Restitution des têtes maories (Proposition de loi)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories, présentée par Mme Catherine Morin-Desailly et plusieurs de ses collègues.

Discussion générale

Mme Catherine Morin-Desailly, auteur de la proposition.  - Je veux d'abord vous féliciter pour votre nomination, monsieur le ministre, et vous souhaiter la bienvenue au Luxembourg, cet autre palais italien. Il y a quelques semaines seulement, vous receviez très chaleureusement, à la Villa Médicis, une délégation de notre commission des affaires culturelles, dont plusieurs membres sont aujourd'hui parmi nous.

« L'expérience prouve malheureusement combien il faut de temps avant que nous considérions comme nos semblables les hommes qui diffèrent de nous par leur aspect extérieur et par leur coutumes ». Le constat dressé par Darwin en 1871 est toujours vrai, ainsi que le prouve l'histoire de la restitution de la tête maorie détenue dans les réserves de la ville de Rouen, restitution à laquelle l'État s'est opposé.

Cette proposition, assez inhabituelle mais cosignée par une soixantaine de collègues de tous bords, vise à autoriser la restitution à leur pays d'origine de toutes les têtes maories détenues dans les musées français. Membre du groupe d'amitié France-Nouvelle-Zélande, je me suis passionnée pour l'histoire de cette tête alors que, adjointe à la culture de Pierre Albertini, je travaillais, après dix ans de fermeture, à la réouverture du Muséum d'histoire naturelle de Rouen, le deuxième de France. La Nouvelle-Zélande nous a en effet demandé la restitution d'une tête tatouée et momifiée, conservée depuis 1875, don ou dépôt non inventorié d'un M. Drouet, qui dormait depuis le XIXe siècle dans les réserves. Il s'agit aujourd'hui, par cette proposition de loi, de surmonter les difficultés juridiques rencontrées par la ville de Rouen et de mettre la France au diapason de nombreux pays étrangers en restituant les quinze à vingt têtes maories conservées dans nos musées : sept ou huit au Quai Branly, une à la Charité, à Marseille, une à Dunkerque et quatre dans les muséums de Rouen de Lille, de Nantes, ainsi que deux à l'Université de Montpellier.

Tous les Maoris de haut rang, guerriers et chefs de tribus, étaient tatoués selon des motifs rappelant leur tribu : la tête, chez eux, est considérée comme sacrée et le tatouage constitue une signature sociale et religieuse. Les têtes des guerriers morts étaient exposées jusqu'à ce que l'âme des défunts soit partie, puis inhumées près du village. Au XVIIIe siècle, lors de la colonisation, les Européens, fascinés, firent appel à de véritables chasseurs de têtes, un commerce barbare se développa et l'on se mit à tatouer des esclaves que l'on décapitait ensuite. L'Angleterre interdit en 1831 ce commerce entre la Nouvelle-Zélande et l'Australie. L'amiral Cecille dénonçait en 1840 une marchandisation du corps humain : « On a vu les têtes néo-zélandaises devenir un objet lucratif d'exportation ; tous les moyens ont été bons pour s'en procurer et des guerres ont été suscitées entre les tribus pour en faire baisser le prix ».

Le regard que les Néo-Zélandais portent aujourd'hui sur ces têtes est bien différent du nôtre : alors que nous y voyons des objets d'art ou de collection, ils y voient les têtes de leurs ancêtres. « Enlevez à des sauvages les os de leurs pères, vous leur enlevez leur histoire, et jusqu'à leurs dieux. Vous ravissez à ces hommes, parmi les générations futures, la preuve de leur existence comme celle de leur néant », écrivait Chateaubriand. Pour se forger une identité, les hommes ont besoins de leurs ancêtres ; un peuple sans histoire ne peut se renouveler et est condamné à disparaître, a souligné le directeur du Muséum de Rouen. Que dirions-nous si les têtes de nos ancêtres étaient remisées dans les réserves de musées néo-zélandais ? A la demande des Néo-Zélandais, ces têtes ont été retirées des expositions publiques. Elles se trouvent dans des réserves comme nombre de restes humains, ainsi que l'a montré une récente enquête.

Les autorités néo-zélandaises ont lancé une campagne de revendication de ces têtes, afin de les inhumer dans le respect des traditions de ce peuple de 600 000 personnes. Le but est bien de les retourner à leur communauté d'origine. Cela donne lieu à des cérémonies, comme celle émouvante qui s'est déroulée à Rouen lorsque des Maoris sont venus rendre hommage à leur ancêtre.

D'un point de vue juridique, ces têtes constituent-elles des oeuvres d'art ? Auquel cas elles sont inaliénables jusqu'à leur déclassement. Sont-elles un reste humain qui ne peut faire l'objet d'un droit patrimonial ? Éléments de corps humains, indéniablement, ces têtes tatouées, qui ont fait l'objet d'un trafic barbare durant la colonisation, ne peuvent se voir appliquer le principe d'inaliénabilité. Celle de Rouen ne figurait d'ailleurs pas à l'inventaire. Le vote unanime du conseil municipal de Rouen en faveur de la restitution s'inscrivait dans une démarche éthique et symbolique du respect des peuples et de leurs croyances. Ne doit-on pas considérer ces têtes comme un acquis irréductible de notre diversité, relevant du patrimoine de l'humanité ?

Sur intervention de l'État, la délibération a été annulée, faute de déclassement. Je doute fort que la commission de déclassement eût, à l'époque, donné un avis favorable. En février 2008, un colloque a été organisé au Quai Branly sur la conservation et la restitution des restes humains, au cours duquel j'ai présenté le cas de la tête maorie de Rouen. Le commissaire du Gouvernement m'a, à cette occasion, signalé que la cour d'appel de Douai, qui avait tranché dans le sens de la non-applicabilité de l'article 16-1 du code civil, aurait pu tout aussi bien trancher dans l'autre sens tant le statut des restes humains demeure flou. En effet, l'article 16-1 résulte de la loi bioéthique, que le Gouvernement souhaitait appliquer à la Vénus hottentote. Le débat sur la restitution de la dépouille de Sarah Baartman s'était posé dans les mêmes termes : quand Nicolas About a fait voter une proposition de loi, son utilité a été mise en doute, le Gouvernement prônant l'application de l'article 16-1 qu'il refuse aujourd'hui.

L'actualité nous rattrape : la cour d'appel de Paris a annulé l'exposition « Our body » parce que le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort, qu'il a un caractère inviolable et digne d'un respect absolu, conformément à un principe fondamental de toute société humaine. Si cette décision fortement médiatisée a permis une prise de conscience, la question de l'applicabilité de l'article 16-1 demeure car la loi bioéthique protège davantage le vivant. Doit-on alors laisser le juge décider au cas par cas ?

J'ai choisi de déposer une proposition de loi pour régler la question des têtes maories. J'aurais préféré ne pas avoir à recourir à la loi mais il fallait sortir d'une impasse juridique et d'un imbroglio. La procédure de déclassement instituée en 2002 n'a pas été mise en oeuvre et les critères de la non-application du principe d'inaliénabilité n'ont pas été définis.

De plus, en vertu de la loi de 2002, les biens incorporés par don dans les collections publiques tels que les têtes maories et autres têtes ne peuvent faire l'objet d'aucun déclassement, contrairement à ce qui a été soutenu.

Consciente de l'importance de la question, qui ne doit nullement être prétexte à ouvrir la boîte de Pandore, j'ai retenu, dans la proposition de loi, les critères sur lesquels la ville de Rouen s'est fondée pour justifier la restitution de la tête maorie. Premièrement, le pays d'origine doit avoir demandé le retour du reste humain. Ensuite, celui-ci ne doit pas faire l'objet de recherches scientifiques et, une fois restitué, il doit être inhumé. Enfin, il doit être issu d'actes de barbarie ayant entraîné la mort ou de pratiques contraires à la dignité humaine. Ces têtes, qu'elles soient d'esclaves ou de chefs guerriers, ont toutes été volées comme trophées par des musées alors prédateurs.

