Modernisation du marché du travail (Conclusions de la CMP)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant modernisation du marché du travail.

Discussion générale

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur de la commission des affaires sociales.  - La CMP est parvenue à un accord. Elle a adopté huit amendements, dont trois apportant des modifications substantielles. Nous avons longuement débattu de la compétence donnée par le Sénat au conseil de prud'hommes pour statuer « en premier et dernier ressort » sur les litiges relatifs à la rupture conventionnelle du contrat de travail. Plusieurs députés s'interrogeaient sur la compatibilité avec le principe d'unicité de l'instance prud'homale et avec la convention européenne des droits de l'homme. Est-il possible de supprimer la possibilité de l'appel ? L'introduction de règles dérogatoires ne risque-t-elle pas de susciter la méfiance chez les salariés ? La CMP a jugé plus prudent de rétablir l'appel mais a limité à douze mois le délai de recours. Un délai identique a été introduit par la loi de cohésion sociale de janvier 2005 pour le licenciement économique ; nous avons harmonisé les règles. Le délai de recours s'ouvre après le délai de rétractation, quinze jours, et après le délai d'homologation par l'administration, quinze jours ouvrables et non pas calendaires -le Sénat a été suivi sur ce point.

Nous avions estimé logique d'autoriser les entreprises d'intérim à exercer le portage salarial, dans la mesure où ce secteur va être chargé de l'organiser par voie d'accord. Les députés ont considéré qu'une telle disposition anticipait sur la négociation à venir ; et qu'elle pourrait être mal interprétée, analysée comme conférant un monopole au secteur de l'intérim. La CMP a donc supprimé cette autorisation mais a confirmé l'obligation faite aux entreprises d'intérim de consulter les fédérations du portage salarial avant de conclure l'accord prévu.

Le Parlement a respecté l'équilibre de l'accord conclu par les partenaires sociaux le 11 janvier dernier, sans renoncer à son rôle : nous avons ainsi apporté aménagements et compléments, comme sur le délai de prévenance en cas de rupture d'un CDD. Je réaffirme ici l'attachement du Sénat au dialogue social.

M. Guy Fischer.  - Et aux 35 heures ?

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur.  - Puisse cet exercice concluant de réforme par la négociation collective être renouvelé dans l'avenir. Ce projet de loi prometteur pose les fondations d'une « flexisécurité » à la française qui devra être encore amplifiée. Nous saluons la qualité du dialogue social et en félicitons les partenaires sociaux, ainsi que M. Xavier Bertrand et vous-même, madame la ministre, qui avez su créer le climat nécessaire.

M. Guy Fischer.  - Les choses ont un peu changé depuis...

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur.  - Souhaitons que cette expérience devienne une référence pour les négociations à venir ! (Applaudissements à droite)

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité.  - Ce projet de loi marque un moment historique. D'abord parce qu'il est né de l'accord interprofessionnel de janvier dernier, le premier conclu dans le cadre de la loi de modernisation du dialogue social de janvier 2007. Le présent texte a donc été élaboré en étroite concertation avec les signataires. Certains sujets feront l'objet de négociations ultérieures -formation professionnelle, gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, assurance chômage. D'autres seront précisés dans les décrets d'application, qui sont prêts et qui vous ont été transmis, ainsi qu'à la commission nationale de la négociation collective. Enfin, nous avons mis en place le groupe de réflexion tripartite demandé par les signataires sur les aspects juridiques des indemnités dues en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Ce projet de loi marque une première étape vers une flexicurité à la française, qui trouve ici une première traduction : garanties et sécurité nouvelles, souplesses nouvelles. Un principe essentiel est posé : la forme normale de la relation de travail est le CDI. Les représentants du personnel seront désormais informés sur le recours au travail à durée déterminée et au travail temporaire. En cas de maladie, l'ancienneté requise pour une indemnisation complémentaire sera réduite à un an ; les stages de fin d'études seront compris dans la période d'essai ; l'indemnité de licenciement, de montant unifié, sera accordée après un an dans l'entreprise contre deux aujourd'hui. Enfin, le CNE est abrogé et l'exigence de motivation et de cause réelle et sérieuse en cas de licenciement s'applique à tous les contrats -Xavier Bertrand l'avait annoncé après la décision de l'OIT et les arrêts des cours d'appel qui ont rendu inopérant le CNE.

