Titre XV de la Constitution (Suite)

Discussion générale (Suite)

Mme la présidente.  - Nous reprenons la discussion du projet de loi constitutionnelle adoptée par l'Assemblée nationale, modifiant le titre XV de la Constitution.

M. Yves Pozzo di Borgo.  - La relance de la construction européenne est l'une des plus importantes réalisations du nouveau Président de la République.

L'engagement historique de ma famille politique en faveur de l'intégration européenne n'est un secret pour personne. Le « non » français au référendum du 29 mai 2005 nous a meurtris et a conduit l'Europe dans une impasse dont le Président de la République l'a sortie par son volontarisme autant que par son habileté. La famille centriste s'est divisée à la suite de la dernière élection présidentielle ; ceux qui ont rejoint la nouvelle majorité -notamment les membres de mon groupe- ont été confortés dans leur choix par l'action européenne du Président, ce que je souligne d'autant plus solennellement que la mise en perspective montre que nous ne pouvons plus hésiter ni piétiner. En effet, les grands ensembles mondiaux formés par le Brésil, l'Inde et surtout la Chine se sont mis en place à une vitesse incroyable. Rappelez-vous qu'à l'époque du référendum, un rapport de la CIA prédisait que la Chine deviendrait la deuxième puissance économique mondiale vers 2020-2025. Trois ans plus tard, elle est déjà parvenue à la troisième place ! Confrontée à cette marche forcée, l'Europe n'a plus le choix : elle doit avancer si elle veut exister sur la scène internationale. Elle pourra le faire grâce au traité de Lisbonne.

Bien sûr, comme théologiens de l'Europe, nous regrettons l'abandon de certains symboles. Le drapeau, l'hymne et la devise ont été bannis du texte fondateur. De même, comment ne pas regretter que les termes de loi et de lois-cadres ne remplacent pas ceux de règlement et de directive, trompeurs et inappropriés dans la terminologie juridique française ? L'affirmation explicite de la primauté dont bénéficie l'ordre juridique communautaire était d'autant plus nécessaire que la Cour de justice de l'Union la rend bien réelle. Nous regrettons aussi que la Charte des droits fondamentaux ne figure dans l'acte fondateur que par le biais d'un renvoi. Mais laissez-nous ses regrets, à nous, les théologiens de l'Europe, car leur poids est faible comparé à toutes les avancées !

Il nous suffirait d'être pragmatiques, à l'image des pères fondateurs de l'Europe, Robert Schuman en tête, pour adopter le traité de Lisbonne, qui dotera l'Europe d'un processus de décision.

Mais nous adhérons à ce traité parce qu'il est porteur de progrès significatifs.

Tout d'abord, il fait de l'Union une entité infiniment plus démocratique, sociale et humaniste que celle du traité de Nice. Ainsi, elle aura désormais pour objectif de lutter « contre l'exclusion sociale et les discriminations », pour « la justice sociale, la solidarité entre générations, la protection des droits des enfants ». Grâce au traité de Lisbonne, l'Europe ne sera plus un simple marché ! Dans le même ordre d'idées, la Charte des droits fondamentaux sera enfin contraignante. Les pouvoirs accrus du Parlement européen démocratisent l'Union. La généralisation de la codécision et la fin de la distinction entre dépenses obligatoires et non obligatoires constituent des progrès considérables. Je salue également la reconnaissance du Conseil européen et l'élargissement de la majorité qualifiée.

Sur le plan des affaires extérieures, le remplacement de deux personnalités qu'étaient d'une part le Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, d'autre part le commissaire européen chargé des relations extérieures, par un unique Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune clarifiera enfin la situation et renforcera la position de l'Union sur la scène internationale. Aujourd'hui, nul ne sait s'il doit s'adresser à Mme Benita Ferrero-Waldner ou à M. Javier Solana ! (Sourires)

L'élargissement du rôle dévolu à la Cour de justice de l'Union s'analyse comme un progrès de l'État de droit.

Toujours au chapitre institutionnel, en tant que membre de la Haute assemblée représentant nos collectivités territoriales, je réserve une mention spéciale aux moyens d'action accrus dont bénéficiera le comité des régions, qui pourra saisir la Cour de justice d'un éventuel manquement au principe de subsidiarité.

Ainsi, le traité de Lisbonne approfondira la démocratie en Europe ; il renforcera les compétences et les moyens d'action de l'Union, enfin dotée d'une personnalité juridique, avec des compétences flexibles.

Vous savez que la défense me tient particulièrement à coeur. Dans un contexte international très incertain, marquée par l'inflexion de la politique américaine, le développement d'une véritable défense européenne autonome est une priorité plus que jamais urgente. Or, grâce au traité de Lisbonne, la politique étrangère et de sécurité sera considérablement renforcée...

M. Hubert Haenel.  - Tout à fait !

M. Yves Pozzo di Borgo.  - ... sur le plan institutionnel, mais aussi celui des objectifs, avec l'élargissement de ses missions, une clause de défense mutuelle et de solidarité antiterroriste, la « coopération structurée permanente » entre États volontaires, enfin avec la création officielle de l'Agence européenne de défense, mise en place par anticipation et qui ne demande qu'à se développer.

Mais le traité de Lisbonne ne se limite pas à des avancées par rapport aux textes en vigueur : il est préférable au traité constitutionnel européen. Nous saluons la place qu'il accorde enfin aux représentations nationales, qui pourront désormais contrôler le respect de la subsidiarité.

Notre seul regret -car il y en a tout de même un- concerne le projet de loi constitutionnelle, car la rédaction du nouvel article 88-1 persiste à n'autoriser que les seuls transferts de compétences induites par ce traité, alors que nous aurions préféré une clause générale autorisant par avance tous les transferts de souveraineté requis par la construction européenne. Tant pis, ce sera pour la prochaine fois !

Reste la critique d'une ratification parlementaire, curieusement formulée à titre préférentiel par ceux qui déplorent l'affaiblissement du Parlement. Que la représentation nationale s'exprime au nom du peuple est l'essence même de la démocratie. Parlementaires, arrêtons de douter de nous-mêmes ! Nous sommes la France et nous prenons les décisions pour les Français qui nous ont mandatés. En outre, ils ont élu pour cinq ans Nicolas Sarkozy, qui avait clairement annoncé son choix d'agir de la sorte.

Vous l'aurez compris : notre groupe soutient pleinement le traité de Lisbonne, le processus de ratification et la modification du titre XV de la Constitution, même si l'importance du sujet nous a contraints à sortir des aspects juridiques pour redonner vie à la vie politique européenne. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Bruno Retailleau. - Le présent projet de loi constitutionnelle est la première étape de la ratification du traité de Lisbonne. La question essentielle, au-delà du contenu du texte, est le choix de la convocation du Congrès après le rejet massif du traité constitutionnel le 29 mai 2005.

Il est clair, au regard de la pratique des institutions de la Vème République, que le référendum est d'essence supérieure à la décision parlementaire, parce qu'il est l'expression la plus directe de la volonté générale. C'est en partant de ce postulat que le candidat Sarkozy n'avait envisagé la procédure parlementaire que si le nouveau traité était simple ou simplifié, ne reprenant que les points qui n'avaient pas suscité de désaccord majeur pendant la campagne référendaire, et s'il faisait la synthèse entre le « oui » et le « non ». Cette position était juridiquement fondée et politiquement légitime. C'est donc à l'aune de ces deux exigences qu'il faut examiner le traité de Lisbonne.

Est-il simplifié ? Jamais élaboration ne fut aussi peu transparente ; les parlements nationaux ont été ignorés, aucun parlementaire n'a été associé aux travaux de la présidence allemande. Il faut en outre une certaine dose d'humour pour qualifier le traité de Lisbonne de « simplifié » ! Il est encore moins lisible qu'un texte constitutionnel désormais éclaté en mille morceaux dispersés dans les traités existants, ceux-ci changeant dès lors de nature, pour y intégrer les première et troisième parties du texte constitutionnel. Ce n'est pas un mini traité, mais un maxi traité, non pas simplifié mais complexifié, qui malmène le principe de sécurité juridique selon lequel la loi doit être claire et intelligible.

