Santé et travail (Question orale avec débat)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n°13 de Mme Annie David à Mme la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social sur « Santé et travail : repenser les liens dans un contexte de mutations économiques du travail » (demande du groupe communiste républicain et citoyen).

Mme Annie David, auteure de la question .  - Je m'associe à mon tour à la peine du peuple belge que j'assure de ma solidarité et de ma fraternité.

Le travail a une importance primordiale pour l'épanouissement de l'individu. Dès 2010, j'ai participé au rapport sénatoriale sur la question ; en 2011, avec Jack Ralite, je participais à un colloque intitulé « Soigner le travail ». Je n'ai donc pas hésité à parrainer le colloque du 29 janvier dernier sur la santé au travail, m'engageant à en relayer les travaux dans l'hémicycle.

En nous focalisant sur l'emploi, nous négligeons à tort le travail. En individualisant les relations dans l'entreprise alors qu'il peut être un facteur de santé, en l'abordant sous le seul prisme de l'économie court-termiste, on développe souffrance et mal-être. Or nos concitoyens s'impliquent dans leur travail, ce dont témoigne la forte productivité de notre pays. À cause des seuls accidents du travail, la sécurité sociale rembourse 37,5 millions de jours équivalent-temps plein... Un autre coût économique est à noter : l'implication, la motivation des salariés sont facteurs de productivité ; si on néglige la ressource principale des entreprises, c'est-à-dire son personnel, c'est la santé de celles-ci et du pays qui est mise à mal.

Les difficultés au travail contribuent à la dégradation du lien social, à l'isolement, aux incivilités - voire à l'abstention. Le président Larcher le disait lors du colloque du 29 janvier, il se joue, au travail, des questions de société. Les enjeux sont tels qu'ils invitent à dépasser le cadre de l'entreprise et à repenser la manière dont interviennent les pouvoirs publics.

Les maladies d'ordre psychique doivent être mieux prises en compte - on n'en compte que 300 sur 50 000 cas de maladies professionnelles chaque année. La reconnaissance de l'épuisement professionnel serait une avancée. Un accès universel à la prévention est nécessaire - le projet de loi à venir prend le chemin inverse... L'organisation du travail, plus que sa nature, peut être source de souffrance. Quid, madame la ministre, de la prévention et de ses métiers ? Il faut reconnaître le travail réel, le faire reconnaître comme sujet politique, enjeu social et de performance collective. En ne prenant en compte que la valeur économique des actes, la T2A omet les temps de transmission, de coopération, de prise en charge rationnelle des patients et contraint infirmiers et infirmières à une perte de sens de leur travail. Ils et elles ont un sentiment d'un travail ni fait ni à faire et y laissent leur santé.

L'impact sur la collectivité justifie que nous nous mobilisions. Or votre loi Travail, madame la ministre, crée de la précarité, facilite les licenciements, augmente les pouvoirs de l'employeur. Quand on a peur de perdre son emploi, comment s'épanouir au travail ? Heureusement, certaines entreprises ont pris conscience de l'importance du travail humain. Une DRH qui assistait au colloque du 29 janvier disait : « parler du travail dans l'entreprise, c'est aussi du travail » - elle a mis en place des groupes de discussion.

Si femmes et hommes politiques interviennent sur les conséquences environnementales des activités économiques, pourquoi ne pas s'intéresser à leurs conséquences sur la santé ? Allez-vous agir pour faire évoluer les pratiques managériales ? Encourager les démarches de responsabilité sociale ? Au-delà du plan santé au travail, dont le budget n'est pas assumé, allez-vous mobiliser la communauté nationale, favoriser l'intervention nécessaire des acteurs politiques ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

M. Dominique Watrin .  - Dans mon département, lors de deux ateliers législatifs sur ce sujet, j'ai réuni un responsable de la Haute Autorité de santé (HAS) et un syndicaliste CGT d'un motoriste de PSA : dans le débat, les regards changent et des constats communs se dégagent... Il est clair que certaines organisations du travail sont pathogènes et font des dégâts considérables, à tel point que le syndicaliste a estimé que la recherche du profit était le produit le plus nocif pour la santé... Il s'est demandé comment une grande entreprise pouvait encore aujourd'hui faire le choix de produits chimiques moins chers et plus nocifs, sans informer les salariés de leur dangerosité.

