Contrôles d'identité abusifs

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à lutter contre les contrôles d'identité abusifs.

Discussion générale

Mme Éliane Assassi, auteure de la proposition de loi .  - D'abord, merci au rapporteur bien que je ne partage pas ses conclusions, et regrette qu'il n'ait pas auditionné les associations des droits de l'homme.

Depuis le rapport « Vivre ensemble » d'Olivier Guichard de 1976 jusqu'à celui de l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) en 2007, on n'a cessé de déplorer l'écart grandissant entre police et population. Malgré le manque de données, de nombreuses publications ont établi la réalité des contrôles au faciès, inefficaces et humiliants. Le collectif « Stop le contrôle au faciès » a rapporté cinq ans de contrôles d'identité abusifs. Je salue leur combat car ces abus sont une réalité incontestable. En moyenne, selon une étude du CNRS et de l'Open Society Justice Initiative, une personne noire a six fois plus de chance d'être contrôlée qu'une personne blanche, une personne « arabe » huit fois plus.

La cour d'appel de Paris a d'ailleurs condamné l'État pour discrimination le 24 juin 2015. Sans mettre en cause un usage ciblé et approprié des contrôles, notre objectif est de rétablir une relation de confiance entre la police et la jeunesse - pour qui la rencontre des policiers est, avec l'école, le premier contact avec la République. Beaucoup de policiers sont d'ailleurs favorables à une réécriture de l'article 72-8 du code de procédure pénale et à l'expérimentation du récépissé.

Aujourd'hui même, les policiers manifestent, et nous comprenons leur exaspération. (Exclamations au centre) Surmenés, ils ne comprennent plus le sens de leur mission, et en souffrent les premiers. Aux gardiens de la paix, on a substitué les forces de l'ordre : glissement sémantique révélateur d'une désincarnation et d'une instrumentalisation politique. Lisez La Force de l'ordre de Didier Fassin, il révèle le désoeuvrement et l'ennui des policiers, la pression de la politique du chiffre, les formes invisibles de violence et de discrimination, et en définitive la réalité de leur mission : protéger un certain ordre social plutôt que la sécurité des populations.

Modifier l'article 72-8 du code de procédure pénale, rendre applicable en cas de contrôle d'identité l'article 225-1 du code pénal sur les discriminations et lancer une expérimentation au titre de l'article 37-1 de la Constitution sur la délivrance d'un récépissé, voilà ce que nous proposons. Il faudra également améliorer la formation des agents. Le rapporteur a balayé ces propositions par des arguments techniques sans chercher à les améliorer. Or le juridique sert le politique pas l'inverse...

Dire que notre proposition de loi supprime toute possibilité de procéder à des contrôles est de pure mauvaise foi. Mais cela ne m'étonne pas, car nous sommes bien entrés dans l'ère du soupçon, et le gouvernement actuel poursuit la politique sécuritaire de M. Sarkozy... Aurions-nous mal lu l'engagement n° 30 du candidat Hollande ? Il était pourtant clair : « Je lutterai contre le délit de faciès dans les contrôles d'identité par une procédure respectueuse des citoyens »...

Cette initiative, tôt ou tard, aboutira. Là où la société civile lève l'omerta, les politiques faiblissent. Un mouvement est lancé ; il est encore temps, chers collègues, de le rejoindre. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen ; Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit aussi)

M. Alain Marc, rapporteur de la commission des lois .  - Ce texte déstabiliserait fortement le cadre des contrôles d'identité, plus que jamais nécessaires, et créerait une forte insécurité juridique pour les agents, je vous proposerai donc de le rejeter.

Mais revenons d'abord sur le droit actuel. Toute personne présente sur le territoire national peut se voir demander par un agent des forces de l'ordre de justifier de son identité, soit dans le cadre de la police judiciaire - pour rechercher les auteurs d'infractions ou empêcher leur commission imminente - ou administrative - pour prévenir une atteinte à l'ordre public. Le cadre des contrôles d'identité, s'il est complexe, est stable. Dans les deux cas, les contrôles doivent être motivés par des éléments concrets et rattachés à la personne.

Deux autres procédures existent : les contrôles systématiques sur réquisition du procureur de la République, dans un lieu et pour une durée déterminés par lui, et les contrôles dits Schengen. En complément, les véhicules et, depuis la loi du 22 mars 2016, les bagages peuvent être contrôlés également.

