Langues régionales ou minoritaires (Question orale avec débat)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat de M. Nicolas Alfonsi à Mme la ministre de la culture et de la communication sur la sauvegarde et la transmission des langues régionales ou minoritaires.

M. Nicolas Alfonsi, auteur de la question.  - Le 7 mai 1999, la France a signé à Budapest la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, qui vise à protéger et à promouvoir les langues pratiquées traditionnellement par des groupes numériquement minoritaires et différentes de la langue officielle des États. Les États signataires doivent encourager l'emploi des langues régionales et minoritaires dans au moins trois domaines, dont l'enseignement, la culture, la justice, les services publics, les médias ou la vie économique et sociale. Or, le 15 juin 1999, le Conseil constitutionnel a déclaré que, en vertu des principes constitutionnels d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français, on ne peut reconnaître des droits collectifs à un groupe défini par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyances. En outre, selon l'article 2 de la Constitution, « la langue de la République est le français » et les particuliers ne peuvent, dans leurs relations avec les administrations, se prévaloir d'un droit à l'usage d'une autre langue, ni y être contraints.

Cette jurisprudence peut sembler excessivement sévère, voire anachronique. Ces questions ne se posent pas aujourd'hui dans les mêmes termes que sous la Révolution française, lorsque la répression des patois pouvait, selon l'abbé Grégoire, être considérée comme une oeuvre de progrès. Toutefois, selon le Conseil constitutionnel, l'application de la Constitution ne doit pas conduire à méconnaître la liberté d'expression et de communication en matière d'enseignement, de recherche et de communication audiovisuelle. Et ne sont contraires à la Constitution, eu égard à leur nature, aucun des engagements souscrits par la France autres que ceux examinés dans sa décision. La plupart se bornent à reconnaître des pratiques déjà mises en oeuvre par la France en faveur des langues régionales.

Cette jurisprudence empêche la ratification de la charte, et le Sénat a déjà débattu à plusieurs reprises de cette situation. Lors de l'examen, le 29 janvier dernier, du projet de loi constitutionnelle permettant la ratification du traité de Lisbonne, un amendement à la Constitution, non adopté, proposait d'autoriser la ratification de la charte dans le respect de l'article 2 de la Constitution. Le garde des sceaux nous a alors indiqué que la question serait réexaminée lors de la révision constitutionnelle issue des travaux du comité Balladur, et le Premier ministre s'est engagé en ce sens à l'Assemblée nationale.

L'attachement du Sénat aux langues régionales parlées en France, qui font partie de notre patrimoine culturel, est légitime -tout particulièrement lorsqu'il s'agit de la langue corse. Mon groupe souhaite que le Gouvernement nous informe des mesures envisagées pour les sauvegarder, développer leur emploi et favoriser leur transmission.

Il est inutile de succomber aux images habituelles et de déclarer de nouveau que nous aimons le corse, l'alsacien ou le breton : même les plus ardents défenseurs des valeurs républicaines partagent notre objectif commun de sauvegarde. Mais il faut combattre des idées fausses. La vigueur d'une langue régionale n'est pas liée à l'existence d'un texte : si Lionel Jospin a donné un cadre légal à l'enseignement du corse, rien n'indique que la vigueur du breton soit moins assurée faute de loi. De même, ce ne sont pas les sanctions des instituteurs de la IIIe République qui ont réduit l'influence des langues régionales, mais la désertification rurale qui a conduit à leur dépérissement. Enfin, c'est la grande diversité de ces langues qui vont de l'oralité à un écrit plus ou moins élaboré qui rend difficile un traitement homogène.

Comment en sortir ? Michel Charasse avait suggéré de ratifier les seules dispositions de la Charte qui n'ont pas été déclarées contraires à la Constitution. La solution est séduisante mais il reste des doutes raisonnables sur la divisibilité de la Charte : peut-on autoriser de la ratifier par morceaux sans porter atteinte à son économie générale ? Le Conseil constitutionnel a entendu exercer son contrôle indépendamment de la déclaration interprétative de la France. L'autre voie qui vient à l'esprit est donc de procéder à la révision constitutionnelle nécessaire à la ratification, par exemple en garantissant dans la Constitution le respect des langues régionales.

Devons-nous en rester à un débat de principe et croyons-nous que le respect des langues régionales, qui font partie de notre patrimoine culturel, porte atteinte au principe d'égalité et à l'unité du peuple français ? Une troisième voie consiste à emprunter d'autres moyens qu'un instrument international et à renforcer le cadre légal en faveur des langues régionales. Mais le pire serait de considérer que la loi prévoit déjà tout ce qu'autorise la Constitution et de ne rien faire sinon codifier les textes existants.

Comment surmonter de tels obstacles ? En évitant l'intégrisme car il y a deux mille ans, César, invitant Cicéron pour le convaincre, lui aurait dit « Veni cum me » : adresserait-on des mots bien différents à un militant d'aujourd'hui ? Je pense avec émotion qu'un ancien peut disparaître en emportant le secret de sa langue. Aussi, à l'Assemblée de Corse, m'étais-je déclaré prêt à donner personnellement trois heures de cours de langue corse car c'est la meilleure méthode. On doit également se méfier des médias qui proposent des thèmes -encore qu'entre français et langue régionale, il soit difficile de dire quand on a affaire à un thème ou à une version : un inspecteur général avait préféré parler de traduction en langue corse d'un texte français... Pirandello estimait que la langue régionale exprime les sentiments et la langue nationale les concepts : c'est toute la difficulté de trouver les notions sur laquelle nous buttons sans cesse.

J'avais posé ma question le 18 avril ; elle a été publiée le 24 avril et le 30 avril, la Conférence des Présidents de l'Assemblée nationale a décidé d'inscrire un tel débat à l'ordre du jour du 7 mai. Je n'en tire pas un sentiment de grande vanité car cette décision traduit plutôt le souci de déminer le débat constitutionnel. Cependant, quand je vois le nombre de nos collègues venus défendre une langue régionale, je constate que notre débat n'est pas devenu sans objet et je pense à Georges Dumézil se félicitant d'avoir sauvé en Ouzbékistan une langue que ne parlait plus qu'une personne. Laissez-nous quelque espoir ! (Applaudissements sur les bancs du RDSE et sur la plupart des bancs socialistes)

M. Jean-Louis Carrère.  - Il y a près de dix ans, alors que la France s'engageait sur la voie de la ratification de la charte européenne des langues régionales, M. Cerquiglini, directeur de l'institut national de la langue française avait recensé soixante-quinze langues régionales, dont cinquante-cinq outre-mer, répondant à au moins trente-cinq des trente-neuf conditions de la Charte. C'est dire la richesse de notre patrimoine culturel et linguistique.

De nombreuses initiatives, plus ou moins bien soutenues par les pouvoirs publics, voient le jour ; treize langues régionales peuvent être présentées au baccalauréat en application de la loi du 11 janvier 1951. On pourrait s'interroger sur la baisse des programmes en langue régionale sur France 3, en perte de vitesse depuis que, sous un gouvernement de droite, les conseils régionaux sont passés à droite -cherchez l'erreur... Radio-France s'acquitte mieux de cette mission. Parmi les initiatives privées, la plus importante est TV Breiz, de Patrick Le Lay, l'ancien patron de TF 1.

En Aquitaine, où les diversités linguistiques constituent une réalité, le conseil régional s'emploie activement pour une politique publique volontaire et concertée. Nous avons deux langues régionales : l'occitan et le basque. Un institut occitan, installé dans l'agglomération paloise, fédère les partenaires intéressés, l'Amâssada, conseil de développement pour la langue occitane en Aquitaine, a permis de mettre en place un schéma linguistique. Pour la langue basque, qui me tient particulièrement à coeur, nous avons créé, avec le conseil régional, le conseil général des Pyrénées-Atlantiques, le Conseil des élus du Pays basque et le syndicat intercommunal de soutien à la langue basque, l'Office public pour la langue basque, groupement d'intérêt public basé à Bayonne et qui définit et met en oeuvre les politiques pour cette langue ; un institut culturel basque accompagne les projets individuels et collectifs.

