Débat sur la réforme des lycées

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la réforme des lycées.

M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.  - Dès le mois de février, j'avais demandé à la Conférence des Présidents d'inscrire à l'ordre du jour d'une semaine de contrôle du Sénat un débat consacré à la réforme des lycées. Ce sujet était au coeur des réflexions de la commission depuis deux ans : deux missions d'information avaient été créées, l'une sur la réforme du baccalauréat, l'autre sur la diversité sociale dans l'accès aux classes préparatoires aux grandes écoles. Ce débat, programmé pour le 12 juin 2009, a été repoussé à votre demande, monsieur le ministre, car cette date coïncidait avec votre prise de fonctions. Nous aurions souhaité alors réagir aux propositions formulées par M. Richard Descoings, qui s'était vu confier par le Président de la République une mission sur la réforme du lycée, et présenter nos orientations avant l'annonce d'un projet de réforme. Le calendrier parlementaire ne l'a pas permis : le Président de la République a exposé la semaine dernière les grandes lignes d'une réforme du lycée général et technologique et vous a confié le soin d'en détailler les modalités afin que le premier volet, consacré à la classe de seconde, soit achevé dès la rentrée 2010. J'estime que si tout est dit, nous n'arrivons pas trop tard !

Cette réforme prolonge la rénovation de la voie professionnelle engagée depuis la rentrée 2009. Je tiens à vous assurer de mon entier soutien à la refonte du baccalauréat professionnel en trois ans. Mais j'insiste sur la nécessité de permettre aux bacheliers professionnels de reprendre leurs études dans le cadre de la formation continue.

La réforme sera menée essentiellement par la voie réglementaire, conformément à la nature des mesures envisagées. La commission de l'éducation souhaite néanmoins vous faire quelques suggestions reposant sur un diagnostic partagé. Plusieurs d'entre nous se sont rendus, au mois de septembre, en Finlande afin de comprendre les raisons du succès de l'enseignement secondaire dans ce pays, révélé par la série d'enquêtes menées dans le cadre du Pisa par les experts de l'OCDE que nous avons auditionnés la semaine passée.

Une orientation plus fluide, construite dans la durée, par choix et non par défaut, un accompagnement personnalisé des élèves, une plus grande ouverture des établissements sur le monde contemporain : telles sont les lignes de force du projet tracé par le Président de la République à l'issue d'une longue concertation avec l'ensemble des parties prenantes, lycéens, étudiants, parents d'élèves, enseignants, personnels administratifs et représentants du monde socio-économique.

Ne cédons pas à l'impression que le lycée est en perdition alors que, malgré ses défauts, il parvient à emmener les deux tiers d'une classe d'âge au baccalauréat. Un quart seulement parvenait à ce niveau en 1980. L'élévation des qualifications est indiscutable ; elle doit beaucoup à la création des voies technologique et professionnelle, qui peuvent aussi constituer des voies d'excellence pour nos enfants.

Les questions qui se posent à nous sont donc les suivantes : comment faire pour que le lycée aille encore mieux et qu'il offre à tous les élèves des parcours de réussite et d'épanouissement ? Que faire pour ces 130 000 jeunes qui quittent chaque année le système scolaire sans diplôme ni qualification ? Permettez-moi de revenir sur les propositions que j'avais faites dans mon rapport sur le baccalauréat, et qui sont dans le même esprit que la réforme annoncée. Les faiblesses du lycée sont connues : orientation des élèves par défaut et par l'échec, hiérarchisation des voies et des filières, insuffisante préparation à l'enseignement supérieur. Une réforme du lycée nécessite donc une réflexion sur le collège et le supérieur afin de permettre aux élèves de construire progressivement un projet professionnel et un projet de vie.

C'est pourquoi votre commission avait demandé la mise en place d'une véritable préparation à l'orientation dès le collège. Les parcours de découverte des métiers et des formations à partir de la classe de cinquième et l'option de découverte professionnelle en troisième sont des premiers pas. Il faudrait sans doute aller plus loin et prévoir que la scolarité de tout collégien lui permette d'aborder les trois dimensions des études générales, technologiques et professionnelles.

En outre, les enseignements de détermination prévus en classe de seconde ont été détournés de leur sens et servent en réalité de pré-orientation, avec le consentement tacite du système éducatif. Pour redonner son sens au choix fait par les élèves en fin de seconde, il faut faire découvrir aux nouveaux lycéens l'ensemble des champs disciplinaires, et notamment consacrer une séquence de découverte aux seules études technologiques.

La hiérarchisation des filières du lycée général se traduit par le succès massif de la section S et l'assèchement de la section L, alors que la section ES semble avoir trouvé un point d'équilibre. Cette répartition des effectifs ne révèle pas une appétence particulière pour les études scientifiques mais la conviction que la série S ne ferme aucune porte et permet aussi bien d'entrer en IUT, en khâgne ou en école de commerce. Cela démontre que la plupart des lycéens souhaitent suivre des formations aussi ouvertes que possible. Il serait donc judicieux de mettre en place un tronc commun pour les trois séries, complété par un jeu d'options. Le tronc commun comprendrait le français, la philosophie, les mathématiques, une langue vivante et l'histoire-géographie ; il pourrait valoir également pour les voies technologique et professionnelle, à charge pour les enseignants d'adapter leurs méthodes pédagogiques. Le choix des options serait encadré afin de préserver l'équilibre entre les études littéraires, les sciences économiques et sociales et les disciplines scientifiques. Cela permettrait une certaine différenciation des parcours sans donner libre cours à la reconstitution bête et brutale de filières hiérarchisées.

Le baccalauréat n'est pas seulement le couronnement de la scolarité secondaire ; il ouvre également les portes de l'enseignement supérieur et de la vie active et doit y préparer convenablement. On pourrait réorganiser le cycle terminal en distinguant l'année de première, tournée vers l'acquisition de connaissances et sanctionnée éventuellement par une première série d'épreuves du baccalauréat, et l'année de terminale, principalement destinée à initier les élèves aux méthodes de l'enseignement supérieur et à développer leurs capacités d'autonomie, de réflexion et d'argumentation, grâce au travail personnel et au travail de groupe.

Une fois le baccalauréat acquis, encore faut-il pouvoir s'inscrire dans une filière de l'enseignement supérieur correspondant à son profil. Il est impératif d'accueillir dans le supérieur court, IUT ou STS, tous les bacheliers technologiques et professionnels qui en font la demande.

Ainsi pourrions-nous envisager un droit d'inscription prioritaire de ces bacheliers en STS et dans certaines filières des IUT et le renforcement du mécanisme financier incitatif consistant à indexer une partie des dotations de ces filières sur leur nombre.

Après avoir retracé les préconisations de notre commission, je voudrais insister sur deux points mis en exergue par le Président de la République dans son discours du 13 octobre. Tout d'abord, l'apprentissage des langues ne doit pas être réduit à un simple vecteur d'insertion professionnelle. Il doit être le pivot d'une politique ambitieuse de la diversité culturelle qui permet, en retour, une meilleure connaissance du français, de ses nuances et de ses subtilités. Pour ce faire, il faut développer, tout en mettant l'accent sur la compétence orale dans la maîtrise de l'anglais choisi par 98% des élèves du secondaire, l'enseignement d'autres langues telles que l'allemand, le portugais, le russe, l'arabe ou le chinois. Monsieur le ministre, il n'est pas superflu de proposer à des jeunes issus de familles arabophones d'apprendre l'arabe à l'école de la République ! On ne peut se contenter d'affirmer qu'il n'y a pas assez de demandes quand ces élèves sont aujourd'hui contraints de se tourner vers des circuits parallèles, avec toutes les dérives que l'on connaît. L'apprentissage de ces autres langues ouvrira de nouvelles perspectives dans les pays émergents et offrent à des jeunes d'origine étrangère l'occasion de renouer positivement avec leur identité culturelle. Ensuite, concernant l'élargissement de l'accès à la culture dans les lycées, les solutions proposées par le Président de la République -telles que la création de vidéo clubs, la diffusion audiovisuelle de grands événements ou encore la création d'un référent culturel dans les établissements- sont intéressantes pour rapprocher les jeunes de la culture. Je note que la suppression envisagée de l'épreuve de culture générale dans les concours administratifs de catégories B et C entre en dissonance avec cet objectif. On ne peut pas faire disparaître une épreuve de culture, fût-ce au nom de l'équité.

Pour conclure, ces remarques n'expriment aucune défiance envers la réforme du lycée et le Sénat aura à coeur de poursuivre avec le Gouvernement ce débat essentiel pour l'avenir de notre jeunesse et de notre pays ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean-Claude Carle, au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.  - Permettez-moi une entrée en matière inhabituelle ! Tchouang Tseu rapporte qu'un dignitaire impérial, versé dans les lettres et les choses de l'esprit, s'émerveille de la perfection des oeuvres taillées dans le bois par un simple artisan et de l'aisance avec laquelle celui-ci manie le ciseau et le burin. Il interroge alors l'artisan pour connaître sa méthode, sa recette, son secret. « Je ne trouve pas les mots pour expliquer mon art, », répond l'homme, « c'est ma main qui sait. C'est ma main qui sent s'il faut frapper avec force ou avec douceur. C'est ma main qui trouve la solution et mon esprit qui l'approuve après coup. »

M. Nicolas About.  - C'est du Raffarin !

M. Jean-Claude Carle, au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.  - Ces paroles sont d'une actualité remarquable quand l'intelligence du geste est trop souvent méprisée au profit d'une compréhension conceptuelle et abstraite. Il faut à tout prix refuser la hiérarchisation des formes d'intelligence. Si la sagesse chinoise ne vous convainc pas, reportez-vous aux enquêtes Pisa. Seuls les élèves français ressentent une telle angoisse devant les mathématiques car ils savent qu'une faiblesse dans cette matière vous ferme les portes du lycée général, sans même parler de la filière S. En revanche, ils éprouvent un plaisir réel à étudier les sciences d'observation, à réaliser des expériences, reproduire des montages, retrouver par induction les lois des phénomènes naturels. C'est ce goût et ces compétences latentes qu'il faut développer et valoriser en progressant dans la voie tracée par la grande réforme du lycée en 1902 qui avait déjà conduit à rénover l'enseignement de la physique. Il ne s'agit en aucune manière de dénigrer le goût de la théorie mais de réhabiliter le sens du concret. Nous devons accompagner nos jeunes dans la construction d'un parcours scolaire et professionnel dans lequel ils réussiront parce qu'ils s'y sentiront bien, comme l'a indiqué le Président de la République.

Le Sénat s'est déjà engagé en ce sens lors de la discussion du projet de loi sur l'orientation et la formation professionnelle en prévoyant la mise en place d'un livret de compétences. La première étape de la revalorisation de l'intelligence pratique est déjà bien engagée avec la réforme de la voie professionnelle tout en reconnaissant que celle-ci ne modifiera pas, du jour au lendemain, les représentations sociales négatives ancrées depuis longtemps dans l'esprit des familles. L'alignement de la durée des études pour l'obtention du baccalauréat professionnel sur celles qui conduisent aux baccalauréats technologique et général est le signe tangible de l'égale dignité de toutes les voies de formations. (M. Alain Gournac approuve) L'articulation nouvelle des diplômes favorisera l'accession des jeunes à des niveaux de qualification plus élevée. Un point crucial de cette réforme réside dans l'accompagnement personnalisé, que le Président de la République envisage également de mettre en place au lycée général et technologique avec deux heures hebdomadaires sans alourdissement des emplois du temps. Cette mesure de nature à sécuriser les parcours scolaires ne portera ses fruits que si une large autonomie est laissée aux chefs d'établissements et aux équipes éducatives pour définir les modalités appropriées. Une gestion administrative et uniforme viderait ce dispositif de son sens. Au reste, les enquêtes Pisa montrent que les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande ou le Québec, qui laissent à leurs établissements une large autonomie, ont les systèmes scolaires les plus performants et les plus équitables. Dans cet esprit, ne faudrait-il pas augmenter la part des dotations horaires laissées à l'appréciation des établissements ?

Aucune réforme du lycée, a rappelé le président Legendre, ne sera réussie si la question de l'orientation n'est pas prise à bras le corps. Une bonne orientation, c'est d'abord une bonne information. Or celle-ci est réservée à ceux dont les parents ont déjà emprunté les mêmes voies ou qui sont assez aisés pour recourir aux services de structures privées. (M. Yvon Collin le confirme) Aussi avions-nous jeté les bases d'un service public territorialisé d'information et d'orientation que le Président de la République a présenté dans son discours d'Avignon du 29 septembre dès la discussion du projet de loi relatif à l'orientation et à la formation professionnelle en renforçant le rôle du délégué interministériel à l'orientation, désormais placé auprès du Premier ministre, chargé de préparer le rapprochement de structures aujourd'hui dispersées. Nous avons également complété la formation initiale des conseillers d'orientation-psychologues par une formation sur la connaissance des métiers afin de renforcer leur utilité auprès des élèves. Une attention spécifique doit être accordée à la charnière entre le lycée et l'enseignement supérieur quand 80 000 jeunes sortent sans diplôme de l'université chaque année. En effet, si tous les baccalauréats ouvrent les portes de l'enseignement supérieur, ils n'offrent pas les mêmes chances de succès. Les lycéens, notamment dans les filières professionnelles et technologiques, doivent mesurer les difficultés qu'ils sont susceptibles de rencontrer. (M. Adrien Gouteyron approuve) Le dispositif d'orientation active, mis en place depuis peu dans les universités, répond en partie à ce problème.