Le traité de Lisbonne permet-il de réconcilier le « oui » et le « non » ? Bien sûr que non. Rien d'étonnant à ce que peu de partisans du « non » s'y retrouvent : selon Open Europe, seules dix dispositions diffèrent sur le fond des deux cent cinquante du traité constitutionnel. Les points de désaccord entre le « oui » et le « non » subsistent ; je n'en retiendrai que quatre : la primauté du droit européen, y compris sur la Constitution, la déclaration 27 consacrant la jurisprudence de la Cour de justice ; la concurrence libre et non faussée, qui n'est certes plus un objectif de l'Union, mais qui est réaffirmée par le protocole n°6, lequel a même valeur que le traité ; la charte des droits fondamentaux, porte ouverte à tous les communautarismes ; des transferts de compétences plus nombreux encore dans des domaines régaliens comme l'immigration et la justice. Ce n'est pas l'Europe subsidiaire, concentrée sur des sujets que les États sont impuissants à traiter, mais une Europe qui se mêle de tout : que pèsera la nouvelle procédure de contrôle de subsidiarité face à ces transferts massifs qui échappent à la compétence des parlements ? Ce n'est pas une synthèse entre le « oui » et le « non » mais la résurrection de la Constitution. Mme Merkel, MM. Zapatero et Juncker ne s'en cachent pas plus que M. Giscard d'Estaing qui juge le texte à peu près inchangé et y voit une façon d'échapper à la contrainte référendaire.

Le référendum de 2005 n'aura donc servi à rien. Le Parlement s'apprête à désavouer le peuple. M. Maus, qui n'est certes pas un dangereux gauchiste ni souverainiste...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Il est plus nuancé que vous !

M. Bruno Retailleau. - ... a publié une intéressante tribune sur le sujet. La manoeuvre ne renforcera pas la confiance des Français dans leurs institutions ni dans une Europe qui se construit sans les peuples. Tenir ces derniers à l'écart marque une curieuse conception de la démocratie. Le fameux déficit démocratique qu'il est de bon ton de déplorer n'est pas un hasard ni un dysfonctionnement, mais la condition même de la construction européenne. M. Delors relevait avec courage et clairvoyance en 1999 que l'Europe s'était faite sous l'égide d'un « despotisme doux et éclairé ».

Le traité de Lisbonne est une étape décisive dans l'émergence d'une quasi-structure étatique fédérale dotée de la personnalité juridique et de la faculté de déterminer le champ de ses propres compétences -la compétence de la compétence. Décision à la majorité et primauté du droit européen donnent sa pleine puissance constitutionnelle au traité de Lisbonne. L'option fédérale est respectable pourvu qu'elle soit assumée devant le peuple. J'ai la conviction que vous prenez un risque majeur : celui de la perte du sens civique et collectif, au moment où l'individu et ses intérêts prennent trop souvent la place du citoyen et de ses idéaux, comme l'écrit Dominique Schnapper dans un très bon livre.

Il faut beaucoup de temps pour créer une unité politique, pour que chacun accepte de dépasser sa singularité. Ce n'est pas un hasard si le « non » est venu des Français, peuple éminemment politique, s'il est venu de la France, nation qui a la plus ancienne conscience d'elle-même. L'Europe peut-elle devenir une nation ? A vingt-sept, rien n'est moins sûr ; et il faudra beaucoup plus que cette construction juridique pour créer ce sentiment d'appartenance qui est la condition d'une démocratie européenne. (Applaudissements sur plusieurs bancs à droite)

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Le vote qui conclura ce débat devrait être le seul incombant aux parlementaires. S'il est normal que le Parlement se prononce sur les aspects techniques d'une modification de la Constitution, il faut confier au peuple la décision de réviser la Constitution et de ratifier le traité de Lisbonne. Aux yeux des Verts, aucune raison valable ne s'y oppose.

Je n'entrerai pas dans le détail du traité, même s'il y aurait beaucoup à dire, pour centrer mon propos sur la révision de la Constitution. Selon l'article 89 de notre texte fondamental, le recours au référendum est la règle et la réunion du Congrès l'exception. Malheureusement pour le peuple français, le Président de la République est sur le point de lui nier un droit que lui reconnaît la Constitution. Les constitutionnalistes le disent, le droit d'option du chef de l'État n'est pas discrétionnaire.

La révision de la Constitution est un acte grave. Lorsqu'elle a pour effet d'altérer les conditions essentielles de l'exercice de la souveraineté, il revient au peuple de décider. Tout projet de loi qui porte atteinte à ces conditions devrait de même faire l'objet d'une ratification par le peuple. L'article 3 de la Constitution dispose que la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et -et non pas « ou »- par la voie du référendum. Ici, la théorie de la souveraineté nationale chère à Sieyès côtoie celle de la souveraineté populaire chère à Rousseau.

Il fut une époque, souvenons-nous de 1969, où le référendum voulait dire quelque chose : à lui seul, il pouvait défaire le pouvoir. Le peuple ne veut pas légiférer, il veut seulement pouvoir s'exprimer sur des questions essentielles. En 2005, une révision de la Constitution a été votée dans la perspective de la ratification de la Constitution pour l'Europe ; quelques mois plus tard, les Français ont refusé ce texte et la coquille est restée vide. Beaucoup pensaient que le peuple suivrait, mais il n'a pas suivi ! Aucun désaveu dans ce refus, mais la marche normale de la démocratie : le peuple a signifié que la majorité au Parlement n'est pas nécessairement la sienne. Il fallait tenir compte de ce signal.

Depuis presque trois ans, donc, notre loi fondamentale contient des dispositions qui ne servent à rien ; elles vont être supprimées par le présent projet de loi constitutionnelle, mais nous rappellent que le peuple est maître de son destin. Or sa volonté est sur le point d'être bafouée par la réunion du Congrès le 4 février prochain. Selon un récent sondage, 75 % des Français, de tous bords politiques, favorables ou non au traité, souhaitent que celui-ci soit ratifié par référendum ! La majorité qualifiée du Congrès, la majorité simple qui adoptera la loi de ratification ne peuvent se substituer à eux. Après 2005, le parallélisme des formes impose que le nouveau traité soit ratifié par le peuple. Ne craignons pas l'expression démocratique ! Si l'on souhaite vraiment une Europe des peuples, c'est aux peuples d'Europe de dire dans quelle mesure ils souhaitent y participer. Face à un déficit démocratique constamment déploré, la France a l'occasion de donner l'exemple d'une démocratie respectueuse de la volonté de son peuple, courageuse et audacieuse.

En choisissant de convoquer le Congrès, le Président de la République commet un hold-up démocratique, une imposture morale et politique. (M. Jacques Blanc s'exclame) Pourquoi tant de mépris ? La crédibilité du chef de l'État serait-elle en jeu ?

Pourquoi ce refus obstiné alors que M. Sarkozy, lorsqu'il était étudiant, avait présenté un mémoire de DEA sur le référendum du 27 avril 1969 ? Notre président a-t-il peur de subir le même destin que le général de Gaulle ?

M. Jean-Pierre Plancade.  - Qui sait ?

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Pourquoi tant de mépris pour l'expression populaire de la part d'un homme qui, lorsqu'il était ministre de l'intérieur, défendait le recours au référendum pour le défunt traité constitutionnel européen ? Le 9 mai 2004, au cours d'un conseil national de l'UMP, M. Sarkozy disait : « L'Europe doit être au service des peuples, mais l'Europe ne peut pas se construire sans les peuples. La souveraineté c'est le peuple. A chaque grande étape de l'intégration européenne il faut donc solliciter le peuple. Sinon, nous nous couperons de lui. Si nous croyons au projet européen, comme j'y crois, alors nous ne devons pas craindre la confrontation populaire. Je le dis comme je le pense, simplement. Je ne vois pas comment il serait possible de dire aux Français que la Constitution européenne est un acte majeur, et d'en tirer la conséquence qu'elle doit être adoptée entre parlementaires, sans que l'on prenne la peine de solliciter directement l'avis des Français » Et il ajoutait : « J'appartiens à la famille gaulliste qui, à tort ou à raison, a toujours considéré le référendum comme l'une des expressions les plus abouties de la démocratie ».