Voilà ce qui se fait en Aquitaine pour nos deux langues régionales mais Mme Herviaux présentera sans doute des initiatives en Bretagne. Je n'arrive donc pas à comprendre pourquoi l'esprit jacobin nous interdit de mieux envisager l'intégration de cette richesse dans notre cadre républicain et laïque : toute tentative en ce sens a été vouée à l'échec.

En 1999, Lionel Jospin, sensible à la valorisation des langues et cultures de notre pays, choisit d'engager le processus de ratification de la Charte européenne des langues régionales adoptée en 1992 par le Conseil de l'Europe ; 39 de ses 98 engagements sont retenus en fonction de nos pratiques et des exigences juridiques et constitutionnelles. Le Conseil constitutionnel, saisi par Jacques Chirac, décide le 15 juin 1999 que certaines dispositions, dont le droit imprescriptible à pratiquer une langue régionale dans la vie publique, sont anticonstitutionnelles parce qu'elles reconnaissent des droits spécifiques collectifs à des groupes linguistiques.

L'affaire des écoles Diwan est plus récente. En 2001, M. Lang, alors ministre de l'éducation nationale, signait avec le président de l'association Diwan un protocole d'accord afin d'intégrer ces écoles, et les 194 personnes y exerçant, dans le service public de l'éducation. Contestant cet accord, le Cnal, la FCPE et d'autres...

M. Jean-Luc Mélenchon.  - Dont j'étais !

M. Jean-Louis Carrère.  - ...saisissaient le Conseil d'État en référé, qui leur donnait raison.

M. Jean-Louis Carrère.  - S'il suspendait l'intégration proposée, au motif que la méthode d'enseignement par immersion pratiquée réduisait l'enseignement en français en-deçà de ce que la loi autorisait, le Conseil d'État ne contestait pas la nécessité de sauvegarder le patrimoine que constituent les langues régionales.

Personne ne nie qu'il faille préserver ce patrimoine ; mais la France n'a toujours pas ratifié la Charte européenne, alors que sa ratification est depuis 1993 une des conditions d'adhésion à l'Union européenne.

Chacun ici connaît mon esprit laïc et républicain ; je pense qu'il est temps, cependant, de donner une base légale générale à toutes les expériences qui font vivre la diversité de notre patrimoine culturel. Il faut reconsidérer la question de la ratification de la Charte, en retenant d'autres engagements que ceux de 1999 et en étant plus attentif à leur conformité avec notre Constitution. Peut-être alors ferons-nous oeuvre utile. (Applaudissements à gauche, à l'exception de M. Mélenchon)

Mme Colette Mélot.  - La question de la sauvegarde des langues régionales a toujours suscité de vifs débats. La France est profondément attachée à deux principes, l'unité de la République, dont le français est la langue commune, et la préservation de son patrimoine, dont fait partie la diversité des pratiques linguistiques régionales. A mes yeux, ces deux principes sont conciliables.

Gardons-nous des excès. Certains partisans des langues régionales sont les acteurs plus ou moins conscients du communautarisme et du repli identitaire, au risque de l'affaiblissement de la République ; à l'inverse, pour les intégristes de la langue française, les langues régionales sont un fléau pour la République. Ces combats sectaires sont contraires à l'esprit de notre République et aux aspirations de nos concitoyens.

Lors de la révision constitutionnelle de janvier dernier, préalable à la ratification du traité de Lisbonne, des parlementaires de droite comme de gauche ont relancé le débat et demandé l'adhésion de la France à la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. Or, le 15 juin 1999, le Conseil constitutionnel avait jugé que certaines clauses de celle-ci « portaient atteinte aux principes constitutionnels d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français ». La question étant extérieure au débat sur la ratification du traité européen, les amendements n'ont pas eu de suite. Mais le Gouvernement s'était engagé à tenir rapidement un débat spécifique sur les langues régionales ; ce débat a eu lieu la semaine dernière à l'Assemblée nationale, et se tient au Sénat aujourd'hui. Nous nous en réjouissons.

La langue française est garante de l'unité de notre pays. Depuis la Révolution et surtout au XIXe siècle, les pouvoirs publics ont voulu que tous les citoyens apprennent le français. C'était la condition sine qua non pour construire une république égalitaire, offrant à chacun l'accès à l'instruction publique et la possibilité d'une progression sociale. Si l'objectif n'était pas de faire disparaître les langues régionales, l'hégémonie du français a provoqué leur marginalisation. Les moyens employés ont été douloureusement ressentis, ce qui explique en partie que le sujet soit si sensible. La première génération, ayant difficilement acquis le français sur les bancs de l'école, a voulu éviter cette épreuve à ses enfants en les éduquant en français. Les langues régionales ont commencé leur déclin.

Depuis 1992, notre Constitution dispose que « la langue de la République est le français ». Comment éviter autrement les conséquences qu'aurait l'emploi des langues régionales dans la vie publique, par exemple dans les procédures civiles ou pénales ? Et que dire de l'obligation de traduction des textes officiels qu'envisage la Charte européenne ?

La langue française rassemble depuis longtemps les peuples de France. « J'ai une patrie, la langue française », disait Camus. Mais rien n'empêche d'agir pour préserver les langues régionales. Il y a cent cinquante ans, au moins 90 % des communes du Var ou du Finistère étaient déclarées non francophones. Selon les enquêtes disponibles, les locuteurs de langues régionales représentent un dixième en moyenne de la population, auxquels il faut ajouter les 40 % qui les comprennent sans les parler. La transmission familiale n'étant plus guère assurée, l'enseignement est devenu la voie principale de sauvegarde de notre patrimoine linguistique.

Depuis la loi Deixonne de 1951, les langues régionales ont un statut. Les pouvoirs publics ont d'abord permis l'enseignement du breton, du basque, de l'occitan et du catalan, puis du corse en 1974, du tahitien en 1981, des langues mélanésiennes en 1992. Les textes permettent aujourd'hui aux collectivités locales intéressées de promouvoir un enseignement structuré en collaboration avec un État désormais perçu comme partenaire et non plus comme oppresseur. Plus de 400 000 élèves reçoivent un enseignement de langue régionale ; et les effectifs sont en constante augmentation.

Face à la mondialisation qui pourrait leur faire oublier leurs racines, les Français sont très attachés à la diversité de leurs cultures régionales ; ils ressentent leur sauvegarde comme une obligation vis-à-vis des générations futures. Nombreux sont ceux qui réveillent le monde d'hier par la langue, la chanson, la littérature ; des émissions en langue régionale soient diffusées sur les chaînes audiovisuelles publiques ; la signalisation routière se fait bilingue et l'on peut émettre des chèques libellés en langue régionale.

En 2001, la Délégation générale à la langue française et aux langues de France a reçu pour mission de préserver et de valoriser celles-ci. Il faut aller plus loin si nous voulons que le mouvement se poursuive : informer davantage les familles de la possibilité qu'elles ont de choisir un enseignement spécifique pour leurs enfants ; renforcer les effectifs de professeurs et mieux les informer de l'intérêt qu'ils peuvent avoir à se former dans une langue régionale ; améliorer la visibilité des langues régionales dans les médias.

Le Président de la République avait promis lors de sa campagne l'élaboration d'un texte de loi pour les sécuriser, estimant cette solution préférable à la ratification de la Charte européenne. Vous avez confirmé la semaine dernière, madame le ministre, l'existence d'un tel projet. Nous nous en réjouissons. Quels en sont le calendrier et les dispositions principales ?

La France a progressivement pris conscience de l'importance de son patrimoine linguistique. Riches de soixante-quinze langues, nous avons également la chance de tous parler le français, qui rayonne au-delà de nos frontières. Ce sont ces deux atouts qu'il nous appartient de sauvegarder. (Applaudissements à droite)

M. Gérard Le Cam.  - La question orale avec débat de M. Alfonsi nous permet d'exprimer le sentiment profond des représentants des collectivités locales que nous sommes à propos des langues dites régionales ou minoritaires.

Je dis d'emblée que ce débat n'a rien à voir avec le régionalisme et le communautarisme, notions qui sous-tendent des approches politiques que nous désapprouvons. L'existence des langues régionales est le produit de l'histoire, des guerres, des déplacements de populations, des invasions -ce qui, au passage, devrait nous conduire à reconsidérer une politique d'immigration fondée sur l'égoïsme et l'exclusion en lieu et place de l'accueil et de l'intégration.

