieste sitôt le repas pris sans attendre la récréation postprandiale.

Accompagner cette réforme, c'est aussi se doter d'indicateurs pour l'évaluer. Nous avons mis en place des outils d'évaluation spécifiques et lancé des enquêtes sur tous les sujets : absentéisme, progrès des élèves, rythmes chronobiologiques, pratiques enseignantes, perception des familles... Elles seront publiées en 2017 et diffusées aux élus locaux. Une étude scientifique sur la fatigue est menée à Orléans et en Guadeloupe. Sans attendre, celle que le maire d'Arras a menée conclut que la réforme n'entraîne pas un surcroît de fatigue ; au contraire, elle est bénéfique à la vigilance en classe des enfants, surtout en REP. Une équipe d'universitaires japonais est même venue étudier les effets de la réforme... Nous nous en réjouissons.

La réforme donne déjà des résultats positifs : 93 % des communes ont mis en place des activités périscolaires inscrites dans un PEDT ; 2 millions de places supplémentaires pour les enfants... Les activités périscolaires ont rencontré leur public. Pour 80 % des élus, ces activités contribuent à l'enrichissement et à l'épanouissement des enfants ; près de 90 % des élus pensent que ces activités rendent les enfants heureux.

La réforme creuserait les inégalités ? Comment le soutenir quand, d'après l'AMF, 70 % des enfants participent à des activités périscolaires, contre 20 % auparavant ?

Deux tiers des communes ont fait le choix de la gratuité quand d'autres ont prévu une tarification, y compris sociale. Ces activités participent du si précieux vivre ensemble, elles servent à corriger les inégalités. À Arras, les enseignants, notamment ceux de REP, témoignent d'une amélioration de l'autonomie des élèves et de leur sentiment d'estime de soi.

Ces progrès, nous les devons à l'implication des élus locaux. Leur engagement n'est pas fonction de la taille de la commune. La réforme a un coût, je ne l'ai jamais contesté, depuis 2015, le soutien financier de l'État est pérennisé, à moins qu'une autre politique le remette en cause. Depuis 2013, l'État a versé 830 millions d'euros d'aides auxquelles il faut ajouter 1,2 milliard d'euros d'aides de la CAF - 539 millions en 2016.

J'ai entendu les demandes de simplification, nous y travaillons.

L'AMF demande une compensation intégrale des dépenses mais ce n'est pas la règle quand le service est facultatif.

Mme Catherine Troendlé.  - C'est un transfert de charges !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre.  - Certains élus se sont organisés pour proposer des activités à moindre coût grâce à la mutualisation. Nous avons aidé les collectivités en difficulté - contrairement à ce à quoi on pouvait s'attendre, tout n'est pas fonction de la taille. Il fallait aider Toulouse, nous avons aidé Toulouse. L'aide de 90 euros a été pérennisée sur l'ensemble de la durée des PEDT pour les communes sorties de la DSU-cible ou de la DSR-cible.

Oui, il faut dynamiser les GAD dont on connaît le travail remarquable dans les Landes, la Corse-du-Sud ou en Meurthe-et-Moselle ; une instruction sera publiée jeudi prochain pour passer à une deuxième étape. Enfin, mon ministère publiera deux guides destinés aux élus, l'un sur les activités artistiques et culturelles, l'autre sur l'association des parents au PEDT, élaborés avec le concours de tous les acteurs.

La réforme est désormais installée. Nous n'avons pas besoin de polémiques inutiles, nous avons besoin de prolonger la dynamique à l'oeuvre sur le terrain, dans l'intérêt de tous les enfants. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Nominations à une éventuelle CMP

M. le président.  - Dans le cas où le Gouvernement déciderait de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté, il va être procédé à la nomination des membres de cette commission mixte paritaire.