Tous ces contrôles doivent être réalisés par un officier de police judiciaire (OPJ) ou un OPJ adjoint, ils sont placés sous le contrôle du procureur de la République, le contentieux relevant du juge judiciaire. Le régime est aujourd'hui stabilisée, la Cour de cassation exigeant des motivations précises et non abstraites : qu'une personne s'éloigne d'un groupe ne suffit pas, par exemple, il faut qu'elle change de direction à l'arrivée de la police.

Cette proposition de loi remplace, comme critères des contrôles d'identité dans le cadre de la police judiciaire, les « raisons plausibles de soupçonner » que la personne a commis ou tenté de commettre une infraction, etc., par des « raisons objectives et individualisées ». Il faudrait donc l'avoir identifiée avant... Le texte supprime en outre les fondements légaux de tous les autres types de contrôle d'identité, ce qui priverait les forces de l'ordre de moyens indispensables pour prévenir les infractions et aurait des conséquences catastrophiques sur la lutte contre l'immigration clandestine.

Quant au récépissé, il y a d'autres moyens d'éviter les discriminations, comme le confirme le Défenseur des droits : le port d'un matricule sur l'uniforme depuis 2014, la plateforme de signalement auprès des inspections, les caméras mobiles... D'ailleurs, 239 faits seulement ont été signalés à l'inspection générale de la police nationale en 2014 et 2015 sur des millions de contrôle, et l'association « Stop le contrôle au faciès » elle-même ne signale que 400 faits par an...

Mme Éliane Assassi.  - Allons, c'est une petite association !

M. Alain Marc, rapporteur.  - Ce texte alimenterait, enfin, une défiance injustifiée à l'égard des forces de l'ordre, bras armé de la démocratie, qui méritent de pouvoir travailler efficacement au service de nos institutions et de nos libertés. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État auprès de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargée de la formation professionnelle et de l'apprentissage .  - Le sujet est délicat, il faut le traiter avec rigueur.

Saluons les femmes et les hommes de nos forces de l'ordre, qui protègent les Français de la délinquance et de la criminalité et garantissent l'exercice de nos libertés, au péril parfois de leur vie : l'an dernier, plus de 18 000 policiers et gendarmes ont été blessés, 8 ont trouvé la mort dans l'exercice de leurs fonctions. Ils méritent tout notre respect. Parce qu'ils exercent des prérogatives de puissance publique, policiers et gendarmes se doivent aussi d'être exemplaires, et sont d'ailleurs soumis à un triple contrôle, hiérarchique, juridictionnel, et de la part d'autorités indépendantes. Nul écart n'est toléré. Comme le dit le ministre de l'intérieur, le droit s'applique aussi à ceux qui ont pour mission de le faire respecter : c'est cela, l'état de droit.

On ne saurait cependant accuser les forces de l'ordre de tout.

Mme Éliane Assassi.  - Qui les accuse ?

Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État.  - Policiers et gendarmes, qui font preuve d'un dévouement exemplaire, ont besoin de notre soutien en cette période.

Mme Éliane Assassi.  - Ils l'ont ! Parlez-nous plutôt du texte !

Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État.  - Cette proposition de loi paraît au Gouvernement inutile, voire dangereuse. La réécriture proposée du premier alinéa de l'article 78-2 n'apporterait aucune garantie supplémentaire : un contrôle doit déjà être motivé par des éléments objectifs et individualisés, dont il est fait état dans le procès-verbal d'interpellation. En revanche, on ne saurait prétendre à la certitude : en cas de délit flagrant, la mission des forces de l'ordre est d'interpeller son auteur et non de contrôler son identité...

Pis, la rédaction proposée serait dangereuse, car elle supprimerait le mot « soupçon » choisi en 2002, en référence à l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme, pour rappeler que la présomption d'innocence s'applique. La nouvelle terminologie, sans équivalent ailleurs dans le code ou dans le droit européen, serait source d'insécurité juridique.

Ensuite, ce texte supprimerait plusieurs cas de contrôles, ce qui serait dangereux en ces temps de menace terroriste. D'abord ceux sur réquisition du parquet, c'est-à-dire sous le contrôle de l'autorité judiciaire. Ensuite, les contrôles destinés à prévenir une atteinte à l'ordre public, par exemple lors de manifestations ou aux abords des stades. Enfin, les contrôles Schengen dont nous avons besoin dans la lutte contre les passeurs, les trafiquants de tout poil et les réseaux terroristes.

