Expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée (CMP - Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi d'expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée.

Mme Anne Emery-Dumas .  - La proposition de loi d'expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée arrive aujourd'hui au terme de son parcours législatif, qui fut exemplaire : son élaboration, à l'initiative du monde associatif, a fait l'objet d'une vaste concertation ; son examen parlementaire l'a enrichi en tenant compte des besoins des territoires.

Déposée le 22 juillet 2015 à l'initiative des membres du groupe socialiste, républicain et citoyen, elle a été adoptée par l'Assemblée nationale le 9 décembre dernier ; je veux notamment saluer le travail de Laurent Grandguillaume, député, rapporteur. La commission des affaires sociales a travaillé avec diligence ; le Sénat s'est prononcé à la quasi-unanimité en sa faveur, après avoir adopté vingt-cinq amendements ; les débats en commission et en séance ont été exemplaires.

La commission mixte paritaire, qui s'est réunie le 2 février, s'est déroulée sous les meilleurs auspices, en plein accord avec le rapporteur de l'Assemblée nationale, si bien que le texte final a été adopté à l'unanimité de ses membres, puis par l'Assemblée, mercredi 10 février dernier.

Le texte est innovant en ce qu'il autorise des entreprises relevant de l'économie sociale et solidaire, conventionnées par un fonds national spécifique, à embaucher en contrat à durée indéterminée des demandeurs d'emploi de longue durée, rémunérés au moins au Smic, pour réaliser des activités pérennes répondant à des besoins sociaux locaux non satisfaits, avec pour objectif de les rendre solvables grâce à une réallocation des dépenses publiques d'indemnisation ou de solidarité dont auraient bénéficié les personnes ainsi recrutées.

La CMP a confirmé l'ensemble des modifications apportées par le Sénat : ouverture du dispositif aux personnes démissionnaires et à celles ayant conclu une rupture conventionnelle, renforcement du volet relatif à l'évaluation de l'expérimentation et modifications de cohérence afin d'améliorer la lisibilité du texte.

La CMP a également permis quelques avancées : extension du dispositif aux personnes au chômage depuis plus de douze mois à la suite d'une formation ou de la fin d'une activité non salariée, dégressivité de l'aide versée par le fonds aux entreprises en fonction de l'évolution de leur situation économique, bilan de l'expérimentation au plus tard dix-huit mois avant son terme.

Surtout, la CMP a confirmé le caractère volontaire de la participation financière des collectivités territoriales, qui avait fait l'objet d'un long débat dans notre hémicycle. Cette expérimentation se déroulera dans dix territoires, et je ne doute pas qu'il y aura bien plus de candidats que d'élus. Il appartiendra à l'État, comme la ministre s'y est d'ailleurs engagée, d'assurer l'amorçage de ce dispositif.

Cette proposition de loi rompt avec les politiques de l'emploi menées depuis maintenant quarante ans par les gouvernements successifs qui ont cherché à enrayer l'inexorable hausse du chômage.

Je vous invite à l'approuver définitivement afin que ses dispositions d'application soient publiées dans les meilleurs délais. (Applaudissements)

Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État auprès de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargée de la formation professionnelle et de l'apprentissage .  - Nous abordons la dernière étape législative de ce texte : la ministre et moi nous en réjouissons. Le travail collectif mené ces dernières semaines entre les deux assemblées a permis de rassembler toutes nos forces politiques autour de la première préoccupation des Français : l'emploi.

Le texte innove, cherche des solutions, et s'appuie sur le terrain. En cela, il renforce les mesures annoncées par le président de la République en début d'année : 500 000 formations supplémentaires pour les demandeurs d'emploi, aide à l'embauche pour les PME - 16 000 dossiers ont déjà été déposés...

Les travaux menés en commission des affaires sociales ont enrichi le texte, en élargissant le dispositif et en affinant son mode d'évaluation.

Grâce à votre travail, cette belle idée entrera bientôt en application, permettant aux collectivités territoriales d'accompagner le travail mené sur le terrain par les associations, les bénévoles, tous les acteurs locaux qui luttent pour l'emploi sur nos territoires.

Autre moteur de ce texte : le souhait de renforcer la cohésion sociale, d'intégrer les personnes concernées. Le travail n'est pas terminé ; l'adoption de ce texte ce soir, ne fera qu'ouvrir une nouvelle étape. Je souhaite que parmi les territoires qui s'engagent dans cette expérimentation figurent les quartiers prioritaires de la politique de la ville, mais aussi des zones de revitalisation rurale.