Le projet modernise également les relations individuelles de travail. Les partenaires sociaux ont voulu mettre en place des périodes d'essai applicables dans toutes les professions et tous les secteurs d'activité -mais un contrat de travail ou un accord collectif pourra fixer des périodes d'essai plus courtes. Le projet de loi rendra possible la rupture conventionnelle du contrat de travail, dans un cadre légal entouré de garanties : délai de rétractation, délai d'homologation... Il s'agit d'une innovation essentielle dans notre droit. Elle réduira sans doute le recours en justice -un quart des licenciements pour motif personnel donne lieu à un recours !

Pendant cinq ans sera expérimenté un CDD à objet défini, d'une durée de dix-huit à trente-six mois. Les entreprises pourront recruter les compétences nécessaires sur certaines missions ponctuelles.

Un accord collectif devra être préalablement conclu pour garantir les conditions d'utilisation de ce contrat. Enfin, le portage salarial pourra être encadré par un accord conclu dans les deux ans dans la branche du travail temporaire, comme l'ont souhaité les partenaires sociaux.

L'Assemblée nationale et le Sénat ont amélioré le texte sur plusieurs points, les parlementaires ont souhaité apporter un éclaircissement sur le fait que les personnes qui signeront une rupture conventionnelle s'ouvriront des droits à l'assurance-chômage. C'est une précision importante et les négociations de la future convention d'assurance chômage viendront confirmer ce principe. Les députés ont indiqué que les parties s'informent mutuellement de l'utilisation qu'elles entendent faire de la possibilité de se faire assister lors de l'entretien prévu en matière de rupture conventionnelle. Ils ont également inscrit noir sur blanc le fait que l'indemnité de rupture de 10 % prévue pour le CDD à objet défini est due par l'employeur au salarié, et non l'inverse, en cas de rupture à l'initiative du salarié. Les sénateurs ont clarifié la notion de date anniversaire dans la rupture du contrat pour un motif réel et sérieux, cette rupture pouvant intervenir au bout de dix-huit ou vingt-quatre mois. Les députés ont complété la sécurisation juridique du CNE, en prévoyant l'application des périodes d'essai conventionnelles pour les CNE requalifiés en CDI. Enfin, les sénateurs ont précisé l'exigence de consultation des acteurs du portage salarial dans le processus d'encadrement conventionnel de cette activité qui va s'engager dans la branche de l'intérim.

Ces précisions et compléments enrichissent le texte sans le déséquilibrer. Ce projet de loi présente de grandes avancées, il marque une étape importante, une étape décisive, mais qui reste une première étape car la modernisation de notre économie et de notre marché du travail appelle d'autres accords, en particulier sur la formation professionnelle et l'assurance chômage.

Ce que veulent les Français, ce que nous voulons pour la société française, c'est une modernisation du contrat de travail, une modernisation du droit du travail, une modernisation du marché du travail. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Raymonde Le Texier.  - Les textes se succèdent devant le Parlement à un rythme effréné...

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.  - On ne peut le nier.

Mme Raymonde Le Texier.  - ...et c'est la même mécanique implacable qui s'applique. Urgence déclarée, nouvelle norme du calendrier parlementaire. Débats au pas de charge où toutes les considérations qui ne sont pas dans la droite ligne idéologique de ce Gouvernement, même quand elles viennent de la majorité, sont traitées avec dédain et refus ! Vote automatique ou presque, quitte à regarder ailleurs au moment du vote. Puis, c'est un bis repetita dans la seconde chambre...

