Dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes. (M. le Premier président de la cour des comptes est introduit dans l'hémicycle selon le cérémonial d'usage)

Monsieur le Premier président, au nom du président du Sénat et en notre nom à tous, je vous souhaite une très cordiale bienvenue dans notre hémicycle.

Votre présence est plus qu'un exercice routinier imposé par le code des juridictions financières : elle illustre les liens étroits qui existent entre nos deux institutions et que les constituants de 2008 ont confortés dans notre loi fondamentale, en développant votre rôle d'assistance au Parlement. Le Sénat lui-même, lors de l'examen de la proposition de loi Accoyer tendant à renforcer les moyens du Parlement en matière de contrôle de l'action du Gouvernement et d'évaluation des politiques publiques, a souhaité introduire dans le code des juridictions financières le principe selon lequel la Cour des comptes contribue à l'évaluation des politiques publiques.

Je ne doute pas que vos fonctions antérieures feront de vous un interlocuteur sensible aux préoccupations du Parlement et je forme le voeu que les relations fructueuses entre nos deux institutions puissent se renforcer encore sous votre présidence.

Votre présence parmi nous, monsieur le Premier président, illustre également l'importance que nous accordons aux missions de contrôle de l'action du Gouvernement et d'évaluation des politiques publiques, que nous confie la Constitution. Ces deux fonctions font partie de notre coeur de métier, comme aime à le rappeler le président Larcher, avec le travail législatif dont elles sont le complément naturel. Comme vous l'avez dit vous-même lors de l'audience solennelle de rentrée de la Cour, « mieux évaluer les politiques déjà conduites permet de mieux concevoir les politiques publiques de demain ».

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes.  - En application de l'article L.136-1 du code des juridictions financières, j'ai l'honneur de vous remettre solennellement le rapport annuel public que j'ai présenté au président de la République ce matin et remis il y a quelques minutes à l'Assemblée nationale. (M. le Premier président remet à M. le président le rapport annuel de la Cour des comptes)

Les contacts entre la Haute assemblée et la Cour sont sans cesse plus fréquents. La Constitution nous confie la mission de vous assister dans votre mission d'évaluation et de contrôle. En 2010, outre les six rapports obligatoires qui nourrissent vos débats budgétaires et financiers, nous vous avons remis six rapports, cinq à la demande de la commission des finances et un à la demande de la commission des affaires sociales. Nous sommes prêts à aller plus loin encore, comme avec l'Assemblée nationale qui organisera le 1er mars, comme l'y autorise son nouveau Règlement, un débat sur le rapport annuel. D'autres voies sont possibles, comme celle qui permet aux commissions du Parlement de prolonger nos enquêtes.

Les enquêtes nouvelles et le suivi des contrôles précédents forment les deux axes du rapport annuel.

Je souligne l'équilibre entre les deux tomes, 25 insertions chacun, poids similaires... Si nous savons être constructifs dans nos observations, nous savons aussi être énergiques et tenaces pour suivre les actions correctrices engagées ou qui tardent à l'être.

Les questions d'emploi et de retraite figurent parmi les grandes préoccupations des Français : prime pour l'emploi, fonds de réserve des retraies, indemnisation du chômage partiel, nous nous sommes penchés sur ces questions d'actualité.

Tradition oblige, le rapport s'ouvre sur l'analyse de la situation des finances publiques, qui reste extrêmement sérieuse. Les objectifs de la loi de programmation 2009-2012 n'ont pas été tenus, la situation s'est même aggravée. Le déficit public pour 2010 a atteint 7,7 %, peut-être 7,5 % du PIB. Le déficit structurel hors plan de relance s'est aggravé, estimé par la Cour à 5,5 %, à cause du ralentissement insuffisant des dépenses et de la baisse des prélèvements obligatoires. Nous procéderons d'ici juin à de nouvelles évaluations. La loi de programmation des finances publiques pour 2011 à 2014 est ambitieuse mais n'a pas de force plus contraignante que les lois de finances et risque de rester au stade de l'ambition.

Pour 2011, nous sommes encore loin des efforts que nous avons recommandés. Il faudrait 13 milliards d'euros d'économies là où la Cour en a identifié 5. L'effort structurel de réduction du déficit résultera des mesures de hausse des prélèvements obligatoires correspondant à 0,5 point de PIB, dont seulement 7,5 milliards sont pérennes.

