Crédit immobilier français

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution, présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution, visant à protéger le système du crédit immobilier français dans le cadre des négociations de Bâle.

Discussion générale

M. Didier Guillaume, auteur de la proposition de résolution .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain) Je m'élève, en mon nom personnel et au nom du groupe socialiste, contre les exactions commises envers les forces de l'ordre cet après-midi. Leurs auteurs doivent être condamnés. Nous apportons notre soutien aux forces de police. (Applaudissements)

Il y a huit ans, éclatait aux États-Unis la crise des subprimes, entraînant la crise des dettes souveraines en Europe. Nous en sortons à peine mais, déjà, des risques pèsent sur notre économie. Leur source se trouve dans les travaux du Comité de Bâle, créé en 1974 par les banques centrales elles-mêmes afin de veiller à la solidité du système financier. L'objectif est louable et le Comité a adopté des règles prudentielles utiles après 2008 avec l'accord de Bâle III. Leur révision nous inquiète.

Le projet du Comité remettrait en question le modèle français du crédit immobilier. Tout crédit présente un risque, mais la France en fait porter une partie sur les banques avec l'analyse de la solvabilité de l'emprunteur et le recours majoritaire au taux fixe. Le Comité de Bâle voudrait imposer des taux variables comme l'hypothèque au lieu du cautionnement. Ces dispositions sont inacceptables.

Ces mesures techniques et technocratiques témoignent d'une grande méconnaissance de la réalité française - 80 % des crédits aux particuliers en France le sont à l'habitat, il y a moins de 1 % d'impayés - et menacent tant les plus modestes de nos concitoyens que l'équilibre du financement du logement et le secteur de l'immobilier.

Nous ne pouvons l'accepter et contrer la menace pendant qu'il est encore temps. La France agit pour que les banques soient au service de l'économie réelle, l'Europe aussi ; la régulation est en effet indispensable. Mais le Comité de Bâle fait fausse route, réglementer n'est pas standardiser. Notre modèle de crédit est équilibré, il permet d'acheter, de transmettre un patrimoine ; les banquiers de Bâle doivent prendre en compte cette spécificité. Ils veulent la stabilité ? Pourquoi renier un modèle stable ?

Quelle place pour la politique face à des institutions non élues ? Le Comité de Bâle n'a aucune légitimité populaire, ne dispose d'aucun espace démocratique mais il nous imposerait ses décisions, lui qui est aussi opaque que le sont les négociations sur le traité transatlantique. Or l'opacité alimente la défiance des citoyens envers les institutions. Ils attendent que nous les défendions : si nous ne lançons pas l'alerte, personne ne pourra s'opposer aux décisions du Comité.

Nous vous savons très mobilisé, monsieur le ministre, avec ce texte nous voulons vous aider. Le huis clos technocratique ne doit pas prendre le dessus sur l'assemblée démocratique : nous proposons de donner mandat au Gouvernement et à la Banque de France de défendre notre modèle de crédit. La crise des subprimes n'est pas venue d'Europe, ne nous laissons pas imposer des règles qui ont conduit l'économie mondiale dans le mur. L'enjeu n'est pas qu'économique. Avec cette proposition de résolution, nous affirmons que la régulation financière est un sujet politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. André Gattolin .  - Le Comité de Bâle a vu son rôle s'accroître avec la crise des subprimes et les accords de Bâle III ont renforcé les contraintes prudentielles des établissements financiers. Il s'apprêterait à resserrer encore les contraintes de fonds propres, ce qui affecterait les banques françaises dont les prêts sont très majoritairement à taux fixe. Cette proposition de résolution relaie cette inquiétude, celle du lobby bancaire comme du BTP ; M. Guillaume vient d'en dire les arguments.

S'il avait prévalu aux États-Unis en 2007, le modèle français aurait évité la crise des subprimes et ses désastreuses conséquences ; mais refuser toute nouvelle exigence en termes de fonds propres est plus discutable. Les banques disposent de plus de 858 millions d'euros d'encours de crédits immobiliers, elles se livrent à une guerre des taux et se rattrapent sur le coût de l'assurance et les frais courants. Elles pourraient augmenter légèrement leurs taux et baisser dans le même temps les coûts annexes, ce qui serait neutre pour l'emprunteur. Mais le problème est ailleurs - la rentabilité et le cours boursier sur lequel sont indexées les stock-options... Elles pourraient accroître leur capital à condition de distribuer moins de dividendes, qui atteignent 173 % de la mise en réserve. Notre économie pâtit de ces choix d'affectation.

