Débat sur l'aviation civile à l'horizon 2040

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur les perspectives d'évolution de l'aviation civile à l'horizon 2040 : préserver l'avance de la France et de l'Europe.

M. Bruno Sido, président de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques .  - À la demande du Bureau du Sénat, en juin 2011, l'Opecst a été saisi de la question de l'avenir de l'aviation civile. Pour établir son rapport, M. Courteau, vice-président de l'Office, a mené de nombreuses auditions, s'est déplacé à Bruxelles, en Allemagne, aux États-Unis et au Canada, et a conduit deux années d'investigations. Le rapport, adopté à l'unanimité en juin 2013, a trouvé un certain écho dans la presse. Ce débat, initialement programmé le 15 octobre à notre ordre du jour, était très attendu.

Le président de l'Opecst que je suis ne peut que se réjouir de s'être vu confier par le Bureau du Sénat cette étude. Le rôle de l'Office est bien de débroussailler des questions scientifiques et techniques complexes, afin d'éclairer des choix politiques.

Sa méthode, éprouvée depuis trente ans, consiste à recueillir toutes les données et à confronter les points de vue avant de tenir un débat approfondi en séance plénière. Le plus souvent, une journée d'auditions publiques est organisée à mi-parcours et retransmise sur la chaîne parlementaire. En tant que président, je suis garant de l'observation de ces règles, grâce auxquelles nous avons publié 162 rapports de qualité. J'insiste sur l'importance de la participation de tous les membres afin que priorité soit donnée à l'Office dans les agendas parlementaires.

Je rends hommage au travail précis de M. Courteau, dont c'est le sixième rapport pour l'Office. L'observation des mécanismes de l'innovation fait partie de nos thèmes favoris : ce fut l'objet du rapport Birraux - Le Déaut sur L'innovation à l'épreuve des peurs et des risques, en 2012.

L'inventivité des ingénieurs français depuis le XIXe siècle et leur facilité d'adaptation ont fait émerger en France une industrie de l'aviation de premier plan. Rien ne doit venir l'entraver.

La nécessité du développement durable, de la formation, les ruptures technologiques obligeront sans doute à modifier certains paramètres de l'aviation civile. On se prend à rêver de drones permettant des incursions vers le futur, pour y tracer la meilleure trajectoire vers 2040, grâce à un carburant sorti de notre imagination... (Applaudissements)

M. Roland Courteau, rapporteur de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques .  - En quarante ans, les progrès de l'aviation civile ont été spectaculaires. C'est le résultat de décennies d'efforts de l'État, des industriels et des chercheurs. La France et l'Europe sauront-elles préserver leur avance ? L'avenir se décide aujourd'hui. J'ai voulu cerner les défis auxquels le secteur sera confronté d'ici 2040.

Depuis quarante ans, le nombre de passagers a été multiplié par dix et le volume du fret par quatorze. La consommation a été réduite de moitié. Depuis 1986, la sécurité des vols, mesurée par le nombre d'accidents mortels, a été améliorée d'un facteur 5.

Pour la France, l'aviation civile est une industrie majeure : 330 000 emplois directs, 1 000 000 d'emplois directs ou indirects, 75 milliards d'euros de chiffre d'affaires, 18 milliards d'euros d'exportation. Cette industrie détient également un très fort pouvoir de diffusion technologique dans l'ensemble du tissu industriel français. Qu'en sera-t-il dans trente ans ?

Le trafic doublera entre 2030 et 2040, ce qui confronte l'aviation civile à un quadruple défi : la baisse de la consommation unitaire des avions en kérosène, alors que le prix augmentera ; l'amélioration de l'efficacité de la navigation aérienne ; l'accroissement des capacités d'accueil des aéroports et l'apparition d'un nouvel acteur, les drones civils.

Face à ces défis, un déploiement de compétences scientifiques et technologiques est nécessaire. Ces avancées devront progresser frontalement, à défaut de quoi des goulets d'étranglement se formeront.