La liste des candidats a été publiée. N'ayant reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 12 du Règlement, je proclame représentants du Sénat à cette éventuelle commission mixte paritaire, en tant que titulaires : M. Jean Claude Lenoir, Mmes Dominique Estrosi Sassone, Françoise Gatel, MM. Philippe Dallier, Jacques Bernard Magner, Yves Rome, Christian Favier ; et en tant que suppléants : MM. Jean Claude Carle, Daniel Dubois, Mmes Françoise Laborde, Sophie Primas, MM. Alain Richard, Jean Pierre Sueur, Michel Vaspart.

Cette nomination prendra effet si M. le Premier ministre décide de provoquer la réunion de cette commission mixte paritaire et dès que M. le président du Sénat en aura été informé.

La séance est suspendue à 21 heures.

présidence de M. Claude Bérit-Débat, vice-président

La séance reprend à 22 h 35.

Débat sur l'orientation scolaire

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions de la mission d'information de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication sur l'orientation scolaire.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication .  - Deux chiffres : 140 000 jeunes quittent le système de formation initiale sans qualification chaque année et 620 000 se trouvent hors de tout dispositif de formation. Face à ces générations sacrifiées, nous ne pouvons rester les bras croisés. Notre commission s'est donc penchée sur cette préoccupation partagée.

Au-delà des causes sociales, économiques, culturelles, le collège unique n'est-il pas devenu le collège uniforme, qui oriente par l'échec ? Tout le monde n'a pas la chance de choisir son métier. L'écrivain Jean Teulé, orienté en fin de 3e en mécanique auto, n'a dû qu'à un professeur de dessin de choisir la voie de l'art.

Ce débat est important. Merci au président et au rapporteur de la mission d'information. Puissent leurs conclusions inspirer le gouvernement actuel et les gouvernements à venir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-UC)

M. Jacques-Bernard Magner, président de la mission d'information .  - Ensemble, nous avons beaucoup entendu le monde de l'orientation à travers de nombreuses auditions et nous nous sommes rendus dans les académies de Strasbourg et Clermont-Ferrand. Notre rapporteur va vous présenter le résultat fructueux de nos travaux. Dans le débat, je pourrai développer plus longuement le point de vue du groupe socialiste et républicain. (Applaudissements)

M. Guy-Dominique Kennel, rapporteur de la mission d'information .  - Le 29 juin dernier, la commission de la culture autorisait la publication de mon rapport. Je suis heureux que nous ayons aussi rapidement l'occasion d'en débattre en séance publique.

Nous aborderons la semaine prochaine la question de l'entrée en master qui est l'un des aspects de ce vaste dossier de l'orientation. L'introduction d'une « sélection juste à l'université par l'édiction de prérequis » est l'une de mes préconisations. J'ai également plaidé en faveur du développement de l'offre de formation continue des universités afin que l'on puisse vraiment parler d'un droit à la poursuite d'études tout au long de la vie.

Toutes nos propositions cherchent à remédier à l'orientation par couperet lors de classes paliers, sur le seul fondement des notes. Au sein d'un système hiérarchisé, où trône la filière S au-dessus des filières générales, l'orientation se fait par l'échec. L'élève reste passif : son implication se borne à une brochure de l'Onisep, avec tout au plus des entretiens avec le conseiller d'orientation et le professeur principal, voire une observation du milieu professionnel. Les choix sont trop souvent facteurs du milieu social, du lieu de résidence, du sexe. L'orientation est un sujet d'anxiété pour bien des familles.

Nous avons souhaité faire de l'orientation un des objectifs. Il s'agit d'abord de simplifier en fusionnant, ou du moins en regroupant sur des sites uniques les acteurs.

Un stage professionnel pourrait être rendu obligatoire pour tout enseignant et le rôle du professeur principal revalorisé.

Un horaire dédié serait prévu en troisième, ainsi qu'au lycée - où, curieusement, alors que c'est le moment où les élèves acquièrent de la maturité et forment des projets professionnels, rien n'est prévu.