Merci à tous pour votre travail. Vous avez été le dernier maillon d'une longue chaîne, partie des associations. (Applaudissements à gauche)

M. Jean Desessard .  - Cette proposition de loi apporte une réflexion nouvelle, une conception innovante des politiques publiques de lutte contre le chômage, préférant le concret à la remise en cause du coût du travail ou de la prétendue rigidité du code du travail.

Elle procède en effet du double constat d'ATD Quart-Monde, selon lequel de nombreux postes ne sont pas pourvus dans le secteur non concurrentiel, alors même qu'ils sont créateurs de valeur d'usage, et que le chômage coûte cher -  15 000 à 17 000 euros par an, par chômeur  - à la collectivité.

Pour y remédier, Laurent Grandguillaume a proposé, avec le soutien d'ATD Quart-Monde cette expérimentation au plus près des besoins des territoires. Vous en connaissez le principe. Elle a un triple intérêt : pour les chômeurs de longue durée, retrouver un emploi stable puisqu'en CDI ; pour les territoires, satisfaire des emplois non pourvus ; pour la société, transformer des dépenses passives en investissements utiles.

La méthode de mise en oeuvre est la bonne : l'expérimentation. Les dix territoires volontaires accumuleront suffisamment d'expérience pour ensuite songer à une généralisation du dispositif, après évaluation à 18 mois de la fin de l'expérimentation.

Preuve du caractère transpartisan de la proposition de loi, la commission mixte paritaire est rapidement parvenue à un accord. Merci, madame la rapporteure, pour vos modifications, dont je me réjouis qu'elles aient été conservées dans le texte. Votre amendement est bienvenu qui intègre notamment les personnes ayant fait l'objet d'une rupture conventionnelle - licenciement déguisé, souvent - dans le dispositif.

Le groupe écologiste votera ce texte qui redonne une chance de travailler aux exclus, dynamise les territoires en créant de nouveaux services et réduit le cout de la précarité pour toute la collectivité. (Applaudissements)

M. Guillaume Arnell .  - Cette proposition de loi d'expérimentation territoriale arrive au terme de la navette. Si nous confirmons le vote de la CMP, nous donnerons vie et force de loi à ce beau projet innovant, né d'une expérience de terrain. Soyons le rempart à tous les doutes exprimés à l'égard de l'action publique, à ceux qui n'ont d'autre programme que la désespérance ! Envoyons un signal positif aux acteurs de l'économie sociale et solidaire !

L'initiative d'ATD-Quart Monde est née d'un postulat simple : si les emplois manquent, le travail, lui, ne manque pas. En 1995, une expérience menée dans le Maine-et-Loire a montré qu'il y avait adéquation entre les compétences des chômeurs de longue durée et les besoins locaux. Ce texte propose enfin une solution concrète pour les rapprocher.

Avec ce texte, nous montrons notre solidarité face à un objectif commun : offrir des perspectives d'avenir aux personnes, encore trop nombreuses, qui subissent durement avec leurs proches le drame du chômage de longue durée.

Quelques regrets toutefois : nous aurions pu autoriser l'expérimentation dans plus de dix territoires : pourquoi pas vingt ou trente ? Nous aurions pu aussi raccourcir sa durée, pour gagner des mois précieux vers une mise en oeuvre généralisée, au bénéfice des chômeurs de longue durée.

Dommage ; le bicamérisme, qui a une fois de plus prouvé tout son intérêt, grâce à l'apport de la Haute Assemblée, a néanmoins permis d'ouvrir le mécanisme à davantage de bénéficiaires, ce qui est très opportun. La présence au conseil d'administration du fonds d'expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée de l'association Alliance Villes emploi est un autre apport notable et utile.

Pour toutes ces raisons, le groupe RDSE votera le texte de la CMP à l'unanimité. Je forme le voeu que tous les partenaires se mobilisent pour la pleine réussite de ce projet et pour faire reculer durablement le chômage de longue durée. (Applaudissements)

M. Philippe Mouiller .  - Cette proposition de loi rencontre un large consensus. Entendons-nous bien : le vote du groupe Les Républicains en sa faveur ne vaut approbation de la politique menée par le Gouvernement, alors que le chômage de longue durée a augmenté de 9,7 % en un an pour atteindre 2,7 % de la population active. Faute de réforme de fond, faute de projet global pour soutenir notre économie et l'emploi, le Gouvernement piétine depuis quatre ans.

