Assurance récolte obligatoire (Proposition de loi)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à généraliser l'assurance récolte obligatoire, présentée par MM. Yvon Collin et Jean-Michel Baylet.

Discussion générale

M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi.  - Au début de l'année, nous avons, avec Jean-Michel Baylet, déposé une proposition de loi tendant à généraliser l'assurance récolte. Nous nous réjouissons d'avoir aujourd'hui l'opportunité de défendre un texte qui répond à l'attente de nombreux agriculteurs. Car, s'il y a des dispositifs assurantiels, avec l'assurance récolte issue de la loi d'orientation agricole du 5 janvier 2006 et l'indemnisation publique par le Fonds national d'indemnisation des calamités agricoles, ils sont trop limités pour être efficaces.

Les intempéries gagnent en fréquence et en intensité : un agriculteur subit une perte de revenu de 20 % tous les trois  ans, et un arboriculteur de 30 % tous les trois ans et demi. L'agriculture, qui a toujours été dépendante des conditions climatiques, est désormais confrontée à des défis nouveaux tels que l'encéphalite bovine spongiforme ou la fièvre catarrhale, mais aussi la volatilité des marchés. Les agriculteurs se retrouvent bien démunis quand les aléas économiques et sanitaires s'ajoutent aux incertitudes climatiques. C'est pourquoi nous avons souhaité les sécuriser en rendant l'assurance récolte obligatoire pour l'ensemble des productions agricoles, le second article de notre proposition compensant les conséquences financières pour l'État.

La simplicité de l'énoncé recouvre des situations complexes car le monde agricole est hétérogène, où cohabitent grandes et petites exploitations, poly et monoculture. Cette diversité ne facilite pas la définition d'un outil uniforme et accessible à tous. Le rapporteur juge notre proposition prématurée. Invoquant un obstacle juridique, il observe que l'assurance n'est d'ordinaire obligatoire que pour la responsabilité à l'égard des tiers. Sans être spécialiste, je crois néanmoins que rien n'est figé quand la volonté politique existe -mais nous ne pouvons trancher ce débat maintenant...

Vous avez raison de mettre en avant la responsabilité de l'agriculteur et son libre choix, mais est-il totalement libre ? Des contraintes pèsent sur lui, et elles sont d'ordre financier. Sans mésestimer l'engagement budgétaire de l'État, la prise en charge des primes -35 % aujourd'hui et peut-être bientôt 40 %- reste insuffisamment incitative, de sorte que, sur les 20 % d'exploitations qui y recourent, 27 % pratiquent la grande culture et 0,93 % seulement les cultures fruitières. Il faut donc conforter l'assurance récolte et mutualiser le risque. L'effort serait coûteux...

M. Gérard César.  - Eh oui !

M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi.  - Il permettrait d'élargir l'assiette des cotisations, ainsi que l'écrit le rapport. L'État devrait davantage intervenir jusqu'à ce qu'une masse critique soit atteinte. D'aucuns demanderont s'il faut toujours faire appel à lui et il est vrai qu'il est très sollicité en ce moment. Mais ne devrait-il pas tenir ses engagements envers une agriculture qu'on accuse, à tort, d'être trop aidée ? Or c'est loin d'être toujours le cas et, si je souligne l'avancée réalisée avec les articles 62 et 63 de la dernière loi d'orientation agricole, les lois de finance initiales n'en portent pas toujours la traduction financière, et je dois aussi féliciter la commission des affaires économiques de la vigilance avec laquelle elle s'élève contre la sous-dotation du fonds de garantie. Il est d'ailleurs souhaitable que ce débat incite le ministre à honorer les engagements pris, voire à aller au-delà en soutenant notre proposition...

Les Espagnols ont consacré cette année 280 millions d'euros à leur assurance récolte. L'idée n'est donc pas une exception française et elle figure au bilan de santé de la PAC, ce qui ouvre une fenêtre d'espoir. J'espère donc que le dossier évoluera favorablement et que l'assurance récolte sera mise en conformité avec les règles de l'OMC.