La France se conformerait aux articles 11 et 12 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de 2007, qu'elle a ratifiée, en autorisant la restitution de ce que l'on appelle pudiquement le matériel culturel sensible, question largement abordée dans le code de déontologie du Conseil international des musées, approuvé en 2004 à Séoul après six ans de travail.

Cette proposition de loi, je le souhaite, contribuera également à nourrir une réflexion générale sur la conservation des restes humains dans les musées, initiée lors de l'affaire de la Vénus hottentote. La patrimonialisation de ces ossements, préparations anatomiques, momies et de reliques diverses soulève de nombreuses questions éthiques abordées dès juillet 2003 par nos collègues MM. Nachbar et Richert dans leur rapport sur les collections des musées, qui déploraient l'état d'empoussiérage préoccupant des restes humains conservés au musée de l'Homme ; questions que nous devons clarifier une fois pour toutes sans quoi nous serons toujours contraints de procéder au coup par coup. L'institution muséale, dont M. Jacques Rigaud, auteur du rapport sur les musées, a dénoncé « l'inertie manifeste », a longtemps esquivé ce débat. Cette affaire révèle également un certain conservatisme des scientifiques qui portent un regard occidental sur ces têtes qui, pour leur peuple d'origine, ont d'abord une valeur symbolique, voire même sacrée. D'où la proposition de notre rapporteur d'élargir la composition de la commission de déclassement à des personnalités qualifiées telles que des philosophes ou encore des anthropologues. La science ne peut se passer d'une réflexion éthique, ce qui n'a rien à voir avec la religion ! Il est temps d'ouvrir ce chantier sans tabou.

Il n'est nullement question de remettre en cause le principe d'inaliénabilité des collections publiques, auquel je suis très attachée. D'où l'intérêt des quatre critères que j'ai énoncés et du régime spécifique prévu par la loi de 2002, que le rapporteur propose de renforcer dans ce texte. L'anthropologue Maurice Godelier partage cette conviction : la restitution de ces restes humains est justifiée mais doit être fortement encadrée. Les musées français doivent, notamment par la numérisation, conserver la trace de ces pièces et en raconter l'histoire, comme le directeur du musée de Rouen le prévoit déjà par une démarche pédagogique.

Quel que soit le moyen finalement retenu, nous partageons tous dans cet hémicycle -j'en suis persuadée- l'objectif légitime de rendre ces têtes sacrées aux Maoris, comme Mme Pécresse, alors ministre de la recherche, ou encore le paléoanthropologue Pascal Picq, à l'origine du comité de soutien, rejoint par d'autres personnalités.

La culture ne peut se passer de transparence, elle doit répondre à une éthique irréprochable. Elle ne peut être invoquée pour porter atteinte aux droits des peuples et la France, pays des droits de l'homme, doit être exemplaire en la matière. Pas moins de 322 têtes, sur les 500 dispersées dans le monde, ont déjà été restituées à la Nouvelle-Zélande par les musées américains et européens, mais aussi argentins et australiens. Notre pays ne peut rester en retrait d'un tel mouvement pour des questions de forme plutôt que de fond et doit faire prévaloir l'impératif éthique sur les considérations juridiques. Tourner la page de cette histoire peu glorieuse sera l'occasion de renouveler le dialogue interculturel avec les pays lointains, cet Autre, avec un grand « A ».

Bref, la France doit répondre favorablement à la demande de la Nouvelle-Zélande, pays démocratique qui travaille à l'intégration de toutes ses communautés. Merci aux cosignataires de cette proposition de loi, au président de la commission de la culture ainsi qu'au rapporteur de son travail approfondi sur ce sujet qui me tient particulièrement à coeur ! (Applaudissements sur tous les bancs)

M. le président.  - La parole est à M. Richert, rapporteur de la commission de la culture et de la communication, selon la nouvelle dénomination retenue dans la résolution du Bureau du 2 juin.

M. Philippe Richert, rapporteur de la commission de la culture.  - Avec passion et énergie, Mme Morin-Desailly vient de défendre la restitution des têtes maories à la Nouvelle-Zélande. Ce n'est pas la première fois que le Sénat débat de cette question du retour des restes humains à leur pays d'origine : en 2002, le président About avait déposé une proposition de loi pour autoriser la restitution à l'Afrique du sud de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman, appelée la Vénus hottentote, symbole des humiliations subies par son peuple, dont le corps était conservée au Muséum national d'histoire naturelle. Rapporteur de ce texte, je m'étais d'abord opposé à son principe avant de me rallier à la démarche au vu des tergiversations et des barrages administratifs auxquels nous nous sommes heurtés. Tel conservateur m'avait même expliqué qu'il n'y avait plus de restes humains, autrement appelées les parties molles, dans son musée, car ils avaient été perdus !

M. Nicolas About.  - Quel menteur !

M. Philippe Richert, rapporteur.  - D'où l'utilité, pour clarifier la situation, de cette proposition de loi consensuelle de Mme Morin-Desailly, cosignée par une soixantaine de collègues issus de tous les groupes, et M. About, qui récidive.

Après l'intervention de l'auteur, je m'attacherai à présenter les conclusions de notre commission et les dispositions que nous avons souhaité introduire dans le texte afin d'en renforcer la portée. En effet, au-delà de son aspect ponctuel, ce texte soulève d'importantes questions culturelles, éthiques et morales.

Rappelons, tout d'abord, que les têtes humaines momifiées et tatouées sont une tradition du peuple maori, peuple autochtone de Nouvelle-Zélande. Avec l'arrivée des colons européens, ces têtes, considérées comme des objets de collection, ont suscité un engouement macabre et fait l'objet d'un trafic sordide jusqu'au milieu du XIXe siècle, si bien que certains esclaves ont eu la tête tatouée puis ont ensuite été décapités pour satisfaire à la demande... Ainsi, ces têtes ont-elles été dispersées dans des musées d'Europe ou d'Amérique, mais aussi dans des collections privées. D'après mes informations, six musées français, dont le Quai Branly, en conservent actuellement une douzaine dans leurs réserves.

En octobre 2007, la ville de Rouen décide de rendre aux autorités néo-zélandaises une de ces têtes conservée dans son muséum. Toutefois, pour une question de principe soulevée par la ministre de la culture, cette délibération a fait l'objet d'un recours qui a conduit à son annulation par le juge administratif. En effet, la ville s'était fondée sur les dispositions du code civil issues de la loi de bioéthique de 1994, qui prévoient que le corps humain ne peut faire l'objet d'un droit patrimonial. Cet argument a été rejeté par le juge alors qu'au moment des débats sur la Vénus hottentote le ministre de la recherche s'en était emparé en séance publique au Sénat pour s'opposer à notre démarche. J'y vois la preuve que nous avions eu alors raison de ne pas nous rallier à sa position.

Concernant la tête maorie, le juge a rappelé que le musée de Rouen, ayant obtenu l'appellation de Musée de France, est régi par la loi du 4 janvier 2002, dont j'étais rapporteur. Celle-ci réaffirme le principe d'inaliénabilité des collections publiques mais prévoit également, grâce à notre commission, une possibilité strictement encadrée de déclassement après avis conforme d'une commission scientifique. Or cette commission n'a pas été saisie de la question du déclassement de la tête maorie, ni d'aucune question de déclassement -j'y reviendrai.

Cette proposition de loi autoriserait à déroger à cette procédure en sortant des collections l'ensemble des têtes maories. Conservateurs de musées et scientifiques auditionnés m'ont conforté dans l'idée que peu d'arguments valables s'opposent à la restitution des têtes maories. D'abord, comme me l'ont confirmé l'ambassadrice de Nouvelle-Zélande et le ministre de la culture néo-zélandais, leur pays souhaite le retour des têtes maories.