M. Nicolas About, président de la commission.  - Non, nous avons un vote réfléchi !

Mme Raymonde Le Texier.  - ...et, le cas échéant, merveille de notre Constitution, une commission mixte paritaire censée mettre tout le monde d'accord, avant de terminer quoiqu'il arrive par un nouveau vote identique au premier !

M. Nicolas About, président de la commission.  - Avouez que ça ne marche pas mal !

Mme Raymonde Le Texier.  - Les textes se succèdent et rien ne change, bien sûr, parce vous disposez d'une majorité qui à défaut d'être parfaitement d'accord, tente, avec un succès relatif, de rester obéissante ! Rien ne change, surtout, parce qu'au Sénat l'alternance politique est impossible. Petit arrangement maison avec la démocratie, sur lequel vous n'êtes pas prêts de lâcher !

M. Nicolas About, président de la commission.  - Reconnaissez que la commission mixte paritaire a approuvé un amendement socialiste ! C'est peut-être un signe que notre vote n'est pas toujours assez réfléchi...

Mme Raymonde Le Texier.  - S'agissant du texte qui nous occupe aujourd'hui, dès le début de son examen, les consignes gouvernementales furent claires : surtout, ne rien toucher ! Cette loi ne devait être que la copie conforme du sacro-saint accord national interprofessionnel du 11 janvier dernier. Pendant la discussion, le Gouvernement a rejeté toutes les précisions et modifications proposées par l'opposition. Même traitement pour les plus minimes ajustements proposés par la majorité. C'était toujours la même litanie : « avis défavorable car cette mesure ne figure pas dans l'accord ». Vous vous êtes posés en gardiens du temple de l'accord, construit selon la méthode du dialogue social façon Medef-UMP, c'est-à-dire autocélébration et menaces, explicites ou implicites, sur les syndicats.

M. Guy Fischer.  - C'est l'exacte vérité !

Mme Raymonde Le Texier.  - C'est sans surprise que nous avons entendu encore le même « on ne touche pas à l'accord » au cours de la CMP. Pourtant, votre défense de l'accord n'est pas aussi totale que vous le proclamez. Vous pratiquez un double langage. Il y a d'abord les mesures qui étaient inscrites dans l'ANI mais que vous n'avez pas jugé utile de transcrire dans le projet de loi initial. Doit-on s'étonner que ces « oublis » concernent tous des mesures qui allaient dans le sens des salariés ? Je n'en citerai que deux : l'accès aux allocations chômage pour les salariés en cas de rupture conventionnelle et le bonus d'indemnités de licenciement de 2/15e de mois de salaire par année d'ancienneté à partir de dix ans d'ancienneté. Le premier de ces oublis a été réparé grâce à un amendement des députés socialistes qui vous ont pris au mot et demandé que l'accord soit respecté. Quant au bonus d'ancienneté, vous aviez rejeté nos amendements le réinstituant mais vous avez finalement été obligés de le réintégrer par la petite porte du décret.

Autre flagrant délit de double discours : il est précisé dans l'accord national que le nouveau CDD de mission ne peut pas être utilisé pour faire face « à un accroissement temporaire d'activité ». Or cette précision n'est pas reprise dans le projet de loi. Nous vous avons proposé un amendement pour y remédier, respectant ainsi parfaitement l'accord. Mais non : vous avez tout simplement écarté cette précision négociée et obtenue par les syndicats.

On le voit, le respect de l'accord signé entre les partenaires sociaux, c'est quand ça vous arrange et quand ça convient aux employeurs.