Comment parler de citoyenneté, participation à la vie sociale, quand l'intégrité physique et psychique des salariés est menacée ? Les bilans de cette entreprise sont consternants : malgré une réduction de moitié des effectifs, les cas de maladies professionnelles augmentent, non seulement en raison des expositions passées à l'amiante ou à la silice, mais à cause de la multiplication des troubles musculo-squelettiques (TMS) ou psychosociaux. C'est une forme de violence. On comprend pourquoi les syndicalistes sont si attachés à la question de la réparation...

J'ai déjà alerté Mme Touraine : la sécurité sociale possède toutes les informations pour cartographier les postes pathogènes qui continuent à fabriquer des victimes du travail. Pourquoi ne pas donner aux CPAM les compétences et les moyens d'intervenir ? Elles pourraient aussi jouer un rôle utile dans l'observation et la remédiation des problèmes les plus prégnants.

Nous en reparlerons, c'est certain, dans le texte régressif que vous allez nous proposer bientôt, madame la ministre. Vous modulez les horaires de travail jusqu'à soixante heures hebdomadaires, fractionnez les temps de repos, élargissez encore le forfait jour alors que notre pays a déjà été condamné, supprimez la visite médicale obligatoire pour la plupart des salariés... Vous dédouanez toujours plus les employeurs de leurs obligations et ouvrez la voie à de nouvelles formes de dumping social, à une concurrence malsaine entre les territoires.

Nous estimons, nous, que les bouleversements en cours appellent davantage de citoyenneté, dans l'entreprise comme dans la cité. Il faut redéfinir le travail salarié, protéger tous ces nouveaux auto-entrepreneurs soumis aux ordres des plateformes et au bon vouloir d'actionnaires avides. Vous prenez malheureusement le chemin inverse et subordonnez la protection qu'apporte le code du travail aux impératifs économiques à court terme, au profit. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

Mme Catherine Génisson .  - Ce débat est important, merci au groupe CRC d'en avoir pris l'initiative. En France, neuf embauches sur dix sont en CDD, un quart des salariés déclarent avoir connu un épisode dépressif ou un burn-out, le stress alerte sur le durcissement des conditions de travail, sur une situation de concurrence de tous contre tous. Les grandes entreprises sont mieux armées que les plus petites pour développer la prévention.

L'arrivée du numérique bouleverse les modes de production et les conditions de travail : le salarié modèle devient celui qui ne cesse jamais de travailler, dit M. de Froment, il devient une « bête de travail », toujours connecté - ce qui questionne la notion même de durée de travail. Certes, le numérique facilite le télétravail, mais il ne concerne que 2 % des salariés.

Le travail indépendant concerne plus d'un million d'auto-entrepreneurs ; s'y ajoute, à la lisière du salariat, le portage salarial - la moitié des salariés « portés » sont en CDD, 53 % ont plus de 45 ans...

Tout ceci va contre le statut de salarié mis progressivement en place depuis la fin du XIXe siècle.

Qu'a fait le Gouvernement ? La complémentaire santé a été généralisée, c'est une bonne chose, comme la mise en place de la mission sur l'impact des mutations au travail ou du groupe de travail sur le burn-out.

Enfin, le ministère du travail a présenté le troisième plan « santé au travail », qui met l'accent sur la prévention et le dialogue social.

La loi Travail aura un impact sur la santé au travail. Sa philosophie est la généralisation du CDI, ce qui réduira précarité et stress. L'encadrement du portage salarial va dans le même sens. Le droit à la déconnexion, dont les modalités seront fixées par une charte après avis des représentants du personnel, sera utile mais on peut regretter qu'il n'entre en vigueur qu'au 1er janvier 2018.