J'ai insisté pour que la Nouvelle-Zélande confirme sa demande car, pendant le débat sur la Vénus hottentote, le ministère avait prétendu que la demande de l'Afrique du Sud était purement formelle et que ce pays ne souhaitait pas réellement la restitution de la dépouille. (M. Nicolas About ironise)

Les têtes maories doivent retourner dans leur terre d'origine et y recevoir une sépulture décente, selon les rites ancestraux : le respect de la dignité humaine, celui des cultures et des croyances d'un peuple vivant l'exigent. Ces têtes sont entrées dans nos musées comme des objets de curiosité ou parce que l'on accordait foi à l'anthropologie raciste de ce temps ; mais elles n'ont jamais fait l'objet de recherches scientifiques en France et, selon l'avis d'un éminent spécialiste, ne présentent aucun intérêt pour les anthropologues contemporains. Il serait cependant souhaitable d'en conserver une trace, comme le permettent les techniques actuelles de numérisation, car elles contribuent à la connaissance de l'humanité dont les musées sont également responsables.

La France s'honorera par cette démarche éthique, conforme à ses valeurs humanistes et à son souci du dialogue interculturel. Notre groupe d'amitié France-Nouvelle-Zélande, présidé par Marcel Deneux, s'était ému, à l'automne 2007, de l'annulation de la délibération de la ville de Rouen. Votre commission a souscrit à l'initiative de Mme Morin-Desailly. Il reviendra aux responsables des collectivités et des musées concernés de définir, en étroite coopération avec le musée Te Papa de Wellington et les autorités néo-zélandaises, les modalités de restitution des têtes.

Certains craignent que nous nous engagions sur une pente glissante ; mais les mêmes appréhensions s'étaient exprimées lors de l'examen de la loi relative à la Vénus hottentote et se sont révélées sans fondement. Il est temps de réfléchir à ces questions : j'ai pu constater que les mentalités avaient évolué depuis 2002, tant chez les savants que chez les conservateurs ou les journalistes, malgré quelques exceptions. C'est pourquoi j'ai proposé à la commission des affaires culturelles de compléter la proposition de loi pour éviter que nous ayons de nouveau à nous pencher sur un cas similaire. Il faut mener une réflexion éthique sur la gestion des collections des musées, notamment des restes humains : notre pays est, à cet égard, très en retard. Dans le cadre du récolement décennal obligatoire des musées, il serait bon de dresser un inventaire précis de ces collections qui restent souvent dans les zones d'ombre des établissements...

Il n'est pas normal que la procédure de déclassement des biens des collections des musées, inscrite à notre initiative dans la loi de 2002, soit restée virtuelle. Elle est pourtant très encadrée. La commission scientifique nationale des collections des musées de France, composée essentiellement de professionnels des musées et de représentants de l'administration et présidée par le directeur des musées de France, est chargée d'émettre un avis sur les projets d'acquisition et de restauration d'oeuvres et sur les demandes de déclassement. Or cette commission n'a jamais eu à statuer sur une telle demande. Elle n'a mené aucune réflexion tendant à définir les critères de déclassement, comme M. Jacques Rigaud l'a confirmé dans son rapport sur l'aliénation des oeuvres des collections publiques remis à Mme Albanel en février 2008.

Même si nous sommes très attachés au principe fondamental de l'inaliénabilité des collections, consubstantiel à la mission de service public des musées, cette réflexion mérite d'être menée avec sincérité. Le déclassement doit rester exceptionnel : aucun d'entre nous ne souhaite mettre en péril l'intégrité de notre formidable patrimoine artistique. Mais il faut être souple, tenir compte de la diversification des collections et de l'évolution de la conception même du musée : il n'est pas dans l'intérêt des institutions à vocation scientifique ou technique, par exemple, de conserver éternellement leurs collections d'étude...

La commission des affaires culturelles a donc décidé, sur ma proposition et en accord avec l'auteur de la proposition de loi, de compléter ce texte en vue de réactiver la procédure de déclassement tout en l'encadrant. La commission instaurée par la loi de 2002 sera renommée « commission nationale scientifique des collections » et son champ de compétence étendu, au-delà des collections des musées de France, aux oeuvres du Fonds national d'art contemporain ; elle pourra également conseiller les personnes privées gestionnaires de fonds régionaux d'art contemporain, comme le préconisait le rapport Rigaud. Ces collections contemporaines sont celles pour lesquelles le principe d'inaliénabilité a le plus de sens ; mais un déclassement peut parfois être justifié, par exemple en cas de forte dégradation de l'oeuvre. La commission devra également formuler des recommandations et une doctrine générale sur le déclassement, afin d'éclairer les propriétaires et gestionnaires de collections dans leurs décisions, et remettre au Parlement un rapport dans un délai d'un an. Elle devra en particulier se pencher sur la question particulièrement sensible et complexe des restes humains. Compte tenu de ses nouvelles missions, sa composition sera élargie à la représentation nationale, aux représentants de l'État et des collectivités territoriales -propriétaires de collections publiques- ainsi qu'à des personnalités qualifiées, anthropologues, ethnologues, philosophes, etc.

Enfin, pour tenir compte de ces apports, la commission des affaires culturelles a souhaité modifier l'intitulé de la proposition de loi.

Un nouveau chantier s'ouvre pour notre politique culturelle et patrimoniale et nous souhaitons vivement que le ministère de la culture y participe afin que cette proposition de loi puisse être appliquée dans les meilleurs délais. (Applaudissements de nombreux bancs)

M. le président.  - Au nom du Sénat, j'ai l'honneur de saluer M. le ministre à l'occasion de sa première intervention devant notre assemblée.

M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication.  - Merci beaucoup.

La question de l'appartenance de restes humains aux collections des musées de France est de celles qui attisent la controverse. Nous avons tous en mémoire les échanges passionnants auxquels a donné lieu, notamment au sein de votre Haute assemblée, la remise à l'Afrique du Sud des restes de Saartjie Baartman -la Vénus hottentote. Plus récemment, en 2007, l'affaire de la tête maorie inscrite sur les inventaires du muséum d'histoire naturelle de Rouen a remis ce problème sous les feux de l'actualité.

Deux conceptions sont possibles. On peut se focaliser sur la violence médicale, guerrière ou rituelle qui est à l'origine de ce que l'on nomme -faute d'expression plus digne- les « restes humains » et mettre en doute le droit de transformer un élément du corps humain en objet de collection. Mais on peut aussi prendre en compte les motifs scientifiques, historiques ou culturels qui ont un jour conduit à porter à ces objets une attention particulière. Ces deux conceptions peuvent, je le crois, être conciliées : c'est d'ailleurs le sentiment général. Nul ne remet en cause l'intérêt qu'il y a à conserver et à présenter au public les momies égyptiennes du Louvre : les musées égyptiens en font de même dans des espaces soumis à une tarification complémentaire, sans y voir une entrave au respect dû à la dignité du corps humain.

Je suis très honoré, pour ma première intervention devant votre assemblée en tant que ministre de la culture et de la communication, de participer à ce débat essentiel pour les collections publiques françaises. Je souhaite qu'il soit apaisé et équilibré. Efforçons-nous de concilier la nécessité éthique d'apporter une réponse aux demandes des communautés d'origine et notre attachement à l'intégrité des collections publiques et au principe d'inaliénabilité, qui en est la traduction juridique.

L'histoire des têtes maories est bien connue. La momification des têtes, qui était à l'origine une pratique rituelle témoignant du respect d'une tribu et d'une famille envers ses morts, est devenue, sous l'effet de la curiosité macabre des voyageurs et collectionneurs européens, l'objet d'un commerce barbare. Le Gouvernement partage pleinement le souci éthique de l'auteur et du rapporteur de la proposition de loi. A aucun moment il n'a pris position sur l'opportunité de remettre aux autorités de Nouvelle-Zélande la tête maorie du muséum de Rouen.

