La montagne, aménagement et développement (Questions cribles)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur la montagne : aménagement du territoire, problématiques foncières, développement économique.

M. Pierre Jarlier .  - Les territoires de montagne sont soumis à des contraintes spécifiques qui appellent des réponses spécifiques. La France et l'Europe les ont reconnus pour l'agriculture de montagne. La moyenne montagne, en particulier, connaît une profonde mutation. Préserver les grands équilibres écologiques tout en développant ces territoires, tel est le sens de la loi Montagne de 1985. Les temps ont changé, il convient de la revisiter. Mme la ministre, vous avez annoncé un chapitre dédié à la montagne dans votre loi sur l'égalité des territoires. Comment comptez-vous associer les forces vives de ces territoires à son élaboration ?

Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement .  - Vous avez raison : la montagne subit des contraintes spécifiques.

L'égalité n'est pas l'uniformité. D'où la création du Commissariat général à l'égalité des territoires, la loi Alur et la prochaine loi sur l'égalité des territoires, qui comportent des mesures ciblées. Il n'est pas question de revenir sur la loi Montagne de 1985.

En 2013, nous avons fourni un effort particulier pour les dotations des communes de montagne. Des dispositions spécifiques sont prévues pour le très haut débit.

Un point important : l'accès aux services publics. Nous travaillerons à la mise en place d'un réseau de 1 000 points d'accès aux services publics d'ici 2017 reposant sur l'initiative locale. Une expérimentation pourra être lancée avec les départements qui le souhaiteront, avant le vote de la loi. Les élus de la montagne pourront s'y associer.

Je suis très attentive aux travaux du Conseil national de la montagne. La Datar est à votre disposition.

M. Pierre Jarlier.  - À situation inégale, réponse différenciée. Le bilan de la loi Montagne est à faire. Il y a eu des avancées dans la loi Alur, mais insuffisantes, et il y en a dans le projet de loi de finances pour 2014, nous espérons que les charges territoriales seront mieux prises en compte dans la DGF. Je prends acte de votre volonté sur les services publics.

M. André Vairetto .  - La non-occupation des meublés touristiques dans les stations de ski - le phénomène « des lits froids et volets clos » - pose problème : 20 % à 40 % du parc n'est pas utilisé. La rénovation de ces logements serait source de développement et de croissance. Les mesures adoptées après la loi SRU n'ont pas produit les résultats escomptés. Une nouvelle impulsion est nécessaire.

Le 18 juillet, la ministre du tourisme a constitué un groupe de travail. Un autre fonctionne sous l'égide de l'Anem. Des collectivités ont mis en place des sociétés foncières. Quelles sont les premières conclusions du groupe de travail du ministère, quel est le calendrier de mise en oeuvre de mesures de réhabilitation de l'immobilier de tourisme ?

Mme Cécile Duflot, ministre.  - C'est le concept même de résidence de tourisme qui suscite ce phénomène de lits froids, par la dissociation entre propriétaires et exploitants, conduisant à un manque d'investissements dans l'entretien. Pour faire face à la dégradation du parc, les stations de ski construisent de nouveaux lits, ce qui souligne la déqualification de l'existant et consomme du foncier, et crée parfois des friches. Mieux vaut, comme vous l'avez dit, réhabiliter l'existant que construire des logements neufs. Les outils comme les opérations de réhabilitation de l'immobilier de loisir ou les villages résidentiels de tourisme n'ont pas provoqué de réinvestissement massif. L'outil de la convention d'aménagement touristique dans la loi Montagne est en revanche trop peu utilisé. Le groupe de travail Savoie réfléchit aux moyens d'en faciliter l'utilisation.

La création de la foncière Rénovation montagne en juillet 2013 semble une initiative intéressante. Mme Pinel a installé un groupe de travail ad hoc. Enfin, il faudra peut-être revoir le régime fiscal, pour ne pas pénaliser l'investissement dans l'existant.

M. André Vairetto.  - Nous sommes d'accord sur le constat. Avançons désormais sur des mesures concrètes pour lever les verrous qui font obstacle à la réhabilitation du parc des meublés de loisir.