Aujourd'hui, le Président de la République oublie ses déclarations : il bafoue la volonté du peuple et les idées de sa propre famille politique. Pourquoi ? Parce que la ratification parlementaire est un choix strictement personnel, pas un choix pour les Français ni pour la France. D'ailleurs, le Président a porté ce traité comme son propre enfant depuis le début et il lui a même donné plusieurs noms avant que la conférence intergouvernementale ne lui en attribue un. II l'a porté devant nous, comme si nous étions le conseil de famille de la construction européenne. Il en a fait une affaire personnelle, alors que ce traité concerne tous les Français.

La voie de la ratification parlementaire est un déni de souveraineté. Ce faisant, le Président condamne les Français à être les parents pauvres de la construction européenne en perdant la maîtrise de leur liberté démocratique. Ils deviennent des spectateurs muselés. Que penseront-ils d'un Gouvernement et d'un Président qui bafouent ainsi leur volonté ?

Pour certains, la question serait tranchée depuis les élections présidentielles puisque le Président évoquait, dans son programme, le recours à la voie parlementaire pour la ratification du traité de Lisbonne. En votant pour lui, les Français auraient accepté la ratification parlementaire ! Cet argument est nul et non avenu.

M. Jacques Blanc.  - Ah bon ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Quand même !

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Son élection ne donne pas au Président un blanc-seing sur sa politique européenne. Les Français auraient-ils renoncé à leur souveraineté en élisant M. Sarkozy ? Mais le Président ayant promis à nos partenaires européens que ce traité serait ratifié, le Congrès lui permettra de faire bonne figure.

M. Jacques Blanc.  - Le peuple a tranché !

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - La ratification parlementaire ne doit pas être une ruse politique pour censurer la voix du peuple.

Enfin, nous ne devons pas nous tromper de combat : il ne s'agit pas, aujourd'hui, de nous prononcer pour ou contre le traité européen mais de défendre la légitimité du recours au référendum pour permettre aux Français de donner leur avis sur les décennies futures. Nous n'avons pas été élus pour priver le peuple de sa souveraineté ! Il lui revient de se prononcer sur le traité de Lisbonne. (Applaudissements sur divers bancs à gauche)

M. Pierre Bernard-Reymond.  - (Applaudissements à droite) Ne m'en veuillez pas si, anticipant quelque peu sur le calendrier, je m'exprime ce soir sur le fond du traité de Lisbonne plus que sur la réforme constitutionnelle qui rendra sa ratification possible.

M. Charles Gautier.  - Ce n'est pas le sujet !

M. Pierre Bernard-Reymond.  - Nous devons d'abord tirer les leçons de l'échec du référendum de 2005

La construction de l'Europe avait été jusque là un processus pragmatique. Chacun des traités successifs prenait en compte les évolutions récentes, identifiait les besoins à satisfaire et éclairait le proche avenir dans la perspective du traité suivant.

Proposer une constitution pour l'Europe rompait avec cette méthode et présentait l'ambition de figer définitivement le cadre dans lequel évoluerait désormais un processus qui était pourtant loin d'être achevé. Ce caractère solennel a d'autant plus inquiété certains de nos concitoyens qu'ils ont aussi voulu y voir un choix définitif en faveur d'un type de société qu'ils récusaient, alors qu'il ne s'agissait que de prendre en compte l'acquis communautaire et de fournir un nouveau cadre institutionnel cohérent et efficace.

Revenir à la construction européenne par l'élaboration d'un traité tous les six ou sept ans est la bonne méthode. Si, un jour, cette construction est définitivement achevée alors peut-être faudra-t-il penser à une Constitution mais le moment n'est pas venu. Le choix du référendum a encore contribué à solenniser l'acte et a permis d'ouvrir un débat qui n'avait qu'un lointain rapport avec la question européenne. Le référendum a également encouragé des approches politiciennes notamment de la part des auteurs d'un soi-disant plan B qui n'a jamais existé.

Donc, il faut des traités et des ratifications parlementaires chaque fois que la complexité des textes expose le référendum à des réponses qui n'ont rien à voir avec la question posée. J'espère également que, dans une prochaine réforme constitutionnelle, le Gouvernement reviendra sur l'obligation du référendum pour la ratification de l'entrée de nouveaux membres.

M. Jacques Blanc.  - Tout à fait !

M. Pierre Bernard-Reymond.  - De même, s'il est très utile que des sages s'interrogent sur l'avenir à long terme de l'Europe, qu'ils se gardent bien de vouloir en dessiner dès maintenant un contenu trop précis et surtout des frontières définitives. Où en seront dans vingt ans la Turquie, la Biélorussie, l'Ukraine, la Moldavie et même la Serbie après l'indépendance du Kosovo ? Nul ne peut le dire. Au demeurant l'Europe peut avancer sans répondre à ces questions.

L'Europe s'est sortie de ce mauvais pas grâce au dynamisme de notre Président, au travail de la Chancelière allemande et à la volonté de la plupart des membres de l'Union. Espérons que tous les pays, y compris l'Irlande, tenue à un référendum et qui ferait bien de l'organiser après les vingt-six autres ratifications, (M. Mélenchon rit) permettront la mise en oeuvre de ce traité au plus tard avant les élections au Parlement européen.

J'en viens à la mise en oeuvre de la partie institutionnelle de ce traité qui met en scène cinq grands personnages à la tête de l'Union : le Président de l'Union, qui va enfin donner une voix et un visage à l'Europe, le Président de la Commission, le Président du pays qui assura la gestion semestrielle de l'Union, le Haut représentant et le Président du Parlement.

Certes, leurs relations de pouvoir seront réglées par les textes mais nous savons bien aussi que, de leur entente personnelle et de celle de leurs plus proches collaborateurs, dépendra le bon fonctionnement des institutions. Des réunions régulières informelles de ce quintette seront indispensables pour assurer une bonne gouvernance de l'Union...

M. Jean-Luc Mélenchon.  - Ce sera simple !

M. Pierre Bernard-Reymond.  - ... sous la conduite de son Président qui sera, je l'espère, issu d'un pays fondateur, membre de la zone Euro et de l'Espace Schengen.

M. Charles Gautier.  - Il faut le dire au Président de la République !

M. Jean-Luc Mélenchon.  - Et si c'est un Letton ?

M. Pierre Bernard-Reymond.  - En revanche, pour le poste stratégique et de première importance que sera celui de Haut représentant, pourquoi ne pas se référer à la longue et excellente tradition diplomatique de nos amis anglo-saxons pour souhaiter la désignation d'une personnalité de dimension internationale, capable de s'imposer dans la formulation d'une politique étrangère de plus en plus commune et d'agir avec efficacité dans tous les secteurs de la vie internationale ?

M. Jacques Blanc.  - Pourquoi pas ?

M. Pierre Bernard-Reymond.  - Certes, le titre de ministre des affaires étrangères eût mieux correspondu au niveau et au profil souhaité mais c'est précisément celui à qui je pense pour ce poste qui n'en a pas voulu !

Au-delà de ces désignations qui devront privilégier la qualité des candidatures plutôt que résulter de marchandages, nous nous félicitons de l'amélioration de la capacité de décision, du rôle accru des Parlements nationaux et européens, du contrôle de la subsidiarité : le Traité de Lisbonne aura vraiment libéré l'avenir européen. Une fois l'horizon éclairci, les ratifications acquises et les responsables désignés, l'Europe pourra repartir du bond pied, douze ans après la Conférence de Turin qui marqua le début de cette réforme.

