Europe de la Défense (Questions cribles thématiques)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle des questions cribles thématiques sur l'Europe de la défense.

Mme Leila Aïchi .  - Le traité de Maastricht puis le traité d'Amsterdam sont censés avoir initié l'Europe de la défense. Mais où en est-elle ? Son absence au Mali est symbolique. Nous envoyons nos soldats se faire tuer tandis que nos partenaires envoient des infirmières. La réintégration de la France dans le commandement militaire de l'Otan a un effet direct sur les budgets européens.

Seule une volonté politique forte nous fera avancer. Il est question de fixer un seuil minimum de 1,5 % du PIB pour la défense dans notre pays. C'est au niveau européen qu'il faut porter notre ambition, avec 2 % du PIB : 1 % pour la France et 1 % pour l'Europe de la défense.

Le développement durable est une donnée stratégique à intégrer dans votre réflexion pour arriver à une écologisation de la défense

Après la smart puis la soft défense, il est temps de passer à la green défense.

M. le président.  - Il est temps de conclure !

Mme Leila Aïchi.  - Devant le parlement européen, le président de la République a dit qu'il fallait mettre fin à la dispersion des efforts. Que va faire le Gouvernement ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense .  - La France, madame la sénatrice, n'est pas seule au Mali et l'Europe n'y envoie pas que des infirmières. Vingt-deux pays européens participent à la mission de formation de l'armée malienne, qui commencera dès la semaine prochaine. Plusieurs États ont apporté un soutien logistique à l'intervention.

Reste que l'Europe de la défense est encore en friche. La réunion d'un conseil européen de la défense à la fin de cette année pourrait aider à sa relance. Affecter 2 % du budget à la défense dont 1 % pour l'Europe de la défense serait sans doute généreux mais notre participation à l'Europe de la défense et à l'Otan passe par nos propres capacités, et ce n'est pas ainsi que l'on peut calculer.

M. Jean-Pierre Chevènement .  - Nous savons votre attachement à la défense, à l'outil militaire et à la condition des hommes : vous vous êtes occupé, ainsi, du retard des soldes. La situation budgétaire est préoccupante. Face à l'ampleur des coupes envisagées, nous vous disons qu'on ne peut aller en deçà de 1,5 %, sauf à remettre en question l'outil. Je salue nos soldats, qui ont fait merveille au Mali, dans l'intérêt de la France et de l'Europe, qui pourtant n'apporte qu'un soutien modeste, comme à la mission de formation.

Les contraintes budgétaires sont peut-être une chance, avez-vous dit, pour éviter tout déclassement stratégique. Mais quelles coopérations industrielles et technologiques nouvelles sont venues s'ajouter au programme MRTT, à l'avion A300 M, aux drones ? A quel horizon les missiles pour les frégates et les missiles air-air de longue portée ? Quid du programme Musais? Les crédits seront-ils sauvegardés, sanctuarisés chez nous et chez nos partenaires ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - Je m'associe à votre hommage aux soldats français qui mènent des actions exemplaires et courageuses, comme encore cette nuit à Tombouctou. Je remercie les groupes politiques du Sénat de leur vigilance, à l'heure où se préparent le Livre blanc et la future loi de programmation. Votre position sur le 1,5 % m'aidera. La mutualisation est essentielle, comme vous le soulignez. Il n'y a pas eu de nouveau projet depuis le début de l'année, sinon que des avancées notables dans le domaine des drones et des chasseurs de mines pourraient déboucher rapidement. L'Europe de l'industrie de la défense est en route, même si elle reste insuffisante. Nous ferons tout pour préserver les contrats passés avec nos partenaires.

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Il y a un seuil en dessous duquel on ne peut descendre. Le surcoût de dépense de la France au regard de nos partenaires, 0,5 % du PIB, devrait venir en déduction de la règle des 3 % de déficit. Sinon il y aura une rupture à l'avantage de l'Allemagne.