Mme Annie David .  - L'Isère est constituée de grandes zones urbaines et de grands massifs comme la Chartreuse ou le Vercors. Sénatrice de ce département, j'entends les craintes des élus de voir les pouvoirs se concentrer dans les mains des entités urbaines. La montagne n'est pas qu'un espace récréatif et qu'un réservoir de ressources énergétiques. Nous attendons du nouveau commissariat général à l'égalité des territoires des moyens d'ingénierie pour développer nos montagnes. De quels moyens sera doté ce commissariat général ? Quels objectifs lui assignez-vous ?

Mme Cécile Duflot, ministre.  - Je crois aux vertus du nouvel outil qu'est le commissariat général. Je le dis avec force : nous voulons la solidarité entre montagne et villes, le Gouvernement ne compte absolument pas se désengager. Vous connaissez le calendrier : la mission de préfiguration est au travail et le commissariat général, qui devrait être en place à la fin du premier trimestre 2014, mettra en oeuvre de nouvelles relations transversales entre l'État et les collectivités territoriales. Il aura un souci particulier des territoires meurtris ou en difficulté. Les métropoles, elles, se sont dotées des moyens d'ingénierie nécessaires. Les crédits destinés aux territoires ruraux en 2014 sont inscrits au titre de la Datar. L'État tiendra ses engagements pour le financement des pôles d'excellence rurale et les pôles territoriaux de coopération économique, sans oublier les 40 millions de la Prime d'aménagement du territoire. (M. André Gattolin applaudit)

Mme Annie David.  - Merci de m'avoir rassurée. Je reste néanmoins inquiète sur le budget amoindri pour 2014 de la mission politique des territoires.

M. Ronan Dantec .  - M. Vairetto l'a dit : la montagne est frappée par le phénomène de lits froids et de volets clos. 50 % des lits touristiques sont vides en saison dans la Tarentaise. Cette sous-occupation chronique des meublés de loisir a des conséquences sur l'environnement ; elle empêche aussi l'accès au logement des populations locales et des travailleurs saisonniers. Pour stopper la spéculation, ne faut-il pas mettre fin au dispositif fiscal sur le logement neuf ?

M. André Gattolin.  - Très bonne question !

Mme Cécile Duflot, ministre.  - Que vous soyez deux à m'interroger sur le foncier en montagne souligne l'importance de la question. Nous devons agir en priorité sur la réhabilitation de l'existant et sa rénovation thermique. Le conseil national de la montagne y travaille, et certains groupes dans les territoires, comme le groupe Savoie. J'ajoute que la loi Alur facilitera la décision dans les résidences où la propriété est morcelée. Il faut aider à l'investissement en utilisant davantage l'outil des conventions d'aménagement touristique de la loi Montagne, ou en s'inspirant de la société foncière Rénovation montagne, créée cet été. Il ne faut pas s'interdire de réfléchir à la fiscalité, qui est plus favorable à l'investissement dans le neuf. Comptez sur notre détermination ! (Applaudissements sur les bancs écologistes)

M. Ronan Dantec.  - Il y a urgence à avancer, sur ce problème qui concerne la montagne, la Corse et le littoral.

M. Jacques Mézard .  - Le 13 décembre 2012, vous déclariez, madame la ministre, « c'est moi qui reviendrai à cette tribune défendre l'égalité des territoires ». Onze mois plus tard, nous nous retrouvons dans cet hémicycle pour débattre de la montagne. Comme vous le savez, elle a ceci de particulier, par rapport à la plaine, que « ça monte ». (Sourires) C'est le cas de mon département.

Le 25 octobre 2012, vous déclariez aux élus de montagne que le Snit mettrait l'accent sur l'accès par la route. Pour les territoires enclavés, il y a la route qui pose problème mais aussi la voie ferrée : sans TGV, on circule moins vite aujourd'hui qu'hier !

Mme Cécile Duflot, ministre.  - Il y a bien un titre « égalité des territoires » qui figurera dans la loi qui sera présentée par Marylise Lebranchu. Le réseau secondaire existant, ferroviaire notamment, a fait l'objet d'arbitrages positifs.