Le décalage entre le discours - égale dignité des voies - et la réalité - un enseignement professionnel méprisé - doit être résorbé. Nous proposons de faire du lycée polyvalent la norme et de créer dans chaque bassin d'emploi un réseau d'établissements, avec des passerelles facilitées entre eux, et entre les filières. Des rendez-vous avec les parents dès la sixième seraient à même de faire de l'orientation un choix.

Je conclurai par un regret : la sélection par tirage au sort que nous infligeons aux étudiants des universités est indigne d'une grande méritocratie comme la France.

Les travaux de notre mission se sont déroulés dans une très bonne ambiance, souhaitons que nos recommandations ne restent pas lettre morte. (Applaudissements)

M. Patrick Abate .  - Saluons un travail de bonne foi et engagé. Mais l'essentiel de ses recommandations tient à une régulation des flux d'élèves, plutôt qu'à une modification des caractéristiques du système.

Le rapport réclame une carte des formations plus réactive ; mais quand on sait que les entreprises sont incapables d'anticiper, cela peut-il vraiment être utile ? Un tiers des emplois de demain n'existent pas encore.

La complexité croissante du travail implique une élévation des niveaux des connaissances ; ne pas le prendre en compte, c'est entériner l'échec des moins bien préparés. Mon groupe s'interroge ainsi sur l'opportunité d'allonger l'instruction obligatoire jusqu'à 18 ans.

M. Jacques Grosperrin.  - Pourquoi pas 25 ? (Sourires à droite)

M. Patrick Abate.  - Quant à la régionalisation des CIO, on ne peut pas ignorer le risque d'un creusement des inégalités que cela ferait courir. Le rapport minore l'importance des facteurs psychiques et sociaux dans l'orientation. Un projet d'orientation doit être en lien avec la construction de l'identité - ce n'est pas ici un gros mot - de l'élève, en particulier à l'adolescence.

La question devrait être davantage posée en termes d'émancipation. Nous refusons la mise en berne du corps des conseillers d'orientation, au profit d'enseignants non formés pour cette mission. Quelle est l'utilité du stage obligatoire en entreprise des enseignants ? Nous préconisons, quant à nous, un corps unique de psychologues, de la maternelle au secondaire, avec des recrutements, afin d'éviter qu'un conseiller d'orientation ait, comme aujourd'hui, la responsabilité de 1 400 à 1 600 élèves sur plusieurs établissements.

Je ne partage pas la majorité des préconisations de ce rapport, qui n'aborde pas la question des moyens financiers et humains. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

Mme Françoise Laborde .  - Cette mission a été mise en place car notre système d'orientation aboutit plus à une orientation par l'échec qu'à une orientation choisie, ce qui entretient la ségrégation sociale plutôt qu'elle ne la réduit. Les élèves en difficulté sont orientés vers la filière professionnelle, cela explique la dépréciation de celle-ci reléguée dans l'inconscient collectif.

Les recommandations du rapport sont utiles, mais le bon sens plaide pour une réorganisation. La clef de la réussite est dans l'anticipation. Ce n'est qu'avec un travail pédagogique en primaire que les mentalités changeront, non pas pour former des salariés préfabriqués mais les citoyens de demain, conscients des possibles qui s'offrent à eux. Des rencontres avec les parents ou les professionnels que les enfants rencontrent dans leur quartier ne coûteraient rien, mais aideraient à faire tomber les barrières. Les lycées professionnels sont une bonne idée pour lutter contre les préjugés.

Je soutiens la proposition de faire de l'orientation une discipline scolaire, préfigurant le passeport formation. Il est impossible de faire des séries télévisées sur tous les métiers pour les valoriser comme ceux de la gastronomie l'ont été ces dernières années... Plus sérieusement, comment demander à des collégiens de savoir précisément ce qu'ils veulent faire ?