L'extension de l'assurance récolte, à laquelle la loi d'orientation de 2006 a donné un coup d'accélérateur, recueille une quasi-unanimité. En revanche, son caractère obligatoire ne suscite pas une adhésion majoritaire. Attaché à la solidarité nationale, je réaffirme que la mutualisation du risque est le meilleur moyen pour optimiser le dispositif. Quoique la commission ne soit pas de cet avis, je remercie son président et son rapporteur de leur attachement à une cause qui me tient à coeur et qui concerne de nombreux élus, notamment du sud-ouest. J'espère que nous la ferons avancer et je reste attentif à vos réponses. (Applaudissements au centre)

M. Daniel Soulage, rapporteur de la commission des affaires économiques.  - Voilà trois ans, lors de l'examen de la dernière loi d'orientation agricole, nous décidions, à l'occasion d'un amendement de M. César défendu par le président Emorine et par M. Mortemousque, une extension progressive de l'assurance récolte à l'ensemble des productions.

Nous avions alors préservé le caractère facultatif de l'assurance récolte, comme M. Bussereau, alors ministre de l'agriculture. Faut-il aujourd'hui la rendre obligatoire ? C'est ce que suggèrent nos collègues, MM. Collin et Baylet, dans la proposition de loi dont nous discutons aujourd'hui après l'avoir examinée en commission il y a une semaine.

Avant de l'analyser, je souhaite en évoquer le contexte. Alors que les exploitations agricoles vivent sous la menace constante d'un accident climatique -grêle, gel, sécheresse, inondations- le Fonds national de garantie des calamités agricoles (FNGCA) a longtemps constitué l'unique moyen d'indemnisation, mais avec des limites qui tiennent aux délais d'indemnisation, à la nécessité d'une reconnaissance des calamités agricoles et à la faiblesse des montants versés. C'est pourquoi, monsieur le ministre, vous avez très opportunément renvoyé certaines productions à des mécanismes assurantiels en les sortant du fonds.

Malgré ses imperfections, le FNGCA doit continuer à jouer un rôle majeur. On pourra certes en extraire certaines filières, mais sans le supprimer complètement, car il est le seul à pouvoir couvrir les pertes de fonds et les cultures non assurables. Gardons-nous de sortir hâtivement l'arboriculture, la viticulture et l'horticulture avant que les assurances récolte correspondantes n'aient été parfaitement mises au point et suffisamment répandues. En tout état de cause, ce fonds doit apporter un filet de sécurité en cas de besoin. Aux États-Unis, l'assurance catastrophe indemnise les agriculteurs qui ont subi des pertes supérieures à la moitié du rendement historique de l'exploitation, les primes d'assurance étant prises en charge par l'équivalent du ministère de l'agriculture.

Parallèlement au FNGCA, des produits spécifiques d'assurance se sont développés depuis longtemps contre la grêle, le gel, voire plusieurs risques combinés. L'État et certaines collectivités locales versent une partie des primes d'assurance. Après le décret du 14 mars 2005 et la loi d'orientation agricole du 5 janvier 2006, l'assurance récolte a démarré en fanfare avec 60 000 contrats signés. La progression s'est ensuite ralentie, puisque moins de 70 000 contrats sont souscrits trois ans après le lancement du dispositif. Ainsi, l'assurance récolte couvre plus du quart des surfaces assurables, soit 30 % pour les grandes cultures, 12 % pour la viticulture mais moins de 1 % pour les cultures fruitières.

Ce dispositif rembourse plus vite et mieux que l'indemnisation classique, il favorise une gestion plus responsable des risques par les agriculteurs. Toutefois, son succès suppose le soutien résolu des pouvoirs publics, car beaucoup d'exploitants ne pourraient acquitter seuls la prime d'assurance. L'État doit en outre étendre les possibilités de réassurance et favoriser le développement des secteurs déjà couverts, sans oublier l'extension à de nouvelles activités comme l'élevage.

Jeudi, le Président de la République a déclaré qu'il demanderait à la Caisse centrale de réassurance, organisme bénéficiant de la garantie de l'État, de faciliter l'assurance des crédits aux entreprises. Un engagement similaire au profit de l'assurance récolte est demandé depuis longtemps par les professionnels.

A ce sujet, je salue l'action du Gouvernement, mais surtout la vôtre, monsieur le ministre. En effet, vous avez utilisé le bilan de santé de la PAC, effectué à Bruxelles, pour défendre avec intelligence et opiniâtreté notre modèle agricole. Il y a quelques semaines, vous avez lancé à Annecy le débat sur l'après 2013. Vous avez du mérite, car la partie n'est pas facile pour notre pays. C'est notamment grâce à vous que le nouvel article 69 devrait accorder d'importants soutiens communautaires à l'assurance récolte. Ainsi, les États membres pourront utiliser jusqu'à 10 % des aides qu'ils perçoivent au titre du premier pilier, non seulement pour protéger l'environnement ou améliorer la qualité des produits agricoles, mais aussi pour subventionner le paiement des primes d'assurance récolte. En définitive, 60 %, voire 70 % des montants seraient pris en charge par les fonds publics, dont les deux tiers par des financements communautaires. Si cette mesure est finalement adoptée, elle amplifiera très substantiellement le soutien à l'assurance récolte dès 2010. En outre, le nouvel article 70 autorise les États membres à financer des fonds indemnisant les exploitations qui auront subi des pertes causées par des foyers de maladies animales ou végétales.

