Convention fiscale France-Andorre (Nouvelle lecture)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, autorisant l'approbation de la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la Principauté d'Andorre en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu.

Discussion générale

M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des affaires européennes .  - Ce texte revient devant vous après son rejet le 18 décembre dernier et l'échec de la CMP. Le point d'achoppement, vous le savez, est l'alinéa premier de l'article 25, selon lequel la France conserve la possibilité d'imposer les résidents français en Andorre - comme si la convention n'existait pas. Mais cette disposition a été incluse dans le texte avant la négociation, à une époque où Andorre ne disposait pas d'une fiscalité directe. Et cette clause n'a pas plus vocation à s'appliquer qu'à être reproduite dans une autre convention. Elle est sans effet au plan fiscal dans la mesure où l'impôt relève de la loi.

Le Parlement andorran a ratifié la convention à l'unanimité ; l'échec d'une ratification en France entraînerait un nouveau processus de négociation, ce qui serait contraire à l'objectif de simplifier la vie des particuliers et des entreprises, comme de renforcer les relations de nos deux États tout en luttant contre la fraude fiscale.

Jusqu'en 2010, Andorre n'avait aucune fiscalité directe ; la Principauté a introduit depuis une imposition sur les bénéfices des sociétés ainsi qu'un impôt sur le revenu, ce dernier étant entré en vigueur au 1er janvier 2015. Parallèlement, des évolutions décisives ont été constatées en matière de transparence et de coopération fiscales.

Les stipulations de la convention reprennent celles, habituelles, de l'OCDE avec les adaptations nécessaires, en particulier pour éviter des montages d'évasion fiscale. Les autorités andorranes s'impliquent dans les processus internationaux de lutte contre la fraude et d'échanges d'informations.

Cette convention répond aux progrès réalisés par la Principauté en matière de fiscalité et de transparence. Le Gouvernement estime que sa ratification est dans l'intérêt des particuliers, des entreprises et des deux États.

M. Gérard Longuet, en remplacement de M. Philippe Dominati, rapporteur de la commission des finances .  - Le parcours de cette convention fiscale est original - d'habitude, les conventions sont adoptées sinon dans l'enthousiasme, du moins dans la sérénité - puisqu'elle revient devant le Sénat après son rejet ici-même le 18 décembre et l'échec de la CMP.

Généralement, le Parlement fait confiance à ceux qui préparent pareils textes et la commission des finances ne conteste pas la bonne volonté de la Principauté et les progrès réalisés pour instaurer une fiscalité moderne ; elle ne remet pas plus en cause l'essentiel du contenu de la convention, dont les clauses anti-abus sont bienvenues, car elles devraient permettre d'éviter l'optimisation fiscale...encore que l'ingéniosité des contribuables n'a d'égale que la rapacité de l'État ! (Sourires entendus)

Le problème est limité à l'alinéa premier de l'article 25 selon lequel la France peut imposer les personnes physiques de nationalité française résidant en Andorre comme si la convention n'existait pas - c'est-à-dire une imposition non pas à raison de la résidence ou de l'origine des revenus, mais de la nationalité.

Cette innovation est en totale dérogation avec notre droit interne et les standards internationaux. La commission des finances estime que si un débat doit avoir lieu, ce n'est pas au détour de l'approbation d'une convention fiscale ; le gouvernement nous assure que cette clause a été négociée dans un contexte particulier et n'a pas vocation à s'appliquer, que ce serait en quelque sorte une coquille vide ; mais selon l'exposé des motifs, « cet article permettrait de mettre en oeuvre une éventuelle évolution future du champ de la fiscalité française ». La porte est donc ouverte ! Et cette convention fiscale durera des décennies, ce qui ne sera peut-être pas le cas de votre gouvernement...(Sourires) : l'inquiétude qui nous saisit, nous oppresse et nous étreint n'est pas sans fondement ! Si la clause n'a pas vocation à s'appliquer, mieux vaut la retirer. Pour ce faire, un avenant est possible ; la principauté n'y verra aucun inconvénient, puisqu'il s'agit d'une demande française.

Le Parlement est pleinement dans son rôle : la discussion d'une convention fiscale n'est pas un exercice formel, et la fiscalité sur la nationalité mérite un débat d'une autre dimension. C'est la raison pour laquelle la commission des finances propose le rejet de ce texte. (Applaudissements au centre et à droite)

M. François Fortassin .  - Depuis 2009, la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales est à l'agenda des rendez-vous internationaux ; elle est devenue une priorité pour les organisations comme l'OCDE tandis que se multiplient les accords bilatéraux conclus par la France. L'ampleur du fléau comme la complicité de certains États et établissements bancaires appellent en effet une large mobilisation.