M. Philippe Paul .  - Le Premier ministre a indiqué que des coupes budgétaires étaient inévitables pour respecter le critère des 3 %, de l'ordre de 5 milliards d'euros. Le budget de la défense serait ramené à 1,1 % du PIB, ce qui serait sans précédent. Nos militaires, notre industrie de défense sont en plein désarroi. Ce serait une catastrophe. Les fondements mêmes de notre indépendance pourraient être remis en question.

La France est intervenue au Mali sous couvert de l'ONU, avec l'aval de l'Union européenne. Cette dépense devrait figurer hors contingent de déficit public. On ne peut pas avoir l'armée française gratis, nos partenaires européens doivent le comprendre. C'est aussi une question de crédibilité de nos armées et de souveraineté.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - En ce moment critique de préparation du Livre blanc et de la loi de programmation militaire, il y a inévitablement des discussions et des arbitrages, dont la presse se fait l'écho. Nous devons à la fois assurer notre souveraineté par la maitrise de nos finances publiques et par une défense efficace.

M. Roland Courteau.  - Très bien !

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - Les arbitrages finaux interviendront dans les semaines à venir.

Ne pas intégrer l'investissement de dépense dans la comptabilité des déficits publics ? L'idée à toute ma sympathie mais je ne puis vous répondre. Puisse le Conseil européen venir éclairer tous ces enjeux.

M. Jean-Marie Bockel .  - 90 % des Français adhèrent à l'idée d'une coopération européenne plus étroite en matière de défense. En ce contexte budgétaire difficile, cela semble de fait opportun. Jean-Pierre Chevènement a cité les accords passés dans le cadre de l'Agence européenne, qui visent à la mutualisation des efforts, nécessaires par exemple pour les avions ravitailleurs, mais le budget de l'Agence stagne. Sans une solide base industrielle et technologique de défense, l'Europe pourrait voir décliner son influence. Je pense notamment à la cyberdéfense, hautement stratégique.

Pouvez-vous nous indiquer quelles sont les propositions sur la table en vue du Conseil européen à venir ? L'Agence européenne verra-t-elle enfin ses moyens renforcés ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - Je partage votre appréciation de l'Agence, outil important de coopération capacitaire, qui a fait la preuve de son efficacité quant on la saisit. Son budget reste modeste : 30 millions annuels, sans revalorisation à cause du blocage britannique. J'espère que le Conseil européen de décembre donnera à l'institution un nouveau souffle.

Ce Conseil européen, qui devrait être un rendez-vous annuel, doit conduire à des avancées pratiques, opérationnelles, notamment pour la gestion des crises, dans le partage capacitaire, pour renforcer les initiatives autour de notre socle industriel. Il ne faudra pas que cette réunion donne un coup d'épée dans l'eau.

M. Jean-Marie Bockel.  - On gagnerait à coopérer en matière de cyberdéfense, mais aussi d'armement classique. Je pense à l'entreprise Manhurin, de Mulhouse, qui a déjà des partenaires slovaques et pourrait s'entendre avec des entreprises belges. Le président Carrère a pris l'initiative de vous assurer du soutien de notre commission des affaires étrangères, pour le maintien d'au minimum 1,5 % du PIB pour la défense. Soyez assurés de notre détermination.

M. Daniel Reiner .  - Au nom de la commission des affaires étrangères, je vous remercie pour votre disponibilité, monsieur le ministre, pour nous tenir en permanence informés des opérations au Mali.

Récemment, le président de la République a participé, à Varsovie, à une réunion préparatoire au Conseil européen de décembre pour renforcer les politiques communes en matière de défense. Nous ne pouvons plus conduire de politique d'armement seuls. Le risque, c'est que les Européens achètent à l'étranger.

Depuis 2000, il n'y a hélas plus un seul programme majeur d'armement en coopération.