Chaque citoyen français a une approche à la fois personnelle et collective du fait des langues régionales. Vous me permettrez d'évoquer ici la langue bretonne, mais ce que nous faisons en Bretagne pourrait inspirer d'autres régions. La langue bretonne est en danger, selon l'Unesco : trois locuteurs sur quatre ont plus de 50 ans, les locuteurs actifs représentent moins de 5 % de la population des départements bretons. Le processus historique de construction de la Nation française a confondu unité et uniformité...

Pourtant, 92 % des Bretons pensent qu'il faut préserver la langue bretonne. Les familles se tournent ainsi vers les écoles et les collectivités locales. Trois filières bilingues existent en Bretagne : l'enseignement public, depuis 1983, avec Div yezh, et l'enseignement privé, depuis 1990, avec Dihurr, proposent un enseignement bilingue à parité horaire ; et l'association Diwan...

M. Jean-Luc Mélenchon.  - C'est une secte !

M. Gérard Le Cam.  - ...pratique l'enseignement par immersion depuis 1977.

Ces enseignements se heurtent à des multiples difficultés, qui sont d'abord financières. La région Bretagne a consacré en 2005 4 500 000 euros à la promotion de la langue bretonne, répartis entre l'Office de la langue bretonne, l'édition, le théâtre, l'enseignement et la formation des adultes, l'enseignement bilingue et l'enseignement du breton -pour 30 % environ, les organisations culturelles, l'audiovisuel et le bilinguisme dans la vie publique.

De 2000 à 2006, l'État a consacré 3,2 millions au breton, soit douze fois moins que les départements ! M. Alfonsi a raison d'évoquer des obligations à la charge de l'État, dont l'engagement reste très relatif. Je cite Csaba Tabadji, député européen hongrois, président de l'intergroupe Minorités traditionnelles, régions constitutionnelles, langues régionales : « En France, les cultures et langues dites régionales, qui font partie intégrante des cultures et des langues européennes et de l'humanité, exclues de l'espace public par la législation, marginalisées, sont en voie de disparition rapide de la vie sociale malgré la résistance de l'auto-organisation souvent exemplaire des populations, avec le soutien de leurs élus, dans un cadre juridique, administratif et idéologique hostile. Après des décennies d'éradication, l'enseignement de ces langues reste très marginal et leur place dans les médias, notamment la radio et la télévision, est extrêmement réduite. »

La langue bretonne et le parler gallo contribuent à l'identité et à l'attractivité de la Bretagne, avec le sport -lutte bretonne ou gouren-, les jeux gallos ou bretons, la musique, les chants, la poésie, la littérature ou la danse, qui fait l'objet d'une appropriation populaire massive au sein des fest noz et des fest dei. L'apprentissage de la langue est plus difficile, mais il est la base de toute cette culture !

L'État doit être le garant des langues de France, aux côtés des régions qui sont les mieux placées pour relancer une pratique populaire et massive sans tomber dans l'élitisme ou le séparatisme. Pour réussir, il faut informer les familles, recruter les enseignants, valoriser la langue lors des examens et assurer une continuité dans le cursus scolaire. Les suppressions de postes et la politique de pôles dégradent une situation déjà chaotique... Ce débat doit être prolongé par une loi qui donne enfin aux langues et aux parlers une place dans notre République, avec un financement à la hauteur.

Je veux conclure en sonnant l'alarme sur la situation de la langue française, en France et dans le monde. Langue officielle de l'olympisme, de l'Union européenne, de l'Unesco, de l'ONU, le français, langue de la culture, de la démocratie et de la liberté, n'est plus défendu par nos propres représentants, même si je salue les efforts de TV 5 Monde et de RFI, qui font beaucoup pour la francophonie. Dans le même élan, j'appelle à soutenir notre belle langue française et nos belles langues régionales. (Applaudissements à gauche, à l'exception de M. Mélenchon)

M. Jean-Luc Mélenchon.  - Je suis persuadé que tous ici vous vous sentez aussi patriotes que moi, aussi attaché que moi à l'unité et l'indivisibilité de la République française, et dignes continuateurs de l'ordonnance de Villers-Cotterêts, qui a établi le français comme langue du royaume, permettant à chacun de se défendre, de témoigner et d'attaquer en justice en étant entendu par les autres.

Pour moi, fier d'être jacobin (sourires), ne parlant que la langue française -et l'espagnol, langue de mes grands-parents- qui, si je devais apprendre une nouvelle langue, choisirais l'arabe, langue minoritaire la plus parlée dans ma région, il ne s'agit pas de savoir si l'on est pour ou contre les langues régionales, pour ou contre la diversité culturelle, mais si le cadre légal existant est adapté et si la France a besoin de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

Je n'accepte pas la caricature qui voudrait faire croire que la République française réprime ou méprise les langues régionales. La France s'est dotée dès les années cinquante d'un cadre législatif très favorable, en avance sur beaucoup de pays d'Europe. La loi du 11 janvier 1951 du socialiste Maurice Deixonne a autorisé et favorisé l'apprentissage dans l'enseignement public du basque, du breton, du catalan et de l'occitan. Le corse a été ajouté en 1974, le tahitien en 1981 et quatre langues mélanésiennes en 1992. Depuis 1970, ces enseignements en langues régionales peuvent être pris en compte pour l'obtention du baccalauréat. La loi Toubon de 1994 a confirmé ce cadre. Enfin, depuis la loi Jospin du 22 janvier 2002, tous les élèves qui le souhaitent peuvent apprendre le corse à l'école, au collège et au lycée, trois heures par semaine.

L'État a aussi rendu possible, en lien avec les collectivités locales, les signalisations routières bilingues -ce qui évite que les panneaux en français ne soient recouverts de graffiti... De nombreuses régions multiplient les innovations pour favoriser ces langues.

Rien dans le cadre légal et réglementaire actuel ne bride la pratique et la transmission des langues régionales. Pas une voix en France ne s'y oppose ! Pas même la mienne !

M. Jean-Louis Carrère.  - La SNCF...

M. Jean-Luc Mélenchon.  - Si le nombre de locuteurs diminue et que leur âge moyen s'élève, il faut en chercher la cause ailleurs que du côté de la République et de la loi.

Cette Charte est loin de faire l'unanimité en Europe. La France n'est pas un des « rares » pays européens à ne pas l'avoir ratifié : quatorze pays membres du Conseil de l'Europe ne l'ont pas signée du tout, dont la Belgique, le Portugal, la Grèce ou l'Irlande, qui ne sont pas réputés liberticides ! Et personne ici ne compte comparer le comportement de la République française à celui des pays baltes, qui prennent une revanche linguistique sur les russophones... Parmi ceux qui ont signé la Charte, dix pays ne l'ont pas ratifiée, comme l'Italie : cela ne peut être exclusivement attribué à leur mépris pour les langues minoritaires !

De nombreuses préconisations de la Charte sont déjà appliquées de fait en France, qu'il s'agisse de préconisations impératives -articles 7-1-f, 7-1-g, 7-2- ou optionnelles -articles 8-1-b, 8-1-c, 10-2-g. Nul besoin de ratifier la Charte pour en appliquer les dispositions qui ne sont pas contraires à la Constitution !

La définition des langues régionales et minoritaires donnée par cette Charte est par ailleurs discutable et confuse : elle exclut les langues des migrants, arabe, berbère ou autres, comme si les citoyens français concernés devaient les considérer comme des langues étrangères...

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Ça fait peur !

M. Jean-Luc Mélenchon.  - Plusieurs États qui ont ratifié la Charte ne reconnaissent pas les mêmes langues minoritaires, alors même qu'elles sont pratiquées sur leur territoire. Ainsi, le yiddish est reconnu comme langue minoritaire aux Pays-Bas, mais pas en Allemagne...

Une définition aussi floue de ce qu'est une langue régionale ou minoritaire est discriminatoire et aboutit à des reconstructions de l'histoire. La langue bretonne est celle qui résulte du dictionnaire dit unifié de 1942, qui se substitue aux cinq langues bretonnes existantes. Je n'évoquerai pas son auteur, collaborateur qui fut condamné à mort par contumace, ni les conditions dans lesquelles ce dictionnaire fut rédigé et financé à l'époque...