Toutefois, il ne suffit pas de dire à un lycéen que son profil l'expose statistiquement à l'échec. Il faut prendre le temps de le rencontrer et de lui proposer une autre orientation, mieux en rapport avec son parcours antérieur. Un entretien personnalisé devrait ainsi être systématiquement proposé à chaque bachelier qui risque de rencontrer des difficultés dans la filière qu'il a demandée en premier choix.

En complément du développement de l'orientation active et personnalisée, il serait utile que les universités fassent connaître les connaissances et compétences nécessaires pour réussir dans telle ou telle filière, ceci afin de mieux guider les élèves dans leur choix.

Ce grand chantier de l'orientation, monsieur le ministre, n'est pas de votre seule responsabilité. Il requiert un dialogue et une collaboration étroite avec vos collègues de l'enseignement supérieur, de l'emploi et de la jeunesse, mais aussi avec les élus locaux, et plus particulièrement les régions. Croyez-bien que notre commission saura appuyer vos efforts, tant en ce domaine que pour la rénovation du lycée vers plus d'autonomie et d'ouverture sur la société.

Songeons à ces quelques chiffres : 30 % des enfants d'ouvriers n'ont qu'un CAP ou un BEP contre 5 % des enfants de cadres, d'enseignants ou de professions libérales ; 90 % des enfants de cadres et d'enseignants obtiennent le baccalauréat contre moins de 50 % des enfants d'ouvriers ; il y a dix fois moins d'enfants d'ouvriers ou d'agriculteurs dans les classes préparatoires que d'enfants de cadres, d'enseignants ou de professions libérales. Nous ne pouvons accepter plus longtemps une telle situation.

Selon Socrate, « le savoir est la seule chose qui augmente lorsqu'on la partage ». Dans notre société où le savoir est la clef première de la réussite, notre devoir est de créer les conditions d'un meilleur accès au savoir et de l'élargissement de sa diffusion. Votre réforme du lycée y contribue, monsieur le ministre. Nous la soutenons et saluons votre détermination, qui n'a d'égale que celle du président Legendre que je remercie d'avoir initié ce débat. (Applaudissements à droite ; M. Nicolas About applaudit aussi)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - Le lycée est un des lieux importants de transmission des savoirs et d'apprentissage, un moment privilégié dans la constitution d'une culture commune et dans la construction de la citoyenneté. Parler du lycée, c'est évoquer une vision de la société et de l'avenir, définir la place que l'on accorde aux jeunes ; en cela, la question de sa réforme est éminemment politique.

Ce débat est l'occasion de nous interroger sur la conception même de l'éducation, donc de son rôle dans notre société. Les réformes menées par ce gouvernement concourent à redéfinir la conception même de notre système éducatif, de la maternelle à l'université, et transforment les missions et les finalités de l'école, passant d'une visée de haut niveau de connaissances pour tous et toutes à une visée tournée vers l'employabilité. Ce projet-là implique une nouvelle conception des apprentissages et des savoirs, ceux qui sont nécessaires aux individus en fonction de la place qui leur est assignée dans la société. Il s'inscrit dans le droit fil de la stratégie de Lisbonne, visant à « construire l'économie de la connaissance la plus compétitive au monde », moyennant quoi l'on pourra disposer, d'un côté, d'un pôle de 30 à 40 % de main-d'oeuvre non qualifiée devant répondre à des critères d'« employabilité », de l'autre, de 40 à 50 % de main-d'oeuvre hautement qualifiée.

C'est à l'aune de cette stratégie que doit s'analyser votre réforme du lycée. Un certain nombre de points faisaient consensus : le déséquilibre entre les différentes voies, leur inégale dignité, l'orientation, les sorties sans qualification, l'hégémonie de la série scientifique, la nécessaire revalorisation du métier d'enseignant... Il ne s'agit pas ici de dresser une image négative de notre lycée mais de nous interroger sur les transformations à opérer pour répondre au défi d'élévation des connaissances et des qualifications d'aujourd'hui. En cela, une telle réforme ne peut s'émanciper ni de l'amont ni de l'aval. De même, la réforme du lycée doit poser la question d'une nouvelle articulation et d'une égale dignité entre les voies générale, technologique et professionnelle. Le poids des déterminismes sociaux marque en effet trop fortement notre lycée. Les filières technologique et professionnelle sont trop peu investies et les élèves issus de milieux défavorisés y sont surreprésentés. Ces filières sont encore méprisées et restent marquées du sceau d'une orientation par l'échec. Je dénonce, à ce titre, le caractère choquant et stigmatisant de l'expérimentation menée par l'académie de Créteil, sous l'impulsion de Martin Hirsch, visant à rémunérer des élèves de lycée professionnel pour leur présence et leur bon comportement.

M. Nicolas About.  - Là n'est pas la question.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - C'est un dévoiement du sens de l'école.

Au lycée professionnel, la réforme est effective depuis la rentrée 2009, avec la généralisation du bac « pro » en trois ans. Le chef de l'État l'a lui-même qualifiée, le 13 octobre, d'« une des réformes les plus importantes de son quinquennat en matière éducative ». Précisant qu'elle devait être « conçue comme la première étape de son projet pour le lycée ». Il y a de quoi s'en inquiéter ! Car cette réforme a été imposée brutalement, contre l'avis des enseignants, alors même que les premières expérimentations montraient que près de 50 % des lycéens concernés ne parvenaient pas jusqu'au diplôme et sortaient sans qualification. Étonnant, quand le but affiché est de « lutter efficacement contre les sorties sans qualification ». Le calendrier imposé était insoutenable. Tous les référentiels n'étaient pas connus à la rentrée. Sur le terrain, cela s'est traduit par la plus grande désorganisation et des problèmes d'orientation : élèves non affectés en lycée professionnel alors qu'ils le souhaitaient, affectés dans une autre branche par défaut, refus de redoublement... Dans les établissements, les personnels se sont mobilisés pour faire en sorte que la rentrée se passe le moins mal possible, mais l'inquiétude est forte. La nouvelle offre de formation manque de lisibilité, tant pour les élèves et les familles que pour les enseignants.

Sur l'orientation, le Président de la République ne nous annonce rien de moins qu'une « révolution ». Elle deviendrait « progressive et surtout réversible » grâce à des dispositifs passerelle. Une sorte de droit à l'erreur. Dont acte. Mais quels moyens sont préconisés pour y parvenir ? Une meilleure information sur les filières, les études supérieures et les débouchés. Or, informer ne suffit pas, il faut surtout parvenir à modifier les comportements induits par les inégalités socioculturelles, qui aboutissent à une limitation des choix des élèves issus des milieux modestes. Il faut enrayer cette autocensure en prévoyant un véritable accompagnement, dans la durée, par des personnels compétents et qualifiés. Or depuis 2006, le Gouvernement procède à une extinction tacite du corps des Copsy, ces professionnels de l'orientation : 50 postes ouverts au concours quand il en faudrait 250 pour maintenir l'effectif actuel, déjà trop limité. Vous mettez en cause leur formation en soulignant ses insuffisances en matière de connaissance fine des métiers mais vous voulez confier leur mission aux enseignants, dont le savoir n'est pas plus étendu. C'est sans doute pour cela que vous envisagez de leur proposer d'effectuer des « stages d'observation en entreprise »... Il en faudra alors beaucoup...

Comment croire à la mise en place de mesures supplémentaires efficaces et de qualité alors que sont confirmées les 16 000 suppressions de postes à l'éducation nationale pour 2010, soit plus de 40 000 depuis 2008. On sait que la sélection par l'échec et l'orientation par défaut se font souvent dès le collège et la classe de 3e. Et ce n'est pas le « parcours de découverte des métiers et des formations » mis en place en 2007 qui a changé la donne. Si rien ne change aussi en amont, le « droit à l'erreur » restera pure incantation.

Pour le chef de l'État, le lycée de demain doit devenir celui de « l'accompagnement personnalisé pour tous les élèves ». Pourquoi pas ? Sauf s'il s'agit de s'inscrire dans la philosophie de l'individualisation des parcours, mesure phare de M. Xavier Darcos, qui allait de pair avec l'autonomie des établissements.

Sans moyens supplémentaires, on peut s'interroger sur l'impact réel de ce dispositif sur la réduction de l'échec scolaire. D'autant que rien n'est dit des modalités concrètes, sinon que ce sera aux établissements de « trouver la solution la mieux adaptée ». De quelle façon ? En utilisant la dotation globale horaire, et donc en réduisant les heures consacrées aux enseignements généraux ? Par le biais des heures supplémentaires ? Quid alors du respect de l'égalité de traitement sur tout le territoire ?

Tout cela participe d'une logique avec laquelle il faut rompre : celle qui consiste à n'interroger l'échec scolaire que du point de vue de l'élève, en réfutant tout traitement global et toute remise en cause de l'institution et des politiques conduites. Car le lycée doit être un lieu où la transmission des savoirs n'est pas réduite à des compétences individuelles, mises en concurrence, où le diplôme, le bac en l'occurrence, garde sa valeur de référence nationale et collective, où est défendue la mission émancipatrice de l'école.

Un autre projet pour le lycée pourrait s'articuler autour de deux grands axes. Tout d'abord, la réaffirmation d'une culture ambitieuse pour tous les futurs adultes, pensée dans une possibilité d'aller-retour avec la formation continue tout au long de la vie, qui doit transmettre des outils intellectuels permettant de comprendre le monde et d'avoir prise sur lui. C'est l'inverse du socle commun minimal qui distingue le minimum pour tous et le supplément pour quelques-uns. Ensuite, la lutte contre les inégalités. Il faut enfin mettre en place un plan de lutte contre les inégalités : maintenir le traitement de la difficulté scolaire dans la compétence de l'école, financer un programme de recherche pour comprendre l'échec scolaire, aider les professeurs à l'appréhender et améliorer leur formation.

Car réformer le lycée ne peut se faire sans porter une attention particulière à l'exercice du métier d'enseignant et à son statut, garant des bonnes conditions d'enseignement. Ce sont eux les acteurs du changement. Un profond malaise touche cette profession, accentué par le passage en force sur la réforme de leur recrutement et de leur formation. Difficile et peu valorisé, mal rémunéré, ce métier voit ses conditions d'exercice s'aggraver du fait des suppressions de postes qui, peu à peu, font disparaître tous les autres adultes présents dans les établissements -infirmières, médecins scolaires, CPE...

Rien ne sera décemment possible dans une logique de restriction budgétaire. Il est temps aussi que soient non pas seulement écoutés mais compris les besoins et les attentes des lycéens. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRC)

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Au centre, la première de nos ambitions est de replacer l'homme au coeur de tout projet. Aussi, si nous devions ne conserver qu'une seule idée, ce serait l'investissement dans la formation, le progrès des connaissances, la culture. Ce débat sur le lycée est donc le bienvenu et je remercie le président Legendre d'avoir demandé son inscription à l'ordre du jour.

Le lycée, haute institution bicentenaire, a connu une démocratisation constante, comme en témoigne l'évolution du nombre de bacheliers depuis 1931. Pourtant, en termes qualitatifs, la portée de cette démocratisation est peu satisfaisante puisque chaque année, 50 000 jeunes quittent définitivement le lycée sans obtenir le bac et 80 000 bacheliers sortent de l'enseignement supérieur sans aucun diplôme. Notons que le monde dans lequel les lycéens et leurs enseignants vivent aujourd'hui est très différent de ce qu'il était en 1974, date de la dernière réforme significative du lycée.

Aussi, à l'heure où les chiffres révèlent un constat en demi-teinte, je regrette, Monsieur le ministre, que l'on s'achemine vers un texte a minima portant certains ajustements, certes utiles, mais loin d'une véritable réforme en profondeur.

Il faut avouer que ce n'est pas simple. Car paradoxalement, alors que les élèves et les enseignants affirment le besoin d'évolutions, toute perspective de changement suscite chez eux angoisse et suspicion.

On peut regretter que la réforme de l'éducation ne se fasse jamais globalement mais porte chaque fois sur un simple maillon du système : le collège en 2005, l'école primaire l'an passé, aujourd'hui le lycée.

Sans doute, un grand texte fondateur, avec une vision globale de la transmission des savoirs aurait un certain intérêt.

Comment aborder la réforme ? L'école n'est pas un sujet technique, purement administratif. L'enseignement est vivant et son coeur est l'élève. II faut traiter du sens, de la finalité et des objectifs. Or ceux-ci sont multiples : transmission des connaissances, des savoir-faire mais aussi des savoir-être. L'école doit préparer les jeunes à exercer un métier mais surtout les aider à se construire et à devenir des adultes épanouis et responsables. Nous préconisons une éducation et une culture de l'ouverture afin de construire une identité vivante, à l'opposé du repliement sur soi.

Notre école républicaine doit également construire une culture commune, telle que l'ouverture aux autres. Nous devons donc penser la place de chaque élève, quelle que soit sa condition. Un effort tout particulier doit être fait en faveur des handicapés. Vous êtes venu dans ma région le mois dernier, monsieur le ministre, et vous avez déclaré vouloir donner « un avenir à ces enfants, un après-collège ». Certes, mais pouvez-vous nous en dire plus ?