Les membres du groupe du RDSE veilleront à ce que les recommandations du rapport ne restent pas lettre morte. (Applaudissements à gauche)

Mme Marie-Christine Blandin .  - L'orientation est un paradoxe : centrale dans la vie des élèves, elle est abordée avec angoisse par les parents. Le Parlement en parle, comme le ministère. Pourtant elle est laissée pour compte dans la réalité ; les enseignants n'y sont pas formés et les stages en entreprises continuent à reproduire les différences sociales... Interroger le rôle des algorithmes est une urgence : ils peuvent faire le contraire de ce que nous voulons. La pondération des critères est le piège inconnu dans ce labyrinthe. Les algorithmes données par le logiciel Pronote classent, notent, sans les nuances nécessaires. Un futur mésusage est possible : Orwell n'est pas loin si l'on connecte Pronote et Affelnet.

Les acteurs autorisés nous ont surpris par leur réticence à faire entrer dans les enseignements les travaux manuels. Nous sommes loin de la pensée d'Howard Gardner sur l'intelligence collective.

L'année de césure après le bac, que le rapport propose, existe en Suède - la commission de la culture y avait constaté les bénéfices qu'en retiraient les jeunes. En période de tension sur le marché de l'emploi, « se caser » est devenu une injonction sociale. Chaque personne a le droit à une seconde chance. Je le sais bien pour avoir mis en place à Roubaix un lycée de toutes les chances. Il faut du cousu main, du temps de dialogue avec les parents et des professionnels qui doivent être bien choisis. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Agnès Canayer .  - L'enjeu est de taille. Cet excellent rapport le rappelle, l'échec scolaire est massif en France, avec 140 000 jeunes décrocheurs. Insérer les jeunes dans une société en pleine mutation n'est pas aisé. J'ai rencontré des décrocheurs issus de Bléville, un quartier « politique de la ville » du Havre : orientés contre leur gré en comptabilité, ils ont naturellement décroché. L'école devant préparer l'insertion professionnelle, le décloisonnement entre monde enseignant et monde de l'entreprise est indispensable.

L'orientation positive doit se construire avec le jeune et sa famille : le jeune doit découvrir tous les métiers, quelle que soit son origine sociale.

L'entreprise crée l'emploi et l'école forme le salarié de demain. En Seine-Maritime, l'Union des industries et métiers de la métallurgie a développé une formation de deuxième chance pour les décrocheurs. L'orientation professionnelle satisfait ainsi les besoins du bassin local de main-d'oeuvre et les jeunes apprennent un savoir-faire d'excellence.

Des relations plus étroites entre missions locales et école permettraient de régler le problème des pré-décrocheurs. La prévention du décrochage doit en toute hypothèse primer les dispositifs curatifs.

La souplesse, la connaissance réciproque, l'attention aux besoins sont les clefs de la réussite. (Applaudissements à droite)

M. Claude Kern .  - Notre assemblée a toujours fait de la réussite de nos enfants une priorité ; le rapport en témoigne. Nous comptons sur vous, madame la ministre, pour prendre en compte ses recommandations. Outre l'indignité des classements internationaux de la France, l'existence de décrocheurs est insupportable. Notre système génère en outre des inégalités croissantes.

Les douze recommandations de la mission vont dans le sens d'une orientation réussie, et je les soutiens avec force.

Les filières professionnelles et l'apprentissage font malheureusement l'objet d'un dédain généralisé. Pourtant, l'apprentissage, c'est la voie de la réussite, pas la voie de garage réservée aux cancres. L'orientation plus tardive est une absurdité. Frontalier, je connais bien le système dual allemand, à la fois à l'école et dans l'entreprise, et ses contenus définis par les Länder et les partenaires économiques et sociaux. Je sais que nos acteurs économiques aimeraient comme en Allemagne participer à cette formation. Nombreux louent l'excellence de notre formation technique, avant la dernière réforme du lycée. L'initiative du député européen Jean Arthuis en faveur d'un Erasmus de l'apprentissage est à saluer : 145 jeunes apprentis, dont 75 français, préparent leur départ pour l'étranger.