Nos concitoyens qui vivent dans le sud-ouest de la France connaissent les attraits de la Principauté, son domaine skiable, ses sources d'eau thermale, ses supermarchés ; l'hiver y est aussi rude que la fiscalité y est douce... Après le G20 de Londres, l'OCDE a placé Andorre sur sa liste grise ; des réformes ont été initiées depuis pour diversifier l'économie et normaliser le système fiscal.

La première partie de la convention rédigée sur le modèle de l'OCDE fait consensus ; les clauses anti-abus sont d'incontestables avancées, même s'il reste des progrès à faire pour l'échange automatique d'informations - mais Andorre s'est engagée à l'horizon 2018. Nous pouvons partager l'inquiétude des Français expatriés à la lecture de la clause de l'article 25, mais le gouvernement nous assure qu'il n'y a pas de projet caché - il faudrait de toute façon passer par la loi. Le groupe du RDSE votera très majoritairement cette convention.

M. Olivier Cadic .  - Il est rare qu'un projet de loi de ratification de convention internationale revienne en deuxième lecture. Élu en septembre dernier, je ne sais si je pèche par excès de naïveté, mais je ne comprends pas pourquoi nous débattons ce matin du même texte que nous avons rejeté en décembre ; je ne comprends pas pourquoi une simple convention fiscale peut servir de banc d'essai pour expérimenter la taxation de Français résidant à l'étranger ; je ne comprends pas pourquoi le gouvernement nous assure que la clause de l'article 25 n'a pas vocation à s'appliquer - les gouvernements passent, mais les écrits restent ! - ; je ne comprends pas pourquoi le Parlement ne peut faire obstacle à ce qui apparaît comme un scandale démocratique.

C'est bien pourquoi le groupe UDI-UC avait demandé que ce texte fût examiné selon la procédure ordinaire.

Dans sa sagesse le Sénat avait en décembre refusé de laisser ouverte une brèche qui pouvait faire que la loi fiscale procède non plus de la territorialité mais de la nationalité. Nous attendions du gouvernement qu'il modifiât la convention avant de la représenter au Parlement ; ce n'est pas le choix qu'il a fait et la CMP a été une mascarade. Le gouvernement nous explique qu'il est impossible de remettre en cause un accord diplomatique, mais dans un État de droit on ne peut pas prendre les contribuables en otage. Pour l'Agefi, en Suisse, il n'y a pas de doute, la convention France-Andorre est un banc d'essai... Si le gouvernement n'a pas la taxation honteuse et s'il est de bonne foi, il ne peut soumettre au Parlement un texte qui n'a pas vocation à s'appliquer. Maintenir coûte que coûte la clause de l'article 25, c'est ridiculiser l'action politique et entamer la crédibilité du gouvernement.

C'est pourquoi, monsieur le ministre, je vous demande respectueusement de bien vouloir avoir la sagesse de retirer cette convention qu'il nous est interdit d'amender afin d'éviter à votre gouvernement le risque d'être à nouveau désavoué par la Haute Assemblée. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Michèle André .  - Après une première lecture au Sénat de qualité, la CMP a échoué. L'esprit de responsabilité doit l'emporter : le groupe socialiste, sauf quatre collègues, votera la ratification.

Seule la clause de l'article 25 pose problème. La précaution prise par la France s'explique par le fait qu'au début des négociations avec la Principauté, celle-ci n'avait pas de système d'imposition directe sur le revenu. Depuis, Andorre n'est plus un paradis fiscal et s'est engagé à l'échange automatique d'informations d'ici 2018. La convention a été ratifiée à l'unanimité par le Parlement andorran, et n'est donc plus amendable. Il ne serait pas correct de manquer à la parole donnée et de faire de la Principauté la victime collatérale d'un débat franco-français.

La comparaison avec la convention qui nous lie à Monaco est infondée : ce texte est d'application directe, alors que la clause de l'article 25 n'est pas applicable en l'absence d'une modification du code général des impôts.

Vous réclamez un débat national, mais vous l'aurez forcément si le problème se posait !

Rejeter l'accord entre la France et Andorre, c'est donc faire un faux procès à une mauvaise cible. Nous avons un devoir de responsabilité, et le groupe socialiste s'y conformera en votant en faveur de ce texte.

M. André Gattolin .  - Dans ce match retour France-Andorre, les écologistes s'abstiendront. Cette abstention traduit une forme de bienveillance diplomatique : notre sentiment de fond nous ferait plus volontiers pencher en faveur d'un rejet pur et simple.