Le principe d'une extension de l'assurance récolte rencontre un large consensus parmi les intéressés, mais il reste à voir comment atteindre cet objectif. La proposition de loi vous propose de la rendre obligatoire. Pourquoi ? Parce que l'assurance suppose la mutualisation des risques : si seuls sont assurés ceux dont le risque est important, les primes deviennent exorbitantes ; si tout le monde participe, le coût est bien plus faible pour chacun. Nos collègues invoquent donc le « principe de solidarité ». Cette proposition est séduisante, mais tout n'est pas aussi simple, car l'obligation d'une assurance récolte suscite au moins quatre objections.

Tout d'abord, bien que le droit français compte plus de 90 assurances obligatoires, leur fondement presque systématique est la responsabilité à l'égard des tiers : si vous conduisez une voiture, l'assurance indemnisera la victime d'un accident dont vous êtes responsable, même si les frais dépassent vos capacités financières.

Ensuite, les marges budgétaires de l'État sont extrêmement réduites. Aujourd'hui, l'assurance récolte coûte 32 millions aux finances publiques, elle coûterait dix fois plus si tout le monde devait être assuré, sans même compter l'élevage. Puisqu'il est question de solidarité, je souligne que certains agriculteurs ne sont pas assurés, tout simplement parce qu'aucun produit d'assurance n'est adapté à leur cas. C'est le cas des cultures fourragères, mais aussi de nombreux arboriculteurs, dont les primes seraient insupportables.

Troisièmement, l'obligation d'assurance imposerait de nouvelles procédures de contrôle et des sanctions. Lesquelles ? De telles difficultés ne peuvent être réglées dans le cadre de cette proposition de loi.

Enfin, aucun pays au monde n'a rendu obligatoire une assurance récolte. MM. Émorine et Deneux l'ont constaté aux États-Unis en 1997. M. Mortemousque a très bien décrit ce qui s'y passe, ainsi qu'en Espagne. Dans ce pays, un modèle en Europe, l'État dépense dix fois plus qu'en France alors qu'une exploitation sur deux seulement est assurée. De façon générale, l'agriculture est une activité entrepreneuriale. N'imposons donc pas de nouvelles obligations sans être certain d'améliorer la situation des exploitants.

Pour ces raisons, j'ai conclu au rejet de la proposition, que la commission n'a pas adoptée. Cependant, cette initiative a le mérite de donner l'occasion de faire le point sur le dossier au moment du basculement entre le FNGCA et le dispositif assurantiel, au moment aussi où vous défendez ce mécanisme, monsieur le ministre, devant les instances bruxelloises, qui devraient l'accepter le 19 novembre. Nous souhaitons donc vous appuyer dans ses négociations, mais également rappeler que l'engagement ferme des pouvoirs publics et une visibilité à long terme sont indispensables au développement de cette formule.

Pour aller plus loin, la France doit pouvoir accorder la garantie de l'État via, par exemple, la Caisse centrale de réassurance. Je regrette que le soutien à la prime d'assurance pour les grandes cultures passe de 35 % à 25 % en 2009, car les prix se sont repliés de manière catastrophique. Ainsi, le cours du maïs est aujourd'hui de moitié inférieur à ce qu'il était l'année dernière. En revanche, le signal est positif pour les productions arboricoles et viticoles, dont le taux de soutien devrait atteindre 40 %. Je note avec satisfaction la bonification de 5 % pour les jeunes agriculteurs, ainsi que l'apport de certaines collectivités locales. Enfin, le relèvement de la déduction pour aléas (DPA) est satisfaisant, bien que je regrette la diminution de la déduction pour investissement (DPI).