L'orientation est le point noir de notre système éducatif : une véritable révolution culturelle reste à faire. Les lycéens ne s'y retrouvent pas. L'information est souvent partielle et l'orientation est plus subie que choisie pour bon nombre. Elle intervient tardivement et souvent par défaut. Notre pays continue de valoriser l'intelligence abstraite au détriment de ses autres formes. L'orientation professionnelle ne devra plus être vécue comme un pis-aller : elle devra permettre à chaque élève de construire son parcours de réussite. Sur ce point, les conclusions des rapports Descoings et de notre mission Jeunesse rejoignent les vôtres.

Une rénovation des enseignements et des pédagogies liées à une réflexion sur les rythmes scolaires est indispensable. Ceux-ci sont aujourd'hui inadaptés : les jeunes de 15 ans assistent en moyenne à 1 036 heures de cours par an, tandis que la moyenne de l'OCDE est de 921 heures. II n'est pas rare que certains élèves quittent leur domicile à 6 heures du matin pour n'y rentrer qu'à 19 heures. Les programmes sont très lourds et les professeurs sont anxieux à l'idée de ne pas les « boucler ». Le découpage de l'année scolaire est déséquilibré, entre un premier trimestre très long et un troisième trimestre le plus souvent réduit à peau de chagrin. L'idée d'un découpage semestriel semblait intéressante.

La réforme prévoit un rééquilibrage entre les séries de la voie générale, notamment le sauvetage de la série L. En 2005, au cours des débats sur l'école, notre groupe avait proposé des amendements, malheureusement rejetés, afin d'intégrer dans le socle commun la maîtrise du corps ainsi que l'éducation artistique et culturelle. Je me réjouis que vous prévoyiez un accès généralisé aux arts et à l'éducation physique et sportive.

A cet égard, il faut distinguer entre l'enseignement et l'éducation artistique. L'éducation artistique, c'est la sensibilisation permanente aux arts et à la culture au travers d'un certain nombre de disciplines. L'enseignement, c'est l'apprentissage d'une technique généralement dispensé dans des établissements comme les conservatoires ou les écoles de musique. Si la série L sert à former aux métiers des arts et de la culture, il serait utile de lier cette réforme à celle des enseignements artistiques, dont nous débattrons la semaine prochaine.

S'agissant du renforcement des langues, l'angliciste que je suis se sent particulièrement concernée. Regrouper les élèves par niveau est une bonne initiative si les effectifs sont allégés. Dispenser des cours en langues étrangères, encourager les séjours à l'étranger et réintroduire une épreuve orale au baccalauréat sont indispensables. L'immersion linguistique nécessaire à tout apprentissage efficace peut aussi passer par des mesures simples. Lors de la loi sur la nouvelle télévision publique, Michel Thiollière et moi-même avons amendé le texte afin que l'on puisse regarder les séries étrangères en version originale. Alors que ce service existe sur des chaînes privées, il n'est pas encore proposé par celles du service public.

Comme l'a dit M. Carle, notre école est parfois trop normative. Pourquoi ne pas laisser plus d'autonomie aux directions, aux enseignants et aux élèves ? Ainsi, la classe de terminale, originalité française et clé de passage vers l'enseignement supérieur, devrait marquer moins la fin des études secondaires que l'amorce des études supérieures. Cela impliquerait une profonde transformation des méthodes, une initiation aux recherches personnelles, une année moins consacrée à emmagasiner des connaissances qu'à apprendre à les utiliser.

Il faut également conforter la place des nouvelles technologies. La France a rattrapé son retard, les collectivités locales ayant accompagné le mouvement. Aujourd'hui, 95 % des 12-17 ans sont des internautes et ils passent deux fois plus de temps devant un écran qu'à l'école. Celle-ci doit donc mieux utiliser cet outil pour guider les jeunes vers une utilisation profitable de la toile, en évitant certains pièges.

Réformer le lycée, c'est aussi s'interroger sur le métier d'enseignant. Cela fait cinquante neuf ans que le statut des professeurs n'a pas été réformé. Comme l'a souligné le rapport Descoings, point déjà soulevé par notre groupe en 2005, « il faut penser à l'évolution, à l'adaptation et à l'attractivité de ce beau et noble métier qu'est l'enseignement ».

Si la réforme des collectivités territoriales confirme la compétence de la région dans le domaine de la formation professionnelle, il faudra renforcer les liens avec ces collectivités qui élaborent les plans régionaux de formation.

Comme le préconise le rapport Descoings, le projet de réforme des lycées ne doit pas être l'occasion de réduire les crédits qui lui sont consacrés. « Si vous trouvez que l'éducation coûte cher, essayez l'ignorance » disait Abraham Lincoln. Au détriment de l'université, notre pays a consacré beaucoup de moyens au lycée. Sans doute faut-il revoir la répartition des crédits. Comme l'a promis le Président de la République, la réforme doit se faire à taux d'encadrement constant.

Nous devons donc concevoir un lycée qui prépare mieux l'avenir de nos jeunes. Le slogan devrait être davantage « la réussite pour tous » plutôt que « 80 % d'une classe d'âge au bac ». (Applaudissements au centre et à droite et sur quelques bancs du RDSE)

M. Serge Lagauche.  - Le projet expérimental « lutte contre l'absentéisme et incitation collective », initié dans l'académie de Créteil et qui concerne notamment le lycée Gabriel Péri de Champigny-sur-Marne, a fait grand bruit ces dernières semaines. S'il ne s'agit que d'un projet parmi les 165 soutenus par le fonds d'expérimentation pour la jeunesse, il n'en traduit pas moins une certaine philosophie de l'éducation. Le Gouvernement ne peut se permettre de balayer du revers de la main cette question, même si, en ce moment, les polémiques médiatiques se succèdent à une cadence infernale.

Si l'éducation a un coût, toujours trop élevé aux yeux du Gouvernement, elle n'a pas de prix. Or, avec cette expérimentation, vous faites entrer encore un peu plus l'école dans la sphère marchande. Mais une classe n'est pas un conseil d'administration où l'on peut cumuler les jetons de présence.

Vos discours sont ambivalents, voire contradictoires : l'école républicaine devient une institution schizophrène qui anéantit, en son sein, les valeurs qu'elle promulgue à l'extérieur. J'y ai également vu le pendant de la suppression des allocations familiales aux parents jugés défaillants. Je ne suis donc pas étonné que cette question redevienne d'actualité, grâce à M. Xavier Bertrand. En somme, et en caricaturant à peine, c'est la carotte pour les plus de 16 ans et le bâton pour ceux qui n'ont pas encore atteint cet âge.

Tenir comme discours institutionnel que la présence en classe peut être payée est un leurre. Les lycéens concernés l'ont bien compris, certains ayant déjà répondu qu'on ne les achèterait pas. Cette expérimentation permet d'esquiver la question centrale du décrochage scolaire : que se passe-t-il dans la classe pour que ces élèves n'y aillent plus ? Ce n'est pas la cause de l'absentéisme que vous cherchez à traiter mais seulement certains de ces effets. Avec ce dispositif, vous prenez acte de la démission de l'école républicaine. Vous niez la question du sens des apprentissages. Peu importe ce qui se passe en classe pourvu qu'on y soit, d'autant que la politique éducative du Gouvernement consiste à multiplier les dispositifs externes censés rattraper ce qui se passe ou ne se passe pas en classe. Introduire la notion d'argent, c'est nier le travail d'innovation pédagogique des enseignants, alors même qu'ils sont bien souvent les plus innovants dans leur manière de transmettre. Peut-être gagnerait-on à encourager et diffuser leurs bonnes pratiques !

Comme le dit Philippe Meirieu, « N'en déplaise aux spécialistes des « y a qu'à », tout enseignant sait bien que les apprentissages ne se décrètent pas. Et quoi qu'en pensent les technocrates, on n'éradiquera pas l'échec scolaire en multipliant les prothèses de toutes sortes après la classe sans toucher à l'organisation même de cette dernière. Les pédagogues, en dépit des anathèmes et des malentendus, ne sont pas des doux rêveurs ayant abdiqué leur autorité et renoncé à transmettre des savoirs. Ils témoignent, au contraire, d'une inlassable obstination dans ce domaine, articulant avec inventivité la volonté d'instruire et celle de former à la liberté ».

Ainsi, la réforme du bac professionnel n'a pas donné lieu à une réflexion sérieuse sur les pratiques pédagogiques dans les lycées professionnels parce que la pédagogie est devenue, ces dernières années, un gros mot. Ce faisant, nous nous privons des savoir-faire développés sur le terrain et qui ont fait leur preuve. Malheureusement, la réforme du lycée général, en s'apparentant de plus en plus à un catalogue de mesures désordonnées, prend le même chemin.

Dans les filières professionnelles, la question de l'orientation est cruciale. Dans votre bilan de rentrée, vous vous êtes félicité, monsieur le ministre, d'avoir réduit le nombre d'élèves non affectés par rapport aux années antérieures. Mais pouvez-vous nous indiquer le taux d'affectation des élèves dans leur premier voeu de filière et d'établissement ? Car se retrouver dans une filière professionnelle complètement étrangère à celle initialement visée, ou dans un établissement très éloigné de son domicile, constitue une des premières causes de décrochage.

Dans le Val-de-Marne, les chiffres de la rentrée contredisent les vôtres : 875 jeunes sans affectation se sont adressés au dispositif SOS rentrée mis en place par le conseil général, soit 33 % de plus par rapport à l'an passé. Sont principalement concernés l'enseignement professionnel et les sections de techniciens supérieurs, soit les deux filières où se retrouvent les catégories sociales les plus modestes.

Ces derniers jours, 83 jeunes étaient encore sans établissement, plus d'un mois et demi après la rentrée scolaire ! Les causes du décrochage scolaire, elles sont d'abord là.

C'est pourquoi je regrette que la rénovation de la voie professionnelle n'ait pas bénéficié du même processus de dialogue que le lycée général. Comme le souligne un récent rapport de l'inspection générale, imposer cette réforme dans la précipitation a provoqué des difficultés avec les régions.

La réforme s'applique depuis la rentrée alors que nombre de points restent flous, dont l'orientation et la construction des parcours de formation. Orienter un adolescent en difficulté au collège directement vers un bac en trois ans, sans autre possibilité de repli que la certification intermédiaire, peut d'autant plus inquiéter qu'est posée la question de la valeur du BEP rénové et de son articulation avec l'organisation pédagogique du baccalauréat. Les élèves qui souhaitent, en s'orientant dans la voie professionnelle, davantage d'apprentissage pratique risquent de ne pas s'y retrouver puisqu'on compte dix heures d'enseignement professionnel en bac pro contre quinze en CAP. Certains parents privilégieront le CAP, quitte à envisager une hypothétique poursuite des études. Quid alors des passerelles entre CAP et baccalauréat en trois ans ?

L'Inspection générale déplore en outre une information insuffisante des familles, de l'encadrement et des enseignants, voire un discours officiel maladroit. Selon elle, « on peut craindre que les conseils de classe de troisième sous-estiment les chances de réussite en baccalauréat professionnel de certains élèves ». Elle note que « le plus important, car le plus porteur de malentendus à moyen terme, est l'insistance sur la possibilité de poursuivre le parcours en BTS après le baccalauréat professionnel en trois ans. Si ce message a pour effet de renforcer la motivation des élèves, il a pour inconvénient, lorsqu'il est au coeur de la communication, de faire miroiter à certains élèves un horizon qu'au moins une partie d'entre eux auront du mal à atteindre et de banaliser le contenu professionnel du baccalauréat professionnel ». Elle demande donc un suivi précis des flux d'orientation, un accompagnement des établissements et un recadrage du discours officiel.

Au moment où commence la concertation sur la rénovation du lycée général et technologique, il me semblait important de revenir sur les ratages de la réforme de la voie professionnelle ; le Gouvernement doit en tirer les leçons.

La logique à l'oeuvre dans le discours du Président de la République est connue : feuilletage, externalisation et individualisation des dispositifs avec multiplication des stages pendant les vacances scolaires, généralisation des deux heures d'accompagnement individualisé -ces deux heures remplaceront-elles les quatre heures hebdomadaires de modules et d'aide individualisée ? Si c'est le cas, on ferait moins en voulant faire plus !

Le Président de la République a promis un rééquilibrage des filières, qui se résume en réalité à la seule modification des contenus de la filière littéraire, ce qui permet d'évacuer toute réflexion, nécessairement plus sensible politiquement, sur les enseignements à assurer au lycée.

Je n'ai enfin relevé dans le discours présidentiel aucune mention de l'éducation prioritaire, alors que l'assouplissement de la carte scolaire a eu des effets dévastateurs. Mme Van Zanten, spécialiste des inégalités dans l'éducation, note qu'avec cet assouplissement, on aide les élèves méritants aux dépens de ceux en difficulté. Or le progrès d'une société se mesure à celui des plus fragiles, aujourd'hui contraints de rester entre eux ; l'écart avec le reste de la population se creuse sans cesse, que la crise économique va encore élargir. Parce qu'il vous faut des résultats quantifiables, vos politiques se concentrent sur ceux qui se trouvent à la frontière, qu'il s'agisse de la lutte contre le chômage ou de l'école, où la promotion individuelle prend le pas sur le progrès collectif. L'évitement des établissements considérés comme les plus mal cotés aggrave la relégation scolaire. Le remède a été pire que le mal car, comme à l'habitude, le Gouvernement s'est focalisé sur le symptôme et non sur la maladie. Nous attendons avec impatience un vrai bilan de l'assouplissement de la carte scolaire, qui devait aboutir à sa suppression à la rentrée 2010. Si ce bilan devait confirmer les tendances aujourd'hui observées, je ne doute pas que le Gouvernement fera montre de sagesse en abandonnant ce projet inepte.

