Questions cribles thématiques (Pouvoirs et médias)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle des questions cribles thématiques « Pouvoirs et médias ».

Mme Marie-Thérèse Bruguière.  - La multiplication des supports d'information, l'explosion du numérique, la profusion de messages diffusés de façon immédiate peuvent entraîner confusion et perte de repères. Plusieurs démarches ont été engagées pour assurer une information de qualité, dont un projet de charte. Quel est l'état d'avancement du code de déontologie des journalistes ?

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication.  - Un comité des sages, présidé par M. Frappat, a élaboré un projet de code de déontologie, prolongement de travaux déjà anciens -le premier texte date de 1918. Une charte « qualité de l'information » a été en outre présentée en 2008.

Le projet de code s'articule autour de quatre thèmes : métier du journalisme, recueil et traitement de l'information, protection des droits des personnes et indépendance des journalistes. Il appartient aux professionnels d'en débattre et, conjointement avec les lecteurs, les internautes ou les téléspectateurs, de le faire vivre. Il a vocation à s'appliquer à tous les médias, notamment aux sites internet de journalisme.

M. David Assouline.  - La concentration de la presse met en péril son indépendance envers le pouvoir économique et politique, d'autant que les patrons des grands groupes en cause sont les amis du Président de la République. L'essentiel de la presse quotidienne régionale (PQR) est dans un petit nombre de mains ; les titres subsistent, mais la ligne éditoriale est la même. La liberté de choix est illusoire.

Monsieur le ministre, qu'envisagez-vous pour encourager des sociétés de presse indépendantes ? Le pluralisme des médias est inscrit dans la Constitution : il faut maintenant passer aux actes !

M. Frédéric Mitterrand, ministre.  - Écartons le caractère légèrement phantasmatique de la question : le pluralisme est un impératif démocratique que le Conseil constitutionnel rappelle régulièrement. D'où les règles très complètes qui l'assurent et qui ont été encore renforcées par la dernière révision constitutionnelle. Le Gouvernement souhaite soutenir les entreprises françaises de médias ; pour pouvoir concurrencer les géants anglo-saxons, elles doivent être confortées sur le marché national et s'appuyer sur un actionnariat solide, dans un cadre qui assure la sécurité juridique de leurs opérations capitalistiques. Le bilan est à cet égard plutôt satisfaisant.

M. David Assouline.  - La concentration n'est pas un phantasme ! Nos concitoyens constatent la grande homogénéité de la presse écrite, ainsi que la fidélité de l'audiovisuel au pouvoir politique. La réalité, c'est que Bouygues, Lagardère et Bolloré détiennent 80 % du paysage audiovisuel.

Il faut limiter les concentrations. Il y va de la crédibilité des médias. Je vous demande des actes ; cessez de mettre la tête dans le sable.

M. Ivan Renar.  - Les concentrations dans la presse écrite suscitent la défiance de nos concitoyens, qui s'inquiètent en outre la mise sous tutelle de l'audiovisuel public.

Les chaînes privées sont aux mains des amis du chef de l'État, tandis que le développement de la TNT aiguise les appétits de TF1 et de M6. Dans la presse écrite, on assiste à l'émergence de nouveaux empires, alors que les moteurs de recherche, dont Google, cannibalisent le marché publicitaire. Si les financiers, obsédés par la rentabilité, s'intéressent tant à la presse écrite, secteur déficitaire, c'est que ces faiseurs de roi ont besoin d'influencer l'opinion publique. Que ferez-vous pour mettre un terme à ces relations incestueuses entre pouvoir et médias ?

M. Frédéric Mitterrand, ministre.  Le sujet a été discuté ici à l'occasion de l'examen d'une proposition de loi socialiste. La nouvelle rédaction de l'article 4 de la Constitution conforte le pluralisme des médias, cependant que son article 34 assigne désormais à la loi la mission d'y veiller. Il existe de nombreux outils de régulation propres à chaque type de médias. Vous savez que la loi de 1986 a interdit le contrôle direct ou indirect de quotidiens dont la diffusion dépasserait 30 % de la diffusion totale.