M. Bertrand n'a cessé de nous dire que le dialogue social était cher à son coeur. Nous devions croire « sincèrement » que ce projet de loi en serait la première incarnation, et que « vraiment » nous entrions dans une ère nouvelle. Nous n'avons jamais été dupes de ce discours qui visait surtout à nous tenir en laisse au nom du respect de la démocratie sociale. Il semble hélas que nos craintes n'étaient pas infondées. Qui peut encore croire à l'avenir du dialogue social tel que vous entendez le pratiquer, après vos annonces sur les 35 heures, avec votre volonté de passer en force et de n'organiser la négociation et la concertation que lorsque cela sert vos projets ? Le dialogue social version UMP intime puis ordonne. Lorsque que vous savez pouvoir imposer vos vues au travers d'une négociation, vous jouez le jeu, du moins en apparence. Lorsque vous savez que vos projets n'ont aucune chance de créer un consensus, ni même un accord, alors vous écartez d'un revers de la main ce fameux dialogue social. Il n'aura pas fallu longtemps pour que les masques tombent.

Tout au long des échanges que nous avons eus en CMP, il est apparu de façon de plus en plus patente que l'ambition réelle de ce texte était d'éloigner le juge, de faciliter les licenciements en évitant la judiciarisation du droit du travail, et d'organiser son basculement vers le droit civil. J'en veux pour preuve les difficultés que nous avons eues à faire adopter en CMP un amendement tendant à rétablir la possibilité d'appel dans le cas où le juge des prud'hommes serait amené à statuer sur une rupture conventionnelle. Insensibles aux principes généraux du droit qui instaurent la possibilité d'un appel, quelle que soit la juridiction, les sénateurs de la majorité se sont dans un premier temps opposés à cet amendement en mettant en avant les délais d'appel trop longs. Avec une mauvaise foi évidente...

M. Nicolas About, président de la commission.  - Ah non ! Dès que nous vous lâchons quelque chose, vous nous piétinez...

Mme Raymonde Le Texier.  - ...ils suggéraient d'aller directement devant la Cour de cassation, dont chacun connaît les délais et les coûts. In fine, nous pouvons nous réjouir de l'adoption de cet amendement. Il n'en reste pas moins que ce texte dit « de modernisation » est à bien des égards une marche arrière, vers le goût du XIXe siècle. Contournement du droit du licenciement, recul de la compétence du juge sur ces questions, entérinement législatif de l'inégalité entre l'employé et l'employeur, création d'un nouvel outil pour pérenniser la précarité -autant de mesures qui, loin de moderniser le marché du travail, le déconstruisent. Une nouvelle étape dans un travail de sape qui s'est accéléré ces dernières années.

Justement parce qu'il s'agit de la première concrétisation du dialogue social, nous disions rester vigilants, parce que tous les parlementaires devraient être les garants de l'intérêt du plus grand nombre. Telle sera notre attitude notamment au regard des négociations à venir et qui conditionneront l'équilibre de l'application de cet accord national. Nous dénonçons ce texte qui ajoute de la sécurité pour les entreprises mais qui garantit de la précarité pour les salariés. Nous dénonçons votre conception de la flexicurité.

Soumis aux pressions de votre idéologie, les partenaires sociaux sont allés aussi loin qu'ils le pouvaient lors de la négociation. Parce qu'il est respectueux de leur travail, le groupe socialiste s'abstiendra sur ce texte. Mais, tant à la vue du triste sort que vous réservez au dialogue social qu'en raison des dérives dangereuses que cette loi met en place, comme dans le poème de Prévert, nous nous abstiendrons avec la tête et voterons non avec le coeur. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Guy Fischer.  - Nous voici arrivés au terme du débat sur la modernisation du marché du travail. Vous nous avez répété à l'envi votre volonté de respecter le dialogue social et l'accord national interprofessionnel signé en janvier et présenté comme historique. Votre volonté n'aura duré qu'un temps : la négociation sur les 35 heures s'engage dans un mépris total de la position commune qui s'était dégagée entre la CGT, la CFDT, le Medef et la CGMPE sur le projet de loi relatif à la représentativité syndicale. Vous avez bafoué un accord conclu, comme si le dialogue social, la recherche de consensus et les engagements gouvernementaux n'avaient plus de sens. C'en est au point que Mme Parisot vous invite à faire machine arrière et à respecter la position commune. Cela ne manque pas de sel !