Pouvez-vous, monsieur le ministre, transmettre toutes ces interrogations à M. le Président de la République afin qu'il puisse y répondre dans une prochaine conférence de presse ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean-Pierre Chevènement.  - C'est un fait nouveau que le Président de la République s'exprime lui-même sur le lycée ; et c'est un fait heureux car les 2,2 millions de lycéens sont une partie importante de l'avenir du pays. La réforme qu'il a présentée est ce qui reste du projet de lycée modulaire imaginé par votre prédécesseur, c'est-à-dire pas grand-chose... Je souhaite que la concertation dont vous êtes chargé lui donne la substance qui, aujourd'hui, lui manque.

Je m'étonne que le Président de la République n'ait pas évoqué les besoins du pays, sinon au détour, et comme par raccroc, de la réforme de la section STI. Tandis que les pays asiatiques forment toujours plus d'ingénieurs et de chercheurs, les filières scientifiques de nos universités accueillent de moins en moins d'étudiants. C'est un grave handicap pour la France, qui ne sera pas corrigé. Je souhaite que votre objectif soit de former les citoyens et les producteurs dont a besoin un pays moderne engagé dans la compétition mondiale. Lorsqu'en 1984, j'avais fixé l'objectif d'amener 80 % d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat -et non au baccalauréat, madame Morin-Desailly-, lorsque j'avais revalorisé l'enseignement professionnel, je m'étais appuyé sur une étude prospective sur l'état du pays en l'an 2000. C'est ainsi qu'il faut procéder dès qu'on parle de réformer le lycée.

J'ai relevé une autre contradiction dans le discours du Président de la République : il veut préserver l'excellence mais s'indigne du nombre de redoublements ou évoque les 80 000 bacheliers qui n'obtiennent pas de diplôme de l'enseignement supérieur. Veut-il donner le baccalauréat à tout le monde et un diplôme de l'enseignement supérieur à tous les bacheliers ? Il remet en cause les principes mêmes de l'élitisme républicain. Comme le disait Henri Vallon, l'école républicaine a pour but la promotion de tous et la sélection des meilleurs.

La sélection est dans la nature des choses mais elle doit se fonder sur des critères démocratiques. Le Président de la République pointe l'inégalité des chances selon l'origine sociale ; la réduira-t-on par le rabais des exigences ? L'école ne peut à elle seule corriger les inégalités sociales, sauf à prendre le risque de la démagogie et d'un égalitarisme niveleur. Il y faut de l'action politique, une énergie républicaine qu'on ne retrouve pas toujours dans les choix, notamment fiscaux, du Gouvernement.

Il faut certes améliorer l'orientation mais je ne crois pas à une orientation permanente faite de stages passerelles et de remises à niveau pendant les vacances scolaires. Étendre la seconde de détermination à la première risque de casser les filières de deux ans qui permettent un certain approfondissement des matières. Une classe de terminale spécialisée ne suffit pas. Et prélever deux heures sur les horaires de cours pour un soutien alors que baisse le nombre de postes de professeurs, c'est aller vers ce lycée light qu'on a reproché à votre prédécesseur. On ne compensera pas la baisse du nombre de professeurs par le recrutement d'assistants de langues parmi les étudiants étrangers.

Le Président de la République dit vouloir casser la hiérarchie des voies et des séries. L'intention est louable, mais pourquoi faire de la section S un bouc émissaire ? Parce qu'elle a le grave défaut d'attirer les bons élèves ? Je conçois que pour vous, monsieur le ministre, ce soit un casse-tête ! Ce serait plus simple s'il n'y avait que des cancres ! La revalorisation de la section L est une bonne chose, je l'avais moi-même prévue en 1986 avant que mon successeur l'abandonne. Du droit, de l'enseignement culturel et artistique : à la bonne heure ! Mais il y faut des moyens, et on a oublié le grec et le latin qui sont au coeur de notre civilisation. Les langues anciennes devraient être le fondement de la revalorisation. Imagine-t-on un professeur de français qui ne connaîtrait pas le latin ?

M. Adrien Gouteyron.  - Très bien !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - La rénovation de la filière technologique n'est abordée qu'au travers de la série « sciences et techniques industrielles » (STI). Vous proposez de réserver des places pour les élèves de cette section dans les IUT et les BTS. Sur quelles bases ? Ne risquez-vous pas de porter atteinte au principe du concours ? Y aura-t-il au moins deux concours séparés ? Sans compter que les IUT sont de moins en moins des formations courtes. Le défi de la formation d'un plus grand nombre d'ingénieurs est crucial ; on ne le relèvera pas grâce à la seule série STI. C'est l'ensemble des filières technologiques et professionnelles qui mérite votre sollicitude. La généralisation du bac pro en trois ans ne suffira pas à revaloriser le lycée professionnel. Il y faut des moyens en hommes et en matériels. Je suis surpris, à ce propos, que le Président de la République ait oublié la région, alors que d'elle dépendent l'investissement et le recrutement des personnels techniques. Il vous faut définir en commun avec les régions un plan ambitieux de développement et de modernisation de ces filières.

Le Président de la République dit souvent une chose et son contraire.

M. le président.  - Il n'est pas le seul !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Sans doute... Parce qu'il y va de l'avenir de notre jeunesse et du pays tout entier, je souhaite que vous teniez ferme les deux bouts de la chaîne, le souci de la démocratisation et le maintien de l'exigence de qualité. Notre lycée ne marche pas si mal. Il faut le réformer intelligemment. Il est trop simple d'opposer la conquête de l'autonomie à l'encadrement trop pesant dont nous aurions hérité.

Je m'étonne qu'il n'y ait pas un mot dans le discours du Président de la République sur la violence scolaire. Jack Lang a relevé que les propositions de Nicolas Sarkozy s'inscrivent dans le droit fil de ses propres réformes de 1992 et 2000. On ne saurait mieux dire.

La conquête de l'autonomie passe par la conquête du savoir. Les moins favorisés sont les premiers à avoir besoin d'une école structurée, sûre de ses valeurs. Un bon encadrement est la meilleure garantie d'un lycée qui marche, à Clichy-sous-Bois comme à Neuilly.

M. Yvon Collin.  - Très bien !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Ne vous laissez pas égarer, monsieur le ministre, par des comparaisons statistiques trompeuses. Chaque système éducatif a sa spécificité. Il n'est pas souhaitable de réduire le nombre d'heures de cours au lycée car ce n'est pas en travaillant moins que nos lycéens apprendront mieux ! (Applaudissements à gauche)

M. Yvon Collin.  - Bravo.

M. Gérard Longuet.  - (Applaudissements sur les bancs UMP) Ce débat, souhaité par le président Legendre, répond à la volonté du Président de la République de relancer la réflexion sur le lycée. Le groupe UMP soutient cette démarche et adhère totalement aux propos tenus par M. Carle au nom de la commission.

Je m'attacherai plus particulièrement au sujet de la gouvernance des établissements. L'éducation nationale ne doit pas être une fédération de classes mais un système d'établissements responsables, suivant les élèves pour les conduire vers la réussite selon leur talent et leur implication.

Il faut repenser les rôles du chef d'établissement et du conseil d'administration. Nous sommes nombreux à avoir siégé dans ces conseils d'administration, en tant que représentants des régions : ce sont des réunions pléthoriques, à l'ordre du jour surchargé, qui traitent interminablement de problèmes subalternes et n'abordent que rarement le fond du sujet, à savoir le projet d'établissement et la réussite des élèves. La loi Fillon du 23 avril 2005 permet, dans son article 39, d'expérimenter, à l'instar des lycées agricoles d'État, en réunissant un conseil d'administration plus restreint, ouvert vers la vie professionnelle et les élus, en distinguant la fonction de chef d'établissement de celle de président du conseil d'administration. Envisagez-vous de saisir cette possibilité ?

Si certains lycées ont une tradition, une culture, une histoire parfois ancienne, d'autres, quoique plus récents, ont su trouver leur chemin et leur personnalité. En Lorraine, nous avons certes hérité de lycées anciens dans les grandes métropoles universitaires mais aussi su construire, ailleurs, des établissements capables d'offrir des perspectives nouvelles : à travers un partenariat avec Richard Descoings, directeur de Sciences Po Paris, nous avons été les premiers à offrir aux meilleurs élèves des lycées de courte tradition une possibilité de réussite dans l'enseignement supérieur, et ce grâce à un projet d'établissement. La loi permet l'expérimentation : profitons-en.

Le rôle du proviseur n'est pas celui du directeur d'un établissement privé. A la tête d'un établissement public, il ne choisit ni ses élèves ni ses enseignants. C'est le sens du service public de l'éducation : donner toutes les chances à tous les élèves du bassin de recrutement, sans cette sélection élitiste qui trahit la vocation de l'éducation nationale.

M. Jacques Legendre, président de la commission.  - Très bien !

M. Gérard Longuet.  - Le proviseur doit être responsable de la mise en oeuvre du projet d'établissement. Premier objectif : réfléchir à ce que représente l'établissement dans son environnement humain -qu'il s'agisse d'un lycée de banlieue, d'un lycée napoléonien dans une petite préfecture ou d'un grand lycée parisien, dont il serait absurde de vouloir entraver la performance. Réjouissons-nous, avec M. Chevènement, qu'il y ait d'excellents élèves !

Deuxième objectif : le suivi individualisé des élèves, déjà ouvert par la loi de 2005 pour le primaire et le collège. Il faut sortir de la dialectique entre le maître et sa classe. Le proviseur ne doit pas être une simple interface administrative, qui se contenterait de faire face au harcèlement textuel sans se soucier de pédagogie. Il appartient à l'administration d'aller à la rencontre des élèves, de les suivre, de répondre de manière personnalisée à leurs demandes. La libéralisation de la dotation horaire globale ne va pas à l'encontre de l'égalité ; elle est au service de l'enseignement, qui doit être adapté au profil des élèves, quelle que soit leur origine.

Le lycée prépare à l'insertion professionnelle et à l'enseignement supérieur : il est tourné vers l'avenir. C'est au chef d'établissement d'organiser la coopération avec ce qui vient après, dans le cadre de partenariats, au service de tous les élèves. Pour gérer un livret de compétences, il lui faut suivre les élèves au lycée mais aussi à l'extérieur : connaître leurs activités culturelles, sportives ou associatives permet de mieux cerner leur personnalité.

C'est à la direction de l'établissement de piloter un projet associant toute la communauté éducative. Il faut un capitaine dans le navire : c'est le sens de cette expérimentation. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Claude Carle, au nom de la commission.  - Très bien !

M. Ivan Renar.  - Le chef de l'État déplore le sort « scandaleux » réservé à l'éducation culturelle et artistique dans notre système scolaire mais ne met pas en oeuvre les moyens pour y remédier. De nombreuses études démontrent pourtant l'efficacité de l'éducation culturelle et artistique dans la réussite de tous les élèves. L'art apprend à apprendre, développe le potentiel de chaque élève, facilite sa compréhension du monde tout en forgeant son libre arbitre.

J'ai toujours plaidé pour un enseignement de l'histoire des arts à part entière, avec des enseignants spécifiquement formés.

Le ministre de la culture a regretté l'absence d'une agrégation d'histoire de l'art : mais il n'existe même pas de Capes ! En outre, un enseignement de l'histoire des arts ne saurait remplacer la pratique ni le contact direct avec la création et les artistes. Tant mieux si les partenariats avec les institutions culturelles sont systématisés : mais avec quels moyens ? Des metteurs en scène, comédiens, chorégraphes, plasticiens ou musiciens proposent des actions passionnantes. Mais elles nécessitent des financements d'État pérennes, une harmonisation du statut et une rémunération des artistes -or le régime des intermittents est remis en cause...

La démocratisation culturelle est sans cesse à approfondir et le lycée a là un rôle clé à jouer. Face à la standardisation d'une culture marchande mondialisée, l'offre artistique et culturelle publique ne doit plus être réservée à 15 % de la population mais ouverte à tous les citoyens. C'est une question de justice sociale et de respect du droit à la culture. Les retransmissions théâtrales, musicales et lyriques, soit : mais où, quand et dans quelles conditions ? L'État ne va-t-il pas une fois de plus se défausser sur les collectivités locales? De plus, c'est à l'épreuve du feu qu'on se brûle, c'est l'expérience vécue qui fait naître le désir d'art. La retransmission peut être un outil pédagogique mais elle ne se substituera pas à l'irremplaçable émotion de cet « éternel présent » de la représentation, événement unique et insaisissable. Le spectacle vivant, cela se vit.