L'intervention de l'État auprès du juge administratif était simplement motivée par la nécessité de respecter les procédures dont le législateur a entouré le déclassement des objets appartenant aux collections des musées de France, en l'occurrence la saisine pour avis de la commission scientifique instituée par la loi du 4 janvier 2002 sur les musées de France.

Sur l'intérêt de conserver les têtes dans les collections publiques, je salue la finesse d'analyse du rapporteur. Après avoir rappelé qu'elles n'étaient entrées dans les collections que comme objets de curiosité, et non d'étude scientifique, M. Richert a présenté le problème dans toute sa complexité. Selon les témoignages recueillis par le rapporteur, les têtes conservées dans nos musées n'ont jamais fait l'objet d'études poussées et ne présentent guère d'intérêt au regard des méthodes anthropologiques actuelles. Cependant, il souligne également qu'il convient d'en garder une trace, pour ne pas laisser de vide dans la connaissance de l'humanité et encore moins dans la mémoire de cet épisode peu glorieux de l'histoire de l'expansion européenne.

Sur les modalités juridiques choisies pour favoriser la remise des têtes maories aux autorités néo-zélandaises, votre commission a retenu une solution sage, respectueuse de la liberté de chacune des collectivités publiques -État ou communes- en possession de têtes maories. Si, en application de l'article premier, les têtes maories cesseront immédiatement de faire partie des collections des musées de France, en vue de leur remise à la Nouvelle-Zélande, il reviendra à chaque collectivité propriétaire de procéder à leur déclassement et de négocier les modalités de leur remise avec les autorités de ce pays. Le musée du Quai Branly et les muséums d'histoire naturelle des grandes métropoles régionales auront ainsi la possibilité d'accomplir ce geste éthique.

Je soulignerai simplement que, pour la première fois, la loi organise la sortie des collections des musées de France d'une catégorie entière d'éléments, et non d'un objet déterminé. Pour l'avenir, je crois capital de prévenir et de régler, très en amont et de façon consensuelle -notamment entre l'État et les collectivités territoriales ou leurs établissements-, sans avoir besoin de recourir au législateur, les difficultés qui pourraient s'élever au sujet d'autres cas particuliers. Tel est l'objet des articles suivants, ajoutés par votre commission des affaires culturelles qui, ce faisant, a souhaité saisir votre Haute assemblée de la question générale des modalités de déclassement des objets appartenant aux collections publiques. Le Gouvernement salue le caractère très opportun de cette initiative qui s'inscrit dans la droite ligne des conclusions remises par Jacques Rigaud au ministre de la culture, en février 2008, sur la modernisation de la gestion des collections publiques. Son rapport réaffirmait avec force le caractère incontournable du principe d'inaliénabilité qui, au fondement même des collections publiques, a contribué au fil des siècles à la constitution d'un patrimoine qui fait aujourd'hui la fierté et l'attrait de nos institutions culturelles.

Jacques Rigaud avait cependant souligné la nécessité d'une véritable « respiration » des collections, dont les possibilités de déclassement offertes par le code du patrimoine étaient une modalité envisageable. Le rapport proposait de donner toute sa portée à la loi relative aux musées de France, qui prévoit une procédure de déclassement restée lettre morte jusqu'à ce jour. L'initiative de votre commission relaye ainsi un objectif du ministère de la culture.

La future Commission scientifique nationale des collections, instituée par la proposition de loi, traduira dans sa composition toute la complexité des questions de déclassement, qui sont à la fois scientifiques, culturelles et éthiques. La compétence primordiale des professionnels de la conservation des collections sera ainsi complétée par le point de vue des parlementaires, des collectivités propriétaires des collections, ainsi que par celui de personnalités éminentes dans d'autres disciplines utiles à l'examen des projets de déclassement : philosophie, droit ou encore anthropologie... Cette ouverture de la Commission scientifique nationale aux représentants de la Nation souligne la solennité de la procédure de déclassement et témoigne de l'attachement du Parlement au principe d'inaliénabilité.

Par ailleurs, la proposition de loi, en étendant aux autres collections publiques, au Fonds national d'art contemporain ainsi qu'aux collections des Fonds régionaux d'art contemporain, l'intervention, obligatoire ou facultative, de la Commission scientifique nationale, favorise la prise en compte de l'intérêt scientifique et culturel des biens concernés au moment de faire le choix de déclasser ou non.

Je sais également gré à la commission d'avoir, pour les demandes de déclassement de biens appartenant aux collections publiques, étendu la procédure de l'avis conforme prévue par la loi sur les musées de France. Celle-ci garantit en effet la prise en compte, par les propriétaires des collections, de l'expertise et de la représentativité de cette instance. Ce périmètre élargi permettra également, j'en forme le voeu, de définir une doctrine générale pour l'ensemble des collections publiques.

Cette proposition de loi vient donc clore de façon heureuse la controverse suscitée à l'automne 2007 par l'annulation de la délibération de la ville de Rouen relative à la restitution de la tête maorie. Elle marque surtout l'ouverture, trop longtemps retardée, d'un véritable débat de fond sur le recours au déclassement car elle donne aux collectivités publiques une doctrine définie en parfaite concertation. La proposition de loi donne en effet compétence à la Commission scientifique pour fixer la doctrine et les critères qui permettront la « respiration » des collections sans en compromettre l'intégrité ni amoindrir la portée du principe d'inaliénabilité. Ces lignes directrices seront très rapidement présentées dans le rapport qui devra être remis au Parlement dans un délai d'un an.

Pour l'ensemble de ces raisons, le Gouvernement émet un avis favorable sur cette proposition de loi. (Applaudissements à droite et au centre ; M. Richard Tuheiava applaudit aussi)

M. le président.  - Pour la discussion générale, nous appliquons pour la première fois, l'alinéa 5 de l'article 29 ter de notre Règlement, tel qu'il résulte de la résolution du 2 juin dernier : les groupes autres que ceux auxquels appartiennent les représentants des commissions désignent chacun un premier orateur ; les orateurs ainsi désignés interviennent à la suite des commissions, selon l'ordre du tirage au sort.

M. Nicolas Alfonsi.  - A mon tour, monsieur le ministre, de vous souhaiter la bienvenue et une fructueuse collaboration avec la Haute assemblée.

Depuis vingt ans déjà, la Nouvelle-Zélande réclame le retour au pays de ses têtes maories. Son souhait de récupérer ces restes humains, considérés comme sacrés, pour leur accorder une sépulture digne et respectueuse des coutumes, est légitime. Ces têtes momifiées et tatouées des ancêtres maoris avaient fait l'objet de trafics commerciaux par des collectionneurs européens et américains jusqu'à la fin du XIXe siècle. En France, nous en possédons une quinzaine dans les collections publiques, outre celle de Rouen qui a suscité l'initiative de nos collègues. Ces têtes ne sont pas ou plus exposées, comme au musée du Quai Branly, qui en possède pourtant six à huit, et elles n'ont jamais fait l'objet d'études scientifiques particulières par les musées qui les conservent dans leurs réserves. A travers le monde, plusieurs États et institutions ont déjà restitué les têtes maories et notre démarche d'aujourd'hui est aussi guidée par leur geste éthique exemplaire.

