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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Décisions du Conseil constitutionnel

Libertés et responsabilités des universités (Question orale avec débat)

Questions d'actualité

Déficits publics et prélèvements obligatoires

M. Hervé Maurey

M. André Santini, secrétaire d'État chargé de la fonction publique

Bouclier fiscal (I)

M. François Marc

M. André Santini, secrétaire d'État chargé de la fonction publique

Le bouclier fiscal (II)

M. Bernard Vera

M. André Santini, secrétaire d'État chargé de la fonction publique

Aides agricoles aux zones intermédiaires

M. Henri de Raincourt

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement

Relance par la consommation

Mme Françoise Laborde

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services

Obligations des entreprises recevant des fonds publics

M. Roland Courteau

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services

Soutien à l'apprentissage.

M. Serge Dassault

M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté et à la jeunesse

Pôle emploi

Mme Patricia Schillinger

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services

Fonctionnaires de La Poste

M. Pierre Hérisson

M. André Santini, secrétaire d'État chargé de la fonction publique

Moyens financiers des IUT

M. Philippe Adnot

Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche

Rapport annuel du Médiateur de la République

Violences faites aux femmes(Question orale avec débat)




SÉANCE

du jeudi 19 mars 2009

82e séance de la session ordinaire 2008-2009

présidence de M. Roger Romani,vice-président

Secrétaires : Mme Monique Cerisier-ben Guiga, M. Daniel Raoul.

La séance est ouverte à 9 h 35.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Décisions du Conseil constitutionnel

M. le président.  - M. le Président du Sénat a reçu du Conseil constitutionnel une décision en date du 18 mars 2009 sur la situation de M. Serge Dassault, sénateur de l'Essonne, au regard du régime des incompatibilités parlementaires.

Acte est donné de cette communication.

Cette décision sera publiée en annexe au compte rendu intégral de la présente séance.

M. le Président du Sénat a également reçu de M. le Président du Conseil constitutionnel, par lettre en date du 18 mars, le texte d'une décision du Conseil constitutionnel relative à la conformité à la Constitution de la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion.

Acte est donné de cette communication.

Libertés et responsabilités des universités (Question orale avec débat)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat de M. David Assouline à Mme la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche sur l'application de la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités.

M. David Assouline, auteur de la question.  - Madame la ministre, nous revoilà !

Souvenez-vous. Quelques semaines après l'élection présidentielle, vous présentiez à notre assemblée la future loi sur les libertés et responsabilités des universités appelée à devenir, pour reprendre les termes du Premier ministre, « la plus importante réforme de cette législature ». Il fallait aller vite durant l'été pour empêcher la communauté universitaire de réagir. Sûre d'un rapport de forces qui vous était alors favorable, et de votre talent, vous avez foncé. Mais le talent ne suffit pas, non plus que le style incontestablement plus moderne que d'autres, quand vos préjugés idéologiques sentent la naphtaline. L'université n'est pas une entreprise, la connaissance n'est pas une marchandise ! Résultat : vingt mois après l'adoption de la loi, alors que la colère envahit les campus, nous nous retrouvons pour un premier bilan à l'occasion de cette question orale avec débat. Si l'exercice n'est pas tronqué et que vous répondez aux questions, nous aurons peut-être été utiles à tous ceux qui attendent que l'université et la recherche relèvent les défis de notre temps.

Ce matin, comme le 11 mars dernier, des milliers de représentants de la communauté universitaire manifestent dans la rue leur opposition à vos réformes, laquelle ne se limite pas à une contestation « autour » des projets d'établissements liés à leur application. A preuve, le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche a adopté une motion le 16 février dernier contre les « projets du ministère imposés de force » qui « fragilisent le service public de l'enseignement supérieur » ; la Conférence des présidents d'université a exigé solennellement du Gouvernement le report à la rentrée 2010-2011 de la réforme de la formation des enseignants du premier et du second degré et les directeurs d'IUT se rebellent massivement contre la mise sous tutelle de leurs établissements. C'est qu'il est singulièrement difficile de faire accepter une réforme à ceux qui en sont les principaux acteurs lorsqu'ils sont traités par le mépris... Le 22 janvier dernier, le chef de l'État vouait aux gémonies « un système d'universités faibles, pilotées par une administration centrale tatillonne », marqué par « des archaïsmes et des rigidités » et dont se satisferaient les « conservateurs de tous poils, que l'on trouve à droite en nombre certain et à gauche en nombre innombrable ».

Sans polémiquer, j'avais pourtant appelé, au nom du groupe socialiste, lors de la présentation du projet de loi, à une nécessaire réforme de l'enseignement supérieur pour « assurer à l'université les moyens de l'excellence » par le biais d'une loi de programmation pluriannuelle. Je détaillais même nos priorités : atteindre en cinq ans un budget de l'enseignement supérieur et de la recherche équivalent à 3 % du PIB ; lutter contre l'échec en premier cycle et la précarité des conditions de vie des étudiants ; valoriser les jeunes chercheurs en apportant, notamment, des garanties de carrière aux doctorants ; améliorer la gouvernance par plus d'autonomie en contrepartie d'un approfondissement de la démocratie ; enfin, organiser une évaluation régulière des établissements par l'État. Dès le début et de manière transparente, nous avons donc présenté des propositions pour répondre aux défis de l'université. Vous ne pouvez le contester en ce que vous avez estimé prioritaires l'évaluation des établissements et des enseignants-chercheurs, la réforme de la gouvernance et de l'organisation des universités. En revanche, en vertu de la philosophie libérale du Président de la République, de l'illusion du « renard libre dans un poulailler libre », vous avez octroyé des libertés aux seuls établissements qui avaient les moyens d'en tirer profit et jugé secondaire la question des moyens et des conditions de travail des étudiants et des universitaires.

Madame la ministre, dès l'été 2007, nous vous avions pourtant mise en garde contre vos vieux démons en rappelant l'échec que la droite a essuyé en voulant imposer la loi Devaquet de juillet 1986, qui visait déjà à instituer une université sélective au nom d'une prétendue autonomie et à adapter les formations aux besoins du marché du travail en revenant sur la valeur nationale des diplômes. Obnubilée par le contestable classement de Shanghai, vous êtes restée sourde aux inquiétudes des universitaires.

« Tout va bien, pour l'instant, » assuriez-vous lors du vote final du projet LRU, « et comme disait la mère de Napoléon, pourvu que ça dure ». Mais cela n'a pas duré, ainsi que cela était prévisible. Depuis plus de sept semaines, l'université et la recherche connaissent une crise sans précédent depuis vingt ans. Et qu'a fait le Gouvernement, sinon cloisonner les discussions autour des deux sujets les plus brûlants, la révision du statut des enseignants-chercheurs et la « mastérisation », c'est-à-dire la réforme de la formation des professeurs des premier et second degrés, en excluant du dialogue un mouvement comme Sauvons l'université ou des associations d'enseignants et de chercheurs à l'expertise reconnue, comme Qualité de la science française et Défense de l'université ?

Comment s'étonner du rejet par ces deux organisations, en début de semaine, de la dernière version du projet de décret et de la menace de 250 directeurs de laboratoire de démission s'ils ne sont pas entendus ?

Il est temps de juger votre action à l'aune de ses premiers résultats. L'article 51 de la LRU prévoyait la mise en place d'un comité de suivi. Constitué par un décret du 23 janvier 2008, ce comité comprend notamment quatre parlementaires dont aucun, à ce jour, n'appartient à l'opposition, contrairement à vos engagements de juillet 2007. Quant au rapport du comité de suivi, il n'a toujours pas été officiellement transmis à notre assemblée alors que la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale en est saisie depuis plusieurs semaines. Il comporte pourtant 18 recommandations, dont certaines modifications législatives et des mesures réglementaires. Il fait aussi état de difficultés dans l'application des nouvelles procédures d'élection des présidents : pouvez-vous nous rendre compte de leurs conséquences pour le fonctionnement des instances des universités ? Il s'inquiète également de l'application restrictive que certains présidents d'université feraient des nouvelles règles de gouvernance, en affaiblissant le rôle de réflexion sur la politique globale de formation dévolu au conseil scientifique et au conseil des études et de la vie universitaire. N'entre-t-on pas là dans l'hyper-présidentialisation que nous redoutions en juillet 2007 ?

Le comité de suivi conclut en insistant sur la nécessité pour les établissements de se doter d'un projet stratégique. Est-ce à dire que les conseils d'administration des universités « autonomes » peineraient à élaborer de tels projets ? Nous avons, de fait, toujours dit nos doutes quant à leur capacité à devenir des instances de pilotage stratégique. L'exemple de l'Université de technologie de Troyes, qui fonctionne déjà sous un régime dérogatoire de quasi-autonomie, montre les carences du nouveau statut. La gestion des ressources humaines du président de l'université, transformé en véritable PDG, est marquée par la flexibilité accrue des emplois -50 % de contractuels- et le manque de transparence dans les choix de recrutement des enseignants-chercheurs, aucun comité de recrutement n'ayant encore remplacé la commission de spécialistes. Les projets de recherche sont davantage sélectionnés en fonction des bénéfices financiers qui sont attendus de possibles transferts de technologie vers le secteur privé que de l'intérêt scientifique intrinsèque des travaux. Cette marchandisation rampante s'accompagne d'un management autoritaire et opaque, infantilisant jusqu'aux équipes scientifiques...

En confondant « gestion moderne » et « gouvernance d'entreprise » en même temps que vous assimilez « service public » à « archaïsme », vous, transformez nos établissements d'enseignement supérieur et de recherche en firmes régies par le seul impératif de leur compétitivité sur le marché mondial de la formation des élites.

En juillet 2007, vous vous engagiez à ce que d'ici à 2012, toutes les universités se voient confier la maîtrise pleine et entière de leur budget, pour le fonctionnement comme pour l'investissement. Cet objectif sera-t-il tenu ? Dans quelle mesure les dispositifs d'accompagnement préalables alors promis -formations des personnels administratifs, recensement du patrimoine immobilier- ont-ils été mis en place ? Selon quelles modalités, notamment financières, les locaux seront-ils transférés aux universités qui en feront la demande d'ici à 2012 ? Entendez-vous suivre les recommandations du comité de suivi qui préconise une mise en chantier des études méthodologiques et financières relatives à la gestion du patrimoine dès 2009 ?

Vous ne serez pas surprise de l'opposition des sénateurs socialistes à voir certains campus réhabilités par des investisseurs privés dans le cadre de contrats de partenariat, qui ne concerneront naturellement que les sites les plus prestigieux et les mieux dotés, ce qui ne manquera pas d'accroître les inégalités déjà existantes entre établissements. Quels contrats de partenariats sont déjà signés ou en projet ? Quels établissements concernent-ils ? Quel impact pour les finances publiques ? Rappelons qu'en loi de finances initiale pour 2009, 170 millions sont inscrits pour aider au démarrage de partenariats public-privé dans l'enseignement supérieur et que le premier plan de relance gouvernemental prévoit l'engagement de nouveaux crédits d'investissement, à hauteur de 731 millions, au bénéfice de votre ministère.

Si nous restons toujours ouverts, comme nous l'affirmions en juillet 2007, à une réforme qui mettrait fin à la bureaucratisation de l'université, dans une logique de décentralisation démocratique, nous persistons dans notre rejet de procédures de recrutement soumettant les carrières des enseignants-chercheurs à des contraintes de service purement locales, comme nous refusons de voir la définition des programmes de formation et de recherche échapper à la stricte compétence des instances de spécialistes, sauf à vouloir abandonner la formation des étudiants et la politique scientifique des universités au féodalisme et au clientélisme.

Dans le même temps, le Gouvernement veut remettre à plat le processus de formation des professeurs des premier et second degrés, sans concertation préalable et au mépris de l'indispensable apprentissage pédagogique des futurs enseignants. Et tout cela alors que vous prévoyez le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.

Ce dernier principe ne devait pas, selon vos déclarations, s'appliquer à l'enseignement supérieur et à la recherche, priorité gouvernementale par excellence, réaffirmée par le Premier ministre avec l'annonce d'un effort budgétaire supplémentaire de 5 milliards sur la durée du quinquennat. Or, après la progression zéro de l'année 2008, l'année 2009 est marquée, avec la suppression de 900 postes, par une régression sans précédent depuis quinze ans du volume d'emplois affectés à un secteur, qui devrait pourtant être plus que jamais prioritaire, alors le nombre d'universitaires est appelé à baisser dans les prochaines années du fait des départs à la retraite : ils devraient ainsi n'être plus que 1 506 en 2015, contre 2 062 aujourd'hui, sous le seul effet du vieillissement.

Alors que la loi LRU était censée débureaucratiser le fonctionnement des universités, les enseignants-chercheurs sont confrontés à une multiplication kafkaïenne de tâches administratives au détriment de leur démarche scientifique. Le Gouvernement refuse de revaloriser les rémunérations des emplois administratifs statutaires et de permettre ainsi le recrutement de collaborateurs qualifiés pour assumer les fonctions d'encadrement, privilégie les contrats à durée déterminée et crée de la précarité. D'où le malaise grandissant des personnels Iatos.

Comment mènerez-vous, dans ces conditions, votre plan « Réussite en licence », qui prévoit un meilleur encadrement des étudiants de premier cycle ? Confirmez-vous que pour pallier vos difficultés, le Premier ministre vous a demandé, ainsi qu'à votre collègue Darcos, d'étudier la possibilité d'augmenter le nombre de professeurs agrégés du second degré mis à disposition ? Avec cet avantage collatéral que cela masquerait les suppressions de postes statutaires et donnerait l'impression que le Premier ministre tient son engagement de maintenir l'emploi dans les universités.

Le plan « Campus » est lui aussi significatif de la volonté du Gouvernement de privilégier les puissants -les dix pôles universitaires « d'excellence »- au détriment des faibles. Nous avons dit combien nous redoutions la compétition qu'instaure votre réforme entre les composantes du service public. Comme le soulignait récemment le président de l'université d'Auvergne, le plan « Campus », combiné, au 1er janvier dernier, à un nouveau système de répartition des moyens entre les universités axé sur la performance, a été mis en place sans véritable rattrapage préalable des disparités criantes et injustifiées. Vous avez fait le choix de conduire une politique de soutien discriminante, favorisant les établissements les mieux dotés. Partageant ce constat, le comité de suivi souligne pour sa part la nécessité d'un rééquilibrage des moyens et des emplois entre les universités.

Sur 792 millions de dépenses budgétaires nouvelles prévues au bénéfice de l'enseignement supérieur en 2009, seuls un peu plus de 20 % sont destinés à abonder le financement des universités, soit 175 millions, dont 107,3 millions afin d'accompagner le passage à l'autonomie -qui ne bénéficieront donc qu'aux établissements ayant d'ores et déjà fait ce choix- et 67,9 millions pour la mise en oeuvre du plan « Réussite en licence ».

Des informations diverses ayant fait état des évolutions très inégales des dotations des universités -on évoque une augmentation de 25 % pour certains et une quasi-stagnation en valeur pour d'autres-, pouvez-vous, madame la ministre, confirmer ces données et, le cas échéant, justifier ces inégalités de traitement alors que toutes les universités sont censées bénéficier du plan « Réussite en licence » ? De nombreux dirigeants d'universités estiment que les éventuelles dotations supplémentaires ne compensent pas les nouvelles dépenses induites, pour les établissements, par la mise en oeuvre de ce dispositif.

Croyez-vous vraiment, madame la ministre, que le « bidouillage » auquel vous vous livrez dans la présentation des crédits de votre ministère pour trouver le 1,8 milliard supplémentaire promis par le Président de la République suffisent à cacher que les moyens réellement dévolus à l'amélioration des conditions de travail des universitaires et des conditions de vie des étudiants ne sont pas au rendez-vous ? Ainsi, les 58 millions supplémentaires affectés à la « Vie étudiante » en 2009 représentent un effort si ridicule qu'ils constituent presque une insulte à l'égard de milliers d'étudiants qui vivent aujourd'hui sous le seuil de pauvreté. Où est l'égalité des chances ? Des mesures urgentes s'imposent dans ce domaine, y compris en matière d'orientation. A quand un véritable service public national de l'orientation ? Nous suggérions, pour le moins, la création de bureaux d'aide dans chaque université : où en est-on ?

Vous conviendrez que notre question orale avec débat sur l'état d'application de la loi LRU, sur fond de crise profonde de confiance entre la communauté universitaire et le Gouvernement, tombe à pic.

Ce peut être l'occasion, si vous voulez bien sortir de vos certitudes, de revoir vos copies avec tous les acteurs concernés. J'espère que, comme moi, vous ne souhaitez pas que la situation pourrisse avec tous les risques que cela comporte. (Applaudissements à gauche)

M. Ivan Renar.  - Lors des débats consacrés à la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, au cours de l'été 2007, j'avais souligné les graves insuffisances de ce texte qui contrevenait aux principes essentiels au bon fonctionnement de notre système d'enseignement supérieur et de recherche : démocratie interne, collégialité, indépendance des enseignants-chercheurs, évaluation par les pairs. Nous avions également déploré le manque d'ambition de cette loi qui n'engageait pas l'État à débloquer les moyens nécessaires pour parvenir à une réelle autonomie. En outre, nous avions dénoncé le manque de concertation dans la préparation d'une loi censée réformer en profondeur l'université et présentée par le Premier ministre comme la plus importante de la législature. Faut-il rappeler que cette loi a été examinée en urgence, votée à la hussarde et promulguée à l'été 2007 ?

A tous ces travers, à cette absence de dialogue, s'ajoutent les propos arrogants, brutaux et méprisants du Président de la République à l'endroit d'une communauté scientifique présentée comme frileuse face au changement et hostile à toute forme d'évaluation de son travail. Cette accumulation, cette méfiance, cette défiance ont engendré le mouvement actuel de fronde, inédit par son ampleur.

Les orientations politiques actuelles témoignent d'un véritable mépris pour la connaissance. De l'hôpital à l'université, du tribunal aux structures culturelles, toutes les activités sont appréciées au travers d'un utilitarisme à courte vue. Les critères de rentabilité imposés ignorent les logiques et la nature même du service public et le temps nécessaire à l'accomplissement de missions souvent complexes. L'immédiateté prend le pas sur toute vision prospective. L'organisation comptable s'impose à toutes les activités : dès lors que les objectifs quantitatifs ne sont pas atteints, on supprime les postes dans une fonction publique perçue comme pléthorique et peu efficace.

Comment les scientifiques peuvent-ils accepter les déclarations du chef de l'État selon lesquelles l'enseignement supérieur et la recherche de notre pays seraient « inadaptés aux défis de la connaissance et de la croissance du XXIe siècle » ? Comment peuvent-ils entendre que la France se trouve en queue de peloton, quand notre pays, malgré une dépense publique insuffisante, se maintient au sixième rang mondial et qu'il dispose d'un CNRS fort d'une première place européenne en termes de publications ? Qui veut tuer son chien l'accuse de la rage !

Ce tableau délibérément noirci, qui montre la volonté du Gouvernement de casser notre dispositif public d'enseignement supérieur et de recherche, de remettre en cause la philosophie même de la connaissance, fondée sur la réflexion critique et l'échange désintéressé, devrait disparaître au profit d'une autre conception répondant au principe de la concurrence généralisée et à la recherche du résultat immédiat. La production et la transmission des connaissances devraient se soumettre aux règles managériales et satisfaire aux pratiques d'étalonnage des performances, selon la logique de l'Espace européen de la recherche et de la stratégie de Lisbonne. « Concurrence et performance à tous les étages ! », tel est le mot d'ordre qui sous-tend la politique du Gouvernement, lequel ne peut s'accommoder de la liberté des scientifiques, des échanges et partenariats actuellement mis en oeuvre. Le slogan anglo-saxon Publish or perish, « Publie ou crève » serait le principal impératif auquel nos scientifiques devraient désormais répondre. Tel est le message que le chef de l'État leur a adressé le 22 janvier dernier.

Mais outre ces déclarations, qui sont tout sauf une déclaration d'amour, convenez-en, madame, la communauté scientifique n'a pu rester passive face aux récentes décisions qui l'ont affectée directement. Elle ne pouvait accepter le décret bouleversant le statut des enseignants-chercheurs : il menace la fécondation réciproque de l'enseignement et de la recherche, pourtant vitale pour le développement des universités et pour la qualité des enseignements. Les universitaires ont rappelé qu'on ne saurait dissocier enseignement et recherche par souci d'économie ou pour valoriser des carrières individuelles.

De même, le projet modifiant en profondeur le recrutement et la formation des professeurs des écoles, collèges et lycées a rencontré une vive opposition, y compris au sein de la CPU, car il sacrifie l'apprentissage de la pédagogie. L'incorporation de la formation des enseignants au sein des universités marquerait la fin du cadre national de cette formation, dont les IUFM étaient les garants. Chaque université devant proposer sa propre maquette de mastère, nous assisterions à une balkanisation de la formation des professeurs.

Ces réformes rétrogrades interviennent dans un contexte général de suppression de postes. Alors que le Gouvernement ne cesse de réaffirmer le caractère prioritaire de l'enseignement supérieur et de la recherche, il diminue le nombre des emplois statutaires dans un secteur qui n'a jamais souffert de surnombre. Depuis 25 ans, l'effectif du personnel universitaire a augmenté de 30 % quand le nombre d'étudiants croissait de 300 % ! Comment s'étonner qu'un grand nombre de jeunes quittent l'enseignement supérieur sans diplôme et que les étudiants ne soient plus attirés par les carrières scientifiques et universitaires ? Comment seront produites et transmises les connaissances dans un proche avenir ?

Alors qu'il y a urgence à définir un plan pluriannuel de création d'emplois statutaires, on supprime des postes pour 2009 et l'on annonce des suppressions dans les organismes de recherche. L'opinion publique désapprouve ces suppressions de postes qui affaiblissent notre système éducatif.

Nombreux sont ceux qui vous disent qu'il y a urgence à revoir la politique du Gouvernement en matière d'enseignement supérieur et de recherche, et tous ne sont pas d'affreux révolutionnaires et des chantres de l'immobilisme ! Ceux que vous vous plaisiez à citer pour défendre vos projets vous le disent : « La politique à courte vue de coupes claires sans discernement dans la recherche et l'enseignement supérieur est suicidaire ». Ces mots sont d'Albert Fert, prix Nobel de physique 2007, membre du comité de suivi de la loi LRU, dont vous chantiez les louanges il y a quelques mois encore.

Toute la loi LRU doit être revue car elle met à mal l'indépendance des universitaires, privés de la responsabilité de définir la politique scientifique des universités, confiée dorénavant aux conseils d'administration au sein desquels figurent des représentants étrangers à l'université. L'indépendance des enseignants-chercheurs est aussi remise en cause par les prérogatives confiées aux présidents d'université pour le recrutement, la rémunération, l'évaluation des personnels et la définition des services. La mise en place d'un « système présidentiel avec confusion des pouvoirs », pour reprendre les mots d'un universitaire, doit être abandonnée au profit d'institutions collégiales. Point d'autonomie sans collégialité, sans indépendance des universitaires, sans évaluation par les pairs !

Une réforme des universités devrait tenir compte de la spécificité des disciplines ; chacune a sa propre temporalité, ses propres critères de recrutement, ses propres pratiques pédagogiques. L'autonomie des universités devrait donc s'accompagner d'une forme d'autonomie au niveau des disciplines, tant pour la recherche que pour l'enseignement, Une réforme n'est légitime que dans la mesure où la qualité des formations est assurée ; d'où l'exigence d'un recrutement des enseignants-chercheurs sur la base de critères objectifs. De plus, il est indispensable que l'État débloque des moyens inédits pour que chaque université puisse devenir pleinement autonome : toutes ne disposent pas des mêmes atouts. Il ne s'agit pas de retrancher des moyens aux plus avancées mais de porter les moyens des plus modestes au niveau des établissements universitaires d'excellence. Ce n'est qu'à ce prix que l'autonomie des universités pourra s'affirmer.

Plus que jamais l'investissement dans l'enseignement supérieur et la recherche est une dépense d'avenir. Investir dans l'avenir en améliorant le système éducatif est un devoir que nous avons à l'égard de nos enfants. Ce discours est aujourd'hui partagé par quelques chefs d'entreprise éclairés.

Pour reprendre les slogans présents dans les amphis, « l'université n'est pas une entreprise », « le savoir n'est pas une marchandise ». II est grand temps de réinscrire l'enseignement supérieur, la recherche, l'éducation et la culture au coeur d'un projet de société humaniste donnant corps aux valeurs de la République, Il faut donc substituer à la LRU une authentique réforme qui encourage la créativité et l'audace des enseignants-chercheurs et qui assure une réelle égalité des chances à tous les étudiants.

Madame la ministre, il vous appartient de sortir de cette crise par le haut, Nous vous exhortons à répondre à l'appel de la coordination nationale des universités qui demande instamment l'ouverture d'états généraux de l'enseignement supérieur et de la recherche. Le Gouvernement ne peut continuer à mettre en oeuvre des projets auxquels la communauté scientifique est opposée. Il y a urgence à restaurer la confiance ! Je vous le dis solennellement : ne manquez pas cette occasion, ne méprisez pas cette main tendue. (Applaudissements à gauche)

M. Jacques Legendre.  - A juste titre, le Président de la République avait placé au coeur de sa campagne électorale la nécessité de réformer les universités et, dès juillet 2007, le Gouvernement nous a saisis d'un projet ambitieux tendant à instaurer l'autonomie de nos universités. Cette réforme longtemps attendue a été jugée indispensable sur tous les bancs de cette assemblée, même si nos collègues socialistes ne l'ont pas votée en raison du mode de gouvernance retenu par le projet de loi et de l'absence d'une programmation financière. Le Gouvernement a fait de la politique en faveur de l'enseignement supérieur et de la recherche sa première priorité budgétaire et, d'ici 2012, près de 20 milliards supplémentaires seront engagés dans ce secteur. C'est pourquoi il me paraît indispensable de réaffirmer, au nom de la commission des affaires culturelles, la nécessité du principe de l'autonomie.

Cette réforme s'inscrit dans un projet global d'augmentation du niveau des connaissances de nos concitoyens, de la maternelle à l'université. Je rappelle que l'objectif que nous partageons tous de porter 50 % d'une classe d'âge au niveau des études supérieures est loin d'être atteint et que le taux d'échec à l'université demeure élevé : près de 90 000 jeunes sortent sans diplôme de l'université. C'est pourquoi le Gouvernement a lancé simultanément plusieurs réformes ; le projet de loi relatif aux universités est l'une des pierres de l'édifice. Il a posé le socle permettant à nos universités d'accéder en cinq ans à une autonomie budgétaire et patrimoniale et de s'ouvrir au monde extérieur, pour tenter d'améliorer l'insertion professionnelle des jeunes, qui est désormais une des missions de l'université.

Nul ne conteste aujourd'hui que l'université ait aussi pour mission d'assurer l'avenir professionnel des étudiants. Du reste, nous avions tous jugé en 2007 que cette loi était nécessaire, mais pas suffisante. C'est pourquoi le Gouvernement a aussitôt ouvert cinq chantiers auxquels certains d'entre nous ont participé.

La loi n'est pas gravée dans le marbre ; certaines dispositions peuvent susciter des difficultés d'application. C'est le cas aujourd'hui pour le décret sur les enseignants-chercheurs. Leur indépendance, consacrée par le Conseil constitutionnel, est la garantie d'une pensée libre, consubstantielle à leurs fonctions. Contrairement à ce que d'aucuns prétendent, nul ne songe à porter atteinte à ce principe, mais il ne doit pas servir de bouclier à l'immobilisme de ceux qui refusent toute évolution. Il était donc bon de rappeler ce principe dans le projet de décret, tout en réaffirmant l'absolue nécessité d'adapter les dispositions en vigueur aux nouvelles missions des universités dans leur organisation actuelle.

Une large majorité de la communauté universitaire en est d'ailleurs convaincue, le texte de 1984, rigide, inadapté, devant être à l'évidence actualisé. Sa modernisation doit s'inscrire dans le cadre de l'autonomie voulue par le législateur, en introduisant une modulation entre les activités de l'enseignant-chercheur, avec une gestion adaptée de sa carrière. L'évaluation de toutes les fonctions doit mieux être prise en compte, y compris sur le plan financier. La création d'un service national de référence permettra une application cohérente.

Mais quelles que soient les difficultés, nous devons aller au bout du chantier pour mieux former notre jeunesse, car il est inconcevable de faire marche arrière moins de deux ans après le vote de la loi. Nos concitoyens ont à l'esprit le fameux classement de Shanghai, qui place nos universités loin derrière les plus prestigieuses. Certes, les critères sont contestables et la France essaye d'obtenir un classement européen qui nous soit plus favorable, mais il reste que nos universités ont besoin de se moderniser, de se regrouper et de disposer de plus de moyens pour exister à l'échelle mondiale, d'autant plus que la crise qui se profile confirme l'impératif de formation et de qualification.