Les événements intervenus depuis le mois de décembre sur la scène internationale n'ont pas atténué notre méfiance à l'égard des conventions signées avec de micro-États au régime fiscal discutable.

Certains craignent que la clause de l'article 25 n'ouvre la porte à une imposition systématique des 2,5 millions de Français établis hors de France et notent que la convention signée par Andorre avec l'Espagne ne prévoit pas l'imposition des ressortissants espagnols. La population andorrane a décuplé en cinquante ans, mais les non-Andorrans en représentent désormais les deux tiers. Le nombre de touristes français y a explosé, attirés moins par la qualité de l'air et le folklore que par le différentiel de fiscalité sur les tabacs et les alcools. On comprend la volonté des pouvoirs publics de se refaire un peu... Mais le problème réside dans la nature même de ces conventions fiscales qui se multiplient avec des États - confettis - qui reviennent à entériner des pratiques fiscales plus que douteuses. Les conventions bilatérales permettent à certains paradis fiscaux de disparaître de la liste grise de l'OCDE, mais l'affaire SwissLeaks montre que la convention France-Suisse n'a jamais été d'une grande efficacité.

L'harmonisation fiscale au sein de l'Union européenne ne progresse guère ; pire, alors que la Commission devient de plus en plus directive, le développement sauvage du tax ruling et autre patent box montre que nous divergeons toujours davantage.

Comble de l'absurde, nous légalisons en Europe l'existence de paradis fiscaux de plus en plus nombreux qui, grâce à notre mansuétude coupable, n'en porteront plus officiellement le nom !

Ratifier une telle convention bilatérale, c'est refuser de prendre une partie du problème à bras-le-corps. On nous Andorre (Murmures admiratifs) : il est temps de nous réveiller ! (Sourires et applaudissements sur plusieurs bancs)

M. Éric Bocquet .  - Dans l'attente de la mise en place d'échanges automatiques d'informations, les questions de la fiscalité sont toujours réglées par des conventions bilatérales. Celle avec la Principauté d'Andorre marque l'entrée du droit fiscal de la Principauté dans une certaine forme de modernité. L'impôt sur le revenu qui vient d'entrer en vigueur n'est cependant pas excessif avec une franchise de 24 000 euros et des taux de 5 % et 10 % : des premiers pas timides dans la bonne direction...

Andorre connaît un vigoureux développement économique et accueille un grand nombre de résidents de nationalité étrangère, dont 2 600 Français. Les activités commerciales et touristiques sont les fers de lance de l'économie locale.

Pour certains, le fameux article 25 laisse planer l'ombre d'un Fatca à la française. C'est oublier que les négociations avaient commencé avec un État sans impôt sur le revenu et que la fiscalité de ce dernier a depuis été mise à jour. La France doit être attentive à l'évolution de la Principauté ; la transparence financière et fiscale est plus que jamais nécessaire, d'autant que le gouvernement andorran a l'intention d'ouvrir un casino et de développer une offre de jeux en ligne, qu'on sait difficile à encadrer. Il est d'autant plus important de ratifier la convention.

M. Christophe-André Frassa .  - Nouvelle lecture, bis repetita... placent ? Pas vraiment. Pourtant, ce texte marque une avancée significative vers la transparence fiscale. Nous devons nous en féliciter.

Reste un doute, une inquiétude : le d du deuxième alinéa de l'article 25, une petite phrase malheureuse, maladroite. « La France peut imposer des personnes physiques de nationalité française résidents en Andorre », comme si la présente convention n'existait pas. Dix-neuf petits mots que le gouvernement pouvait s'engager à retirer du texte.

Oui le gouvernement pouvait le faire. Il devait le faire. C'était la seule voie pour rassurer les Français de l'étranger. Le décret venait de paraître. Sur près de 3 millions de Français de l'étranger, 1,7 million sont inscrits dans nos consulats.

En maintenant sa position, le gouvernement actuel n'engage que lui et lui seul. Ce gouvernement passera, je passerai aussi, mais la convention restera. Cette disposition, mal rédigée, fera débat. De deux choses l'une, soit elle a vocation à s'appliquer et un débat parlementaire s'impose ; soit elle n'a pas vocation à s'appliquer et elle n'a rien à faire dans une convention.

Mme la présidente de la commission des finances avait fait le parallèle avec la convention fiscale avec Monaco, que je souffre dans ma chair et mes finances...