L'éducation artistique et culturelle demeure la variable d'ajustement des politiques éducatives, alors qu'elle est au centre de la vie, de l'humain, des connaissances ! C'est pourquoi, au lycée, elle ne doit plus être optionnelle ni reposer sur la bonne volonté de quelques professeurs passionnés. Il faut une véritable politique nationale et plus d'État, non « pour diriger l'art mais pour mieux le servir », ainsi que l'a très bien formulé André Malraux. C'est la condition pour que personne n'en soit écarté. Les emplois du temps des lycéens sont déjà bien remplis mais l'éducation artistique leur fera gagner du temps dans le métier de vivre, en développant leur imaginaire, leur intelligence sensible, leur créativité. A diplôme égal, c'est la culture générale et la capacité à symboliser le monde qui fait la différence dans l'obtention d'un emploi. Comme le formule si bien Edgar Morin, « la culture, c'est ce qui relie les savoirs et les féconde ».

La création par France Télévisions d'une vidéothèque en ligne de films classiques à usage des lycées va dans le bon sens, pour former les jeunes à l'image et au tri des informations. Dans l'accès aux connaissances, la dimension humaine, humaniste et humanisante de leur appropriation doit primer sur la technique. Il y a bien sûr urgence à revaloriser les « humanités », d'autant que la lecture est en net recul à l'ère numérique. Mais les filières scientifiques après le baccalauréat sont l'objet d'une désaffection massive ; il est donc indispensable de renforcer la culture scientifique pour tous, de lutter contre l'illettrisme scientifique : sinon, comment peser sur les choix environnementaux, éthiques, sociaux et industriels à venir ? Les sciences et les techniques sont de plus en plus souvent au coeur des grands débats de société -du réchauffement climatique à l'avenir de l'énergie nucléaire. Démocratiser l'accès à la culture scientifique devient un enjeu de citoyenneté.

L'art et la culture sont des armes de construction massive, pour bâtir non pas le meilleur des mondes mais un monde meilleur. La France adhère à l'objectif stratégique de Lisbonne visant à faire de l'Union européenne « l'économie de la connaissance la plus dynamique du monde d'ici 2010 ». Mais les moyens ne suivent pas ! L'intelligence est la première ressource de notre pays... qui l'oublie malheureusement trop souvent. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Jacques Pignard.  - Dernier arrivé dans cette Haute assemblée, je n'en connais pas encore tous les usages. Je monte pour la première fois à la tribune (applaudissements) et si j'ai fait toute ma carrière professionnelle comme enseignant, je ne dispose ici que de six minutes -et j'ai cru comprendre que dans cette classe, pour déborder jusqu'à dix minutes, il faut avoir redoublé déjà plusieurs fois... (Rires)

La petite fiche qui m'a été remise indique que certains éléments de la réforme rendent le groupe centriste « septique » ! Comme la fosse ! S'il fallait trouver une justification pour réhabiliter la filière littéraire, celle-ci suffirait. (Nouveaux rires)

L'ambition de la réforme est d'allier, au lieu d'opposer, l'acquisition d'un socle de culture générale et la légitime ambition d'une orientation personnelle. Cela rend inconséquent tout projet d'orientation prématuré, qui ferait litière de notre patrimoine commun, littérature, géographie, histoire, science des arts -et fréquentation des arts comme le soulignait M. Renar. Comment ne pas souscrire au souhait affiché de ne pas réduire l'excellence à la filière S ? J'ai débuté en enseignant l'histoire aux classes préparatoires, mais j'ai ensuite fait le choix d'enseigner à des STI car je suis devenu maire d'une commune comptant 30 % d'habitants d'origine étrangère et je ne pouvais me résoudre à ce que cette population demeure à l'écart d'un héritage qu'elle souhaitait s'approprier. Je n'ai connu que du bonheur dans cet enseignement.

Rien ne remplacera le couple professeur-élève, sauf à transformer l'éducation nationale en un standard téléphonique : « pour l'histoire, tapez 1 ; pour la littérature, tapez 2 ; pour la géographie, tapez 3 ; pour toute autre information, tapez 4 ; veuillez patienter, un conseiller va vous répondre ». (Sourires) Trop d'élèves ont attendu trop longtemps et ont dû raccrocher. Je parle du professeur enseignant un savoir-faire mais aussi accompagnant -plutôt que « référent »-, soignant les lacunes et le mal-être, innovant sur le plan pédagogique. Votre réforme ne réussira que si les professeurs jouent le jeu et relèvent les défis. Ils ne le pourront que s'ils en ont les moyens. Or, à moyens constants, monsieur le ministre, votre tâche sera difficile. Mais c'est aussi une chance, si vous avez la possibilité de tailler dans l'accessoire pour aller vers l'essentiel, par des redéploiements au sein de votre grande administration. Car il n'est peut-être pas nécessaire de produire quotidiennement des circulaires de cinquante pages, cauchemar des proviseurs. Peut-être pourrait-on réduire ces textes à dix pages, redéployer quarante rédacteurs et apprendre aux dix restants à rédiger en langue vernaculaire, le français, plutôt que dans un volapük intégré qui désespère Billancourt et Neuilly, pour une fois réunis. Revenons à l'essentiel, le professeur, qui ne demandera pas seulement la juste rémunération de son travail mais aussi ce qui faisait cruellement défaut à Pygmalion : la considération.

Je me réjouis de votre démarche pragmatique. Dans ce pays, au XIXe siècle, tous les vingt ans, un régime politique en chassait un autre. Au XXe siècle, tous les dix ans, une réforme de l'éducation en chassait une autre. Vous avez choisi non les grandes enjambées du lièvre mais le pas prudent et mesuré de la tortue, et l'on sait depuis La Fontaine que ce n'est pas la plus mauvaise méthode. Nous souhaitons tous, au groupe centriste, que vous parveniez au but. Encore faut-il vous en donner les moyens, faute de quoi, entre l'ambition et la réalisation, il y aurait non pas une fosse mais un fossé, qui ne manquerait pas de susciter notre scepticisme. (Rires et applaudissements au centre et à droite)

M. Claude Bérit-Débat.  - Réformer le lycée, c'est faire entrer la France dans la société de la connaissance de demain. Nous devons réaffirmer la place des filières technologiques et professionnelles, par lesquelles s'est opérée la démocratisation du lycée. Ces filières ont aussi démontré toute leur utilité et leurs résultats en termes d'insertion dans l'emploi. Il est temps de les pérenniser et les renforcer, d'autant qu'elles souffrent encore d'une stigmatisation infondée. Je regrette que, parmi les mesures annoncées, il y en ait si peu qui leurs soient directement consacrées, alors même que la réforme de la voie générale et technologique vise une diversité sociale accrue.

L'orientation dès la troisième en lycée professionnel ou dès la seconde en filière technologique, qui est réservée aux élèves considérés comme n'étant pas capables de réussir en voie générale, est un outil de sélection sociale. Lorsqu'on évoque le rééquilibrage à réaliser entre les filières, on finit toujours par ne parler que des séries du bac général. On peut certes se féliciter de la volonté affichée de revaloriser le bac littéraire et que l'utilité de la filière économique et sociale ne soit plus remise en cause. Toutefois, ce rééquilibrage se réduit à un jeu de vases communicants de la filière S vers les filières ES et L alors qu'il devrait plutôt se faire entre bac général et bac technologique afin que soient enfin mis en accord les paroles et les actes. Ce ne serait qu'un juste retour des choses au regard du nombre d'élèves concernés : en 2009, parmi les admis au baccalauréat, 90 000 venaient de la série ES mais ils ont été 89 000 à obtenir un bac technologique en filière tertiaire.

Des programmes datant de 1993 doivent assurément être adaptés aux réalités contemporaines. Mais ce ne peut être qu'une étape vers la nécessaire et attendue revalorisation des séries STI.

Un travail pédagogique intense doit être mené pour tordre le cou aux représentations stigmatisantes qui affectent les filières technologiques et professionnelles et pour casser cette spirale de la dépréciation. Ce n'est qu'en changeant les regards sur ces filières que celles-ci pourront obtenir la reconnaissance sociale qui leur est due. Le Président de la République se dit conscient de cette ardente nécessité. Il affirme vouloir faire de ces filières des filières d'exception et un outil de promotion sociale qui récompense le mérite par le travail. Quels moyens seront mobilisés ? Comment revaloriser une filière quand on met en concurrence les filières techniques et professionnelles, notamment depuis que le bac pro peut être obtenu en trois ans ? Est-ce que cela ne va pas conduire à l'intégration des bacs pro en BTS ?

Autre paradoxe : au terme d'une sélection drastique, les IUT recrutent de plus en plus de lycéens ayant un bac général. Du coup, ceux qui ont un bac technologique sont contraints à s'engager dans un premier cycle universitaire où ils connaissent un taux d'échec important. Vous proposez la création d'un parcours débouchant sur les métiers d'ingénieurs et de techniciens pour les sciences et technologies industrielles. Vous proposez aussi que des places soient réservées à ces bacheliers au sein des IUT dans les sections de techniciens supérieurs et que des classes préparatoires leurs soient destinées. Quand ces projets verront-ils le jour ? Comment seront-ils financés ? Quel sera le statut de ces classes préparatoires ? Quelle politique sera conduite par rapport aux IUT ? Si des places doivent être réservées aux bacheliers des filières technologiques, cela suppose qu'il y aura moins de places pour ceux qui ne sont pas issus de ces filières. On entre là dans une logique de gestion de la pénurie alors qu'il vaudrait mieux réfléchir aux causes du succès des IUT.

Et puisque la formation qui y est dispensée est si recherchée, à juste titre, pourquoi ne pas prévoir un plan de création de places supplémentaires en IUT, plutôt que d'en limiter l'accès ? Pourquoi ne pas penser en termes de développement d'une offre de formation au lieu d'appréhender l'éducation nationale comme une administration dont il faudrait systématiquement réduire le nombre de fonctionnaires ?

Le manque d'harmonisation à l'échelon d'un bassin de vie entre les spécialisations offertes dans les lycées et les diplômes des IUT nuit au dynamisme des territoires. Les élèves qui quittent leur région faute de pouvoir trouver, dans les IUT proches de chez eux, les formations qu'ils recherchent n'y retournent que rarement une fois leur diplôme en poche. On ne peut empêcher la mobilité des élèves mais il est regrettable que des territoires voient leurs bons élèves partir alors qu'ils sont une source de dynamisme économique, social et démographique. Élu d'un département rural, je suis d'autant plus sensible à cette problématique que je me bats chaque jour pour entretenir et préserver la vitalité de mon territoire.

Valoriser la voie technologique est une bonne chose. Introduire des enseignements techniques en seconde aussi. On peut également instaurer des passerelles entre les filières. Une orientation « progressive et réversible » est envisagée, afin de reconnaître un droit à l'erreur. Mais a-t-on mesuré la juste place qui doit être celle des filières technologiques et professionnelles ? On voit bien ce que pourraient être les passerelles pour passer de la série ES à la série L ou S. Pour autant, ces passerelles sont-elles adaptables au passage d'une filière technique ou professionnelle à une filière générale, et réciproquement ?

L'apprentissage des langues étrangères et l'accès à la culture seraient renforcés pour les lycéens. Nul ne saurait s'élever contre ces objectifs. Vous avez apparemment entendu l'inquiétude de ceux qui craignaient la disparition des enseignements en arts appliqués dans la filière professionnelle, au risque d'augmenter l'inégalité des chances. Est-on sûr que la mise en place de ces objectifs ne se heurte pas à un principe de réalité ? Il serait excellent que chaque élève soit bilingue à la sortie du lycée mais on peut douter que les besoins en matière linguistique soit les mêmes dans les filières techniques et professionnelles que dans les filières générales.

Si la réforme des lycées se fait à taux d'encadrement constant, on va renforcer les mécanismes de perpétuation des inégalités sociales. Le Président de la République annonce que des liens doivent être noués entre lycées et entreprises, milieux professionnels et enseignement supérieur. C'est vague. Des éclaircissements sont à apporter quant aux modalités de cette rencontre. Il faut veiller à ce que la présence des lycéens en entreprise leur procure un réel bénéfice pédagogique et leur permette de préciser leurs attentes et leurs souhaits vis-à-vis de leur projet professionnel. On ne saurait tolérer que l'entreprise investisse n'importe comment le lycée.

Je me souviens d'une vive polémique, il y a plusieurs années de cela, quand une banque proposait aux élèves de la filière ES des jeux de société dans lesquels ils devaient revêtir le costume d'un trader ! Le lycée est le lycée ; l'entreprise, l'entreprise. Le premier ne doit pas se transformer en succursale ou en pouponnière de la seconde. C'est donc dans un souci de préservation de l'institution éducative que je vous demande de préciser ce que seront ces liens que vous souhaitez encourager entre les entreprises et les lycées.

Nous en sommes tous convaincus, l'enseignement technique et professionnel est un outil de démocratisation des lycées. Il reste cependant encore à préciser comment on en fera l'outil d'ascension sociale qu'il devrait être. Faute de quoi, la réforme des lycées aura manqué son but, une fois de plus. (Applaudissements à gauche)

Mme Françoise Laborde.  - L'école a pour objectif la réussite de chacun. Au coeur de notre socle républicain, elle détermine en grande partie l'avenir de notre jeunesse. La France dispose d'un excellent service public de l'éducation nationale, qui pâtit des arbitrages financiers : les crédits de la mission « Enseignement scolaire » votés dans le budget pour 2009 ont encore une fois été insuffisants.