L'article 26, dont l'objectif est de relancer le télétravail, devrait contribuer à rattraper notre retard en la matière, au bénéfice de la conciliation entre travail et vie familiale ; la productivité y gagnera.

L'article 44 entend moderniser la médecine du travail et non la médecine au travail. La médecine du travail ne saurait être confiée au médecin libéral, même si les divers éléments contribuant à la bonne santé des travailleurs impliquent l'intervention d'une équipe pluridisciplinaire comprenant médecins, infirmières, assistantes sociales, ergonomes... L'article 44 supprime la double visite médicale pour constater l'inaptitude en cas de licenciement, nous en débattrons. Ayant été médecin du travail, je m'interroge sur la suppression de la visite médicale à l'embauche, même s'il faut favoriser le suivi personnalisé. Elle permet de vérifier les aptitudes physiques et psychologiques ce qu'une visite d'information ne permet pas ; certes, les PME peuvent rencontrer des problèmes pour organiser ces visites pour les embauches en CDD, mais nous aurons un débat... Le dialogue doit prévaloir. J'attends notre futur débat avec impatience... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Aline Archimbaud .  - L'évolution du monde du travail s'accompagne de nouveaux défis. À la persistance de maladies professionnelles connues s'ajoute l'apparition de nouvelles pathologies, TMS, pluri-exposition, burn-out... Le nombre de maladies professionnelles reconnues a augmenté de 3,4 % par an ces dix dernières années, résultat de l'intensification du travail et de l'allongement de sa durée.

Alors que l'amiante, responsable de 7 % des maladies professionnelles et de 90 % des cancers professionnels, et que le comité de suivi du Sénat a remis, il y a près de deux ans, vingt-huit propositions concrètes et consensuelles, rien n'a changé. La recherche manque de moyens - un programme innovant au CHU de Lille est menacé. L'InVS craint 100 000 morts d'ici 2050, nombre sans doute sous-évalué si on ne réagit pas. L'encadrement fait défaut sur les chantiers de désamiantage, les inspecteurs du travail y sont rares, professionnels et bricoleurs du dimanche s'exposent sans le savoir : il y a vingt ans, le professeur Got proposait de rendre public les rapports des désamianteurs. Accepterez-vous de reprendre enfin cette disposition ? Pensez aux familles des malades contaminées par les vêtements de travail, aux enfants d'une école d'Aulnay mitoyenne d'une usine de broyage d'amiante, aux riverains des zones agricoles... Quelle indemnisation pour eux ? Quel suivi médical ? Quelle prévention ?

Nous avions proposé à M. Sapin que les CHSCT puissent se préoccuper des conséquences environnementales de l'activité de leur entreprise. Où en est la réflexion du Gouvernement ? Quid de la lutte contre l'exposition para-professionnelle ? Quid du suivi post-professionnel, par exemple, des porteurs de plaques pleurales ?

Des associations s'alarment que des psychiatres et des médecins soient poursuivis par leur ordre professionnel pour avoir établi les liens entre santé et conditions de travail - le décret, semble-t-il l'autorise... Les médecins du travail, enfin, craignent de passer d'un rôle de prévention à un rôle de sélection : que leur répondez-vous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste)

M. Jean Louis Masson .  - J'évoquerai le projet de loi Travail et d'abord les atteintes à la laïcité qu'il contient : il reconnaît le fait religieux dans l'entreprise. (Exclamations sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

Mme Annie David.  - Ce n'est pas l'objet du débat !

M. Jean Louis Masson.  - Je parle de ce que je veux... C'est une atteinte extrêmement grave aux principes fondamentaux, une atteinte à la liberté de fonctionnement des entreprises.

Je suis très attaché à une laïcité stricte, dans l'espace public comme dans l'entreprise. Il est faux de dire que ce que vous faites conforte l'existant. Si on en vient à autoriser de s'arrêter de travailler pour prier... Et si chaque religion s'y met... Où va-t-on ? C'est aberrant, dangereux. Quand des bombes explosent, ce n'est pas le moment de renforcer le communautarisme religieux par démagogie électoraliste.