Notre conviction, c'est que l'accord du 11 janvier n'est pas, contrairement à vos déclarations, le résultat d'un réel dialogue social. Et vos tentatives d'opposer les sénatrices et sénateurs hostiles à ce projet de loi aux syndicats ayant approuvés l'ANI sont restées vaines. Si je regrette la signature des organisations syndicales, je la comprends. Il faut nous resituer dans le contexte. Quelles solutions leur proposiez-vous ?

Une seule : votre intervention législative, fondée sur les propositions du Medef. Ce ne sont pas les syndicats qui sont à blâmer, c'est votre conception du dialogue social qui est à dénoncer ! Je ne regrette rien de la position de mon groupe lors de l'examen de ce projet de loi. Nous avons déploré que les dispositions les plus favorables aux salariés -très minoritaires dans ce texte- soient toutes renvoyées à plus tard, à l'adoption de décrets, ou encore à la conclusion d'autres accords. Le mauvais coup que vous venez de réaliser sur les 35 heures ne fait qu'accroître mes doutes quant à l'avenir, et nous serons vigilants sur les décrets que vous prendrez, notamment sur les indemnités de licenciement pour les salariés de plus de dix ans d'ancienneté. Ici même, vous nous demandiez, madame la ministre, de vous faire confiance. Au vu de ce qui vient de se passer, vous comprendrez que votre capital confiance soit très largement entamé ! Nous resterons donc mobilisés et vigilants, notamment lors de l'examen du projet de loi sur les demandeurs d'emploi, en juin, et du projet sur les 35 heures, en juillet.

Mais si la forme est condamnable, le fond l'est tout autant. Je voudrais commencer, pour ne pas trop vous accabler, par la seule mesure positive de ce projet de loi...

M. Pierre Bernard-Reymond.  - Quand même !

M. Guy Fischer.  - ...la transformation des CNE en CDI. C'était une disposition très attendue par les milliers de nos concitoyens qui avaient dénoncé la création de ce contrat précaire. Et pourtant, lors de nos débats, qu'avons-nous entendu ? A vous en croire, cette transformation serait le fruit de votre bonne volonté. Bel exercice de réécriture de l'histoire ! Permettez-moi de vous rappeler la chronologie des faits : en juin 2005, le Gouvernement est habilité par le Parlement à prendre des mesures d'urgence censées favoriser l'emploi, dont la création du CNE. La CGT, la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC et FO demandent au Conseil d'État l'annulation de ces ordonnances, considérant que la période d'essai de deux ans et la possibilité de licencier le salarié sans motif sont contraires à la loi. En juillet 2007, les cours d'appel de Bordeaux et de Paris contredisent le Conseil d'État et considèrent que les ordonnances contreviennent aux engagements internationaux de la France, notamment à la convention 158 de l'Organisation internationale du travail. Le 14 novembre 2007, après que M. de Villepin eut réussi à repousser à deux reprises l'examen du CNE par l'OIT, celle-ci déclare ce dispositif contraire aux engagements internationaux de la France en matière de protection des droits des travailleurs. Le 18 novembre 2007, Xavier Bertrand déclarait sur Europe 1 : « Dès que j'aurai notification officielle de l'OIT, je vais écrire à l'ensemble des organisations professionnelles pour leur indiquer qu'on ne pourra pas licencier un salarié sans motiver la décision ». Il aurait fallu déposer rapidement un projet de loi visant à transformer les CNE en CDI. Au lieu de cela, le 14 janvier 2008 sur France 2, M. Bertrand conditionnait la fin des CNE à la conclusion de l'ANI. Je le cite : « Si l'accord est ratifié par les syndicats et retranscrit dans la loi, cela voudra dire que le CNE est totalement derrière nous ». Il est bien curieux de conditionner le respect des engagements internationaux de la France à l'adoption par les partenaires sociaux d'un accord propre à notre pays !