Quant au récépissé, le Gouvernement en comprend et respecte la logique, mais cette procédure rare à l'étranger serait bureaucratique et compliquerait excessivement le travail des forces de l'ordre. Ce n'est d'ailleurs pas le moyen le plus efficace de prévenir le risque de contrôles discriminatoires. Depuis 2012, le Gouvernement a beaucoup fait pour rapprocher les forces de l'ordre et la population et tenir l'engagement du président de la République. Un code déontologique commun à la police et à la gendarmerie est entré en vigueur en janvier 2014 ; les contrôles d'identité sont strictement encadrés ainsi que les palpations de sécurité. (Mme Esther Benbassa le conteste) Les formations avec mise en situation ont été développées dès l'école de police, sans parler de la plateforme de signalement ouverte en 2013, du port du matricule sur l'uniforme depuis 2014, ou des caméras mobiles dont l'utilisation est encadrée par l'article 32 du projet de loi de lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme.

Je pense également au renforcement de la fonction de délégué pour la cohésion entre la police et la population (DCPP), au recrutement de réservistes pour constituer des relais entre les forces de l'ordre et les habitants, commerçants et associations. Dans les zones de sécurité prioritaires (ZSP), des stratégies de préventions adaptées au contexte sont élaborées, en concertation avec les acteurs locaux. Les forces de l'ordre vont ainsi à la rencontre de la population, expliquant leurs objectifs tout en prenant la mesure des problématiques de chaque quartier. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Jacques Bigot .  - Les abus existent, on ne peut les nier. L'État a été condamné : les cinq arrêts de la Cour d'appel de Paris - dossiers actuellement en cassation - sont éloquents. Le ministère de l'intérieur s'est d'ailleurs saisi de cette question en 2014 après le rapport fourni du Défenseur des droits. Le nouveau code de déontologie, qui fait partie du code de la sécurité intérieure, est fondamental ; son article R 434-14 rappelle que les policiers font preuve de courtoisie et usent du vouvoiement, son article R 434-16 que le contrôle d'identité ne doit pas se fonder sur une caractéristique physique à moins d'un signalement. En cas de non-respect de ses dispositions, l'article R 434-27 prévoit des sanctions disciplinaires. Qu'elles s'appliquent, ce sera plus efficace. Des formations sont dispensées, où le Défenseur des droits intervient.

Ensuite, depuis l'arrêté du 24 décembre 2013, le matricule est porté sur l'uniforme, bientôt viendront les caméras mobiles - je regrette qu'elles ne puissent être déclenchées à l'initiative des personnes contrôlées, mais cela viendra ! (Mme Esther Benbassa ironise) La plateforme de signalement renforcera aussi le respect des règles.

Changer la rédaction de l'article 78-2 du code de procédure pénale exposerait à des contentieux, alors que la jurisprudence s'est stabilisée sur la notion de « raison plausible ». Comment exiger une raison individualisée avant de connaître l'identité de la personne ? Plus incompréhensible encore, la proposition de loi supprime les contrôles d'identité sur réquisition du parquet, pour prévenir une atteinte à l'ordre public ou dans les zones frontalières, empêchant ainsi la protection de la société.

Sur le récépissé, le rapport du Défenseur des droits de 2014 était très complet. Il en existe plusieurs variantes, de la carte de visite façon VRP (Exclamations sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen) jusqu'à l'attestation nominative indiquant les motifs du contrôle et enregistrée - on imagine les problèmes organisationnels... Le récépissé n'a pas fait reculer les discriminations aux États-Unis. Passons plutôt par la formation, par les élus dont le Défenseur des droits soulignait le rôle. À nous de faire remonter l'information, de convaincre la police que les abus localisés doivent cesser pour que règne la confiance.

C'est pourquoi le groupe socialiste ne votera pas votre proposition en l'état. Il convient de conserver une police républicaine et une gendarmerie au service des droits de nos concitoyens.