M. Michel Amiel .  - Notre sujet d'aujourd'hui, ce sont les interactions entre les conditions de travail et la vie quotidienne - je parlerai du burn-out en milieu hospitalier.

Le concept est au coeur de réflexions récentes ; sa reconnaissance comme maladie professionnelle est proposée par M. Hamon à l'Assemblée nationale. Selon le professeur Claude Veil, « l'état d'épuisement est le fruit de la rencontre d'un individu et d'une situation. L'un et l'autre sont complexes, on doit se garder de simplification abusive » - propos tenus en 1959...

L'Académie de médecine vient d'alerter sur l'extension de cette expression, source de confusion ; elle suggère de reconnaître le burn-out comme une forme de dépression. Les chiffres oscillent de 30 000 à 3 millions... Un épuisement émotionnel, un désinvestissement dans le travail et un manque d'accomplissement personnel : voilà les composantes du burn-out. Est-ce suffisant pour en faire une maladie professionnelle ? Je ne nie pas les souffrances ni les symptômes... Les tout premiers ont été observés chez les soignants, population où les suicides sont deux à trois fois plus nombreux que dans la population générale. Des études montrent un taux très élevé de burn-out chez les cardiologues par exemple, lié à la charge émotionnelle, aux difficultés à concilier travail et vie familiale, au fait que la réalité vient cogner l'idéal de soin... On peut aussi citer de façon plus générale les conflits internes et le manque de reconnaissance professionnelle - l'AP-HP a pris d'heureuses initiatives sur ces questions.

Des pistes de prévention existent, le repos compensateur, les groupes de parole, les structures de soins dédiées. Le ministère de la santé ne doit pas laisser ce sujet au seul ministère du travail ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Pascale Gruny .  - Le travail, c'est la santé... C'est une nécessité pour se construire. Voilà pourquoi le travail n'est pas seulement une source de contrainte ou de mal-être et qu'il ne peut être pensé seulement avec les catégories économiques. Il construit l'individu au coeur d'échanges sociaux, forge son identité, contribue à son épanouissement. Certes, il a évolué, s'est individualisé ; le mail par exemple impose ses exigences de rapidité et d'efficacité... Mais trois salariés sur quatre éprouvent du plaisir à aller travailler : c'est rassurant.

La loi fixe des obligations à l'employeur, pour prévenir les risques : tout manquement relève de la faute inexcusable, l'employeur est responsable en cas d'accident et de maladie professionnelle. L'entreprise a tout intérêt au bien-être au travail, à employer des salariés bien formés - mais le compte personnel de formation ne convient vraiment qu'aux cadres...

La médecine du travail, l'inspection du travail ont un droit de regard sur les conditions de travail dans les entreprises. Mais ont-ils les moyens de leurs missions ? Nous devons être vigilants, savoir ce que nous voulons. Il s'agit de prévenir l'absentéisme autant que le burn-out, les conflits et les plaintes, le harcèlement, les accidents du travail et les risques psychosociaux. L'accompagnement des pouvoirs publics est nécessaire, surtout pour les PME, encore faut-il connaître les réalités du terrain... L'entreprise et l'employé évoluent dans le même monde, il faut sortir des schémas binaires ! (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Françoise Gatel .  - La santé au travail a des répercussions sur le salarié, mais également sur le bon fonctionnement et l'efficacité de l'entreprise. De fait, la qualité de vie au travail est un enjeu économique pour les entreprises : diminution de l'absentéisme, accroissement de la productivité, amélioration de l'image de l'entreprise.

Si le sujet n'est pas nouveau, il évolue rapidement avec l'économie de flux tendu. Les tâches les plus difficiles physiquement sont de plus en plus mécanisées, les ouvriers occupent davantage une fonction de contrôle dans le processus industriel. En revanche, l'insatisfaction au travail, liée en particulier au stress, ne cesse de croître. L'Eurogip évalue son coût à 20 milliards d'euros à l'échelle européenne, 50 à 60 % des journées de travail perdues y seraient liées. La concurrence internationale accentue la pression, l'immédiateté prévaut sur la réflexion. L'immédiateté est aussi liée à l'essor des outils numériques : téléphones portables, emails et tablettes rendent plus poreuse la frontière entre vie personnelle et vie professionnelle.