Ayons l'ambition de créer de vrais lycées des métiers. Donner des objectifs en termes d'insertion professionnelle à notre système éducatif, associer les parents d'élèves, intégrer les entreprises, entre autres, sont des propositions que je soutiens.

Le stage en entreprise, monsieur Abate, est très enrichissant pour les enseignants. Une autre formule pourrait être aussi très utile : l'échange des fonctions pour une journée entre le professionnel d'entreprise et l'enseignant. Je souhaite que ce rapport devienne votre livre de chevet, madame la ministre. (Sourires et applaudissements à droite et au centre)

M. Jacques-Bernard Magner .  - Dresser l'inventaire des dispositifs d'orientation, en dresser le bilan et proposer des modifications, tel était l'objectif de cette mission.

L'orientation intéresse tout le monde. Le chômage des jeunes est toujours trop important, en particulier pour les jeunes sans qualification. Une orientation réussie doit conduire chacun à réaliser son potentiel. L'idéal serait que chacun ait la conviction de l'avoir choisie. Il faudra des années pour que les récentes réformes portent leurs fruits.

Le constat est connu depuis le rapport du Haut Conseil de l'éducation de 2008 : l'orientation au collège et au lycée dépend du niveau des élèves en primaire ; elle dépend de leurs résultats dans des disciplines abstraites, s'appuie sur des notes ; l'origine sociale et le niveau de diplôme des parents sont des facteurs déterminants ; une mauvaise orientation est difficile à rattraper.

L'orientation par les algorithmes est un progrès, même si elle ne permet pas de remédier à la rigidité de l'offre.

Des dispositifs de réorientation des classes passerelles devraient être prévus. Mais l'orientation ne doit pas être chargée de tous les maux : elle n'est jamais la seule responsable.

L'offre de formation s'adapte difficilement aux besoins du marché, il faut des années pour créer une formation. On assiste ainsi à des orientations forcées, générant des abandons.

L'orientation a trop tendance à fonctionner en circuit fermé. La proposition de loi de notre collègue Jean-Léonce Dupont adaptant le deuxième cycle universitaire au système LMD a donné lieu à un amendement du groupe socialiste insérant un droit à la poursuite d'études. Après une concertation de très grande qualité, le Gouvernement a donné une réponse à toutes les difficultés par un accord...

M. Jacques Grosperrin.  - Historique !

M. Jacques-Bernard Magner.  - ...entre tous les acteurs concernés.

M. Jean-Léonce Dupont a proposé l'évaluation du dispositif par un organisme indépendant, ce qui est de nature à rassurer tout le monde. Il faut un accompagnement des étudiants de licence pour préparer l'entrée en master. Cela supprimera l'injustice que représentait la sélection clandestine entre première et deuxième année de master.

Les membres de la mission d'information ont fait douze recommandations principales pour une orientation réussie de tous les élèves. Comme eux, compte tenu de la qualité de leurs travaux, je forme le voeu qu'elles ne restent pas lettre morte. (Applaudissements à gauche)

M. Jacques Grosperrin .  - Le rapport porte sur un sujet important s'il en est : l'orientation scolaire. Les classements Pisa pointent régulièrement les mauvais résultats de notre système scolaire, accréditant l'idée de sa décadence. La situation est en fait plus contrastée.

On ne peut cependant ignorer ces résultats. Le Gouvernement actuel n'est pas responsable de tout. Quels remèdes ? Développer l'expérimentation, rompre avec l'uniformisation par l'égalitarisme, recentrer l'école de la République sur ses missions fondamentales que sont la transmission des savoirs et l'insertion sociale et professionnelle : celles-là mêmes que s'assignaient les hussards noirs. L'ascenseur social est aujourd'hui en panne, pis, l'école aggrave les inégalités.