Cependant, ce débat en ouvre un autre plus large et inquiétant. Si l'on doit reconnaître les erreurs passées, souvent perpétrées au nom de la science, pour appuyer le retour en Nouvelle-Zélande des crânes momifiés, certains redoutent que la restitution de ces têtes ne crée un précédent ouvrant la voie à un dépouillement, progressif mais inexorable, de nos collections nationales. Qu'en sera-t-il par exemple des momies précieusement conservées et exposées au musée du Louvre, ou des nombreuses reliques de saints que nous possédons à travers l'Hexagone ? Ce geste éthique, respectueux de la dignité de l'homme et des cultures et croyances d'un peuple vivant, inspiré sans doute aussi par le poids de la culpabilité de l'histoire coloniale, ne doit absolument pas remettre en cause le principe d'inaliénabilité des collections nationales. La règle intangible doit rester celle du caractère inaliénable des oeuvres d'art.

Aujourd'hui, le rapporteur de la proposition de loi nous propose de la compléter par des dispositions nous évitant d'avoir à nouveau recours à la loi pour ce type de problème. Nous avions déjà dû légiférer en 2002 sur un cas similaire : celui de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman, dite la Vénus hottentote, qui a été restituée à l'Afrique du Sud. Dans les faits, la dérive déjà redoutée à l'époque ne s'est pas vérifiée. Mais si nous devons à nouveau légiférer aujourd'hui, cela prouve que la procédure administrative, instaurée en 2002 dans le code du patrimoine, pour le déclassement des biens constituant les collections des musées de France manque totalement d'efficacité. On nous propose, pour y remédier, d'élargir la Commission nationale scientifique sur le déclassement des oeuvres à des personnalités qualifiées dans le domaine de l'éthique, à des élus, à des scientifiques et d'étendre son champ de compétence à l'ensemble des collectivités publiques, voire privées, au-delà des seules collections des musées de France. Mais, et c'est là l'essentiel, le texte propose de définir clairement les missions de cette commission qui, jusqu'à présent, n'a nullement fait avancer la réflexion sur les cas de déclassement ni, donc, sur les exceptions que l'on pourrait tolérer au principe d'inaliénabilité des oeuvres d'art. C'est indispensable si l'on souhaite concilier la protection de notre patrimoine culturel avec le respect de la dignité humaine et de toutes les cultures. La France accuse un net retard dans la réflexion sur la gestion éthique des collections des musées. Si la proposition de loi est adoptée, la Commission nationale scientifique devra établir une doctrine générale en matière de déclassement et de cession. Elle devra même rapidement rendre compte de ses conclusions dans un rapport au Parlement.

Puisque l'objectif de cette proposition de loi est de faire le point sur ce que doit être une gestion éthique des collections, tout en respectant le caractère inaliénable des oeuvres d'art, je me réjouis de la voter avec l'ensemble du groupe RDSE. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Serge Lagauche.  - La proposition de loi de Mme Morin-Desailly a une portée bien plus large que la seule résolution du conflit juridique entre le tribunal administratif de Rouen et la municipalité. Ce texte expose le législateur à devoir résoudre un conflit de principes et concilier le principe de l'inaliénabilité des collections publiques avec une démarche éthique, fondée sur le respect de la dignité de l'homme.

Le programme néo-zélandais de rapatriement des dépouilles maories, depuis 1992, traduit l'importance que revêt pour le peuple maori le retour de ses ancêtres sur leur terre d'origine. Pour ce peuple, toutes les parties du corps sont sacrées car elles portent en elles l'essence de la personne, mais la tête d'un guerrier maori, totalement tatouée, est considérée comme la plus sacrée.

Avant qu'elles ne fassent l'objet d'une convoitise insupportable et d'un commerce barbare de la part des colons européens, ces têtes étaient conservées par les familles des défunts en témoignage de respect. La restitution est donc un impératif éthique et le groupe socialiste du Sénat souscrit pleinement aux objectifs poursuivis par le texte.

Mais, comme pour la Venus hottentote, il nous faut aussi prendre en considération l'inaliénabilité des collections publiques et, si possible, régler définitivement ce conflit entre principes. Un État pourrait demain demander la restitution d'une oeuvre ou d'un objet acquis de façon contestable par la France mais qui fait partie des collections publiques depuis souvent plusieurs siècles. Il ne s'agit pas d'adopter une attitude de repli sur soi, voire de méfiance, mais ces acquis contestables sont l'Histoire et notre souci est de conforter nos musées nationaux dans leur mission d'exposition, de conservation et de recherche. Faisons en sorte que nos musées s'ouvrent sur l'extérieur mais confortons-les dans leur mission de gardiens du patrimoine culturel national.

La commission scientifique nationale créée par un décret du 25 avril 2002 s'est réunie chaque année mais n'a jamais eu à statuer sur un déclassement ; elle n'a pas mené une réflexion sur les critères à appliquer en pareil cas. Devant l'inertie des institutions, c'est fort opportunément que notre rapporteur a souhaité compléter la proposition de loi pour préciser le champ d'intervention de la commission et élargir ses compétences. M. Richert souhaitait aussi faciliter le transfert de propriété d'oeuvres inscrites sur l'inventaire du Fonds national d'art contemporain et mises en dépôt auprès de collectivités territoriales. Constatant nos réticences, il a retiré son amendement, faisant preuve d'un grand esprit d'ouverture et de consensus. Selon nous, les conditions requises pour voter ce texte sont réunies.

Reste à se pencher sur la gestion éthique des collections, notamment sur le statut des restes humains. La France est très en retard dans sa réflexion sur ces sujets sensibles. L'interdiction de l'exposition « Our body » à Paris a montré la nécessité d'accompagner les professionnels des musées. Puissent ce texte et les nouvelles missions confiées à la commission nationale constituer une première étape ! (Applaudissements sur les bancs socialistes et au banc de la commission)

M. Nicolas About.  - Je souhaite moi aussi la bienvenue à M. le ministre. Sept ans après la loi de restitution de la dépouille mortelle de Saartjie Bartmann à l'Afrique du sud, rien n'a changé. Nous sommes confrontés aux mêmes interrogations, aux mêmes incompréhensions, aux mêmes résistances. Il avait fallu en passer par une loi pour régler un litige que l'administration française n'avait pas su ou voulu résoudre dignement : la France n'avait pas honoré sa promesse de restitution faite oralement dix ans plus tôt par le président François Mitterrand à M. Nelson Mandela. Le refus de la France réveillait un peu plus les blessures d'un peuple si longtemps écrasé sous les humiliations, l'exploitation et l'asservissement, aux pires heures du colonialisme... Lors des débats au Sénat, tout le monde a admis l'inutilité juridique du recours à la loi. Certains affirmaient le caractère inaliénable des biens appartenant aux collections publiques, faisant de la France la « propriétaire » des restes de Saartjie Bartman ; mais le ministre de la recherche de l'époque, M. Schwartzenberg, avait confirmé ce que j'avançais : en vertu des lois de bioéthique de 1994, nul ne pouvait se déclarer propriétaire d'un élément du corps humain. La France était seulement la « gardienne » de la dépouille de Mme Bartmann -bien mauvaise gardienne au demeurant puisque le squelette et les organes pourrissaient dans les réserves du musée de l'Homme. Celui-ci, depuis 1974, avait prudemment retiré de ses vitrines les restes de la Vénus hottentote, conscient de l'indécence d'exposer aux yeux du grand public ce corps d'une femme noire à la physionomie hors du commun. De son vivant, au XIXsiècle, cette femme fut exhibée tel un phénomène de cirque, comme il était fréquent à cette époque, dans ce que l'on appelait des zoos humains. L'idéologie scientifique d'alors classait les êtres humains selon des critères raciaux qui, heureusement, n'ont plus cours aujourd'hui. Une vitrine de musée et même une simple grille trahissent une idéologie qu'il nous faut absolument rejeter. Elles tracent une frontière invisible mais tangible entre les peuples dits « primitifs » et nous, peuple occidental, peuple de découvreurs, de conquérants. Il nous faut comprendre ce que ressentent les descendants ! Que ressentirions-nous si nous apprenions que des têtes de soldats français sont exposées dans des vitrines de musées ? Il y a quelque chose d'insupportable dans cette vision d'horreur !