Il faut aujourd'hui dissiper les malentendus. Vous avez déjà organisé, madame la ministre, un dialogue constructif, qui devrait apaiser les tensions. Notre collègue, M. Jean-Léonce Dupont, rapporteur de la commission des affaires culturelles pour l'enseignement supérieur et membre du comité de suivi pour l'application de la loi, a reçu nombre d'universitaires. Son intervention exprimera son sentiment sur la meilleure façon de mettre fin à l'actuel climat de défiance.

En conclusion, j'insiste sur la nécessité de maintenir le cap si nous voulons relever les défis de la formation et de la recherche. Nous avons souhaité que les universités disposent de libertés et de moyens accrus pour créer de nouvelles coopérations et s'installer durablement au plus haut niveau des pays développés. C'est une exigence pour l'avenir. Notre devoir et notre responsabilité interdisent de reculer ! (Applaudissements à droite. M. Jean-Léonce Dupont applaudit également)

Mme Françoise Laborde.  - Le constat est clair : notre pays a quitté en peu de temps le cercle des nations les plus dynamiques en matière de recherche et développement. Troisième pays scientifique en 1970, septième en 1995, la France se situe au quatorzième rang mondial pour la part de son PIB consacrée à la recherche et au développement, soit à peine plus de 2 %. C'est très insuffisant ! Nous sommes loin de l'objectif ambitieux de 3 % fixé par l'Union européenne à l'horizon 2010.

Que l'on considère les dépenses par étudiant, les bourses, les crédits d'équipement ou la surpopulation des amphithéâtres, il est clair que le système universitaire se dégrade. Parallèlement, la concurrence internationale se fait de plus en plus vive. Le classement des universités mondiales -avec ses imperfections- se fait trop souvent à notre détriment.

Dans ce contexte, lutter contre l'échec à l'université doit être l'objectif premier de la réforme. Mais comment y parvenir ? Certainement pas dans la précipitation, l'urgence et l'absence de concertation. Une réforme est d'autant plus indispensable que la recherche, l'enseignement supérieur et l'innovation seront déterminants pour sortir de la crise, mais l'adoption en urgence de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités est loin d'être satisfaisante : faute d'avoir était entendu, le malaise des universitaires s'exprime dans la rue depuis de nombreuses semaines.

Comment espérer mettre en oeuvre efficacement une réforme, bancale dès le départ, dans un tel climat de défiance ? Le statu quo n'est certes pas envisageable, mais l'écoute sereine des principaux acteurs permettra d'améliorer les dispositifs inadaptés imposés il y a deux ans. La nomination un peu tardive de la médiatrice, Claire Bazy-Malaurie, va dans le bon sens. J'ai hâte de lire la nouvelle mouture du décret décrié !

Pour combattre l'échec à l'université, il faut commencer par créer de nombreux postes d'enseignants-chercheurs au lieu de multiplier les heures supplémentaires qui alourdissent le service des maîtres de conférences et nuisent à leurs travaux. La réforme cavalière du statut des enseignants-chercheurs ne résoudra aucun problème ! Il faut rapidement revoir les textes régissant les universités -et les moyens humains dont elles disposent- en respectant l'autonomie des établissements et, bien sûr, l'indépendance des enseignants-chercheurs. Les nouvelles missions confiées aux universités justifient pleinement un plan pluriannuel de recrutement.

L'autre levier indispensable concerne l'orientation, la motivation et l'accompagnement des étudiants. La question cruciale du logement constitue l'une des principales causes d'échec. L'offre des résidences universitaires est insuffisante, les loyers privés sont trop élevés. Résultat : la moitié des étudiants travaillent pour financer leurs études, souvent au point de les sacrifier.

Le plan « Campus » crée un système universitaire à deux vitesses, s'ajoutant à l'inégalité de traitement profonde avec les grandes écoles. Objectif républicain par excellence, l'égalité des chances dans l'accès aux études supérieures n'est pas près de devenir une réalité ! La réussite en licence était mise en exergue dans ce grand projet. Consacrez-y les moyens nécessaires !

J'ai déjà souligné ici l'excellence de la Haute-Garonne pour l'enseignement supérieur et la recherche, avec 100 000 étudiants représentant 10 % de l'agglomération toulousaine. Pourtant, leur avenir me préoccupe. Je souhaite aujourd'hui avoir une réponse à propos d'un cas concret. L'IUT de Blagnac a créé un DUT unique en France « aide et assistance pour le monitoring et le maintien à domicile », une formation transversale innovante en adéquation avec le besoin de services qualifiés. Mais l'autorisation d'ouverture délivrée en juillet 2008 n'a pas été accompagnée des quatre postes nécessaires. Le cursus fonctionne donc avec des enseignants vacataires et avec l'appui de personnels administratifs et techniques issus d'autres filières. Cette situation compromet la pérennité de l'expérimentation, ainsi que le parcours des étudiants inscrits, alors que la prise en charge des personnes âgées dépendantes prend une ampleur croissante dans notre société. Il est urgent d'encourager ces nouvelles filières aux débouchés professionnels assurés !

Avant la crise, le taux d'activité de notre jeunesse était insuffisant : à en croire le Pôle emploi, le nombre de jeunes chômeurs a augmenté de 23 % en un an, 46 % d'entre eux restant au chômage plus de six mois. Il est donc paradoxal qu'une formation comme celle dont je viens de parler ne bénéficie pas d'un réel appui. La réponse n'est pas l'intégration des IUT aux universités, avec une mutualisation des moyens bénéficiant au seul budget de l'État.

La réforme des universités, que nous attendions tous et qui nous a tant déçus, doit prendre un nouvel élan dans le respect de l'indépendance et de la liberté des enseignants-chercheurs, son fil rouge étant la réussite. On ne réforme pas contre, on réforme avec ! (Applaudissements à gauche)

M. Yannick Bodin.  - Ne sachant pas très bien si je devais m'adresser à vous-même ou à M. Darcos, je m'adresse au Gouvernement, comme m'y invite votre déclaration commune du 12 mars sur la formation des maîtres.

Prolongeant la loi du 10 août 2007, vous avez lancé un nouveau cursus pour les maîtres de l'enseignement primaire et secondaire, passant par un mastère. Depuis plusieurs semaines, l'actualité est ponctuée par les protestations que votre réforme a suscitées. La journée d'aujourd'hui en est une spectaculaire illustration. Après des semaines d'immobilisme, vous avez formulé quelques propositions nouvelles, mais l'ensemble reste inacceptable.

La loi Fillon a rattaché aux universités les Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM). Nous avions alors affirmé que les IUFM disparaîtraient, ce que le ministre avait nié. On voit ce qu'il en est aujourd'hui.

Il fallait réformer les IUFM tout en les conservant, pour maintenir l'apprentissage professionnel du métier d'enseignant. Jusqu'à présent, la première année en IUFM était consacrée aux enseignements théoriques nécessaires à la préparation des concours, la deuxième année permettant de fréquenter en alternance un établissement d'enseignement scolaire et de recevoir une formation devant les élèves.

Vous vous préparez à supprimer cette année d'alternance et de formation pratique, au profit de la seule logique des savoirs. Et la formation continue sera réduite de manière dramatique. Devant les contestations soulevées dans le monde enseignant, un « dispositif de stage », selon votre communiqué, devrait être mis en place : 108 heures de stages d'observation et 108 heures de stages « en responsabilité » seraient créées, respectivement pour la première et la deuxième année de mastère. Cela ne représente que quelques semaines à temps complet. La rémunération, 3 000 euros, n'est pas comparable avec celle perçue durant l'année en alternance. Vous octroyez généreusement 12 000 bourses supplémentaires, d'un montant maximum de 2 500 euros. Mais peut-on vivre une année avec cette somme ?

Je m'interroge sur les stages à responsabilité dans un établissement d'enseignement : seront-ils obligatoires pour passer le concours ? Ce n'est pas ce que votre communiqué du 12 mars laisse penser. En année de mastère, les concours seront prédominants -au détriment des stages- et l'ouverture sur la recherche on ne peut plus limitée. La formation pédagogique, c'est l'apprentissage d'un savoir-faire et d'un savoir-être, ce qui est plus qu'indispensable quand on travaille avec des enfants. La pédagogie enseignée dans les IUFM donnait aux futurs enseignants les compétences nécessaires à l'exercice de leur métier, ainsi qu'une culture professionnelle. Un métier, cela s'apprend ! Quant au concours, il sera désormais centré sur trois types de savoir : la connaissance des programmes scolaires, l'adaptation d'un savoir à une classe à travers une leçon modèle, la connaissance de l'institution scolaire. Or savoir, ce n'est pas savoir enseigner. De plus, la présentation au concours la même année que le mastère ne me semble pas judicieuse. Quels seront les résultats au mastère quand les étudiants n'auront pensé qu'à leur concours ? Votre mastère deviendra un sous-diplôme.

La réforme exige également un mastère II pour pouvoir être maître. Le but est d'élever le niveau des connaissances. Soit : qui ne souhaite cette élévation du niveau de connaissances ? Puissent même les enseignants tous connaître La princesse de Clèves... Il s'agit aussi de revaloriser le statut des maîtres. Fort bien. Mais vous supprimez ainsi une année de retraite pour les futurs enseignants, ce qui représente 800 millions d'euros d'économies. Et vous sacrifiez un objectif essentiel du système universitaire : prendre en compte la diversité sociale à l'université, lutter contre les discriminations. Je croyais, à vous écouter, que le Gouvernement poursuivait cet objectif. La République s'est toujours fait un honneur d'aller chercher les futurs enseignants parmi les classes populaires. Elle voulait des maîtres qui soient des enfants du peuple, à l'image de la France. Aujourd'hui, à peine 33 % des enfants de classe modeste accèdent à l'enseignement supérieur et seulement 16 % obtiennent les diplômes les plus élevés. En supprimant l'année de stage rémunérée, vous appauvrissez ce recrutement. Vous brisez les efforts en faveur de l'égalité des chances. Combien de filles et fils de banlieue accéderont au métier d'enseignant ? Vous instaurez l'élitisme. Qui pourra suivre cinq ans d'études sans rémunération et avec des bourses très faibles...

Et que deviendront les nombreux titulaires du mastère Enseignement qui auront raté le concours, Les réorienter après cinq ans d'études ? Les critiques se sont multipliées et, madame la ministre, vous avez tardé à y répondre. Le conseil d'administration de la Conférence des présidents d'universités vous a solennellement demandé de repousser la mise en place des nouveaux concours à la rentrée 2011. Une dizaine d'universités seulement vous a remis les fameuses maquettes, malgré les délais supplémentaires qui ont été octroyés. Les autres hésitent entre cérémonie officielle de non-remise de la maquette et simple boycott. Le bon sens impose de repousser en bloc à la rentrée 2011 toute l'application de la réforme.

La nouvelle autonomie des universités vaut en particulier pour le contenu des cours. Comment l'harmonisation de la formation des maîtres sera-t-elle préservée ? Vous n'êtes pas assez précise et catégorique sur cette indispensable unification. Et vous n'avez annoncé la semaine dernière qu'une série de mesurettes pour remettre la professionnalisation des futurs maîtres au coeur de leur formation. Aucune cohérence ! Madame la ministre, quand abandonnerez-vous votre réforme pour en construire une autre, concertée, réfléchie, combinant cours théoriques et stages de longue durée dans les classes ? Quand comprendrez-vous que les jeunes ne peuvent être instruits et bien formés que par des maîtres bien formés, digne du respect et de la confiance de la République ?

L'actualité m'incite à le rappeler : plus que jamais l'école doit être le rempart contre les intégrismes, contre l'obscurantisme, l'ignorance dont le Pape s'est fait par ses derniers propos le chef de fille. Rappelons-nous la formule de Lincoln : « L'éducation coûte cher ? Essayez l'ignorance ! » Nous ne pouvons prendre de risques : l'avenir du pays dépend pour partie de la formation des maîtres. Sauvez-la. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean-Léonce Dupont.  - Notre débat a lieu dans un climat d'inquiétude. En tant que rapporteur de la commission des affaires culturelles pour l'enseignement supérieur, j'ai tenu à entendre les enseignants-chercheurs et les étudiants. J'ai ainsi mieux cerné les causes du malaise. Certains sont opposés à toute réforme, mais ils sont ultra-minoritaires. La plupart juge indispensable d'évoluer.

Quant à moi, je suis favorable aux réformes annoncées et je suis un fervent défenseur de l'autonomie des universités, imposée par la nouvelle donne mondiale. Toutes les conditions de réussite n'étaient cependant peut-être pas réunies.

M. David Assouline.  - Tiens, tiens...

M. Jean-Léonce Dupont.  - Le rythme des réformes est tel que les chantiers se succèdent trop vite. Ils sont parfois trop rapidement conceptualisés, insuffisamment préparés et assortis de calendriers peu réalistes. (Marques d'approbation sur les bancs socialistes) Le temps de la concertation et de la préparation n'est pas un temps perdu : c'est un temps d'explication, de maturation, de « calage ». Quand on ne le prend pas suffisamment en amont, on y est contraint en aval, mais dans des conditions plus tendues. (On renchérit à gauche)

En outre, en dépit de moyens supplémentaires très importants, le mouvement de réformes a été terni par des mesures telles que la suppression de 900 emplois. Le signal n'était ni positif, ni cohérent. En effet, quand le Président de la République affiche aussi clairement le caractère prioritaire de l'enseignement supérieur et de la recherche, il ne paraît pas raisonnable d'appliquer à ces secteurs les règles de la Révision générale des politiques publiques (RGPP). Comme vous avez dû souffrir, madame la ministre, de devoir assumer de telles contradictions !

Je me réjouis que le Gouvernement soit revenu sur cette suppression. Les universités n'en doivent pas moins utiliser au mieux les deniers publics, renforcer les moyens humains consacrés au tutorat, à l'orientation et à l'insertion professionnelle ainsi qu'à la gestion financière et patrimoniale, aux ressources humaines, aux systèmes d'information. J'ajoute que certaines déclarations ont choqué les enseignants-chercheurs et chercheurs. Elles leur sont apparues traduire un insuffisant respect de leurs missions.

M. David Assouline.  - Vous voulez parler des déclarations du Président de la République ?

M. Jean-Léonce Dupont.  - Maladroites et injustes, elles ont navré la communauté universitaire. Je ne crois ni utiles ni efficace de tenir de tels propos vexatoires. Tout cela peut expliquer la cristallisation des oppositions et les dérives, souvent encouragées par l'extrême-gauche, qui a soufflé sur les braises pour chercher à anéantir la loi LRU.

La loi LRU est une absolue nécessité pour notre système d'enseignement supérieur et pour l'avenir des étudiants français, ceux-là même qui descendent dans la rue en réclamant une formation et des diplômes les préparant à une bonne insertion professionnelle. Le fait qu'elle soit caricaturée par une minorité n'y changera rien.

Certes, le Sénat avait anticipé certaines conséquences regrettables de cette loi. Le mode d'élection du président de l'université a parfois abouti à des paradoxes en cas d'opposition frontale entre deux listes, donnant un pouvoir d'arbitrage exorbitant aux personnels et aux étudiants, et il n'a pas toujours permis de choisir des équipes dirigeantes prêtes à affronter l'avenir. Le comité de suivi de l'application de la loi, dont je suis membre, a insisté sur la nécessité pour les établissements de se doter d'un véritable projet, qui prenne en compte l'environnement de l'université.

Ce point me semble révélateur de ce que nous, sénateurs, pouvons apporter à notre pays. Comme rapporteur de cette loi, j'ai anticipé ses difficultés d'application et ai dû me battre pour faire prévaloir des positions de bon sens. Certaines de mes propositions ont été adoptées, d'autres n'ont pas été retenues, sans parler de celles évoquées très en amont, malheureusement vite écartées, telle la création d'un sénat académique. Les préoccupations sénatoriales étaient fondées, et je souhaite que le Gouvernement prenne acte du fait que le Sénat incarne souvent la sagesse.

Ainsi, lorsque nous demandons qu'un temps suffisant soit consacré à la préparation ou à la mise en oeuvre d'une réforme, il s'agit d'une nécessité, comme dans le cas du report de la réforme de la première année des études médicales. Pour ce qui est de la mastèrisation de la formation des futurs enseignants, qui suit l'intégration des IUFM aux universités, la suppression de l'année de stage ne permettait pas d'améliorer la préparation à ce métier. Madame la ministre, les précisions que vous avez apportées ces derniers jours devraient calmer bon nombre d'inquiétudes. Quant aux délais de mise en oeuvre de la réforme, ils paraissaient peu réalistes mais ont été assouplis par la progressivité liée au degré de préparation des établissements. De nombreux étudiants s'inquiètent encore de la période transitoire : il faut préciser certains points, et s'assurer de la pertinence des parcours et de l'articulation des concours avec les formations en mastère.

J'attache également beaucoup d'importance à la réforme de l'allocation des moyens aux universités. Nos commissions des finances et des affaires culturelles ont proposé au printemps 2008 un système de répartition des moyens à l'activité et à la performance (« Sympa »), mais nous nous interrogeons sur ses modalités d'application. Philippe Adnot et moi-même prévoyons de créer dans les semaines à venir une mission de contrôle sur ce thème. Madame la ministre, pouvez-vous vous assurer que la répartition des crédits ne favorise pas les universités monodisciplinaires proposant un nombre important de mastères au détriment des universités pluridisciplinaires accueillant de nombreux élèves en licence ? Par ailleurs, les écoles internes d'ingénieurs, et surtout les IUT, craignent une diminution de leurs moyens liée à la répartition entre les différentes composantes des universités. Vous avez su les rassurer, madame la ministre, au moins pour 2009 et 2010. Pouvez-vous nous confirmer que les conséquences financières de l'équivalence établie entre travaux pratiques et travaux dirigés seront prises en compte ?

Il me semble également très important que la charte de bonne conduite soit publiée sous forme de circulaire afin de clarifier durablement les relations entre les universités et les IUT. Il convient de trouver une solution entre ce qui ne peut plus être un fléchage et un traitement inadéquat qui consisterait à déshabiller Paul pour habiller Jacques. Il ne faudrait pas que les formations professionnalisantes fassent les frais d'un éventuel manque de rationalisation des moyens dans d'autres filières. Bon sens et équité doivent prévaloir.

Enfin, chaque université doit pouvoir s'adapter et s'organiser afin de remplir au mieux ses différentes missions. La modulation des services des enseignants-chercheurs va dans ce sens. Il est indispensable d'évaluer et de valoriser leurs tâches : enseignement, recherche, pilotage -ce dernier devant être davantage pris en charge par des personnels administratifs. Les concertations sur le projet de décret ont permis de trouver un certain équilibre par la répartition à parts égales des promotions arrêtées par le Conseil national des universités et de celles confiées aux universités. Certaines missions, telle la recherche, s'évaluent plus logiquement au niveau national, tandis que d'autres nécessitent plus naturellement la proximité.

Au-delà des débats techniques, il nous faut prendre du recul et sortir de la défiance réciproque. L'évolution du système d'enseignement supérieur et de recherche est indéniable, et souvent souhaitée par ses acteurs. Elle doit aussi suivre les attentes de nos concitoyens. Il appartient à la représentation nationale de construire avec les enseignants-chercheurs et la communauté universitaire des perspectives d'avenir, qui entraînent nécessairement des changements -mais la vie n'est-elle pas changement ?

Notre pays ne sortira de cette période troublée que par le haut. Il ne faut pas renoncer aux réformes : elles sont indispensables, profitables aux enseignants-chercheurs eux-mêmes et s'accompagnent d'importantes revalorisations salariales et de carrières. Leur objectif premier est la qualité de l'enseignement supérieur et de la recherche, et l'avenir des étudiants. Je forme le voeu, au nom du groupe Union centriste, que notre débat de ce jour contribue à rétablir la confiance. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Pierre Bordier.  - La réforme des universités a jeté les bases d'une véritable refondation. Notre système universitaire a très peu évolué depuis 30 ans alors que les effectifs ont doublé, et que la mondialisation nous a imposé de nouveaux défis. Nous avons permis à de nouveaux publics d'entrer dans l'enseignement secondaire et supérieur, mais trop de jeunes le quittent aujourd'hui sur un échec et trop de diplômés n'accèdent pas au marché du travail.

L'université française a perdu de son rayonnement. Ainsi, le classement de Shanghai, qui ne retient que quatre établissements français parmi les 100 premiers mondiaux, agit comme un signal d'alarme. C'est non seulement l'avenir de notre système éducatif qui se joue, mais aussi notre potentiel d'innovation, notre compétitivité, nos emplois. A l'heure où la contestation remet en cause la réforme engagée, n'oublions pas que l'université française se trouvait dans un carcan qui l'empêchait d'évoluer. Grâce au texte que nous avons voté, elle va enfin pouvoir accéder à l'autonomie et à d'autres réformes.

Certains reprochent à la loi LRU d'instituer une autonomie concurrentielle et de conduire les universités à un développement inégalitaire. Partout, le succès des systèmes publics d'enseignement supérieur repose sur des universités autonomes. Faut-il demeurer dans un système archaïque ? Les systèmes centralisés ne permettent pas l'adaptation constante nécessaire dans un monde de compétition. Et lorsque l'on vise l'efficacité, il n'y a pas de meilleur principe que de faire confiance à l'esprit de responsabilité.

La question de la gouvernance se posait en premier lieu car elle était pour le moins atypique. Dorénavant, le conseil d'administration sera un organe stratège, ouvert sur le monde extérieur, particulièrement sur les entreprises et la région. Le président de l'université est élu par le conseil d'administration, ses pouvoirs sont élargis. Les universités sont dotées de responsabilités nouvelles, comprenant l'établissement d'un budget global et la gestion de leur patrimoine. Elles pourront créer de nouvelles formations, nouer des partenariats et drainer des fonds grâce aux fondations universitaires, et enfin recruter l'ensemble de leur personnel au rythme de leurs besoins.

La réforme du statut vise à accroître l'attractivité des carrières des enseignants-chercheurs. Pouvez-vous nous présenter les conclusions de la récente concertation, afin de rassurer pleinement la communauté universitaire ?

L'autonomie des universités est nécessaire mais pas suffisante. C'est un préalable à une stratégie de lutte contre l'échec en premier cycle : 47 % des étudiants passent en deuxième année alors que 28 % redoublent et 24 % sortent du système universitaire. Seuls 59 % des étudiants français terminent leurs études universitaires, onze points de moins que la moyenne de l'OCDE ! Il faut revoir la question de l'orientation, améliorer l'information des lycéens et des étudiants, mieux définir les parcours de formation et d'insertion professionnelle, amplifier les échanges entre le second degré et les universités.

Il faut évaluer les possibilités d'insertion offertes par chaque filière, pour que l'étudiant choisisse sa voie en toute connaissance de cause. Votre plan « Réussir en licence » vise à éviter les erreurs d'orientation afin de diviser par deux le taux d'échec en première année d'ici cinq ans. Quels sont les moyens employés ? Où en est le projet de « bureaux d'insertion » dans les universités ?

Enfin, pouvez-vous nous présenter les premiers résultats de l'opération « Campus », qui permettra aux universités sélectionnées de se lancer dans la compétition internationale avec un projet de long terme ? En obtenant la gestion de leur parc immobilier, parfois hors normes de sécurité, nos universités vont gagner en souplesse mais aussi encourir un risque financier. Quelles mesures sont prévues pour les plus petites d'entre elles ?

L'État réalise un effort financier sans précédent : 5 milliards sur cinq ans. En 2009, chaque université verra son budget augmenter d'au moins 10 %. Pour que cet investissement soit efficace, il faut des universités réellement opérationnelles. La loi que nous avons votée devrait permettre cette refondation. (Applaudissements à droite)

M. Serge Lagauche.  - Les médias ont surtout relayé les revendications sur le statut des enseignants-chercheurs et la formation des enseignants, mais vous ne pourrez faire l'impasse sur le volet recherche pour dénouer la crise. Jusqu'ici, c'est la stratégie du saucissonnage qui a prévalu, le Gouvernement tablant sur le pourrissement du conflit, et laissant une direction du CNRS largement discréditée seule face à la colère légitime des chercheurs.

Le secteur de la recherche, à commencer par le CNRS, subit depuis plusieurs années attaques, mépris et dénigrement. Les gouvernements de droite ont développé un discours « décliniste » pour mieux vendre à l'opinion la casse de notre système de recherche. La France est l'un des rares pays à accorder un tel crédit au classement de Shanghai ! Si notre recherche était si médiocre, pourquoi une telle fuite des cerveaux ? Si nos chercheurs sont aussi appréciés à l'étranger, c'est qu'ils sont bien formés !

Depuis 2004, la communauté scientifique a montré qu'elle était prête à évoluer, mais les propositions issues des états généraux de la recherche ont été balayées, voire dévoyées. Depuis sept semaines, elle est mobilisée pour défendre l'indépendance du savoir et de la connaissance contre les lois du marché et de la concurrence. Le 12 mars dernier, plus de 500 délégués de toutes disciplines se sont organisés en coordination nationale pour appeler à l'arrêt du démantèlement des organismes de recherche, de l'affaiblissement de notre potentiel de recherche, et à la création d'emplois dans la recherche publique. Samedi, ce sont plus de 250 directeurs de laboratoires qui ont décidé d'amplifier leur action. Hier, l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres), symbole de votre conception purement managériale de l'université, a été occupée.

L'assemblée des personnels de l'Université technologique de Troyes, déjà passée à l'autonomie, dénonce une logique du retour sur investissement qui fait du transfert de technologies la priorité, les enseignants-chercheurs étant soumis à la Direction de la valorisation et des partenariats industriels : « Notre université est désormais gérée comme une entreprise. Ses finalités deviennent : recherche de rentabilité et marge. En appliquant chez nous des recettes qui ont prouvé leur inefficacité, le directeur peut désormais manager seul, sans contre-pouvoir, une organisation qui n'a de publique que... plus de 90 % de son budget. »

Le statut des enseignants-chercheurs, garant de l'indépendance et de la liberté d'enseignement et de recherche, est un rempart contre les pressions économiques et les instructions du pouvoir politique et administratif. On comprend que vous vouliez réduire le nombre de fonctionnaires : l'indépendance, voilà ce qui heurte le plus notre hyper-Président ! Son discours du 22 janvier, empreint de mépris pour les chercheurs, a légitimement heurté la communauté scientifique. Quelle piètre caricature des chercheurs, mauvais, archaïques, idéologues, partisans, conservateurs, aveugles, immobilistes, installés dans le confort de l'autoévaluation et travaillant dans des structures obsolètes, archaïques et rigides ! (M. Daniel Raoul s'exclame) Il faudra plus que des propos qui se veulent rassurants et des pseudo-négociations sur des sujets parcellaires pour regagner leur confiance !

Un premier signe serait d'annuler les suppressions de postes nettes et indirectes prévues dans les organismes. « Il faut rendre plus lisible la politique de recrutement dans les universités et les organismes de recherche, et donner aux acteurs de la recherche plus de visibilité sur le recrutement et le déroulement des carrières. C'est pourquoi je considère qu'il est nécessaire de mettre en place un plan pluriannuel de l'emploi scientifique », disait M. Fillon, alors ministre de l'éducation nationale, lors des assises nationales des états généraux de la recherche en 2004. Je lui dis : « chiche ! ». Cela créerait les conditions d'un retour de la confiance et d'un dialogue apaisé.

Il faut également faire le bilan du crédit impôt-recherche. On ne peut continuer d'arroser le sable avec des sommes démentielles ! Avec le plan de relance, les entreprises bénéficieront d'un remboursement anticipé du crédit impôt-recherche. Rhodia devrait percevoir 20 millions en 2008, contre 7 millions en 2007. Or cette manne supplémentaire se traduira par 23 suppressions de postes de recherche et développement, et la marge dégagée sera affectée à la réduction de la dette du groupe ! Dans le même temps, le Président de la République vilipende les modalités d'évaluation du CNRS... Si ce n'était aussi grave pour l'avenir de notre pays, c'en serait risible !

Que le Président, si prompt à prendre les États-Unis comme modèle, regarde donc les engagements de Barack Obama : doubler le financement fédéral de la recherche fondamentale en physique, biologie, mathématique et ingénierie ; rendre la recherche scientifique et technologique accessible dans toutes les universités ; améliorer les connaissances scientifiques et technologiques de la population. On pourrait ajouter le financement public de la recherche sur les cellules souches embryonnaires.

Que propose le plan de relance de Nicolas Sarkozy ? Des travaux immobiliers et une anticipation du crédit impôt-recherche ! Rien sur la recherche publique. Quant à la recherche fondamentale, c'est à se demander si le Président sait que cela existe... Le Gouvernement aurait très bien pu obtenir d'entreprises comme Total qu'elles réinvestissent une partie de leurs bénéfices record dans la recherche publique, par exemple dans les énergies alternatives ou la biodiversité marine, puisque c'est la thématique choisie par la Fondation Total pour redorer son image. Je serais curieux de connaître le crédit impôt-recherche de Total pour 2008...