Ce sera un moment privilégié pour réaffirmer la vocation et l'ambition de la construction Européenne : l'Europe est d'abord un projet de civilisation. Je me sens autorisé à utiliser cette formule parce que je l'ai écrite dans un article en 1996. La construction européenne ne s'arrête pas à la création d'un marché unique, lui-même simple partie de plus en plus indifférenciée de l'espace économique mondial.

Nous croyons à la force des valeurs dans une société qui place l'homme au centre de toute chose. La recherche de la paix, le respect des droits de l'homme, la défense des libertés, la démocratie pluraliste, le développement de nos entités culturelles, mais aussi la solidarité, les notions de service public, de coopération et de mutualisme, contribuent à faire de nos sociétés des communautés singulières que nous voulons préserver et développer en les modernisant.

Mais, pour être une civilisation, l'Europe doit être aussi une puissance. A l'heure de la mondialisation, elle ne peut pas se réfugier dans la neutralité ou se contenter de jouer un rôle de puissance régionale car elle doit porter nos valeurs et nos intérêts et assurer leur promotion dans le monde.

Nous ne pensons pas qu'il soit bon de livrer la société internationale au marché et à la mondialisation. L'Europe ne doit être ni un cheval de Troie de la mondialisation, ni un simple rempart contre elle. Pour les questions monétaires, sociales et environnementales -principaux domaines où s'exerce le dumping mondial- l'Europe doit dialoguer avec les pays émergents pour civiliser les forces qui déterminent la société internationale et causent des drames aussi bien chez eux que chez nous.

Pour ces raisons, nous ne devons pas simplement organiser un espace, mais bâtir une puissance, ce qui passe notamment par une relance de la puissance économique dans le cadre de la stratégie de Lisbonne et de notre diplomatie commune, par exemple en créant un centre d'analyse et de propositions pour la politique étrangère, ou par la construction d'une réelle politique de défense et la promotion, dans le cadre de l'ONU, d'une enceinte de négociations pour toutes les questions de développement durable.

Pour organiser cette puissance, l'Europe doit devenir une fédération, non pas le Léviathan que serait une Europe État-nation, mais une fédération décentralisée fondée sur la subsidiarité et le respect des identités et structurée de façon à pouvoir agir et réagir avec efficacité. Nous n'aspirons pas à un État unitaire européen : la diversité de nos vieilles nations constitue un atout dans la compétition mondiale qui fait rage. La fédération doit donc prendre la forme d'une communauté de nations. Jusqu'à présent, les relations entre les peuples ont tenu en deux mots : impérialisme et nationalisme, qui ne satisfont pas à nos valeurs. L'Europe invente donc un mode de relations entre les peuples tout à fait nouveau : une communauté fondée sur la libre adhésion, la démocratie et le respect de la culture de chacun. Ce projet de civilisation est servi par une puissance, organisé sur le fédéralisme décentralisé constituant une communauté de nations. (Applaudissements à droite et au centre)

M. André Lardeux.  - Une fois de plus, nous est proposée une modification de la Constitution -la dix-septième en quinze ans ! Il est de plus en plus difficile de s'y retrouver dans ce patchwork. Les prochaines modifications annoncées seront inutiles : si le traité est ratifié, il aura pour effet d'abolir la souveraineté du peuple français. Les partisans de l'abandon qualifient ceux qui pensent comme moi de « souverainistes » pour mieux déconsidérer notre position mais si celle-ci est en effet minoritaire dans les sphères bien pensantes, qu'en est-il dans nos quartiers et nos campagnes ?

Je n'ai pas vu dans ce texte et les commentaires lénifiants qui l'accompagnent de motif à changer d'avis : comme en 2005, c'est non ! Pour autant, rien n'est plus faux que de dire que les partisans du non sont opposés à l'Europe. Cet argument a contribué en 2005 à la défaite du oui. Notre différence porte sur la conception de la construction européenne et la façon de la réaliser.

Je regrette que l'on ne recoure pas au référendum ; certes, la procédure est légale, mais je ne la pense pas légitime : vous envoyez un message négatif aux citoyens à propos de l'Europe -« circulez, il n'y a rien à voir », ou encore « cause toujours... » Or, les citoyens sont aptes à comprendre, pour peu qu'on leur explique les tenants et aboutissants du texte. Le meilleur moyen de remettre la France au coeur de l'Europe, c'est de redonner la parole au peuple plutôt que de traiter la question en catimini, dans le secret des cabinets et le clair-obscur des cours de justice. On est fondé à parler d'une conspiration du silence.

Il est plus simple de continuer à construire l'Europe sans les peuples -ou contre eux. Les potentats de Bruxelles se méfient : quand on donne la parole aux peuples, ils posent des questions ! Pourtant, en 1962, le général de Gaulle déclarait que la voie du référendum s'imposait parce qu'elle était la plus démocratique. Mais les promoteurs du texte ont peur du peuple, quand bien même le référendum serait plus conforme à l'article 3 de la Constitution et aux propositions de la commission Balladur visant à donner un plus grand rôle aux citoyens dans le fonctionnement des institutions.

L'expérience des précédents traités laisse présager que les thuriféraires de celui-ci auront tôt fait de vouloir s'affranchir de ses contraintes -ce sera trop tard. On réclamait, il y a peu, que le droit européen de la concurrence ne laisse pas les entreprises européennes à la merci des prédateurs du monde entier. Ce n'est pas moi, c'est le Président de la République et j'avoue ne pas comprendre quand il nous soumet ce traité réduisant encore plus nos marges de manoeuvre vis-à-vis des instances européennes. De deux choses l'une : soit on s'aligne et on le dit aux Français -c'est le sens de ce traité- soit on le refuse pour proposer une vision plus conforme à l'avenir de l'Europe et de la France.

D'ailleurs, nous n'avons guère respecté les critères de Maastricht. Et que dire de notre attitude à l'égard des réglementations européenne, telle celle sur les quotas, qui n'est que la conséquence de textes approuvés par les gouvernements successifs à Bruxelles ? C'est regretter des effets dont on a chéri les causes. Et l'on attend toujours la réalisation des promesses mirifiques de 1992 sur l'Europe sociale...

M. Jean-Luc Mélenchon.  - Ce n'est pas demain la veille !

M. André Lardeux.  - ... alors que, selon M. Védrine, une Europe « fédérale et sociale » est un oxymore !

Le présent traité est-il allégé et modifié par rapport à celui de 2005 ? Non. La discrétion -ou la pudeur- de votre exposé des motifs tient de l'aveu : cachez ce texte que nous ne saurions montrer aux citoyens ! Il n'est pas simplifié : deux cent quatre vingt sept pages, près de quatre cents articles, soixante-cinq annexes, treize protocoles additionnels.

M. Jean-Luc Mélenchon.  - Bien sûr !

M. André Lardeux.  - Est-ce un mini-traité par rapport à la maxi-constitution de 2005 ? Il propose en fait quasiment l'intégralité de feu la constitution européenne, sous une autre forme, en opérant d'obscures et absconses modifications. La constitution est morte, vive la constitution ! Les dirigeants européens, auteurs du texte Merkel, Rasmussen, Zapatero se sont clairement réjouis du fait qu'il s'agissait d'un avatar du précédent : sur le fond comme sur la forme, estime un juriste, les modifications sont psychologiques et destinées à faire passer la pilule. De la même façon, Valéry Giscard d'Estaing, qui est expert, avouait en octobre dernier que les propositions institutionnelles se retrouvaient dans le traité, dans un ordre différent : le flacon est différent, mais le contenu est le même ! Ce texte-là est simplement inaccessible aux non-juristes.

Les quatre éléments principaux de la constitution européenne s'y retrouvent : personnalité juridique, primauté des textes européens, politique extérieure autonome, système de décision indépendant et transferts de souveraineté. C'est bien une constitution, comme le souligne le député européen Bourlanges, il n'y manque rien !