S'agissant des nominations à France Télévisions, les nouvelles dispositions législatives mettent fin à une hypocrisie patente.

M. Ivan Renar.  - Il est temps de renouer avec le programme du Conseil national de la Résistance, qui a voulu libérer l'information de la toute puissance des monopoles économiques. Il n'y a pas de démocratie sans séparation des pouvoirs. La vigilance démocratique exige des verrous anti-concentration plus efficaces. Enfin, l'éducation nationale doit développer l'esprit critique des futurs citoyens.

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Le conseil d'administration de France Télévisions a suspendu les négociations engagées en vue de la privatisation de la régie publicitaire, en raison du doute sur l'avenir de la publicité diurne, mais aussi parce que des questions déontologiques étaient apparues quant au repreneur pressenti.

Vous avez dit vouloir veiller à ce qu'aucun problème déontologique ne se pose. En cas de maintien de la publicité diurne, un nouveau tour de piste sera-t-il organisé ? Si la vente se fait, quelles garanties de transparence seront apportées de sorte qu'il n'y ait pas de collusion avec des intérêts proches du pouvoir ?

Mme Jacqueline Gourault.  - Très bien !

M. Frédéric Mitterrand, ministre.  - La loi du 5 mars 2009 prévoit l'extinction progressive de la publicité commerciale à France Télévisions. D'où le choix d'ouvrir le capital de la régie publicitaire à un partenaire industriel, que le Gouvernement a approuvé. L'offre la mieux-disante a été retenue le 3 février par le conseil d'administration. Toutes les précautions doivent être prises pour éviter les conflits d'intérêts. Ne mettons pas en doute à la légère la probité de quiconque.

Les négociations sont pour l'instant suspendues, comme l'avait préconisé le représentant de l'État au conseil d'administration.

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Sans mettre en cause quiconque, je répète l'attachement du groupe centriste à des médias pluralistes et à la séparation des pouvoirs.

M. Jean-Pierre Plancade.  - Ma question porte sur la distribution de la presse, organisée par la loi Bichet de 1947 ; ce texte assure la liberté de choix de l'éditeur, l'égalité de traitement des éditeurs, enfin la solidarité entre éditeurs et coopérateurs. Il interdit donc l'exclusion d'un éditeur, ainsi que la libre négociation tarifaire.

Certains demandent une « relecture » du texte, sous divers prétextes, alors que cette loi est pour d'autres indispensable à la survie ou à l'apparition de nombreux titres. Après le souhait d'une « modernisation » de la gouvernance du système par les états généraux de la presse, que veut faire le Gouvernement ?

M. Frédéric Mitterrand, ministre.  - Les états généraux de la presse ont reconnu l'apport de la loi, mais souhaitent améliorer la gouvernance du système. Le Président de la République a souhaité qu'une révision en profondeur donne un nouvel élan à Presstalis. Le projet actuel tend à moderniser la loi sans mettre en cause ses principes fondateurs.

M. Jean-Pierre Plancade.  - Merci pour cette réponse. La nécessité de réformer le système est unanimement acceptée, mais pas au détriment de la liberté de la presse.

M. Bernard Fournier.  - Le dernier contrat d'objectifs et de moyens signé avec l'AFP doit permettre l'adaptation de cette agence au monde actuel, tout en lui apportant les moyens de son développement.

La question du statut inquiète le personnel, qui tient à ce que l'Agence reste une des trois premières mondiales. Mais les missions sont de plus en plus coûteuses. Qu'apporte de nouveau ce rapport ? Quid de l'indépendance de l'Agence ?