Vous semblez apprécier la pensée de Jacques Derrida, madame la ministre, puisque vous avez utilisé une courte citation tirée de l'Université sans condition : « Professer, c'est s'engager », en guise de conclusion d'une tribune intitulée Ce que je veux dire aux enseignants-chercheurs. Je citerai à mon tour Jacques Derrida, toujours dans le même ouvrage : « Nous devons réaffirmer, déclarer, professer sans cesse l'idée que cet espace de type académique doit être symboliquement protégé par une sorte d'immunité absolue, comme si son dedans était inviolable... Cette liberté ou cette immunité de l'Université, et par excellence de ses Humanités, nous devons les revendiquer en nous y engageant de toutes nos forces. » (Applaudissements à gauche)

M. André Lardeux.  - Les universités vivent à nouveau un psychodrame dont seule la France a le secret. Il n'est pas l'heure de disserter sur cette ossification de notre société dont il reste à espérer qu'elle n'est pas inéluctable... La loi sur l'autonomie des universités avait suscité quelques espoirs. Comme il était prévisible, ces espoirs sont déçus. Les personnels n'ont pas constaté d'amélioration de leur situation, ne serait-ce qu'en termes de considération. Force est de constater que le mépris dont ils se sentent victimes a quand même quelques fondements. De plus à cette autonomie, à laquelle on n'a pas donné de vrais moyens d'exister, on a mis, les habitudes aidant, tellement de considérants qu'elle n'est en fait qu'une liberté surveillée. Ce qui manque le plus c'est la confiance. Pas seulement celle des citoyens ou des personnels, mais aussi, car l'exemple vient d'en haut, celle de l'État qui veut toujours tout régenter depuis Paris alors qu'il n'en a pas les moyens : il nous faut au moins passer du contrôle a priori au contrôle a posteriori et ne pas supposer que tous les présidents d'université ont des compétence en gestion et management.

Quoiqu'il en soit, dans l'état actuel des textes, on s'est arrêté au milieu du gué et l'autonomie n'est qu'une fiction dont les intéressés voient bien les inconvénients mais ne perçoivent pas les avantages. Pour qu'il y ait vraiment autonomie, deux éléments, que l'on n'a pas voulu considérer jusqu'alors, sont indispensables : les moyens financiers et la sélection.

Les moyens financiers ont certes progressé mais ils n'assurent guère l'avenir, d'autant que l'impécuniosité de l'État ne peut que s'aggraver et qu'il est condamné à une sévère cure d'amaigrissement. Même si certains enseignants sont loin d'atteindre les fameuses 128 heures, les deux seuls leviers qui existent réellement viennent du financement privé. Le premier, celui des entreprises est aléatoire, vu la conjoncture, et il sélectionnera immanquablement les domaines immédiatement utilisables sur le plan économique : inutile de dire que les juristes et les littéraires ne peuvent y compter. Le second a pour source les droits d'inscription. Quand on parle de les augmenter, les défenseurs acharnés du statu quo poussent des cris d'orfraie. Pourtant toutes les grandes universités dans le monde perçoivent des droits beaucoup plus élevés que les universités françaises. Leur augmentation présenterait quelques avantages : une pérennité de moyens plus sûre, une plus grande motivation des universités pour être plus attractives, enfin la motivation des étudiants qui ont intérêt à un retour convenable sur leur investissement financier. Cela suppose bien sûr que les étudiants d'origine modeste bénéficient d'un système de bourses dignes de ce nom. Ces bourses devraient au départ être, comme actuellement, attribuées sur des critères sociaux, mais ensuite renouvelées sur des critères académiques, pour que les étudiants soient assidus et efficaces. Tout cela suppose que les enseignants disposent de bureaux et d'équipements informatiques.

La sélection serait plus démocratique que l'actuelle situation de jungle. C'est pourtant un mot plus gros encore que le précédent et qui heurte notre mentalité égalitariste, laquelle pourtant ne s'émeut guère des inégalités existantes car elle considère finalement que certains sont plus égaux que d'autres. Les universités devraient pouvoir sélectionner les étudiants pour mettre fin à une hypocrisie peu glorieuse -sous réserve malgré tout d'une sérieuse réforme du lycée pour que celui-ci forme des jeunes aptes à faire des études supérieures. Une grande partie des études supérieures ne se fait qu'après sélection : les BTS, les IUT -dont il faut se souvenir qu'ils devaient s'adresser aux bacheliers technologiques qui ont pourtant beaucoup de mal à y accéder-, les grandes écoles, les études médicales et paramédicales, les écoles de formation sociale, les instituts d'études politiques, les établissements relevant de certains ministères, l'IGN par exemple ou la Météo, etc. Alors, envisager la sélection à l'université n'a donc rien d'incongru. Le maintien de la situation actuelle est une faute vis-à-vis des jeunes. Il est peut-être souhaitable d'augmenter le nombre de diplômés, mais pour quels diplômes ? Avec le système actuel beaucoup quittent l'université sans rien. Et pour combien de ceux qui obtiennent un diplôme, celui-ci n'est-il qu'un passeport pour nulle part avec un visa pour l'inconnu ? Certes l'université est censée dispenser la culture générale, mais il y a des limites à la tartufferie ! Je ne citerai pas d'exemple pour ne pas faire de peine à certaines filières. Je me contenterai d'un seul souvenir : il y a quelques années j'ai procédé au recrutement d'un conservateur de musée ; il s'est présenté plus de 80 candidats dont les dossiers étaient recevables. Que sont devenus les 79 candidats non retenus ? Ayons donc le courage de développer certaines formations en BTS ou NT, certes bien plus coûteuses que l'université, et d'empêcher trop d'étudiants de s'engager dans des voies sans issue. Bien sûr avec beaucoup de mauvaise foi, on va prétendre que je veux limiter l'accès à l'enseignement supérieur. Il n'en est rien : si la sélection est réalisée sérieusement en tenant compte des besoins sociaux et économiques, chacun peut y trouver sa place ; le nombre d'étudiants ne diminuera pas, mais chacun sera mieux à sa place.

Des changements s'annoncent dans l'organisation territoriale du pays, qui pourraient être l'occasion d'associer davantage les régions dans l'établissement de la carte des formations universitaires.

A l'heure où on veut donner un peu de liberté aux universités publiques, on en retire aux établissements privés. Jusqu'alors les facultés et établissements libres pouvaient, en vertu de la loi de 1975, passer convention avec n'importe quelle université publique pour la validation des examens, ou recourir à un jury nommé par le recteur d'académie. Or l'administration vient d'imposer que cela se fasse avec l'université la plus proche. Il est dommage que le Gouvernement accepte ce recul de la liberté d'enseignement. Dans le même ordre d'idées, quelle interprétation fait-il de l'accord passé en matière universitaire entre le ministère des affaires étrangères et le Saint-Siège. (Applaudissements à droite)

M. Daniel Raoul.  - Bonne question !

Mme Marie-Christine Blandin.  - Les universités sont depuis six semaines le lieu d'une mobilisation massive et transversale contre les textes du Gouvernement. La communauté universitaire demande qu'on la respecte. Les phrases prononcées par le Président le 22 janvier ne sont pas de ce registre, et la question gratuite « les prix Nobel ne sont-ils pas l'arbre qui cache la forêt? » révèle, outre le mépris, une profonde sous-estimation de l'importance de la transmission des savoirs pour une société cultivée, et une grande ignorance des mécanismes d'émergence des découvertes. Comme en biodiversité, c'est la forêt qui permet l'arbre exceptionnel. S'accrocher à un désir d'arbre exceptionnel et répandre le défoliant est contre-productif.

La communauté universitaire n'est pas respectée, quand elle voit les mots de ses revendications passées repris pour servir de cheval de Troie à des concepts très libéraux de mise en concurrence des campus, des laboratoires, des équipes, des individus, par un système mixte de précarisation et de management au mérite, sur des critères non pensés et non gérés par la communauté scientifique. Et vous qui parlez « résultats », n'avez-vous pas vu que, pour l'OCDE, malgré un investissement français au 18e rang mondial, le CNRS est au premier rang européen et au 4e rang mondial ?

Dans ce contexte de raréfaction des moyens et de management compétitif, chacun est sous tension pour être, non pas le meilleur -c'est-à-dire le plus curieux, le plus pédagogue, le plus attentif aux difficultés des autres-, mais pour être le plus performant -celui que l'on voit, celui qui publie, celui qui répond aux critères d'un conseil d'administration où la parole de la communauté scientifique et les attentes des étudiants s'effacent devant le souci du Président d'obtenir les justes subventions qui lui permettront de rénover un bâti vétuste. Ce management relève de l'esprit entrepreneurial et franchit allègrement les limites qui garantissaient un véritable service public de l'enseignement supérieur et de la recherche : fin des garanties d'emploi et d'évolution de carrière, fin de la nécessaire étanchéité entre les moyens des ressources humaines et les moyens de la logistique. Dès lors la variable d'ajustement devient l'enseignant qui exige de faire de la recherche, le chercheur qui n'a pas publié depuis deux ans, le laboratoire qui dénonce des risques sanitaires, l'équipe qui ne décroche pas de partenariat avec une entreprise, la discipline qui ne débouche pas sur les brevets... Avec cette idéologie, les spécialistes de l'archéologie ne pèsent pas lourd.

Ce management joue mécaniquement la carte de l'utilité immédiate : dans cette logique, il faut pouvoir prendre et laisser des enseignants au rythme des inscriptions, prendre et laisser des chercheurs au rythme des modes de l'ANR, et, surtout, ne pas être obligé de conjuguer la dualité fertile de la mission de recherche et de la mission d'enseignement. Vous sous-estimez l'importance pour un chercheur de confronter ses explications avec les capacités de compréhension de ses étudiants, tout comme vous sous-estimez la richesse que porte en lui chaque jeune thésard, que l'on ne saurait brider en lui confiant seulement des tâches d'enseignement. Vous jouez la carte de la rentabilité à très court terme, et c'est ainsi que la richesse intrinsèque du CNRS vous a échappé. Tout au plus avez-vous repéré quelques domaines visibles, que vous avez souhaité rapprocher des départements semblables de grands organismes. Or la richesse du CNRS, c'est sa diversité, ses échanges, sa possibilité de pluridisciplinarité, et c'est précisément cette souplesse que vous entamez. Vous péchez par défaut d'anticipation des mutations profondes qui nous attendent : changement climatique, démantèlement de l'organisation du travail, érosion de la biodiversité, migrations des peuples du sud. Ces défis-là ne sont assurément pas solubles dans un empilement de solutions techniques, fussent-elles brevetables ! Ces défis-là ont également bien peu de chance d'être éligibles au crédit d'impôt, meilleur moyen que le Gouvernement a trouvé pour gonfler l'apparence de son budget.

La communauté universitaire veut être respectée et quand elle dénonce les suppressions de poste, l'érosion des subventions, un pilotage non éclairé, des fusions à marche forcée, des mises en concurrence contre nature, il faut l'entendre, entendre ses représentants, lui donner de vrais interlocuteurs, et non pas la diviser et l'égarer dans des instances éphémères et sans légitimité. Car elle veut une réforme ambitieuse, qui repose la question des grandes écoles, qui revisite le pilotage et le rôle de l'ANR, qui s'appuie sur des évaluations repensées et qui articule intelligemment les organismes et l'université. Elle voit dans l'appui aux entreprises la contrepartie du développement de l'emploi scientifique et de vrais débouchés pour les doctorants. Elle imagine de meilleurs processus pour dialoguer avec la société, répondre à ses attentes tout en gardant sa nécessaire autonomie. Elle aspire à être mieux impliquée dans la définition et la mise en oeuvre des synergies européennes.

La scandaleuse réforme que vous projetez pour la formation des professeurs nie l'importance de l'apprentissage pratique de la pédagogie.

Les étudiants, eux aussi, veulent être respectés. Ils sont issus de cette classe qu'on appelle « les jeunes », dont 20 % vivent sous le seuil de pauvreté.

Certains, révoltés par le sort qui leur était fait, ont eu le malheur de croire que vous tiendriez les engagements pris lors des négociations sur la loi LRU. Un an après, ils attendent toujours des logements. Aucune construction n'est prévue dans le budget pour 2009 et les inscriptions de 2008 ne sont qu'à moitié affectées quand pas moins de 93 % des étudiants, contraints de se loger dans le privé, subissent la spéculation sur les loyers. Aujourd'hui, le tribunal, sur demande d'une riche propriétaire, assignent huit étudiants, qui se sont installés dans un immeuble vide depuis onze ans, à payer 6 000 euros par mois et 53 000 euros pour immobilisation de biens. Leurs ressources étant comprises entre zéro et 800 euros par mois, leurs comptes sont bloqués. Cherchez l'erreur ! Une véritable politique universitaire commencerait par se préoccuper du quotidien de ceux qui viennent apprendre, y compris des étrangers si mal accueillis chez nous, en proposant un revenu étudiant, comme au Mali, ou un revenu pour les jeunes.

Enfin, dernière catégorie à respecter, madame la ministre, celle des parlementaires en répondant aux questions justifiées par la colère du terrain. (Mme Valérie Pécresse, ministre, sourit) Combien de postes d'ingénieurs, de chercheurs et de techniciens supprimés au CNRS en 2008, en 2009 et dans les années à venir ? Combien dans les autres organismes ? Et je vous prie de ne pas parler de non-remplacement des départs en retraite, ce n'est pas une excuse, c'est un handicap transmis aux générations futures. Autre sujet : y a-t-il un milliard de plus par an, comme prévu dans la loi de programme 2006, ou s'agit-il du même milliard d'euros que celui du Grenelle ? Si les 600 millions de crédit d'impôt ne sont pas fictifs, peut-être faut-il en réorienter une partie pour des postes. Convenez que 0,23 % pour la recherche dans le plan de relance, hors engagements pris, n'est pas digne de notre ambition. Des réponses sans détour donneront à voir la réalité du soutien à l'université et la capacité que nous offre, paraît-il, notre nouveau Règlement de contrôler sur pièces l'action du Gouvernement ! (Applaudissements à gauche)

M. Yannick Bodin.  - Très bien !

M. Pierre-Yves Collombat.  - Madame la ministre, mon intervention portant sur la réforme de la formation des enseignants, je vous laisse le soin de trier entre les reproches que je vous adresse et ceux qui concernent M. Darcos...

Quel talent ! Jamais pareille unanimité n'avait été réunie contre un projet. Des étudiants à la société des agrégés, en passant par les enseignants et les sociétés savantes, l'opposition est générale, seul varie le niveau de langue. Pourtant, vos intentions étaient pures : pour reprendre les termes de M. Darcos, le but était d'assurer aux enseignants français « une formation universitaire comparable à celle de l'ensemble de leurs collègues européens au terme de cinq années d'études (...) pour assurer une meilleure qualité de l'enseignement délivré à nos élèves ». Sublime effort, il était question d'augmenter les salaires. Que du bluff ! Aujourd'hui, quel enseignant, y compris les professeurs des écoles, ne totalise pas déjà, entre formation universitaire, préparation aux concours et année de formation professionnelle, cinq années d'études, voire plus ? Pourquoi n'avez-vous pas plutôt reconnu par un mastère les années de formation initiale, comme le demandent depuis longtemps les directeurs d'IUFM ? (Mme Valérie Pécresse, ministre, maugrée) A propos, vous pourriez augmenter leur rémunération ! Tout se passe comme si votre objectif était d'organiser un vaste marché d'enseignants sur le modèle anglo-saxon sur lequel les établissements d'enseignement pourraient s'approvisionner en contractuels... Belle modernisation ! Je caricature ? Hélas !, ce n'est pas le cas quand M. Darcos donne aux présidents d'université réticents cette réponse digne d'un directeur des ressources humaines : « Moi, je n'ai pas absolument besoin d'entrer dans des discussions sibyllines... » -« byzantines » voulait-il dire- « ... avec les préparateurs de mes concours. Je suis recruteur. Je définis les concours dont j'ai besoin. Je garantis la formation professionnelle des personnels que je recruterai. Après, que chacun nous suive ou pas... » Par « formation professionnelle », entendez-vous des bouts de stages et de remplacements dispersés sur les deux années de mastère ? Les nouvelles recrues seront immédiatement mises devant une classe. Les enseignants n'ont pas le droit aux simulateurs, désormais réservés aux pilotes de lignes et de chars Leclerc. Ces derniers, il est vrai, manipulent des engins coûteux... Critiquable la formation professionnelle des IUFM ? Certes, mais pas de formation professionnelle, est-ce mieux ? Disons que cela présente l'avantage de coûter moins cher...

A ses effets pervers, ajoutons qu'en repoussant d'un an l'accès aux concours, vous demandez un effort financier supplémentaire aux étudiants issus des classes populaires pour qui ces débouchés professionnels sont traditionnellement importants. En outre, qu'apportera cette année supplémentaire dans la discipline d'origine à des professeurs des écoles par définition polyvalents ?

M. Daniel Raoul.  - Très juste !

M. Pierre-Yves Collombat.  - Bourses ou rémunération accessoire des stages n'y changeront rien.

A terme, ce projet signifie la disparition des IUFM, tout au moins de leurs antennes départementales maintenues à bout de bras par les collectivités. Dans mon département du Var, la moitié des postes de maîtres formateurs, associés au centre IUFM de Draguignan, est déjà supprimée. Madame la ministre, la disparition des IUFM est-elle programmée ?

Pour conclure, je vous propose de méditer les propos que Mme de La Fayette, si admirée du Président de la République, prête à la princesse de Clèves prenant congé de Nemours : « Ce que je crois devoir à la mémoire de M. de Clèves serait faible s'il n'était soutenu par l'intérêt de mon repos ; et les raisons de mon repos ont besoin d'être soutenues de celles de mon devoir ». Madame la ministre, si ce n'est pas par conviction que vous remettez votre projet en chantier, que ce soit au moins pour votre repos ! (Applaudissements à gauche)

Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.  - Cette nouvelle procédure de contrôle parlementaire, je m'en réjouis, est l'occasion de réaffirmer la priorité absolue que le Président de la République accorde à l'université durant ce quinquennat...

M. Daniel Raoul.  - Il ne suffit pas de le dire !

Mme Valérie Pécresse, ministre.  - ... pour soutenir une université d'excellence et une recherche de qualité, inscrite dans un large continuum des laboratoires de la recherche fondamentale à l'innovation, dans cette société mondiale de la connaissance.

Cette priorité accordée à la connaissance, à la transmission du savoir et à la jeunesse se traduit dans les faits. Tout d'abord, il fallait donner aux universités les moyens juridiques de leur rayonnement, ce qu'aucun gouvernement n'avait entrepris depuis 40 ans. L'autonomie, j'ai le devoir de le dire, est l'outil du rayonnement de l'université partout dans le monde, ce que la Présidence française a d'ailleurs voulu inscrire dans une résolution européenne. Elle donne à l'université les moyens juridiques de définir sa stratégie de recherche et de formation ; nouvelles libertés qui sont le corollaire de nouvelles responsabilités ainsi que le Sénat l'a indiqué en modifiant l'intitulé de la loi. Dès l'été 2007, je me suis engagée à accompagner cette autonomie en lançant le plan « Réussir en licence », une opération de rénovation du logement étudiant, un plan de carrières universitaires, un plan de soutien aux jeunes chercheurs et, enfin, un plan concernant la vie étudiante qui ont permis des avancées significatives, mais dont les effets se feront sentir dans les années à venir.

Aujourd'hui, messieurs Assouline et Legendre, la loi du 10 août 2007 est appliquée par nos 83 universités, les nouveaux conseils d'administrations travaillent et le calendrier est respecté. De fait, nous avons prévu un passage progressif aux compétences élargies en matière financière et de ressources humaines jusqu'au 1er janvier 2012 : après que 20 universités ont accédé à l'autonomie depuis le 1er janvier 2009, 34 sont candidates pour le 1er janvier 2010 et bénéficient actuellement, à ce titre, d'audits. La liste en sera donnée en juin 2009.

Chacune des universités autonomes a reçu une subvention de 250 000 euros afin qu'elle puisse procéder aux recrutements nécessaires et récompenser les personnels impliqués avec courage et volontarisme dans la préparation de la réforme. En 2009 une nouvelle subvention de 250 000 euros leur sera allouée.

L'encadrement est renforcé par les mesures de requalification des emplois, qui ont concerné 800 personnes, tandis qu'un processus de requalification par promotion interne est en préparation pour septembre. Pour les personnels administratifs, un plan triennal de formation est en cours depuis le printemps, qui bénéficie à 1 500 agents, pour un coût de 1,5 million. J'ajoute qu'une cellule de soutien a été mise en place au ministère pour aider à mettre en oeuvre les recommandations des audits.

Quels moyens en faveur de l'autonomie ? Ce sont 1,89 milliard et 34 175 emplois de l'État dont bénéficieront les 20 universités concernées. Il convient d'y ajouter les crédits d'accompagnement : 16 millions en 2009, 52 millions sur la période 2009-2011.

La réforme des modes de financement est primordiale pour réussir le passage à l'autonomie. Contrairement à ce que prétendent certains, aucune privatisation n'est à l'oeuvre puisque 95 % de la dotation restera provenir de l'État, via une contractualisation fondée sur les objectifs de formation et de recherche de chaque établissement. Les mesures en faveur des carrières, qui en sont partie prenante, permettront de valoriser la richesse humaine, tandis que dans le cadre du plan de relance, 30 millions seront consacrés à la préparation des transferts immobiliers.

MM. Renar et Lardeux ont insisté sur la question des moyens. En 2009, avec une hypothèse d'inflation à 0,4 %, les crédits de l'enseignement supérieur et de la recherche seront en augmentation de 9 %, de 26 % si l'on prend en compte la mobilisation anticipée du crédit d'impôt-recherche, dont l'augmentation est sans précédent.

Quant au budget des universités ne disposant pas de l'autonomie, il n'inclut, par définition, ni les crédits immobiliers, ni la masse salariale. J'ajoute qu'au plan immobilier, les contrats de projet État-régions seront « boostés » par le plan de relance.

Au total, en 2009, la Nation dépensera 1 000 euros de plus par étudiant : 8 500 euros, au lieu de 7 500 euros en 2007. Les universités seront dotées de 117 millions supplémentaires en crédits de fonctionnement, et de 150 millions supplémentaires crédits de mise en sécurité, soit 237 millions contre 78 millions en 2008.

Les dix-sept petites universités, monsieur Dupont, bénéficieront de moyens inédits : 11 % d'augmentation de leurs crédits de fonctionnement et de mise en sécurité, contre 3 % l'an dernier : 13 % pour l'université d'Avignon, à quoi s'ajouteront les contrats CPER pour son centre de recherche en agronomie ; 13 % pour l'université du Havre, sans compter les 20 millions consacrés à la rénovation du campus. Les universités pluridisciplinaires des villes moyennes jouent un rôle spécifique dans la formation de proximité : dans le cadre de la réflexion sur les modalités de l'allocation des moyens, elles feront l'objet d'une attention toute particulière de mon ministère.

J'en viens au sujet des emplois. Loin qu'il soit question, comme je l'ai entendu, de suppressions, l'enseignement supérieur et la recherche, érigés en priorité par le Président de la République, ne seront pas soumis à la règle de non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux. L'année 2008, déjà, n'a connu aucune suppression. En 2009, 900 non-renouvellements sont prévus, ce qui représente moins de 0,6 % des effectifs du ministère. Sont concernés 433 emplois statutaires, soit le seul non-remplacement d'un départ sur douze, dont 183 dans les organismes de recherche -une centaine au CNRS, avec cette précision, madame Blandin, qu'il n'y a eu aucune suppression en 2008- et 225 dans l'enseignement supérieur, soit une moyenne de deux emplois par établissement, et qui ne concernent pas les enseignants-chercheurs qui bénéficieront au contraire d'une création nette de 85 emplois, par redéploiements entre emplois restitués par les universités, souvent de catégorie C, et emplois reversés par le ministère, d'enseignants-chercheurs pour l'essentiel, afin d'assurer l'accompagnement du plan « Licence ». Restent 467 emplois non statutaires dont 265 postes d'allocataires de recherche non pourvus.

Je précise, outre que le Premier ministre s'est engagé, pour 2010 et 2011, à un maintien des postes de l'enseignement supérieur, que l'effort demandé aux établissements est intégralement restitué aux personnels via les mesures de carrière. Des moyens exceptionnels de revalorisation des carrières sont en effet mobilisés pour la période 2009-2010 : 250 millions, qui s'ajoutent aux 750 millions de revalorisation des rémunérations de la fonction publique, soit deux fois plus de moyens nouveaux qu'en 2006-2008. Les salaires des maîtres de conférence nouvellement recrutés seront ainsi revalorisés de 12 à 25 %, grâce à la prise en compte, dans le reclassement, du doctorat et des années de « post doc » ; le taux de promotion, pour l'ensemble des grades, sera doublé d'ici à 2011 ; de nouvelles primes, pouvant aller jusqu'à 15 000 euros, viendront valoriser les activités de recherche et d'enseignement -qui fait aussi partie des missions essentielles de l'université. Au total, de 2007 à 2011 les crédits attribués aux universités pour les primes des personnels augmenteront de 32 %, et le taux de promotion progressera de 62 % d'ici à 2011. Toutes ces bonnes nouvelles entreront en vigueur dès que le statut des enseignants-chercheurs aura été adopté. (On s'amuse à gauche) Nous offrons de surcroît, ainsi que le souhaitait la conférence des jeunes chercheurs, un vrai contrat à tous les doctorants, avec toutes les garanties attachées à un contrat de droit public. Il convient en effet de valoriser les doctorats dans les carrières, y compris en entreprise. (M. Jean-Léonce Dupont approuve)

S'agissant du financement, nous sommes résolument décidés à placer l'équité au coeur des modes d'allocation : 80 % des crédits seront attribués en fonction de l'activité. Les universités qui, sur cinq ans, ont perdu beaucoup de leurs étudiants verront leurs moyens revus à la baisse, au profit de celles dont les effectifs ont cru de plus de 35 %, selon un sain principe de solidarité entre établissements. Pour la formation, les crédits seront alloués sur la base, non plus du nombre des inscrits, mais du nombre d'étudiants présents aux examens, afin d'inciter les universités à mieux accompagner leurs étudiants. Pour la recherche, la répartition se fera en fonction du nombre d'enseignants-chercheurs qui publient. La réforme de l'allocation des moyens permettra de répartir 889 millions cumulés sur la période 2009-2011. Toutes les universités verront leurs moyens fortement progresser dans les trois années à venir, les moins bien dotées au regard de leurs performances voyant leurs crédits augmenter plus vite que les autres.

En 2009, la hausse moyenne des budgets des universités sera de 6,5 %, la fourchette étant comprise entre 0,5 % pour les mieux dotées et 25 % pour les moins bien dotées.

L'objectif est de faire entrer l'Université dans une culture de responsabilité et de liberté, dans un contexte de gestion contrainte des finances publiques.

Au lieu de 3 %, ce sont dorénavant 20 % des moyens qui seront attribués en fonction de la performance, désormais appréciée selon d'autres critères : l'insertion professionnelle et la valeur ajoutée mesurée à l'aune de la fragilité des étudiants seront déterminantes. Pour les laboratoires, ce seront les évaluations indépendantes de l'Aeres, les nouveaux projets, la tenue des objectifs contractuels qui seront pris en compte.

Le classement de Shanghai évoqué par M. Bordier et plusieurs autres orateurs ? Il est certes biaisé dans la mesure où une bonne part de nos meilleurs chercheurs et de nos meilleurs étudiants ne sont pas dans les universités. Mais pour acquérir une visibilité mondiale, nous allons mener une politique d'alliance entre universités, grandes écoles et établissements de recherche, dans un cadre territorial. Cette politique de regroupement en pôles rendra notre recherche plus lisible, la gestion plus simple et contribuera à notre rayonnement. La présidence française de l'Union européenne a lancé un processus pour que l'Union fasse un classement des universités du monde selon ses propres critères, fondés sur des données fiables.

Le décret sur le statut des enseignants-chercheurs ? Le décret actuel ne correspond plus à la richesse de ce métier ; il ne permet pas de reconnaître l'investissement de chacun. L'objectif est donc de proposer un décret qui définit un statut protecteur, avec une progression de carrière, une évaluation nationale par les pairs, selon des critères publics. C'est la transparence ! Et l'indépendance et la liberté de pensée demeurent, je le rappelle, des principes à valeur constitutionnelle. Pendant dix-huit mois, la concertation a été menée par la mission Schwartz. Ce fut, je crois pouvoir le dire, un dialogue continu ! L'engagement des chercheurs doit être reconnu par une revalorisation des carrières, engagée dès que le décret sera entré en vigueur. Un service de référence sera fixé, qui servira de base au paiement des heures supplémentaires. Le décret comporte aussi la valorisation des travaux pratiques et dirigés ; il prévoit une modulation des services, avec l'accord des intéressés, dans un cadre national de référence ; des modulations pourront être engagées dans un cadre pluriannuel selon les projets pédagogiques ou scientifiques. La répartition des promotions se fera pour moitié au niveau des universités, pour moitié au niveau national, sur la base de critères publics.