La personnalité juridique, point cardinal du fédéralisme, y est consacrée. Son affirmation y est plus discrète, mais il y a de plus en plus d'abandons de souveraineté. Rien n'échappera plus au champ de la Commission : droit de la famille, maintien de l'ordre public, agriculture, environnement, transports.

Les parlements nationaux seront inutiles.

M. Jacques Blanc.  - Ils sont renforcés !

M. André Lardeux.  - Le droit de pétition, reconnu aux citoyens s'ils estiment qu'un acte de l'Union est nécessaire, ne l'est pas aux parlements.

La souveraineté nationale n'est pas limitée, elle est abolie, la supériorité des textes européens sur les textes nationaux étant réaffirmée dans un protocole additionnel rappelant la jurisprudence de la Cour de justice dont les pouvoirs deviennent exorbitantes. D'ailleurs, l'arrêt de cette cour rendu le 18 décembre dernier aux dépens des syndicats suédois le confirme. Le principe de la concurrence libre et non faussée, chassé par la porte, rentre par la fenêtre !

La possibilité accordée par les textes anciens aux États de se réfugier derrière leur constitution est abolie. La primauté du droit de l'Union est un nouvel Être suprême devant lequel il faut se prosterner. En France, la justice est rendue au nom du peuple français : au nom de qui le sera-t-elle maintenant ?

En matière de politique extérieure, le Haut représentant sera aussi membre de la Commission.

Il sera, selon l'expression du Président de la République, qui a le mérite de la clarté, « un ministre des relations extérieures sans nom », qui devrait donc permettre de remercier M. Kouchner et d'autres excellences désormais superflues... On nous dit que la référence à l'Otan disparaît, mais ce n'est là qu'un tour de passe-passe, puisque le traité renvoie sur ce point à Maastricht. On vante une présidence « stable », de deux ans et demie, voire cinq, dont il faut espérer qu'elle ne sera pas attribuée à un représentant du pays le moins européen de l'Union. On se félicite de l'extension de la majorité qualifiée, dont pourtant certains pays sont parvenus, en certaines matières, à s'exonérer. Quant au développement de clauses passerelles, il met purement et simplement en cause le pouvoir constituant des États, qui ne seront même plus appelés à se prononcer sur le passage de l'unanimité à la majorité qualifiée : cette dangereuse clause d'extension des compétences permet tout ! La charte des droits fondamentaux, enfin, annexée au traité, dont certains pays s'exonèrent, mais pas la France, d'un périmètre plus vaste que la Convention européenne des droits de l'homme, nous imposera ce que nous ne voulons pas, mettant en cause notre déclaration des droits, nos lois de bioéthique, notre code de la famille.

Surtout, ce traité risque d'être utilisé par certains États pour imposer un fédéralisme des régions, qui, radicalement contraire à notre tradition républicaine, transformera l'Europe en une poussière d'entités infimes.

Nous aurions aimé trouver dans le traité une définition de l'Europe. Las, la liste des membres elle-même a été escamotée ! C'est l'un des drames de l'Europe, comme le souligne l'historien Elie Barnavi, que n'ayant pas su se donner de frontières physiques, elle soit incapable de se doter de frontières mentales. « Elle ne sait pas définir un ?eux? et un ?nous? », ajoute-t-il, frontière qui n'est pas forcément « hostile ni imperméable » mais qui, pour être « amicale et poreuse », doit exister. L'exemple de la Turquie est emblématique. On nous a laissé entendre, au cours de la dernière campagne, que la France s'opposerait à l'extension des négociations. Elle a pourtant, depuis, avalisé chaque étape franchie par la Commission. Secondaire si l'Europe n'est destinée qu'à être un vaste marché, ainsi que le souhaitent les utilitaristes anglo-saxons, l'entrée de la Turquie dans une Europe devenue entité supranationale mérite, pour le moins, débat, au lieu du silence assourdissant que l'on nous impose, d'autant que bien des pays de l'ex-Union soviétique, comme l'Ukraine, seraient fondés à demander le même traitement, d'autant, enfin, que l'obligation de référendum ne semble devoir être que très provisoirement maintenue.

M. Jacques Blanc. - J'espère bien !

M. André Lardeux. - Je milite, quant à moi, pour une Europe confédérale, association d'États nations. Les Français veulent une Europe concrète, qui les laisse maîtres de leur destin, pas une Europe abstraite dans laquelle ils ne se reconnaissent pas. Or, ce traité, qui dote l'Union de l'essentiel des attributs dévolus aux États, sans que rien ne permette de retour arrière, franchit un saut qualitatif. Se peut-il qu'un État, par un acte souverain, aliène sans retour sa souveraineté ? N'assiste-t-on pas là à une étrange variante de ce syndrome de Stockholm par lequel la victime épouse la cause de son ravisseur ? Laissera-t-on, dans l'indifférence générale, instaurer une nouvelle légitimité qui relèguera bientôt notre Constitution dans le rôle de simple variable d'ajustement ? Vous comprendrez que je voterai contre cette révision constitutionnelle, comme je voterai contre la ratification du traité de Lisbonne. (M. Retailleau, Mme Mathon et M. Bret applaudissent)

M. Robert del Picchia. - Je siège dans cette assemblée comme représentant de quelque deux millions de français établis hors de France, dont un million en Europe : ils sont directement concernés par la réussite du traité de Lisbonne, synonyme de son entrée en vigueur. Pas seulement en raison des avancées démocratiques qu'il institue au bénéfice des citoyens et des parlements, pas seulement parce qu'il nous permettra de sortir par le haut de la crise de confiance dans laquelle nous sommes plongés...

M. Jean-Luc Mélenchon. - A bas la France !

M. Robert del Picchia. - ... mais parce que, si les Français ont rejeté le traité par référendum, les Français de l'étranger lui ont dit oui à 84 %.

M. Robert Bret. - On n'a pas pu débattre avec eux.

M. Robert del Picchia. - Voilà qui se passe de tout commentaire. Nos compatriotes ont mal vécu les incertitudes institutionnelles. Ils se sont sentis, comme Français, responsables de la situation, alors qu'ils avaient fait le bon choix. (M. Mélenchon et Mme Borvo Cohen-Seat s'exclament)

Ce traité n'est pas de même nature que le précédent, qui changeait la nature même de l'Europe en prétendant la doter d'une quasi constitution. La ratification par voie parlementaire se justifie donc pleinement. Le Président de la République s'était au reste clairement prononcé en sa faveur durant sa campagne, si bien que l'on peut dire, avec M. Haenel, qu'au moins 53 % des Français y sont favorables.

Il est urgent que ce traité soit ratifié par les vingt-sept, afin qu'il puisse entrer en vigueur au 1er janvier 2009, pour s'appliquer à la nouvelle Commission et aux élections européennes de juin 2009, échéance avant laquelle j'espère que la loi qui permettra enfin aux deux millions de Français de l'étranger de voter aux élections européennes sera adoptée. Pour répondre, monsieur le ministre, aux inquiétudes de nos partenaires européens sur les deux sièges que nous leur réserverions, il est une solution : les placer dans la huitième circonscription, qui deviendrait celles des Dom-Tom et des Français de l'étranger, et les pourvoir à la proportionnelle. (Mme Borvo Cohen-Seat s'esclaffe)

M. Jean-Luc Mélenchon. - Ben voyons !

M. Robert del Picchia. - En 1979, lors de son l'intronisation à la présidence du Parlement européen, Mme Simone Veil rappelait que tous les États étaient confrontés à trois défis : paix, liberté et bien-être. Le défi de la paix, pour l'Europe, a été relevé par ses pères fondateurs ; celui de la liberté par l'intégration des jeunes démocraties du sud et, après la chute du mur de Berlin, par l'élargissement à l'Est qui a fait de l'Europe un îlot de liberté envié dans le monde ; quant au défi du bien-être, c'est-à-dire du niveau de vie des populations, il ne sera relevé que solidairement : le traité de Lisbonne nous en donne peut-être l'occasion.