Les auteurs de la proposition de loi ont très utilement ouvert la discussion sur l'assurance récolte ; je vous invite cependant à ne pas adopter leur proposition, ce qui ne doit surtout pas empêcher de faire le point sur son extension ni d'envisager ses perspectives de développement. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi.  - Je m'exprime maintenant au nom de mon groupe. Rendre obligatoire l'assurance récolte est, selon nous, la meilleure voie pour réduire les primes d'assurance, donc pour diffuser cette assurance. Le Gouvernement et notre rapporteur jugent cette solution prématurée ; tout le monde souhaite une extension de la couverture assurantielle, mais on bute rapidement sur la faiblesse des crédits qui y sont consacrés, soit 32 millions pour l'an prochain. Monsieur le ministre, comment le ministère de l'agriculture compte-t-il atteindre les objectifs qu'il s'est fixés ?

Vous avez décidé de réduire de 10 points le taux de subventionnement des grandes cultures, alors même qu'elles vont sortir du champ du fonds de garantie contre les calamités agricoles, tout en continuant à y cotiser. Ces cultures ne sont pas celles qui ont le plus besoin de soutien, mais je crains que vous n'ayez du mal à vous faire comprendre localement. Or, c'est sur elles que repose le principe de solidarité et de mutualisation ! Enfin, sur demande française, l'assurance récolte a été inscrite au « bilan de santé » de la PAC qui doit être voté d'ici la fin de l'année. La Commission européenne propose d'utiliser le régime des soutiens spécifiques pour développer l'assurance récolte mais aussi de créer un fonds de mutualisation en cas de maladies animales ou végétales. Le nouvel article 68 autoriserait les États à utiliser 10 % de leurs plafonds nationaux au titre du premier pilier, pour aider les agriculteurs à payer leurs primes d'assurance. Ce niveau de financement est sûrement optimiste. Une hypothèse de 1 à 3 % des DPU fléchés vers l'assurance récolte me paraît plus réaliste. Quoi qu'il en soit, le soutien public, prévu par l'article 69, pourrait représenter 60 à 70 % du coût de la police d'assurance, dont les deux tiers seraient pris en charge par l'Union européenne. Dans l'ensemble, ce dispositif européen s'annonce proche de notre système français et peut être conforme aux règles de l'OMC. Cependant, le budget français sera-t-il à la hauteur des cofinancements obligatoires ?

Le débat s'annonce vif. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous faire un état des lieux ? L'assurance récolte doit être une priorité dans la dernière ligne droite des négociations de la PAC. Il faut la rendre obligatoire, le Gouvernement doit y mettre les moyens ! (Applaudissements au centre)

M. Daniel Raoul.  - Ce sujet est d'actualité à plus d'un titre : les revenus des agriculteurs sont encore fragilisés par les intempéries -dont les experts disent qu'elles vont se multiplier dans les années à venir- comme par les maladies ; l'État et les collectivités sont davantage sollicités face aux crises qui affectent les revenus agricoles ; la mutualisation renforcera la résistance face aux crises ; enfin, cette proposition vient au bon moment dans la négociation européenne sur la PAC.

La généralisation doit être juste, efficace et équitable. Cependant, les agriculteurs sont loin d'être tous dans la même situation : seuls les agriculteurs à hauts revenus peuvent s'assurer, les petits n'en n'ont pas les moyens et la couverture laisse de côté des régions entières, et seuls les agriculteurs dont la production est à fort risque s'assurent. Des productions entières sont écartées de ce système.

Nous sommes favorables à une assurance récolte obligatoire, mise en place progressivement. On peut, par exemple -ce sont des suggestions-, soit la généraliser d'abord sur une production, par exemple les céréales, en impliquant toute la filière ; soit l'expérimenter sur des productions indispensables mais qui n'ont pas les moyens de s'assurer, par exemple la filière ovine ou les fruits et légumes.

Nous voterons donc ce texte d'appel, et d'appui, en espérant qu'il vous soutienne dans vos négociations, monsieur le ministre, et que vous puissiez aboutir ! (Applaudissements à gauche)

M. Gérard Le Cam.  - En proposant une assurance obligatoire sans prévoir ni le financement, ni les modalités de mise en oeuvre ni la compatibilité avec les règles européennes et internationales, ce texte pose plus de problèmes qu'il n'en résout. Cependant, il lance très utilement un débat nécessaire sur la prise en compte des difficultés du monde paysan face aux aléas climatiques.

La protection actuelle contre les aléas n'est guère satisfaisante. Si la loi d'orientation agricole de 2006 a fait progresser l'assurance récolte, c'est surtout en direction des grandes cultures. Le FNGCA indique que, de 2005 à 2008, la prime d'assurance était la même pour toutes les cultures : cela paraît peu adapté à la disparité de revenus et de risques entre les cultures. Il serait heureux que le décret, en 2009, prévoie un taux différencié avantageant les cultures les plus exposées.