Nous ne souscrivons pas au raisonnement de cette proposition de résolution. Les banques françaises sont promptes à lancer l'alerte, comme nous l'a dit le gouverneur de la Banque de France. Cependant, parce que le groupe écologiste veut préserver notre système de crédit immobilier, il s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Pierre-Yves Collombat .  - Sans être ému comme les auteurs de cette proposition par un taux de croissance de 1,2 % que rien ne garantit, ni par la réponse européenne à une crise venue des États-Unis mais rendue européenne par un système financier gorgé de créances douteuses et un mode de construction de l'euro qui n'est pas viable, je les félicite de leur clairvoyance. Car le danger est réel.

Le groupe RDSE unanime approuve sans réserve cette résolution et tous ses détails pourvu qu'on ne se couche pas au prétexte, comme le disait une grande humaniste qui a fait depuis beaucoup d'adeptes, qu'il n'y a pas d'alternative possible. J'y suis donc favorable.

Mais quand même... Que signifie cette alerte ? Que les leçons n'ont pas été tirées de la crise par les gardiens du système financier. Les remèdes pour prévenir de futures crises sont pires que le mal... On n'a pas sauvé la Grèce, on a sauvé les banques françaises et allemandes en Grèce ; on a appelé les épargnants à la rescousse des banques sans interdire la spéculation aux banques... Pénaliser les prêts à taux fixe au profit des prêts à taux variable, c'est déplacer le risque des banques vers les particuliers ; préférer l'hypothèque au cautionnement, c'est inciter à la titrisation, aux produits dérivés, à la spéculation. Et comme par hasard, la Commission européenne et la BCE veulent relancer la titrisation - sans risque, évidemment. Ils sont irrécupérables...À se demander si Viviane Forester n'a pas raison, qui écrit : le système se nourrit des catastrophes qu'il crée... (Applaudissements)

M. Francis Delattre .  - Je partage l'objectif de pérenniser notre modèle de financement de l'immobilier, qui a montré sa résilience pendant la crise. Cet objectif doit toutefois être concilié avec la nécessité de finaliser le nouveau cadre réglementaire, dont les accords de Bâle III sont un jalon essentiel.

Nos concitoyens s'inquiètent ; en France, le risque de taux est supporté par les banques, non par les ménages. Mais notre attachement au modèle français ne doit pas faire sous-estimer le risque pour les banques ; la mauvaise gestion du risque par les caisses d'épargne aux États-Unis a coûté 120 milliards de dollars aux contribuables américains dans les années 1980...

Le Comité de Bâle souhaite améliorer la convergence d'appréciation du risque de taux. D'après nos informations, il n'y aura pas de nouvelles charges en fonds propres imposées aux banques européennes, c'est positif. Il reviendra au superviseur européen d'apprécier ce qu'il en est pour les banques françaises. Je suis confiant même s'il faudra rester vigilant. Le travail de régulation a été fait en France.

Quant au risque de crédit, les banques ont le choix entre l'approche standard et leur modèle interne. Je souhaite qu'elles puissent continuer à suivre cette deuxième voie, qui concerne 85 % des crédits immobiliers français et a fait ses preuves. Reste à harmoniser les critères entre banques. Enfin, le cautionnement doit être reconnu par le comité de Bâle : qu'en est-il, monsieur le ministre ?

Pourquoi les hypothèques sont-elles si chères en France ? Nous nous privons là d'un outil utile.

Il est possible de concilier stabilité financière et pérennité de notre modèle : nous serons particulièrement vigilants sur les négociations en cours. (Applaudissements)

M. Michel Canevet .  - Je m'élève à mon tour contre les exactions envers les forces de l'ordre, je souhaite que leurs auteurs soient retrouvés et arrêtés.

Je remercie le groupe socialiste d'avoir pris l'initiative de ce débat, qui pose la question du logement dans notre pays : en 2012, le candidat Hollande promettait 500 000 logements nouveaux par an, nous étions l'an dernier à 380 000, nous sommes loin des promesses et des besoins de nos concitoyens. Les maires et les présidents d'EPCI qui siègent dans cet hémicycle savent que les listes d'attente s'allongent...

Le comité de Bâle, depuis quarante ans, a eu un rôle positif face à des crises importantes ; grâce à lui, nous avons des règles prudentielles, indispensables à la confiance dans notre système bancaire. Je veux rassurer M. Guillaume : Bâle ne fait que définir des normes, à chaque pays de les traduire dans sa législation.

De plus, le gouverneur de la Banque de France nous a dit en commission des finances que la priorité était d'achever Bâle III plutôt que de décider d'un Bâle IV.