L'éthique et la déontologie sont des vertus dans lesquelles nous pouvons croire. Point n'est besoin de ce formalisme excessif qui laisse entendre que les policiers se livrent à des abus et qui risque de créer de la confusion. (Mme Cécile Cukierman proteste)

Mme Esther Benbassa .  - L'objet de cette proposition de loi me tient particulièrement à coeur : j'ai d'ailleurs déposé un texte similaire peu de temps après mon élection, dès le 6 novembre 2011. Je vous invite à lire l'enquête de terrain des sociologues Fabien Jobard et René Lévy publiée chez CNRS Éditions, menée à partir de leurs observations à la gare du Nord et à la station Châtelet-Les Halles. Ils montrent que les contrôles se fondent principalement sur l'apparence et que les personnes perçues comme « Noires » - j'insiste sur ces guillemets - ont entre trois et onze fois plus de risque d'être contrôlées que les personnes perçues comme « Blanches » et les personnes perçues comme « Arabes » sept fois plus. L'habillement est un autre facteur discriminant. Les contrôles visent en priorité les vêtements associés à différentes cultures dites « jeunes ». (Exclamations à droite) Les jeunes forment 10 % de la population mais 47 % des personnes contrôlées. Or deux tiers des individus habillés en style « jeune » appartiennent aux minorités dites visibles.

Il est assurément devenu indispensable de clarifier le régime juridique du contrôle d'identité.

Seul un récépissé me semble de nature à freiner l'inflation des contrôles. Le candidat Hollande avait fait de la lutte contre le délit de faciès un axe important de sa campagne. (M. François Bonhomme s'exclame) C'était son engagement n°30. Le Défenseur des droits et les associations de défense des droits de l'homme plaidaient également dans ce sens. Mais la déchéance de nationalité est passée par là... Et l'on a préféré autoriser l'utilisation de caméras piétons... actionnées, ou non, par les policiers, de leur propre initiative !

Cessons de sataniser la police et reconnaissons son mérite en ces temps troubles. Le comité des droits de l'homme de l'ONU n'en a pas moins dénoncé l'usage excessif de la force par la police.

Laissez-moi vous citer le témoignage d'Issa, un jeune Parisien de 14 ans, d'origine capverdienne, qui dénonce les multiples contrôles d'identité, qu'il a dû subir, dans une même journée, simplement pour s'être baladé aux Halles avec son ami Alex : « je suis grand pour mon âge, je me fais trop souvent contrôler, je voulais juste savoir, pourquoi on est contrôlé ? Et... ça va s'arrêter quand ? »

Oui, bonne question : « ça va s'arrêter quand ? » (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

M. Pierre-Yves Collombat .  - Les contrôles au faciès sont une réalité, fâcheuse pour un pays qui refuse en principe toute discrimination.

Cette proposition de loi part donc d'une bonne intention, mais elle revient à interdire les contrôles préventifs. Pour moi, le problème ne tient pas à l'existence des contrôles, mais à leurs modalités. Obliger les agents à mentionner expressément toutes les caractéristiques, les raisons du contrôle, ses conséquences, justifications, etc. ainsi que l'exige cette proposition de loi, découragerait par avance tout fonctionnaire de police, si zélé fût-il, d'y procéder à titre préventif.

Le récépissé serait pour certains la panacée ; j'en doute. Les études montrent que le récépissé ferait baisser le nombre de contrôles au faciès, mais n'est-ce pas un effet des études elles-mêmes ? Je reste dubitatif...

Ce texte va trop loin et mieux vaudrait améliorer les méthodes de recrutement des policiers, rendre les recours plus efficaces et, par exemple, prévoir d'afficher clairement le matricule de chaque agent sur son uniforme.

Bref, il y a un vrai problème, mais la solution proposée n'est pas la bonne. Les membres du RDSE s'abstiendront, pour marquer leur accord avec les objectifs des auteurs du texte ou voteront contre, pour insister sur son caractère impraticable : une solution d'équilibre, donc, conformément à l'habitude de notre groupe. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE ; sourires sur divers bancs)

M. Yves Détraigne .  - Cette proposition de loi, intéressante dans son principe, manque de réalisme, et risque de créer plus de problèmes qu'elle n'en résoudrait.

Le régime des contrôles est stabilisé. Pourquoi supprimer les fondements légaux des contrôles sur réquisition, de police administrative et des contrôles en zone frontalière - dits Schengen ?

Le récépissé, quant à lui, alourdirait la procédure et aurait un coût non négligeable.

Réduisons plutôt les formalités administratives des agents. Le Défenseur des droits a de plus relevé qu'un tel document ne prouverait en rien le caractère discriminatoire d'un contrôle.

Matricule apparent et caméras piétons, désormais généralisés, sont plus efficaces pour calmer les esprits et éviter l'escalade.