La question de l'assurance récolte, cependant, ne doit pas être déconnectée de celle de la garantie des prix aux agriculteurs. Il faudrait définir un mécanisme assurant les volumes de produits, voire les prix, pour stabiliser les revenus agricoles. Si entre 2006 et 2007 le revenu net par actif de l'agriculture a augmenté, c'est essentiellement grâce aux céréales, aux oléagineux et aux protéagineux, dont le prix a augmenté de 51 %. Cette hausse a accru le coût de production de l'alimentation animale, ce qui a mis en difficulté nombre d'éleveurs déjà affaiblis par des crises sanitaires. Or, ce sont également ces grandes cultures qui sont les mieux assurées. Si certains agriculteurs ne s'assurent pas, c'est d'abord parce qu'ils n'en ont pas les moyens ! Il devient urgent de préciser la notion de prix rémunérateur des produits agricoles.

Le principal obstacle opposé à ce texte est d'ordre financier. Pour atteindre le niveau d'engagement de l'Espagne en faveur de l'assurance récolte, l'État devrait décupler son aide : le Gouvernement, qui a vidé les caisses, ne se prépare certainement pas à cette option ! Ensuite, nous ne souhaitons pas imposer une obligation de s'assurer aux agriculteurs alors que les instances communautaires n'ont pas fixé leur position sur le soutien des États membres et de l'Union.

En commission, M. le rapporteur a souligné le manque de produits assurantiels adaptés au risque de la récolte. Se pose également la question de la concurrence entre les assureurs. Aujourd'hui, deux assureurs proposent les assurances multirisques : Groupama qui représente 90 % du marché, et Pacifica, filiale du Crédit agricole. Si l'assurance devenait obligatoire, quelle serait l'attitude de ces deux concurrents ? Il ne faut pas sous-estimer le risque que les assureurs profitent de la subvention publique pour augmenter leurs primes.

Enfin ce texte est muet sur la mutualisation, en renvoyant pour l'essentiel à un décret.

Quel niveau de mutualisation voulons-nous ? Sans être hostiles au principe d'une assurance obligatoire, nous l'estimons prématurée. A l'heure de la réforme de la politique agricole commune, la présidence française n'a pas proposé de mesures fortes pour défendre les cultures les plus fragiles et assurer un revenu décent aux agriculteurs. La suppression des quotas, la réforme des aides à la production déstabilisent les revenus et renforcent les inégalités.

Il faut poursuivre la réflexion, en privilégiant un traitement par filière, un haut niveau de mutualisation, une participation de l'État et de l'Union européenne, ainsi que des prix rémunérateurs, une régulation de la production et des marges de la distribution. Or ce qui se prépare, c'est le désengagement de l'État, au profit des assurances privées ! Dans ce contexte, le groupe CRC s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Gérard César.  - La multiplication des incidents climatiques entraînant des difficultés croissantes pour le FNGCA, les pouvoirs publics ont souhaité que le relais soit pris par des mécanismes d'assurance récolte couvrant, non pas un, mais plusieurs risques, comme le préconise le rapport Ménard.

Le dispositif d'assurance récolte lancé en février 2005 prévoit des subventions incitatives de l'État, mais laisse la souscription de contrats d'assurance à la seule initiative des agriculteurs. Or seul un dispositif assis sur une assiette de cotisants aussi large que possible présenterait une réelle portée.

En tant que rapporteur de la loi d'orientation agricole, j'avais proposé d'étendre progressivement le mécanisme d'assurance récolte à l'ensemble des productions agricoles : l'amendement est devenu l'article 68 du texte. Le but de notre commission était de favoriser une montée en puissance rapide des instruments mis en place par le Gouvernement.

Le dispositif d'assurance récolte a vocation, à terme, à prendre le relais du mécanisme de solidarité nationale, insuffisamment efficace.

Le rapport que notre ancien collègue Mortemousque a publié le 28 février 2007, en tant que parlementaire en mission, dresse un nouveau bilan. Premier constat, la gestion des risques et des crises sera un élément majeur des prochains rendez-vous communautaires, notamment du bilan de santé de la PAC, et les propositions françaises en vu d'un cofinancement ne seront crédibles que si la progression de l'assurance récolte est claire et consensuelle. Deuxièmement, les investissements nécessaires pour s'adapter à l'après 2013 nécessitent une couverture plus forte contre les aléas, donc mieux individualisée. Enfin, les aléas économiques, climatiques et sanitaires ne sont pas indépendants et les producteurs doivent s'organiser.