Une autre question se pose. Les avions qui seront lancés en 2025-2030 et qui succéderont aux modèles sortis récemment ou en voie d'être lancés seront-ils conçus, comme par le passé, sur la base d'une forte poussée technologique ou de ruptures technologiques fortes ?

L'architecture des avions a peu évolué depuis soixante ans. Des pistes sont explorées en vue d'une rupture technologique -aile haubanée, aile rhomboédrique, aile volante. Mais il n'est pas certain qu'elles puissent déboucher sur des applications pratiques avant 2030.

La propulsion intégrée, c'est-à-dire l'inclusion des moteurs au fuselage, offre probablement des perspectives de mise en oeuvre moins lointaines.

Les améliorations de la motorisation des turboréacteurs pourraient, d'abord, porter sur les parties chaudes du moteur, amélioration du cycle de combustion, substitution des céramiques à certaines parties métalliques en vue de gains de masse. Quant aux parties froides des moteurs, les moteurs à hélices contrarotatives entraineraient des gains bruts de combustion de l'ordre de 30 %. Mais l'absence de carène augmente la trainée, diminue l'aérodynamisme, augmente le bruit et laisse, également, en suspens des problèmes de sécurité.

L'inclusion croissante de composites dans l'aérostructure est un facteur de gains de masse décisif. Une tonne en moins dans l'aérostructure aboutit à économiser 6 000 tonnes de kérosène sur la durée de vie de l'avion.

Cette technologie pose néanmoins des problèmes, d'une part, de foudroiement car les composites ne forment pas une cage de Faraday, ce qui oblige à les « grillager » et réduit les gains de masse, et, d'autre part, de vieillissement car la durée de vie des composites dans les conditions d'usage d'un avion est beaucoup moins connue que celle de l'aluminium.

Le doublement escompté du trafic ferait passer la demande mondiale annuelle de l'aviation civile en kérosène de 250 millions de tonnes à 500 millions de tonnes. Ce surcroît de demande pourrait être en partie absorbé par les progrès technologiques et la modernisation de la navigation aérienne. Mais des besoins subsisteront d'où la nécessité de développer les biokérosènes.

La première génération de production de biokérosènes par hydrotraitement des huiles en est au stade de la démonstration industrielle ; elle réduit de 30 % les émissions de gaz à effet de serre mais a l'inconvénient d'entrer en concurrence avec les usages agricoles : pour fabriquer le kérosène nécessaire au trafic aérien de l'Union européenne, il faudrait mobiliser à cette fin 24 % des terres agricoles.

La seconde génération qui repose sur la gazéification de la biomasse est plus prometteuse. Mais son déploiement repose sur des investissements très coûteux dont le retour financier pourrait être supérieur à dix ans.

Les biokérosènes de troisième génération fabriqués à partir de microalgues n'ont pas les inconvénients des deux premières filières. Mais cette filière n'est pas mûre technologiquement et aboutit à des prix de référence trop élevés.

En ce qui concerne les aéroports, mentionnons l'idée du « béton mou », venue des États-Unis, pour raccourcir les dégagements prévus au décollage et à l'atterrissage.

La navigation aérienne est, dans la chaîne de valeur de l'aviation civile, le segment qui pourrait poser le plus de problème en cas d'accroissement du trafic. L'Union européenne a lancé un programme de modernisation : SESAR. Ce système repose sur le positionnement numérisé, en quatre dimensions, des avions qui, à terme, devrait permettre d'optimiser leur trajectoire et de réduire les délais de route. Mais la mise en oeuvre de ce programme ambitieux, dont la réalisation s'étalera jusqu'en 2025, suscite des interrogations : l'équipement des avions coûterait 23 milliards aux compagnies....

Voilà pourquoi je m'inquiète de la baisse des dotations publiques à la recherche.