Le don des têtes maories ne date que de 1875. Ce sont des crânes de guerriers, de chefs de village, de personnages de haut rang. Les tribus maories furent les premiers et principaux occupants de la Nouvelle-Zélande pendant près de dix siècles ; elles ont été décimées au XIXe siècle par l'arrivée des colons européens. L'introduction d'armes à feu sur le territoire conduisit en effet à des guerres intertribales sanglantes. Exterminations, déportations, épidémies apportées par les Européens... Enfin, prenant prétexte des rébellions provoquées par l'achat contesté de terres, la couronne britannique confisqua de vastes parcelles aux tribus maories, à titre de représailles. Les Maoris sont alors entrés dans une période de déclin, on crut même un temps à leur disparition. Les têtes maories firent l'objet d'un trafic sordide. Mme Morin-Desailly rapporte même que des esclaves, qui n'étaient pas des chefs guerriers, ont été tatoués à seules fins d'être ensuite décapités pour faire l'objet d'échanges... Ces traitements barbares font frémir. Nous ne sommes pas directement responsables des malheurs du peuple maori, nous ne l'étions pas non plus du peuple khoisan auquel appartenait la Vénus hottentote... Mais nous serions coupables si nous continuions à conserver des reliques maories, sans plus aucun intérêt scientifique, dans les remises de nos musées. Il est de notre devoir d'aider ces peuples à tourner la page d'une douloureuse histoire récente.

Une telle restitution doit s'entourer de précautions. Il ne s'agit pas d'ouvrir la boîte de Pandore ni de vider tous les musées de France ! Nous n'allons certes pas rendre à leurs supposés descendants tous les ossements de la préhistoire, toutes les momies de l'Égypte ancienne... Ce qui ne nous dispense pas de conserver et présenter ces restes humains dans des conditions décentes et dignes. Des peuples en pleine reconstruction de leur identité cherchent à sauvegarder leur culture, à préserver leurs rites, à rendre leur dignité à leurs ancêtres. Entendons la demande de gens qui ont souffert dans leur histoire récente et qui s'identifient à ces reliques. En leur restituant leurs ancêtres, nous devons les aider à tirer un trait sur les querelles et les tensions avec les « occupants ». Je peux témoigner combien la restitution d'une dépouille mortelle demandée par le gouvernement du pays d'origine put réchauffer les relations diplomatiques avec ce pays, comme dans le cas de la Vénus hottentote. Les États-Unis, la Suisse, le Royaume-Uni, le Danemark ou l'Argentine ont commencé à restituer des têtes maories à la Nouvelle-Zélande. Il serait incompréhensible que la France restât à l'écart de cette dynamique...

J'approuve totalement que l'on retienne comme critère principal le fait que cette demande émane des autorités gouvernementales, non de l'une ou l'autre des tribus. Attribuer sans discernement ces restes humains risquerait de réactiver les conflits ethniques ou revendicatifs.

La création d'une instance internationale chargée de se prononcer sur le bien-fondé des demandes de restitution des dépouilles humaines serait bienvenue. Indépendante, elle serait composée de personnalités et d'experts et pourrait être rattachée à l'ONU ou à l'Unesco. Il ne s'agit plus là de défendre une oeuvre d'art relevant du droit patrimonial d'un État mais d'assurer le respect et la dignité universellement reconnus à l'ensemble de l'humanité.

Puisqu'il s'agit de respect et de dignité, il paraît utile de faire le point des questions juridiques soulevées par les demandes de restitution. Certains chercheurs et anthropologues soutiennent que les lois bioéthiques, que les articles 16 à 16-9 du code civil ne concernent que la personne vivante et la protègent, par exemple, contre les expérimentations ou le trafic d'organes. Il est vrai que seule la personne vivante est un sujet de droit. Mais il semble qu'ils aient oublié la récente jurisprudence relative à l'exposition, à l'Espace Madeleine, de l'anatomie de dix-sept cadavres d'origine chinoise. Cette exposition a été interdite en référé par le tribunal de grande instance de Paris, jugement confirmé en appel. Le juge a estimé que cette exposition portait une atteinte illicite au corps humain, que la mise en scène déréalisante des corps manquait de décence et qu'enfin, la place assignée par la loi aux cadavres était le cimetière. En votant la loi du 19 décembre 2008, nous avons dit que le respect dû au corps humain ne cessait pas avec la mort et que les restes des personnes décédées devaient être traités avec respect, dignité et décence.

On ne peut donc dire que les restes humains sont des objets de musée comme les autres. Leur place n'est pas derrière une vitrine mais dans un cimetière. Au regard des dimensions identitaires, symboliques, diplomatiques de cette affaire, il faut faire droit à la demande de restitution de la Nouvelle-Zélande des têtes maories. Laissons-les repartir en paix sur leur terre natale, une terre qui les attend afin de les inhumer dignement, dans le respect des rites ancestraux. Puissions-nous un instant laisser résonner en nous la voix du peuple maori dont un des anciens proverbes dit : « La terre est une mère qui ne meurt jamais ». (Applaudissements au centre et à droite)

Mme Odette Terrade.  - J'interviens en mon nom comme en celui de M. Renar qui, comme moi, a cosigné la proposition de loi de Mme Morin-Desailly. On le sait, les citoyens sont sensibles au respect de la dignité de la personne humaine et opposés à tout ce qui s'apparente à sa marchandisation. On ne peut s'interroger sur la vie sans questionner le rapport des vivants à la mort. Notre assemblée s'honore donc en permettant la restitution des têtes maories qui, rappelons-le, ont été apportées dans notre pays dans un contexte colonialiste et raciste où les peuples non occidentaux étaient considérés comme inférieurs. Ces têtes pourront ainsi être inhumées dignement et dans le respect des rites funéraires du peuple maori.

Le respect des dépouilles mortelles a partout et profondément contribué à humaniser les sociétés et à civiliser les hommes. Il y a dans la mythologie grecque des croyances et des lois non écrites qu'on ne saurait transgresser. Souvenons-nous d'Antigone qui, au péril de sa vie, rend les honneurs funèbres à son frère malgré l'interdiction de Créon. Quel plus beau symbole de la nécessité ontologique d'offrir une sépulture digne aux défunts ?

Le débat éthique et juridique suscité par la décision du conseil municipal de Rouen témoigne du retard de notre réflexion sur ces questions. Notre groupe souhaite l'application de la procédure de déclassement de biens appartenant aux collections publiques, introduite dans la loi Musées de 2002 mais restée lettre morte. Nous avons perdu beaucoup de temps. Tout en confortant la portée du principe d'inaliénabilité, nous devons disposer de critères clairs en cette matière. Dans la mesure où on ne peut réduire les restes humains à de simples objets de collection et dès lors que prime l'approche éthique, nous jugeons très pertinent d'ouvrir la nouvelle commission à des personnalités qualifiées comme à des représentants de l'État et des collectivités territoriales et à des parlementaires. Nous serons très attentifs à l'application de l'article 4 et au travail de cette commission. Alors que de nombreux musées américains, australiens et européens ont déjà accepté la demande légitime de la Nouvelle-Zélande, la France doit d'urgence clarifier sa position sur le statut des biens issus du corps humain. Après le précédent de la Vénus hottentote, il y a sept ans, et le débat d'aujourd'hui, il faut que nos musées puissent répondre sereinement à de nouvelles demandes de restitution ; nous ne pouvons plus légiférer au cas par cas.

Permettre que les morts reposent en paix n'est-il pas une condition pour que les vivants eux-mêmes vivent en paix ? La question est universelle. Nous avons tous des ancêtres communs.