M. Frédéric Mitterrand, ministre.  - La loi du 10 janvier 1957 a doté l'AFP d'un statut sui generis lui garantissant l'indépendance, mais pas de fonds propres ni d'actionnaires. Ce statut a donné satisfaction pendant des décennies, mais l'AFP doit maintenant relever un défi technologique. Le rapport qui vient d'être publié propose de distinguer deux personnes morales distinctes, vouées l'une à l'information et l'autre aux opérations commerciales, de la collecte de l'information à la vente des dépêches. La réforme envisagée porte en particulier sur la composition du conseil d'administration et l'association de la direction de l'information à la gouvernance. Avec le nouveau PDG, le Gouvernement étudiera les suites à donner. Sachez qu'il reste attaché à l'indépendance absolue de l'Agence, garant de sa crédibilité internationale.

M. Bernard Fournier.  - Merci. J'apprécie cet engagement sur l'indépendance de l'Agence.

Mme Catherine Tasca.  - En deux ans, le Président de la République a passé deux noeuds coulants au cou de l'audiovisuel public, avec la nomination du président de France Télévisions, qui porte atteinte à son indépendance, et avec la suppression de la publicité en deux étapes. Allez-vous maintenir ce calendrier ? Qui croira que l'État pourrait effectivement apporter les ressources compensant la perte de la publicité ? Que deviendra la production originale ? Négociez-vous à Bruxelles pour trouver de nouvelles recettes ?

Le chef de l'État change de cocher au milieu du gué, quel que soit le coût pour l'entreprise. Confirmez-vous le départ avant la fin du mandat du Président de France Télévisions ? Quelle sera la nouveauté de la mission de son successeur ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Frédéric Mitterrand, ministre.  - Que de questions en une seule !

La nouvelle procédure de nomination met fin à une hypocrisie et est encadrée de garanties que le Conseil constitutionnel a reconnues. L'indépendance de l'audio-visuel n'est pas entamée. Cette procédure a fait ses preuves avec la nomination de M. Jean-Luc Hess. La même sérénité doit entourer la nomination du prochain président de France Télévisions, au choix duquel les parlementaires seront associés. Nous voulons tous une télévision du XXIe siècle, qui garantisse l'excellence de l'audiovisuel public. La loi de mars 2009 prévoit la suppression de la publicité totale sur France Télévisions en novembre 2011 lors de la généralisation de la TNT ; le Gouvernement devra auparavant remettre un rapport au plus tard en mai de cette même année. Les ressources publiques sont prévues. Il n'y a pas urgence à revenir sur la loi de l'an dernier.

Mme Catherine Tasca.  - Le Gouvernement ne change pas de cap. Nous non plus. Vos protestations de soutien à l'audiovisuel public ne peuvent convaincre, aussi longtemps que pèseront les pressions incessantes de l'Élysée sur l'audiovisuel public.

Vous avez vu à Cannes l'importance de l'audiovisuel public pour le financement des films. Vous n'avez aucune recette budgétaire pour sécuriser l'audiovisuel public Nous désapprouvons la voie choisie par le Président de la République sur une prétendue modernisation. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Alain Fouché.  - Quid, aux niveaux régional et local, du contrôle des temps d'expression des uns et des autres assuré par le CSA au plan national ? Cet équilibre a-t-il été respecté partout à l'occasion des précédentes élections régionales ? (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Frédéric Mitterrand, ministre.  - La mission de contrôle du pluralisme est exercée par le CSA. Hors période électorale, le contrôle local est exercé selon les normes qu'il a édictées, sachant que le temps de parole de l'opposition ne peut être inférieur à 50 % du temps de parole de la majorité locale. En période électorale, il faut en outre tenir compte de l'équité.

A l'occasion des dernières élections régionales, le CSA a exercé son contrôle dans les six semaines précédant le premier tour et dans la semaine précédant le deuxième tour. Trente candidats l'avaient saisi : il a estimé que l'équité avait été respectée. Les conclusions du CSA sont accessibles à tous, sur son site internet : les prochaines seront publiées dans dix jours.

M. Alain Fouché.  - Un certain nombre d'observateurs s'interrogent en la matière : l'équilibre doit être respecté.

Merci de votre réponse.

La séance est suspendue à 17 heures 45.

présidence de Mme Catherine Tasca,vice-présidente

La séance reprend à 18 heures.