Le rapport Mortemousque envisage trois scénarios : une assurance récolte cantonnée aux grandes cultures, étendue aux cultures spécialisées ou à l'ensemble des productions, fourrage compris ; en tout état de cause, il estime qu'elle ne doit pas être obligatoire, mais incitative.

Les crises touchent les récoltes, mais aussi les troupeaux, exposés à des risques sanitaires qui sont des facteurs de déstabilisation économique et de déséquilibre des marchés. L'influenza aviaire et la fièvre catarrhale sont toujours d'actualité... Il parle d'assurance « aléas » pour faire face à tous ces risques.

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques.  - Très bien !

M. Gérard César.  - L'échéance de 2013 sera l'occasion de dresser un premier bilan de l'assurance récolte et d'étudier un mécanisme d'assurance globalisé. Nous sommes aujourd'hui dans une phase de transition entre le régime des calamités agricoles et une véritable assurance aléas.

Nous souhaitons que l'assurance récolte soit étendue, sans être pour autant rendue obligatoire, comme le propose la présente proposition de loi, ce qui représenterait un coût supplémentaire pour l'agriculteur. Le groupe UMP se rallie donc à la position du rapporteur. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche.  - Cette proposition de loi nous donne l'occasion de débattre d'une question centrale : celle de l'exposition des entreprises agricoles aux risques.

Le développement des outils de couverture des risques est une priorité de mon action, au niveau communautaire et au niveau national. Sous l'impulsion de votre Haute assemblée et du président Emorine, le Gouvernement s'est engagé dans le développement de l'assurance récolte : ce fut l'inscription, dans la loi d'orientation agricole de 2006, du principe de son extension progressive à l'ensemble des productions, grâce à un amendement du rapporteur, M. César.

Pour aller plus vite, faut-il rendre l'assurance récolte obligatoire ? Je me suis posé la question avec le Gouvernement, car la généralisation de l'assurance récolte figure sur ma feuille de route, fixée à Rennes par le Président Sarkozy. Le Gouvernement a privilégié la responsabilisation des agriculteurs en renforçant l'incitation et en inscrivant l'assurance récolte dans la réflexion sur la politique agricole commune.

Notre environnement est devenu plus incertain, c'est ma conviction. Les risques se multiplient, s'amplifient. Aléas climatiques, crises sanitaires, retournement des marchés sont le quotidien des entreprises agricoles, qui sont les plus exposées, mais aussi les moins bien protégées. Nos outils ne sont plus adaptés.

Seule une politique globale et cohérente de gestion des risques peut offrir une couverture complète, comme le souligne le rapport Mortemousque. Nous allons combiner épargne de précaution défiscalisée, assurance récolte volontaire mais subventionnée, et indemnisation des risques sanitaires à partir d'un cofinancement des agriculteurs que les pouvoirs publics pourront rendre obligatoire.

Tous les risques sont liés, M. César l'a dit. C'est pourquoi j'ai plaidé pour l'introduction de la couverture des risques au sein de la PAC.

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission.  - Très bien !

M. Michel Barnier, ministre.  - Le bilan de santé de la PAC est une opportunité à saisir. Après 26 réunions à Bruxelles, nous devrions aboutir à un accord politique le 19 ou le 20 novembre, une fois que le Parlement européen aura rendu son avis.

La PAC ne peut se réduire à des aides découplées et à un renforcement de la politique rurale. Elle doit intégrer la montée des risques climatiques et sanitaires mais, alors que la Commission avait à l'origine envisagé de les prendre en compte dans le cadre du second pilier de la PAC, nous avons obtenu que leur couverture devienne un des outils du premier pilier. Je mobiliserai tous les articles du règlement pour aboutir à ce résultat.

Voici les dates clés du calendrier à venir : en novembre, le bilan de santé devrait être effectué. Pendant six mois, nous débattrons en France de la meilleure façon d'utiliser ces outils afin de réorienter l'utilisation de ces aides et le Parlement sera bien évidemment associé à ce débat. Les décisions que nous prendrons seront applicables en 2010. Dès lors, nous mobiliserons des moyens prélevés sur les aides pour financer le développement de l'assurance récolte et mieux indemniser les crises sanitaires.