Les dispositions en cours de discussion peuvent inquiéter, car la France est très attachée à la propriété individuelle - 57 % des Français sont propriétaires, 68 % sur mon territoire. La moyenne nationale est malheureusement en baisse. Sur les presque 1 000 milliards d'encours, la majeure partie va à des clients déjà propriétaires - les nouveaux accédants représentant 16,6 % du volume. Le taux fixe est protecteur : 85 % des crédits à long terme sont à taux fixe - l'expérience des emprunts toxiques dans les collectivités territoriales nous rappelle la dangerosité des taux variables.

M. Charles Revet.  - Exactement !

M. Michel Canevet.  - Nous devons préserver notre modèle, c'est celui qui sécurise le plus les emprunteurs. Le groupe UDI-UC votera cette proposition de résolution. (Applaudissements)

M. Thierry Foucaud .  - En 2012, le secteur du crédit immobilier a connu des moments difficiles dans notre pays ; un plan de résolution a été mis en place au Crédit Immobilier de France (CIF). Depuis, le personnel a payé la facture et les prêts gérés par le CIF ont été placés, sous le contrôle des SACICAP (sociétés anonymes coopératives d'intérêt collectif pour l'accession à la propriété), dans une structure d'extinction. Malgré le nombre très réduit de défauts de paiement, certaines de ces sociétés ont été dans l'incapacité de majorer leurs fonds propres. Le modèle économique du crédit immobilier en France risque d'être confronté aux décisions du Comité de Bâle.

Cette norme de Bâle III, qui n'a pas été adoptée aux États-Unis, impose une part de fonds propres équivalant à 4,5 % du total du bilan plus un matelas de sécurité de 2,5 %, et des engagements limités à trente fois les fonds propres. Ces exigences sont évidemment en forte contradiction avec le modèle de distribution de prêts des SACICAP... Dans ces conditions, l'établissement qui a une activité de dépôt renchérit ses services et accroît la sélectivité de sa politique de prêts, ou accroît le rendement des prêts en les indexant par exemple sur l'inflation - on connaît le danger.

Nous comprenons bien l'intérêt de cette proposition de résolution, surtout au moment où les accédants à la propriété subissent le regroupement des moyens publics dans le giron d'Action Logement. N'ayons pas peur des mots : ils risquent fort d'être sacrifiés sur l'autel de la régulation budgétaire.

Le groupe CRC votera cette proposition de résolution, vous pouvez compter sur notre vigilance. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et communiste républicain et citoyen)

M. Richard Yung .  - À Bâle, le Gouvernement ne siège pas, la France est représentée par la Banque de France et l'Autorité de régulation prudentielle. Ce sont ces institutions que nous voulons aider dans la négociation de Bâle III. La France manque aujourd'hui d'alliés face à l'offensive des États-Unis et l'Europe est trop dispersée.

D'autres débats se posent, celui des ratios de fonds propres notamment. Les États-Unis appliquent des ratios plus élevés mais seulement à leurs sept ou huit banques systémiques quand nos banques sont universelles. Et ils appliquent les critères de Bâle quand ça les arrange...

M. François Marc.  - Exactement !

M. Richard Yung.  - Et personne n'y peut rien, la gouvernance est floue : tantôt c'est le Comité de Bâle, tantôt c'est le G20. Faisons donc valoir nos arguments, nous devons tenir bon et ferme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Jean-Claude Lenoir .  - La crise économique a pris naissance dans le système de financement du logement aux États-Unis - et il n'est nulle raison que nous le préférions au nôtre, qui fonctionne très bien, grâce aux conditions du crédit : taux fixe, cautionnement, corrélation à la solvabilité de l'emprunteur plutôt qu'à la valeur du bien.

Les menaces sont considérables. Le Comité de Bâle s'oriente vers des choix opposés : taux variable, valeur du bien plutôt que solvabilité, hypothèque plutôt que cautionnement. Nous vous demandons, monsieur le ministre, de porter notre parole auprès de la Banque de France, pour défendre notre système de crédit immobilier, défendre notre spécificité. Des secteurs entiers s'inquiètent à raison.