J'étais, il y a quelques jours, en compagnie du dernier signataire vivant du traité fondateur, le traité de Rome. Cinquante ans après, l'enthousiasme de Maurice Faure n'a pas fléchi. Notre seule chance, me disait-il, d'affirmer l'Europe, est de ne pas nous laisser arrêter par les modalités de ratification. Quelle est pour vous la signification du mot pouvoir, lui ai-je demandé. « Le pouvoir, c'est quand on l'a. » (Mme Borvo Cohen-Seat rit)

M. Robert Bret. - La Palisse.

M. Robert del Picchia. - Nous avons le pouvoir d'avancer et de modifier la construction européenne. Efforçons-nous, en le faisant, de démentir le mot de Sophocle qui disait que les peuples n'apprennent pas dans les livres mais dans les larmes. Ne pleurons pas sur l'Europe ! (Applaudissements à droite et sur plusieurs banc au centre)

M. Jacques Blanc. - Ce débat montre le pas gigantesque que l'action formidable du Président de la République et du Gouvernement a permis de franchir pour rendre un nouvel élan à la France et à l'Europe. (Mme Borvo Cohen-Seat rit).

Le Président de la République a eu le courage, comme candidat, de s'engager, quand tous les autres se déclaraient favorables au référendum. Il a réussi ce tour de force de changer nos mentalités : là est la rupture. Nous sommes sortis du trouble de conscience où étaient plongés jusqu'aux plus engagés. Jusqu'à des personnalités fortes, qui croyaient à l'Europe des six, n'avaient pas intégré le fait que l'entrée de la Grande-Bretagne signait une étape nouvelle.

Aujourd'hui, nous sommes face à une communauté à vingt-sept. Comment ne pas tenir compte de l'exigence de modification des modalités de gouvernance ? Le traité de Nice était imparfait, mais il a permis de répondre à l'attente angoissée des pays victimes de Yalta, écrasés par le système communiste. Pouvait-on les laisser de côté ? Il était alors impossible d'avancer dans l'organisation de l'Union européenne.

Notre démocratie a accompli un miracle en nous permettant de sortir de l'alternative oui-non et d'ouvrir une nouvelle perspective.

M. Robert Bret. - On a sorti un lapin d'un chapeau !

M. Jacques Blanc. - Certains restent crispés sur des positions auxquelles ils ne croient pas. Ceux qui souhaiteraient bloquer le processus ne trouvent plus d'écho auprès du peuple qui, au contraire, partage l'espérance que, grâce à la France, aux efforts du Président de la République, du Gouvernement, d'Angela Merkel et du Portugal, les vingt-sept pays européens se retrouvent autour d'un traité, et non d'une constitution.

Après avoir modifié la Constitution, nous pourrons ratifier le traiter et créer une modernité nouvelle dans l'esprit même des Françaises et des Français. Abordons le problème de l'Europe comme le souhaite Jean-Pierre Raffarin sur le plan des actions et non en s'enfermant dans l'optique des institutions, Nous sommes tous mobilisés pour le développement durable, pour réduire les émissions de CO2. Il est significatif qu'aujourd'hui se soit tenue une réunion à Londres entre la France, l'Italie, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et le président de la Commission pour trouver des solutions aux problèmes financiers mondiaux. Cette approche a été voulue par la France, et elle va amener la Grande-Bretagne à ratifier le traité par la voie parlementaire. C'est une révolution culturelle !

Enfin, on va pouvoir parler d'Europe au moyen de perspectives d'actions importantes pour notre société, la défense de notre civilisation, l'emploi, la dimension sociale...

M. Jean-Luc Mélenchon. - Mais non !

M. Jacques Blanc. - ... ou nos agriculteurs et la cohésion territoriale. Nous allons parler des vrais sujets parce que le traité de Lisbonne -qu'il soit pris en compte par tous les pays de l'Union ou que l'on agisse par le biais de coopérations renforcées- permettra de répondre aux attentes des Européens.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Tout va très bien, madame la marquise...

M. Jacques Blanc. - Au lieu d'être fermés sur nous-mêmes en craignant les Etats-Unis, la Chine, ou d'autres...

M. Jean-Luc Mélenchon. - Georges Frêche !

M. Jacques Blanc. - ... nous pourrons contribuer à une nouvelle organisation du monde et procurer de nouvelles espérances à ses habitants.

Nous vivons un grand moment ce soir, qui va nous permettre de franchir une étape définitive. Je salue le travail remarquable de la commission des lois et la réflexion forte de la délégation pour l'Union européenne. Certains ont dit que l'on réduisait les pouvoirs du Parlement, mais au contraire, ce traité implique une révision constitutionnelle qui lui donne de nouvelles compétences... (Mme Borvo Cohen-Seat s'esclaffe)

M. Jean-Luc Mélenchon. - Lisez-nous le passage !

M. Jacques Blanc. - Pour le contrôle de la subsidiarité, notamment. Désormais, le Parlement est saisi automatiquement des projets et textes de l'Union européenne. Je souhaite que l'on reprenne demain les propositions de la commission Balladur pour donner à la délégation pour l'Union européenne du Sénat un rôle particulier dans le contrôle de la subsidiarité.

Madame le garde des Sceaux et monsieur le ministre, vous avez bien fait de réduire le débat à la modification institutionnelle exigée par le Conseil constitutionnel pour la ratification du traité. J'espère que nous pourrons, lors d'un autre débat de modification constitutionnelle, reprendre des propositions telle celle de M. Balladur pour transformer la délégation en comité ou supprimer l'exigence du référendum.

Il ne faut pas tout mélanger. Les défenseurs des langues régionales n'ont peut-être pas tort, mais ce débat n'a pas lieu d'être aujourd'hui.

M. Roland Courteau. - Ce n'est jamais le moment !

M. Roger Romani. - Nous sommes contre les langues régionales. (Sourires)

M. Jacques Blanc. - Cela ne veut pas dire que nous nous opposons à toute avancée sur ce sujet.

Sur ce texte précis, nous pouvons suivre la commission et le voter dans l'enthousiasme pour que demain naisse une nouvelle espérance pour toute une génération et pour que vive l'Union européenne. (Bravos et applaudissements à droite et au centre)

La discussion générale est close.

Mme Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la justice.  - Monsieur Raffarin, je vous remercie de votre remarquable intervention. Il faut effectivement rendre le projet européen fort, juste et moderne. Le traité répond aux craintes exprimées en 2005. Il renforce les pouvoirs du Parlement et le contrôle démocratique, améliore les traités existants sans modifier la nature de la construction européenne. Le Gouvernement souhaite que cette Europe plus forte soit un facteur de paix dans le monde.

Monsieur Bel, je regrette que vous vous absteniez sur ce sujet essentiel, car la révision de la Constitution permettra la ratification du traité de Lisbonne et la relance de la construction européenne. Monsieur Blanc, vous avez raison de rappeler cet ordre logique.

Monsieur Bret, je ne suis pas d'accord avec vous quand vous affirmez que le peuple est contourné. Le Président de la République a été très clair durant la campagne. Les Français lui ont accordé leur confiance pour renégocier un traité qui réponde à leurs aspirations et le ratifier rapidement, par voie parlementaire.

Monsieur Pozzo di Borgo, vous avez eu raison de souligner que la légitimité parlementaire était aussi forte que celle du peuple s'exprimant par référendum.

Monsieur Alfonsi, vous avez indiqué à juste titre que ce traité est une chance pour l'Europe à vingt-sept. Comme M. Gélard, vous avez souhaité que soit introduite dans notre Constitution une clause générale de compétence. Nous n'avons pas fait ce choix car une révision constitutionnelle aurait impliqué une majorité des trois cinquièmes au Congrès, ce qui aurait été plus contraignant que la ratification du traité. Un gage supplémentaire de démocratie est donné à chaque étape de la construction européenne.