Pour l'après 2011, les objectifs et la trajectoire seront-ils atteints ? Il est trop tôt pour le dire.

Nous avons consacré un chapitre aux dépenses fiscales, dont le nombre est passé de 400 à 500 entre 2004 et 2009 et le coût a augmenté de 43 %. Leur montant atteint un tiers des recettes fiscales nettes de l'État, leur évaluation et leur estimation sont souvent fausses, la notion même est trop floue : une année « niche fiscale », une année « modalité de calcul de l'impôt »... Il faudrait que les règles soient plus contraignantes afin que soit poursuivi l'effort de réduction du coût des dépenses fiscales, conformément aux recommandations de la Cour en juin dernier. Nous en sommes encore loin.

Le coût de la prime pour l'emploi a été multiplié par deux entre 2001 et 2009, pour atteindre 4 milliards d'euros ; c'est la troisième dépense fiscale. Entre logique de redistribution et incitation au retour à l'emploi, l'imprécision demeure. Elle n'est pas suffisamment ciblée, son pilotage est défaillant, les contrôles insuffisants. La Cour appelle à une meilleure articulation avec le RSA-activité. Il faut les fusionner ou les différencier plus clairement.

Le Fonds de réserve des retraites (FRR) a été constitué en 1999 pour contribuer au financement des retraites à partir de 2020. Mais depuis 2010, il sert à accompagner la réforme des retraites. Le changement de nature du Fonds est source de risques ; la préférence pour le court terme pourrait avoir des conséquences et les réserves non constituées pourraient manquer si le déficit des régimes de retraite perdure après 2020, ce qui est à craindre...

J'en viens aux résultats des politiques publiques. Le système français d'indemnisation du chômage partiel est insuffisamment utilisé et a peu contribué au maintien de l'emploi pendant la crise, contrairement à ce qui s'est passé en Allemagne, en Italie ou en Belgique. Il faut rendre le système plus attractif pour les employeurs et le simplifier.

Nous nous sommes également penchés sur la contribution aux charges de service public d'électricité et aux facteurs qui expliquent sa hausse continue, dont l'obligation de rachat à guichet ouvert des énergies renouvelables à un tarif trop attractif. Le principe du consentement à l'impôt doit être respecté et le taux régulièrement soumis à l'autorisation du Parlement.

Nous nous sommes aussi intéressés aux pôles de recherche et d'enseignement supérieur ou au bilan de l'Agence nationale de la recherche. Nous avons examiné quelques politiques de l'État outre-mer, gestion des risques naturels ou des flux migratoires, politique de soutien à l'agriculture. Les aides à la banane représentent une part excessive de la valeur de la production -jusqu'à 64 % en Martinique. Quel modèle de développement agricole veut-on promouvoir ? La continuité territoriale avec la Corse pose des problèmes de financement. La gestion immobilière de l'État doit être améliorée.

Le second tome concerne le suivi de nos recommandations. C'est une préoccupation majeure pour la Cour. Des progrès ont été accomplis : organismes faisant appel à la générosité publique, services d'eau et d'assainissement. Du côté du CNRS ou du suivi et de l'exécution du budget de l'État, il reste en revanche à progresser. Trois des réserves dont la Cour avait assorti la certification des comptes publics ont été levées, mais neuf autres ont été reconduites. Les niches sociales demeurent trop nombreuses, même si la Cour se félicite d'avoir vu certaines de ses recommandations en la matière devenues force de loi.

Dans certains cas, nos recommandations n'ont pas été suivies malgré l'urgence : je songe à Chorus -les améliorations de gestion espérées sont compromises- ou au Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), dont la gestion est trop laxiste par excès de moyens. Les défaillances constatées en 2002 et 2007 persistent. La cour réitère ses recommandations et souhaite, au regard de l'aisance financière du Centre et d'une gestion peu rigoureuse, que le taux plafond de la cotisation employeur soit revu à la baisse.

Une des insertions les plus critiques concerne le port maritime de Marseille, qui est de moins en moins compétitif ; son image sociale minée par les grèves éloigne les grands groupes étrangers. L'autorité de l'État doit s'exercer pour que les réformes encore inachevées voulues par le législateur soient mises en oeuvre.