De même, lorsque j'étais ministre, j'étais prêt à prévoir un enseignement en créole, car cela facilitait l'apprentissage : au bout de trois ans, on n'avait toujours pas déterminé quel créole devait être enseigné ! On est amené à choisir, trier, discriminer à nouveau... Ce n'est pas pour rien que nos institutions écartent ce type de charte !

Je ne dis pas que les langues et les cultures régionales conduisent nécessairement à la sécession et au communautarisme, mais le risque existe. On ne crée pas de droits particuliers pour une catégorie particulière de citoyens du fait d'une situation particulière. Le fait de parler une langue différente ne peut pas instituer des droits particuliers pour ses locuteurs. Or la Charte oblige les États à « faciliter et encourager l'usage oral et écrit des langues régionales ou minoritaires dans la vie publique et dans la vie privée ». Le caractère laïc de notre République interdit que l'État fasse quelque recommandation que ce soit concernant la vie privée. La Charte engage les États à « prendre en considération les besoins et les voeux exprimés par les groupes pratiquant ces langues » : ce texte concerne manifestement des pays où une partie de la population parle exclusivement une autre langue, comme les minorités hongroises dans certains pays de l'Union, mais pas les Français ! Comment désigner des représentants des locuteurs ? Va-t-on les élire ? C'est totalement contraire à l'idée de l'égalité républicaine.

Que dire du droit à bénéficier de procédures judiciaires, administratives ou devant les services publics en langues régionales ? Témoigner, poursuivre en justice, conclure un contrat dans une langue autre que le français serait un recul par rapport à l'ordonnance de Villers-Cotterêts !

Le Conseil constitutionnel a eu raison de dire en 1999 qu'« en conférant des droits spécifiques à des groupes de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l'intérieur de territoires dans lesquels ces langues sont pratiquées, cette Charte porte atteinte aux principes constitutionnels d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français. »

On a vu les raisons de droit, les raisons philosophiques, les raisons républicaines.

Après Samuel Huntington et sa théorie du choc des civilisations, qui est aujourd'hui la théorie officielle d'un certain nombre de stratèges de la première puissance du monde et de quelques autres pays, on ne saurait méconnaître l'origine de cette charte en 1992. Sans doute, nombre de mes collègue l'ignorent : elle a été préparée, débattue et rédigée par plusieurs groupes de travail du Conseil de l'Europe, animés par des parlementaires autrichiens, flamands et allemands tyroliens qui ont en commun d'être issus de partis nationalistes ou d'extrême droite et de faire partie de l'Union fédéraliste des communautés ethniques européennes, soit, en allemand, Fuev. Cette organisation, dotée d'un statut consultatif au Conseil de l'Europe, se présente elle-même comme la continuatrice du Congrès des nationalités, instrument géopolitique du pouvoir allemand dans les années 1930. Un des principaux laboratoires de la Charte fut ainsi le groupe de travail officiel du Conseil de l'Europe obtenu par la Fuev sur « la protection des groupes ethniques », groupe d'étude également connu pour ses travaux sur le droit à l'identité, le Volkstum.

Pour toutes ces raisons, la République française n'a rien à gagner à modifier sa Constitution pour ratifier la Charte des langues régionales. Elle ne pourrait que se renier en le faisant. Elle doit, tout au contraire, continuer sa politique bienveillante et intégratrice qui fait que les cultures et les langues régionales ont toute leur place dès lors que la République est première chez elle. (Applaudissements sur divers bancs socialistes et centristes)

M. Raymond Couderc.  - Je me suis demandé, il y a quelques instants, si notre discussion portait sur la ratification de la Charte ou sur la place des langues régionales dans notre pays. (Sourires)

Je tiens, tout d'abord, à remercier le Gouvernement pour ce débat sur la place des langues régionales dans notre pays, sur lequel il s'était engagé en janvier lors de la discussion de la révision constitutionnelle avant la ratification du traité de Lisbonne.

Merci également à notre collègue Alfonsi d'avoir demandé au Gouvernement quelles suites il entendait apporter à la déclaration d'inconstitutionnalité par le Conseil constitutionnel de certaines clauses de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, signée à Budapest le 7 mai 1999.

Cette question méritait d'être posée, car la situation des langues régionales est très préoccupante dans notre pays. Elle est même catastrophique pour celles de ces langues qui n'ont pas la chance d'avoir une part significative de leur aire culturelle hors de France. C'est le cas du breton et de l'occitan que l'ONU a déclarées « langues en grand danger ». C'est pourquoi nous ne pouvons plus nous contenter du flou juridique actuel.

Ne pas défendre ces langues, ce serait causer la ruine d'une part importante de notre culture. Or, nous devons transmettre notre patrimoine linguistique et culturel et les langues régionales sont l'expression de cultures régionales riches et anciennes, qui sont constitutives du patrimoine de notre pays. Les étouffer, comme cela a pu être le cas par le passé, ce serait mutiler la France, ce serait la déposséder d'une partie de son héritage.

Je veux vous parler d'une langue qui m'est chère, l'occitan, d'autant que le Centre d'études occitanes est installé dans ma ville de Béziers. Cette langue n'a rien d'un patois, mot chargé de mépris. Non, sa sauvegarde est un enjeu majeur qui concerne la plus large aire culturelle des langues régionales : des vallées alpines italiennes jusqu'au Val d'Aran espagnol, en passant par la Provence, le Languedoc, la Gascogne, le Poitou et l'Auvergne. Les langues d'Oc ont longtemps été celles de la moitié de la France. Il s'agit d'une culture rayonnante. Il n'y a qu'à observer le foisonnement de l'oeuvre de Frédéric Mistral pour s'en convaincre, oeuvre qui a été couronnée par le prix Nobel de littérature en 1904.

La défense et la promotion des langues régionales sont une obligation internationale de la France. En effet, notre pays prône sur la scène internationale la nécessaire défense de la diversité culturelle dans le monde. Mais il ne suffit pas de le faire si l'on étouffe les langues historiques et autochtones sur son propre sol.

A l'image de ce qui a été fait sur la biodiversité, il faut mettre en oeuvre les politiques nécessaires à la sauvegarde de la diversité de l'esprit et de la culture.

M. Jean-Luc Mélenchon.  - La France américanisée...

M. Raymond Couderc.  - La France a réussi à faire admettre la défense de la diversité culturelle au niveau mondial. Ce fut une belle victoire mais, de ce fait, elle est devenue comptable de la diversité culturelle dont elle a la responsabilité. Nos langues et cultures sont un patrimoine de l'humanité et nous en sommes responsables, au même titre que le Château de Versailles ou le Mont Saint-Michel.

L'État et les collectivités locales doivent davantage s'impliquer dans la défense de la diversité linguistique. Cependant, de nombreux blocages juridiques ne permettent pas d'attribuer un véritable statut aux langues régionales, nuisant ainsi à leur promotion et à leur diffusion. Ces langues sont souvent moins bien traitées que les langues étrangères, notamment dans l'enseignement. Contrairement à ce qu'en disent ses détracteurs, l'apprentissage des langues régionales ne se fait pas au détriment des langues étrangères : toutes les études de psychopédagogie démontrent en effet que l'apprentissage d'une langue régionale conduit au plurilinguisme. De même, les enfants doivent être éveillés aux langues régionales dès la maternelle et le primaire, au-delà de ce qui se fait déjà dans les calendretas dont je tiens à saluer le rôle dans la promotion et la diffusion de la langue occitane.

Afin de relever ce grand défi, les langues historiques de France ont besoin d'un véritable statut. Les langues qui constituent l'identité de la France doivent être reconnues et distinguées de l'ensemble de celles qui sont langues de l'immigration.

L'absence de statut juridique justifie de nombreux blocages. Ainsi, récemment, un recteur pourtant bien disposé à l'égard des langues régionales justifiait l'interdit de l'immersion en disant que si elle était accordée, il faudrait aussi la permettre pour le chinois, l'arabe et le turc. Mais le destin de ces langues ne se joue pas en France, contrairement à celui de l'occitan et des autres langues régionales !