Le plan « Réussir en licence » représentera 730 millions en cinq ans. La première année de ce plan a été financée au prorata du nombre d'étudiants présents en première année avec prise en compte des étudiants en retard, les plus fragiles. Dès 2009, le financement de ce plan est intégré dans le nouveau modèle d'allocations des moyens. Nous allons aussi favoriser l'orientation active afin d'assurer une meilleure transition du lycée vers l'université.

La vie étudiante est une priorité avec 100 millions en deux ans ; avec, pour les bourses, un système plus généreux, plus lisible et plus juste pour 50 000 étudiants boursiers supplémentaires en 2008-2009 ; avec un plafond porté de 27 000 à 32 000 par an. Le nombre de boursiers a augmenté de 5 % en deux ans ; nous avons doublé le nombre des bourses à la mobilité et celui des bourses au mérite qui passe de 15 000 à 30 000. Nous faisons également un effort massif sur le logement, avec 30 000 chambres rénovées, auquel s'ajoutent les crédits du plan de relance.

L'insertion professionnelle ? Les présidents d'université ont été invités à adresser à la direction générale de l'enseignement supérieur leur schéma directeur d'aide à l'insertion professionnelle au plus tard le 13 février 2009. Les documents élaborés par les universités sont très hétérogènes, tant par leur taille que par leur forme et leur contenu, témoignant de la diversité des niveaux de réflexion et de maturité en matière d'insertion professionnelle. Certaines universités se montrent très ambitieuses.

Le ministère est réorganisé en deux directions ; face à des universités autonomes, il ne doit plus se comporter en administration tatillonne. Nous avons mutualisé toutes les fonctions stratégiques entre les deux directions générales, la DG de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle et la DG de la recherche et de l'innovation. Nous avons également créé un pôle de contractualisation chargé des contrats d'objectifs et de moyens. En dix-huit mois, nous avons publié tous les textes d'application de la LRU, un effort salué par la revue générale des politiques publiques.

Le comité de suivi ? Les parlementaires qui y siègent sont les rapporteurs de la loi. On ne pouvait pas y faire figurer des représentants de tous les groupes, sauf à en faire une agora.

M. David Assouline.  - Donc, n'y sont que ceux qui ont approuvé votre loi !

Mme Valérie Pécresse, ministre.  - Le rapport du comité a été adressé au président du Sénat.

M. David Assouline.  - Je l'ai demandé. En vain.

Mme Valérie Pécresse, ministre.  - Le comité de suivi a pour mission de suivre l'application de la loi pour une durée de cinq ans. Cette durée est nécessaire pour mesurer les effets des différentes dispositions, qui ne peuvent être immédiats. Il a d'ores et déjà relevé quelques difficultés, notamment au moment des élections.

Le rapport décline dix-huit recommandations, dont je citerai les plus marquantes comme améliorer la participation des étudiants aux élections, tenir compte de l'engagement des représentants élus, améliorer les modalités de désignation des personnalités extérieures. Une université ne peut se permettre de rester sans gouvernance pendant plusieurs semaines en attente d'un accord sur une liste de personnalités extérieures, pour des raisons idéologiques ou politiques. Il est envisageable de suivre la recommandation du comité qui prévoit de réduire le nombre de tours de scrutin. La participation des personnalités extérieures à l'élection du président me semble aussi une bonne recommandation. Il est anormal que des membres d'un conseil d'administration participent à la définition d'une politique de l'université mais pas à l'élection du président, comme cela se fait partout.

Dès le premier semestre 2008, neuf universités ont constitué les comités de sélection qui remplacent les commissions de spécialistes. Celles-ci étaient critiquées à plusieurs titres. Les comités de sélection permettent d'effectuer des recrutements au fil de l'eau, ce que ne permettaient pas les procédures annuelles trop rigides des commissions de spécialistes ; composés pour moitié par des experts externes à l'université, ils corrigent les effets pervers du localisme et favorisent la mobilité et l'excellence. Le comité de suivi de la loi a d'ailleurs recommandé de rendre obligatoire la présence d'experts étrangers au sein des comités de sélection. Dans tous les endroits où ceux-ci ont été mis en place, ils ont fonctionné à la satisfaction générale et n'ont donné lieu à aucun litige.

Deux universités se sont prononcées très tôt pour acquérir la compétence patrimoniale. Depuis, d'autres universités nous font savoir qu'elles seraient intéressées. Plusieurs conditions doivent être remplies : les universités doivent démontrer leur savoir-faire en la matière, avoir un véritable schéma directeur, expression d'une stratégie immobilière au service d'un grand projet pédagogique et scientifique. Les audits le diront.

La loi précise que l'État met en sécurité le patrimoine avant de le transférer. Enfin, il faut faire le point sur les obligations financières que l'université assumera en matière d'amortissement ou d'assurance.

Je suis très favorable au transfert patrimonial, qui apportera d'importantes marges de manoeuvre à l'université, mais nous devons agir avec ordre et méthode. Il est possible de lancer des expérimentations avec des universités volontaires ayant un patrimoine de qualité. Dès 2009, 10 millions d'euros serviront à établir le bilan patrimonial universitaire et à évaluer les besoins, 30 millions étant attribués aux universités qui se lanceront dans cette nouvelle compétence.

J'en viens à l'opération « Campus », en précisant que 59 universités sont concernées, et non dix comme je l'ai entendu ici.

Le Président de la République a lancé cette opération pour faire émerger de grands sites universitaires français à même de compter dans la compétition internationale de la connaissance.

Dix sites -Aix-Marseille, Bordeaux, Grenoble, Lyon, Montpellier, Strasbourg, Toulouse, Condorcet-Paris Aubervilliers, Paris intra muros et Saclay- ont été initialement retenus par un jury international et indépendant, qui a apprécié les qualités scientifiques et pédagogiques, la situation immobilière, la vie de campus et le rôle structurant pour les territoires. Les deux projets labellisés postérieurement, Lille et Nancy-Metz, seront financés sur crédits budgétaires.

L'opération « Campus » a fait bouger les lignes en accélérant le regroupement des forces scientifiques françaises et en plaçant l'université au coeur du dispositif. Les douze sites comprennent 46 universités, 40 écoles et tous les principaux organismes de recherche, avec 760 000 étudiants, 24 000 chercheurs et enseignants-chercheurs publiants. Le cas francilien est révélateur, avec les rapprochements inédits entre acteurs de très haute valeur scientifique.

L'opération « Campus » marque un tournant décisif dans les relations entre universités, collectivités locales et monde économique, la participation directe des collectivités territoriales avoisinant un milliard d'euros en province.

Le Président de la République a doté cette opération de 5 milliards d'euros, un effort exceptionnel. J'ai déjà annoncé que le campus de Lyon recevrait à titre pérenne 575 millions d'euros en capital et celui de Strasbourg 375 millions, des chiffres sans précédent pour un seul projet. J'annoncerai à chaque site le montant de la dotation allouée.

M. David Assouline.  - Combien pour Paris ?

Mme Valérie Pécresse, ministre.  - A terme, ces sommes deviendront une dotation en capital pour donner aux pôles une assise financière sans précédent. Les projets immobiliers prendront la forme de partenariat public-privé.

En outre, cinq campus prometteurs et quatre campus innovants percevront 400 millions d'euros entre 2009 et 2011.

Un campus prometteur a un fort potentiel et joue un rôle international. Cette mention doit inciter les collectivités territoriales à s'investir fortement dans leur université pour conforter son rayonnement. Les campus de Paris-Est, Clermont-Ferrand, Nantes, Nice et Rennes recevront 30 à 60 milliards d'euros chacun.

Un campus innovant a une taille bien plus modeste mais dispose d'un projet jugé particulièrement digne d'intérêt. En majorité, il s'agit d'universités qui recrutent sur une thématique scientifique spécifique. Les campus de Cergy, Dijon, Le Havre et Valenciennes percevront cette prime de 20 millions d'euros à l'engagement et la mobilisation.

Je compte sur tous les sénateurs pour inciter les collectivités territoriales à accompagner leurs campus prometteurs ou innovants.

Au-delà des 59 universités directement concernées par l'opération « Campus », toutes bénéficieront de crédits accrus, grâce à l'accélération des contrats de projets État-région, une annuité et demie étant incluse dans le plan de relance. Ainsi, 550 millions d'euros supplémentaires seront consacrés à la mise en sécurité de tous les établissements universitaires.

La loi de 2007 a globalisé les dotations des IUT avec celles des universités, mais en préservant les spécificités. Ainsi, les IUT conserveront un budget propre prenant en compte le coût plus élevé induit par la formation de leurs étudiants, ce qui est justifié par le succès de la préparation professionnelle délivrée. Ils seront associés à l'évaluation du dispositif de répartition. Le dialogue fructueux conduit entre les universités et les IUT sous l'égide du ministère ont abouti à une charte structurant leurs relations. Ce document sera intégré dans le code de l'éducation. Dès les prochaines semaines, universités et IUT aborderont les contrats d'objectifs et de moyens qui les lieront. A ma demande, les présidents des universités se sont engagés à sanctuariser en 2010 les moyens destinés aux IUT, comme ils l'avaient fait pour 2009. De même, les 5 millions d'euros accordés en 2008 aux IUT seront maintenus l'année prochaine. Et je consacrerai 10 millions supplémentaires à leurs équipements, grâce au plan de relance.

S'agissant de l'IUT de Blagnac, il faut se féliciter de l'accord local ayant permis d'ouvrir ce nouveau département si nécessaire à la formation des jeunes. Sans nul doute, les moyens nécessaires seront mis à la disposition de l'IUT dans le cadre du nouveau contrat d'objectifs et de moyens.

Monsieur Renar, la sortie de la crise passe par le dialogue. La formation des maîtres via un mastère a suscité des inquiétudes, actuellement en cours de résorption.

Quelle serait l'utilité d'états généraux de la recherche et de l'enseignement supérieur ? Les états généraux de la recherche ont eu lieu en octobre 2004, après plusieurs mois de réflexion au sein de la communauté scientifique. Ils ont constitué la plus ample réflexion sur l'organisation de la recherche en France, après le colloque de Caen de 1956 et les assises nationales de la recherche en 1981-1982.

De très nombreuses propositions formulées dans le rapport final sont déjà mises en oeuvre.

En 2004, les états généraux ont demandé qu'un ministère de plein exercice soit chargé de la recherche et de l'enseignement supérieur. Il existe aujourd'hui ! Le Gouvernement accorde une priorité à la recherche et à l'enseignement supérieur, en mettant les universités au coeur de la recherche, avec une formation de qualité, comme dans les grands pays développés. Nous voulons que les organismes de recherche, le CNRS en tête, deviennent des stratèges pour éliminer les redondances, mettre fin aux lourdeurs administratives et définir une stratégie nationale de la recherche et l'innovation. La démarche doit partir du terrain.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Des mots !

Mme Valérie Pécresse, ministre.  - En 2004, les états généraux voulaient rendre sa juste place à l'université pour qu'elle établisse des partenariats équilibrés avec les autres acteurs de la recherche.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Des mots !

Mme Valérie Pécresse, ministre.  - Ces établissements existent : ce sont les 20 premières universités autonomes, et toutes celles qui suivront grâce à la loi de 2007 et à l'investissement sans précédent de l'État.

En 2004, les états généraux ont demandé la création d'une nouvelle structure disposant d'un budget propre et qui soit seule chargée de financer les projets de recherche. Nous l'avons fait : c'est l'Agence nationale de la recherche, dont je fais porter à 50 % la proportion des programmes dits « blancs », financés en 2010, pour que les équipes de recherche puissent faire vivre leur créativité et leur excellence.

En 2004, les états généraux ont demandé la création d'un comité d'évaluation des opérateurs de recherche, indépendant des structures d'évaluation existantes, devant veiller à la qualité de l'évaluation. La loi de 2006 a créé l'Agence d'évaluation de la recherche de l'enseignement supérieur, qui accrédite les bonnes pratiques d'évaluation, surveille le fonctionnement des commissions d'évaluation et analyse l'utilisation des moyens consacrés à la recherche.

En 2004, les états généraux appelaient à la création de pôles de recherche et d'enseignement supérieur. Il y en a douze, qui seront bientôt quatorze. L'ensemble de notre paysage universitaire et de recherche sera structuré en pôles d'ici la fin de l'année.

Le plan de relance ajoute 730 millions d'euros aux crédits votés, dont 286 millions iront à la recherche. Ainsi, 220 millions d'euros conforteront la recherche en nanosciences, celles conduites dans le cadre du Grenelle de l'environnement ou pour la défense. Par ailleurs, 46 millions seront consacrés aux très grandes infrastructures de recherche et 20 millions aux laboratoires de recherche, qui en ont un grand besoin.

Grâce au plan de relance, les crédits destinés aux organismes publics de recherche augmenteront de 5,5 %, contre 3,5 % initialement prévus. Au total, l'évolution sera onze fois supérieure à l'inflation !

Le crédit d'impôt-recherche poursuit quatre objectifs ambitieux. Le premier consiste à conserver les centres de recherche sur le territoire français, car les délocalisations seraient désastreuses. Nous voulons aussi attirer les centres de recherche des multinationales, en utilisant à cette fin la fiscalité la plus avantageuse d'Europe. Nous commençons à recueillir les fruits de cette politique avec des établissements comme Microsoft, IBM ou Général Electric. Nous voulons également stimuler l'innovation par les PME : alors qu'elles assurent 19 % des dépenses de recherche développement, elles percevront 35 % des crédits d'impôt-recherche. Plus de 450 millions d'euros bénéficieront ainsi à 5 000 PME. (M. David Assouline mentionne Total) Enfin, nous voulons développer les liens entre recherches publique et privée. Contrairement à une idée reçue, les laboratoires publics récupèrent une part de la dépense fiscale du crédit d'impôt-recherche. L'emploi de jeunes chercheurs est particulièrement encouragé.

Des crédits supplémentaires pour 3 800 millions d'euros permettront à l'État de payer aux entreprises en un an ce qu'elles auraient normalement perçu en trois. A 90 %, les sommes supplémentaires iront à des PME.

Bien sûr, il faudra évaluer ce dispositif mais on ne peut le faire dès la première année.

M. Bodin a parlé de la formation des maîtres via un mastère. Cette réforme doit revaloriser la carrière des enseignants du premier et du second degré.

C'est une chance pour les étudiants.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Une fameuse chance... en théorie.

Mme Valérie Pécresse, ministre.  - Du reste, cinq années de formation pour les futurs enseignants sont la norme en vigueur dans tous les grands pays.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Mais ils les font déjà, les cinq ans !

Mme Valérie Pécresse, ministre.  - La concertation est en cours. Notre objectif est de préparer l'année 2010 afin qu'elle se déroule dans les meilleures conditions et que l'on parvienne, en 2011, à une formation approuvée par tous. L'intégration des IUFM dans les universités va dans le sens de l'histoire, tous les pays forment leurs maîtres à l'université.

M. Jacques Legendre.  - Exactement.

M. Pierre-Yves Collombat.  - Et les antennes locales ?

Mme Valérie Pécresse, ministre.  - Elles conserveront leur rôle de formation de proximité des maîtres au plus près du terrain et des classes. Il n'y a pas de remise en cause...

M. Pierre-Yves Collombat.  - Comment cela ?

Mme Valérie Pécresse, ministre.  - J'ajoute que 20 000 bourses supplémentaires vont être créées, ainsi que des stages assortis d'une rémunération de 3 000 euros, des bourses au mérite...

M. Pierre-Yves Collombat.  - Nous le savons, tout cela, nous lisons le journal ! A quoi sert un tel débat si vous vous bornez à répéter ce que vous dites à la presse ?

Mme Valérie Pécresse, ministre.  - Ce qui serait grave, c'est que mon discours à la presse et mes propos devant vous divergent !

La biodiversité est une priorité pour notre pays, madame Blandin. Nous avons créé une fondation de coopération scientifique nationale pour rassembler tous les acteurs scientifiques concernés et je me suis personnellement engagée, au G8, auprès des autorités européennes et dans le cadre du programme des Nations unies pour l'environnement, à créer un Giec, un panel international sur la biodiversité afin de mieux lutter contre l'extinction d'espèces dont le monde est menacé. Je me bats afin que le siège de cet organisme, l'IPBES (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services), soit installé à Paris, en lien avec l'Unesco. Le Musée de l'homme, qui l'accueillerait, fait l'objet d'une rénovation pour 50 millions d'euros : vous le voyez, l'anthropologie et l'ethnologie ne sont pas, à mes yeux, des sciences inutiles, comme vous l'avez affirmé ! (Applaudissements sur les bancs UMP)

Le débat est clos.

La séance est suspendue à midi trente-cinq.

présidence de M. Gérard Larcher

La séance reprend à 15 heures.

Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les réponses du Gouvernement aux questions d'actualité.

Déficits publics et prélèvements obligatoires

M. Hervé Maurey .  - Depuis quelques jours, la question d'une augmentation des prélèvements obligatoires fait débat au sein même de la majorité. On l'a encore vu ce matin à l'Assemblée nationale, nous le verrons très certainement ici.

M. Roland Courteau.  - C'est sûr !

M. Hervé Maurey.  - Certains proposent de supprimer ou de modifier le bouclier fiscal, d'autres de s'inspirer de ce que font les États-Unis, soit un prélèvement supplémentaire sur les très hauts revenus. (On suggère, sur les bancs socialistes, de faire les deux à la fois) Un amendement en ce sens a été voté par la commission des finances de l'Assemblée nationale.

Toutes ces propositions résultent de la dégradation des finances publiques due à la crise économique.

M. Jean-Marc Todeschini.  - Pas seulement !

M. Hervé Maurey.  - Le prochain collectif établit le déficit budgétaire à 104 milliards d'euros, le total des déficits publics atteignant 5,6 % du PIB -contre respectivement 52 milliards et 3,1 % en loi de finances initiale, il n'y a guère que six mois. Ces initiatives répondent aussi à un souci d'équité et de justice fiscale et sociale : il n'est pas anormal qu'en cette période difficile, on pense qu'un effort de solidarité puisse être demandé à ceux qui en ont les moyens.

Le Président de la République a déclaré qu'il n'a pas été élu pour augmenter les impôts. Il a raison au regard du poids des prélèvements obligatoires dans notre pays ; j'avais moi-même émis des réserves lorsqu'une nouvelle taxe a été créée pour financer le RSA. Mais des circonstances exceptionnelles pourraient justifier des mesures exceptionnelles, pourvu qu'elles soient provisoires.

Dès lors que le Gouvernement n'envisage ni augmentation d'impôts, ni réduction des déductions fiscales, comment compte-t-il maîtriser les déficits et, a fortiori, les réduire ? La réduction des déficits et de la dette n'était-elle pas aussi un engagement de campagne du Président de la République ? (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit)

M. Jean-Marc Todeschini.  - Il l'a oublié !

M. André Santini, secrétaire d'État chargé de la fonction publique .  - Je vous prie d'excuser M. Woerth, retenu à l'Assemblée nationale par l'examen du collectif.

Le niveau des déficits traduit la gravité de la situation. Nous sommes en réalité confrontés à un déficit dû à la crise et à un déficit structurel. Nous devons nous assurer que le premier est temporaire et poursuivre les réformes pour réduire le second. Face à une crise de l'ampleur de celle que nous connaissons, nous ne pouvons mettre en péril la soutenabilité à moyen terme de nos finances publiques. C'est dire que nous ne pouvons nous tromper de solution. La hausse des impôts n'en est pas une ; quand on commence à augmenter ceux des plus aisés, le temps n'est pas loin où l'on augmentera ceux des autres. (Rires et exclamations à gauche) Je me réjouis de donner à la gauche l'occasion de parader... En cette période difficile, la justice et l'efficacité sont mieux servies par une baisse des prélèvements pesant sur les plus modestes que par une sanction pour les plus riches.

Nous avons eu un débat sur le bouclier fiscal il y a dix-huit mois ; le placer à 50 % est juste. Est-il interdit de réussir en France ? Silence à gauche ! (On s'amuse à droite) La clé, c'est d'agir sur les dépenses. Nous avons mis en place un plan de relance rapide, temporaire et ciblé sur l'investissement, qui est réversible et ne dégrade pas l'actif net de la France. Parallèlement, les dépenses courantes sont maîtrisées -qui augmentent deux fois moins vite que par le passé-, les réformes structurelles se poursuivent, les niches fiscales et sociales sont mieux contrôlées.

Un effort de relance ciblé, temporaire, qui prépare l'avenir, et une maîtrise sans précédent des dépenses courantes : nous sortirons de la crise plus forts que lorsque nous y sommes entrés. (Applaudissements à droite)

Bouclier fiscal (I)

M. François Marc .  - Ma question porte sur le bouclier fiscal. (« Ah ! » à droite) La crise financière, économique et sociale est là ; le peuple gronde aujourd'hui. Je vous prie d'excuser l'absence de nombre de mes collègues qui sont en ce moment aux côtés des manifestants. (Exclamations à droite)

La désinformation est sans effet : les Français savent faire la part de ce dont le Gouvernement est comptable et de ce qu'il ne maîtrise pas.

M. Roland Courteau.  - C'est vrai !

M. François Marc.  - La majorité de nos compatriotes connaissent chaque jour davantage de difficultés d'emploi, de pouvoir d'achat, de logement, d'éducation, de santé. Dans le même temps, ils voient des entreprises, certes pas toutes, verser de gros dividendes tout en licenciant et des dirigeants toucher des rémunérations indécentes. Ils voient aussi ce gouvernement persister à protéger les plus aisés en allégeant le poids de la contribution dont ils sont redevables envers la communauté nationale.

Alors que le déficit va battre tous les records, que les caisses sont vides, dixit le Premier ministre, ce gouvernement trouve de quoi envoyer 834 chèques de 368 000 euros en moyenne à des contribuables très aisés !

M. Claude Domeizel.  - Scandaleux !

M. François Marc.  - Ce scandale illustre la déraison de votre politique fiscale : les impôts des plus modestes servent à faire des chèques aux plus riches ! (Applaudissements à gauche)

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.  - On se croirait chez Eugène Sue...

M. François Marc.  - Il faut mettre fin à ce dévoiement de la République.

Si tant de voix s'élèvent aujourd'hui contre le bouclier fiscal, ce n'est pas uniquement pour une question de morale républicaine ; c'est aussi parce que pour lutter efficacement contre la crise, il faut s'appuyer sur une vraie solidarité.

M. le président.  - Votre question.

M. François Marc.  - Les gouvernements britannique et américain l'ont bien compris, en annonçant des hausses d'impôts pour les plus aisés.

Le bouclier fiscal est injuste et antirépublicain. Quand allez-vous le supprimer ? (Applaudissements à gauche)

M. André Santini, secrétaire d'État chargé de la fonction publique .  - (Applaudissements et encouragements sur les bancs UMP). Trois questions sur le sujet... je risque de me répéter !

Un bouclier à 50 %, c'est tout simplement juste. (On se gausse à gauche) C'est même une règle constitutionnelle chez plusieurs de nos voisins. Il s'agit d'éviter qu'on travaille plus d'un jour sur deux pour l'État ! La majorité a veillé, grâce au plafonnement des niches, à ce qu'un contribuable ne puisse plus s'exonérer de l'impôt en cumulant les avantages fiscaux. Avec 458 millions, le bouclier fiscal ne représente que 6 % du total lié à la loi Tepa, qui contient d'abord des mesures pour le plus grand nombre, à commencer par l'exonération des heures supplémentaires. (Exclamations à gauche).

M. Jean-Pierre Bel.  - Ce n'est pas la question !

M. André Santini, secrétaire d'État.  - Est-il illégitime de gagner de l'argent en France ? Non, bien sûr ! Serions-nous pervertis au point de dénigrer ceux qui réussissent ? (Protestations à gauche) Allez-vous montrer du doigt les chefs d'entreprise de votre circonscription qui investissent, y créent des richesses et de l'emploi ? (Protestations à gauche)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Ils délocalisent !

M. André Santini, secrétaire d'État.  - Plafonner la pression fiscale, c'est limiter les départs du territoire français. C'est une mesure de productivité. Assez de démagogie. Nous avons réparé deux offenses à la justice fiscale : que l'on puisse payer plus de 50 % -voire 100 % ou plus- de son revenu en impôt, et que la multiplication et le déplafonnement des niches permette à certains de s'exonérer complètement d'impôt.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - En effet, il y en a beaucoup.

M. André Santini, secrétaire d'État.  - Cette vérité doit être rappelée. (Applaudissements à droite)

M. Louis Mermaz.  - Quel est le gamin qui a rédigé ce texte ?

Le bouclier fiscal (II)

M. Bernard Vera .  - Ma question s'adresse à M. le Premier ministre. (Exclamations à gauche)

M. Jean-Marc Todeschini.  - Il n'est pas là !

M. Bernard Vera.  - Je tiens tout d'abord à saluer le puissant mouvement social qui réunit aujourd'hui des millions de manifestants, soutenu par 80 % de l'opinion. Nombre des membres de notre groupe sont dans les cortèges. Ce mouvement traduit l'inquiétude et la colère de la France qui travaille et qui crée les richesses, et appelle d'autres réponses que les mesurettes annoncées.

M. Roland Courteau.  - Très bien !

M. Bernard Vera.  - Après les succès des mouvements revendicatifs outre-mer, on attend d'autres solutions à la crise que les licenciements, le chômage partiel et le blocage des salaires et pensions. Cette aspiration à la justice sociale rend indécents le bouclier fiscal et les rémunérations exorbitantes des grands patrons ! Le bouclier fiscal est un cadeau éhonté à quelques privilégiés, au moment où la grande majorité du peuple doit se serrer la ceinture.

Le ministère des finances a beau prétendre que les deux tiers des 14 000 bénéficiaires sont de condition modeste, mais 834 ménages fortunés ont obtenu plus de 368 000 euros de remboursement en 2008, soit 300 années de Smic par contribuable ! Le bouclier fiscal coûte 458 millions : c'est plus que les crédits de la rénovation urbaine, ou que les aides versées par le ministère de la jeunesse et des sports ! Affirmer que le bouclier fiscal a favorisé le retour des émigrés fiscaux est un pur affichage.

M. le président.  - Votre question.

M. Bernard Vera.  - Notre proposition de loi tendant à abroger le bouclier fiscal viendra en discussion le 26 mars prochain, mais la majorité semble décidée à empêcher son adoption.

M. Alain Gournac.  - Eh oui !

M. Bernard Vera.  - Le Gouvernement va-t-il enfin entendre le peuple et supprimer cette disposition inique ? Appuierez-vous notre proposition ? (Applaudissements à gauche)

M. André Santini, secrétaire d'État chargé de la fonction publique .  - (Applaudissements sur les bancs UMP où ses amis encouragent André). Santini ter... Je risque de représenter le Gouvernement lors de l'examen de votre proposition de loi.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Affutez vos arguments !

M. André Santini, secrétaire d'État.  - Il n'est pas juste de stigmatiser les bénéficiaires du bouclier fiscal, qui avaient payé plus de 1,1 milliard d'impôts ! (Exclamations à gauche) Je vois que vous n'êtes pas sensibles à ce genre de détresse, mais ils versaient souvent plus de 80 %, voire 100 % de leurs revenus aux impôts !

L'impôt est une affaire de citoyenneté, non de confiscation. Est-il juste de payer plus de 50 % de ses revenus en impôts, de travailler plus d'un jour sur deux pour l'État ? Une telle situation n'existe nulle part ailleurs !

M. André Santini, secrétaire d'État.  - En France, la coexistence d'un impôt sur le revenu et d'un impôt sur le patrimoine élevés impose de plafonner la pression fiscale. La véritable injustice, c'était que certains contribuables s'exonèrent de l'impôt grâce aux niches fiscales : c'est pourquoi nous les avons plafonnées.

On n'est pas un voleur lorsque l'on réussit ! Vos mesures feraient partir les riches de France.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Ils partent déjà !

M. André Santini, secrétaire d'État.  - A une époque de grande mobilité du capital et de compétition entre pays européens, surtaxer aboutit à détaxer.

D'ailleurs le bouclier fiscal a un impact positif de ce point de vue : en 2007, les départs du territoire ont baissé de 15 % et les retours ont augmenté de 10 %. Ce coup de frein aux départs, c'est la première fois depuis 2000 qu'on l'observe et ce n'est pas un hasard si c'est la première année de mise en oeuvre du bouclier fiscal ! (Applaudissements à droite)

Aides agricoles aux zones intermédiaires

M. Henri de Raincourt .  - (Applaudissements à droite) - M. le ministre de l'agriculture nous a présenté il y a peu les modalités de mise en oeuvre du bilan de santé de la PAC, au terme d'une longue concertation. Près de 1,4 milliard d'aides directes reçues par les agriculteurs seront réorientées en 2010 pour consolider l'économie et l'emploi dans les territoires, soutenir l'élevage à l'herbe, prévoir un développement durable et instaurer la gestion des risques.