La professionnalisation passe par le renforcement de l'orientation. L'école doit aider les élèves à identifier leurs aptitudes et à les cultiver pour mieux s'insérer professionnellement. Mais elle ne peut pas tout, les parents ont aussi leur rôle.

Je m'interroge sur la suppression du redoublement en troisième, et la scolarité obligatoire jusqu'à 18 ans : pourquoi maintenir à l'école un jeune qui ne s'y plaît plus ?

Le rapport de notre collègue préconise de renforcer la formation des enseignants et de faire en sorte qu'au cours de leur cursus, ils puissent découvrir l'entreprise. Il est également préconisé de renforcer le lien entre le lycée et l'enseignement supérieur.

L'affectation mérite aussi toute notre attention, particulièrement à l'entrée au lycée. Le recours aux algorithmes ne fait pas tout.

J'aurais aimé vous entendre condamner certains agissements à l'école, madame la ministre, la violence n'est pas étrangère à la faible attractivité du métier d'enseignant.

Enfin l'université, face à la massification de l'enseignement supérieur, il faut poursuivre l'autonomisation des universités entamée par l'excellente loi Pécresse, permettre aux établissements de développer des stratégies pour attirer les meilleurs bacheliers et les meilleurs enseignants, de trouver de nouveaux financements, de sélectionner leurs étudiants - ce n'est pas un gros mot. Les filières les plus demandées, au lieu de pratiquer un tirage au sort absurde et illégal, doivent pouvoir imposer des prérequis. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Je veux d'abord saluer la qualité de ce rapport, sur un sujet ô combien important puisqu'il concerne l'avenir de nos enfants et, partant, celui de notre pays. La scolarité a pour horizon l'insertion professionnelle et citoyenne des élèves; ce n'est pas le seul horizon, mais il cristallise l'attente des familles et l'inquiétude des élèves.

Nous abordons cette question de l'orientation avec responsabilité, bien sûr, car l'école a un rôle majeur, mais aussi avec humilité car elle ne peut pas tout. Les parcours d'excellence dans lesquels des étudiants ou des salariés volontaires se font les tuteurs d'élèves en luttant contre l'autocensure, par exemple, jouent un rôle important.

En tant que ministre, je m'appuie sur l'article liminaire du code de l'éducation, qui dispose que « le droit à l'éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle, d'exercer sa citoyenneté ». Cela veut dire, monsieur Abate, que l'orientation n'est pas un tri ; cela signifie aussi qu'il faut sortir de l'alternative stérile entre une école adéquationniste qui aurait pour seul but de pourvoir les besoins du marché, et une école qui dispenserait des savoirs éthérés. L'école doit penser son offre de formation en fonction des perspectives à long terme du monde professionnel. Cinq cents nouvelles formations professionnelles ont d'ailleurs été lancées sur la base des travaux de France Stratégie sur les filières de demain ; mille enseignants les animeront dès la rentrée 2017.

L'orientation ne doit pas être imposée à un carrefour de vie, elle doit être progressive. Penser l'orientation comme un parcours est un véritable changement de paradigme, qui force à mettre la scolarité elle-même en cohérence ; d'où la révision du socle commun et des programmes des neuf ans de cycle obligatoire ; d'où également la réforme du collège, qui insiste sur l'interdisciplinarité, la créativité, l'oral, la collaboration des élèves entre eux, l'apprentissage plus précoce des langues vivantes.

Auparavant, il fallait attendre la troisième pour réfléchir à l'orientation. Depuis 2012 ont été mis en place les parcours avenir, qui offrent aux collégiens, tous les ans, des expériences en monde professionnel : visites d'entreprises, réception d'entrepreneurs, création de mini-entreprises...

M. Jacques Grosperrin.  - Quel est le volume horaire de ce parcours ? C'est de l'incantation.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre.  - Le dispositif est original. Le parcours avenir est conçu comme une ouverture au monde professionnel, en lien avec les contenus disciplinaires. Les conseillers d'orientation-psychologues y participent activement - au passage, je vous confirme la création d'un corps unique de la maternelle au lycée.