M. Gérard Longuet.  - Vous survivez quand même.

M. Christophe-André Frassa.  - Oui, j'ai la chance de pouvoir payer des impôts, comme me l'a toujours dit mon père : si l'on paie des impôts, c'est que l'on en a les moyens. (Sourires)

L'article 7 de la convention franco-monégasque concerne les personnes de nationalité française, qui, étant nées à Monaco sont considérées comme y ayant « transporté leur domicile fiscal ». Il a fallu 51 ans et un arrêt du Conseil d'État d'avril 2014, pour obtenir qu'il soit enfin reconnu que les Français nés à Monaco sont considérés comme n'ayant pas « transporté leur domicile fiscal » puisqu'ils n'en avaient pas avant de naître. À cause de quelques petits mots mal rédigés, il a fallu 51 ans pour leur rendre justice !

Sous le regard de Charlemagne qui a « délivré les Andorrans » comme dit la première strophe de l'hymne andorran, je vous le dis : le groupe UMP ne votera pas ce texte, il est loin de considérer que ces petits mots seront sans effets juridiques.

M. François Fortassin.  - Eh ! Charlemagne. Où êtes-vous ?

M. Harlem Désir, secrétaire d'État .  - Il est clair que cette convention ne doit pas être interprétée par quiconque comme une incitation à transporter son domicile fiscal à Monaco. (Sourires) Je vous renvoie plutôt à la devise de Charlemagne : « ne jamais céder à la peur ! »

Les bénéfices de la convention ont été rappelés. Je vous invite à adopter ce texte. (Applaudissements sur divers bancs)

La discussion générale est close.

Discussion de l'article unique

M. Olivier Cadic .  - Je regrette que ce texte inopportun n'ait pas été retiré. C'est au Parlement de décider. Qui est élu au suffrage universel ? Les fonctionnaires de Bercy ou les membres du Parlement ? Je voterai contre ce projet de loi de ratification. Je vous invite à faire de même. Si ce texte finit par passer, ce ne sera pas par le Sénat.

M. Louis Duvernois .  - Le Sénat avait déjà eu le courage de ne pas adopter ce texte en décembre dernier, suivant l'esprit de la commission d'enquête sénatoriale sur la fraude et l'évasion fiscales. Membre de cette commission d'enquête et auteur d'une proposition d'amendement, je rappelle que nos doutes portent sur l'imposition des personnes de nationalité française résidant en Andorre, « comme si la présente convention fiscale n'existait pas ». C'est une première. De facto, on ajoute ainsi au principe de territorialité fiscale, le concept, nouveau en droit français, de nationalité. Beaucoup de Français résidant à l'étranger ayant aussi une autre nationalité, on pourrait ainsi les inciter à renoncer à la nationalité française.

Le ministre nous dit que cet article 25 n'a pas d'importance réelle. Pourquoi alors ne pas le supprimer ? Je ne voterai pas ce projet de ratification de la convention fiscale entre la France et l'Andorre.

Mme Hélène Conway-Mouret .  - Il est impensable que certains de nos compatriotes choisissent de placer leurs avoirs dans des paradis fiscaux, surtout aux portes même de notre pays. Toutefois, l'inquiétude est réelle et, lors d'une réunion, nous avions souligné le caractère maladroit de cette rédaction. Il est dommage qu'elle n'ait pas été amendée. Je m'abstiendrai.

M. Robert del Picchia .  - J'étais tenté de voter pour... Même si ce gouvernement n'a pas d'arrière-pensée, il y a tout de même un danger, celui de voir un gouvernement s'engager dans cette voie de l'imposition fondée sur la nationalité. Voyez les États-Unis. Beaucoup des 200 000 Français qui y résident ont déjà des problèmes au regard de la législation sur les banques. Je connais un Français qui a la nationalité américaine pour être né aux États-Unis. Il vit et travaille désormais en France où il est instituteur et le fisc américain lui réclame des impôts au nom du principe de nationalité. N'ouvrons pas à un gouvernement futur la possibilité d'aller dans cette direction !

M. François Fortassin .  - On a bien entendu toutes les raisons de voter contre. Pour autant, je voterai pour. L'Andorre, que je connais bien, comme Pyrénéen, est le creuset de toutes les tricheries. Si nous votons contre, on dira « une tricherie de plus »... Alors, oui, je voterai pour.

M. Éric Bocquet .  - Il ne s'agit pas de viser nos deux millions de compatriotes expatriés. Je suis surpris du débat crispé de ce matin, alors que des révélations récentes se sont multipliées, exaspérant nos concitoyens, qui attendent des avancées et non pas des reculades.

À la demande du groupe UMP, l'article unique est mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente - Voici le résultat du scrutin n° 102 :

Nombre de votants 332
Nombre de suffrages exprimés 330
Pour l'adoption 141
Contre 189

Le Sénat n'a pas adopté.