La profession sait qu'il est indispensable d'adapter la PAC dans la perspective de 2013. Mais les prélèvements de solidarité sur les grandes cultures risquent de créer des difficultés aux zones dites intermédiaires où des exploitations de taille moyenne obtiennent des rendements moyens sur des sols relativement médiocres. La suppression de soutiens indispensables à la survie de nombre de ces exploitations pourrait leur faire perdre jusqu'à 80 euros à l'hectare.

Comment faire évoluer le système pour qu'il prenne en compte la diversité de nos régions et assure à nos céréaliers, quelle que soit leur région, la juste rétribution de leur travail ? Pourrait-on appliquer progressivement, sur la période 2010-2013, les mesures décidées ? Enfin, pourrait-on accompagner financièrement les exploitations de type « spécialisé » ou « polyculture-élevage », ayant des surfaces consacrées aux productions végétales et qui s'engagent à développer la biodiversité ou à réduire notre dépendance énergétique grâce à leurs choix culturaux ?

M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement .  - Michel Barnier s'excuse de ne pouvoir vous répondre personnellement. Il est retenu à Bruxelles par les négociations de la PAC. Le Gouvernement est sensible aux inquiétudes que vous relayez. Malheureusement, la réorientation du 1,4 milliard ne peut pas être appliquée avec progressivité -c'est un accord européen- et elle interviendra sur les aides payées en décembre 2010.

Le ministre de l'agriculture, conscient des spécificités des zones intermédiaires, a soumis aux groupes de travail la situation des territoires qui ont des niveaux de soutien et de revenus plus faibles que les autres. Diverses voies sont à l'étude : réattribution prioritaire d'une partie des aides aux grandes cultures, accompagnement de la réorientation des productions, engagement sur un développement durable. Des décisions seront annoncées début avril.

La réorientation des aides est nécessaire pour préserver notre politique agricole commune dans les discussions qui vont s'ouvrir sur les perspectives financières dès le début de 2010. La pire des stratégies pour nos agriculteurs aurait été le statu quo. Soyez assuré que le Gouvernement prend en considération la situation particulière des zones intermédiaires dont vous êtes le très convaincant porte-parole. (Applaudissements à droite)

Relance par la consommation

Mme Françoise Laborde .  - Alors que les effets du plan de relance se font toujours attendre en particulier pour ceux, de plus en plus nombreux dont le pouvoir d'achat diminue, vous vous refusez toujours à agir sur la consommation et privilégiez uniquement l'investissement. Je vous invite, à lire le récent rapport du Sénat, rédigé par notre collègue Angels, qui démontre qu'une relance directe par la consommation serait rapidement efficace. Alors que les entreprises licencient, ajoutant la crise sociale à la crise industrielle, pourquoi persistez-vous dans la mauvaise direction ? Avec mes collègues radicaux de gauche et la majorité du groupe RDSE, je partage les inquiétudes des Français qui s'expriment avec force aujourd'hui, dans tout le pays contre votre politique et en particulier contre vos orientations en matière d'emploi et de pouvoir d'achat pour les plus modestes. Cette politique enfonce chaque jour un peu plus Ies Français dans la précarité, la pauvreté et l'incertitude.

La Révision générale des politiques publiques est synonyme de réduction drastique des emplois, y compris en zone rurale et dans les quartiers sensibles, dans les secteurs de la santé, de l'éducation, de l'enseignement supérieur et de la recherche, tous domaines où notre pays régresse. Dans le secteur privé, déjà 400 000 chômeurs supplémentaires sont annoncés pour 2009. Les indicateurs sont au rouge et les réponses du Gouvernement sont insuffisantes quand elles ne sont pas inadaptées,

Combien de temps faudra-t-il encore attendre avant que Gouvernement ne prenne la mesure de la crise qui frappe les Français ? Quand allez-vous cesser de gérer la crise et, enfin, intervenir avec détermination ? Quand allez-vous préférer le bouclier social à l'injuste et si indécent bouclier fiscal ? (Applaudissements sur les bancs socialistes) Quand allez-vous agir sur le seul véritable levier de relance qui soit : la consommation ? (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services .  - Nous ne partageons pas votre analyse et nous avons l'Histoire avec nous. Rappelez-vous l'échec historique de la relance par la consommation lancée par François Mitterrand ! (Vives protestations sur les bancs socialistes couvrant la voix du ministre) Cela montre l'inanité d'une telle relance. C'est pourquoi nous avons préféré une relance par l'investissement et choisi la réactivité d'un plan parmi les plus énergiques de tous ceux en vigueur chez nos partenaires. (Exclamations ironiques sur les bancs socialistes)

Je vous rappelle que la crise n'est pas française. Vous avez bien tort de stigmatiser le Gouvernement alors que vos amis socialistes espagnols ont enregistré, pour le seul mois de janvier, 350 000 chômeurs supplémentaires, (On juge, à gauche, l'argument hors de propos) alors que vos amis travaillistes anglais traversent la crise la plus profonde de leur histoire. Nous avons été parmi les plus réactifs de l'Union européenne. (Nouvelles exclamations à gauche) Les moyens consacrés à la politique de l'emploi ont augmenté de près de 25 % depuis le début de la crise ; les allocations de chômage partiel sont passées de 60 % à 75 % du salaire brut ; les salariés privés d'emploi bénéficient d'une meilleure indemnisation.

Nous soutenons l'emploi grâce à un dispositif en faveur des très petites entreprises, (Exclamations à gauche) qui rencontre un immense succès et a déjà permis l'embauche de 3 000 jeunes. Voilà la réalité. (Applaudissements à droite)

Obligations des entreprises recevant des fonds publics

M. Roland Courteau .  - Des centaines de milliers d'emplois sont menacés dans l'agro-alimentaire, la chimie, l'automobile, la distribution ; dans des entreprises comme Continental, Total, Sony Pontonx, Mamor... Mes collègues Carrère et Vantomme ne me démentiront pas. Certaines entreprises qui ont reçu des fonds publics se sont même délocalisées. L'exemple de Total, qui, avec 14 milliards de profits, ose annoncer 500 suppressions d'emploi est peut-être le plus frappant. Continental a trompé ses salariés en leur demandant des sacrifices au profit de nouveaux investissements : ils sont aujourd'hui au chômage. Tout cela avec pour seul objectif le profit, afin de servir leurs dividendes aux gros actionnaires et leurs revenus pharamineux aux dirigeants, et tant pis si les salariés sont sacrifiés !

Quelle est, face à cela, la réponse du Gouvernement ?

M. Roland Courteau.  - Il nous annonce qu'il sera exigeant et vigilant ? La belle affaire ! M. Sarkozy prédit l'avènement d'un nouveau type de capitalisme, affirmant qu'il n'admettra pas que les entreprises profitent de la crise pour se restructurer et supprimer des emplois. En réalité, rien ne se passe : la France a perdu 107 000 emplois, au dernier trimestre 2008 et l'assurance chômage annonce 400 000 destructions d'emplois en 2009. Le Gouvernement refuse de reconnaître ses erreurs. Il refuse de revenir sur le bouclier fiscal.

M. Alain Gournac.  - C'est reparti !

M. Roland Courteau.  - Que ne présente-t-il un projet qui permettrait au comité d'entreprise de se prononcer sur l'utilité économique d'un plan social et d'en évaluer les dégâts sociaux ? Mais il s'en garde bien !

Vous n'exigez même pas que des entreprises qui bénéficient des exonérations de cotisations sociales signent des accords salariaux ou de maintien de l'emploi. Cela, l'Europe ne l'interdit pas ! Quand réagirez-vous enfin contre ces pratiques scandaleuses d'entreprises qui bénéficient de fonds publics et engrangent des profits colossaux ? (Applaudissements à gauche)

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services .  - Je ne contredirai pas le début de vos propos sur l'augmentation sensible des problèmes sociaux et du chômage lié aux licenciements économiques.

M. Jean-Louis Carrère.  - Vous auriez du mal !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Mais vous oubliez de rappeler qu'il s'agit là d'une conséquence directe de la crise mondiale...

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - ... qui se traduit ailleurs par une explosion souvent bien plus spectaculaire du chômage, comme en Espagne. (On juge, à gauche, l'argument oiseux)

Vous dites que nous avons peu fait ? Ce qui distingue la France de ses voisins, ce sont bien les obligations fortes des entreprises en matière de plans sociaux. Ainsi, les entreprises de plus de 1 000 salariés qui licencient sont-elles soumises à des obligations de financement pour la revitalisation des territoires, tandis que celles de moins de 1 000 salariés doivent proposer des conventions de reclassement personnalisé.

Nous ne nous contentons pas de veiller à la bonne application de ces dispositions, nous faisons tout pour éviter les suppressions d'emploi (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame) C'est nous, et non pas vous, qui avons amélioré l'indemnisation du chômage partiel, en la portant à 75 %. Nous avons étendu à de nouveaux bassins le contrat de transition professionnelle. Vous avez beau tenter de nous imputer les effets d'une crise de dimension mondiale, les mesures que nous prenons valent mieux que vos incantations. (Applaudissements à droite)

Soutien à l'apprentissage.

M. Serge Dassault .  - Le nombre de jeunes sans emploi en France est malheureusement beaucoup plus élevé qu'ailleurs. Pourquoi ? (On daube sur les bancs socialistes)

Parce que notre système de formation scolaire est devenu inadapté aux motivations de certains de nos jeunes qui souhaiteraient une formation plus professionnelle que théorique.

M. Daniel Raoul.  - En avant la musique !

M. Serge Dassault.  - Le collège unique est un échec puisque chaque année 140 000 jeunes sortent du système scolaire sans aucune formation professionnelle. Ils deviennent des chômeurs quand ce n'est pas des délinquants. (Protestations à gauche)

La solution passe par l'apprentissage, plutôt que par le bachot, qui ne mène le plus souvent à aucun emploi. Notre ministre de l'éducation nationale devrait y réfléchir.

Pour développer l'apprentissage, il faut davantage d'entreprises d'accueil, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui. Car si les entreprises de plus de 250 salariés sont obligées de prendre des apprentis, il n'est rien prévu pour les plus petites. Aussi je vous propose d'abaisser ce seuil à 50 salariés.

Je voudrais aussi voir supprimées les modifications récentes au code du travail, qui obligent le chef d'entreprise à demander l'avis du médecin du travail pour poster des apprentis de moins de 18 ans sur machines tournantes.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Ben voyons !

M. Serge Dassault.  - Du coup, la plupart des chefs de petites et moyennes entreprises renoncent à prendre des apprentis de moins de 18 ans, qui sont ainsi bloqués dans leur formation.

M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté et à la jeunesse .  - Nous connaissons tous votre engagement en faveur des jeunes, en particulier au plan local. Je partage votre volonté de soutenir le développement de l'alternance, que ce soit sous la forme de l'apprentissage ou des contrats de professionnalisation. Car je sais que cela fonctionne. L'apprentissage est plébiscité par les employeurs et les jeunes, qui savent que huit apprentis sur dix trouvent un emploi. La crise a ralenti le mouvement. Il faut donc aider à le réamorcer.

Le fort développement de l'apprentissage de ces dernières années a été favorisé par les mesures prises depuis 2005, à l'initiative de Gérard Larcher, alors ministre du travail et de Jean-Louis Borloo. (Applaudissements sur les bancs UMP) Crédit d'impôt de 1 600 euros, revalorisation du statut d'apprenti, campagnes de promotion de l'apprentissage, création d'un fonds national de modernisation de l'apprentissage, quota de jeunes en alternance de 3 % dans les entreprises de plus de 250 salariés, à défaut de quoi une majoration de 0,1 % de la taxe d'apprentissage est applicable. Ces initiatives avaient été approuvées même par l'opposition.

Il nous faut poursuivre dans cette voie et consolider les fondations qui ont permis en peu de temps de passer à 480 000 apprentis. C'est l'un des enjeux des travaux de la commission de concertation sur l'autonomie des jeunes.

Faut-il être plus exigeant pour les entreprises de moins de 250 salariés ? L'idée est à creuser mais il faudrait prendre en compte la réalité des efforts de formation accomplis par l'entreprise avant de la surtaxer ; aujourd'hui, c'est tout ou rien. Il faudrait aussi considérer la durée réelle de présence des jeunes en apprentissage durant l'année.

Peut-on affaiblir les normes de sécurité pour l'utilisation des machines dangereuses par les jeunes mineurs en alternance ? Il n'en est pas question ! Le taux d'accidents du travail a diminué, on en va pas le faire repartir à la hausse. (Applaudissements à droite)

Pôle emploi

Mme Patricia Schillinger .  - Un an et demi après la création de « Pôle emploi » issu de la fusion de l'ANPE et des Assedic, on en voit l'inefficacité. Il est même inopérant, injoignable au téléphone -avec un numéro surtaxé !- et le nombre de dossiers en retard atteint les 68 000. Le Gouvernement reste de marbre alors que le nombre de demandeurs d'emplois vient de s'accroître de 250 000 en quatre mois et que tout laisse à penser que la barre des 10 % devrait être franchie avant la fin de l'année. Outre que le taux de chômage des jeunes ne cesse de s'élever, sont aussi touchés désormais les salariés qualifiés de 40 et 50 ans.

Les 45 000 agents de « Pôle emploi » sont déjà en surcharge de travail. Ils ne sont qu'un conseiller pour 120 chômeurs alors que l'objectif était d'un pour 60. L'inscription, l'indemnisation, l'accompagnement des chômeurs exigent une augmentation de cet effectif.

Les mesures prises par le Gouvernement sont inefficaces. Dans un contexte aussi difficile, il faut un service de l'emploi moderne. Quelles mesures d'urgence comptez-vous prendre ?

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services .  - La mise en oeuvre de « Pôle emploi » n'a commencé que le 1er janvier ! Ce levier supplémentaire offre désormais aux demandeurs d'emploi un seul interlocuteur, pour le placement et pour l'indemnisation, un seul système d'aides, qu'ils soient ou non indemnisés, un accompagnement renforcé grâce à la mutualisation des moyens. (Exclamations à gauche) Pour les entreprises, c'est aussi du plus. L'ensemble des simplifications apportées aux demandeurs d'emploi sera mis en place d'ici septembre, avec 100 % de guichets uniques à l'été ; la généralisation de l'entretien unique et des référents uniques à la rentrée.

Nous ne nions pas les difficultés. Une telle nouveauté ne peut se faire aussi facilement, dans un contexte rendu plus difficile par l'augmentation importante du nombre de demandeurs d'emploi du fait de la crise. Le Gouvernement a conscience des tensions fortes que cela entraîne et de la surcharge de travail que cela représente pour les 45 000 agents de « Pôle emploi », dont je salue la mobilisation exemplaire.

M. Bernard Frimat.  - Ils sont injoignables !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Afin de faire face à l'augmentation du nombre de dossiers, « Pôle emploi » a recruté des CDD et mobilisé ses agents y compris le samedi. Résultat, le nombre de dossiers en attente, qui avait fortement augmenté à la fin 2008, est retombé à 58 000, ce qui est le niveau normal. Il n'y a pas de retard pour le versement de l'indemnisation chômage.

Le Gouvernement étudie la demande d'un renfort des effectifs de « Pôle emploi », permettant de garantir aux demandeurs d'emploi un accompagnement adapté.

Le 39.49, numéro d'appel unique, a reçu plus d'un million d'appels, ce qui a entraîné des difficultés. Nous y avons apporté les réponses techniques appropriées et le taux d'aboutement dépasse désormais les 70 %, avec certes d'importantes disparités régionales.

Notre objectif doit être de tout faire pour apporter à ceux qui perdent leur emploi le meilleur des services. La fusion de l'ANPE et des Assedic, cela fait vingt ans qu'on en parlait, elle est désormais une réalité. Il y a d'un côté le ministère de la parole, de l'autre le ministère de l'action ! (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Daniel Raoul.  - Cela fait maintenant sept ans que vous nous le répétez !

Fonctionnaires de La Poste

M. Pierre Hérisson .  - Vous pardonnerez mon audace : avant de poser ma question, je voudrais remettre le badge de la candidature olympique d'Annecy à M. Laporte, secrétaire d'État au sport. (L'orateur joint le geste à la parole)

M. Jean-Marc Todeschini.  - Moi, j'ai un badge « Sauvons la recherche ! »

M. Pierre Hérisson.  - La loi du 2 février 2007 a ouvert aux fonctionnaires de La Poste la possibilité d'être intégrés dans les cadres de la fonction publique de l'État, de la fonction publique territoriale ou de la fonction publique hospitalière. Elle a toutefois limité dans le temps ce dispositif spécial de mobilité entre les fonctions publiques en fixant comme date butoir le 31 décembre 2009. Cette date a été retenue par référence à celle fixée par la loi du 31 décembre 2003 qui ouvrait la même possibilité pour les fonctionnaires de France Télécom.

Les agents ne peuvent demander leur intégration qu'après un an, dont quatre mois de mise à disposition pour un stage probatoire et huit mois de détachement. Or, la faculté ouverte prendra fin au 31 décembre 2009 et les fonctionnaires qui souhaiteraient aujourd'hui en bénéficier ne le peuvent plus depuis le 31 décembre dernier. Que dois-je répondre à mon postier haut-savoyard ? Le dispositif demeure-t-il opérationnel en 2009 ? Envisagez-vous de le proroger ?

M. André Santini, secrétaire d'État chargé de la fonction publique .  - Merci de ne pas m'interroger sur le bouclier fiscal, je pense que la leçon a porté et que chacun sait tout à présent... (On crie à la provocation sur les bancs socialistes)

En février 2007, la loi de modernisation de la fonction publique a ouvert aux fonctionnaires de La Poste la même faculté que celle qui avait été accordée aux agents de France Télécom. La difficulté que vous évoquez est réelle et je vous confirme que le Gouvernement souhaite que l'entrée dans le dispositif dérogatoire soit possible jusqu'au 31 décembre 2012, par parallélisme avec la durée retenue pour France Télécom. M. Woerth et moi-même avons écrit au président de La Poste, M. Bailly, le 27 octobre dernier pour formaliser cet engagement. Nous l'avons confirmé au président de la commission administrative de reclassement, précisant que le Gouvernement présentera courant 2009 les dispositions législatives de prorogation. Ainsi la commission pourra continuer à instruire les dossiers ; et votre postier haut-savoyard ne sera pas pénalisé, grâce à ce véhicule législatif particulier. (Sourires ; applaudissements à droite)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Un vélo ?

Moyens financiers des IUT

M. Philippe Adnot .  - Ma question porte sur la concrétisation des garanties données par le Gouvernement aux Instituts supérieurs de technologie (IUT). Lorsque nous avons réfléchi à la révision du mode de calcul des dotations, nous avons souhaité une plus grande équité et une meilleure efficacité dans l'utilisation des moyens. Notre rapport, remis en juin dernier au nom de la commission des finances et de la commission des affaires culturelles, préconisait une enveloppe financière globale allouée par l'université à ses IUT, pour qu'ils puissent mettre en oeuvre leurs projets. Où en est-on aujourd'hui ? Je pense au pourcentage reposant sur la performance et l'insertion professionnelle des étudiants ; et au coût plus élevé des formations en IUT. Pouvez-vous conforter les directeurs de ces instituts qui jouent un rôle majeur dans notre système d'enseignement et plus particulièrement dans la professionnalisation des formations ?

Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Les IUT sont l'un des piliers de l'enseignement supérieur et l'une des filières de réussite. Ils dispensent une formation de qualité et participent à la dynamique des territoires. Leurs résultats sont impressionnants quant à l'insertion professionnelle. Les universités autonomes doivent donc tenir compte de leurs spécificités. J'ai souhaité que les présidents d'université et les directeurs d'IUT signent une charte, à laquelle je conférerai une valeur réglementaire. Elle sera adressée demain aux intéressés. Les IUT doivent conserver les moyens, financiers et humains, de s'épanouir. Il y aura un contrat d'objectifs et de moyens entre les présidents d'universités et les directeurs d'IUT ; il sera transmis en juin à mon ministère. Tous les présidents se sont engagés à maintenir a minima les moyens actuels de chaque IUT en 2009 et 2010. L'État y a ajouté 5 millions d'euros pour améliorer l'accueil des bacheliers et faire mieux fonctionner l'ascenseur social, crédits qui seront reconduits en 2009. Et dans le plan de relance, 10 millions d'euros seront affectés à l'équipement des IUT. Enfin, les instituts seront associés à la réflexion sur le modèle d'allocation des moyens que vous avez mentionné. Les IUT comptent pour vous : sachez qu'ils comptent pour nous. (Applaudissements sur les bancs UMP).

La séance, suspendue à 15 h 55, reprend à 16 h 5.

Rapport annuel du Médiateur de la République

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la communication de M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, sur son rapport annuel. (M. le Médiateur de la République prend place dans l'hémicycle)

Monsieur le Médiateur de la République, cher Jean-Paul Delevoye, je vous souhaite, au nom du Sénat tout entier, mais aussi pour la première fois en mon nom personnel, une cordiale bienvenue dans notre hémicycle où vous venez remettre aujourd'hui votre rapport annuel.

Vous exercez la mission difficile, et pourtant essentielle à notre République, consistant à faciliter, par votre action, les relations des citoyens avec l'administration et à rechercher des solutions concrètes aux difficultés et appréhensions du quotidien.

Il est très symbolique de constater que vous avez déposé devant nous votre rapport au cours de la première semaine qui, en application des nouvelles règles constitutionnelles entrées en vigueur le 1er mars, soit consacrée dans son intégralité au contrôle de l'action du Gouvernement.

Vos observations, la relation directe que vous entretenez tant avec les autorités administratives qu'avec nos concitoyens, avec le Sénat et moi-même, puisque nous avons eu un long échange la semaine passée, constitue une évaluation in vivo -vous reconnaissez le vétérinaire que je suis !- des conditions d'application de la loi.

Vous contribuez donc à faire progresser la réflexion du Sénat sur cette question. Vous avez déjà pu le constater : les expériences vécues relatées dans votre rapport nous servent ainsi régulièrement, dans notre fonction de parlementaires, à contribuer par nos initiatives à améliorer la loi et l'effectivité de sa mise en oeuvre.

C'est donc avec une grande attention que nous allons écouter maintenant.

M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République.  - (Applaudissements) Je vous remercie pour votre accueil et la richesse de nos relations, marquées par la constante volonté de connaître l'application réelle des textes et la situation de nos concitoyens. Je remercie également le président de la commission des lois pour sa collaboration en vue de réformes législatives issues de mes observations.

Mes trois grands domaines de compétence concernent les services publics, les droits de l'homme et les voies de réforme.

Bien que les moyens mis à notre disposition soient restés identiques, avec une centaine de collaborateurs à Paris, nous avons intégré le 1er janvier une plate-forme téléphonique dédiée au pôle santé-sécurité-soins. Nous avons 386 points d'accueil, un délégué référent au sein de chaque maison départementale du handicap et 45 délégués en milieu carcéral.

Nous avons amélioré l'accueil, nous appliquant à ne perdre que 5 % des appels, au lieu de 25 % autrefois. Pour la première fois dans l'administration française, un e-délégué du Médiateur est joignable à toute heure.

Les thèmes pour lesquels nos concitoyens nous sollicitent sont, dans l'ordre décroissant, le surendettement, le pôle santé, les impôts, les amendes et infractions routières, les relations entre locataires et propriétaires.

Sur les 65 000 dossiers traités chaque année, plus de la moitié comportent exclusivement des demandes d'information. Lorsqu'on a un souci avec les pompiers ou les gendarmes, on sait qui joindre, mais pas pour les difficultés d'ordre personnel. Il faudra donc développer les centres d'accès aux droits en faveur des personnes en difficulté, de plus en plus isolées.

Grâce à la mobilisation du personnel, nous avons traité 20 % de demandes supplémentaires. Les dossiers sociaux viennent en première ligne, avec plus de 34 % du total.

Nous avons orienté le développement de notre action dans plusieurs directions, particulièrement vers le milieu carcéral. Je salue à ce propos le travail du Sénat pour la dernière loi pénitentiaire. Grâce à mes contacts avec le Commissaire européen aux droits de l'homme et avec la Cour de justice, je sais à quel point ce texte était regardé à l'échelle européenne et internationale.

Les délégués du Médiateur sont nécessaires dans les prisons car la privation de liberté n'est pas la privation du droit. D'ici 2010, tous les détenus seront couverts.

Nous avons noué un partenariat avec le contrôleur général des lieux privatifs de libertés.

Le 1er janvier 2009, nous avons créé un pôle santé-sécurité-soins intégrant la Mission pour le développement de la médiation, de l'information et du dialogue pour la sécurité des soins (Midiss). Des experts et des médecins répondent aux appels téléphoniques concernant les difficultés liées aux parcours de santé. Auparavant, sur 150 appels reçus chaque mois, la moitié concernait les affections nosocomiales. Depuis janvier, ces dernières ne sont plus liées qu'à un quart des 500 appels reçus par mois. Avant janvier, la moitié des réclamations traitées par la médiature étaient des demandes d'informations. Celles-ci représentent désormais 47 % des appels reçus par le pôle. Que s'est-il passé ? Dans 90 % des cas, le dialogue entre les acteurs de la santé et les patients vise à apaiser une douleur ou une inquiétude et non à judiciariser les problèmes.

L'administration donne le plus souvent la priorité à la protection du système plutôt qu'à la protection de l'individu. La culture est à la sanction du signalement, et la carrière est privilégiée plutôt que l'adaptation du système. Et parmi les cinq sortes de signalement existant, comment distinguer l'événement potentiellement dangereux de l'événement indésirable grave ? Les procédures diffèrent, et certains signalements sont sanctionnés. Nous devons simplifier ce système afin de mieux juger de la situation.

Dans le monde hospitalier, on compte 450 000 événements indésirables graves, dont les conséquences varient de l'altération de la santé à la mort. 85 % proviennent d'erreurs de procédure, 15 % d'erreurs médicales. L'étude de l'Observatoire des signalements date de 2005 : pour débattre de cette question, il nous faut connaître plus précisément la réalité. Le pôle santé-sécurité-soins, par son indépendance, par le partenariat qu'il a instauré avec les professionnels de santé, permettra d'améliorer la gestion des risques et l'analyse des erreurs. Nous pourrons ainsi répondre aux attentes des victimes, qui cherchent davantage à comprendre les faits qu'à condamner les médecins.

J'attire l'attention du président de la commission des lois sur le fait qu'il s'agit de l'avant-dernier rapport du médiateur. Vous allez travailler à l'élaboration de lois organiques prévoyant le basculement de la médiature vers le défenseur des droits. Nous devrons étudier avec vous certaines questions liées au mode de saisine et à son périmètre, ainsi qu'aux pouvoirs tenant aux recommandations en équité. Ainsi, nous avons un débat avec l'administration fiscale concernant une profession libérale qui, assujettie depuis un an à la TVA, a reçu un appel de taxes pour les quatre années précédentes. Sur ce cas, on a reconnu que j'avais moralement raison, mais juridiquement tort, et qu'il n'était pas possible de réviser l'amende car le redevable n'est pas considéré comme un contribuable mais comme un collecteur d'impôts.

Dès les premiers débats sur la démocratie entre Platon et Aristote, le premier soulevait l'imperfection de la loi quand le second plaidait pour le pouvoir du juge. Dès 1973, votre assemblée a jugé que l'application de la loi pouvait aboutir à des situations injustes car le législateur ne pouvait prévoir toutes les situations possibles. (M. Nicolas About, président des la commission des affaires sociales, approuve) La création du médiateur devait permettre de juger en équité et non en droit. Il faut aujourd'hui étudier la faculté de décharger un fonctionnaire en s'appuyant sur une recommandation en équité. Cette question touche également à la protection des fonds publics car l'administration a parfois intérêt à être condamnée pour justifier les dépenses engagées plutôt qu'à suivre une recommandation qui épargnerait l'argent public.

Il faudra également réfléchir aux modalités d'accès aux documents : trop souvent, quand l'administration risque d'être mise en cause, certains documents disparaissent. C'est le cas, notamment, pour les dossiers médicaux, les pièces n'étant pas codifiées. Pour restaurer la confiance entre l'administration et les administrés, il est nécessaire d'avoir le courage de la vérité. L'équilibre de notre société est aujourd'hui très fragile : si l'on ne croit plus à la force du droit, on revendique le droit à la force ; si le dialogue fait défaut, la violence s'impose. Il en est de même pour l'inspection en injonction et la saisine du Conseil d'État. Ainsi, la lecture d'une circulaire peut varier d'un département à l'autre, et la décision du Conseil d'État se fait attendre deux ou trois ans.

Quelles sont les impressions ressenties par nos services ? S'agissant des agents publics, c'est le sentiment de précarité qui prédomine ; pour la fiscalité, c'est la complexité et l'insécurité juridique ; dans les administrations générales et l'urbanisme, c'est une réglementation extrêmement compliquée. En l'absence d'informations précises, les élus locaux s'adressent à des experts, qui ne sont pas toujours compétents dans les conflits d'urbanisme.