Vous nous promettez la réforme des lycées, la réforme de l'enseignement professionnel, la réforme des IUFM et du recrutement des enseignants, la refonte de l'école primaire et de l'accueil des jeunes enfants. C'est beau mais il va falloir y mettre la forme et les moyens. Il est impensable de continuer à supprimer des postes comme votre gouvernement s'entête à le faire. Les enseignants absents doivent être remplacés, des accompagnants recrutés et formés, sans oublier des surveillants, des médecins, des infirmières scolaires et des AVS pour la scolarisation d'élèves handicapés.

Le taux élevé d'échecs ou d'abandons des étudiants inscrits en licence suffit à lui seul à expliquer l'extrême urgence du débat consacré au lycée. La réforme de la classe de seconde, proposée à l'automne dernier par votre prédécesseur, avait suscité une levée de boucliers, unanime et justifiée. Vous avez reporté cette réforme bâclée. Lors de la discussion budgétaire, je m'étais émue du dramatique blocage déclenché par la précipitation du Gouvernement. Même si la matière est essentiellement réglementaire, l'intervention du Parlement est devenue nécessaire.

Depuis la crise, une concertation a été lancée sur la réforme du lycée et des missions ont été envoyées sur le terrain. MM. Descoing et Apparu ont chacun remis un rapport sur le sujet. Leurs propositions, parfois concordantes, méritaient d'être retenues : reconnaître le droit à l'erreur et rendre l'orientation plus flexible, rendre les filières moins élitistes, renforcer l'accompagnement des élèves, améliorer l'enseignement des langues vivantes, valoriser la culture et aider les élèves à conquérir leur autonomie.

Le problème de l'orientation est fondamental : elle est presque toujours perçue comme complexe, anxiogène, tardive et cloisonnée. Les filières sont hiérarchisées et prennent insuffisamment en compte l'insertion professionnelle. Les premières victimes de cette culture de la désorientation sont les enfants des milieux les moins favorisés. Il faut introduire plus de souplesse dans l'orientation et mieux informer parents et élèves avant même le collège -car les premiers choix décisifs ont lieu dès la troisième- en leur présentant les différentes voies de formation et leurs débouchés. Les journées de découverte, les rencontres, les stages et tutorats participeront à l'amélioration de l'orientation et, partant, à la réussite de toute une classe d'âge. Un élève souhaitant changer de voie doit être accompagné et conseillé ; il est impératif de multiplier les passerelles entre filières générales et professionnelles et entreprises.

Je m'interroge aussi sur la place consacrée à l'art et à la culture au lycée, qu'il s'agisse des enseignements ou des autres modes de diffusion de l'art. Je voudrais être sûre qu'une réelle concertation aura lieu entre les ministères de la culture et de l'éducation nationale sur la mise en commun des moyens et des programmes : Mme Morin-Dessailly et M. Renar y ont fait allusion et nous y reviendrons la semaine prochaine.

Le sujet est vaste et je forme le voeu que le Parlement reprenne bientôt ce débat, comme l'autorisent nos nouvelles procédures de contrôle. Monsieur le ministre, les grands axes de votre projet ne peuvent que faire l'unanimité : chacun s'accorde à dire qu'une réforme est nécessaire. Mais le Gouvernement y consacrera-t-il les moyens nécessaires d'ici 2010 ? J'en doute, même si j'espère me tromper. Nous aurons l'occasion de le vérifier lors du prochain débat budgétaire. (Applaudissements à gauche et sur les bancs sur RDSE)

Mme Colette Mélot.  - « Comment enseigner quand tout le monde ment ? » La question de Péguy reste d'actualité. Alain Bentolila écrivait en 2007 : « L'enseignement a réussi la massification scolaire mais il a créé des ghettos scolaires et davantage d'illettrisme. (...) Notre école se ment et ment à ses élèves dont les frustrations seront d'autant plus exacerbées que le constat de leur insuffisance aura été déraisonnablement repoussé. » Nier que le lycée est en proie à de grandes difficultés, c'est prendre le risque de voir la dégradation se poursuivre et méconnaître les immenses défis auxquels nos sociétés sont confrontées. Le lycée est une étape cruciale dans la constitution des « hommes en tant qu'hommes », disait Emmanuel Kant ; il a pour mission de former de futurs citoyens.

Ces problèmes concernent d'abord l'organisation des enseignements. Une double hiérarchie s'est installée au fil des années, entre le lycée général et technologique et le lycée professionnel, perçu comme le refuge de jeunes en perdition, et entre les filières de la voie générale, la filière scientifique étant devenue la voie royale d'accès aux formations supérieures sélectives, prisée par les élèves issus des milieux sociaux favorisés. En outre, le système enferme les élèves dans des tuyaux disciplinaires dont il est très difficile de sortir.

L'orientation est une source de stress permanent pour les parents et les élèves. Ces derniers ont l'impression de subir, faute de transparence sur les métiers et les formations qui y mènent. Il ressort des consultations menées auprès des élèves et de leurs parents que l'orientation intervient trop tardivement, qu'elle est prisonnière d'une logique de hiérarchisation des filières et qu'elle ne prend pas en compte l'insertion professionnelle ni la formation tout au long de la vie.

Préparer les élèves à l'insertion professionnelle : tel doit être l'objectif du lycée, trop souvent considéré comme une fin en soi -l'objectif d'emmener 80 % d'une classe d'âge au baccalauréat y est pour quelque chose. La médiocrité de nos lycéens en langues étrangères contraste avec le niveau constaté dans les autres pays d'Europe, alors que la mondialisation impose de maîtriser plusieurs langues : il y va de la compétitivité économique de la France.

Dans les lycées professionnels, le système français engendre la mésestime de soi, les élèves étant convaincus qu'ils ne sont pas assez bons pour entrer au lycée général. Cette dévalorisation sociale est à l'origine d'une grave désaffection pour les filières industrielles qui donnent pourtant accès à des gisements d'emplois massifs.

Quant aux bacheliers généraux, effrayés par l'ampleur des effectifs en premier cycle universitaire, ils se précipitent vers des formations telles que les BTS ou IUT, évinçant les bacheliers technologiques qui y étaient pourtant destinés.

Nous ne pouvons délaisser plus longtemps le lycée, institution symbole de la République. En septembre, une délégation de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication s'est rendue en Finlande, pays qui figure au premier rang des études Pisa de l'OCDE. Son système éducatif est fondé sur un principe d'autonomie et place l'enfant en son coeur. Les résultats sont excellents et la compétitivité de ce petit pays de 5 millions d'habitants est remarquable. Si le système n'est pas transposable, de bonnes idées sont à prendre.

Il faut mener une réflexion d'ensemble sur le système éducatif mais cesser de rêver au grand soir de l'éducation, comme l'a dit M. Descoings. Attachons-nous à améliorer ce qui peut l'être et à réformer par petites touches.

J'entends dire que la réforme est superflue, que tout va bien dans de nombreux lycées. Mais les premiers à réclamer le statu quo sont ceux qui bénéficient de la hiérarchie entre les filières et sont issus de milieux favorisés. M. Descoings a justement fait remarquer que les professeurs sont d'anciens bons élèves...

Gardons à l'esprit les trois objectifs du lycée : la transmission des savoirs selon des parcours diversifiés, la construction de la citoyenneté par le développement de l'esprit critique et le partage d'une culture commune, la préparation à l'insertion professionnelle par la stimulation de l'esprit d'initiative et de la créativité. Pour atteindre ces objectifs ambitieux, trois impératifs s'imposent à nous. Nous devons d'abord rendre le lycée plus juste. L'égalité des chances est au fondement de notre modèle républicain méritocratique et de notre système éducatif depuis l'origine. Mais rares sont les élèves ou les parents qui y croient encore ; l'ascenseur social est en panne. Il faut abolir les hiérarchies entre voies et filières. Tout en maintenant la distinction des voies générale et technologique, il faut rénover cette dernière et faire de la technologie un élément de la culture commune délivrée en seconde. Une plus grande transparence doit s'associer à une volonté politique forte afin d'élargir l'accès des bacheliers technologiques à l'enseignement supérieur. Nous devons aussi mettre fin à la hiérarchie entre les filières de la voie générale. La filière littéraire, délaissée par les élèves, doit devenir une filière de pointe dans le domaine des langues étrangères, et plus de culture scientifique doit y être introduite. En revanche, la série S doit gagner en spécialisation scientifique. Nous éviterons ainsi que les bons littéraires s'inscrivent en filière scientifique pour poursuivre ensuite des études de lettres, de droit, de sciences cognitives ou de commerce.

Afin de donner les mêmes chances de réussite à tous les élèves, le processus d'orientation doit être rendu plus lisible et le choix de chacun doit correspondre à un projet professionnel concret. Il est indispensable de tisser des liens avec des professionnels et des étudiants, afin que ceux-ci viennent faire part aux lycéens de leur expérience, et de permettre à ces derniers de changer de filière s'ils le souhaitent.

N'oublions pas que la mésestime de soi est souvent à l'origine d'une mauvaise orientation : nombreux sont ceux qui, venant d'un milieu défavorisé, se résignent à entrer dans telle ou telle filière par manque d'information ou d'incitation de la part de leurs parents. Donnons à ces jeunes les moyens correspondant à leurs capacités et à leurs ambitions ! Les heures supplémentaires d'accompagnement devraient compenser les inégalités de capital culturel entre les familles.

Le deuxième impératif est de renforcer l'attractivité des lycées et d'éviter que des milliers de jeunes quittent chaque année le système éducatif sans diplôme ni qualification. Comme le disait Philippe Joutard dans son Plaidoyer pour une diversité républicaine, « plus un enseignement devient de masse, plus il doit s'individualiser s'il veut être efficace et attractif ». De nombreux jeunes issus des filières technologiques et professionnelles disent y avoir été conduits par défaut, parce que leurs résultats ne leur permettaient pas de postuler à une filière générale. Faute de transparence, ces jeunes ne savent pas dans quelle formation s'inscrire ni à quel métier se destiner. La mésestime de soi et la dévalorisation sociale complètent le tableau.

Dès lors, il faut rendre plus visibles les structures, tels les lycées professionnels et technologiques, qui offrent des perspectives d'embauche dans des secteurs en pleine croissance comme le génie électrique et l'informatique industrielle, l'informatique et les réseaux télécoms.

Accroître la lisibilité des filières, faire de STI une filière de pointe, offrir une meilleure accessibilité aux BTS et aux IUT, voilà quelques mesures pour renforcer l'attractivité des filières technologiques.

Troisième impératif, rendre le lycée plus performant. Le lycée général ne peut être une fin en soi, il doit préparer l'élève à suivre des études supérieures. Comment prétendre affronter un monde globalisé si nous ne formons pas les chercheurs et les cadres diplômés en nombre suffisant ? Le lycée constitue une étape cruciale dans la formation des jeunes, comme le montre l'exemple finlandais. Ce petit pays est l'un des plus innovants au monde avec un des plus forts taux de brevets. Pour aider tous les jeunes à trouver leur place dans la société, le lycée doit démultiplier les liens de rencontre avec le monde professionnel, notamment, comme le propose Richard Descoings, via les associations d'anciens élèves, et apprendre aux élèves à rédiger une lettre de motivation et un CV. Ensuite, il faut renforcer l'enseignement des langues étrangères. Ne pourrait-on pas imaginer une heure quotidienne d'anglais ou d'une autre langue vivante dans les classes de la seconde à la terminale, comme cela se pratique en Allemagne, prévoir de sous-titrer dans la langue originale certains programmes télévisés et encourager les séjours linguistiques en prévoyant des avantages fiscaux et des bourses au mérite pour les moins favorisés ? Ce serait plus juste que les actuelles déductions fiscales sur les cours privés qui reviennent à financer indirectement ce type d'enseignement et, donc, concourent à la dégradation progressive de notre système éducatif. Dernières propositions, il conviendrait de repenser le rôle des assistants de langues étrangères dans les lycées, de prévoir un jumelage de chaque lycée avec un établissement correspondant en Europe et, bien sûr, utiliser les nouvelles technologies. Enfin, si nous voulons des lycées plus performants, donnons-leur davantage de liberté pédagogique, entre autres dans l'aménagement des heures d'accompagnement pour qu'ils puissent trouver des remèdes adaptés à chaque situation. Ce gain en autonomie serait soumis à évaluation. (M. Adrien Gouteyron approuve) La réforme du lycée offre à la Nation l'occasion unique, explique Benoist Apparu dans son rapport d'information, de renouveler sa confiance aux enseignants et aux chefs d'établissement. (Même mouvement)

Monsieur le ministre, le Président de la République a marqué sa volonté de réformer le lycée et vos propositions vont dans le bon sens : la nouvelle génération, dont aucun membre ne saurait être laissé sur la route, doit faire progresser le niveau de compétitivité de la France. Je tiens à vous assurer du soutien de l'ensemble du groupe UMP dans votre action ! (Applaudissements à droite)

M. Adrien Gouteyron.  - En ce moment d'élaboration de la réforme, je m'en tiendrais à quelques observations concrètes, beaucoup de choses excellentes ayant été dites. Comme nombre d'entre nous, je me suis réjouis que le Président de la République, dans son discours devant le Parlement réuni en Congrès, ait évoqué le dossier du lycée. Reste maintenant à trouver les solutions pour s'engager dans la voie qu'il a fixée avec beaucoup de force.