La formation initiale et continue des policiers et des gendarmes, comme les principes du nouveau code déontologique commun, a été renforcée : c'est la voie à privilégier.

Accréditer l'idée que la police privilégie les contrôles au faciès serait une provocation, en ce jour de manifestation contre « la haine anti-flics ». Nous ne voterons pas ce texte. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Laurence Cohen .  - Si j'ai bien entendu, l'on nous taxe de laxistes, au pire d'irresponsables, au mieux d'utopistes...

M. Philippe Bas, président de la commission des lois.  - Oui.

Mme Laurence Cohen.  - L'on nous accuse de remettre en cause le travail de la police... Mais dans quelle démocratie vivons-nous si déposer un texte améliorant les contrôles de police devient à ce point impossible ?

De nombreux chercheurs ont révélé la réalité des contrôles ; comme beaucoup d'entre nous, je n'ai jamais été contrôlée. Ce sont essentiellement les jeunes hommes originaires de l'immigration et arborant une tenue vestimentaire urbaine. Mettez-vous à la place de ces jeunes, contrôlés plusieurs fois par jour sur le chemin de l'école ! Comment le vivriez-vous ? Ne vous sentiriez pas stigmatisés ? Comment conserver une vision inclusive de la nationalité, de la citoyenneté, dans ces conditions ?

C'est pour cela que le mouvement jeune communiste a décidé de lancer une grande campagne contre les contrôles au faciès, qui prolonge le travail de terrain de nombreuses associations et ONG, dont le syndicat des avocats de France, le syndicat de la magistrature, mais aussi de syndicalistes policiers, qui ont lancé une pétition, afin de sensibiliser les élu(e)s et les citoyennes et citoyens. Notre proposition concrétise ce travail de terrain en modifiant une loi profondément injuste et inégalitaire. Nous avons pu vérifier l'urgence d'une telle proposition quand nous sommes allés avec Christian Favier, à la rencontre de jeunes du Val-de-Marne, dans des quartiers populaires : tous décrivent la même réalité de stigmatisation, de harcèlement. Leurs mères, leurs parents corroborent leurs propos, qui attestent d'une dégradation manifeste des relations entre la police et la population.

Le comportement des policiers, envers des mineurs souvent, est inacceptable, et les plaintes restent rares - celle déposée par 18 mineurs contre une brigade du XIIe arrondissement de Paris demeure une exception.

Si d'autres pays ont décidé d'agir, nous le pourrons aussi. Ils ont démontré que le récépissé améliorait les conditions sociales, sans faire augmenter la délinquance. L'État a même été condamné par une juridiction dans cinq cas - sur 13 personnes ayant saisi la justice.

Nicole Borvo Cohen-Seat, Éliane Assassi au Sénat, Marie-George Buffet à l'Assemblée nationale, ont réalisé un important travail, base de ce texte de bon sens. Lors du colloque, que nous avons organisé le 29 avril dernier au Sénat, des magistrats ont démontré que le flou actuel de la rédaction de l'article 78-2 du code pénal ouvre le champ à des contrôles au faciès. Nous ne faisons que proposer une expérimentation, des villes sont volontaires - Évry, Dijon et Paris - pourquoi la refuser ?

Si elle ne donne rien, nous renoncerons au récépissé policier, madame la ministre ! On est montrés du doigt, mais pourquoi on est montrés du doigt, m'a écrit une petite fille.

Faisons en sorte que notre belle devise républicaine, Liberté, Égalité, Fraternité, vaille pour tout enfant de la République ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen ; Mmes Esther Benbassa et Marie-Noëlle Lienemann applaudissent également)

M. François Bonhomme .  - Quand on connait les vicissitudes et les difficultés du maintien de l'ordre, on reste pantois devant une telle proposition de loi.

Rien de plus faux et trompeur que l'analyse sur laquelle elle repose. Matricule visible, code de déontologie, pré-plainte en ligne : beaucoup a été fait depuis des années pour améliorer les relations entre la police et la population.

Le texte supprimerait ipso facto tout fondement légal des contrôles, hors ceux effectués sur réquisitions judiciaires.

Prenons l'idée du récépissé comme une piqûre de rappel, douloureuse certes, à l'égard du président de la République, pour ses promesses de campagne non tenues...Je félicite d'ailleurs la ministre pour sa souplesse lexicale à ce propos !