M. Pierre Bernard-Reymond.  - C'est ça, le dialogue social ! Et dans tous les cas, on aurait dû motiver les licenciements !

M. Guy Fischer.  - Il aura donc fallu une pléthore de décisions de justice, une condamnation par l'OIT et cet accord des partenaires sociaux pour que la représentation nationale puisse enfin mettre fin à ce type de contrat précaire. Vous comprendrez donc que ma satisfaction reste mitigée.

Elle l'est d'autant plus que les articles 4 et 5 du projet de loi réintroduisent le principe de non motivation du licenciement. Avec l'article 4, il suffira à l'employeur de justifier un licenciement et non plus de le motiver. La nuance n'est pas anodine : l'employeur n'aura plus à prouver qu'un licenciement est fondé, il lui suffira d'en énoncer les motifs. L'article 5 réaffirme sournoisement, par le biais de la rupture conventionnelle, ce principe de non motivation du licenciement, mais il est vrai que vous n'appelez pas cette rupture de contrat un licenciement, mais un « licenciement à l'amiable »... Pourtant, la rupture conventionnelle enfreint l'article 7 de la convention 158 de l'OIT, qui prévoit qu'une phase préalable à la séparation doit permettre au salarié et à l'employeur de confronter leurs analyses. Or cela est impossible si, entre l'entretien préalable et le recours contentieux, l'employeur peut modifier ses griefs, comme vous l'autorisez à le faire. Selon la même logique, vous aviez voulu instaurer une limitation supplémentaire aux droits des salariés, en privant les salariés ayant opté pour la rupture conventionnelle de la possibilité de faire appel d'une décision défavorable. On aurait ainsi créé une nouvelle catégorie de salariés : aux salariés qui n'ont déjà plus que peu de droits seraient venus s'ajouter ceux qui en auraient eu « moins que peu ». Je me réjouis donc de l'adoption par la CMP de l'amendement de mon groupe, visant à supprimer la disposition qui stipulait que, pour tout litige concernant cette rupture conventionnelle, ce soit le conseil des prud'hommes qui statue en premier et dernier ressort.

Mais ce qui vous importe, c'est d'apporter au patronat des gages de bonne conduite. Les modifications apportées au droit de licencier remplacent votre regretté CNE et réintroduisent le droit de licencier sans motif.

Ainsi vous mettez fin, sous la pression internationale, à une forme de contrat précaire, mais vous en créez deux nouveaux. Le contrat à durée déterminée et à objet défini est l'une des pierres angulaires de votre projet de loi. Il n'a pour seul objectif que de précariser plus encore le monde du travail. J'ai entendu dire pendant nos débats, dans les rangs de l'UMP, que le modèle social français et le code du travail étaient des freins à la création d'entreprises et à l'emploi. C'est faire peu de considération des statistiques économiques qui prouvent que le savoir-faire de nos salariés et leur grande productivité font de la France le deuxième pays d'Europe pour les installations d'entreprises. Ainsi un employeur pourra demain embaucher un salarié pour une période déterminée, entre dix-huit et trente-six mois, tout en ayant la possibilité de le licencier après dix-huit, vingt-quatre ou trente-six mois. Et qu'adviendra-t-il du salarié compétent et efficace, qui réalisera l'objet de son contrat avant son terme ? Son contrat de travail reposant sur l'exécution d'une mission préalablement définie, il ne fait nul doute que les juridictions considéreront que la situation équivaut à l'extinction ou à l'absence d'objet du contrat de travail, ce qui aura pour conséquence de conduire à la fin anticipée de celui-ci. Il y a donc fort à craindre pour la sécurité des parcours professionnels des salariés dans notre pays, d'autant plus que ces contrats de mission et les contrats de portage n'en sont qu'à un stade expérimental et que l'objectif est de les généraliser demain à l'ensemble des salariés.

M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur.  - Mais non !