Les attentes à l'égard de l'employeur sont plus fortes : on recherche l'accomplissement, la reconnaissance de ses supérieurs et une progression individuelle dans son parcours.

Les conséquences de cette évolution sont bien réelles, le burn-out, la maladie du siècle, mais aussi le bore-out ou « mise au placard » qui demeure un tabou bien qu'il mène à la dépression.

Si la relation de la société au travail a beaucoup changé avec la valeur croissante accordée à la qualité de vie, elle subit aussi les conséquences de la fragilité de certaines vies. Ainsi le burn-out est-il parfois lié à des circonstances personnelles.

Comment agir ? D'abord par le management : la hiérarchie verticale et autoritaire doit céder la place à une méthode plus collaborative faisant place à un schéma de connexions valorisantes des compétences des salariés. Les manageurs doivent convaincre mais aussi associer les salariés.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Très juste !

Mme Françoise Gatel.  - La médecine du travail, dont on connaît le rôle dans le suivi et la prévention, doit être un partenaire de l'entreprise. Responsables des ressources humaines et médecins du travail doivent travailler main dans la main. Or comme maire, j'ai parfois le sentiment d'une défiance palpable entre les deux.

Pour conclure, peut-être de manière politiquement incorrecte mais terriblement vraie, il faut sortir de cette dramatique impasse qu'est la crise de confiance entre l'entreprise et la société. Les entreprises ne sont pas indifférentes aux conditions de travail de leurs salariés, dont l'implication conditionne leurs performances. Les partenaires sociaux ont d'ailleurs montré, avec l'accord interprofessionnel expérimental de juin 2013, qu'ils savaient s'engager pour la qualité de vie au travail. La réussite et l'épanouissement au travail ne viendront pas d'une loi qui opposerait employés et employeurs mais d'un cadre partenarial, négocié. Le projet de loi Travail initial était de nature à apporter de la sérénité à ceux qui enchaînent les CDD. Il n'y a d'entreprise que d'hommes, je crains, madame la ministre, que les reculs de votre texte ne servent pas l'intérêt des salariés ! (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Catherine Deroche .  - Depuis notre rapport d'information de 2010, le contexte a certes changé, durci, avec toujours plus de sources de stress - en particulier l'application des 35 heures. Cependant, le travail reste source d'épanouissement pour trois quarts des salariés, c'est heureux car nous travaillons de plus en plus tard.

Le législateur, avec la loi Bertrand de 2011, la loi Rebsamen de 2015 et la dernière loi Santé a tenté de répondre aux nouvelles attentes vis-à-vis de la qualité de vie au travail. Les employeurs y prêtent d'ailleurs une attention constante. Mais si le constat est partagé, la réalité est là : la médecine du travail ne peut pas faire face. L'État n'est pas un modèle : nos agents territoriaux travaillant dans les écoles sont bien mieux suivis que les professeurs des écoles et je ne parle pas de l'AP-HP.

Ma région des Pays de la Loire comptait 475 médecins du travail en 2011, dont les deux tiers avaient plus de 55 ans. C'est dire les difficultés devant nous.