Le texte procède des travaux d'un « collectif », proclame-t-on à l'envi sur les bancs du groupe CRC : n'est-ce pas ce nom que les partis utilisent pour faire passer en contrebande leurs propres idées ? (Marques d'indignation sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen ; Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste également)

Mme Éliane Assassi.  - Qu'en savez-vous ?

M. François Bonhomme.  - Peut-on fonder un texte de loi sur des travaux aussi sommaires ? (Nouvelles interruptions sur les mêmes bancs)

M. Jean-Pierre Bosino.  - Allez donc dans les quartiers populaires ! Les caméras mobiles seront des éléments bien plus probants...

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - N'importe quoi ! (On le conteste vigoureusement aussi sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

M. François Bonhomme.  - En attendant leur mise en place officielle, certains policiers en sont réduits à s'acheter des caméras Gopro sur leurs propres deniers !

Comment s'en étonner lorsque les agoras improvisées ressemblent davantage à une cour des miracles ?

Pour la première fois, des policiers manifestent pour dénoncer les violences en hausse dont ils sont victimes (Vives exclamations sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

Mme Éliane Assassi.  - C'est leur droit ! Et certains le font avec le soutien du FN !

M. François Bonhomme.  - Les policiers remplissent une mission fondamentale, et des plus difficiles, surtout dans la période actuelle : ce n'est pas le moment de leur compliquer la tâche. Au lieu de quoi, la CGT a fait circuler des affiches scandaleuses sur lesquelles figure un alignement de rangers souillées de sang : tous les partis ne l'ont pas condamnée ! (Vives protestations sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

Je tiens à redire tout notre soutien aux policiers et aux forces de l'ordre : oui, assurer la sécurité est une tâche noble et exigeante, pour laquelle ils méritent toute notre reconnaissance et notre admiration !

(Bravos et applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains ; M. Yves Détraigne applaudit aussi)

M. Yves Pozzo di Borgo .  - Je veux d'abord saluer le travail remarquable des forces de l'ordre en contexte d'état d'urgence ; 3 000 manifestations ont lieu à Paris chaque année. Ils doivent de plus faire face à la gestion du mouvement « Nuit Debout » et des casseurs, demain de la très problématique « fan zone tour Eiffel » dans le cadre de l'Euro 2016. Les rudes épreuves auxquelles ils sont confrontés entraînent un épuisement bien compréhensible ; d'où leur manifestation de ce jour !

En période normale, l'usage parfois abusif et répété des contrôles d'identité peut nourrir l'humiliation qui est ressentie à cette occasion et envenime les relations entre la police et certains segments de la population. Mme Benbassa a rappelé les chiffres de l'étude du CNRS.

J'approuve l'objectif de cette proposition de loi - j'avais moi-même déposé un texte analogue en 2012, fondée sur les travaux de feu Dominique Baudis, alors Défenseur des droits. Par respect pour sa mémoire, je continue le combat. Le récépissé me semble utile, et contrebalancerait la retenue administrative créée par la loi sur le crime organisé et la lutte contre le terrorisme. D'où l'amendement que je présenterai tout à l'heure.

Les arguments de la ministre, eux, me semblent un peu caricaturaux et je ne partage pas non plus tous ceux du rapporteur. (Applaudissements sur quelques bancs au centre, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe communiste républicain et citoyen ; Mme Esther Benbassa et Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudissent aussi)

Mme Nicole Duranton .  - Je veux d'abord saluer nos forces de l'ordre, harcelées depuis des mois, qui défilent aujourd'hui contre la haine « anti-flic ».

M. Charles Revet.  - Très bien !

Mme Nicole Duranton.  - La démocratie ne peut laisser la rue aux minorités haineuses et cagoulées !

Mme Éliane Assassi.  - Quel rapport avec cette proposition de loi ?

Mme Nicole Duranton.  - Cette proposition de loi...

Mme Éliane Assassi.  - Ah !

Mme Nicole Duranton.  - ...est aberrante et provocatrice dans le contexte actuel ; elle supprime les fondements des contrôles d'identité préventifs et créerait une insécurité juridique forte autour de leur application par les forces de l'ordre.

Certains CRS sortent à présent du silence : ils ont besoin d'un capitaine à la barre, fixant un cap. Ils n'en peuvent plus des ordres et contre-ordres qui créent le désordre !