M. Guy Fischer.  - On notera l'évidente contradiction entre cette mesure et les propos du Président de la République, qui annonce chaque jour vouloir augmenter le pouvoir d'achat des Français et ne cesse d'annoncer, avec de faux accents gaulliens, la généralisation du droit à l'intéressement. Car demain, les salariés embauchés sous contrat de mission n'auront pour toute récompense de leur mobilisation que le droit d'aller grossir la file des demandeurs d'emplois ! La prime d'intéressement annoncée ne saurait compenser la perte de l'emploi.

Les débats autour de l'offre valable d'emploi ne sont pas pour nous rassurer. On voit bien comment, progressivement, vous transformez notre droit : vous supprimez le droit au travail et au maintien de l'emploi pour privilégier les notions d'employabilité et de flexibilité. On se limite à replacer le demandeur d'emploi dans un parcours professionnel quitte à méconnaître ses légitimes attentes, notamment en termes d'adéquation entre le travail proposé et les diplômes obtenus ou les expériences passées. Demain, la qualité du service public de l'emploi, ou de ce qu'il en reste après la fusion des Assedic et de l'ANPE, s'analysera seulement sous l'angle du chiffre, et non plus sous celui de la qualité du reclassement proposé. Ce reclassement sera d'ailleurs de plus en plus le fait de sociétés privées.

Que dire du contrat de portage, qui constitue l'apothéose de l'individualisation des droits et du libéralisme économique ? Demain, ni l'État ni l'employeur n'auront de responsabilité sociale à l'égard des salariés ainsi recrutés. Il leur appartiendra de rechercher une clientèle, de leur proposer une offre de service et une contrepartie financière qui intégrera la rémunération de la société de portage dont le rôle est pourtant bien limité. Vous poussez très loin la responsabilité du salarié sur son avenir social puisque vous faites dépendre de lui seul l'organisation de son travail et le montant de sa rémunération. Autant dire que le Medef, qui rêve d'une France débarrassée du code du travail et où la relation entre employeurs et employés serait régie par la seule relation contractuelle, doit applaudir des deux mains !

Je regrette par ailleurs que votre majorité, qui se prononce chaque jour pour le droit à travailler plus, ait rejeté nos amendements visant à préciser que le contrat normal de travail est le CDI à temps plein. Nous vous offrions pourtant la possibilité de mettre en oeuvre la fameuse reconnaissance du travail des salariés.

Le droit à travailler plus pour gagner plus n'est donc, en réalité, qu'une obligation de travailler plus, si l'employeur l'exige. Il y a entre vos propos et vos agissements un écart considérable. Les sénatrices et sénateurs communistes voteront donc contre ce projet de loi.

Mme Anne-Marie Payet.  - Le projet de loi sur la modernisation du marché du travail nous semble aller dans le bon sens. Idéalement, nous aurions pu attendre d'un texte à l'intitulé si prometteur qu'il soit plus ambitieux, qu'il embrasse la question de la modernisation du marché du travail dans sa globalité. Ce projet aurait pu prendre la forme d'une loi de programmation posant l'architecture d'une véritable flexsécurité à la française et créant un véritable accompagnement des parcours professionnels.

Un tel texte aurait pu aborder les questions cruciales de l'indemnisation du chômage des jeunes, du bilan d'étape professionnel ou du travail précaire. Ce texte idéal aurait pu traiter de la transférabilité des droits, et en particulier du droit individuel à formation. Oui, cela nous semble central parce que c'est en rattachant les droits à l'individu et non au statut que nous sécuriserons les parcours professionnels : la transférabilité est bien au coeur du débat.

Nous comprenons très bien les raisons pour lesquelles le Gouvernement a opté pour un morcellement de la modernisation du marché du travail : la négociation est elle-même morcelée. La bonne nouvelle est que le dialogue social est vraiment relancé. L'accord national interprofessionnel, cette première concrétisation de la loi du 31 janvier 2007, est peut-être lacunaire, mais il a fait l'objet d'un très large consensus et marque une avancée de la flexibilité et de la sécurisation des parcours professionnels : il pose les premiers jalons de la flexisécurité à la française.