La période 2025-2030 sera une charnière car c'est là que des goulets d'étranglement pourraient apparaître et des ruptures technologiques survenir. Préparons-nous y dès maintenant.

Il est urgent de rendre à l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (Onera) les moyens de travailler. Depuis 2011, ses subventions sont passées de 140 millions à 60 millions, quand les crédits allemands, chinois et américains doublaient.

Je recommande aussi les recherches spécifiques aux avions à hélices et à la turbo-propulsion, intéressantes en cas de renchérissement du coût du carburant. Intensifions aussi nos efforts pour développer les biokérosènes et les drones.

L'aviation illustre le décalage français entre une demande de main-d'oeuvre pointue et une offre inadaptée. Il est urgent de développer l'enseignement en alternance, à tous les niveaux, comme le font les Allemands à Hambourg. Et il ne faut pas oublier les logiciels embarqués, clé de voûte de la modernisation.

Veillons enfin à la modernisation des aéroports et confions à Aéroports de Paris une mission d'exploration pour fédérer les recherches menées en Europe sur l'intermodalité, l'unification des fonctions opérationnelles, les contrôles de sécurité et l'acheminement des bagages -3 % d'entre eux se perdent dans le monde, ce qui occasionne des pertes importantes pour les compagnies aériennes.

Je conclurai en rappelant que l'aviation civile représente 1 000 000 d'emplois directs et indirects et que ses innovations irriguent l'ensemble de l'industrie. C'est dire son importance pour notre économie. (Applaudissements)

Mme Françoise Laborde .  - L'aéronautique demeure l'une de nos industries les plus dynamiques : 330 000 emplois directs, 1 000 000 en tout et 4 % du PIB. Les États ont su coopérer, ainsi que les industriels, dans l'intérêt de tous.

Cette industrie crée encore de nombreux emplois. Incitons les jeunes à s'orienter vers cette filière d'avenir mais qui est confrontée à de nombreux défis, rappelés par M. le rapporteur. Les investissements nécessaires seront lourds.

Le trafic est en hausse, notamment dans les pays émergents. Les flottes devront être adaptées. Les drones pourraient être utilisés à des fins commerciales.

La raréfaction du pétrole pourrait freiner son développement, d'où la nécessité d'accentuer les recherches sur les biocarburants. Pourquoi l'Opecst ne s'est-il pas intéressé à l'hydrogène, qui pourrait ne pas être dangereux à l'état solide ? Les évolutions technologiques ne suffiront pas à contenir la demande de carburants.

Air France pâtit de la concurrence des compagnies pratiquant le dumping social et fiscal. L'aviation civile subira aussi la concurrence du TGV. Favorisons l'intermodalité entre ces deux modes de transports complémentaires.

M. Roland Courteau, rapporteur.  - Très bien.

Mme Françoise Laborde.  - Comme le rapporteur, nous nous inquiétons de l'érosion des crédits de recherche. Les programmes d'investissements d'avenir, qui ne donnent aucune visibilité aux industriels, ne sont pas à la hauteur des enjeux. Au lieu de céder des parts dans Aéroports de Paris et EADS, l'État devrait assumer son rôle de stratège afin d'assurer la pérennité de cette filière d'excellence. (Applaudissements)

Mme Corinne Bouchoux .  - Je salue le travail important de M. Courteau. Les écologistes souhaitent voir évoluer le mode d'examen des rapports de l'Opecst : un débat en séance ne suffit pas pour des sujets si denses ; favorisons les regards croisés. Nous déposerons une proposition de loi sur ce point précis.

Grâce à son savoir-faire, notre industrie aéronautique offre aux usagers des services répondant à leurs besoins. Des efforts ont été accomplis pour diminuer la consommation de carburant et remplir les avions.

Le rapport manque, selon nous, d'un volet plus critique sur les nuisances et limites du transport aérien. Pour lutter contre l'effet de serre, toute l'industrie doit se mobiliser. La France n'a-t-elle pas pris des engagements de baisser les émissions de gaz à effet de serre ? Organisatrice de la prochaine conférence internationale Cap 21, elle se doit d'être exemplaire.