Le groupe CRC-SPG est favorable à la restitution des têtes maories et l'est d'autant plus qu'il a toujours plaidé pour le dialogue et les échanges interculturels. Je me réjouis pour le peuple maori qui pourra enfin donner à ses ancêtres une sépulture conforme à sa culture et à sa tradition. Nous voterons ce texte, qui nous donne des responsabilités nouvelles à l'égard des morts comme des vivants.

M. Richard Tuheiava.  - Ce texte très court est porteur d'un thème crucial pour le patrimoine national. En tant que Polynésien, intimement lié à la cause des maoris, qu'on dit chez nous nos cousins, je suis profondément sensible au sujet qui nous réunit ; il est ici question d'éthique, de dignité humaine, de diversité culturelle, de respect des croyances du peuple maori du « pays du long nuage blanc » autrement appelé Nouvelle-Zélande. Il est question aussi de cette sacralité commune à tous les peuples océaniens, dont Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française. Je défends moi-même l'inscription au patrimoine mondial du site Taputapuatea qui est, pour les Maoris, le dernier lieu de repos des âmes de leurs ancêtres.

A l'annonce de l'examen de cette proposition de loi, je n'ai pu résister à l'impérieux réflexe protocolaire de prendre l'attache de nos cousins maoris afin de veiller modestement à ce que le texte soit conforme à leurs souhaits. C'est bien le cas -j'imagine que mes collègues de l'Union centriste en étaient déjà persuadés... Je n'ai pas plus résisté à aller visiter, avant-hier, le musée d'histoire naturelle de Rouen et sa réserve afin de mieux comprendre les enjeux. J'ai rencontré madame la députée-maire qui m'a assuré de la détermination de son conseil municipal, au sein duquel siège notre collègue Mme Catherine Morin-Desailly, à voir aboutir la démarche de restitution. Je veux saluer ici le courage et l'audace des équipes municipales d'avant et d'après 2008, qui ont permis de lancer le débat et, si j'ose dire, de relancer le pavé dans la mare. Mme Morin-Desailly a rappelé ce qu'étaient la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, ratifiée par la France en 2007, et le code de déontologie du Conseil international des musées.

Par solidarité envers nos cousins du Pacifique, par conviction traditionnelle profonde, par souci d'éthique, je voterai cette proposition de loi, non sans avoir présenté quelques amendements modestes. Au-delà d'un texte de circonstance, nous devons poser la question de l'état de notre droit positif en matière de restes du corps humain. La France ne pourra plus traiter au cas par cas les demandes de restitution, sauf à se trouver en difficulté face aux instruments internationaux. Il nous faudra repenser notre législation et trancher clairement le débat juridico-culturel qui s'ouvre, en évitant toute considération qui trahirait encore, en filigrane, un passé colonial. (Applaudissements)

M. Louis Duvernois.  - Je m'associe aux orateurs précédents pour vous souhaiter la bienvenue, monsieur le ministre.

Le respect dû aux croyances d'un peuple nous amène à examiner une proposition de loi autorisant la restitution à la Nouvelle-Zélande des têtes maories détenues par les musées français. Les têtes humaines tatouées et momifiées sont une tradition du peuple maori pour qui elles revêtent un caractère sacré. Avant l'arrivée des Européens, les chefs maoris étaient tatoués selon des codes très précis, à la fois sociaux et religieux, relevant de la tribu à laquelle ils appartenaient. Lorsque l'un d'entre eux mourait au combat, sa tête était conservée et exposée dans un endroit consacré à sa mémoire. Jusqu'au moment où l'on estimait que l'âme du défunt était partie. La tête était alors inhumée près de son village. Les Européens, entrés au contact de ces populations au XVIIIe siècle, furent fascinés par ces têtes ornées et en rapportèrent quelques-unes en Europe. La demande des collectionneurs fut telle qu'un commerce s'instaura entre les Maoris et les Européens. La raréfaction rapide des têtes donna lieu à des supercheries : certains Maoris n'hésitèrent pas à tatouer des esclaves puis à les exécuter pour obtenir des têtes. La révélation publique de ces pratiques suscita en Angleterre un scandale tel qu'une loi de 1831 interdit le commerce des têtes entre la Nouvelle-Zélande et l'Australie.

Le peuple maori représente aujourd'hui 600 000 personnes. Depuis les années soixante, le gouvernement néo-zélandais soutient la culture maorie avec des mesures de restitutions de terres et d'indemnisation des tribus spoliées. Il a également mis en place un programme de rapatriement et d'identification des têtes coupées, en vue de leur restitution aux tribus. Ces restes humains recevront ainsi une sépulture conforme aux rites et traditions de leurs communautés d'origine.

Répondant à cette démarche, de nombreux pays ont restitué les têtes maories qu'ils détenaient : 322 restes humains ont été restitués, sur un total estimé à 500. En France, la ville de Rouen a été la première à restituer une tête détenue par son muséum. Mais cette restitution a eu lieu alors que le tribunal administratif en avait décidé autrement, invoquant l'inaliénabilité des biens constituant les collections des musées de France. Cette affaire révéla un certain vide juridique. L'initiative de Mme Morin-Desailly vient clore ce débat.

Sa proposition de loi compte de nombreux cosignataires, dont je suis, et je me réjouis que notre ordre du jour ait permis d'en inscrire la discussion aujourd'hui. Il s'agit d'appliquer un principe reconnu par le droit international : le respect de la dignité humaine et de la culture d'un peuple. Comme l'a dit notre rapporteur, la restitution des têtes maories est un geste éthique. Les opposants à la restitution font valoir que ces restes peuvent présenter à l'avenir un intérêt scientifique. Certains conservateurs de musée justifient le maintien de ces têtes au sein de nos collections par leur valeur de témoignage historique. Mais la crainte principale est que l'existence d'un précédent ouvre la voie à une fuite des pièces des collections nationales.

Il faut tenir compte de cet aspect. Pour cette raison, la proposition de loi se garde de donner une réponse législative générale et définitive à la question de la restitution de restes humains. La demande de restitution constitue un cas très particulier. Celle-ci ne devient pas automatique ; elle n'est autorisée que pour le cas maori.

Le sujet appelle une réflexion d'ensemble sur la restitution de restes humains, qui doit être menée en premier lieu par les responsables des musées. Nous réglons aujourd'hui un cas d'espèce ;  espérons que le Parlement ne soit pas contraint de légiférer prochainement sur des cas semblables.

Je salue le travail de notre rapporteur Philippe Richert, qui s'était déjà impliqué en 2002 dans le débat législatif pour la restitution des restes de la Vénus hottentote. Un amendement adopté par la commission réactive la procédure de déclassement instituée en 2002. Il modifie la composition et les missions de la commission scientifique nationale afin de la rendre vraiment opérationnelle. Cette commission devra définir d'ici un an une doctrine générale en matière de déclassement et de cession. Ces dispositions sont utiles car la loi de 2002 permettant le déclassement des biens culturels, et donc leur restitution, n'a pas trouvé d'application.

Bien évidemment, le groupe UMP votera cette proposition de loi ainsi amendée. (Applaudissement à droite et au centre)

Mme Marie-Christine Blandin.  - Cette proposition de loi repose sur un élan éthique, qui honore la ville qui en a pris l'initiative et l'auteur du texte, et qui invite à l'approbation.

Ce débat s'inscrit dans la lignée du texte de 2002 sur la restitution à l'Afrique du sud de la dépouille de Sartjiee Bartmann. Un débat préalable avait mis en avant l'inaliénabilité des collections des musées -article L. 52 du code du domaine de l'État- et en même temps la loi bioéthique de 1994 qui dispose que « le corps humain ne peut faire l'objet d'un droit patrimonial ». Malgré cela et malgré les demandes de l'Afrique du sud, ni le ministère, ni les musées n'avaient donné suite, et nous avons dû légiférer. Le ministre de la recherche plaida que l'on « rende justice à cette femme qui a été l'objet, durant et après sa vie, comme Africaine et comme femme, de tant d'offenses procédant du colonialisme, du sexisme et du racisme, qui ont longtemps prévalu ».