Le projet respecte cet équilibre. Côté sécurisation, on trouve l'abrogation du CNE, que nous avions souhaitée dès le début, l'affirmation du CDI comme forme normale du contrat de travail, le passage de deux à trois ans de l'ancienneté requise pour les indemnités d'assurance maladie complémentaire, la motivation de tous les licenciements, l'amélioration des indemnités de licenciement, la mutualisation de l'indemnisation des licenciements pour inaptitude ; côté flexibilité, la rupture conventionnelle du contrat de travail et l'extension circonscrite du CDD à objet défini. Les projets sur la représentativité syndicale et sur l'assurance chômage, dont nous débattrons en juillet, seront déterminants.

Je ne peux que saluer l'esprit et l'apport du débat. Il est en effet toujours délicat d'améliorer les textes sans les dénaturer. Nous y sommes plutôt pas mal parvenus. Les députés avaient veillé à respecter la lettre et l'esprit de l'accord mais le Sénat ne s'est pas privé de l'enrichir. La possibilité de renouveler la période d'essai sera mentionnée et il y aura un délai de prévenance en cas de licenciement pendant celle-ci. Nous nous réjouissons de l'adoption de notre amendement écartant la compétence prud'homale pour les avocats salariés. Je ne peux que me féliciter que la commission mixte paritaire ait adopté le texte du Sénat pratiquement à l'identique mais en l'améliorant sur le portage des salariés car les entreprises redoutaient l'intervention des sociétés de travail temporaire. Notre amendement n'avait pas été adopté et le Sénat avait autorisées celles-ci à pratiquer le portage, ce qui anticipait sur la négociation alors qu'on prévoyait une consultation des entreprises de portage. En supprimant cette autorisation, la commission mixte paritaire est plus sage et cohérente. Le groupe UC-UDF votera ses conclusions. (Applaudissements à droite)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

Le vote des articles premier à 11 est réservé.

Explication de vote

Mme Catherine Procaccia.  - Le groupe UMP se réjouit de l'adoption de ce texte qui introduit davantage de flexibilité tout en apportant de réelles garanties aux salariés. Il constitue une étape importante vers une flexisécurité à la française. Il était important, dans un contexte concurrentiel, d'améliorer les facultés d'adaptation de nos entreprises. Puisque j'avais rapporté le texte sur le dialogue social, permettez-moi de remarquer qu'il s'agit de reprendre l'accord national interprofessionnel du 11 janvier et les points d'entente trouvés par les partenaires sociaux. Je félicite le Gouvernement qui a joué un rôle très actif et qui a respecté l'accord, comme il s'y était engagé. Ce succès du dialogue social souligne la légitimité de notre vote d'il y a quinze mois.

Je veux également remercier le rapporteur du travail accompli. Ses suggestions ont permis d'améliorer le texte tout en respectant son équilibre auquel les partenaires sociaux nous avaient dit leur attachement. Ces améliorations portent sur la période d'essai, sur la période de suivi en cas de rupture conventionnelle ou encore sur le rôle des sociétés de portage.

Le projet constitue une adaptation réussie. J'espère d'autres applications de la loi du 31 janvier 2007 et c'est avec plaisir que le groupe UMP votera ces dispositions. (Applaudissements à droite et au centre)

Les conclusions de la commission mixte paritaire sont adoptées.

Prochaine séance mardi 10 juin 2008 à 16 h 15.

La séance est levée à 17 h 25.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du mardi 10 juin 2008

Séance publique

A SEIZE HEURES QUINZE ET LE SOIR

1. Discussion de la proposition de loi (n° 260, 2007-2008), adoptée par l'Assemblée nationale, complétant l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

Rapport (n° 371, 2007-2008) de M. René Garrec, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale.

2. Discussion du projet de loi (n° 308, 2006-2007) portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale.

Rapport (n° 326, 2007-2008) de M. Patrice Gélard, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale.

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