Pour parer aux risques, d'autres solutions existent, comme le report modal : nous plaidons pour la modernisation des voies ferrées et récusons l'opposition de l'air et du rail. Ces deux moyens de transport sont complémentaires, quoique l'avion soit plus coûteux.

Envisageons les situations concrètes sur notre territoire. Vous me voyez venir avec mes gros sabots, monsieur le ministre... Les nuisances sonores à Nantes justifient d'autant moins le transfert de l'aéroport à Notre-Dame-des-Landes que les avions font de moins en moins de bruit. Les statistiques de 2003 sont caduques. Reportez-vous à celles publiées par Adecs Air Infra en septembre 2013. Songez aux aéroports vides en Espagne, au Canada, ou à l'aéroport Willy-Brandt, un modèle de technologie, près de Berlin, qui n'est pas prêt d'être inauguré. (Applaudissements sur les bancs écologistes)

M. Charles Revet .  - Certains débats prêtent plus aux discours alarmistes ou polémiques que celui-ci. Reconnaissons les progrès de l'aviation civile en cinquante ans et la place que la France et l'Europe y ont prise.

Le transport aérien s'est rationalisé : le taux de remplissage des avions est passé de 55 à 75 % entre 1970 et 2010 ; le trafic a été contenu, malgré la hausse du nombre de passagers. Le nombre d'accidents mortels par million de décollages est passé de 40 en 1955 à 0,7 en 2010. (M. Roland Courteau, rapporteur, confirme)

En 2030, le nombre de passagers atteindra 60 à 80 millions. Les progrès réalisés autorisent une relative sérénité. La consommation de carburant ne devrait pas exploser : les avions consomment désormais moins de trois litres par heure et par passager.

La prise de conscience des nuisances sonores a donné lieu à des mesures fortes, comme l'interdiction des vols de nuit.

Ne craignons donc pas l'augmentation du trafic. Les nouveaux défis concerneront surtout les pays émergents, où les infrastructures font défaut.

Les industries française et européenne auront-elles toujours leur place dans l'aviation civile en 2050 ? Oui, sans doute. Il faudra construire des avions moins énergivores, qui aillent plus loin, qui soient plus gros. Airbus détient toujours une longueur d'avance sur ses concurrents, y compris sur l'autonomie en vol et la consommation : je pense notamment au modèle Neo.

Peut-on voir au-delà d'une dizaine d'années ? Je crois que oui. La pile à combustible pourrait être une source d'énergie alternative.

La relocalisation du siège social d'Airbus à Toulouse témoigne de l'enracinement de cette entreprise. Le choix du nom d'Airbus, au lieu d'EADS, lui donnera plus de visibilité.

Depuis l'après-guerre, les grandes compagnies aériennes européennes ont su se maintenir dans le peloton de tête. Malgré la concurrence des émergents, trois compagnies européennes figurent toujours dans les dix premières mondiales.

Je crains pourtant que cela ne dure pas, en raison de la concurrence des compagnies low cost et de la faible croissance du marché en Europe. Quant aux marchés émergents, ils sont imperméables, en raison des coûts d'investissement mais aussi de barrières juridiques.

La concurrence de certaines compagnies du Moyen-Orient est agressive et inéquitable. Elles sont subventionnées par des États prêts à tout pour améliorer leur visibilité.

Les compagnies européennes doivent d'urgence rationaliser leurs dépenses. C'est l'objet du plan Transform 2015 d'Air France : conserver les grandes lignes de son périmètre d'activités tout en baissant les coûts.

Il y a aussi des coûts externes : la France et l'Union européenne devront construire des infrastructures de qualité et ramener les taxes aéroportuaires à un niveau raisonnable.