Parler de la réforme du lycée, monsieur le ministre, c'est dire, d'abord, que vous êtes maintenant au pied du mur ; vous avez, si j'ose dire, la truelle à la main. Dans ce moment, vous avez besoin d'être soutenu et compris, surtout par les enseignants. Ne doutant pas de vos talents de communicant, je suis sûr que vous réussirez à faire passer votre message...

Parler de la réforme du lycée, comme de nombreux orateurs l'ont dit avant moi, c'est aussi évoquer l'avant et l'après-lycée. Le collège unique est très critiqué. Dans le film Entre les murs, que je recommande, on voit un enseignant essayer d'apprendre à une classe de quatrième, sympathique mais peu réceptive, la langue française et, parfois, ses mots les plus simples. Il doit, par exemple, leur expliquer que l'« argenterie » n'est pas un habitant de l'Argentine... L'enseignant s'y prend très bien, avec une méthode qui paraît progressive et sûre. Qu'y a-t-il de commun entre ce travail extraordinaire et le travail des enseignants au lycée ? Rien, si ce n'est la matière. Mais, comme l'a très bien expliqué M. Chevènement, ancien ministre de l'éducation nationale et ministre d'État, il ne faut pas réduire le niveau d'exigence au lycée. (M. Jean-Paul Virapoullé acquiesce) Puisque la méthode et le contenu de l'enseignement diffère, pourquoi ne pas imaginer, comme l'avait proposé Joseph Fontanet il y a quelques années, un corps d'enseignant spécifique pour le premier cycle ? Ce classement ne serait nullement dévalorisant, méprisant ; il s'agit seulement de tenir compte des réalités. Ensuite, 130 000 jeunes environ quittent le collège sans qualification, désarmés pour affronter la vie, tandis qu'après le lycée, 80 000 bacheliers sortent de l'enseignement supérieur sans diplôme. M. Carle a proposé, en tant que rapporteur du projet de loi relatif à la formation professionnelle, que les élèves de 15 ans et plus qui n'ont ni le goût du collège ni les capacités -bien que je n'aime pas le terme, il est utile- puissent être placés en apprentissage tout en maintenant un lien avec l'école. Pourquoi le lycée ne s'occuperait-il pas d'eux ? Je suis convaincu que nous pouvons trouver des formules originales telles que celle-ci.

Parler de la réforme du lycée, c'est enfin évoquer la nécessaire autonomie des établissements. Comme Mme Mélot et M. Longuet, je pense que nous devons avancer sur le chemin difficile de l'autonomie. Difficile, en effet, parce que le terme soulève de nombreuses inquiétudes et que le principe de l'égalité républicaine est aussitôt brandi -j'y suis moi-même attaché. Mais ne peut-on penser que, le lycée préparant au bac et le bac étant un diplôme national, le principe de l'égalité républicaine est suffisamment respecté pour laisser au lycée une autonomie forte dans la préparation de ce diplôme ? Cette philosophie, je le reconnais, est contraire à notre tradition mais l'autonomie, monsieur Chevènement, s'accompagnerait de l'évaluation.

J'en viens aux deux heures d'accompagnement dont vous avez, monsieur le ministre, précisé les contours. C'est un mouvement heureux qui, depuis quelques années, porte à mieux tenir compte des besoins des élèves. Cet accompagnement existe au primaire, en sixième, pour certains élèves de seconde. J'ai noté cependant que l'inspection générale relève, avec M. Mérieu que l'aide aux élèves en difficulté, si elle représente un coup de pouce, ne permet pas de porter remède aux cas les plus difficiles. Sans compter que souvent, dans les établissements, les enseignants, pris dans le carcan des programmes, oublient de faire place à des heures plus individualisées. Avant donc, monsieur le ministre, d'aller trop vite de l'avant, il serait bon d'évaluer le dispositif. Je suis persuadé que c'est là votre intention.

Cette réforme est une chance à ne pas manquer. Sur les grandes orientations, nous sommes presque tous d'accord. La difficulté gît dans les modalités, dans l'action quotidienne. Or, là sont les solutions. La tâche qui est devant vous sera longue et rude et c'est pourquoi nous vous disons notre confiance. (Applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre)

M. Jean-Paul Virapoullé.  - Ce m'est un grand honneur que d'intervenir sur un sujet aussi vital pour l'avenir de notre pays. Nous fûmes colonies jusqu'en 1946, département depuis. De 1946 à 2009, nous avons franchi des étapes considérables dans le domaine de l'acquisition des connaissances indispensables à la dignité humaine.

Ce débat et le texte sur la réforme qui lui fera suite sont une double occasion pour l'outre-mer. Au comité interministériel sur l'outre-mer, que présidera, le 6 novembre, le Président de la République, l'éducation devrait être le principal sujet. Car, dans nos sociétés qui, soumises à de fortes contraintes, doivent pourtant rejoindre le niveau de compétitivité de la métropole, il n'est pas de développement économique sans capacité d'acquérir des connaissances. Or, les résultats ne sont pas aujourd'hui comparables. Les tests de CM2 font apparaître que 40 % des élèves des DOM ne sont pas au niveau en français, contre 25 % en métropole, la proportion est de 55 % contre 35 % en mathématiques, les retards à l'entrée au collège et au lycée sont supérieurs de 7 à 10 points dans les DOM, où le taux d'échec est très supérieur à la moyenne nationale et où 40 % des élèves quittent le système scolaire sans diplôme -contre 20 % en métropole. Et, cerise sur le gâteau, par défaut d'information et d'orientation, 60 % des bacheliers qui s'engouffrent à l'université échouent la première année.

C'est un drame. Mais nous ne sommes pas là pour pleurer, nous sommes là pour agir.

Le comité interministériel du 6 novembre pourrait être l'occasion de se saisir de l'article 72-4 de la Constitution, qui permet les expérimentations outre-mer. Un exemple. Chez nous, le créole est la langue maternelle, celle du foyer. Quand les enfants arrivent en première année du primaire, ils se trouvent face à des maîtres qui ne les comprennent pas. Or, l'expression orale est la voie royale de l'apprentissage. Bloquez-la, vous le bloquez. C'est pourquoi je crois qu'il faudrait, dans les IUFM outre-mer, régionaliser le contenu des enseignements et le recrutement pour sélectionner, non certes en fonction des origines ou de la couleur de la peau mais de la capacité à manier la langue vernaculaire. Ce serait, de surcroît, une voie de sortie pour nos jeunes diplômés au chômage qui souffrent, pour entrer à l'IUFM, de la concurrence des étudiants de métropole.

Grâce à cet encadrement plus rapproché, les élèves arriveraient plus nombreux en sixième maîtrisant le français, l'écriture et sachant compter, quand aujourd'hui 30 % ne maîtrisent pas ces connaissances de base. Que voulez-vous qu'ils fassent au collège, où on leur apprend l'anglais, l'algèbre, alors qu'ils ne savent pas même lire ? Un élève, qui avait eu une réaction violente, m'a dit : « Ma tête a bloqué. J'avais l'impression d'être en prison », ajoutant que si on lui apprenait un métier, il se sentirait plus capable.

Cet exemple est assez parlant. Une expérimentation devrait pouvoir être menée, outre-mer, sur le collège, pour y introduire plusieurs sections. Nous ne sommes pas tous les mêmes, nos capacités, nos milieux sociaux varient, si bien que certains sont plus doués que d'autres pour être boulangers, maçons, électriciens. Expérimenter l'orientation au collège, ce serait ouvrir à ce que j'appelle le collège de la vocation. De grâce, monsieur le ministre, nous ne prétendons pas que ce puisse être une option pour toute la France mais permettez, outre-mer, que l'on s'essaye à un collège mieux adapté aux réalités sociologiques et culturelles qui sont les nôtres ainsi qu'à la volonté des élèves.

Un primaire permettant de mieux maîtriser les acquis, un collège en trois sections s'ouvrant sur le monde du travail. Et le lycée ? Beaucoup, à la Réunion, estiment que la seconde doit rester générale, avec un programme commun et le module découverte que prévoyait votre prédécesseur, pour ménager une ouverture sur le monde. La première doit elle aussi rester générale si l'on veut éviter de bloquer, dès la fin de la seconde, les élèves dans une filière, en même temps que valoriser la filière littéraire. Et c'est seulement en terminale que se renforcent, dans les spécialisations, les acquis.

Autorisez, monsieur le ministre, une expérimentation outre-mer, pour une meilleure adaptation au contexte, une meilleure utilisation de l'argent public, une meilleure mobilisation des enseignants qui font un travail remarquable. Quand nous aurons une école capable de former les milliers de jeunes qui sont les forces de l'avenir, nous aurons avancé dans la voie de la dignité. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement.  - Je remercie M. Legendre pour l'organisation de ce débat. Il était important, quelques jours après que le Président de la République a eu présenté les grandes orientations de la réforme du lycée, que la représentation nationale s'exprime. D'autant que cette réforme ne passera pas par un texte législatif.

Je remercie les orateurs de leurs propositions constructives, que nous prendrons en considération lorsque nous finaliserons les mesures de réforme.

Il y a quelques jours, j'ai eu l'honneur de conduire la délégation française à la conférence générale de l'Unesco. Ce fut pour moi l'occasion de rappeler que le monde a plus que jamais besoin d'éducation. Dans les pays en voie de développement et les pays émergents, bien sûr, où l'éducation constitue la meilleure réponse dans la lutte contre la misère et les totalitarismes, pour l'apprentissage de la liberté.

Mais dans les pays développés, eux aussi n'ont jamais eu autant besoin d'éducation. Alors que nous traversons une crise majeure, la meilleure des réponses pour nos jeunes, c'est l'investissement dans l'éducation. D'ailleurs, la meilleure arme anti-chômage, c'est le diplôme. Les statistiques montrent qu'un jeune diplômé a cinq fois plus de chances de trouver un emploi qu'un non-diplômé. La réforme du lycée permettra donc d'adapter notre système éducatif aux défis actuels.

Le lycée est un des piliers du système éducatif ; il incarne, en effet, les valeurs de la République, que nous partageons, comme l'égalité des chances, l'accès au savoir pour tous, la récompense du mérite, la capacité à sélectionner l'élite républicaine mais aussi la possibilité pour chacun de trouver une voie à la fin du secondaire. Nous ne ferons bien sûr pas table rase du passé : comme l'a dit M. Legendre, le lycée n'est pas en perdition. En trente ans, il a au contraire réalisé des prouesses. Depuis qu'en 1959, le général de Gaulle a rendu l'instruction obligatoire jusqu'à 16 ans, depuis que le collège unique a été mis en place au milieu des années 1970, le lycée a ouvert grand ses portes en accueillant toute la jeunesse de France. En une génération et demie, nous sommes passés de 25 % d'une classe d'âge au niveau du bac à 65 % ! C'est un exploit.

De même, je ne rougis pas du niveau moyen de nos élèves quand on les compare à celui des autres grands pays développés.

M. Chevènement a dit, à juste titre, que le lycée ne marche pas si mal. J'ajoute, néanmoins, pour les bons. Le lycée aujourd'hui fonctionne bien pour les bons, pour ceux qui ont su faire les bons choix. Pour les autres, il faut améliorer les choses. Et c'est tout le sens de la réflexion menée par Richard Descoings, à la demande du Président de la République, et que nous avons également menée au sein du Gouvernement. Il n'est en effet pas acceptable que 80 000 étudiants échouent en fin de première année : un étudiant sur deux ne passe pas ce cap ! Sans doute leur préparation et leur orientation ne sont-elles pas optimales. Aujourd'hui, les méthodes de travail au lycée et dans le supérieur sont bien trop éloignées les unes des autres. En outre, 50 000 lycéens quittent le système éducatif sans aller jusqu'au baccalauréat. Il faut également tenir compte de tous ceux qui ont quitté l'école à la fin du collège. Bref, chaque année, nous laissons 120 000 de nos jeunes au bord du chemin, sans diplôme, et donc avec bien moins de chances de trouver un emploi que ceux qui en ont un. Aujourd'hui, 22 % des jeunes sont au chômage, soit un des taux les plus élevés au sein des pays développés.

Le lycée garantit-il aujourd'hui l'accès au savoir pour tous ? Un enfant d'ouvrier qui entre en seconde a cinq fois moins de chances qu'un fils de cadre d'accéder trois ans plus tard à une classe préparatoire. Lorsqu'on regarde la sociologie des élèves de sixième, il y a 16 % d'enfants de cadres et 55 % d'enfants d'employés et d'ouvriers. En première année d'université, les chiffres sont inversés ! Cela justifie les mesures que nous vous proposons et qui n'ont pas pour objectif de tout chambouler mais de nous appuyer sur ce qui fonctionne bien pour remédier aux faiblesses du second degré. Pour les identifier, il y a eu une longue période de concertation : Richard Descoings s'est rendu dans plus de soixante-dix lycées et les rectorats ont organisé dans plus de mille lycées de véritables tables rondes entre les élèves, les enseignants et les parents d'élèves. Nous avons ainsi identifié les grands points à améliorer. Le Président de la République a évoqué ces orientations il y a quelques jours et je vais y revenir devant vous.