Je souhaite que nos contrôles continuent d'alimenter le travail parlementaire. Notre expertise demeure à votre entière disposition. (Applaudissements)

M. le président.  - Le Sénat vous donne acte du dépôt du rapport.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.  - La remise du rapport annuel de la Cour des comptes est un rendez-vous important. Je salue votre enthousiasme et votre constance, monsieur le Premier président. Vous avez raison : vos nombreuses recommandations finiront sans doute par être entendues et peut-être parviendrons-nous enfin à l'équilibre des finances publiques.

Le rapport public de la Cour est salutaire, qui interpelle les politiques, les responsables administratifs, les agents publics, les parlementaires.

La diffusion des bonnes pratiques, l'amélioration des procédures, la recherche des performances, la suppression de structures obsolètes : c'est ce à quoi vous nous invitez. Les 25 points qui font l'objet de nouvelles recommandations seront pour nous de grands sujets d'intérêt. Dans le second tome, les recommandations insuffisamment suivies servent d'alerte à l'opinion publique, qu'il s'agisse de Chorus, du CNFPT, du port maritime de Marseille ou de la participation de la France au corps militaire européen permanent.

Depuis la Lolf, dont vous être l'un des pères et dont nous allons célébrer les dix ans, nos relations se sont considérablement renforcées, en particulier avec la commission des finances ; nous travaillons ensemble dans l'exploitation des enquêtes menées en application de l'article 58-2 de la Lolf et dans l'examen de la loi de règlement.

Je formulerai plusieurs voeux : que l'ouverture de l'assistance de la Cour à de nouveaux organes du Parlement ne porte pas préjudice aux procédures actuelles qui fonctionnent bien ; que nos programmes soient mieux coordonnés, de sorte que nous évitions de doublons et unissions nos efforts ; que la réforme de la Cour et des chambres régionales progresse rapidement. L'imbrication des niveaux de responsabilité est telle que le contrôle ne saurait se limiter aux seules compétences de l'État.

Mon dernier voeu est un rêve : que soient enfin présentés des comptes consolidés de l'État et de la sécurité sociale. Une telle consolidation fera prendre conscience à tous, quelles que soient les orientations politiques, de la nécessité et de l'urgence des réformes.

Mais le rapport publié, il faut en tirer les conséquences, sinon à quoi bon ? La bonne gouvernance est à ce prix. Il est de nos responsabilités de travailler en ce sens. Peut-être, un jour, M. Fourcade n'aura plus à agiter le spectre de la dette perpétuelle ! Vous êtes des magistrats mais aussi désormais des auditeurs des comptes publics. Avec votre appui, nous avons quelque chance de mettre fin aux dysfonctionnements de la sphère publique et de l'ordre dans les comptes publics. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales.  - La synthèse de vos travaux est vertigineuse. La Cour déploie ses études dans l'ensemble de la sphère publique, notamment ses domaines sanitaires et sociaux : FRR, organisation du système de santé en Polynésie, système de collecte de la taxe d'apprentissage... De nombreux sujets nous sont familiers. Sur la grippe A, nos travaux ont été complémentaires et nous vous avons demandé de retracer l'utilisation des fonds mobilisés dans pour la lutte contre la pandémie H1N1 et les modalités de financement. Le Sénat s'est inquiété du niveau des dépenses et de la contribution demandée aux organismes sociaux. La Cour a souligné les aspects inédits de cette crise, rejoignant nos conclusions sur le rôle des grands groupes pharmaceutiques. Je souhaite que les propositions de la Cour pour mieux gérer les grandes crises sanitaires soient suivies : il faudra être plus réactif et n'exclure ni les hôpitaux ni les médecins généralistes libéraux.

Je me félicite de la grande qualité des liens que notre commission a tissés avec la Cour. Je vous en remercie. C'est la preuve que vous nous apportez parfaitement l'assistance désormais prévue par la Constitution.

Nos remarques et nos observations se rejoignent. Le rapport sur la loi de financement est de plus en plus précis et notre commission s'intéresse à la façon dont les caisses répondent aux préconisations de la Cour. Je ne doute pas que les récentes demandes, relatives par exemple au régime d'assurance-maladie en Alsace-Moselle ou aux dépenses de l'assurance maladie qui ne sont pas des remboursements de soins, donneront des résultats tout aussi fructueux. Que 2011 voit s'engager le redressement de nos finances publiques ! (Applaudissements à droite et au centre ; M. Jackie Le Menn applaudit aussi)

MM. les huissiers accompagnent M. le Premier président de la Cour des comptes hors de l'hémicycle.