Si nous restons les bras ballants, nos compagnies continueront à subir des distorsions de concurrence.

Je pense aussi à l'application des quotas d'émission aux compagnies extra-européennes.

Dernier défi que devront relever les compagnies aériennes et auquel les États ne peuvent rien : améliorer la compétitivité hors coût en comptant sur la réputation européenne.

N'oublions pas que la préservation d'une grande compétitivité nationale est un élément indispensable de souveraineté et de soft power. À nous de lui offrir les conditions de son développement.

M. Bruno Sido, président.  - Bravo !

M. Vincent Capo-Canellas .  - La France doit la réputation de son aviation civile à son histoire, à ses pionniers et à son rang. Comment conserver notre place ? Le rapporteur pose parfaitement les termes de la question. J'entends parfois dire qu'il ne serait pas utile de soutenir la recherche dans l'aviation civile, florissante. C'est méconnaître les défis que connaît ce secteur face à la concurrence de l'américain Boeing, de la Chine, du canadien Bombardier et des Russes. Bref, ne baissons pas la garde ; la concurrence mondiale est là, y compris sur les équipementiers et les motoristes.

Notre industrie française et européenne est donc engagée dans une course contre la montre pour préserver son avance technologique. La période 2015-2020 sera charnière. C'est tout le défi du remplacement de l'A 320, qui a dominé les années 1980 à 2000, ou la construction de moteurs et d'équipements plus économes.

La réduction de la consommation, des nuisances sonores, des gaz à effet de serre requiert des ruptures technologiques. M. Courteau, dans son rapport, détaille les recherches qui pourraient aboutir à l'avion du futur. Pour ma part, je veux insister sur l'État stratège. L'investissement public dans la recherche est d'autant plus important que les retours financiers sont longs. Soit nous sommes capables de le maintenir, soit nous devrons trouver rapidement un autre modèle.

Pour moi, l'aviation civile ressortit de la souveraineté économique. Le Corac estime les besoins à 160 millions par an, la DGAC n'a que 60 millions à nous offrir... Les crédits de l'Onera sont à la baisse, comme les crédits de recherche sur l'aviation militaire dans la loi de programmation. Méditons ces questions en nous autorisant à réfléchir à d'éventuelles alliances pour bâtir de grandes compagnies aériennes -car c'est là aussi un enjeu important, comme M. Revet l'a justement souligné. (Applaudissements)

Mme Cécile Cukierman .  - Secteur essentiel, l'aviation civile représente 1 000 000 d'emplois directs et indirects, et 75 millions de chiffres d'affaires. Outre son poids économique, elle joue un rôle majeur dans la transition écologique. M. Courteau préconise le soutien à la recherche, c'est effectivement la clé de l'innovation. Malheureusement, les crédits de l'Onera sont passés de 140 millions à 60 millions et la feuille de route du Corac est très partiellement financée. Voilà l'effet contreproductif des politiques d'austérité.

En refusant d'investir, l'État freine la reprise.

Nous prenons acte du développement des drones dont il faudra encadrer les usages pour garantir les libertés.

Nous sommes dubitatifs devant les biokérosènes, présentés comme la panacée. Oui à des recherches à condition que ces biocarburants ne se développent pas aux dépens de la vocation nourricière de l'agriculture.

Nous ne contestons pas le bien-fondé d'une politique européenne du trafic aérien. En revanche, nous nous interrogeons sur la libéralisation qui l'accompagne. D'après le dernier rapport d'Eurocontrol, 18 % des avions ont 15 minutes de retard... Trop souvent, la sécurité cède le pas devant les exigences de rentabilité.

Concernant les aéroports, l'État ne devrait pas céder ses parts dans Aéroports de Paris et baisser les seuils à partir desquels il peut venir en aide aux aéroports régionaux.