Un grand nombre de blocages sont également issus de la rédaction de l'article 2 de notre Constitution. Depuis sa modification de 1992, il est dit que « la langue de la République est le français ». Il ne s'agit en rien de contester cette affirmation. La langue de la République est et doit rester le français, dans un souci d'unité territoriale. En revanche, je m'élève contre les seize années d'interprétations très restrictives de cet article par le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État, comme le refus de la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires ou l'interdiction de l'enseignement bilingue en immersion. Ces décisions sont la marque d'une rigidité anachronique, alors que le pluralisme linguistique a été reconnu dans le monde comme une des sources majeures de la richesse des sociétés.

Le défi de la République n'est plus d'unifier un pays morcelé, pour le fondre dans une destinée commune comme cela était nécessaire lorsque les États-Nations achevaient leur construction en Europe. Non, le défi aujourd'hui est de promouvoir la diversité, sous toutes ses formes, afin que chacun puisse retrouver dans le socle commun de la Nation française les racines de son identité. On ne fédère pas en méprisant, on unit en associant, en assemblant.

Au moment où l'idée même de Nation semble remise en question, gageons que le respect des identités de chacun contribuera au renouveau de notre grande Nation. (Applaudissements à droite)

présidence de Mme Michèle André,vice-présidente

Mme Gélita Hoarau.  - Un sondage a démontré que 82 % de la population réunionnaise utilisaient le créole. C'est d'ailleurs cette langue qui a cimenté l'unité de cette île alors que des populations d'Europe, d'Asie et d'Afrique venaient toujours plus nombreuses s'y établir. Depuis, le créole s'est maintenu non sans avoir subi des évolutions, des transformations et des enrichissements multiples. Une précision : il n'existe pas une seule langue créole, chaque île possède sa langue créole. (M. Mélenchon le confirme) Ainsi, les Seychelles et l'île Maurice utilisent leur propre créole.

Cela n'a pas été sans mal car, comme le disait Aimé Césaire, la politique imposée aux esclaves et aux colonisés a été non seulement la domination et la sujétion, mais aussi la destruction des cultures : « Je parle de sociétés vidées d'elles-mêmes, de cultures piétinées, d'institutions minées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d'extraordinaires possibilités supprimées ».

Combien de fois n'a-t-on pas entendu dire que la langue créole, voire tel ou tel aspect de la culture de pays subissant la colonisation, étaient inférieurs à ceux de l'Occident ? Des ressortissants de contrées colonisées ont parfois repris à leur compte ces jugements définitifs, reniant ainsi leur propre identité culturelle.

A La Réunion, la chasse à la langue créole faisait partie de la politique officielle tant sur le plan administratif que dans l'éducation nationale.

Le mot d'ordre d'un vice-recteur n'était-il pas, il n'y a que trente ans : « Il faut fusiller le créole » ? Persister en ce sens susciterait une réprobation unanime tant il est admis aujourd'hui qu'il n'existe aucune échelle de valeur pouvant classer les cultures selon d'illusoires critères de supériorité. Chacun de nous sait trop bien où cela a conduit l'Europe dans les années 1940.

De plus, à l'heure où l'on tente de sauvegarder la biodiversité, comment admettre que la culture d'une société humaine puisse disparaître ? Trop de langues, trop de cultures ont déjà été anéanties. La diversité culturelle enrichissant le patrimoine de l'humanité, nous devons en sauvegarder et en valoriser toutes les expressions tant il est vrai que la culture unique précède la mort de toute culture.

A la Réunion, l'entrée du créole à l'école a toujours été un sujet de polémique et de déchirements. Certains estiment qu'il est un obstacle à l'apprentissage du français et doit donc être réprimé ; les autres considèrent que la prise en compte du vécu de l'enfant réunionnais dans tous ses aspects socioculturels -dont sa langue maternelle- contribue au contraire à son plein épanouissement et favorise ses apprentissages, notamment celui de la langue française. Ceux-là insistent donc sur les traumatismes que peut susciter la répression de la langue maternelle.

La loi organise maintenant l'enseignement et le développement de la langue et de la culture régionales. C'est une avancée indéniable qui fera évoluer les esprits. Mais il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. Il y a quelques jours, un principal de collège a interdit à l'un de ses élèves de s'exprimer en créole à la télévision publique alors même que cette émission se faisait entièrement dans cette langue. La mise en application des textes se heurte encore trop souvent soit à l'inertie, soit à des réflexes passéistes, quand il ne s'agit pas tout simplement de mauvaise foi. Sans doute vous-même ne manquerez pas, madame la ministre, avec votre collègue de l'éducation nationale, de faire à ce sujet un point d'étape de manière à surmonter les pesanteurs et à encourager les initiatives entreprises.

Sans doute conviendrons-nous tous que la reconnaissance et la valorisation de la diversité culturelle ont besoin d'un souffle nouveau. En 1992, la planète a eu droit à son sommet à Rio ; la diversité culturelle n'en mérite pas moins. Il serait à l'honneur de la France d'en prendre l'initiative, Elle aura d'autant plus de légitimité à l'organiser, elle qui possède déjà une grande diversité, qu'elle aura pleinement reconnu les apports culturels spécifiques et uniques de toutes ses régions, et des DOM-TOM en particulier. (Applaudissements à gauche)

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Je souhaite, avant de vous livrer la position des Verts sur la question des langues régionales, remercier M. Alfonsi pour avoir pris l'initiative de cette question orale. Son engagement pour la promotion et la préservation des langues régionales lui fait honneur.

Les langues régionales ou dites minoritaires sont un élément fondamental de notre patrimoine culturel. Plus de 10 % des Français pratiquent l'une des 75 langues régionales existant au côté du français. Ces « langues de France », ainsi qualifiées par les lois du 4 août 1994 et du 1er août 2000, sont enseignées dans nos écoles et font l'objet d'une grande attention de la part des collectivités territoriales. Qui n'a jamais eu plaisir à voir les doubles signalisations à l'entrée des villes, faisant coexister la langue régionale du territoire avec le français ? II existe une demande sociale forte : comme tout patrimoine historique, les langues régionales doivent nous préoccuper au même titre que la disparition de nombreuses traditions locales.

Là est le débat : comment préserver ces langues vouées à s'éteindre ? Comment en favoriser une transmission de qualité et garantir la liberté d'en user dans des sphères autres que la vie privée ?

Plus de 400 000 élèves ont reçu un enseignement de langue régionale en 2005. Le service public de l'audiovisuel diffuse des programmes exclusivement en langue régionale. Il y a donc une pratique qu'il s'agit aujourd'hui de reconnaître de manière solennelle. La révision prochaine de la Constitution est une occasion à saisir.

Avant cela, permettez-moi de rappeler que les langues régionales n'ont jamais eu pour vocation de se substituer au français. Nul ne conteste que le français est langue officielle de la République. C'est tellement évident qu'il a fallu attendre 1992 pour que ce soit précisé dans la Constitution. Ce n'étaient pas les langues régionales que visait cette révision, mais les langues étrangères, comme l'anglais. Ce n'est d'ailleurs pas anodin que deux années plus tard, la loi Toubon soit venue renforcer ce que, madame la ministre, vous avez qualifié à tort de « processus d'unification de la langue française » devant l'Assemblée nationale. Cette reconnaissance officielle a eu pour conséquence un dommage collatéral : la minorisation des langues régionales.

Elles existaient avant cette modification de la Constitution et elles lui ont survécu. Elles transcendent la notion d'unité et d'indivisibilité du territoire en ce qu'elles prennent racine dans l'histoire la plus profonde de France. Malheureusement, ces langues ont été diabolisées : nombre d'entre vous leur prêtent le rôle de Cheval de Troie de la destruction de l'identité nationale et de l'unité de la République. En 1999, la gauche s'était engagée à donner à ces langues la place qu'elles méritent dans notre ordre juridique et social en signant la Charte des langues régionales et minoritaires du Conseil de l'Europe. Cette étape devait être suivie par la ratification de la Charte. Or nous nous retrouvons dans un piège absurde : d'un côté, nous nous engageons à la ratifier, de l'autre le Conseil constitutionnel déclare certaines de ses dispositions contraires à la Constitution.