Sur le plan social, les textes ne tiennent pas compte de la mobilité croissante et des fractures de parcours. Ainsi, la coordination des législations fait défaut en cas de mobilité à l'intérieur de l'Europe ; les conventions collectives ne s'accordent pas lors d'un changement de travail ; le suivi des dossiers se fait difficilement en cas de rupture de couple et de changement de département. La réorganisation des structures liées à l'emploi et aux allocations familiales coïncide avec une demande accrue des chômeurs. Il ne faut pourtant pas ajouter une rupture à une rupture, et l'attente des allocations durant deux ou trois semaines peut créer de sérieuses difficultés. Soyons attentifs à ce que les amortisseurs sociaux dont nous disposons en France ne soient pas paralysés par des dysfonctionnements, au risque de créer des situations d'endettement critiques.

En matière de santé, nous souhaitons que l'on passe de la culture de la faute à la culture de l'erreur. La faute est inexcusable alors que l'erreur peut être expliquée et les procédures modifiées en conséquence.

Le droit à la bonne administration fait partie des chartes des droits fondamentaux. Or, la non-réponse de nombreuses administrations crée une insécurité juridique. Les préjudices sont considérables et les possibilités de recours mal connues.

Le mal endettement sera abordé par les lois Lagarde et Hirsch. Nous remercions le Parlement et le Gouvernement d'avoir saisi la médiature à ce sujet.

Les décideurs devront désormais agir dans des domaines dans lesquels ils seront de moins en moins compétents et la qualité de leurs décisions dépendra de la qualité des experts. Or les magistrats manquent d'experts compétents. Il faut réfléchir à la qualification des experts judiciaires, notamment dans les domaines de la santé. Ainsi, un obstétricien a tout perdu pendant quinze ans en raison de deux expertises avant d'être rétabli dans ses droits lors d'un jugement approuvé par tous les professionnels. Je souhaite également que l'on réfléchisse au principe de précaution, qui justifie parfois une non-décision, parfois une contestation de la décision.

S'agissant des ruptures de couple avec enfants, la médiation familiale est nécessaire dans les tribunaux de grande instance. Il serait utile que les juges puissent ainsi rétablir le dialogue afin que les enfants ne supportent plus une double souffrance : séparation, puis déchirement des parents. Les expériences québécoises témoignent des avantages que nous pouvons en attendre.

Je n'ai pas à me prononcer sur le Pacs, mais les faits sont là et il s'agit d'une communauté juridique. En 2008, 145 000 couples, soit 42 % de plus que l'année précédente, à 85 % hétérosexuels ont choisi une communauté juridique et pas seulement affective. Nous avons évité le risque que la cohabitation informelle ne débouche sur la disparition des pensions de réversion dans quarante ans. Or, les fonctionnaires ont droit à quatre jours de congé pour la signature d'un Pacs, pas les salariés du privé. Ces derniers, comme les fonctionnaires territoriaux, bénéficient du capital décès, mais pas les fonctionnaires de l'État... C'est incompréhensible. Et pourquoi les pacsés n'ont-ils pas droit à une pension de réversion - même si l'on peut la subordonner à une franchise de deux ans ?

S'agissant des retraites, le régime général calcule les pensions sur les vingt cinq meilleures années civiles. Donc, si le départ en retraite a lieu en cours d'année, les acquis des derniers mois sont perdus. Vous pourriez réfléchir sur ce sujet. De même, lorsque j'étais ministre de la fonction publique, je me suis battu pour que soit majorée la durée d'assurance pour les femmes élevant des enfants seules, mais j'ai oublié les hommes. Je le regrette.

Vous avez fait aboutir des réformes importantes, même si elles touchent parfois à des détails, par exemple pour mettre à égalité au regard du paiement de la redevance les détenus qui ont de l'argent et ceux qui n'en ont pas.

Le Gouvernement se réjouit de la montée en puissance du statut d'auto-entrepreneur ; peut-être faut-il faire en sorte que le chômeur qui adopte ce statut ne perde pas ses droits après deux ans s'il dépose son bilan.

Je vous sais très attentifs à la publication des décrets d'application. Je mesure ce que je vous dois sur les tutelles et les curatelles, mais je suis un peu fâché de voir que des instructions précises n'ont pas été données aux tribunaux, que certains d'entre eux n'ont pas fait le travail nécessaire pour distinguer ceux qui sont psychologiquement fragiles de ceux qui le sont socialement ; et que certains conseils généraux n'ont pas mis en place l'accompagnement social prévu. La mobilisation est très diverse : là est l'iniquité.

Vous avez voté une loi sur l'assurance-vie en déshérence ; le Gouvernement devait remettre un rapport au 1er janvier 2009 pour faire le point sur le nombre de contrats concernés et les sommes versées au fonds de solidarité des retraites. Il n'a pas été publié.

Je vous invite à regarder de près le défaut de collaboration entre médecins du travail et médecins conseil, s'agissant des droits, lors de la reprise du travail, selon que les personnes sont considérées comme malades ou handicapées ; de même que la réalité de l'attribution de plein droit des allocations familiales pour les enfants résidant en France ...

J'ai reçu une lettre du ministre de la défense relative à l'indemnisation de victimes des essais nucléaires ; la question demeure : prise en charge par les pensions militaires ou par un fonds dédié ? Une indemnisation est de toute façon nécessaire.

Je regrette l'absence de décision politique sur des questions parfois douloureuses. Ainsi de la situation des enfants nés sans vie, sur laquelle je vous avais alertés. Selon l'OMS, la viabilité est établie à 22 semaines d'aménorrhée. La Cour de cassation a dénié toute valeur juridique à la circulaire prise sur ce fondement, non sans raison. Mais aujourd'hui les politiques sont divisés entre ceux qui veulent redonner une valeur juridique à la notion de viabilité et ceux qui craignent de voir relancé le débat sur le statut du foetus. Or sans seuil légal de viabilité, c'est la pratique hospitalière qui prévaut ; et les services d'état civil des collectivités locales sont laissés dans l'indécision. La déclaration est certes de la responsabilité des parents, mais en l'état actuel de la réglementation, alors que toutes les grossesses prématurément arrêtées devraient être déclarées, elles ne le sont pas. L'absence de décision politique n'est pas sans conséquences : au-delà de 22 semaines d'aménorrhée, le congé est de maternité, en deçà il est de maladie... Le congé de quatre jours accordé au père est de même fondé sur les 22 semaines. Vous ne pouvez pas ne pas décider : ou la suppression de la notion de viabilité dans tous les codes, ou sa clarification. Sinon, je le répète, c'est la pratique médicale qui dira ce qu'elle est, 15, 17, 22 semaines... En résumé : l'absence de décision politique crée la confusion pour les médecins, pour les officiers d'état civil, pour les familles. Il faudra aussi se préoccuper de l'inhumation du corps de ces enfants à quelque stade de développement qu'ils soient décédés.

Je vous invite d'autre part à réfléchir, dans le cadre de la loi bioéthique, aux 18 000 amputations rendues nécessaires par des diabètes. La religion musulmane prescrit que le corps doit être enterré en entier ; quel est le statut du membre amputé ? Comment répondre aussi aux personnes de culture africaine qui demandent à récupérer le placenta pour l'enterrer ? Ces questions éthiques lourdes ne peuvent être laissées aux seuls médecins et gestionnaires hospitaliers, dont les pratiques sont diverses. Ce serait à l'honneur des politiques de s'en saisir.

Je vous invite à user de votre pouvoir afin que paraisse le décret relatif à l'indemnisation des victimes de l'affaire du sang contaminé.

La situation actuelle est anxiogène, dominée par les peurs, les humiliations, les espérances. Certains nourrissent les peurs, d'autres réagissent aux humiliations, les espérances sont parfois difficiles à cerner. Parmi les facteurs d'apaisement il y a l'écoute et le respect. Le service public doit écouter, accompagner plutôt que gérer. Il faut faire confiance aux fonctionnaires mais aussi leur reconnaître un droit à l'erreur. Il n'y aura de « mieux vivre ensemble » que si est restaurée la confiance de nos concitoyens dans leurs institutions. Sinon c'est le rapport de forces qui prendra le pas sur le dialogue.

Je salue enfin le rapporteur du texte sur le mal-endettement que j'ai oublié tout à l'heure. (Applaudissements)

présidence de M. Bernard Frimat,vice-président

M. le président.  - Le Sénat vous donne acte de cette communication.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Votre rapport d'activité confirme que l'institution dont vous avez la charge s'est imposée comme un acteur majeur de notre paysage administratif ; sa notoriété est croissante auprès de nos concitoyens. Votre action a été placée sous le signe de la proximité : grâce à vos délégués, l'institution est présente dans un nombre croissant de points d'accueil, dont les maisons du droit -vous avez souligné combien nos concitoyens ont besoin d'un accès au droit- les préfectures et les sous-préfectures. Les mêmes délégués assurent parfois un accueil dans deux ou trois lieux différents.

Leur présence en prison est emblématique ; expérimentée depuis 2005, elle a été généralisée par une convention signée le 25 janvier 2007 par le Médiateur et le ministère de la justice. Vous notez dans votre rapport qu'en un an le nombre de détenus ayant un accès direct à un de vos délégués est passé de 26 500 à 44 000, soit les deux tiers de la population carcérale. Les délégués jouent un rôle essentiel en prison, comme l'ont justement rappelé MM. Peyronnet et Lecerf. M. Peyronnet s'est rendu en novembre dans les Yvelines et y a rencontré deux d'entre eux, dont il a noté le dynamisme et la compétence ; il a pu constater à la maison d'arrêt de Bois-d'Arcy que leur intervention était appréciée des détenus, y compris lorsqu'elle portait sur des dossiers que l'administration pénitentiaire pouvait traiter elle-même. Aux dires des délégués rencontrés, les détenus ont besoin d'être écoutés par un tiers de confiance ; les échanges sont pour eux un exutoire. M. Lecerf, de son côté, rapporteur de la loi pénitentiaire -merci d'avoir rendu hommage au travail du Sénat sur ce texte ; j'espère que vous pourrez dire de même de celui de l'Assemblée nationale- a retenu des propos des chefs d'établissements que la présence des délégués, dont nous avons consacré le rôle, était un facteur d'apaisement en détention.

En effet, la privation de liberté ne signifie pas la privation de l'accès au droit.

Poursuivant votre engagement dans la lutte contre le mal-endettement, vous avez formulé plusieurs propositions de réforme. L'amélioration du fonctionnement du Fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP) me paraît essentielle. Ce « fichier des surendettés » ne doit pas être confondu avec le fichier des interdits bancaires géré par la Banque de France.

L'extinction de l'action en recouvrement des sommes dues doit conduire à la radiation de ce fichier.

D'une manière générale, la commission des lois, et notamment M. Türk, président de la Cnil, est très attentive au traitement des données à caractère personnel et au traçage des individus. Un groupe de travail animé par Mme Escoffier et M. Détraigne vient d'être constitué sur ce thème.

Si l'intérêt du fichier n'est pas en soi contestable, la Cnil est régulièrement saisie de réclamations concernant des inscriptions à tort ou des « défichages tardifs » alors que les situations ont été régularisées. Ces mêmes problèmes de mise à jour ou d'inscription erronée avaient été relevés à propos des fichiers Stic et Judex.

M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République.  - Absolument.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Vous avez opportunément proposé il y a deux ans une amélioration des conditions de transmission des suites judiciaires par les parquets, et des garanties pour les citoyens susceptibles de faire l'objet d'une enquête administrative donnant lieu à la consultation de ces fichiers.

Vous préconisez une réforme des expertises médicales judiciaires et suggérez notamment que l'expert déclare systématiquement au juge et aux parties l'absence de conflit d'intérêts risquant de porter atteinte à l'impartialité de ses analyses. La commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur l'affaire d'Outreau avait opportunément repris la proposition du rapport Viout d'instaurer « une obligation de déclaration d'appartenance à une association lorsque l'affaire porte sur des faits pour lesquels cette association peut se porter partie civile ».

Vous appelez l'attention sur certains problèmes d'application des lois, soulignant que « la vie politique ne saurait se contenter de voter des lois en négligeant leur mise en oeuvre ». Vous notez ainsi que la loi sur la tutelle des majeurs protégés, pourtant applicable à compter du 1er janvier 2009, risque de connaître de grandes difficultés d'application, car les départements et les parquets y sont peu préparés. C'est inadmissible. Chaque année, le bilan du contrôle de l'application des lois est présenté à la Conférence des Présidents, ce qui permet au ministre chargé des relations avec le Parlement de relayer les observations de nos commissions. Au-delà, le Sénat entend exercer pleinement sa mission d'évaluation des politiques publiques, désormais consacrée à l'article 24 de la Constitution.

Je conclurai en évoquant l'avenir de votre institution. La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a créé un nouvel article 71-1 instituant un Défenseur des droits.

Notre assemblée a modifié le texte initial du Gouvernement en retenant le nom de « Défenseur des droits » au lieu de « Défenseur des droits des citoyens », car l'autorité devra être accessible aux mineurs et aux étrangers ; en étendant son champ aux autorités administratives indépendantes compétentes à l'égard du secteur privé ; en permettant au Défenseur de se saisir d'office ; en l'assistant par un collège pour l'exercice de certaines de ses attribution ; en précisant enfin que le Défenseur devrait rendre compte de son activité au Président de la République et au Parlement. Nous attendons donc le dépôt de la loi organique qui définira le statut et les fonctions de ce Défenseur, qui reprendra, en les étendant, vos attributions et pourra être saisi directement. La commission des lois du Sénat militait depuis de nombreuses années pour la suppression du filtre parlementaire obligatoire.

Monsieur le Médiateur, votre mission paraît plus que jamais essentielle dans une société qui aspire à un droit accessible et à une administration respectueuse des droits fondamentaux, au niveau de l'État mais aussi des collectivités territoriales.

M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République.  - Absolument.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Soyez assuré du soutien et de l'attention que notre commission et le Sénat tout entier portent à votre action. (Applaudissements à droite et au centre)

Violences faites aux femmes(Question orale avec débat)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat de Mme Michèle André à M. le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville sur la politique de lutte contre les violences faites aux femmes.

Mme Michèle André, présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, auteur de la question.  - Quelques jours après la réaction féroce de l'église catholique à l'IVG d'une fillette victime d'un inceste au Brésil, après la polémique sur la contraception, et à quelques jours de la conférence de Durban II sur le racisme, qui promeut des thèses sexistes, notre débat s'inscrit dans un contexte où la dignité de la femme est mise en cause.

La loi du 4 avril 2006 est née de l'initiative parlementaire et a recueilli l'unanimité au Sénat comme à l'Assemblée nationale. La paternité en revient à Roland Courteau : par la force et l'humanité de ses arguments, il a convaincu le groupe socialiste de signer avec lui une proposition de loi programme, ciblant les violences « au sein du couple » -en dépassant la notion de violence conjugale stricto sensu- et traitant toutes les composantes du problème : prévention, aide aux victimes et sanction. Dans le même sens, la proposition de loi de Mme Borvo Cohen-Seat et du groupe communiste insistait sur la nécessité de former les acteurs sociaux, médicaux et judiciaires à la problématique des violences conjugales. Le thème des violences faites aux femmes a, bien entendu, constamment imprégné les travaux de la Délégation, et les avancées législatives sur l'éloignement du conjoint violent lors de la réforme du divorce ont été suscitées par ses analyses.

La loi que nous avons adoptée a levé un des tabous majeurs de la société française. Madame la ministre, vous êtes ici dans la lignée de toutes ces femmes ministres qui, depuis la première campagne que j'ai lancée en 1989 lorsque j'étais moi-même à votre poste, ont contribué à mettre un peu plus en lumière le problème. Car nous revenions de loin ! Il est certes difficile de parler des violences familiales, mais il faudra tout de même que les historiens et les sociologues nous expliquent un jour pourquoi il a fallu attendre 2006 pour débattre de ce thème sur les bancs de nos assemblées parlementaires. Comment expliquer ce très long silence législatif alors que nous avons toujours su qu'ils étaient nombreux, ces enfants et ces adultes à jamais traumatisés par ces violences familiales ?

Nous avons rendu un grand service à notre pays en faisant en sorte que la loi appelle enfin par leur nom les violences familiales. L'impulsion législative a ainsi été donnée, mais il ne suffit malheureusement pas de légiférer, même à l'unanimité, pour surmonter les blocages de la société française. Dès lors, deux séries de motifs conduisent notre Délégation à interroger le Gouvernement sur la mise en oeuvre de ce texte. D'abord, l'article 13 de la loi du 4 avril 2006 prévoit que « le Gouvernement dépose tous les deux ans, sur le bureau des assemblées parlementaires, un rapport sur la politique nationale de lutte contre les violences, au sein du couple ». Il s'agit là non pas d'alimenter la profusion d'écrits administratifs mais bien, conformément à l'esprit de nos institutions, de vérifier l'impact, sur le terrain, du dispositif que nous avons voté. C'est un exercice difficile qui a été demandé au Gouvernement et on peut se réjouir que ce rapport ait finalement été publié avant-hier.

M. Roland Courteau.  - In extremis !

Mme Michèle André, présidente de la Délégation, auteur de la question.  - J'y vois une première illustration de l'efficacité de nos séances de contrôle du Gouvernement. J'espère toutefois que nous ne serons pas obligés, à l'avenir, d'organiser systématiquement un débat comme celui d'aujourd'hui pour hâter la sortie de rapports qui doivent en principe être publiés tous les deux ans...

Cette loi d'avril 2006, loin de rejoindre le trop vaste assortiment des textes peu ou pas du tout appliqués, a enclenché une véritable dynamique. Deux indices en témoignent. Du point de vue législatif, un an après le vote de cette loi, une avancée complémentaire, également suggérée par la proposition de loi Courteau, a été apportée par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance. Elle concerne le suivi socio-judicaire des auteurs de violences familiales qui a été élargi, à l'article 222-48-1 du code pénal, de façon à permettre au juge d'y soumettre non seulement le conjoint, le concubin ou le partenaire de la victime mais aussi les « ex » et également, lorsque l'agression concerne un mineur de 15 ans, l'ascendant légitime, naturel ou adoptif, ou toute autre personne ayant autorité sur la victime.

Il semble que tous les magistrats aient trouvé dans ce texte des outils préventifs et répressifs. Dès lors, faut-il aller plus loin dans le perfectionnement du code pénal ? Sur la base de la pratique judiciaire qui a suivi l'adoption de cette loi, le Gouvernement estime-t-il aujourd'hui pertinent d'introduire une incrimination spécifique des violences habituelles, physiques ou psychologiques au sein du couple ? Il y a trois ans, une telle incrimination, préconisée par notre proposition de loi avait suscité des objections, notamment celle du rapport établi au nom de la commission des lois par M. de Richemont : « les violences au sein du couple apparaissent presque toujours comme des violences habituelles ». On nous opposait aussi que cette incrimination risquait de soulever des difficultés dans les « imputations de causalité » entre le fait générateur et le préjudice. Les esprits ont évolué sur ce point, une telle incrimination existe en Espagne (M. Roland Courteau le confirme) et, en France, la notion de violence habituelle figure déjà dans le code pénal pour protéger les mineurs de 15 ans, sans que ce texte ait suscité des difficultés d'application insurmontables. Certaines agressions légères et isolées sont difficilement punissables : accepterons-nous d'inscrire dans la loi que leur répétition peut, à la longue, rendre la vie de couple insupportable ? Le Gouvernement peut-il nous faire part des réflexions du groupe de travail interministériel constitué sur ce thème en juillet 2008 ?

N'ayons pas peur, pour l'instant, de l'explosion des chiffres : 47 500 cas en 2007, soit 30 % de plus qu'en 2004. La Délégation a souvent relayé les témoignages de la difficulté à faire enregistrer une plainte par la gendarmerie ou la police. Ce ne sont pas les violences familiales qui ont augmenté de 30 % mais les faits enregistrés par la police ou la gendarmerie. (M. Roland Courteau approuve) Félicitons-nous plutôt de l'amélioration de l'écoute des victimes. Le Gouvernement peut-il solennellement s'engager à poursuivre les efforts dans ce sens en évitant le piège qui consisterait à craindre de « mauvais » chiffres -alors qu'ils confirment, de façon très positive, la levée d'un tabou.

Le Gouvernement a attribué à l'élimination de la violence à l'égard des femmes, le label de « campagne d'intérêt général pour 2009 » en prévoyant de la faire reconnaître comme « grande cause nationale » en 2010. Nous serons attentifs aux moyens financiers que vous lui consacrerez pour appuyer l'action des associations, indispensable en ce domaine.

Notre devoir est aussi d'attirer l'attention sur le silence des femmes qui se trouvent dans les situations les plus tragiques. Lors de la discussion du texte qui allait devenir la loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile, j'avais demandé le renouvellement des titres de séjour des femmes étrangères victimes de violences conjugales. M. Hortefeux, alors en charge du dossier, m'avait indiqué les raisons pour lesquelles le Gouvernement refusait d'introduire dans la loi l'automaticité de ce renouvellement mais il s'était engagé -le compte rendu de nos débats du 4 octobre 2007 en fait foi- à donner par circulaire des instructions aux préfets, afin de prendre en compte ma demande. Où en sont ces instructions ? Pour faciliter la prise en charge des victimes, vous prévoyez la mise en place de référents locaux mais je m'interroge sur l'articulation de ce dispositif avec celui des chargés de mission et des déléguées régionales, services déconcentrés de votre ministère qui font actuellement l'objet d'une profonde réorganisation dans le cadre de la Révision générale des politiques publique... Veillez à ce qu'on ne vous rogne pas les ailes !

Pour l'hébergement des victimes, le Gouvernement a annoncé une expérimentation tendant à développer les familles d'accueil et à rendre les victimes prioritaires dans l'accès au logement. Qu'en est-il sur le terrain ? Je réaffirme solennellement que le principe de base est celui de l'éviction hors du domicile de l'agresseur et non pas de la victime. (M. Roland Courteau approuve)

La réinsertion des victimes est essentielle car c'est leur dépendance économique qui explique souvent leur silence. Comme le suggérait la proposition de loi initiale de notre collègue Courteau, certains emplois relevant du secteur public pourraient être attribués à des victimes de violences conjugales Une telle mesure apporterait un immense réconfort aux femmes concernées et permettrait peut-être d'améliorer, ici ou là, l'accueil du public.

Nous devons également prévenir les violences conjugales et combattre la récidive, ce qui suppose de s'intéresser aussi aux auteurs de violences. Le Docteur Coutanceau a remis au Gouvernement, en 2007, un rapport qui constate un véritable « phénomène d'addiction » aux violences conjugales. Pour sortir de ce cercle infernal, il préconise la prise en charge thérapeutique des agresseurs et l'envoi systématique aux prévenus d'une convocation auprès d'une structure médico-sociale. Les lois du 5 mars et du 16 août 2007 ont instauré une injonction de soins pour les auteurs de violences. Quel en est le bilan, quelles en sont les perspectives ?

M. Roland Courteau.  - Bonne question...

Mme Michèle André, présidente de la Délégation, auteur de la question.  - En tant qu'élus, nous sommes tous sollicités à l'occasion de drames familiaux : il est essentiel que nous puissions apporter les solutions les plus efficaces dans ces situations où nos concitoyens perdent pied face aux difficultés les plus cruciales de leur existence. (Applaudissements)

Mme Christiane Kammermann.  - La violence domestique demeure largement méconnue et atteint les femmes de tous les milieux.

Une femme sur dix est victime de violences conjugales. Une femme meurt tous les trois jours de ces violences. Un phénomène d'une telle ampleur et d'une telle gravité déborde largement la sphère privée et appelle des réponses appropriées de la société.

La violence au sein du couple a reçu une définition légale avec la loi du 23 juillet 1992. Sous l'impulsion de l'Union européenne, les États membres ont été appelés à mieux prévenir et traiter le problème. La loi du 15 juin 2000 renforçant le droit des victimes est venue mieux organiser le traitement spécifique des violences faites aux femmes et depuis 2004, une série de lois a développé et précisé ce dispositif, en s'attachant en particulier à mieux protéger le conjoint. La possibilité d'évincer du domicile le conjoint violent, introduite en 2005, a permis d'inverser le rapport de force entre les époux et de mieux prendre en compte les intérêts des enfants. La loi du 4 avril 2006, surtout, issue de deux propositions de loi sénatoriales, a constitué une avancée majeure et fut adoptée à l'unanimité, ce qui montre qu'il n'existe pas de clivages politiques sur des sujets aussi sensibles, qui touchent à notre conception des rapports entre les êtres.

M. Roland Courteau.  - Heureusement !

Mme Christiane Kammermann.  - Cette loi a notamment introduit une circonstance aggravante pour le meurtre commis par le conjoint, étendue aux ex-conjoints, concubins ou pacsés, sachant que 31 % des cas de décès surviennent au moment de la rupture du couple ou après. Le viol entre époux, dont seule la jurisprudence s'était emparée, a été reconnu. Notre droit rompait ainsi avec un non-dit de notre société imprégnée de l'idée du « devoir conjugal ». Il y eut encore la loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance. Nous disposons donc d'un arsenal juridique solide.

Un second plan triennal particulièrement ambitieux a débuté en 2008, articulé autour de quatre axes prioritaires : mesurer, prévenir, coordonner et protéger. Le Gouvernement a déposé cette semaine un rapport très complet faisant le point sur les résultats de la politique nationale de lutte contre les violences au sein du couple. Nous vous écouterons attentivement les décrire tout à l'heure, madame la ministre.

L'une des dispositions principales du plan triennal vise à mieux quantifier les actes de violence commis à l'encontre des femmes. Les données issues du casier judiciaire restent cependant très en deçà de la réalité, compte tenu de la réticence des victimes à porter plainte. Quelles mesures envisagez-vous pour les compléter ? Le Conseil économique, social et environnemental a émis le souhait que soit de nouveau employée la méthodologie de la première enquête nationale sur les violences envers les femmes en France, avec interrogation anonyme et questionnaire ouvert. Cette enquête pourrait être étendue aux collectivités territoriales d'outre-mer, qui n'avaient pas été prises en compte alors.

Un rapport d'information déposé par le député Guy Geoffroy en décembre 2007 a posé la question de la disparité des politiques pénales menées par les parquets. Il est en effet anormal qu'existent des différences, d'un tribunal à un autre, dans la réponse pénale apportée à des faits de violence similaires. Il était prévu qu'en 2008, un guide de l'action publique en matière de violences conjugales adresse un message de grande fermeté pour mettre fin à cette disparité. Pouvez-vous nous préciser si la situation a évolué depuis ?

Un rapport d'évaluation du plan 2005-2007 soulignait l'insuffisance des structures d'accueil et d'hébergement. L'idée de l'enquête nationale, menée en 2000, de recourir à titre expérimental à des familles d'accueil a-t-elle été développée ?

Enfin, les actions de prévention doivent viser plus particulièrement la jeunesse. L'image de la femme est malmenée et de tristes faits divers, tels que le phénomène des « tournantes », témoignent d'un manque total de respect de certains jeunes, qui ne perçoivent souvent même pas la gravité de leurs actes. Ce n'est qu'en faisant évoluer les mentalités que nous aiderons les femmes victimes à briser le silence dans lequel la peur les enferme et que nous ferons reculer le fléau de la violence. (Applaudissements à droite et sur les bancs socialistes)

Mme Françoise Laborde.  - La question des violences faites aux femmes dépasse tous les clivages ; elle est malheureusement universelle et touche des femmes, des hommes et des enfants. Fort heureusement, elle a trouvé une première réponse législative grâce à l'adoption, en 2006, de la loi Courteau. Je saisis l'occasion pour rendre un hommage appuyé à la pugnacité de notre collègue, éminent défenseur des droits des femmes. (M. Roland Courteau remercie) Ce texte a marqué le début d'une prise de conscience, tant des pouvoirs publics que de l'ensemble de la société et d'une volonté d'agir pour assurer une prise en charge globale des victimes. Il a permis de briser la loi du silence qui suscitait à la fois un fort sentiment de culpabilité des victimes et marquait une indifférence des pouvoirs publics trop longtemps sourds aux revendications du milieu associatif. Il a surtout libéré la parole des victimes et prévu des sanctions contre les agresseurs. On peut se réjouir du chemin parcouru. Cette loi participe d'un bouleversement profond de la société française, dont les fondements sont la lutte contre le sexisme et toute forme de discrimination liée au genre. Elle a plus prosaïquement permis de soustraire les victimes à leur agresseur, d'instituer des mesures de protection d'urgence et de prise en charge par des professionnels, à travers un dispositif à trois niveaux : information et prévention, répression, aide aux victimes. Elle s'inscrit dans la droite ligne de la loi sur l'interruption volontaire de grossesse, de la loi Neuwirth sur la contraception et de l'institution du planning familial. Mais le combat contre les violences faites aux femmes est loin d'être gagné. Nous avons fait la moitié du chemin et les enjeux sont terribles : il est souvent question de vie ou de mort.