Plutôt que la formation en alternance, misons sur une formation initiale d'excellence. Résoudre l'équation de la compétitivité de notre aviation civile ne requiert pas seulement des réponses scientifiques et technologiques, mais aussi la fin de la libéralisation du secteur ! Le dumping social et fiscal fait rage, à preuve la condamnation récente de Ryanair à 9 millions d'amende pour travail dissimulé. Charge à l'État de renforcer la législation. Le plan d'Air France Transform 2015 risque de se traduire par une pression sur les salaires. Je pense aussi à la grève des contrôleurs aériens face aux projets de règlement qui dénient à leur fonction le caractère de service public, et ouvre la voie à l'externalisation.

Plutôt que la concurrence, mieux vaut la coopération. Souvenez-vous d'Airbus et d'EADS ! Nouons de nouveaux partenariats pour maintenir l'excellence de notre aviation civile. (Applaudissements)

M. Jean-Jacques Mirassou .  - Comme tout Haut-Garonnais, je dresse l'oreille dès que j'entends parler d'aviation. (Sourires) Faut-il rappeler les débuts de ce secteur à Toulouse, les noms de Latécoère, Didier Daurat, Mermoz, Saint-Exupéry, le formidable bond qu'il a effectué depuis et la vitesse vertigineuse avec laquelle il pourrait se développer d'ici 2040 ? Airbus, qui est européen dans ses gênes, pourra-t-il continuer d'avoir un avion d'avance sur la Chine ? Là est toute la question à laquelle cet excellent rapport de prospective s'attaque.

Nécessité absolue de la baisse de la consommation, baisse des émissions de gaz à effet de serre, doublement du trafic, tous les défis sont bien exposés par M. Courteau, qui y répond en évoquant les matériaux composites, le biokérosène. Il évoque aussi la possibilité de moteurs électriques couplés au train d'atterrissage, afin de ne pas utiliser les réacteurs pour rouler sur le tarmac. La recherche est en marche et c'est une bonne chose. Ce secteur extrêmement compétitif exige une stratégie commerciale de très long terme car, une fois donnée l'impulsion initiale, l'effet d?inertie est considérable.

Poursuivant sur son erre, pour employer un mot de maris, EADS-Airbus fait tout ce qui doit être fait pour se maintenir. Le dossier est politique, l'État stratège ne peut diminuer ses parts en deçà de 14 % dans cette société. Parallèlement, son soutien à l'Onera ne doit pas se démentir.

À l'autre bout de la chaîne, Air France, grande consommatrice d'Airbus, subit la concurrence des compagnies low cost et des compagnies du Moyen-Orient qui paient le carburant à vil prix et sont massivement aidées. Là encore, vigilance car le dossier est politique.

Notre pays mérite un véritable schéma national des infrastructures de transport, qui n'existe toujours pas, pour articuler le rail et l'aérien. De grâce, ne diabolisons ni l'un ni l'autre. (Mme Corinne Bouchoux en convient) Nous aurons ainsi à rationaliser les plateformes aéroportuaires qui font doublon. J'ai le sentiment, à ce propos, que l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes a fait l'objet d'une décision fondée sur des critères objectivables et n'est pas contestable. Au contraire, il est apparu qu'un deuxième aéroport n'était pas utile à Toulouse, Blagnac pouvant être développé. Comme quoi, quand les politiques se mêlent de ce qui les regarde, on aboutit à de bonnes décisions ! (Sourires)

Pour conclure, l'aviation civile -et j'ai le sentiment que le ministre partage cette conviction forte- est une question de souveraineté. La puissance publique doit jouer tout son rôle. Nous serons à vos côtés ! (Applaudissements)

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche .  - Ce débat et ce rapport font honneur à votre assemblée. Lorsque les élus se saisissent des questions stratégiques, ils impulsent et confirment des dynamiques et des choix. L'étude de M. Courteau fait déjà référence.