Contrairement à ce qu'il semble croire, ce texte ne peut constituer la seule réponse au chômage de longue durée.

Cette mise au point étant faite, nous y sommes, j'y insiste, favorables. Mais elle ne sera utile qu'à une poignée de personnes, puisqu'autorisée sur dix territoires seulement. Parmi eux, la commune de Mauléon dans mon département des Deux-Sèvres, où les besoins sont clairement identifiés.

Les acteurs de tous bords y sont mobilisés. Ils m'ont convaincu. Sur les 200 chômeurs de longue durée de la commune contactés par la Maison de l'Emploi, un tiers s'est porté volontaire. Leur but : sortir de l'assistanat. En retrouvant une activité professionnelle, ils reprendront confiance en eux et pourront, ensuite, valoriser cette nouvelle expérience, dans leur parcours professionnel.

En parallèle, les partenaires sont en train de repérer des besoins non satisfaits afin de proposer des emplois, dans les domaines de l'environnement, du lien social, des services aux collectivités voire aux entreprises. Il s'agit de créer des activités utiles qui ne fassent pas concurrence aux emplois déjà existants dans le privé.

L'expérimentation sera menée dans les territoires volontaires, c'est important. Le financement des emplois créés se fera par la réaffectation de dépenses liées à la privation d'emploi : iI s'agit de réactiver des dépenses passives. Les demandeurs d'emploi au chômage, depuis plus d'un an, seront embauchés sous contrat de travail à durée indéterminée et seront payés au SMIC.

Ce texte ne va pas, je le répète, régler à lui seul le chômage de longue durée. Mais, compte tenu du nombre de chômeurs de longue durée, aucune piste ne peut être négligée.

Durant l'examen du texte, nous avons été vigilants : le dispositif ne devra pas peser excessivement sur les collectivités territoriales ; l'État s'est engagé à en être le principal financeur, tant mieux.

Tous les chômeurs de longue durée pourront en bénéficier, grâce aux apports du Sénat. L'administrateur du Fonds sera nommé par arrêté du ministère de l'emploi.

La participation financière de chaque collectivité territoriale au Fonds sera transparente, de sorte qu'elle ait l'assurance d'avoir financé l'emploi sur son territoire.

D'une manière générale, il est bon de laisser les acteurs locaux libres de mettre en oeuvre le dispositif. Retrouvons nous dans quatre ans pour, je l'espère, le généraliser. Nous voterons ce texte. (Applaudissements)

M. Jean Desessard.  - J'ai applaudi un Républicain !

Mme Élisabeth Doineau .  - Merci à notre rapporteure d'abord, pour son investissement sur ce texte.

Je me réjouis que cette proposition de loi soit sur le point d'être adoptée. Issue des travaux d'ATD-Quart Monde, elle montre que le monde associatif peut faire bénéficier la société de ses réflexions innovantes. L'activation ici proposée des indemnités chômage est une excellente idée et permettra de faire travailler ensemble, utilement les acteurs locaux.

Le recours à l'expérimentation est salutaire. Trop de dispositifs ont été développés loin du terrain et sans associer les acteurs qui, au quotidien, appliquent les politiques publiques de lutte contre le chômage. Les chiffres du chômage parlent d'eux-mêmes, ces politiques ont échoué.

La multiplicité des acteurs du service public de l'emploi et les difficultés de coordination qu'ils rencontrent sont l'une des sources d'échec des politiques de l'emploi ces dernières décennies.

La navette a enrichi le texte en gardant l'objectif de favoriser l'insertion du plus grand nombre.

Nous aurions toutefois trouvé intéressant d'étendre le système au secteur marchand et de raccourcir la durée de l'expérimentation à trois ans, avec un bilan douze mois avant son arrivée à échéance. Ces mesures plus audacieuses auraient témoigné de plus d'ambition, alors que les chiffres si élevés du chômage appellent à une mobilisation plus forte et que les annonces du Gouvernement, nombreuses, répétitives, n'augurent pas d'un retour à une situation plus favorable. D'où les réserves de certains sénateurs du groupe UDI-UC.