La question posée par Mme la présidente de la Délégation aux droits des femmes est donc pleinement justifiée et la réponse que vous y apporterez sera déterminante pour l'avenir. En effet, il a été démontré que 40 % des adolescents violents ont assisté à des violences parentales et que 30 % des enfants violents ont eux-mêmes été victimes de violences. II y a encore à peine quelques années, ces statistiques n'existaient même pas dans notre pays. Pour avancer, nous devons nous inspirer d'exemples étrangers réussis, comme celui de l'Espagne, qui a voté des mesures législatives plus complètes en 2004. La mise en oeuvre d'outils de mesure pertinents, de lieux d'écoute et de conseils aux victimes, a conduit à enregistrer, depuis 2004, une hausse de 30 % des plaintes pour faits de violence. Non point que je me réjouisse d'un tel chiffre, mais je l'interprète comme la démonstration de l'efficacité de la loi. Ce mouvement semble confirmer que les victimes surmontent leur peur de témoigner et s'approprient les moyens mis à leur disposition par le législateur. Ainsi en Haute-Garonne, le centre d'information sur les droits des femmes a reçu 3 765 personnes, dont 439 demandes liées à la question des violences conjugales. Sur ces 439 femmes, 151 ont demandé, en 2008, des consultations juridiques, contre 104 en 2007. Le témoignage de ces femmes reflète une réalité cruelle. La violence conjugale, physique et psychologique, a des retombées désastreuses dans tous les aspects de la vie quotidienne des victimes -santé, emploi, vie sociale, logement, autonomie financière.

Le temps imparti ne me permet pas de m'attarder sur des sujets pourtant importants, comme la procédure de divorce par consentement mutuel, qui fragilise les femmes victimes de violences, ou encore les circonstances aggravantes sur lesquelles un effort de prévention devrait être fait. Je m'en tiendrai, dans une logique pragmatique, à faire mien le voeu des principales associations de voir une loi-cadre compléter le dispositif existant et permettre à la France de rattraper son retard. Le travail accompli sur le terrain par les professionnels et les bénévoles doit nous inspirer. Parmi les principales préconisations, je retiens en particulier les suivantes : favoriser un accès au logement prioritaire pour les femmes avec enfants et augmenter le nombre de centres d'hébergements d'urgence, informer et mettre à l'abri les victimes en temps réel avant même l'aboutissement des procédures devant le juge aux affaires familiales, généraliser la formation des personnels qui recueillent la parole des victimes, que ce soit dans les commissariats, les gendarmeries ou à l'École nationale de la magistrature, instaurer un suivi psychologique gratuit pour les victimes et les enfants, sensibiliser davantage les élèves des collèges et lycées, renforcer la protection de l'enfant, en instaurant un principe de précaution, notamment en matière d'autorité parentale, en introduisant dans le code civil des mesures temporaires d'éloignement de l'agresseur et de restriction de ses droits. Il conviendrait, enfin, de compléter l'arsenal législatif en introduisant dans le code civil le délit de violence conjugale.

J'insiste sur deux pistes qui me tiennent à coeur. Il est essentiel, à mon sens, de favoriser la reconnaissance juridique des violences conjugales psychologiques répétées, avant qu'elles ne dégénèrent en violences physiques, et participer ainsi à la prise de conscience des victimes elles-mêmes, notamment grâce à des campagnes nationales d'information grand public. La reconnaissance de la violence faite aux femmes comme cause nationale devrait vous donner l'occasion de le faire. L'autre mesure incontournable, à mes yeux, est de rendre possible la suspension provisoire de la communauté de biens, que ce soit pour les comptes bancaires, l'obtention de crédits, ou le logement, je pense en particulier à l'inscription sur les baux locatifs des conjoints.

Se pose, enfin, la question des moyens. Je m'inquiète des difficultés rencontrées par certains centres d'information sur les droits des femmes. Il semblerait, en effet, que depuis 2008, le champ d'application « violences faites aux femmes » ne soit plus inscrit parmi les priorités de certains services de la Dass, qui, de ce fait, réduisent considérablement les subventions dédiées à ces actions. Le Conseil national s'en est d'ailleurs ému dans un courrier à vous adressé. Je serai attentive, madame la ministre, à votre réponse.

Pour le lancement du référent unique, mis en avant dans le plan triennal 2008, près d'un tiers des départements attend encore l'appel d'offre de la préfecture. Il faut dire que les professionnels de l'accompagnement aux victimes de violences conjugales soulignent le caractère stigmatisant d'un guichet unique, surtout en zone rurale.

En tant que membre de la Délégation aux droits des femmes, je ne cesserai de militer auprès de vous, madame la ministre, pour que les améliorations dont je viens de faire état soient inscrites dans la loi. (Applaudissements à gauche)

M. Roland Courteau.  - Le phénomène des violences faites aux femmes est d'une ampleur et d'une gravité considérables, tant au travail qu'au sein du couple. Ces violences concernent des femmes de tous âges, de tous milieux, de toutes origines. Ce mal fut trop longtemps tabou, considéré comme appartenant à la sphère privée et relégué au rang de simple dispute de ménage. Quand une femme sur dix est victime de violences, quand une femme décède tous les deux jours et demi sous les coups de son partenaire, quand plusieurs milliers sont victimes de viol, plusieurs dizaines de milliers de mariage forcé, s'agit-il encore de simples problèmes d'ordre privé ou d'un grave problème de société ?

Pour lutter contre ce fléau, j'avais déposé, en novembre 2004, une proposition de loi avec le soutien du groupe socialiste et des Verts, et plus particulièrement de Michèle André, ancienne ministre des droits de la femme. Il s'agissait pour nous d'une proposition de loi-cadre mais j'ai vite compris qu'il valait mieux adopter la stratégie des petits pas que celle du tout ou rien. Notre proposition fut, conjointement à celle du CRC, inscrite à l'ordre du jour de nos travaux et adoptée à l'unanimité, après modifications, par le Sénat et l'Assemblée nationale, puis promulguée le 4 avril 2006. Les associations sont unanimes à voir dans cette loi une grande avancée. Il faut dire que c'était la première fois que le Parlement acceptait de légiférer sur un tel sujet.

Puisque la mémoire est parfois fragile, j'en rappelle les grands axes : relèvement de l'âge légal du mariage des femmes, une jeune fille de 18 ans étant mieux à même de résister à un mariage forcé qu'à 15 ans ; ajout du mot « respect » à l'article 212 du code civil ; mesures spécifiques contre le mariage forcé ; aggravation des peines pour les faits commis au sein du couple ; possibilité donnée aux magistrats d'éloigner du domicile l'auteur des violences ; incrimination du viol au sein du couple ; accompagnement psychologique, sanitaire et social des auteurs de violences. Cette loi comporte également des dispositions relatives aux mutilations sexuelles féminines et fait obligation au Gouvernement de déposer tous les deux ans un rapport sur la politique nationale de lutte contre les violences au sein des couples. Celui d'avril 2008 a été déposé avant-hier. Aurons-nous le prochain en 2010 ou en 2011 ?

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité.  - Nous ferons une session de rattrapage ! (Sourires)

M. Roland Courteau.  - La loi peut devancer les mentalités et en accélérer l'évolution, elle n'est pas la seule réponse à opposer aux violences conjugales. Cela étant, les choses évoluent. Le taux de réponse pénale augmente, passant de 69 % en 2003 à 84 % en 2008. La prise en charge des victimes s'est améliorée ; les faits de violences sont mieux recensés. En 2005, j'avais dénoncé le fait que l'on connaissait le nombre de portables dérobés et le nombre de taille-crayons fabriqués en France mais pas le nombre de femmes qui décédaient, chaque année, des suites des violences qu'elles avaient subies ! Certaines associations, comme Femmes solidaires, regrettent l'inexistence de données sexuées. Il est notamment déploré « un glissement sémantique tendant à englober toutes les violences dans le terme général de violences intrafamiliales ». Je me demande aussi pourquoi on ne comptabilise pas les suicides consécutifs à des violences. Cela dit, force est de constater que, depuis trois ans, le voile du silence s'est déchiré.

La parole s'est libérée. Les victimes osent enfin dénoncer et porter plainte. Les plaintes ont augmenté de 31 % au niveau national et de 58 % dans mon département. Ce n'est pas que les violences se seraient multipliées dans l'Aude ! Il y a une meilleure prise de conscience collective, une meilleure information sur ce type de violence, une meilleure connaissance des droits et surtout un gros travail est accompli par les associations spécialisées et la Mission départementale aux droits des femmes, Bref, les violences sont de moins en moins dissimulées et le phénomène de moins en moins tabou, ce qui ne signifie pas que la partie est déjà gagnée. L'ampleur et la gravité de ce phénomène sont telles qu'il faut accroitre encore l'effort de prévention, qui doit être massif.

C'est ce que nous avions demandé dans notre proposition de loi initiale et que le Sénat et le Gouvernement n'ont pas souhaité retenir, soit au nom de la séparation de la loi et du règlement, soit en raison du refus de débloquer les financements nécessaires. Certes, je connais le plan global 2008-2010, qui vise à « accroître l'effort de sensibilisation de la société pour mieux combattre et prévenir les violences ». Mais je ne saurais trop insister sur la nécessité de campagnes de sensibilisation, plus nombreuses, plus régulières et sur tous les médias.

Il faut également sensibiliser les jeunes. Romain Rolland le disait : « Tout commence sur les bancs de l'école ». Il avait cent fois raison : si nous voulons changer les mentalités, c'est par là qu'il faut commencer. Trop souvent, les jeunes garçons et les jeunes filles sont enfermés dans des représentations très stéréotypées de leur rôle et de leur place dans la société. Des instructions de 2006 mettent l'accent sur la prévention et la lutte contre les violences sexistes et sur la promotion du respect mutuel entre filles et garçons. En 2005, les instances de l'Union européenne ont recommandé aux États membres de veiller à ce que l'éducation de base évite les schémas et les préjugés culturels et sociaux... ou les images stéréotypées du rôle de chaque sexe.

Pour ma part, j'avais suggéré l'introduction dans les programmes scolaires d'une information sur le respect mutuel entre garçons et filles, sur l'égalité entre les sexes, sur le respect des différences et de l'intégrité physique, ainsi que d'une sensibilisation sur l'exigence de résoudre les conflits de façon non-violente. Mais le Sénat, sur ce point également, avait suivi l'avis du Gouvernement et n'avait pas retenu cette suggestion, ce qui nous était apparu comme très regrettable à la lumière du climat de violence qui commençait à s'étendre autour de certains établissements scolaires.

Pouvez-vous m'indiquer quelles ont été, ces trois dernières années, les actions concrètes engagées auprès des établissements scolaires ? Les différents ministres concernés avaient, pour justifier leur refus de voir nos amendements adoptés, assuré que les outils se trouvaient déjà dans le code de l'éducation. Puisque les outils sont censés exister, je souhaite connaître l'usage qui en a été fait. Le problème est d'importance car on assiste à un accroissement des comportements et des violences sexistes chez de nombreux adolescents. Il m'a été également rapporté que plus nombreuses seraient les adolescentes victimes d'agression sexuelles. Serait-ce dû au fait que l'apprentissage de la sexualité des adolescents se ferait à partir d'internet ou de cassettes pornographiques qui évoquent l'usage consensuel de la violence dans les relations sexuelles ?

Il est impératif de veiller à l'image de la femme dans les médias. Voilà pourquoi j'ai rappelé qu'il fallait que, dans ce domaine, soit appliquée plus rigoureusement la loi de 1986. Cette loi relative à la liberté de communication dispose notamment que « l'exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise par le respect de la dignité de la personne humaine ». Améliorons donc l'application de la loi, en faveur du respect de la personne humaine et contre les images choquantes, dévalorisantes et dégradantes de la femme. Peut être faut-il aller plus loin pour faire respecter les femmes et leur image, par le biais notamment de campagnes de sensibilisation grand public et surtout par un réel contrôle qui ne se limite pas aux seules publicités télévisées.

Enfin, je note avec satisfaction l'annonce faite par le Premier ministre d'une reconnaissance de la lutte contre les violences faites aux femmes comme grande cause nationale pour 2010.

Je souhaite m'attarder quelques instants sur le problème des violences psychologiques, que notre proposition de loi initiale prenait en compte. Un amendement sur ce point a été rejeté par le Sénat par 140 voix contre 138. Trois ans après, la plupart des associations nous disent être dans l'attente de l'introduction d'une définition des violences psychologiques dans le code pénal.

Les questions relatives au harcèlement ou aux comportements persécutoires sont au premier rang des préoccupations des associations car elles en mesurent les effets désastreux. La violence psychologique, c'est l'arme de l'agresseur habile. Elle détruit un être à petit feu, elle le conduit vers la dépression et sur des pentes extrêmement périlleuses pour sa santé et sa vie. Mais elle ne laisse pas de traces visibles. Pas de traces, pas de preuves ! J'ai trop entendu dire qu'il ne s'agirait pas là de véritables violences. Comment alors qualifier cet acharnement à détruire la personnalité de sa partenaire, à l'humilier, à la rabaisser, à la harceler, jour après nuit, au fil des mois, des années ? Il est nécessaire que les violences psychologiques soient bien prises en compte, au même titre que les violences habituelles, physiques.

La solution réside peut-être dans les notions de harcèlement ou de comportement persécutoire : les preuves sont en effet plus faciles à réunir. En 2007, notre proposition de loi visait à insérer dans le code pénal un article L. 222-14-2 traitant des violences physiques ou psychologiques « habituelles » portant atteinte à l'intégrité de la personne.

L'une des dispositions phares de la loi de 2006 prévoit l'éloignement du domicile de l'auteur des violences. Cette inversion du rapport de forces symbolique était bienvenue, car trop souvent c'était la victime qui quittait le domicile conjugal. Hélas, cette disposition, tant attendue, reste peu utilisée par les magistrats, qui ne prononcent un éloignement que dans 9 % des cas. Est-ce dû à un manque de places d'hébergement ? A l'absence de ressources, de famille ? Cette mesure est-elle effective ? Quant à l'injonction de soins, est-elle régulièrement appliquée ? La prise en charge est indispensable pour prévenir la récidive. Or celle-ci est de plus en plus fréquente, si j'en crois les statistiques. Dans mon département, les associations ont mis en place des permanences d'accueil et des groupes de parole. L'existence de structures de soins dotées d'intervenants qualifiés et de financements est fondamentale. Quels moyens comptez-vous y consacrer ? Les crédits à des associations telles que le Planning familial ont diminué : le Gouvernement ne peut-il pas trouver ailleurs des sources d'économies ?

Les associations manquent de places, en hébergement comme en accueil d'urgence de nuit. La loi de 2006 ne peut être pleinement appliquée sans moyens adéquats : et puisqu'il s'agit de solidarité nationale, la balle est dans votre camp, madame la ministre. On ne peut laisser les salariés et les bénévoles des associations se débattre dans les problèmes financiers pour parvenir à appliquer les mesures que nous avons décidées.

Quelques mots de la formation. Les professionnels de santé sont souvent en première ligne face aux violences, mais considèrent que le dépistage et le conseil aux victimes ne sont pas aisés. Ils se sentent coincés entre l'obligation de protéger la santé de la patiente et le respect du secret professionnel. Or leur intervention, avec la rédaction d'un certificat médical et l'évaluation de l'incapacité temporaire de travail, est essentielle dans l'hypothèse de poursuites. C'est pourquoi nous souhaitions, en 2006, inscrire le principe d'une formation initiale et continue de tous les intervenants, dans les domaines social, médical, policier, comme parmi les magistrats, les avocats, les enseignants. Il n'y a pas eu consensus pour l'écrire dans la loi, mais le Gouvernement a pris des engagements. Un effort a été réalisé dans la formation des gendarmes et des policiers -je songe à la charte d'accueil et aux instructions interministérielles. Mais pour le reste, rien ! Il faut intégrer cette question dans les programmes des études d'avocat, de magistrat, d'enseignant, de médecin. Tous les professionnels ne sont pas sensibilisés et mobilisés ; j'ai le sentiment d'un terrain encore en friche.

L'aide juridictionnelle devrait être accordée sans condition de ressources lorsqu'il s'agit de violences conjugales. Les victimes sont en état de choc et il importe de faciliter leurs démarches lorsqu'elles décident de réagir. Leur dépendance financière constitue un frein : inutile de compter sur le conjoint pour payer l'avocat ! De même, il faut pouvoir accorder aux victimes la réparation intégrale des dommages subis.

Autre problème, l'accès au logement social. Il y a pénurie. Et les propriétaires hésitent face à ces familles monoparentales à revenu souvent faible. Les femmes victimes de violences conjugales doivent être prioritaires pour obtenir un logement social, notamment lorsqu'elles quittent un centre spécialisé. Logement et insertion professionnelle déterminent en effet le retour à une vie autonome. Il serait bon que chaque année, des logements soient proposés aux associations.

Les enfants sont les spectateurs et les victimes collatérales de ces violences. Le cerveau des nourrissons et les jeunes enfants exposés à des violences domestiques peut subir des dommages sévères liés au stress émotionnel. Les enfants connaissent aussi des troubles du sommeil, du comportement, de la personnalité : dépression, tendances suicidaires, énurésie, etc. Et les adolescents très violents ont souvent assisté enfants à des violences domestiques. Ils voient dans ces comportements le moyen normal de régler les conflits. Certaines associations envisagent de mettre en place des lieux d'écoute. Le Gouvernement les encouragera-t-il ?

Une femme battue et l'association qui lui venait en aide ont été condamnées, dans le passé récent, pour avoir dissimulé au père son adresse et celle de ses enfants. Or, s'il est légitime de veiller aux droits du père, la protection de la mère et des enfants compte aussi ! Nous suggérons la création de lieux neutres, espaces de rencontre entre le parent exclu du domicile et ses enfants. Dans l'Aude, un tel projet pourrait voir le jour prochainement.

Une meilleure cohérence est nécessaire entre les procédures pénale et civile. Les juges aux affaires familiales ne sont pas toujours informés des violences conjugales ! Les avocats devraient les saisir plus souvent. Et il serait judicieux de compléter l'article L. 220-1 du code civil qui permet au juge aux affaires familiales de statuer sur la résidence séparée et l'exercice de l'autorité parentale. La disposition ne vaut que pour les couples mariés, pas pour les concubins ni pour les pacsés.

Nous nous efforcerons de faire aboutir nos propositions dans des textes de loi. Le Sénat a joué dès 2005 et 2006 un rôle précurseur et moteur en ce domaine. Si ces initiatives passées, comme celles que nous prendrons dans l'avenir, peuvent contribuer à éradiquer les violences au sein des couples, nous aurons fait oeuvre utile. La tâche est ardue : raison de plus pour nous y atteler. (Applaudissements à gauche)

Mme Muguette Dini.  - Il existe des mesures législatives fortes, une prise de conscience politique affirmée, mais les violences persistent.

A titre liminaire, j'insiste sur le fait que les violences contre les femmes portent atteinte aux droits humains, en premier lieu au droit à la vie, mais aussi à la liberté, à la sûreté et à l'égalité, et je tiens à replacer ces violences dans le contexte plus large d'une discrimination qui perdure, celle fondée sur l'appartenance sexuelle : les femmes en sont victimes parce qu'elles sont femmes. Par essence, la discrimination opère une différence arbitraire de traitement : comme le racisme, le sexisme dénie à l'autre le statut d'alter ego. Les violences contre les femmes sont entretenues par une discrimination qui, les maintenant dans une position subalterne, forme un terreau propice à la violence.

Depuis 1994, les violences commises au sein du couple marié ou vivant en concubinage sont sanctionnées par l'introduction d'une circonstance aggravante.

La loi du 4 avril 2006 visant à renforcer la prévention et la répression des violences commises au sein du couple a marqué une étape fondamentale. Elle a élargi cette circonstance aggravante aux partenaires d'un Pacs. L'extension à l'encontre des « ex » est également justifiée, puisque la violence est le plus souvent exacerbée juste après la rupture. D'après l'Observatoire national de la délinquance, 9 % des femmes déposent plainte lorsqu'elles sont victimes d'un conjoint, mais 50 % le font lorsque l'agression est commise par un ex-conjoint. Je citerai également l'incrimination spécifique du viol et des autres agressions sexuelles au sein du couple, l'interdiction du domicile conjugal ou familial et l'injonction de soins pour le conjoint violent. La prévention des mariages forcés a été renforcée par le relèvement de l'âge légal du mariage et l'extension de l'action en nullité pour vice de consentement.

Dans cette lutte contre les violences faites aux femmes, le dispositif législatif est essentiel mais insuffisant car l'État doit véritablement garantir le droit. Il faut bien sûr sanctionner les auteurs des violences, offrir des réparations adéquates aux femmes, mais aussi prendre toutes les mesures de prévention. Il s'agit de combattre les comportements sexistes dès les cursus scolaires, d'organiser régulièrement des campagnes d'information et de former les agents publics dans une optique égalitaire.

La volonté publique existe mais les résultats ne sont pas à la hauteur des ambitions.

Utilisant un ton inhabituellement grinçant, avec une accroche au deuxième degré, la campagne d'octobre 2008 voulait susciter un déclic auprès des femmes, de leur entourage et des auteurs de violences.

Le label « campagne d'intérêt général » attribué à la lutte contre les violences faites aux femmes va dans le bon sens, puisque les associations pourront travailler ensemble autour d'une communication relayée par les médias.

La plate-forme téléphonique 39.19 d'aide aux victimes est une bonne initiative, les 7 000 appels par mois montrant qu'elle répond à une vraie demande.

Pourtant, les violences subies par les femmes ne régressent pas. D'après l'Insee, sur cinq femmes victimes de violences physiques au sein de sa famille, une n'a ni déposé plainte, ni parlé à un professionnel ; après des violences sexuelles, une victime sur trois reste murée dans son silence. Selon cette enquête, 6 % des femmes âgées de 18 à 59 ans disent avoir subi des injures sexistes, 2,5 % déclarent avoir été agressées physiquement et 1,5 % avoir subi un viol ou une tentative de viol en 2005 ou 2006. Il reste beaucoup à faire !

Notre arsenal législatif est un premier pas vers l'éradication de ces violences, à condition que les lois soient appliquées, ce qui est loin d'être toujours le cas.

Mais il faut aussi accompagner l'évolution des mentalités, bien plus lente mais qui fera la différence. Les maîtres mots sont : prévention, sensibilisation et formation. Mme Morin-Desailly abordera notamment la sensibilisation des plus jeunes au respect du corps, à la sexualité, à la prévention des comportements sexistes. (Applaudissements)

Mme Odette Terrade.  - Les violences dont les femmes sont victimes ne peuvent que nous alerter sur une société qui reste fondée sur la domination masculine. Ces violences constituent la plus répandue des violations des droits humains. Sachant qu'une femme sur dix est victime de violences dans son couple, on voit bien que ce phénomène est inscrit dans une société fondée sur le patriarcat, les comportements individuels s'insèrent dans des rapports sociaux assis sur la domination masculine.

Malgré des conquêtes fondamentales, les inégalités entre femmes et hommes perdurent. Elles constituent le terreau des violences envers les femmes. Ainsi, l'Observatoire des inégalités a révélé le 4 février que l'écart de rémunération entre hommes et femmes atteignait en moyenne 33 %. La différence s'explique principalement par le travail à temps partiel subi, qui touche particulièrement les femmes. Plus on s'élève dans la hiérarchie des salaires, plus l'inégalité est marquée, puisque l'écart va de 6 % chez les employés à 30 % chez les cadres supérieurs.

Les violences faites aux femmes sont trop souvent niées, alors que leur ampleur et leur gravité doivent nous alerter. D'après l'Observatoire national de la délinquance, 47 573 faits de violence à l'égard des femmes ont été enregistrés en 2007 par la gendarmerie ou la police, contre 36 231 en 2004. Ces chiffres sous-estiment la réalité puisque, selon le rapport publié en février par l'Observatoire de la parité, seulement 12 % des violences conduisent à un dépôt de plainte. D'après l'Insee, 6 % des femmes âgées de 18 à 59 ans ont été victimes d'injures sexistes en 2005 et 2,5 % d'entre elles auraient été victimes d'une agression physique. A ce triste tableau s'ajoutent les 130 000 viols dénoncés par l'Observatoire national de la délinquance et les 166 assassinats de femmes commis en 2007 par leurs partenaires ou ex-partenaires.

Il est donc urgent de mieux protéger les femmes en les encourageant à déposer des plaintes et en accompagnant leurs démarches. Le phénomène est connu, mais encore sous-évalué.

La législation actuelle est-elle suffisante ? Les sénateurs CRC-SPG estiment que la loi du 4 avril 2006, qui résultait de deux propositions de loi dont l'une émanait de notre groupe, a constitué une étape importante mais qu'il faut aller plus loin en proposant d'instituer une ordonnance protégeant les femmes victimes de violence. Cette suggestion est conforme aux conclusions de la mission d'évaluation du plan global 2005-2007. Après avoir analysé les assassinats de femmes, le remarquable Observatoire départemental des violences faites aux femmes en Seine-Saint-Denis a repris cette proposition.

Pour combattre efficacement ces violences, il propose quatre axes complémentaires à ceux que j'ai déjà mentionnés. Pour informer et sensibiliser la population sur les mécanismes de la violence masculine, je propose qu'une grande campagne soit organisée sur ce thème. Il faut également former tous les professionnels pour leur permettre de mieux aider les femmes victimes de violences.

En accord avec l'Observatoire de la parité, nous demandons que la législation évolue pour intégrer le volet préventif et éducatif qui lui fait cruellement défaut. Il importe de prendre en compte le fait que les enfants sont aussi victimes des violences dans le couple.

Il ne peut y avoir de lutte efficace sans utilisation de tous les leviers : l'éducation, l'apprentissage à la mixité, les sanctions, la lutte contre les inégalités salariales et contre l'image négative des femmes. Je regrette à ce propos que la majorité UMP ait utilisé la transposition d'une directive européenne contre les discriminations pour laisser perdurer dans la publicité l'usage de stéréotypes dégradants pour les femmes. Nous proposons d'introduire dans le code de la consommation une nouvelle catégorie de publicités illicites : celle présentant les femmes de manière attentatoire à leur dignité. Le corps féminin n'est pas un support publicitaire !

Je regrette en outre que la majorité ait accepté, sous un prétexte fallacieux, de revenir sur le principe républicain de mixité à l'école. Nous proposons que la prévention de ces violences soit une véritable mission de l'Éducation nationale.

Le Gouvernement veut ériger la lutte contre les violences faites aux femmes en grande cause nationale. C'est une bonne chose, à condition d'être concret.

La législation doit évoluer. Les chercheurs l'affirment, les associations le demandent. Il faut donc intégrer à la loi un volet préventif, comme nous avons voulu le faire en 2006 sous la forme d'amendements et conformément à la proposition de loi que nous avons déposée en 2007 à l'Assemblée nationale et au Sénat. Les 115 articles de ce texte couvrent tous les aspects de la réponse nécessaire. A l'occasion de la dernière journée mondiale de lutte contre les violences faites aux femmes, le 25 novembre 2008, les associations ont apporté à l'Assemblée nationale plus de 16 000 pétitions demandant l'adoption urgente d'une loi-cadre.

Une mission d'information a même été créée à l'Assemblée nationale. Cette proposition, à l'image de ce qui a été fait en Espagne, est à la disposition du Gouvernement. Pourquoi ne pas appliquer dans ce domaine la clause européenne la plus favorable ?

Tout d'abord, nous souhaitons modifier les dispositions pénales pour que les femmes victimes de violences conjugales n'encourent plus le risque de poursuites pénales pour dénonciation calomnieuse. Ensuite, nous proposons d'aider les femmes victimes de violences au sein du couple qui souhaitent quitter le domicile commun : elles sont prioritaires pour l'attribution de logements sociaux. Nous pourrions leur accorder dans le mois une aide d'urgence équivalant à six mois de salaire. Enfin, nous proposons de modifier la notion de violence dans le code pénal afin d'y intégrer le harcèlement moral et sexuel.

Le champ d'intervention est vaste, c'est pourquoi je dénonce les risques qui pèsent sur le Service des droits des femmes et de l'égalité, menacé par la RGGP. Sa fermeture serait dans ce contexte un très mauvais signal, et je vous demande de revenir sur ce projet résultant de la seule analyse comptable. Dans le même état d'esprit, nous considérons qu'il est temps, comme le recommande le Conseil économique, social et environnemental, de créer un ministère aux droits des femmes. La lutte contre les violences faites aux femmes exige une forte volonté politique, assortie de moyens humains et financiers, que le Gouvernement n'est pas disposé à débloquer. Dès lors, il y a fort à craindre que cette grande cause nationale ne soit qu'un effet d'annonce. Dans ce contexte de crise, le Gouvernement semble faire d'autres choix.