Que notre industrie aéronautique occupe une place de premier choix est l'évidence : la France, avec les États-Unis peut-être, est le seul pays à avoir un grand constructeur, un grand motoriste, un grand spécialiste d'avionique. Vous avez cité les chiffres : 1 000 000 d'emplois directs et indirects, 75 milliards de chiffres d'affaires, 4 % du PIB, un modèle d'organisation de la filière en grappes avec des liens forts entre grandes et petites entreprises.

Cependant, ce secteur connaît des difficultés. Nous perdons des parts de marché, ce qui se traduit par des plans sociaux douloureux. D'où la nécessité d'un accompagnement au quotidien. Nous portons l'effort sur la filière de la construction et des aéroports. Une partie de vos préconisations, vous le voyez, monsieur le rapporteur, sont d'ores et déjà mises en oeuvre ou sont en voie de l'être.

Dans ce domaine, le consensus politique règne.

M. Charles Revet.  - C'est vrai.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué.  - Les soutiens publics ne diminuent pas à ce secteur qui crée des emplois : 60 000 embauches depuis 2008, 15 000 prévues en 2013. C'est en outre le premier contributeur à notre balance commerciale avec 20 milliards en 2012.

Dans le nouveau programme d'investissements d'avenir, il est prévu 1,22 milliard d'euros, dont 150 à 300 millions consacrés à des recherches préconisées par le Corac.

M. Roland Courteau, rapporteur.  - Très bien !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué.  - J'ai aussi le plaisir de vous annoncer une enveloppe de plus de 1,8 million d'euros dans le huitième PCRD pour l'aéronautique.

Les recherches sur les biocarburants, engagées depuis 2011, doivent se poursuivre sans empiéter sur les terres agricoles ; nous y veillons, madame Cukiermann. Le potentiel des microalgues, n'est-ce pas monsieur Revet, démontre l'intérêt pour la France de posséder le deuxième domaine maritime au monde, y compris pour ses avions. Je veillerai à lever toutes les entraves.

Le Premier ministre a aussi annoncé le financement d'un démonstrateur, lors du salon du Bourget qui fut une nouvelle fois le reflet de l'expérience française et européenne dans le domaine aéronautique. (M. Roland Courteau, rapporteur, le confirme)

La question de la formation, essentielle, occupe également les industriels ; ils veulent trouver des jeunes formés. Dans le cadre du comité de filière, nous avons mis en place un partenariat pour la formation en alternance : 5 000 jeunes en profitent depuis 2013, soit une hausse de 15 % depuis un an.

M. Roland Courteau, rapporteur.  - Très bien !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué.  - Un mot sur un sujet qui me passionne : les drones. Ils représentent un enjeu majeur, la France est très présente sur ce secteur. Nos entreprises ont la faculté d'y faire fructifier leur savoir-faire.

À nous d'impulser les dynamiques, d'affirmer notre volonté stratégique pour rendre cette technologie plus facile d'utilisation et plus abordable. Un premier référentiel réglementaire a été élaboré, l'objectif étant de trouver un équilibre entre sécurité, ouverture sur la technologie et respect de la vie privée. Plus de 350 opérateurs ont reçu une autorisation dans ce cadre bénéficiant d'une réglementation adaptée. Je veux soutenir ces start up des drones qui n'en sont qu'à leurs balbutiements...

M. Charles Revet.  - ...mais ont du potentiel !

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué.  - Créer une mission interministérielle aux drones ne parait pas une solution administrative très opérationnelle.

Mme Laborde et M. Mirassou s'interrogent sur le redéploiement du capital d'EADS en ce qu'il ferait obstacle à l'État stratège. Disons-le clairement : la gouvernance a été revue, et la France a simplement aligné sa participation sur celle de l'Allemagne. Quant à Aéroports de Paris, notre part est passée de 58 % à un peu plus de 50 % ; il est exclu d'aller en deçà. De toute façon, cela requerrait un accord explicite du Parlement.