Nous ouvrons également la voie pour d'autres mécanismes assurantiels pour l'après 2013. On ne peut pas, monsieur Le Cam, envisager pour la PAC une assurance revenu sans avoir préalablement développé l'assurance récolte.

J'ai donc décidé de réorienter notre dispositif national car, même si son bilan est globalement positif, il s'essouffle. Il a en effet tendance à se vampiriser car coexistent indemnisations publiques et assurances privées subventionnées avec une déduction pour aléa qui ne fonctionne pas vraiment. Il faut donc proposer aux agriculteurs un mécanisme cohérent et diversifié.

De plus, l'assurance s'est développée mais sa diffusion a été très inégale selon les secteurs. L'assurance récolte est restée concentrée sur les productions les moins risquées mais les secteurs les plus exposés aux risques, comme les fruits et légumes et la viticulture, se sont peu assurés. En outre, pour les fourrages, l'offre de produits d'assurance en reste à l'expérimentation chez un seul assureur. Une approche différenciée est donc nécessaire.

Il est apparu que la voie du contrat d'assurance reposant sur la responsabilisation des agriculteurs est la plus efficace car elle permet d'atteindre les objectifs de couverture chez le plus grand nombre tout en participant à l'intégration des risques dans la gestion des entreprises agricoles : le contrat est donc préférable à la contrainte.

Au regard du bilan que je viens de dresser, notre dispositif va donc profondément évoluer en 2009. Ce sera la première étape d'une refonte substantielle de la couverture des risques. Le soutien à l'assurance récolte sera renforcé dans les secteurs des fruits et légumes et de la viticulture ; il passera à 40 % et même 45 % pour les jeunes agriculteurs. En contrepartie, il diminuera pour les grandes cultures pour se stabiliser à 25 %. Les grandes cultures, dont le taux de surface assuré est actuellement supérieur à 27 %, ne seront plus indemnisées au titre du Fonds national de garantie contre les calamités agricoles pour la perte de récolte mais continueront à l'être pour les pertes de fonds.

La déduction pour aléa (DPA) qui permet aux agriculteurs de constituer une épargne de précaution défiscalisée sera réformée. Son plafond de 23 000 euros sera indépendant de celui de la déduction pour investissement (DPI) dont le montant sera de 15 000 euros. Pour que ces différents outils soient cohérents, le niveau de la DPA sera conditionné à la souscription d'une assurance et cette épargne pourra être mobilisée afin de prendre en charge la franchise non couverte par l'assurance.

Le Gouvernement mène donc une politique ambitieuse de la couverture des risques climatiques en l'inscrivant dans la durée et en augmentant significativement les crédits qui lui sont consacrés. En 2009, les moyens publics consacrés à l'assurance récolte se monteront à 38 millions. Ils passeront à 100 millions en 2010, financement communautaire compris et hors Fonds de calamité. Il convient d'ajouter à ces montants l'impact de la DPA sur les rentrées fiscales estimées à 80 millions.

Pour répondre à M. Collin quant aux dotations du FNGCA, elles figurent chaque année en loi de finances rectificative, sur une base moyenne de 90 millions. Pour rappel, la sécheresse de 2003 a coûté plus de 600 millions. Je souhaite doter le Fonds national en loi de finances initiale mais cela n'a pas été possible cette année compte tenu des contraintes budgétaires. Ce sera chose faite en 2011, dans le plan triennal budgétaire, pour près de 40 millions. Ce n'est qu'en 2010 que le coût budgétaire du développement de l'assurance jouera à plein en raison du décalage entre le paiement des primes et la souscription des contrats. En 2010, l'État financera 60 millions, soit le double de l'heure actuelle. En 2011, le coût total sera de 100 millions et l'Europe assurera plus de la moitié du financement. Dans le bilan de santé, je négocie un taux de cofinancement européen aussi élevé que possible pour accroître nos marges de financement.

Pourquoi n'avons-nous pas opté pour l'obligation d'assurance ?

Pour les auteurs de la proposition de loi, l'obligation d'assurance initierait un cercle vertueux (M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi, le confirme) : tous les agriculteurs étant assurés, les risques seraient mutualisés et le coût de l'assurance en serait réduit. Cette vision est trop idyllique. (M. Yvon Collin le conteste) Elle sous-estime les questions de fond et les difficultés qu'une telle obligation générerait et que votre rapporteur a rappelées avec pertinence.