Mme Éliane Assassi.  - Revenez au texte !

Mme Nicole Duranton.  - Privés des moyens de lutter contre l'immigration irrégulière, empêchés de procéder à des contrôles préventifs, les policiers seraient rendus bien impuissants par ce texte, purement démagogique. Faisons preuve de plus de respect et de considération pour les policiers et les gendarmes qui risquent leur vie quotidiennement pour nous protéger.

Remettons de l'ordre dans ce désordre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

La discussion générale est close.

M. le président. - J'appelle chacun à la concision : nous devons examiner une autre proposition de loi à 18 h 30...

Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État.  - J'ai fait référence à l'engagement n°30 du président de la République. Certains ne l'ont manifestement pas lu, permettez-moi d'en citer les termes exacts : « Lutter contre le délit de faciès » lors des contrôles d'identité avec une nouvelle procédure respectueuse des citoyens »...

Mme Éliane Assassi.  - Alors ?

Discussion des articles

ARTICLE PREMIER

Mme Marie-Noëlle Lienemann .  - Je soutiendrai cette proposition de loi importante. Le récépissé n'était en effet pas en tant que tel cité dans cet engagement, mais il était bel et bien dans le programme du parti socialiste, élaboré lors d'une convention dont je me souviens parfaitement et qui portait le beau titre d'égalité réelle... (Exclamations à droite) Et permettez-moi aussi de citer le mouvement des jeunes socialistes, qui, lui aussi, s'engage à lutter contre les contrôles au faciès ! La République ne peut pas plus tolérer la discrimination que le communautarisme. La réalité, c'est que certains jeunes sont contrôlés cinq fois par jour par le même agent, que la délinquance dans les quartiers concernés n'en subit aucune conséquence et que 99,9 % de ces contrôles n'ont aucune efficacité !

M. François Bonhomme.  - D'où sort ce chiffre ? Vous vous arrangez avec les statistiques et avec la réalité...

Mme Éliane Assassi.  - Qu'en savez-vous ? Avez-vous jamais mis les pieds dans un quartier populaire ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann.  - Ces contrôles, créant du ressentiment, minent l'adhésion à la communauté nationale. Écoutons ces jeunes, ceux du collectif « Quoi ma gueule ? En finir avec les contrôles au faciès. Soyons intraitables avec les comportements discriminatoires ! (Vifs applaudissements sur la plupart des bancs à gauche)

M. André Reichardt .  - Je suis, ainsi que les membres du groupe Les Républicains, contre ces contrôles d'identité abusifs qui nourrissent le sentiment d'une sous-citoyenneté néfaste à la cohésion nationale ; cette proposition de loi cherche une solution à un vrai problème ; j'avais moi-même cosigné une proposition de loi, avec vingt-six de mes collègues, tendant à la simplification et l'équilibre du droit pénal et de la procédure pénale, poursuivant, entre autres, le même objectif ; malheureusement, elle n'est pas encore inscrite à l'ordre du jour.

Mais la notion de « raisons objectives et individualisées » me semble trop restrictive : il importe de préserver la capacité d'analyse et de déduction de l'officier ou de l'agent de police judiciaire. L'adjectif « plausible » signifie « qui semble devoir être admis ». II implique donc là un processus intellectuel d'analyse d'une situation matérielle donnée et la formulation d'une déduction.

Les contrôles d'identité discriminatoires sont déjà proscrits pour les articles R.434-11 et R.434-16 du code de la sécurité intérieure. Il aurait mieux valu renforcer l'engagement de la responsabilité de l'État en cas de contrôle discriminatoire, celui-ci étant défini comme réalisé sous l'influence d'une erreur tellement manifeste qu'un officier de police judiciaire normalement soucieux de ses devoirs n'y aurait pas été entraîné ou encore comme celui qui révèle l'animosité personnelle, l'intention de nuire ou qui procède d'un comportement anormalement déficient. Les abus ainsi commis seraient plus faciles à sanctionner a posteriori, ce qui entraînerait une autolimitation.

L'amendement n°1 n'est pas défendu.

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par M. Pozzo di Borgo.