Madame Boumediene-Thiery, vous avez évoqué l'article 3 de la Constitution. Je ne le lis pas comme vous : il place les représentants du peuple et le référendum au même niveau. Le traité de Lisbonne est de la même nature que le traité d'Amsterdam, qui a été adopté sans référendum.

Monsieur del Picchia, comme vous l'avez indiqué, il y a urgence à ratifier le traité de Lisbonne.

M. Jean Desessard. - C'est une mitraillette !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État chargé des affaires européennes.  - Je remercie le Premier ministre Raffarin, le président de la commission des lois, le rapporteur et l'ensemble des intervenants qui ont éclairé les enjeux de ce texte. Le Sénat a choisi de concentrer ses débats sur le projet de révision constitutionnelle, qui se borne au strict nécessaire pour permettre la ratification du traité de Lisbonne. J'ai écouté les propositions de MM. Gélard, Pozzo di Borgo, du président Haenel, de MM. Raffarin et Alfonsi. L'équilibre de nos institutions face à la construction européenne mérite un débat à part entière, que nous mènerons dans le cadre de la réforme des institutions. Comme M. Bel, je pense que nous ne devons pas discuter du projet européen seulement lors de la ratification d'un traité. Nous pourrons le faire davantage avec les nouvelles modalités de contrôle de la subsidiarité. Nous aurons deux occasions d'évoquer les projets politiques européens : la présidence Française de l'Union européenne et les élections de 2009, comme l'a indiqué M. Raffarin. J'ai bien noté la proposition de M. del Picchia concernant la représentation des Français de l'étranger. Le poids de ces élections sera renforcé par la désignation du président de la Commission européenne qui prendra ses fonctions en novembre 2009.

Je ne reviendrai pas sur la question du recours ou non au référendum. Mme le garde des Sceaux a rappelé qu'il ne s'agit pas d'une exception française. Les autres États membres ont suivi ces débats car vingt-cinq autres pays ratifieront le traité par voie parlementaire.

M. Michel Charasse. - Ce n'est pas à l'Europe de nous dicter notre mode de ratification !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État.  - Monsieur Retailleau, la structure de ce traité est simplifiée, mais il a sans doute été plus débattu que d'autres. Il modifie les traités existants. Le traité de Maastricht était une exception en ce qu'il créait de fond en comble une politique monétaire européenne avec une incidence directe pour les Français dans leur vie quotidienne par la création de l'euro.

M. Michel Charasse. - Les Français l'ont approuvé et le président Mitterrand ne s'est pas dégonflé.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État.  - Tel n'est pas le cas du traité de Lisbonne, qui apporte des contrepoids à la politique monétaire unique en créant un gouvernement économique, l'Eurogroupe, et une meilleure représentation de la zone euro dans les institutions internationales. MM. Bret, Bel et Alfonsi ne peuvent que s'en réjouir.

Nombre d'entre vous ont souligné les avancées contenues dans ce traité et la balance est largement positive. Les avancées sont sociales aussi, notamment en matière de lutte contre l'exclusion. M Raffarin l'a dit : c'est, depuis 1985, le traité qui comporte le plus d'avancées sociales et démocratiques.

Messieurs Retailleau et Lardeux, il y a une différence entre un objectif et un simple moyen, comme l'est désormais la concurrence. Les transferts de compétence à la majorité qualifiée sont un gage d'efficacité. Comment lutter contre la délinquance ou le terrorisme si un seul État peut bloquer toute décision ?

C'est donc un bon traité, équilibré, qui ne nous exonère pas de la responsabilité de porter des projets européens qui bénéficient à l'ensemble des Français. Les débats devraient surtout porter sur les politiques qui pourront être mises en oeuvre à partir de ce traité. (Applaudissements à droite et au centre)

Exception d'irrecevabilité

Mme la présidente. - Motion n°1, présentée par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.

En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi constitutionnelle adopté par l'Assemblée nationale modifiant le titre XV de la Constitution  (n° 170, 2007-2008).

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Si le peuple ne vous convient pas, il faut changer de peuple.

Le 29 mai 2005, le peuple français a refusé la ratification du traité constitutionnel européen par 54,67 % des suffrages exprimés. Ce vote n'était pas de circonstance, il résultait d'un vaste débat national, sans doute sans précédent, sur l'Europe, sa construction, sa politique. Le peuple a dit non à cette Europe fondée sur la seule loi du marché, non à son fonctionnement antidémocratique. Le peuple a tenu bon, il a réfuté non seulement un projet, mais aussi et surtout une réalité vécue, celle de l'Europe de la flexibilité et du dumping social, de la détérioration du service public, de la libre circulation des capitaux et des emplois. Le vote du 9 mai 2005 et celui des Néerlandais, s'ils ont rendu caduc le traité constitutionnel, n'ont pas été suivis de la réorientation nécessaire. Les dirigeants européens ont mis à profit ces deux années pour tenter de faire oublier leur échec et chercher à passer outre. M. Sarkozy s'est présenté comme le héraut d'un nouveau départ de l'Europe, tirant les leçons des référendums français et néerlandais et du mécontentement croissant de l'ensemble des peuples européens qui exigent un référendum sur le traité de Lisbonne à 76 % en Allemagne, 75 % au Royaume-Uni, 72 % en Italie, 65 % en Espagne et 71 % en France.

Nicolas Sarkozy, lors de son principal discours de candidat sur l'Europe à Strasbourg le 21 février 2007, annonçait déjà ce tour de passe-passe : « Je veux que l'Europe redevienne un projet, je veux remettre la volonté politique au coeur de l'Europe. Je veux que l'on refasse l'Europe des politiques communes plutôt qu'une Europe sans politique. Les Français ont dit non à la Constitution européenne parce qu'ils avaient le sentiment que l'Europe ne les protégeait plus et qu'elle faisait d'eux, non des acteurs, mais des victimes de la mondialisation. En conséquence, avant de refonder politiquement l'Europe, nous devons la refonder économiquement et socialement. L'ambition de tous les Européens (...) devrait être de redéfinir les principes et les règles de l'union économique et monétaire, en les inscrivant dans cette dimension humaniste et sociale qui fait aujourd'hui tant défaut à l'Europe. La priorité doit désormais être donnée à la croissance et à l'emploi ». Après une longue diatribe contre l'actuelle Europe, le futur Président de la République concluait : « Je proposerai à nos partenaires de nous mettre d'accord sur un traité simplifié qui reprendra les dispositions du projet de traité constitutionnel, qui n'aient pas suscité de désaccord majeur durant la campagne référendaire. Ce traité simplifié, de nature institutionnelle, sera soumis pour ratification au Parlement ».

Nous sommes confrontés à une manipulation des plus dangereuses pour la démocratie. Le traité de Lisbonne est identique au traité constitutionnel, même si sa présentation est différente puisqu'il s'agit de modifications de traités antérieurs et non plus d'un texte homogène. Comme le traité constitutionnel, il aborde l'ensemble de la politique européenne et pas seulement les questions institutionnelles. L'ensemble de la politique économique et sociale, la politique de défense et étrangère, la politique de sécurité sont concernées. M. Haenel, président de la délégation européenne du Sénat, reconnaît cette similitude dans son rapport du 8 novembre 2007 : « Le traité de Lisbonne reprend en règle générale le contenu du traité Constitutionnel, même si c'est dans une forme complètement différente ».