Sur les drones, échec industriel patent, on a passé quelques accords avec les Britanniques et les Allemands. N'y a-t-il pas l'occasion de lancer un grand programme européen ? L'Union européenne et les États-Unis vont discuter d'un accord de libre échange. Les industries de l'armement sont-elles concernées par cet accord ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - Je commencerai par l'accord de libre échange entre l'Union européenne et les USA. La Commission a indiqué son intention d'organiser des pourparlers et il avait été envisagé d'inclure la défense dans ces négociations. Ce serait un précédent. Mardi, nous en avons discuté et le consensus s'est fait sur l'exclusion de ce secteur du champ de cet accord.

Certes, il n'y a pas eu de nouveaux programmes industriels de coopération ces dernières années mais certains secteurs devraient permettre de lancer de nouvelles initiatives. Vous avez évoqué la nouvelle génération aéronautique. Nous avons passé un accord de recherche avec les Britanniques.

Sur les drones, il y a un manque capacitaire réel pour notre pays, mais aussi pour la Grande-Bretagne et l'Allemagne, voire l'Italie.

M. le président.  - Veuillez conclure.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - C'est ce que je fais.

Mme Michelle Demessine .  - Une fusion entre EADS et BAE systems aurait pu relancer l'Europe de la défense. La France et la Grande-Bretagne, qui représentent les deux tiers de la recherche dans ce secteur en Europe, ont estimé qu'il fallait coordonner leurs efforts. Cette fusion n'a hélas pas abouti. La cession des actions EADS du groupe Lagardère a entraîné une redistribution du capital avec l'augmentation des capitaux privés dans la structure du groupe, à la satisfaction du PDG d'EADS qui n'est pas favorable à l'actionnariat d'État. Le 27 mars, cette décision devrait être entérinée par l'assemblée générale. Les représentants de l'État vont-ils s'opposer à cette modification de structure contraire à l'intérêt national ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - La fusion entre EADS et BAE n'a pas abouti, en dépit de nos efforts. Nous avions entretenu des relations étroites avec les ministres allemand et britannique de la défense et nous avions bien progressé mais les entreprises n'ont pas jugé possible de faire converger les positions des États et des actionnaires.

Les parties se sont ensuite mobilisées pour résoudre le problème de la gouvernance et conclure un accord sur la restructuration du capital d'EADS. Un noyau d'actionnaires va être constitué.

Ce principe de restructuration pourra être validé lors de l'assemblée générale d'avril. EADS va bien et je me félicite que les intérêts de la France soient préservés.

M. François-Noël Buffet .  - Il n'y a pas d'Europe de la défense sans défense nationale crédible.

Le groupe UMP a soutenu le président Carrère qui a tiré la sonnette d'alarme à propos du danger que représentent les coupes prévues dans le budget de la défense. Comment convaincre nos partenaires si nous utilisons notre défense comme variable d'ajustement budgétaire. (M. Alain Fouché approuve)

La défense est un moteur de croissance. Ce secteur rapporte des milliards à l'exportation, emploie 400 000 salariés et fait travailler de nombreuses PME, dont un ministre répète à l'envi qu'il veut doubler le nombre.

Si le président de la République a pu engager nos troupes au Mali, ce qui, a-t-il dit à Tombouctou, fut le plus beau jour de sa vie politique, c'est parce qu'il disposait d'un outil de défense qui le lui permettait. Ce sont les crédits d'aujourd'hui qui gagent le futur.

Certaines nations sont des moteurs pour l'Europe de la défense, et c'est le cas de la France. Il ne faut pas céder à Bercy, monsieur le ministre. De quels moyens allez-vous disposer pour convaincre le président de la République de ne pas réduire le budget de la défense ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - Je dispose de ma force de conviction et de votre soutien, dont je vous remercie encore. Nous allons être confrontés à des arbitrages difficiles

L'équation est délicate entre la souveraineté de notre pays par la maîtrise de sa dette et par le maintien d'une capacité sécuritaire suffisante.

A chaque préparation d'un Livre blanc et d'une loi de programmation, la question se pose. C'est encore plus difficile aujourd'hui qu'hier.

La précédente loi de programmation n'a pas été respectée, du fait de la crise : à mon arrivée au ministère, il manquait déjà 4 milliards.