Doit-on baisser les bras et renoncer à cette Charte à cause de cette incompatibilité avec la Constitution ? Cette Charte est pourtant le cadre juridique idoine pour permettre aux langues régionales de perdurer, de se développer et de prospérer dans le respect des principes qui fondent notre République. Plusieurs de ses dispositions sont déjà appliquées mais il faut aller plus loin. En ratifiant la charte, la France se conformerait aux conventions de l'Unesco pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel et pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Ces conventions, signées à l'initiative de notre pays, font obligation aux États de défendre la diversité culturelle et linguistique sur leur territoire. La ratification de la Charte s'inscrit également dans la logique du traité de Lisbonne, dont un article dispose que l'Union « respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturelle européen ». L'Allemagne, l'Autriche, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l'Espagne, la Finlande l'ont déjà ratifiée. La ratification de la Charte serait un signe fort en faveur de la diversité et de la richesse culturelle de notre pays.

La majorité, et certains membres de l'opposition, opposent à cette ratification la Constitution. Dans sa décision du 15 juin 1999, le Conseil constitutionnel a seulement émis des réserves d'incompatibilité de la Constitution avec plusieurs articles de la Charte, pas avec la totalité de celle-ci ! Habituellement, lorsque le Conseil constitutionnel est saisi de la compatibilité d'un traité avec la Constitution, il indique systématiquement que la Constitution doit être révisée si le texte est incompatible. Il ne l'a pas fait cette fois parce que réviser la Constitution pour la rendre compatible avec la Charte aurait pour effet de toucher aux principes d'unité et d'indivisibilité de la République, pour lesquels aucune révision n'est possible.

On peut sortir de ce piège de manière très simple. II suffit, dans le cadre d'un amendement révisant la Constitution, de préciser que la France peut ratifier la Charte dans le respect de l'article 2 de la Constitution et des réserves émises par le Conseil constitutionnel le 15 mai 1999. L'obstacle juridique serait levé et la Charte serait ainsi ratifiée. De cette ratification découlerait la reconnaissance, encadrée, des langues régionales et minoritaires dans le respect de la Constitution et de la forme républicaine de notre régime.

Certains disent redouter un communautarisme. Pourquoi la reconnaissance, encadrée, des langues régionales créerait-elle du communautarisme ? Ces langues sont transmises depuis des générations, cela n'empêche pas de parler français ! Ce dont il s'agit, c'est d'organiser la coexistence de la langue française avec les langues minoritaires, pas de substituer l'une à l'autre. Les langues régionales sont source d'enracinement et de cohésion sociale, l'unité de la République n'est pas menacée par elles : au contraire, elle est préservée dans sa diversité. L'identité française est également faite de ses différences, de ces enrichissements linguistiques. Le nier reviendrait à nier une bonne partie de notre patrimoine. Reconnaître cette diversité culturelle plutôt que la nier est le plus sûr moyen de préserver l'identité républicaine. Si nous voulons être tous égaux, commençons par admettre que nous sommes aussi tous différents.

Je terminerai sur un proverbe breton : « un peuple qui perd sa langue perd son âme ». (Mme Herviaux et M. Kergueris applaudissent)

M. Jean-Paul Alduy.  - Je ne m'adresserai pas à vous en catalan. Non que je sois incapable de m'exprimer dans cette langue parlée par 10 millions d'Européens, la huitième langue d'Europe. Certes, l'école de la République m'avait interdit l'accès à cette langue et, dans ma jeunesse, on écrivait sur les murs des préaux : « soyez propres : parlez français ! » mais, depuis lors, j'ai appris cette langue et conduit une politique active de reconquête de la culture et de l'identité de Perpignan la Catalane. Si je ne m'adresse pas à vous en catalan, c'est que je veux être compris par tous, que je veux respecter notre unité, forte de nos diversités. Je suis pour la catalanité qui enrichit et non pour le catalanisme qui dresse des frontières et réduit notre espace économique, social et culturel.

Le débat que nous avons aujourd'hui doit être abordé en termes sereins. Il ne doit être ni folklorisé ni caricaturé. Le fait de n'avoir pas, dès l'origine de notre République, dès la proclamation des Droits de l'Homme, considéré la protection de la langue et de la culture d'origine comme un droit fondamental, est, même si cela s'explique par la préoccupation de donner naissance à un État moderne et homogène, une erreur historique que n'ont pas faite d'autres pays européens. A l'heure où l'on défend la biodiversité comme une valeur cardinale, garante du respect des différences, cette exception apparait comme une crispation idéologique sans véritable fondement logique. En quoi l'existence d'une langue nationale serait-elle contradictoire avec la défense de la diversité culturelle de notre patrimoine ? En quoi les langues régionales et leur inscription dans un statut juridique clair menaceraient-elles les fondements et les principes de l'État ?

Les langues régionales ont une tradition, une syntaxe, une longue histoire. Lorsqu'on n'évolue pas dans une communauté où ces langues sont parlées, lorsqu'on ne les pratique pas, on a l'impression qu'il s'agit de survivances.

Or, elles sont au contraire au coeur de notre identité individuelle et collective L'article 2 de la Constitution n'a été modifié qu'en 1991 : encore l'a-t-il été pour faire barrage à la généralisation de l'anglais, en passe de devenir l'unique langue d'échanges au détriment de la francophonie. Justement, la francophonie inclut toutes les langues de France, c'est-à-dire aussi les langues régionales. Au passage, notons que la modification de cet article n'a eu aucun effet sur l'extension de la langue de Shakespeare...

Perpignan, ville duelle, plurielle, française et catalane. Cette claudication entre plusieurs identités, cette capacité à appréhender au moins deux langues nous donnent un rôle naturel de plate-forme entre le monde ibérique -et au-delà le Maghreb- et l'Europe du nord. Loin d'être un signe de repli identitaire, notre langue naturelle est ainsi devenue le gage d'une inscription dans l'Europe de demain, dans l'Euro-méditerranée, et le ciment d'un espace transfrontalier en voie d'émergence qui relie les villes de Gérone, Figueras, Perpignan et Narbonne. Toute la communication de Perpignan est bilingue, sans que cela pose le moindre problème aux habitants, quelle que soit leur origine. En tant que maire de Perpignan, en tant que vice-président du Haut conseil national des langues régionales de France, je pense qu'il est temps de donner à nos langues un droit de cité aux côtés de la langue de la République, sans se substituer à elle, bien entendu, dans tous les actes et sphères de la vie publique. Cela suppose l'existence parallèle d'un enseignement structuré : le bilinguisme favorise l'agilité intellectuelle et l'apprentissage d'autres langues. Ainsi le respect du passé peut-il, une fois encore, favoriser l'insertion dans la modernité.

La loi doit imposer non seulement le respect de ces langues mais aussi leur défense : le respect ne suffit plus. Il s'agit de défendre un droit, celui de pratiquer les langues qui nous ont faits ce que nous sommes. Parler catalan, basque, alsacien, occitan, breton ce n'est pas ringard, c'est posséder une identité multiple, une interculturalité qui sera, demain, le socle de nos sociétés. Les langues régionales, ce n'est pas la France d'hier, ce sont les racines de la France de demain. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Odette Herviaux.  - Je remercie M. Alfonsi d'avoir pris l'initiative de ce débat. Celui qui a eu lieu la semaine dernière à l'Assemblée nationale sur la question des langues régionales aurait pu être une étape importante dans le processus qui permettrait à notre pays de se conformer à ce qu'il préconise au niveau international. La France a bien signé en 2006 deux conventions de l'Unesco : la convention internationale pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de 2003 qui stipule dans son article 2 que ce patrimoine se manifeste notamment dans les « traditions et expressions orales, y compris la langue comme vecteur du patrimoine culturel immatériel » et la convention internationale sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de 2005 qui rappelle, dans ses considérants, que « la diversité linguistique est un élément fondamental de la diversité culturelle » et, dans ses objectifs à l'article 1, qu'il convient de « promouvoir le respect de la diversité des expressions culturelles et la prise de conscience de sa valeur aux niveaux local, national et international ». En revanche, dans le cadre du Conseil de l'Europe et de la Charte européenne des langues régionales, il semble que l'on ne veuille toujours pas s'engager davantage. Bien que la promotion des langues régionales soit un atout culturel, social et aussi économique, de nombreuses langues minoritaires régionales sont aujourd'hui en péril dans notre pays. Depuis la signature de la Charte en 1999, la situation n'a pas évolué et dans certains cas des blocages administratifs ont interdit le développement de ces langues : non ouverture de classes, non articulation entre l'école élémentaire et le collège, crédits en baisse.