Ce choix d'une orientation progressive se manifeste par des mesures concrètes à ces moments charnières que sont le passage en seconde et le passage dans le supérieur. Vous avez raison de dire que l'orientation subie provoque le décrochage. L'enseignement professionnel, disons-le, est souvent perçu à tort comme une voie de relégation. D'où une décision importante, passée inaperçue : pour la première fois cette année, les élèves de seconde professionnelle ont désormais la possibilité jusqu'aux vacances de la Toussaint de changer d'orientation, soit au sein de la filière professionnelle, soit vers l'enseignement général ou technologique.

Deuxième moment charnière : le passage du lycée à l'enseignement supérieur. Admission post-bac (APB) n'est pas un outil d'orientation mais d'expression des voeux. Le projet lui-même s'élabore bien en amont, par la découverte des métiers et des offres d'enseignement supérieur. Dès la première, nous cherchons à renforcer le conseil en orientation.

Mais le fonctionnement de l'outil APB doit être bien compris par les familles, les élèves et les enseignants. L'an passé, nous avons expérimenté dans cinq académies un nouveau dispositif qui, compte tenu de ses résultats, sera généralisé, visant à apporter un accompagnement beaucoup plus étroit aux lycéens dont les choix semblent problématiques. Nous sommes bien sûr tous opposés au tirage au sort. Depuis l'an passé, nous avons d'ailleurs réussi à réduire de 60 % le nombre de filières qui sélectionnent ainsi leurs élèves.

Nous veillons aussi à la cohérence des parcours entre lycée et enseignement supérieur. Les lycéens professionnels sont par exemple les seuls à être formés en alternance ; il est logique qu'ils continuent à être formés sur ce mode, en BTS notamment, où leur taux de réussite est huit à dix fois plus élevé qu'en licence. Des places leur sont désormais ainsi réservées, et nous nous sommes engagés à ouvrir 10 000 places nouvelles en BTS en cinq ans.

Le rapport plaide pour une meilleure répartition des rôles entre les acteurs de l'orientation. Aujourd'hui, l'État définit nationalement la politique d'information et d'orientation, et la met en oeuvre avec l'appui des CIO, de l'Onisep et des Services communs d'information et d'orientation (SCIO). La région, pour sa part, est en charge du service régional de l'orientation tout au long de la vie. Ouvrir à nouveau le chantier du transfert des CIO aux régions serait contre-productif, alors que les inquiétudes suscitées par le désengagement départemental viennent à peine d'être apaisées. L'organisation actuelle favorise d'ailleurs les partenariats entre l'État et les collectivités. Je reconnais cependant que toutes les régions n'ont pas pris en main leurs nouvelles compétences.

Nous associons davantage que par le passé les parents au processus d'orientation. Je comprends bien sûr la demande de transparence des procédures d'affectation, nous y travaillons. Nous avons publié l'algorithme d'APB. S'agissant d'Affelnet, un cadrage national est en cours d'élaboration.

Le principe de co-éducation associant parents et enseignants nous a conduits à faire l'expérience de donner à la famille le dernier mot en matière d'orientation dans 445 établissements scolaires de 20 académies. Lorsque les familles sont associées, l'orientation est mieux préparée ; nous incitons par conséquent d'autres acteurs à rejoindre le dispositif.

Je suis très attachée au lien école-entreprise. Vous l'ignorez peut-être mais j'ai créé des pôles de stages dans chaque bassin d'emplois. Il en existe 330. J'ai en outre décidé d'obliger les futurs chefs d'établissement à effectuer un stage en entreprise, stage que tout autre membre du personnel de l'éducation nationale pourra réaliser.

Il y a de plus en plus, parmi les candidats aux concours d'enseignants, des personnes en reconversion professionnelle. C'est nouveau et évidemment lié au rétablissement de la formation initiale des enseignants réticents jusqu'alors, et on les comprend, à se jeter dans une classe comme une frite dans l'huile bouillante. Cela contribue aussi à resserrer les liens entre l'école et l'entreprise.