Vous savez quelles sont les contraintes de réduction de déficit. J'espère être persuasif pour maintenir notre effort de défense. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. François-Noël Buffet.  - Le Sénat vous soutiendra, monsieur le ministre. M. Cameron a déclaré que s'il demanderait à tous les ministères un effort de 1 %, celui de la défense bénéficierait, en revanche, d'un report des crédits non utilisés. Puisse cette décision nous servir d'exemple.

M. André Vallini .  - Le monde réarme et l'Europe s'apprête à désarmer, et elle risque de connaître un déclassement stratégique et, ainsi, de « sortir de l'histoire », pour reprendre l'expression d'Hubert Védrine. Les menaces n'ont pas disparu, bien au contraire. Il faut relancer l'Europe de la défense, au moment où la construction européenne connaît la plus grave crise de confiance. L'Europe dispose de 1 700 000 soldats et de 175 milliards de budget. La mutualisation de ces moyens permettra de réaliser des économies.

Le prochain Conseil représente une occasion unique de relancer l'Europe de la défense. Quelles sont vos priorités : institutionnelle, industrielle ou opérationnelle ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - Il serait peu efficace d'aborder les mutations indispensables par la question institutionnelle, car cela a déjà échoué. Je vous rappelle les déboires de la mise en oeuvre d'une garantie européenne.

Nous abordons cette question de manière pragmatique, par la gestion des crises et par le domaine industriel. Je sens quelques frémissements sur ces sujets.

L'opération du Mali marque un progrès : il y a 500 militaires européens sur le terrain, qui vont former les soldats maliens.

Dans le domaine des capacités, pour ce qui est du ravitaillement en vol, je note aussi des progrès. Sur l'industrie, la Commission prépare une communication sur la coopération industrielle, pour le mois de mai, qui servira de base de discussion pour le Conseil.

Enfin, le concept de coopération structurée permanente, qui avait disparu des radars, est en train de réapparaître et pourrait donner lieu à des initiatives lors du Conseil.

M. René Beaumont .  - Il y a deux ans, la France et la Grande-Bretagne ont signé un accord historique pour impulser une nouvelle dynamique en matière de coopération militaire.

Ce type de coopération bilatérale est un exemple pour la défense européenne. Certes, cette dernière se fait attendre sur le terrain mais il ne faut pas verser dans le scepticisme.

La France et la Grande-Bretagne sont les deux contributeurs les plus importants de l'Otan, après les États-Unis, et demeurent des puissances mondialement crédibles.

Nous espérons que le Conseil de défense de vendredi confirmera mes propos.

Grâce à ces accords entre nos deux pays, nous avons économisé 150 millions par an.

M. le président.  - Veuillez conclure !

M. René Beaumont.  - Le dialogue franco-britannique doit se poursuivre. Quel avenir pour le traité de Lancaster House, monsieur le ministre ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre.  - La coopération franco-britannique, dans le cadre des accords de Lancaster House, se poursuit positivement. M. Buffet a, tout à l'heure, fait l'éloge de M. Cameron. Je lui rappelle qu'il avait diminué, l'an dernier, le budget de sa défense de 8 %...

Les accords ont l'originalité de comporter un volet nucléaire, et nous progressons dans la constitution de la CJEF, qui sera pleinement opérationnelle en 2016. Des exercices communs ont été réalisés ainsi que l'interopérabilité des systèmes et le partage des renseignements. Nous avançons sur les drones de théâtre comme de génération future et collaborons étroitement sur la guerre des mines.

Les relations sont bonnes, sans être exclusives. Nous avons aussi des relations avec le groupe de Weimar ou le groupe de Vi?egrad. Nous disons à chacun ce que nous faisons avec les autres pour éviter le retour des incompréhensions, voire des grincements que nous avons connu dans le passé. C'est grâce à une coopération capacitaire que nous aboutirons à une gestion plus économe d'un argent public partout plus rare.

La séance est suspendue à 15 h 50.

présidence de M. Jean-Patrick Courtois,vice-président

La séance reprend à 16 h 5.