Ce qui est en jeu, c'est la reconnaissance officielle de notre diversité culturelle et linguistique. Cette question est régulièrement traitée à l'échelle de l'Europe depuis une quinzaine d'années, et la reconnaissance de la pluralité culturelle au sein des États européens est vécue comme une avancée démocratique. Alors qu'elle s'apprête à prendre la présidence de l'Union, la France ne peut faire figure de mauvais élève. C'est pourquoi avec mes collègues du Finistère et des Côtes-d'Armor -seul département à consonance non française-, depuis six ans, à chacune des modifications constitutionnelles, nous avons proposé que la France s'engage dans cette voie et c'est dans cet esprit que nous avons déposé un amendement lors du débat sur la révision constitutionnelle en janvier dernier. La référence que nous devons avoir à l'esprit, c'est la signature par la France, en mai 1999, des articles de cette charte déclarés conformes à la Constitution, comme le gouvernement Jospin l'avait, à l'époque, proposé. A chaque fois, on nous a répondu que ce n'était pas le moment et que le Gouvernement allait prendre des initiatives. Nous attendons toujours et je souhaite que ce débat ne constitue pas un énième épisode de cet attentisme poli.

La signature de la Charte européenne serait le signe de la détermination de la puissance publique en ce sens. Il ne s'agit pas de remettre en cause notre langue nationale, cela va de soi. Lors de la défense de notre amendement, nous avons d'ailleurs souhaité qu'il réaffirme notre attachement à l'unité de la République et à la suprématie du français, garant de la cohésion nationale. Ce ne sont pas les classes bilingues qui mettront notre langue commune en danger mais plus certainement le manque de volonté de la défendre là où elle est réellement en péril comme dans les publications scientifiques, industrielles ou au sein des institutions européennes.

La reconnaissance de ces héritages culturels et linguistiques doit s'accompagner du refus de tout communautarisme. C'est au contraire un remède à l'humiliation, encore très fortement ressentie par certains, et qui pourrait favoriser le repli communautaire. La pratique de plusieurs langues, la maîtrise de plusieurs cultures, la valorisation d'un ancrage local favorisent l'épanouissement personnel, l'ouverture au monde et donc une intégration plus réussie dans le monde globalisé qui est le nôtre.

Le Conseil constitutionnel n'a déclaré contraire à la Constitution qu'une partie du préambule de la Charte, l'article 1-a-partie 5, l'article 1-b et l'article 7, paragraphes 1 et 4. Il a en outre déclaré que les autres dispositions se bornaient à reconnaître des pratiques déjà existantes en France. Il n'y a donc aucun inconvénient à ratifier cette Charte, et il n'y a nul besoin de modifier la Constitution pour cela, dès lors qu'on ne ratifiera pas les dispositions qui y ont été déclarées contraires. Il serait intéressant de mettre en place un groupe de travail commun aux commissions des lois et des affaires culturelles pour préciser les dispositions de la Charte applicables et leurs modalités de mise en oeuvre.

Sur la sauvegarde des langues régionales, les régions concernées sont déjà très offensives : à son niveau, dans la limite de ses compétences et de son budget, le Conseil régional de Bretagne a mis en oeuvre le « plan de politique linguistique » voté à l'unanimité en décembre 2004 : soutenir les filières d'enseignement et les formations pour adultes, développer l'usage des langues régionales dans les médias, soutenir l'édition et l'expression culturelle. Mais il y a urgence : les régions sont aujourd'hui confrontées aux limites de leurs moyens et de leurs compétences en la matière. Cette année, nous fêtons les trente ans de la Charte culturelle présentée par Valéry Giscard d'Estaing. Alors que l'Unesco annonce l'année internationale des langues, il est plus que jamais opportun de donner un nouvel élan au bilinguisme dans les régions françaises. Dans un courrier adressé mardi dernier au Premier ministre, le Président du Conseil régional de Bretagne a demandé un droit à l'expérimentation dans la Constitution afin de mettre en oeuvre une politique linguistique en adéquation avec les attentes. Le Sénat, représentant des collectivités locales devrait sur ce sujet adopter une position claire, réaliste et ambitieuse : ratification des dispositions de la Charte européenne compatibles avec la Constitution et, le cas échéant, soutien à la régionalisation par l'institution d'un droit à l'expérimentation en matière linguistique. C'est la condition pour redonner du contenu à une démocratie de proximité enracinée dans une histoire, ouverte sur le monde et porteuse d'une diversité culturelle reconnue et valorisée. (Applaudissements à gauche)

M. Jacques Gillot.  - Évoquer, au lendemain de sa mort, la mémoire d'Aimé Césaire semble de circonstance dans un débat sur les langues régionales minoritaires parce que s'il y a un mot qu'il a prononcé avec une foi laïque et citoyenne, c'est le mot : identité. C'est ce mot qui doit être au coeur de notre réflexion. C'est ce mot qui nous impose de faire preuve d'ouverture d'esprit, de responsabilité et de courage à une époque où les cultures sont prises entre la déferlante de la mondialisation et la volonté de perdurer, de s'affirmer et de rayonner. A cette demande légitime du respect des identités, une grande Nation comme la France ne peut répondre ni par la surdité législative, ni par la contorsion politique, ni par la cécité culturelle. De la Guadeloupe à la Martinique, de la Martinique à la Guyane, de la Guyane à la Réunion, de la Réunion à la Nouvelle-Calédonie, sans oublier les Comores, Tahiti et Wallis-et-Futuna, des langues chantent, pleurent, rient pour exprimer les héritages, les filiations, les domiciliations, les inflexions qui singularisent, ici ou là, la condition humaine. Dans l'hexagone même, le succès extraordinaire du film « Les Ch'tis » confirme la conscience des langues régionales et des langages du terroir.

Ce disant, je ne fais l'éloge d'aucun passéisme ni d'aucun folklorisme, c'est au présent et surtout à l'avenir que je pense. Les langues minoritaires ne sont ni résiduelles ni bâtardes.

Langues à part entière, elles méritent le respect de tous et, mieux encore, le respect de la Nation. La France ne disparaîtra pas d'avoir consacré, soutenu et développé le principe d'un pluralisme linguistique. Au contraire, elle s'enrichira en permettant à ses différentes composantes de valoriser des pans de cultures, des parts d'humanité, des éclats d'imaginaires. De ce terreau surgira l'identité d'une France plurielle et fortement unie. L'unité n'est pas l'uniformité ! Il ne s'agit de rien moins que de donner des fondements juridiques au multilinguisme français.

Je ne saurais, dans ce débat, occulter la question du créole. Malgré de notables avancées, on ne peut crier victoire car le créole est encore chichement enseigné et englué dans des suspicions coloniales. Il se trouve peu soutenu alors même que les expériences prouvent que l'enseignement du créole ne nuit en rien à l'enseignement du français. Plutôt que de nous enfermer dans une dichotomie opposant langue nationale et langue régionale, il faudrait favoriser l'une et l'autre dans le cadre d'une politique linguistique généreuse, cohérente et humaniste. Qu'Astérix ait été édité en créole est une fierté pour les créolophones, et un cadeau de la langue créole à tous les francophones !

Le refus de l'ouverture engendre les communautarismes, les frustrations et, parfois, les blessures. Aucune langue n'est petite pour ceux qui l'habitent ! Je formule donc le voeu que la Charte européennes des langues minoritaires soit ratifiée sous peine de rétrécir linguistiquement une France méritant mieux que des refus obstinés et des aveuglements culturels. Les langues aussi ont besoin de liberté, d'égalité et de fraternité ! (Applaudissements à gauche et au centre)

Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication.  - Monsieur Alfonsi, en évoquant la place des langues régionales dans notre société et les mesures à prendre pour la consolider, vous ouvrez un débat qui passionne nombre de nos concitoyens. Aborder le sujet des langues régionales, c'est toucher à l'idée que l'on se fait l'identité nationale et aux représentations que l'on y attache. La place de la langue dans notre société intéresse la vie publique, mais touche aussi à l'intime. Comme outil de communication, la langue se situe dans le registre du rapport à autrui ; mais elle est aussi rapport à soi-même, toute langue étant un marqueur d'identité.

Depuis dix ans, le sujet de la ratification de la Charte européennes des langues régionales et minoritaires est abordé de façon récurrente dans les assemblées. D'autre part, nos concitoyens attendent sur ce point des pouvoirs publics une réponse sans ambiguïté : il est légitime qu'ils l'obtiennent.