Les violences faites aux femmes coûtent pourtant cher à la société : un milliard d'euros selon le Service des droits des femmes. Je propose d'inscrire la même somme pour lutter contre ce fléau.

Mme Michèle André, présidente de la Délégation, auteur de la question.  - Et on n'invoquerait pas l'article 40 ! (Sourires)

Mme Odette Terrade.  - Or face à l'explosion des besoins, le Gouvernement tarit les ressources. J'en veux pour preuve la situation dramatique de l'accueil d'urgence, qui permet aux femmes de se soustraire aux compagnons violents : il se trouve dans une situation de quasi-indigence en raison de la politique budgétaire. Cette compétence nationale est trop souvent assumée par les départements, mais cet échelon territorial est aujourd'hui menacé. Si l'État ne prend pas toutes ses responsabilités, qu'adviendra-t-il de ces centres ?

Enfin, je rends hommage aux associations nationales, départementales, locales, qui interviennent quotidiennement en faveur des femmes victimes aux côtés des professionnels de terrain et qui manquent cruellement de moyens. Il faut renforcer l'aide financière à ces associations, soutenir le service public de proximité. Le chantier est immense, mais en faisant reculer les violences faites aux femmes, nous ferons avancer toute la société. Pour qu'enfin, s'agissant des femmes décédées sous les coups de leur conjoint, nous puissions faire nôtre le slogan de la Marche mondiale des femmes contre la violence et la pauvreté, et dire : No more; Ni una mas, « Pas une de plus » ! (Applaudissements à gauche)

Mme Raymonde Le Texier.  - Une femme meurt en France tous les trois jours du fait de violences. Sur ce sujet, je partage les interrogations, les analyses, les réquisitoires que viennent d'exposer Michèle André et Roland Courteau. Je souhaite élargir notre approche aux violences sociales. L'accroissement des inégalités entre hommes et femmes n'est pas un symptôme mineur, il traduit un renforcement des pressions et des contraintes qui pèsent sur les femmes. En tant que parlementaires, nous devons nous mobiliser pour inverser la tendance.

Les chiffres, les faits divers, les témoignages ne manquent pas, mais notre société semble ne pas avoir encore pris conscience de l'importance de ce combat. La violence sociale subie par les femmes est pourtant sensible dans tous les domaines. Dans le monde du travail, 82 % des actifs à temps partiels sont des femmes et elles occupent 78 % des emplois non qualifiés. Or moins les emplois sont qualifiés, moins le temps partiel est choisi... Loin de se résorber, ces inégalités s'aggravent depuis les années 1990 : la part des femmes dans les salaires les moins élevés et occupant des emplois à temps partiel est de 10 points supérieure à ce qui était constaté à l'époque. Il serait bon d'y penser chaque fois que vous légiférez pour durcir les conditions de travail et développer le recours aux emplois précaires, ce qui fut le cas ces dernières années !

Le cumul de telles inégalités représente une véritable violence faite aux femmes. Ainsi, les « familles monoparentales » sont constituées neuf fois sur dix de femmes élevant seules leurs enfants. Certaines connaissent de grandes difficultés : solitude familiale, rupture affective, isolement social, horaires inadaptés, travail précaire et fins de mois impossibles. Ces situations n'émergent souvent qu'à travers des événements dramatiques dont le plus souvent l'enfant est la victime. Leur vie est un véritable combat pour survivre en même temps qu'un rappel cuisant de notre incapacité à réduire la violence sociale.

Il est pourtant possible de combattre cet isolement en détectant les situations de détresse au moment de l'accouchement ou du suivi de grossesse, puis en les entourant d'un réseau de professionnels. Lorsque j'ai débuté ma carrière professionnelle dans les années 1960, le suivi des jeunes mères à domicile a été ma première mission. Il serait pertinent de remettre à l'ordre du jour ce mode d'intervention.

La violence sociale s'exerce également dans les quartiers sensibles. Les droits de femmes sont récents et ils ne cessent pourtant d'être insidieusement remis en cause. Au travers des faits divers et leur cortège de drames, ce sont les tensions de notre société qui nous sont restituées : crime d'honneur, viol collectif, mariage forcé... Ces exemples extrêmes dévoilent la violence quotidienne que subissent les femmes dans ces banlieues, ainsi que la résurgence d'un discours obscurantiste. Le poids du sexisme, de la religion et de la tradition s'abat sur des femmes de plus en plus nombreuses. Dans ce cadre, toute tentative d'émancipation est vécue comme une trahison envers la famille, la culture d'origine, l'identité sociale. Il est alors souvent impossible de s'affirmer en tant qu'individu : ne reste plus qu'à intérioriser la norme.

Peu de responsables politiques dénoncent cette situation. Le travail d'une association comme « Ni putes, ni soumises » a révélé le problème, mais la situation des femmes de ces quartiers n'a guère évolué, si ce n'est dans le mauvais sens. Dans son livre : Ghetto urbain, ségrégation, violence, pauvreté en France aujourd'hui, Didier Lapeyronnie dresse un tableau très sombre de la situation. Il décrit un univers où le racisme est fortement lié au sexisme, où le contrôle des femmes est devenu un des principes central d'organisation de la vie du quartier. Cette étude démontre que, lorsqu'une population est placée dans une situation de pauvreté à laquelle s'ajoute la relégation, elle se replie sur des définitions très traditionnelles des rôles sociaux et sur une morale rigide et souvent bigote.

Ce constat révèle l'explosion des inégalités sociales en France et les échecs constatés en matière d'intégration. Ce n'est pas un cas d'école, mais il est largement absent du discours politique. Cet abandon est d'autant moins acceptable qu'il repose sur la crainte de vexer des communautés qu'on préfère mobiliser par leurs votes plutôt que par le respect de nos valeurs. Il est d'autant moins justifié qu'en abandonnant ces femmes à leur sort, on abandonne ces territoires à leur misère éducative et sociale.

Le refus de faire de la loi SRU un véritable instrument de lutte pour la mixité sociale a de terribles conséquences, tandis que l'abandon de la parole politique et du discours laïc a indiqué à tous les intégrismes que ceux qui devraient porter les valeurs de notre société ont déserté le combat.

Il est dommage enfin qu'il n'y ait pas en France, contrairement à ce qui se fait en Europe du nord, de travail sur les politiques de genre.

Analyser les violences faites aux femmes sous cet angle est rare. Faire évoluer les mentalités, agir concrètement pour changer la donne sont pourtant des missions du politique. II ne s'agit pas d'un enjeu pour les femmes seulement, mais pour la société entière.

Vous me direz peut-être que je suis hors sujet ; j'en prendrai alors acte. Les violences faites aux femmes méritent notre attention à tous. (Applaudissements à gauche)

Mme Catherine Morin-Desailly.  - Depuis l'époque où Valéry Giscard d'Estaing nommait Françoise Giroud première secrétaire d'État à la condition féminine, les politiques menées afin de défendre les droits des femmes et promouvoir l'égalité entre hommes et femmes se sont développées. La question des violences subies par les femmes n'avait pas alors l'acuité qu'elle a aujourd'hui. Sans doute ces violences étaient-elles davantage cachées, taboues. L'ampleur du phénomène, qui n'est ni de l'ordre du fait divers ni une fatalité, est maintenant prise en compte par les pouvoirs publics. Je me réjouis que cette cause ait reçu le label « Campagne d'intérêt général » pour l'année 2009. Nous savons en outre le rôle fondamental que jouent les associations sur le terrain.

De nombreuses dispositions ont été adoptées depuis quelques années. Un premier plan global a été mis en oeuvre puis évalué en juillet 2008, ce qui a permis d'améliorer le deuxième, lancé à l'automne dernier, accompagné d'une campagne de communication rénovée et percutante. Je me félicite que le rapport prévu par l'article 13 de la loi du 4 avril 2006 soit disponible ; nous pouvons désormais, dans le cadre du renforcement des pouvoirs de contrôle du Parlement, évaluer l'application de ce texte et voir comment l'améliorer.

Au coeur de la politique de lutte contre les violences subies par les femmes, il y a la nécessité de développer et de privilégier la seule approche efficace, qui est transversale et articule toutes les thématiques : prévention, éducation, information et sensibilisation, répression et suivi des auteurs, accompagnement et réinsertion des victimes. Il me revient du milieu associatif que la prise en charge et le suivi des hommes violents étaient insuffisamment pris en compte par les pouvoirs publics. Si une femme sur dix est violentée, combien d'hommes sont alors violents... Cela implique aussi une coordination de tous les intervenants, gendarmerie, police, hôpital, justice, travailleurs sociaux, éducation nationale. Le deuxième plan va dans ce sens, dont la démarche est interministérielle. Nous savons cependant que le volet social et le suivi des victimes est encore insuffisant. Or ces femmes doivent pouvoir être sûres qu'elles auront les moyens d'être autonomes et libres pour trouver la force de dire « stop, ça suffit ! ».

La démarche transversale que vous avez initiée, madame la ministre, mériterait d'être développée dans les territoires : les élus locaux doivent la mettre en oeuvre à leur échelle.

Si un corpus juridique est nécessaire, il restera lettre morte sans moyens ni structures pour le faire vivre. Et il faut faire vite. Nous avons tous en tête ce chiffre effrayant : une femme meurt tous les trois jours des suites de violences ; et les violences contre les femmes progressent plus que l'ensemble des violences commises contre les personnes. Le rapport d'évaluation du premier plan a relevé un manque de structures et de moyens. Notre cadre législatif est assez complet et le rapport ne préconise pas l'adoption d'une loi-cadre, comme il en existe en Espagne : quel est votre sentiment sur ce point ?

Développer les structures, se donner les moyens, changer les comportements, aider les victimes : autant d'impératifs. En un mot agir. Je sais que vous en êtes d'accord. Pour changer les comportements des hommes, pour faire comprendre aux femmes que la violence, physique ou psychologique, n'est ni normale ni acceptable, je crois à l'éducation et à la sensibilisation dès le plus jeune âge. Or elles sont aujourd'hui davantage à destination des filles, ce qui les place toujours en situation de victimes et coupables (M. Alain Gournac approuve) Un effort particulier doit être fait à destination des garçons. Ne pourrait-on concevoir pour eux un livre similaire à celui que recevront toutes les jeunes filles de 18 ans lors des journées d'appel de préparation à la défense ? N'oublions pas les petites filles victimes de viol commis au sein de leur famille et qui portent ce poids toute leur vie. Les stéréotypes sont intériorisés très tôt parce que largement diffusés, de façon consciente ou non. Les équipes éducatives doivent faire comprendre aux enfants que filles et garçons sont égaux. Mais il faut aussi agir en direction des médias. J'ai évoqué ce sujet lorsque j'ai rapporté le projet de loi sur l'audiovisuel public ; j'espère qu'avec son nouveau cahier des charges, le service public de l'audiovisuel, qui doit être exemplaire, y sera attentif.

Plus inquiétant encore est ce qui se passe sur internet, où les jeunes sont confrontés à des représentations dégradantes, déconnectées de la réalité qu'ils considèrent pourtant comme vraies. Comment peuvent-ils ensuite respecter les femmes ? L'accompagnement des jeunes dans le monde numérique doit être sérieusement envisagé ; la commission des affaires culturelles y réfléchit. Pourquoi ne pas imaginer une sorte de CSA de l'internet, qui veillerait au bon usage de la toile et au respect de la dignité humaine ?

Mme Reiser, dans le rapport sur l'image des femmes dans les médias qu'elle vous a remis en septembre dernier, évoque « d'invisibles barrières bloquantes pour les femmes et les jeunes filles françaises qui ont un rôle à jouer dans la société ». Je connais votre implication sur ces questions : quelles suites entendez-vous donner à ce rapport ?

Il est encore indispensable de célébrer des journées comme le 8 mars, Journée internationale des femmes, ou du 25 novembre, contre les violences faites aux femmes, pour alerter l'opinion publique ; mais nous rêvons tous du jour où ces célébrations seront devenues inutiles, parce que les droits et le respect des femmes seront acquis partout dans le monde. En attendant, j'ai une pensée pour cette petite fille brésilienne violée par son père et dont la mère a été excommuniée après l'avortement de sa fille. Ces souffrances auraient pu être évitées.

La France, pays des droits de l'Homme avec sa majuscule, a un rôle à remplir pour faire avancer la cause sans frontière des femmes ; elle doit jouer de son influence dans toutes les instances internationales. (Applaudissements)

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité.  - Je me réjouis que le Sénat ait mis cette question à son ordre du jour dès sa première semaine de contrôle. Voilà qui montre combien il est attentif aux questions de société et combien l'image que certains veulent donner de lui, alors que les femmes y sont en proportion plus nombreuses qu'à l'Assemblée nationale, est contraire à la réalité. (On approuve sur divers bancs) Les clichés, dans tous les domaines, ont la vie dure...

La violence faite aux femmes est inacceptable. Nous ne devons tolérer aucune atteinte à l'intégrité physique ou psychologique des femmes. Cette violence au quotidien touche toutes les catégories sociales et tous les âges, elle est la plus grande violation des droits fondamentaux des femmes et un obstacle permanent à la réalisation de l'égalité. Les femmes sont en réalité plus en danger chez elles que dans la rue ou sur leur lieu de travail. Le progrès social n'a pas réglé la question.

Mmes Kammermann, Dini, Terrade, Le Texier ont rappelé des chiffres terribles : une femme sur dix est victime de violences au sein de son couple ; 166 sont décédées sous les coups de leur conjoint en 2007, soit une tous les deux jours et demi ; 47 500 plaintes pour violences volontaires ont été déposées, soit une augmentation de 30 %, ce qui signifie que les femmes osent dénoncer plus qu'avant -mais 400 000 déclarent avoir été victimes de violences. Selon le dernier rapport de la Délégation aux victimes, le nombre de faits de violences au sein du couple a augmenté de 14 % en 2007. Mme Kammermann s'est demandée si ces chiffres reflétaient la réalité. L'Insee conduit en partenariat avec l'Observatoire national de la délinquance une enquête annuelle de victimisation pour compléter les statistiques de la police et de la gendarmerie.

Environ 2 % des femmes de 18 à 60 ans déclarent avoir subi des violences au sein de leur couple.

Après la Réunion et avant la Guadeloupe, une enquête est en cours en Martinique car nous manquons d'éléments précis concernant l'outre-mer.

Il n'est nullement question de fermer le service des droits des femmes et de l'égalité, qui est essentiel à la mise en oeuvre de la politique du Gouvernement. Un délégué interministériel, auquel sera rattaché ce service, produira un document de politique transversale.

Je sais que ce combat vous tient à coeur, madame la présidente André. En 1989, au sein du gouvernement Rocard, vous aviez mis en place dans chaque département des commissions d'action contre les violences afin que tous les partenaires travaillent ensemble. Depuis, les gouvernements successifs ont progressé, mais le phénomène perdure.

La participation de la France à la conférence de Durban II est conditionnée à une décision européenne qui sera prise au vu du texte préparatoire. Il faut être vigilant car l'actualité nous rappelle que les intégrismes mènent au sexisme et à l'intolérance.

S'agissant du renouvellement du titre de séjour des femmes victimes de violence conjugale, M. Hortefeux avait répondu à une question écrite que les préfets avaient pour instruction d'appliquer rigoureusement les règles les plus protectrices. Je demanderai à M. Besson de renouveler ces instructions.

Le rapport prévu à l'article 13 de la loi du 4 avril 2006 a été déposé sur le bureau des assemblées le 16 mars. Au risque de prendre du retard, nous voulions y intégrer des mesures récentes et disposer de données précises. Nous nous sommes appuyés sur le rapport d'évaluation du premier plan triennal global 2005-2007 réalisé, à ma demande, par les inspections des affaires sociales, des services judiciaires, de l'administration et de la police nationale.

En outre, un groupe interministériel copiloté par la justice et les droits des femmes a été constitué le 2 juillet dernier afin de faire évoluer le cadre juridique, notamment sur la reconnaissance des violences psychologiques et sur l'articulation entre les procédures pénales et civiles. Nous ferons des propositions concrètes, y compris sur les violences au travail et l'égalité professionnelle. La mission de l'Igas, qui rendra ses conclusions fin juin, servira de base à la concertation avec les partenaires sociaux.

Le rapport dresse le bilan des actions menées en 2006 et 2007, mais aussi celui de la première année de mise en oeuvre du plan 2008-2010. Avec le document de politique transversale prévu dans la dernière loi de finances, nous disposerons d'un état des lieux précis des actions engagées, dont nous pourrons évaluer précisément l'efficacité. Le prochain rapport sera remis en 2010.

La lutte contre les violences faites aux femmes présente un caractère transversal et interministériel, qui mobilise le Gouvernement tout entier. Le rapport présente les avancées réalisées avec le Gouvernement et les collectivités territoriales.

La commission nationale contre les violences faites aux femmes, composée de représentants de l'État, des associations et de personnalités qualifiées, est une instance essentielle de concertation et d'animation du réseau des conseils départementaux. Elle recense les bonnes pratiques, fait des recommandations législatives et réglementaires, peut commander des études et remplit une mission de veille.

La mobilisation des associations sur le terrain est remarquable et nécessaire : elles doivent être soutenues.

M. Roland Courteau.  - Il ne faut pas les désespérer !

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État.  - Elles sont irremplaçables. Le Gouvernement maintient son effort financier en faveur du planning familial, qui plus est dans le cadre d'une convention triennale, ce qui devrait rassurer le réseau associatif.

Nous nous appuyons sur le réseau des centres d'information sur les droits des femmes et des familles, chargés par l'État d'assurer l'accès des femmes à l'information sur leurs droits. Parmi leurs activités, la lutte contre les violences sexistes est essentielle. Leurs ressources globales s'élèvent à plus de 30 millions, dont 34 % proviennent de l'État. Je m'engage à maintenir ce niveau de financement. Certains centres n'ont pas encore reçu les premiers acomptes, car des conventions triennales sont en cours de signature. Nous envisageons de généraliser cette contractualisation afin d'éviter les retards.

La complémentarité des partenariats institutionnels est essentielle. Les parquets nouent de nombreuses relations avec les associations ; les travailleurs sociaux sont de plus en plus sollicités par le monde judiciaire, la police ou la gendarmerie ; les services déconcentrés et les collectivités territoriales travaillent en partenariat et de nombreuses actions de sensibilisation et de formation sont organisées à l'échelon local. Ces multi-partenariats permettent à l'État de mener de façon pragmatique une politique volontariste de lutte contre les violences adaptée aux besoins.

La prise en charge globale des personnes concernées s'améliore, même si M. Courteau regrette que les avancées se fassent à petits pas. De nouvelles mesures ont été mises en oeuvre depuis 2006. Ainsi, le 39.19, numéro d'appel unique, reçoit plus de 7 000 appels par mois. Il dispense une écoute professionnelle, anonyme et personnalisée et, le cas échéant, une orientation adaptée. J'ai renforcé les moyens financiers de cette plate-forme d'écoute par un redéploiement des crédits d'intervention.

Nous mettons progressivement en place un réseau de référents locaux sur tout le territoire. Interlocuteurs uniques de proximité, ils pourront apporter une réponse globale aux femmes et les orienter vers les structures adaptées. Douze référents ont été recrutés et sont financés par le Fonds interministériel de prévention de la délinquance. Une vingtaine de départements projettent de les mettre en place prochainement. Leur rôle sera déterminant pour simplifier les démarches auxquelles sont confrontées les femmes victimes de violence et assurer le suivi individualisé de leur parcours.

Notre objectif est de mailler le territoire. Le Premier ministre a réclamé que leur déploiement soit accéléré et que d'ici la fin du premier semestre 2009, chaque département soit doté d'un tel référent local. Le dispositif n'a pas pour objectif de se substituer aux acteurs existants mais de les coordonner et de faciliter les démarches de la victime.

L'autonomie des femmes victimes passe par une solution en matière d'hébergement et de logement. De nombreuses mesures ont été prises mais il nous faut encore progresser. Pour diversifier les réponses offertes, j'ai lancé une expérimentation sur les familles d'accueil. Nous avons saisi les présidents de conseils généraux qui se sont fortement mobilisés et, aujourd'hui, plus de 70 familles ont été repérées pour accueillir les femmes victimes avec ou sans enfants. Elles sont réparties sur une vingtaine de départements. Notre objectif est d'arriver à 100 familles d'accueil d'ici 2010.

La proportion de femmes accueillies en CHRS est désormais importante : 33 %. Ces centres abritent les femmes victimes de violences ou bien en grande difficulté sociale. Par ailleurs, 40 % des places en CHRS sont en structure « éclatée », en appartement. Nous veillons aussi à ce que les femmes victimes de violences conjugales soient prioritaires dans l'accès au logement. La loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion adoptée en février comporte deux dispositions importantes insérées par voie d'amendements votés à l'unanimité, et, rendant ces femmes prioritaires dans l'accès au logement social.

Dans le domaine de la santé, des efforts sont faits pour améliorer la connaissance du phénomène, faire de la prévention, développer la formation des professionnels de santé et faciliter le repérage des situations de violence. La prévention très en amont, dès le plus jeune âge, est un souci constant du Gouvernement. Nous travaillons avec l'éducation nationale, notamment dans le cadre de la convention interministérielle pour l'égalité entre les filles et les garçons et entre les femmes et les hommes dans le système éducatif, qui engage neuf ministères. Prévenir les comportements violents et combattre les stéréotypes font partie des priorités de Mme Philippe, rectrice de Besançon qui préside le comité de pilotage.

Le respect de l'autre ne se décrète pas. Le plan « Espoir-banlieue » comprend une sensibilisation au problème. Dans les quartiers sensibles, seules 25 % des jeunes filles participent aux programmes de mini-vacances, par crainte de la violence des garçons. Il faut encourager les filles à avoir les mêmes loisirs, à suivre les mêmes filières et à choisir les mêmes métiers que les garçons. Il faut bien sûr mener des actions contre les mutilations sexuelles et les mariages forcés.

Parallèlement, l'arsenal législatif et juridique depuis 2006 est plus répressif et protecteur. Les victimes sont encouragées à porter plainte et le taux de réponse pénale à l'encontre des auteurs de violences conjugales a augmenté passant de 69 % en 2003 à 84 %. De très nombreux parquets se sont engagés dans des conventions ou protocoles visant la prévention de la récidive grâce à une prise en charge sociale, médicale et psychologique. De même, l'éviction du conjoint violent, mesure phare de la loi de 2006, se révèle pertinente, permettant d'inverser le rapport de force qui se créée lors du processus de violence et de limiter les violences indirectes dont sont victimes les enfants. Sachez, madame André, que nous travaillons avec le ministère de la justice sur ce dossier.

Les acteurs prennent de plus en plus conscience de l'importance de se coordonner. Le rôle des « référents » est essentiel. D'autres interlocuteurs référents ont été mis en place dans les domaines de la santé, de la justice et du logement. Il faut mieux les identifier et clarifier leurs missions en fonction de leurs compétences.

La tension dans les zones très urbanisées freine l'accès au logement social et retarde le retour à l'autonomie des victimes. Les unités médico-judiciaires les accueillent et les informent. Au nombre de 50, elles méritent d'être déployées. De nouveaux schémas ont été élaborés en janvier avec des établissements pivots pour assurer un meilleur maillage. Le manque de places dans les différentes structures de prise en charge thérapeutique réduit l'efficacité de l'éviction du conjoint violent, mesure prononcée dans 9,6 % des affaires de violences conjugales. La concertation des acteurs locaux et la formation des professionnels de santé, de police, de gendarmerie, de justice doivent être renforcées. Mme Bachelot étudie la mise en place de modules de formation adaptés. Mme Alliot-Marie a rappelé sa volonté de former et d'augmenter les personnels de police affectés à l'accueil et au soutien psychologique des femmes victimes. La prise en charge doit être homogène sur tout le territoire.

Vous avez raison, madame Terrade, de citer en exemple le parquet de Bobigny. Nous devons nous inspirer des bonnes pratiques que le rapport de l'Igas et de l'IJS ont utilement recensées, par exemple de la politique pénale conduite par le procureur près le tribunal de grande instance de Bobigny qui a désigné depuis 2005 des référents spécialisés au sein du parquet, avec des résultats visibles : le taux de classement sans suite est passé de 24 % à 15 % et le recours à la médiation pénale a été interdit. Un mémento à l'attention des membres du parquet a été élaboré afin d'harmoniser les réponses pénales et des instructions précises sont données aux services de police pour systématiser les rapports téléphoniques, même en l'absence de plainte. Des marges de progression existent en s'inspirant de ce qui fonctionne bien.

On ne peut éradiquer les violences sans travailler sur l'image des femmes. Le poids des clichés et des stéréotypes continue à peser et à compromettre les progrès. La commission Reiser a rendu ses conclusions et je ne souhaite pas qu'elles restent lettre morte. La mission de cette commission « Image des femmes dans les médias » va être prolongée, afin d'assurer le monitorage de l'image de la femme dans les médias, miroirs de notre société.

Sur le sujet du respect qui lui est connexe, j'ai souhaité m'adresser plus particulièrement aux jeunes filles. Elles vont recevoir lors des Journées d'appel de préparation à la défense un ouvrage intitulé 18 ans, Respect les filles pour les aider à faire respecter leurs droits. Il sera distribué lors des journées d'appel et disponible pour tous sur un site gouvernemental. Nous envisageons semblable démarche en direction des garçons.

La campagne de communication grand public, lancée en octobre, visait trois cibles -la victime, le témoin et l'auteur. Elle se poursuit grâce au site internet gouvernemental sur les violences faites aux femmes avec des témoignages directs pour que le silence se brise. Toutes les formes de violences sont prises en compte. Un spot télévisé sur les violences conjugales sera diffusé avant l'été, des brochures en cours d'élaboration seront destinées en avril-mai aux femmes et jeunes filles victimes ou susceptibles de l'être de mutilations sexuelles ou de mariages forcés. Un label de campagne d'intérêt général a été attribué à la lutte contre les violences faites aux femmes en 2009 en vue de la préparation de la grande cause nationale 2010.

Une loi-cadre, à l'instar de celle mise en oeuvre en Espagne depuis 2004, est-elle indispensable ? C'est une revendication récurrente de plusieurs mouvements associatifs mais le rapport d'évaluation du premier plan triennal de lutte contre les violences faites aux femmes a conclu qu'une loi-cadre n'aiderait pas à régler les difficultés persistantes. Notre arsenal juridique est complet et particulièrement répressif et, depuis 2004, nous le consolidons régulièrement. Nous réfléchissons actuellement à la répression des violences habituelles et psychologiques.

Notre objectif aujourd'hui est l'application pleine et entière du dispositif, qui recèle plus de marges de progrès que l'édiction d'une nouvelle loi. Le deuxième plan va au-delà de ce que pourrait une loi-cadre.

Il est en revanche primordial, madame Laborde, de rassembler toutes les dispositions législatives et réglementaires existantes dans un code unique, qui les rendra plus lisibles, aidera les femmes à connaître leurs droits et simplifiera leurs démarches.

Au travers de ma trop longue intervention, vous aurez compris que j'entends défendre avec la conviction qui est la vôtre la cause qui nous unit et que nos actions conjointes contribueront à faire progresser. Les années 2009 et 2010 seront riches dans les champs de la lutte contre les violences faites aux femmes et de la poursuite de l'égalité professionnelle. Nous aurons beaucoup à travailler ensemble. Bon courage et à bientôt ! (Applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre)

Le débat est clos.

Prochaine séance, mardi 24 mars 2009, à 15 heures.

La séance est levée à 19 h 20.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du mardi 24 mars 2009

Séance publique

A 15 HEURES ET LE SOIR

- Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, de simplification et de clarification du droit et d'allégement des procédures (n°34, 2008-2009).

Rapport de M. Bernard Saugey, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (n°209, 2008-2009).

Texte de la commission (n°210, 2008-2009).

Avis de Mme Jacqueline Panis, fait au nom de la commission des affaires économiques (n°225, 2008-2009).

Avis de Mme Françoise Henneron, fait au nom de la commission des affaires sociales (n°227, 2008-2009).

Avis de M. Bernard Angels, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (n°245, 2008-2009).

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DÉPÔT

La Présidence a reçu de M. Philippe Marini un rapport fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sur la proposition de loi de M. Thierry Foucaud, Mme Marie-France Beaufils, M. Bernard Vera, Mme Éliane Assassi, MM. François Autain, Michel Billout, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Jean-Claude Danglot, Mmes Annie David, Michelle Demessine, Évelyne Didier, M. Guy Fischer, Mmes Brigitte Gonthier-Maurin, Gélita Hoarau, MM. Robert Hue, Gérard Le Cam, Mmes Josiane Mathon-Poinat, Isabelle Pasquet, MM. Jack Ralite, Ivan Renar, Mmes Mireille Schurch, Odette Terrade et M. Jean-François Voguet, tendant à abroger le bouclier fiscal et à moraliser certaines pratiques des dirigeants de grandes entreprises en matière de revenus (n°29, 2008-2009).