Je suis très heureuse de vous avoir entendus évoquer la réforme du master, qui me tient à coeur. L'accord est en effet historique. Le texte sécurise enfin l'accès et les études en master. Les étudiants retenus en M1 pourront désormais poursuivre leurs études en M2 : c'est une formidable avancée.

M. Jacques Grosperrin.  - Cela fait treize ans que nous l'attendons !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre.  - Quatorze ans, même !

Les chiffres du décrochage semblent une fatalité depuis tant d'années qu'on en oublie les bonnes nouvelles : les décrocheurs ne sont plus que 110 000 en flux annuel ; quant au stock, c'est-à-dire au nombre de jeunes de moins de 25 ans qui se retrouvent ainsi sans solution, il n'est plus de 620 000 mais de 492 000.

M. Jacques Grosperrin.  - Ça va mieux !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre.  - Je suis très heureuse qu'un travail aussi considérable ait été accompli par votre Haute Assemblée. Vous montrez ainsi que l'orientation n'est pas seulement l'affaire de l'école, mais de toute la société. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; M. Claude Kern et Mme Françoise Laborde applaudissent aussi)

Prochaine séance aujourd'hui, mercredi 19 octobre 2016, à 14 heures.

La séance est levée à minuit dix.

Jacques Fradkine

Direction des comptes rendus

Ordre du jour du mercredi 19 octobre 2016

Séance publique

À 14 heures

Présidence : Mme Françoise Cartron, vice-présidente

Secrétaires : M. François Fortassin - M. Jean-Pierre Leleux

1. Débat sur les conclusions de la mission d'information sur l'organisation, la place et le financement de l'Islam en France.

À 16 h 15

Présidence : M. Gérard Larcher, président

2. Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur les opérations extérieures de la France, en application de l'article 50-1 de la Constitution.

À 18 h 30

Présidence : Mme Françoise Cartron, vice-présidente Mme Isabelle Debré, vice-présidente

3. Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 20 et 21 octobre 2016.

Le soir

Présidence : Mme Isabelle Debré, vice-présidente

4. Débat sur les conclusions des rapports d'information : « Eau : urgence déclarée » (n° 616, 2015-2016) et sur le bilan de l'application de la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques (n° 807, 2015-2016).

Analyse des scrutins publics

Scrutin n°37 sur l'ensemble du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l'égalité et à la citoyenneté.

Résultat du scrutin

Nombre de votants :346

Suffrages exprimés :323

Pour :177

Contre :146

Le Sénat a adopté

Analyse par groupes politiques

Groupe Les Républicains (144)

Pour : 132

Contre : 4 - MM. Serge Dassault, Francis Delattre, Jacques Genest, Daniel Laurent

Abstentions : 6 - MM. François Bonhomme, Mathieu Darnaud, Claude Malhuret, Cédric Perrin, Hugues Portelli, Bernard Saugey

N'ont pas pris part au vote : 2 - M. Gérard Larcher, Président du Sénat, M. Michel Bouvard

Groupe socialiste et républicain (109)

Pour : 1 - M. Jacques Cornano

Contre : 108

Groupe UDI-UC (42)

Pour : 40

Abstentions : 2 - M. Olivier Cigolotti, Mme Catherine Morin-Desailly

Groupe communiste républicain et citoyen (20)

Contre : 20

Groupe du RDSE (17)

Pour : 3 - MM. Michel Amiel, Philippe Esnol, Jean-Noël Guérini

Contre : 4 - MM. Alain Bertrand, Joseph Castelli, Pierre-Yves Collombat, Mme Hermeline Malherbe

Abstentions : 10

Groupe écologiste (10)

Contre : 10

Sénateurs non inscrits (6)

Pour : 1 - M. Alex Türk

Abstentions : 5