Il n'est pas inutile de rappeler ici le rapport à l'Académie de médecine, présenté par Cuvier concluant « les races à crâne déprimé et comprimé sont condamnées à une éternelle infériorité ». Ce n'est qu'en janvier 2008 que j'ai enfin pu faire éradiquer, avec le soutien de la commission des affaires culturelles, le mot « race » d'un texte de loi sur l'audiovisuel, le Sénat se montrant en avance sur l'autre chambre. Je n'ai pas encore réussi pour le texte de la Constitution, mais je ne perds pas espoir.

L'autre texte qui nous fait héritage est la loi sur les musées de 2001. On y avait senti vaciller l'inaliénabilité, par l'installation dans le paysage de la notion de déclassement, par l'arrivée aussi d'un amendement de l'Assemblée nationale préconisant un délai de trente ans avant classement. D'autres événements, dans un contexte de tension du marché et de rareté des subventions publiques, ont laissé se développer la notion de rentabilité des institutions culturelles, au travers de la vente de leur marque à l'international, et de prêt d'oeuvres aux limites du leasing. C'est dans ce contexte qu'il faut entendre ceux qui nous invitent à la vigilance sur l'inaliénabilité et que notre commission n'a pas souhaité étendre les possibilités de déclassement.

Mais pour ce qui est des têtes maories, comme de tout reste humain faisant sens pour un peuple le revendiquant au nom de ses moeurs et de sa culture, et particulièrement au nom du respect dû aux ancêtres, nous sommes résolument favorables à ce que notre pays et ses musées rendent avec dignité ce que l'histoire, l'emprise d'un peuple sur un autre ou les goûts douteux de collectionneurs ont enlevé à leur pays d'origine.

Le tatouage du visage des chefs maoris, le moko, était une fierté et une épreuve : entailles au couteau en os, puis application de suie de l'arbre de gomme ou de chenilles carbonisées ; il fallait tout le rite et la cérémonie, les chants et les cataplasmes de feuilles pour que le jeune homme y résiste. La souffrance était telle qu'on le nourrissait avec un entonnoir en bois. Les esclaves que l'on tatoua en simulacre de chef pour vendre leur tête n'eurent eux, que la souffrance, sans les honneurs.

Les Maoris sont vivants, reconnus et actifs en Nouvelle-Zélande, et dans l'ensemble polynésien. Ils siègent dans les instances officielles. Le 20 avril 2009, ils ont accompagné à l'Assemblée générale des Nations Unies Helen Clark par une cérémonie de chants et de danses rituels, le powhiri. Helen Clark a été Premier ministre de Nouvelle-Zélande de 1999 à 2008. Travailliste, elle avait donné priorité à l'accès au logement, à la protection de la biodiversité, à la santé publique, à l'égalité des sexes et aux liens entre les Maoris et les Pakeha, les Européens.

C'est dans cet esprit de liens et de respect que nous sont demandées les têtes maoris et c'est pour nous un devoir moral et historique que de construire rapidement les conditions de leur retour. C'est pourquoi nous soutiendrons ce texte, resté dans son épure éthique initiale. (Applaudissements unanimes)

Discussion des articles

Article premier (Texte modifié par la commission)

A compter de la date d'entrée en vigueur de la présente loi, les têtes maories conservées par des musées de France cessent de faire partie de leurs collections pour être remises à la Nouvelle-Zélande.

M. le président.  - Amendement n°2, présenté par M. Tuheiava.

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

Cette restitution devra se faire dans un délai maximum de 6 mois à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi.

Amendement n°3, présenté par M. Tuheiava.

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

Cette restitution devra se faire dans un délai maximum d'un an à compter de l'entrée en vigueur de la présente

M. Richard Tuheiava.  - Le texte ne donne aucun délai pour la restitution des têtes maories à la Nouvelle-Zélande.

Il convient donc de prévoir un délai maximum de six mois : sans date butoir, cette proposition de loi perdrait de sa crédibilité. De plus, l'absence de délai permettrait d'éventuelles mesures dilatoires pour vider la loi de sa substance.

L'amendement n°3 est un amendement de repli ; il prévoit un délai d'un an, sollicité par la commission, pour permettre le dépôt d'un rapport au Parlement.

M. Philippe Richert, rapporteur.  - Initialement, je souhaitais instaurer un délai limite d'une ou de deux années. Mais nous sommes allés voir l'ambassadrice de Nouvelle-Zélande à Paris et elle nous a demandé de ne pas prévoir de délai : elle a en effet souligné que les cérémonies qui doivent précéder l'accueil des ancêtres et le rapatriement des têtes prendront sans doute plus de temps que prévu. Il est donc préférable de ne pas prévoir de dates butoir pour donner toute liberté aux tribus de réintégrer leurs ancêtres.

Pour éviter qu'un musée ne déclasse mais ne rende pas, nous avons rappelé dans l'article premier que le but est bien de rendre les têtes maories à la Nouvelle-Zélande.

Je souhaite donc le retrait de ces deux amendements.

Les amendements nos2 et 3 sont retirés.

L'article premier est adopté, ainsi que les articles 2, 3 et 4.

Intitulé de la proposition de loi

M. le président.  - Amendement n°1, présenté par M. Tuheiava.

Dans l'intitulé de la proposition de loi, après les mots :

têtes maories

insérer les mots :

à la Nouvelle-Zélande

M. Richard Tuheiava.  - Il convient de préciser que c'est bien la Nouvelle-Zélande qui bénéficiera de la restitution des têtes maories. Loin d'être superfétatoire, une telle précision est nécessaire pour clarifier le périmètre d'application de cette proposition de loi.

L'amendement n°1, accepté par la commission et par le Gouvernement, est adopté et l'intitulé de la proposition de loi est ainsi modifié.

Vote sur l'ensemble

Mme Catherine Morin-Desailly, auteur de la proposition de loi.  - J'ai été sensible aux interventions de mes collègues, et particulièrement à celle de M. Tuheiava.

Je tiens également à remercier M. le ministre, pour sa compréhension et sa sensibilité, et M. le rapporteur, qui a utilement amendé ma proposition de loi, notamment en spécifiant que les têtes maories seront déclassées des collections et qu'elles seront restituées à la Nouvelle-Zélande.

Bien que M. Tuheiava ait retiré ses amendements sur les dates butoir, nous serons particulièrement attentifs à ouvrir les portes de nos musées dès que la Nouvelle-Zélande sera prête. Cette démarche n'a en effet de sens que si elle va jusqu'au bout. (Applaudissements)

La proposition de loi est adoptée à l'unanimité.

(Applaudissements)

M. Frédéric Mitterrand, ministre.  - Je veux tout d'abord remercier chaleureusement Mme Morin-Desailly à qui l'on doit l'initiative de cette proposition de loi et qui doit, ce soir, se sentir récompensée de ses convictions et de l'engagement moral qu'elle avait pris à l'égard de la communauté mahoraise. Je remercie également M. Richert pour la qualité de ses travaux.

On ne construit pas une culture sur un trafic, sur un crime. Disant cela, je pense notamment aux esclaves victimes de cet horrible commerce. En revanche, on construit une culture sur le respect et sur l'échange, sur une véritable pratique de la mémoire, sur le respect des procédures et des lois.

Je vous sens émue, madame Morin-Desailly, et nous partageons votre émotion.

Une observation beaucoup plus frivole : le mot inaliénabilité est décidément difficile à prononcer (Rires et applaudissements)

La séance est suspendue à 19 h 10.

présidence de M. Jean-Claude Gaudin,vice-président

La séance reprend à 21 h 30.