Comme l'a rappelé M. Gouteyron, il nous reste à définir les modalités de cette réforme. Nous n'avons en effet pas voulu vous présenter une réforme clé en main. C'est pourquoi nous proposons des orientations mais nous laissons une marge pour les discussions que j'ai engagées avec les organisations syndicales et qui vont s'étaler jusqu'à mi-décembre, lorsque je réunirai le Conseil supérieur de l'éducation. Durant cette période, je me rendrai dans les académies pour réunir nos cadres, les proviseurs, les chefs d'établissement, mais aussi les enseignants, les lycéens et leurs parents.

J'en viens aux grands axes de cette réforme. L'orientation est aujourd'hui plus subie que choisie par les élèves qui la vivent comme un couperet, une épreuve. A 14 ans, on n'a pas forcément une vocation. Il est très difficile pour le jeune de se projeter dans le monde adulte et de décider de sa série une bonne fois pour toutes. Il nous faut donc prévoir un système beaucoup plus progressif et réversible. On peut être un élève médiocre à 14 ans et s'accomplir dans les études supérieures à 19 ans ou dans un projet professionnel à 22.

Toute la difficulté -et la grandeur- de notre système éducatif est d'être capable de détecter chez un élève la qualité, le talent pour l'orienter dans telle ou telle filière où il trouvera sa voie. Nous allons donc agir à plusieurs niveaux : les corrections de trajectoire seront dorénavant possibles. Le droit à l'erreur sera reconnu. Si à Noël, un élève n'arrive pas à suivre, il lui sera possible de changer d'orientation. Jusqu'à présent, il ne pouvait que constater son échec et éventuellement redoubler. D'ailleurs, 40 % des élèves qui passent le bac ont redoublé au moins une fois. Est-ce un gage d'efficacité ? Je ne suis pas opposé, par principe, au redoublement, mais il doit rester l'exception. Aujourd'hui, il est trop souvent vécu comme un échec et il ne permet pas une remise en selle et donc une meilleure insertion de l'élève dans une voie qui corresponde à ses aspirations. Les changements de série seront donc possibles mais ils seront encadrés pour ne pas passer non plus à un système de lycée à la carte, de lycée zapping. Les conseils de classe proposeront ces changements de série qui seront rendus possibles grâce à l'harmonisation des disciplines communes aux différentes séries et par la mise en place de stages de remise à niveau pour rattraper les heures de cours qui n'auront pas été effectuées.

Plusieurs d'entre vous ont également évoqué la diversification des voies d'excellence. Aujourd'hui, notre système a ceci d'absurde que hors du lycée général, point de salut et, au sein de la filière générale, hors de la série S, point de salut ! Nous avons institutionnalisé une voie unique menant à l'excellence. Je suis intimement persuadé que plusieurs chemins y mènent.

M. Jean-Claude Carle, au nom de la commission de la culture.  - Très bien !

M. Luc Chatel, ministre.  - Certes, monsieur Chevènement, il ne faut pas casser la filière S qui fonctionne. Mais est-il légitime que 25 % des élèves qui arrivent à l'École normale supérieure rue d'Ulm viennent de la série S ? Construisons donc des voies parallèles qui mènent à l'excellence, revalorisons la filière littéraire en y incorporant davantage de langues.

Vous avez aussi été nombreux à évoquer la filière industrielle avec des débouchés en BTS et en classes préparatoires. Si je souhaite revaloriser la filière STI, c'est parce que les entreprises commencent à manquer d'ingénieurs, d'élèves à bac + 2, à bac + 3 et de bac pro. Les programmes de la filière STI, qui datent d'il y a vingt ans, seront donc adaptés au monde d'aujourd'hui et nous prévoirons des passerelles au sein de cette filière. Aujourd'hui, lorsqu'on a une mention au bac pro, on accède au BTS. Pourquoi ne pas généraliser ce type de parcours pour donner des perspectives aux élèves ? Nous développerons les classes préparatoires pour les élèves venant des filières technologiques, comme cela se fait aujourd'hui pour ceux qui viennent des filières professionnelles.

Il n'y a pas de chemin unique : nous voulons diversifier les voies qui mènent à l'excellence pour permettre une meilleure orientation.

L'orientation est un moment dans la vie des élèves où les inégalités sociales sont les plus criantes. Vos enfants, mes enfants auront la chance d'être accompagnés, d'être aidés à dédramatiser ce qui est souvent vécu comme une épreuve. Mais d'autres ne l'auront pas. C'est pourquoi nous avons proposé une nouvelle mission d'accompagnement et de tutorat. Qui connaît le mieux les élèves, sinon leurs parents et leurs professeurs ? C'est une réponse à ceux qui souhaitent un rapprochement entre les enseignants et le monde de l'entreprise ; elle pourra prendre la forme de visites d'entreprises ou d'interventions au lycée de professionnels, de parents ou d'anciens élèves qui viendront témoigner de leurs parcours. Ces dispositions ne remettent pas en cause ce qui existe en matière d'orientation, une orientation que M. Carle, rapportant la loi récente, a souhaitée plus professionnalisée et mieux organisée. Nous ajoutons de nouveaux services.

J'en viens au fameux saut qualitatif qu'a évoqué M. Longuet, en d'autres termes à l'accompagnement personnalisé. Nous avons en partage les valeurs de la République, nous avons fait des choix différents de ceux d'autres pays en ne transférant pas notre système éducatif à d'autres niveaux de collectivité que l'État. Je suis le ministre de l'éducation nationale et par là, le garant des diplômes nationaux, du recrutement national des enseignants, des programmes nationaux. Tout cela n'est pas négociable. Mais si nous voulons passer du quantitatif au qualitatif, de l'école pour tous à la réussite de chacun, il nous faut prendre en compte la situation de chaque établissement et, en leur sein, celle de chaque élève. C'est pourquoi nous proposons de généraliser un accompagnement personnalisé de deux heures hebdomadaires pour tous les lycéens de la seconde à la terminale. Pour les élèves en difficulté, ce sera du soutien ; pour les autres, un temps pour les tirer vers le haut ou les familiariser avec les méthodes et les rythmes de l'enseignement supérieur. Le Président de la République a été très clair, il ne s'agit pas de baisser la barre pour que tous puissent la franchir. Nous avons choisi d'inclure ces deux heures dans le temps scolaire car il ne serait pas raisonnable de les ajouter à un horaire déjà lourd pour les lycéens, souvent supérieur aux 35 heures de leurs parents.

M. Jean-Claude Carle, au nom de la commission.  - Vous avez raison !

M. Luc Chatel, ministre.  - Ce qui ne veut pas dire que nous allons vers un lycée light ; non pas moins d'enseignement mais mieux d'enseignement. Le contenu de ces deux heures sera adapté à chaque élève.

Cet accompagnement permettra aussi, comme l'ont relevé notamment MM. Longuet et Carle, de donner aux établissements des marges de manoeuvre, une dose supplémentaire d'autonomie. Nous proposons que le contenu des deux heures soit défini par le conseil pédagogique. Si l'on compte les heures de dédoublement, près de 30 % du temps d'enseignement de chaque professeur pourra ainsi être adapté pour tenir compte des priorités de l'établissement et de la diversité des élèves. C'est une réponse à la massification. En offrant ces marges de manoeuvre, j'ai la conviction, monsieur Longuet, que nous confortons la gouvernance des établissements. Peut-on revoir la composition des conseils d'administration en s'inspirant de ce qui s'est fait dans l'enseignement agricole ? Une expérimentation a été rendue possible par la loi Fillon de 2005 mais aucun établissement n'a souhaité la mener. Je le regrette. Je suis prêt à constituer un groupe de travail sur le sujet.

M. Jacques Legendre, président de la commission.  - Il le faut !

M. Luc Chatel, ministre.  - Le lycée doit vivre avec son temps, s'adapter au monde dans lequel il est. L'apprentissage des langues est une obligation pour notre jeunesse, ce qui justifie une mobilisation sans précédent. Il faut généraliser les groupes de niveau, l'utilisation des nouvelles technologies, les échanges avec les établissements étrangers, l'apprentissage de certaines disciplines en langue étrangère.

Aujourd'hui, monsieur Legendre, 300 professeurs enseignent l'arabe à environ 6 500 élèves, deux fois moins qu'il y a vingt cinq ans. Je partage votre conviction : il vaut mieux que cette langue soit enseignée au sein de l'éducation nationale par des professeurs bien formés que dans des organismes ou associations moins regardantes. Si le besoin existe, je suis prêt à ouvrir davantage de postes. (M. Legendre, président de la commission, s'en félicite)

Un lycée qui vit avec son temps, c'est aussi un lycée qui s'ouvre sur le monde de la culture ; c'est encore un lycée qui donne davantage de responsabilités aux lycéens -ils sont demandeurs-, qui les associent aux décisions -pas n'importe lesquelles, bien sûr, il n'est pas question de leur faire rédiger les programmes comme le demandait un de leurs délégués syndicaux... Nous proposons d'abaisser l'âge de la responsabilité associative à 16 ans. Nous voulons valoriser leurs engagements extrascolaires dans un livret de compétences. On peut être un élève moyen et créer un club de théâtre, être champion sportif ou s'engager dans une action caritative.

Reconnaître ces engagements serait un message positif.

Pour répondre à M. Lagauche, je n'ai pas le sentiment de m'en tenir à la périphérie des problèmes. Les deux heures d'accompagnement personnalisé ou encore l'amélioration de notre système d'orientation sont des réponses de fond.

Monsieur Chevènement, j'ai rencontré à deux reprises l'Association des régions de France pour évoquer diverses mesures, notamment en matière d'orientation ou de techniques nouvelles d'enseignement des langues. Là encore, je privilégie la concertation et le travail en amont.

En matière de violence scolaire, l'éducation nationale n'est que le reflet de notre société. Notre plan de réponse à la violence scolaire prévoit trois actions : la mise en place d'un diagnostic systématique dans les établissements, afin de les équiper à la demande ; la formation des chefs d'établissements -une convention a d'ailleurs été signée, avec le ministre de l'intérieur, entre l'École supérieure de l'éducation nationale et l'Institut des hautes études de sécurité intérieure- ; la création d'équipes mobiles de sécurité de vingt à cinquante personnes dans chaque rectorat, pouvant intervenir dans les établissements à l'occasion ou en amont d'une crise.

Madame Laborde, le Président de la République a été clair : la réforme se fera à moyens et à taux d'encadrement constants. Il ne s'agit pas de faire des économies. (Mines dubitatives sur les bancs socialistes) l'éducation nationale demeure le premier budget de l'État ; il augmentera de 1,6 % en 2010, contre 1,2 % pour le budget de l'État. La France investit un point de PIB de plus que la moyenne des pays développés pour son éducation. Nous choisissons de redéployer certains moyens pour répondre aux besoins : ouverture de 500 classes en primaire pour répondre à l'essor de la démographie, création de 600 postes dans les zones urbaines spéciales. Le « toujours plus » n'a jamais eu les résultats escomptés. Le problème n'est pas la quantité mais la qualité : il s'agit de s'adapter à la situation de chaque élève.

M. Jacques Legendre, président de la commission.  - Absolument.

M. Luc Chatel, ministre.  - Il est vrai que notre système de remplacement fonctionne mal. J'ai demandé des propositions à mon directeur des affaires financières pour rendre le système plus réactif, efficace et souple.

La question des handicapés est au coeur de notre politique. Nous avons créé 200 unités pédagogiques d'intégration supplémentaires et 5 000 nouveaux postes d'assistants de vie scolaire, portant à 22 000 le nombre de postes ouverts pour accompagner les 185 000 jeunes -40 % de plus que lors du vote de la loi Handicap en 2005- désormais intégrés dans l'éducation nationale.

M. Gouteyron a soulevé la question de la formation des enseignants, qu'il faut en effet adapter aux nouvelles problématiques. J'ai lancé le chantier de la revalorisation globale de l'accompagnement en matière de ressources humaines et proposé aux partenaires sociaux un nouveau pacte de carrière. Nous revalorisons la fonction d'enseignant dans toutes ses composantes, sur le plan financier -en début de carrière, un jeune enseignant touche 1 400 euros nets- mais aussi en matière de formation tout au long de la vie, car l'enseignant devra s'adapter à différents cas de figure selon les zones et les élèves.

Monsieur Virapoullé, autant je suis partisan des expérimentations outre-mer, autant je ne peux imaginer, dans le cadre d'un département, un système de recrutement à deux vitesses. A moins de transférer la compétence éducation à une collectivité, comme en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie, le diplôme doit rester national afin d'assurer l'égalité sur l'ensemble du territoire. Nous pouvons toutefois imaginer des mesures incitatives pour encourager les jeunes Réunionnais à se tourner vers les métiers de l'enseignement, avec un programme de formation adapté.

Cette réforme consolide notre lycée, dans le respect des principes républicains, mais le rendra plus efficace et plus juste afin qu'il prépare mieux nos jeunes au monde de demain. Il faut passer de l'école pour tous à la réussite de chacun, trouver une solution pour chaque élève à la fin du secondaire : l'excellence pour les meilleurs, mais aussi une place pour tous les autres, dans l'enseignement supérieur ou l'insertion professionnelle. Je vous remercie d'avoir adressé vos encouragements à une réforme ambitieuse. (Applaudissements à droite et au centre)