Promulgué en 1992, au lendemain de la chute du mur de Berlin, ce texte répondait au souci de protéger les minorités que le nouvel ordre des choses en Europe centrale risquait de bousculer. La situation est différente en France où se sont développés un enseignement des langues régionales et des expressions culturelles que soutiennent l'État et les collectivités locales. Les médias leur accordent également une large place. Les avancées sont donc bien réelles.

La France a signé la Charte en 1999 mais elle ne l'a pas ratifiée, le Conseil Constitutionnel ayant jugé qu'elle comportait des clauses anticonstitutionnelles. Notre position n'a pas changé. Pour des raisons pratiques et pour d'autres qui tiennent aux principes, le Gouvernement ne souhaite pas modifier la Constitution dans un sens qui permettrait la ratification de la Charte.

Le Conseil a estimé que la Charte conférait des droits spécifiques et imprescriptibles à des groupes de locuteurs à l'intérieur de territoires, ce qui porterait atteinte au principe constitutionnel d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français. Il a également considéré que les dispositions énoncées dans le Préambule de la Charte, ainsi que dans les parties I et II, n'étaient pas dépourvues de portée normative : elles sont contraires à l'article 2 de la Constitution énonçant que la langue de la république est le français en ce qu'elles tendent à donner le droit de pratiquer une autre langue que le français dans la vie privée, mais également la vie publique. Nos concitoyens et la représentation nationale sont attachés à ces principes que le Conseil constitutionnel a mis en avant : nous ne comptons pas y revenir. Pour ces motifs, le Président de la République a indiqué pendant la campagne électorale qu'il était défavorable à la ratification.

D'autres considérations confortent la décision du Gouvernement de ne pas ratifier la Charte. Il n'est pas souhaitable que l'administration nationale et territoriale doive s'exprimer dans une langue régionale, les fonctionnaires recrutés étant obligés de maîtriser cette langue. Le nombre de langues concernées entraîne également des difficultés pratiques : en 1999, quelques 79 langues ont été identifiées, dont 39 outre-mer, sous la dénomination de « langues de France ». Ont alors été dressées des listes impressionnantes qui reflètent la richesse du patrimoine linguistique de notre pays. Ces listes montrent cependant la difficulté que pose la fixation de la ligne de périmètre d'application de la Charte, d'autant plus que celle-ci n'indique pas de critère d'éligibilité. Le risque de dispersion de l'aide et des moyens est réel.

Autre difficulté, le coût que représenterait cette ratification. Lors de la signature de la Charte, la France a choisi de souscrire à trente-neufs engagements, dont celui de rendre accessibles dans les langues régionales et minoritaires les textes législatifs nationaux les plus importants. Un engagement semblable concernait les textes pris par les collectivités territoriales, ainsi que la toponymie. Tels qu'ils sont rédigés, ces engagements ne relèvent pas d'une obligation : c'est leur combinaison avec le Préambule qui leur donne un caractère obligatoire. Le refus de traduire pourrait ainsi être contesté devant les tribunaux sur le fondement du droit imprescriptible de parler une langue régionale.

On imagine aisément ce que pèserait pour les finances publiques l'obligation de traduction ! Cette obligation ne concernerait pas seulement les textes futurs, mais aussi notre stock législatif.

Le Gouvernement a également conscience que la question de la langue revêt dans notre histoire une dimension particulière depuis que l'ordonnance de Villers-Cotterêts a imposé aux parlements et tribunaux l'usage du français. La France, qui a le patrimoine linguistique le plus riche d'Europe, ne se trouve pas dans la même situation que les autres pays occidentaux ayant ratifiés la Charte.

Cependant, la France applique déjà largement ces trente-neuf mesures qui sont toutes conformes à notre cadre légal et complémentaire. Ainsi, plus de 400 000 élèves suivent un enseignement de langue régionale. Ces effectifs ont fortement progressé, puisqu'ils ont décuplé en dix ans et triplé au cours des cinq dernières années. L'Éducation nationale s'emploie à répondre à cette demande sociale en formant de nombreux enseignants.

Aux termes de la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école dite « loi Fillon », l'enseignement des langues régionales s'inscrit dans un partenariat étroit avec les collectivités territoriales qui peuvent désormais signer des conventions. L'école se substitue ainsi aux familles, puisque seul un Français sur huit s'est vu transmettre par héritage une langue régionale, et que seul un tiers des Français concernés la transmet à son tour. Concernant les médias, le Gouvernement s'attache à élaborer et faire respecter une réglementation libérale qui assure la libre expression des langues régionales.

M. Jean-Louis Carrère.  - Pas trop à France 3 !

Mme Christine Albanel, ministre.  - Les dispositions qui restreignaient les aides à la presse hebdomadaire régionale ont été étendues aux langues régionales en usage en France. (M. Carrère le conteste) Aux termes de la loi du 1er août 2000 relative à la liberté de communication, les sociétés ayant des missions de service public dans le champ audiovisuel doivent mettre en valeur le patrimoine culturel et linguistique dans sa diversité. Les cahiers des charges de radio France, RFO et France 3 traduisent cette obligation. Les résultats sont inégaux, et le temps accordé aux langues régionales est certainement trop faible.

Mais chaque jour, particulièrement outre-mer, plusieurs centaines de programmes sont diffués dans une dizaine de langues régionales.

Enfin, dans le domaine de la culture, nous soutenons la création artistique en langue régionale. Le ministère de la culture encourage les secteurs où se forgent la modernité et les légitimités culturelles : le multimédia, le théâtre, le cinéma, mais aussi le livre, principal outil culturel. Les créateurs ne doivent pas être jugés selon la langue qu'ils choisissent, mais d'après la qualité de leurs oeuvres, et nous souhaitons inscrire la pluralité linguistique interne dans le débat général pour le plurilinguisme.

L'unité sur laquelle s'est construit notre pays n'appelle pas un seul modèle. Les langues régionales sont l'instrument et l'expression de la pluralité culturelle, sans lesquelles la France ne serait pas ce qu'elle est. L'identité française peut se dire en plusieurs langues ! Nous affirmons notre attachement à une France politiquement et culturellement plurielle.

Les dispositions législatives et réglementaires qui autorisent l'usage des langues régionales en France restent mal connues, et les marges de manoeuvre existantes sont insuffisamment exploitées. Ainsi, une collectivité territoriale peut publier les actes officiels qu'elle produit dans une langue régionale. Les dispositions qui régissent l'emploi des langues de France et les possibilités qu'offrent les textes sont disséminées. Un effort de formalisation et de codification s'impose : il nous faut un cadre de référence qui organise et mette en cohérence ce qui existe tout en offrant une perspective au développement actuel de la demande sociale et des mentalités.

Une loi donnera une forme institutionnelle au patrimoine linguistique de la nation en récapitulant les dispositions existantes et en ouvrant la voie à une avancée de la démocratie culturelle dans notre pays. Elle concernera l'enseignement, les médias, les services publics, ainsi que la signalisation et la toponymie. Originaire de l'Ariège et de Toulouse, j'aime, comme plusieurs orateurs, profiter des doubles noms indiquant les rues et les lieux. Ce texte, qui sécurisera l'usage des langues régionales, conformément au souhait du Président de la République, devrait voir le jour en 2009, et le Gouvernement compte sur la représentation nationale pour contribuer à l'améliorer.

Nous n'oublions pas pour autant que la langue française constitue le socle sur lequel se fonde l'accès au savoir, aux oeuvres, aux technologies, garant d'une intégration réussie. Elle est le lien le plus profond qui nous rassemble autour des valeurs de la République, pour citer le Premier ministre auquel je soumettrai prochainement une circulaire sur l'emploi du français dans les services publics. A la veille de la présidence française de l'Union européenne, le rappel de certains grands principes est indispensable. En maintenant la confiance qui relie nos concitoyens à la langue française, nous pourrons bâtir une politique audacieuse en faveur des langues régionales. Ainsi, nous ne connaîtrons jamais la situation catastrophique envisagée par Georges Dumézil, qu'a cité M. Alfonsi, où une langue n'est plus défendue que par une poignée de personnes. (Applaudissements à droite et au centre)