Des obligations nouvelles ont été créées, en particulier pour les emplois familiaux et les services à la personne voués à augmenter avec le vieillissement de la population. Le plus souvent, ces emplois sont occupés par des femmes de plus de 50 ans. Depuis la loi du 20 juillet 2011, les particuliers-employeurs relèvent du droit commun pour la surveillance médicale de leurs salariés. C'est inapplicable : comment la médecine du travail peut-elle s'occuper de 1,5 million de personnes ? La loi Rebsamen a fait le choix de ne plus cibler les visites médicales pour régler la difficulté. Suivrez-vous cette voie, madame la ministre ? (Applaudissements sur les bancs Les Républicains)

Mme Patricia Morhet-Richaud .  - (Applaudissements à droite) Les tensions nées du travail ont des conséquences sur la santé publique comme sur la vie économique. Si l'on peut légitimement s'interroger sur la souffrance au travail, déplorer le trop grand nombre d'accidents dans le secteur de la construction, les TMS et le burn-out, que dire du mal-être des 5,4 millions de demandeurs d'emploi ? Tant que l'on abordera le travail comme une souffrance, l'on se trompera. (Très bien ! à droite)

Savez-vous quel est le pays où les salariés sont le plus heureux ? Les Pays-Bas qui pratiquent une grande flexibilité : la durée de travail journalière peut atteindre jusqu'à 10 heures et la durée hebdomadaire jusqu'à 45 heures. Le temps partiel est très répandu, et jusque dans les niveaux les plus élevés de la hiérarchie car les Hollandais consacrent environ 4 heures par semaine au bénévolat. Dans ce pays, le travail est valorisé. Ce n'est pas un hasard s'il est au 14ème rang pour l'indice de développement humain et la France au 22ème !

De grâce, assez de caricatures sur le travail. Chacun, dans sa vie professionnelle, a connu des moments de bonheur et d'épanouissement.

Mme Laurence Cohen.  - Nous ne voulions rien d'autre !

Mme Patricia Morhet-Richaud.  - Le bonheur consolide la santé. Sans baisser la garde, rompons avec la victimisation, encourageons l'échange d'informations et la transversalité. Le travail répond à notre désir de reconnaissance, d'appartenance et donne du sens à nos actes ! (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social .  - Sans anticiper sur le projet de loi que je présenterai jeudi en conseil des ministres, j'indiquerai seulement que bien des contrevérités ont circulé. Il n'a jamais été question de toucher aux 60 heures et je propose bien autre chose pour la laïcité en entreprise que ce qu'on en a dit.

Concentrons-nous sur la santé au travail. Le travail est un puissant vecteur d'intégration sociale et économique ainsi que d'émancipation personnelle. Mais la frontière est toujours plus ténue avec les autres pans de la vie, ce qui est source d'épanouissement mais aussi de nouvelles souffrances.

Dans une société de progrès, vie personnelle et professionnelle doivent être conciliées. C'est l'enjeu de la qualité de vie au travail ou, comme disent les spécialistes, QVT. Environnement de travail, autonomie, reconnaissance par ses pairs et sa hiérarchie ou encore conditions de trajet, tous ces paramètres pèsent sur l'individu, l'entreprise et, donc, la société.

Grâce à la révolution numérique, nous pouvons réinventer le sens et les formes du travail dans une organisation collective où chacun trouverait sa place. Nous ne voulons pas d'une société déshumanisée, faisant rimer connexion et aliénation.

Le monde moderne, c'est aussi le dialogue social. (Marques d'ironie à droite) Sans nier les rapports de force dans l'entreprise, je défends le dialogue au bénéfice de tous. Faisons preuve de rigueur intellectuelle sur le droit du travail actuel comme sur le contenu du projet de loi : souplesses laissées au dialogue social, nouvelles garanties pour les salariés mais aussi nouvelle approche de la santé au travail.

L'enjeu n'est pas seulement de limiter les risques, mais de promouvoir le développement humain dans l'entreprise car un salarié qui se sent bien est moins absent, moins malade et s'investit davantage. D'où le passage d'une logique de réparation à une logique de prévention.

Sans doute, l'activité professionnelle nuit parfois à la santé, d'où le compte personnel de prévention de la pénibilité (CPPP) créé par le Gouvernement. Mais priorité doit être donnée à la prévention. Le plan « Santé au travail », que j'ai officialisé en décembre dernier et qui sera la feuille de route du Gouvernement jusqu'en 2017, marque cette inflexion majeure de la réparation à la prévention. Il suppose, bien sûr, une petite révolution culturelle. Son élaboration conjointe avec les partenaires sociaux est un gage de sa qualité. Je veux d'ailleurs saluer le travail du Conseil d'orientation des conditions de travail, un modèle pour le dialogue social.