Le désenclavement sera traité dans les Contrats de projets État-région (CPER) qui seront conclus l'été prochain, avec une déclinaison territoriale pour tenir compte des problèmes spécifiques. Je réaffirme l'attachement du Gouvernement à l'égalité des territoires ; ainsi que son plaisir à en dialoguer avec le Sénat. (M. André Gattolin applaudit)

M. Jacques Mézard.  - Je ne suis pas rassuré. Créer des hauts conseils ne servira à rien. Dans ces instances, on ne trouve pas de solution, on y rabâche les problèmes. Il faut combler la fracture territoriale que vous dénonciez à juste titre à cette tribune il y a onze mois. Certains territoires ont un sentiment terrible d'abandon. Les gouvernements, de toutes sensibilités, ont trop souvent oublié qu'il était nécessaire de faire de l'égalité, non des discours, mais des actes.

M. Jean-Claude Carle .  - Le décret du 10 mai 2013 définissant les zones d'application de la majoration de la taxe sur le foncier non bâti entraînera des conséquences néfastes sur nos territoires, les majorations peuvent atteindre 4 000 à 8 000 euros pour une parcelle de 800 m².

Dans mon département, soixante communes réparties autour de trois agglomérations seront touchées. Nombre de nos concitoyens ne pourront pas payer, ils devront se séparer de leurs biens, ce qui est contraire au principe fondamental de droit de propriété. Pour eux, cela s'apparente à une spoliation. Les maires sont inquiets. L'État a décidé les mesures sans organiser de concertation avec les élus locaux. Dans certains cas, ces décisions sont incompatibles avec les Scot et la loi Littoral. Madame la ministre, allez-vous engager une concertation avec les élus pour revoir la liste des communes concernées ? (Applaudissements à droite)

Mme Cécile Duflot, ministre.  - Ce décret concerne les logements vacants. On peut s'interroger, en effet, sur son rapport avec la TFNB. Je redis l'engagement du Gouvernement à préserver l'agriculture périurbaine. La loi Alur comporte des mesures visant à préserver les espaces naturels et agricoles, en zone périurbaine en particulier.

Nous avons fait en sorte que cette disposition ne s'applique pas au 1er janvier 2014 et à ce que les terres agricoles ne soient pas touchées. Certains propriétaires ne vendent pas, en attendant que le prix de leur terrain monte : notre objectif est de lutter contre la rétention foncière en zone constructible, non pas de fragiliser les agriculteurs.

M. Jean-Claude Carle.  - Merci pour ce report, qui tient compte de l'inquiétude des élus et des agriculteurs, afin d'éviter tout effet pervers.

M. Jean-Jacques Mirassou .  - Les inondations en Haute-Garonne ont eu de terribles conséquences. Des sommes ont été heureusement débloquées par le Gouvernement pour financer les travaux prioritaires. Néanmoins, les populations sont inquiètes, impatientes, en proie au désarroi.

Les indemnisations ne sont pas arrivées, loin s'en faut. Pire, certains sinistrés ont reçu des courriers leur indiquant que leur contrat d'assurance était résilié de manière unilatérale par leur compagnie d'assurance.

À moyen et long terme, il s'agit de reconstruire, de réinventer le développement local, ce qui exige un engagement sans faille de l'État, pour redonner espoir aux populations sinistrées.

Mme Cécile Duflot, ministre.  - Je suis tout à fait consciente des conséquences terribles de ces inondations. La mobilisation de l'État ne faiblit pas depuis le mois de juin. Douze millions et demi d'euros ont été dégagés pour les trois départements touchés. Une mission interministérielle a évalué le montant des dégâts à 113,9 millions. Le 22 octobre dernier, le Premier ministre a annoncé une prise en charge exceptionnelle des travaux par l'État, à hauteur de 65,9 millions d'euros. Je connais l'urgence de la situation. Le manque à gagner qu'ont subi les commerçants met en péril la survie de leurs activités. Nous veillons à ce que les interventions de l'État soient les plus rapides possible. Le camping de Saint-Béat a été fermé pour raisons de sécurité, le préfet étudie toutes les possibilités pour sa réouverture. Les services de l'État, mobilisés sur le terrain, sont à votre disposition pour vous accompagner.