Cependant, la majorité des membres de notre groupe a emporté un vote positif sur ce texte intéressant. (Applaudissements)

M. Jean Desessard.  - J'ai applaudi une centriste !

Mme Laurence Cohen .  - Je regrette le mode d'organisation de nos débats, qui explique sans doute la présence dans l'hémicycle...

Face à cette proposition, fruit de la réflexion de femmes et d'hommes engagés sur le terrain, nous ne pouvons que partager l'initiative de mener cette expérimentation territoriale innovante.

En première lecture, nous avons obtenu que des emplois durables soient proposés aux chômeurs, et que le dispositif soit évalué, afin de reconnaître aux bénéficiaires une formation de qualité. Celle-ci est indispensable à la réussite d'un tel dispositif. C'est d'ailleurs le sens des engagements récents du président de la République en la matière.

Le financement de l'expérimentation nous laisse encore dubitatifs. Le Gouvernement a annoncé le déblocage de 10 millions d'euros la première année, mais ensuite ? Selon nos informations, l'État ne prendra plus en charge que 47 % du mécanisme la deuxième année. Nous avons maintes fois dénoncé les coupes budgétaires opérées par l'État au détriment des collectivités territoriales. Cette politique à courte vue, pour ainsi dire « austéritaire », est porteuse de graves conséquences.

La prise en compte de nos amendements nous conduira à voter cette proposition, mais cela ne doit pas masquer la réalité du chômage dans notre pays. Donner un emploi à 2 000 ou 3 000 personnes, c'est très bien, mais les chômeurs de longue durée sont 782 500 plus nombreux aujourd'hui qu'en 2012, soit 45 % des chômeurs. Les baisses de cotisations, de plusieurs milliards d'euros dans le cadre du CICE, n'ont pas eu les résultats annoncés - et que nous avons contestées sans ambigüité.

Contre le chômage, les propositions existent : arrêt de la politique d'austérité et de gel des salaires, développement des services publics, fin des exonérations de charges, effort beaucoup plus important de formation professionnelle de la part des entreprises, relance de l'emploi industriel dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique, 32 heures hebdomadaires - ce serait un beau défi à relever au XXIe siècle. Les pistes ne manquent pas, empruntons-les ! En attendant, nous voterons ce texte, en espérant qu'il sera suivi de mesures ambitieuses en faveur de l'emploi pour enfin apporter une réponse aux trois millions de chômeurs de longue durée de notre pays. (Applaudissements sur divers bancs)

M. Jean Desessard.  - J'ai applaudi une communiste !

M. Éric Jeansannetas .  - Le travail législatif a été intense et rigoureux. Merci à Laurent Grandguillaume et à Anne Emery-Dumas, qui apportent la preuve, sur la base des travaux d'ATD Quart Monde, que l'on peut dépasser les clivages partisans pour penser autrement la lutte contre le chômage de longue durée.

Les territoires, les acteurs locaux, doivent être les moteurs de la création d'emplois ; à nous de tirer parti de leur force créatrice. Les besoins sociaux sont réels et le mode de financement innovant ici créé permettra d'y répondre, en créant des CDI.

Le travail accompli en CMP a affiné ce texte de manière judicieuse, comme sur le comité d'évaluation ou les conditions de rupture de contrat de travail exigées pour entrer dans le dispositif.

Le chômage de longue durée, qui touche un chômeur sur deux, est un drame social et humain. La proposition de loi est pragmatique. Limitée dans sa portée, elle ne résorbera pas tous les problèmes d'un coup de baguette magique, mais donnera un espoir à des chômeurs de longue durée, et ils en ont désespérément besoin. Nous la voterons. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Daniel Chasseing .  - Le retour au travail est indispensable à l'insertion sociale des chômeurs de longue durée, cette expérimentation leur en ouvre la voie : l'économie sociale et solidaire joue un rôle utile, surtout dans nos territoires ruraux. C'est pourquoi le mien est candidat à cette expérimentation. Je soutiens bien sûr ce texte et remercie Mme la rapporteure.

Les conclusions de la CMP sont adoptées.

M. le président. - À l'unanimité ! (Applaudissements)

Prochaine séance, mardi 1er mars 2016, à 15 h 15.

La séance est levée à 0 h 55.

Jacques Fradkine

Direction des comptes rendus