Le projet de loi Travail modernise la médecine du travail. Malgré la loi Rebsamen, le système actuel ne garantit pas le suivi des salariés - et mon rôle est de traiter les problèmes. Les médecins du travail manquent, non pas à cause du Gouvernement mais faute de candidatures. Quand nous ouvrons 80 postes, 70 candidats se présentent. Résultat, seuls trois millions de visites médicales ont lieu chaque année pour vingt millions d'embauches. Des salariés sur des postes à risque en sont privés !

Mme Catherine Génisson.  - C'est vrai.

Mme Myriam El Khomri, ministre.  - Priorité doit donc être donnée aux visites médicales pour ceux embauchés dans des postes à risque, sachant que tous les salariés assisteront à des réunions sur les risques professionnels animées par un infirmier ou un préventeur sous la responsabilité du médecin du travail. J'ajoute qu'un nouvel article du code du travail sanctuarisera le principe du suivi individuel du salarié. Bref, c'est une approche plus individualisée, réorientée vers la prévention, que nous promouvons, comme la quasi-totalité des syndicats...

M. Jean-Pierre Bosino.  - Pas tous !

Mme Myriam El Khomri, ministre.  - ...mis à part FO et la CGE-CGC.

Pour répondre plus spécifiquement aux orateurs, le burn-out, depuis la loi d'août 2015, est pleinement reconnu comme maladie psychique. Les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles ont pleinement pris leur part de cette action : aujourd'hui, près de 50 % des pathologies psychiques sont reconnues comme maladie professionnelle. Le burn-out est également un axe fort du plan Santé au travail. Avec Marisol Touraine, nous souhaitons confier à la Haute Autorité de santé une mission pour améliorer la connaissance du syndrome d'épuisement professionnel auprès des personnels médicaux. Enfin, le rapport que prévoit la loi de 2015 me sera remis dès la fin mars afin qu'il puisse nourrir nos débats. Des risques spécifiques existent dans le milieu médical, Mme Touraine et moi-même y travaillons.

J'en viens à l'amiante. Avec 936 millions d'euros, les indemnités liées à l'amiante représentent 42 % de celles qui sont versées par la branche AT-MP - sans compter les 779 millions du FCAATA et les 521 millions du Fiva. En 2012, mon ministère a engagé une réforme d'ampleur de la gestion du risque amiante en direction des salariés. Nous en avons fait une priorité des agents des Direccte en 2015 et en 2016 en mettant à leur disposition de nouveaux outils méthodologiques.

Une feuille de route, élaborée avec les ministres du logement et de l'environnement, concernera ceux qui ont été exposés à l'amiante au cours de leur vie professionnelle passée. Voyez, madame Archimbaud, que les recommandations du Sénat sont suivies.

Un mot, enfin, sur le droit à la déconnexion. Nous l'introduirons dans le projet de loi Travail (Mme Catherine Génisson s'en réjouit.), ses modalités seront discutées au sein des entreprises par accord. Le numérique a favorisé le développement d'une culture de l'urgence, une régulation est donc nécessaire. Nous demandons aussi l'ouverture d'une négociation sur le télétravail, le travail à distance et le repos quotidien... Si l'avant-projet de loi contenait, à cet égard, des dispositions sur les cadres au forfait jour, ce n'était pas un retour au XIXe siècle ! Beaucoup de cadres aimeraient aller chercher leurs enfants à 17 heures et se remettre au travail le soir, nos règles actuelles le leur interdisent.

Ma responsabilité est de développer une culture de la prévention, pour la santé de tous au travail. C'est tout le sens de mon action, du plan de santé au travail comme du projet de loi que je vous présenterai bientôt. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Prochaine séance demain, mercredi 23 mars 2013, à 14 h 30.

La séance est levée à 19 h 25.

Jacques Fradkine

Direction des comptes rendus