Alinéa 5

Remplacer cet alinéa par neuf alinéas ainsi rédigés :

« Les contrôles d'identité réalisés en application du présent article donnent lieu, à peine de nullité, à l'établissement d'un procès-verbal. Il mentionne :

« - l'identité de la personne contrôlée ;

« - le(s) motif(s) du contrôle ;

« - le jour, le lieu, et l'heure du contrôle d'identité ;

« - le matricule de l'agent ayant procédé au contrôle d'identité ;

« - l'aboutissement du contrôle d'identité ;

« - les observations éventuelles de la personne ayant fait l'objet du contrôle. 

« Un décret en Conseil d'État fixe les modalités de publicité de l'immatriculation des officiers de police judiciaire, des agents de police judiciaire et des agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux articles 20 et 21-1 du présent code. Il fixe également les modalités de garantie de l'anonymat des personnes contrôlées. Il détermine les voies de recours administratifs, auprès de l'inspection générale de la police nationale, ouvertes au bénéfice des personnes soumises à des contrôles d'identité non justifiés au sens du présent article.

« La loi de finances de l'année détermine les indicateurs de performance pertinents pour mesurer l'évolution de la fréquence de ces recours. »

M. Yves Pozzo di Borgo.  - Cet amendement précise les mentions obligatoires du procès-verbal.

En Hongrie, au Royaume-Uni - qui utilise un tel récépissé depuis 1984 -, l'expérience est positive. En Espagne, les effets du programme lancé dès 2007 dans la ville de Fuenlabrada, dans la banlieue de Madrid, comportant une forte population immigrée, ont été immédiats, tout en faisant baisser la délinquance.

M. le président.  - Amendement n°3, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.

Alinéa 5

Remplacer cet alinéa par sept alinéas ainsi rédigés :

« Les contrôles d'identité réalisés en application du présent article donnent lieu, à peine de nullité, à l'établissement d'un document spécifiant :

« 1° Les motifs justifiant le contrôle ainsi que la vérification d'identité ou la fouille ;

« 2° Le jour et l'heure à partir desquels le contrôle ou la fouille a été effectué ;

« 3° Le matricule de l'agent ayant procédé au contrôle ou à la fouille ;

« 4° Les observations de la personne ayant fait l'objet du contrôle ou de la fouille.

« Ce document est signé par l'intéressé ; en cas de refus de signer, mention en est faite. Un double est remis à l'intéressé.

« Un procès-verbal retraçant l'ensemble des contrôles est transmis au procureur de la République.

Mme Esther Benbassa.  - Cet amendement formalise le récépissé, que nous appelons de nos voeux depuis de nombreuses années. Chaque personne pourra ainsi, le cas échéant, faire valoir le caractère abusif du contrôle subi.

Nous dénonçons la violence « anti-flic » (« Ah ! » à droite) et les contrôles abusifs avec la même force.

Je suis convaincue que le récépissé limitera les abus et l'humiliation que subit une partie de la jeunesse dans sa vie quotidienne !

M. Alain Marc.  - Retrait ou avis défavorable ; pour les raisons évoquées précédemment.

Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État.  - Même avis. Des outils et garanties nombreux ont été mis en place depuis 2012.

Mme Esther Benbassa.  - Pour quels résultats ?

M. Jacques Bigot.  - Laissons la police travailler avec les nouvelles garanties - matricule, caméras, plateforme de signalements sur internet. Il est encore trop tôt pour instaurer un tel récépissé.

L'amendement n°2 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°3.

Mme Éliane Assassi.  - M. Masson n'est pas là pour défendre son amendement : il illustre là son manque de courage politique. Mais je veux néanmoins lui rappeler, par micro interposé, qu'il a une chance inouïe de bénéficier de l'immunité parlementaire, car l'exposé des motifs de son amendement n°1 relève de l'incitation à discrimination religieuse, qui serait sanctionnée pénalement en dehors de l'enceinte parlementaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes communiste républicain et citoyen et écologiste ; MmeEsther Benbassa et Marie-Noëlle Lienemann applaudissent aussi)

À la demande du groupe communiste républicain et citoyen, l'article premier de la proposition de loi est mis aux voix par scrutin public.

M. le président. - Voici le résultat du scrutin n°226 :

Nombre de votants33 8
Nombre de suffrages exprimés33 4
Pour l'adoption   33
Contre 30 1

Le Sénat n'a pas adopté.

M. le président.  - Il est 18 h 30, les quatre heures de l'ordre du jour réservé au groupe CRC sont écoulées. Je dois interrompre l'examen du texte. Il reviendra à la Conférence des présidents de l'inscrire ultérieurement à notre ordre du jour.