Je souhaite revenir sur certains d'entre elles : l'assurance récolte n'est pas une assurance responsabilité. La rendre obligatoire, c'est interférer avec la responsabilité individuelle de l'agriculteur dans l'appréciation du risque de son entreprise. C'est peut-être aussi la fausser.

L'obligation d'assurance suppose, pour être efficace, que tous les agriculteurs aient accès à des contrats. Or, le faible taux de souscription dans certains secteurs est le résultat de l'insuffisance, voire de l'inexistence -pour les fourrages- de l'offre des assureurs. L'obligation ne réglerait pas cette question.

L'obligation d'assurance ne sera efficace que si des sanctions sont prévues et appliquées. Mais cette sanction serait-elle acceptée par les agriculteurs qui pourraient estimer que leur refus de s'assurer ne concerne qu'eux et qu'ils ne causent aucun tort à autrui ?

L'obligation d'assurance exige la mise en place d'une réassurance publique et de mécanismes publics garantissant à tous la possibilité de s'assurer.

J'ai bien lu, monsieur le rapporteur, votre analyse sur les limites de la réassurance privée et votre demande de réassurance publique, à l'instar de ce qui se passe aux États-Unis ou en Espagne. C'est une question que nous avons discutée avec les assureurs et le ministère de l'économie et des finances. Nous sommes convenus de faire un point au fur et à mesure du développement de l'assurance. Nous n'avons donc pas fermé la porte de la réassurance publique, mais nous misons aujourd'hui sur le développement de la réassurance privée, avec ce souci de l'évaluation régulière.

J'ai bien entendu votre proposition à l'égard de la Caisse centrale de réassurance, à qui le Président de la République vient de demander de faciliter l'assurance des crédits aux entreprises. Évidemment, je vais être très attentif à son évolution. L'obligation d'assurance se traduirait par un coût budgétaire multiplié par dix.

Je ne voudrais pas sous-estimer les risques d'exclusion que vous avez mis en avant, monsieur le rapporteur, en soulignant que malgré ses imperfections, le Fonds de calamité avait été, avec ses 30 % d'indemnisation moyens, une caisse d'assurance « coup dur ».

J'ai bien compris vos craintes d'une sortie trop rapide de l'indemnisation du Fonds de calamités. Je veux vous rassurer : la décision n'est prise que pour les grandes cultures. Nous serons très vigilants sur la sortie des autres secteurs, d'autant plus qu'ils sont très exposés aux risques.

Nous allons aussi travailler au contenu des contrats d'assurance avec les assureurs pour en améliorer les conditions. Et une assurance « coup dur » pourrait avoir sa place dans une palette de contrats offerts aux agriculteurs.

Enfin, nous ne laisserons pas d'agriculteurs au bord du chemin. Le Gouvernement s'engage à respecter le principe de la solidarité grâce à un taux de subvention des contrats d'assurance plus élevé pour les secteurs les plus exposés, notamment la viticulture et les fruits et légumes, et grâce aussi au Fonds national de garantie contre les calamités agricoles.

Nous avons déjà cette préoccupation : les exploitations victimes d'orages de grêle, qui ne sont pas éligibles aux indemnisations du Fonds national, peuvent actuellement, sous condition de revenu, bénéficier d'une prise en charge de leurs cotisations sociales ou d'un dégrèvement de la taxe foncière sur les propriétés non bâties. II est plus judicieux d'aller en ce sens, pour ne pas entraver l'incitation à souscrire une assurance récolte.

Enfin, le Comité national de l'assurance devra, chaque année, faire le bilan du dispositif et nous en tirerons les conséquences pour l'adapter.

Si le Gouvernement partage l'objectif de la proposition de loi, il ne partage pas le moyen pour l'atteindre. Je vous ai dit pourquoi mais, en la matière, je n'ai pas d'idéologie. Pour les risques sanitaires, nous nous orientons vers une contribution obligatoire des professionnels et une indemnisation publique.

Pour toutes ces raisons, et tout en considérant que cette proposition de loi était une bonne occasion de faire le point, je demande à votre Haute assemblée de suivre les conclusions de la commission afin de ne pas adopter la proposition de loi. (Applaudissements à droite et au centre)

La discussion générale est close.

Mme la présidente.  - Je vais mettre aux voix les conclusions de la commission. Je rappelle au Sénat qu'elles visent au rejet de la proposition de loi ; ceux qui sont en faveur de la proposition de loi devront donc voter contre, ceux qui sont contre la proposition de loi devront voter pour.

Les conclusions de la commission sont adoptées.

En conséquence, la proposition de loi est rejetée.