Cette semaine, nous avons examiné deux textes d'origine parlementaire, utiles au pays : hier sur l'enfouissement des déchets nucléaires, aujourd'hui sur le crédit immobilier - je le souligne pour ceux qui douteraient encore de l'utilité des propositions de loi : c'est l'honneur du Sénat de se retrouver sur des textes importants pour nos concitoyens, pour notre système de financement, pour tous ceux qui participent à la construction de logements. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Daniel Raoul .  - En relisant attentivement la littérature autour du Comité de Bâle, je n'ai pu m'empêcher de me rappeler les propos d'un ancien candidat à l'élection présidentielle, chantre de la rupture, et qui appelait en particulier à rompre avec notre modèle de crédit immobilier pour adopter celui, anglo-saxon, de l'hypothèque. C'était en septembre 2006, à la veille de la crise des subprimes. Aujourd'hui encore, des millions d'Américains sont grevés de dette ou dorment dehors.

Notre modèle a résisté à la crise quand nos grands voisins, l'Allemagne, l'Espagne ou encore l'Italie, connaissaient une contraction du crédit. D'après une étude de mars 2015, notre taux d'impayés demeure particulièrement bas : il est inférieur à 2 %, grâce aux règles prudentielles, au taux fixe - qui protège l'emprunteur sans l'empêcher de renégocier son prêt en cas de baisse des taux - et à un système de cautionnement efficace et relativement peu coûteux. L'an dernier, les crédits immobiliers ont progressé en France de 4,1 %.

Pour répondre au défi de l'accession sociale à la propriété, mieux vaut solvabiliser la demande que de recourir à l'hypothèse. C'est ce que nous avons fait avec le prêt à taux zéro (PTZ), considérablement élargi l'an dernier puisqu'il peut désormais couvrir 40 % du prix d'acquisition dans le neuf. Les plafonds de revenus ont également été rehaussés, et les emprunteurs peuvent commencer à rembourser après cinq, dix, voire vingt ans.

Le groupe socialiste soutient donc vigoureusement cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Marie-Noëlle Lienemann .  - Cette proposition de résolution est largement approuvée dans cette assemblée. J'aimerais rassurer mes collègues écologistes : non, nous ne cherchons pas à soutenir le lobby bancaire, mais à maintenir l'accès au crédit du plus grand nombre. Si des obstacles étaient érigés sur la voie de l'accession à la propriété, ce sont nos concitoyens qui en pâtiraient, à commencer par les plus modestes.

Je défends donc les taux fixes, qui font porter le risque sur les banques plutôt que sur les emprunteurs, et je préfère la caution à l'hypothèque. M. Raoul a été gentil : M. Sarkozy allait jusqu'à proposer la catastrophique hypothèque rechargeable.

M. Jean-Claude Lenoir.  - On s'éloigne du sujet ! Le Sénat est devenu une tribune électorale.

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Certes, l'accession sociale à la propriété a connu un trou d'air. Mais les mesures prises récemment, PTZ ou amélioration de la quotité, ont déjà redressé la barre. L'accession sociale répond aux aspirations des Français tout en favorisant la mixité sociale et la sortie de certains locataires du parc HLM, attention à ne pas la freiner. Je ne doute pas que le Gouvernement relaiera nos préoccupations auprès de la Banque de France et de l'ACPR, qui siègent à Bâle. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget .  - Cette proposition de résolution, déposée en avril dernier, souligne à juste titre les atouts du modèle français du crédit immobilier. Il ne serait pas acceptable qu'il soit remis en cause par le Comité de Bâle à cause d'un calibrage inadapté.

Les caractéristiques de notre modèle, souvent mal comprises à l'étranger, lui valent sa robustesse. L'an dernier, notre taux d'impayés était le plus faible d'Europe, cinq fois plus faible qu'en Allemagne et quinze fois plus faible qu'au Royaume-Uni, en Espagne ou en Italie.

Les travaux sont en cours au Comité de Bâle, qui publie des documents destinés à la consultation publique - je le dis à ceux qui parlaient d'opacité. Les parties ont ainsi pu réagir. Il s'agit bien d'assurer la stabilité financière en améliorant la mesure du risque, et non de freiner ou d'interdire des pratiques telles que le taux fixe ou le cautionnement. Ces travaux devraient aboutir fin 2016. Nous souhaitons que le calibrage final soit ajusté en fonction des résultats de toutes les études d'impact, quantitatives comme qualitatives. Lors de la transposition des nouvelles règles en droit européen, le Gouvernement sera attentif à ce que les spécificités françaises soient prises en compte. De même, nous veillerons à ce que l'impact sur les banques françaises des normes relatives aux fonds propres soit maîtrisé, conformément aux conclusions des ministres des finances du G20.

Soyez assurés que le Gouvernement usera de tout son poids pour que vos préoccupations, tant économiques que sociales, soient prises en compte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et au centre)

M. le président.  - La Conférence des présidents a décidé que les interventions en discussion générale vaudraient explications de vote.

La proposition de résolution est adoptée.