Concernant les aéroports, il est des moments où des choix politiques s'imposent. J'ai bien entendu l'appel de Mme Bouchoux. La croissance du trafic aéroportuaire dans le grand ouest est la plus élevée de notre territoire, elle atteint les deux chiffres. Il faut donc une nouvelle plateforme aéroportuaire à Nantes. Là où nous pouvons optimiser les aéroports existants, nous le faisons, comme à Toulouse. Je reçois régulièrement les riverains et les élus, je les écoute. Nous devons prendre garde aux nuisances environnementales. Les contrats structurants, pluriannuels, signés avec les aéroports parisiens ont contribué à l'amélioration de nos infrastructures.

On évoque les nuisances, au risque d'oublier que les aéroports parisiens sont une véritable richesse. Vu le niveau de qualification requis, ils apportent une solution aux problèmes locaux de chômage.

Oui, il faut moderniser les systèmes de navigation. La question est européenne, je me félicite que l'ambitieux programme SESAR ait été lancé dès 2004, et la France joue un rôle de premier plan. La mise en place d'un espace aérien unifié en Europe centrale est indispensable pour absorber la hausse du trafic et réduire l'impact environnemental des vols, grâce à des trajectoires optimisées. Laissons le temps à la réglementation européenne de 2009 de porter ses fruits. Halte au harcèlement textuel !

Le programme SESAR donnera lieu à un partenariat unique, entre institutions et acteurs privés ; près de 3 000 personnes seront impliquées. Durant la phase de développement, l'Onera, en partenariat avec la DGAC, Météo France, l'école nationale de l'aviation civile, gérera 75 projets pour 69 millions d'euros. Le futur système européen de gestion du trafic verra le jour d'ici 2025.

Nous menons donc une politique déterminée et résolue pour maintenir le leadership de la France dans les domaines de la construction et des aéroports. La France est d'ailleurs souvent sollicitée par d'autres pays en raison de son savoir-faire. Notre système de navigation, lui aussi, doit rester leader.

Soyons attentifs à tout instant aux choix budgétaires qui doivent assurer le développement à long terme de la filière. L'investissement d'aujourd'hui, ce sont les emplois, c'est l'environnement de demain.

Quelques mots sur notre stratégie pour rétablir la compétitivité de nos compagnies aériennes. Un problème majeur auquel j'ai consacré une communication en Conseil des ministres en janvier dernier. La croissance du trafic est beaucoup plus faible en Europe qu'ailleurs.

Les compagnies aériennes sont concurrencées par des compagnies à bas coût, mais aussi par celles du Golfe. Leur survie dépend de nos choix actuels. Merci à tous ceux, salariés, syndicats, qui reconnaissent la nécessité de faire bouger les lignes. Le plan de redressement doit être accompagné de mesures fiscales et financières, comme la réduction des taxes aéroportuaires et de la taxe sur les nuisances sonores. Dès l'an dernier, j'ai fait diminuer de 40 % la taxe d'aéroport à Charles-de-Gaulle, ce qui a fait gagner 48 millions à Air France, et réduit la taxe sur les nuisances aériennes de 5 millions par an pour les compagnies aériennes. Surtout, j'ai incité Aéroports de Paris à modérer la hausse des redevances aéroportuaires à 2,95 % en 2014 alors que le contrat de régulation économique signé sous le précédent gouvernement autorisait une augmentation allant jusqu'à 3,75 %. D'autres pistes sont à l'étude.

L'État prendra ses responsabilités pour que tous les transporteurs respectent leurs obligations. Je ne peux que me féliciter de la condamnation récente de Ryanair.

M. Roland Courteau, rapporteur.  - Elle était méritée.

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué.  - La concurrence doit être loyale.

Sur un tel sujet, on ne saurait tout dire, sauf à épuiser l'auditoire et l'orateur... (Sourires) Je veux seulement souligner une nouvelle fois à quel point le secteur aéronautique est d'une importance stratégique pour notre économie et notre pays. (Applaudissements)