M. Jean-Jacques Mirassou.  - Merci pour votre réponse. La montagne se trouve dans une situation spécifique. La puissance publique doit répondre à l'appel que j'ai lancé, pour venir en aide au Comminges.

présidence de M. Jean-Claude Carle,vice-président

M. Jean-Pierre Vial .  - Le très haut débit ne s'est pas encore déployé. Il nécessite un engagement lourd des collectivités locales. Celles-ci demandent des engagements financiers et réglementaires de l'État, afin que celui-ci aide à surmonter les handicaps de la montagne. Des investissements importants sont nécessaires dans les réseaux, cuivre et fibre optique. Dans quelles conditions les opérateurs peuvent-ils intervenir dans les zones AMI ? L'échéance de 2017 pour la 4G ne fait référence qu'à des objectifs nationaux.

Mme Cécile Duflot, ministre.  - Les montants mobilisés par l'État sont très importants, pour le très haut débit dans les zones de montagne. Le périmètre des dépenses éligibles est assez large. Il comprend les réseaux connexes et les raccordements finaux. Les collectivités restent maîtresses de leur technologie. Pour le passage du cuivre à la fibre, un dispositif spécifique est mis en oeuvre sous la responsabilité de M. Paul Champsaur. Pour les segments de marchés d'entreprises en zones AMI, la réglementation européenne interdit les aides là où il y a une initiative privée.

Le taux de couverture en 4G devra être de 90 % de la population de chaque département en 2024 et 95 % en 2027. Je veillerai à ce que les territoires ruraux bénéficient de la mobilisation des services de l'État.

M. Jean-Pierre Vial.  - Merci pour votre réponse. Vous connaissez les inquiétudes des élus.

M. Pierre Bernard-Reymond .  - L'enclavement, une réalité dans les Hautes-Alpes, est la pire des inégalités territoriales. Je vous épargnerai la longue liste des promesses non tenues, la commission Duron ayant fini par reporter après 2050 l'achèvement de l'A51. Ne vous étonnez pas que se lèvent les bonnets rouges, alors que la route Napoléon demeure à peu près dans l'état où l'a laissée l'Empereur. (Sourires) Plutôt que de créer de faux emplois pour redresser la courbe du chômage avant la fin de l'année, pourquoi ne pas investir dans l'avenir et programmer enfin la construction de l'A51 entre Grenoble et Gap ?

Madame la ministre, plutôt que de vous rappeler à vos promesses, je vous propose de vous décharger de ce fardeau. Confiez-le donc aux quatre départements concernés, dont trois présidés par des élus socialistes. L'égalité des territoires par l'investissement et la création d'emplois, n'est-ce pas un beau programme ? (Applaudissements à droite)

Mme Cécile Duflot, ministre.  - L'égalité des territoires est vraiment un beau programme et c'est celui du Gouvernement ! Le projet que vous évoquez est controversé. Il traverse des zones protégées, notamment au titre de Natura 2000 et du parc national des Écrins. Son coût est estimé à 2,5 milliards. L'État ne participera pas au financement d'une telle opération. Les contrats de plan État-Région peuvent participer à la rénovation de la route Napoléon, laquelle n'existait sans doute pas sous sa forme actuelle, bitumée, du temps de l'Empereur... Je ne méconnais pas les difficultés de votre région mais il faut traiter le problème du désenclavement pas seulement du point de vue de la desserte routière mais d'une stratégie globale de mobilité.

M. Pierre Bernard-Reymond.  - Je ne vous en veux pas de lire les notes de votre administration, en partie fausses. Il n'y a aucune zone Natura 2000 sur le tracé de l'autoroute A51. Venez faire la route entre Grenoble et Gap, madame la ministre. Je vais rentrer à Gap ce soir : je partirai à 17 h 19 de la gare de Lyon. Je n'arriverai pas à bon port avant 23 h 30.

La séance est suspendue à 15 h 50.

présidence de M. Jean-Pierre Raffarin,vice-président

La séance reprend à 16 heures.