Encore une citation : « L'institution d'une dernière trouvaille consiste à vouloir conserver une partie des innovations du traité constitutionnel et à les camoufler en les faisant éclater en plusieurs textes. Les dispositions les plus innovantes feraient l'objet de simples amendements aux traités de Maastricht et de Nice. Les améliorations techniques seraient regroupées dans un traité devenu incolore ou inodore ». C'est un spécialiste, M. Valéry Giscard d'Estaing qui, dès juin 2007, pressentait ainsi l'opération à venir. Plus, il constatait que 98 % de « son bébé » était repris par le traité de Lisbonne. Exemple symbolique : la référence, à l'article 3 du TCE, à la « concurrence libre et non faussée » aurait disparu à la demande de M. Sarkozy. C'est fait, mais à l'article 4, c'est « l'économie de marché où la concurrence est libre » qui surgit. Le protocole n°6 rappelle que le marché intérieur comprend « un système garantissant que la concurrence est non faussée ». Tous les observateurs, non tenus par un engagement ministériel ou électif à l'égard de M. Sarkozy, le reconnaissent. C'est tellement vrai qu'aux Espagnols, qui ont voté ce TCE sans en avoir beaucoup débattu, on assure qu'il n'est pas nécessaire de faire un nouveau référendum sur ce traité de Lisbonne puisqu'il est identique au TCE ! Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà...

M. Jean Desessard. - Bravo !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 20 mai 2007, admet la similitude. Les renvois systématiques à sa décision de 2004 sur le traité constitutionnel européen l'attestent. Évoquant la question essentielle des transferts de compétences, les juristes du Conseil constitutionnel indiquent, sur un site officiel, que « le traité de Lisbonne ne transfère pas à l'Union par rapport au TCE, d'autres compétences intervenant dans des matières régaliennes nouvelles. Il ne retire par ailleurs aucune matière transférée par le TCE. L'amalgame fait en 2004 demeure entièrement valable. Pour autant, il existe des différences de rédaction entre le traité de Lisbonne et le TCE ». Les juges constitutionnels tentent de se dédouaner en se réfugiant derrière leur décision de 2004. Pourtant, et c'est un premier motif d'irrecevabilité, au regard de sa jurisprudence antérieure, le Conseil constitutionnel aurait dû se déclarer incompétent. Par une décision du 6 novembre 1962 reprise sur le principe par celle du 23 septembre 1992, il s'était en effet déclaré incompétent en matière de loi référendaire. Selon ses propres termes, il se refusait à juger les lois « adoptées par le peuple à la suite d'un référendum et qui constituent l'expression directe de la souveraineté nationale ». Le Conseil constitutionnel n'aurait donc pas dû se prononcer sur des dispositions qu'il reconnaît lui-même similaires aux anciens articles du TCE, qui ont été repoussés par « l'expression directe de la souveraineté nationale », cette souveraineté populaire qui effraie tant les puissants d'Europe. Je demande au président de la commission des lois de s'exprimer avec précision sur ce point. Peut-être consultera-t-il d'éminents constitutionnalistes -je pense à M. Gélard, qui, ici-même, en 2005, déclarait : « Il est sans doute dommage qu'à chaque étape de la construction européenne, nous n'ayons pas toujours par le passé, utilisé le référendum »...

Second motif d'irrecevabilité, le Conseil constitutionnel a omis, comme en 2004, ou même en 1992, un certain nombre d'incompatibilités entre le traité de Lisbonne et la Constitution. La méthode choisie est profondément antidémocratique : le Conseil constitutionnel, organe non élu, fixe le cadre, en moins d'une semaine cette fois-ci, de la révision constitutionnelle. Il serait le seul juge de la compatibilité avec ce qu'il nomme « l'identité constitutionnelle française ». Pourtant, le Parlement existe. Le peuple est nié, faut-il également bâillonner le Parlement ?

L'article 42-2 du traité de Lisbonne est contraire à la Constitution parce qu'il subordonne la politique de sécurité et de défense commune à l'Otan et l'article 3 de la Constitution de 1958 qui affirme la souveraineté nationale, devrait être modifié en conséquence.

L'article 106 qui soumet les services publics aux règles de la concurrence est en contradiction avec le préambule de la Constitution de 1946 qui, dans son alinéa 9 évoque les monopoles de fait de certains services publics. L'article 282 qui consacre l'indépendance de la Banque centrale européenne est en contradiction flagrante avec le principe de souveraineté nationale. Et qu'en dire en cette période où la restauration d'un contrôle politique sur la finance apparaît si nécessaire ?

Or ce principe de souveraineté nationale englobe la souveraineté populaire, visée par l'article 3 de la Constitution.

L'instauration des clauses « passerelles », à l'article 48, grâce auxquelles les autorités européennes, sans consultation des parlements nationaux, pourront choisir de passer de l'unanimité à la majorité qualifiée exige une adaptation de notre Constitution. Enfin, la référence aux fondements religieux de l'Europe mériterait un débat précis... Il n'y a pas de mots anodins dans un tel texte. Du reste, cette référence ne manquera pas d'alimenter un contentieux important devant la Cour de justice européenne.

La construction européenne, dans le cadre de ce traité constitutionnel bis, respectera-t-elle la « forme républicaine du Gouvernement » ? C'est là un troisième motif d'irrecevabilité, fondé sur l'article 89-5 de la Constitution : une révision ne peut comprendre des dispositions portant atteinte à ce principe fondateur. C'est le Conseil constitutionnel qui, à propos du traité de Maastricht, a fixé ces limites. La politique économique et monétaire est décidée ailleurs, par des oligarques qui n'obéissent qu'au dogme du marché, tandis que des transferts massifs de souveraineté sont engagés -justice, sécurité, mise sous tutelle progressive de l'Otan- et que le pouvoir de faire la loi européenne est entre les mains d'une commission sans légitimité démocratique. Dans ces conditions, les formes républicaines du Gouvernement sont-elles préservées ?

Un certain modèle démocratique est en crise sous la pression d'une mondialisation financière en expansion anarchique. Le peuple doit s'exprimer et ses représentants ont pour mission de l'y aider, non de l'en empêcher. Cette révision constitutionnelle n'a pas lieu d'être. Le peuple peut changer d'avis, mais ce n'est pas au Parlement de revenir sur son avis.

La souveraineté populaire est bafouée par le passage en force de dispositions internationales déjà repoussées par référendum. La Constitution ne prévoit rien en cas d'échec à un référendum. Pourquoi ? Parce que l'évidence s'impose et que la voix du peuple doit être respectée sans ambiguïté ! En 1946 et en 1969, les résultats des référendums ont été suivis d'effets ; les gouvernements en ont tiré immédiatement les conséquences. C'est la première fois de notre histoire qu'il n'est pas tenu compte de la réponse du peuple exprimée lors d'un référendum. Il est vrai que la droite aime les plébiscites mais déteste les référendums...

M. Josselin de Rohan.  - Vous avez voté des référendums que nous vous avons soumis !

M. Paul Girod.  - Et vous n'avez jamais organisé de référendum ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Nous estimons pour toutes ces raisons que le texte est irrecevable. (Applaudissements sur les bancs CRC et sur divers bancs socialistes)

M. Patrice Gélard, rapporteur.  - Selon vous, le Conseil constitutionnel n'a pas pleinement accompli sa mission d'examiner si un traité est ou non compatible avec la Constitution. Or, l'article 54 de celle-ci fait du Conseil l'interprète ultime de notre texte constitutionnel et des traités. Il conditionne la ratification d'un traité à l'absence de contrariété à la Constitution : toute contrariété éventuelle doit être levée par une révision.

Vous contestez donc la légitimité du Conseil constitutionnel et de sa jurisprudence mais vous ne vous appuyez sur aucune considération de nature constitutionnelle. La procédure prévue à l'article 54 est pleinement respectée : le projet de loi est une réponse point par point à la décision du Conseil constitutionnel !

Le principe même de l'exception d'irrecevabilité est de « faire reconnaître que le texte en discussion est contraire à une disposition constitutionnelle, légale ou réglementaire ». Or le constituant est souverain et il n'existe en France aucun principe de valeur supra-constitutionnelle. Avis défavorable ! (Applaudissements à droite)

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État chargé des affaires européennes.  - Je partage l'avis du doyen Gélard... dont j'ai été l'élève ! (Mme Borvo Cohen-Seat s'étonne) Votre exposé des motifs remet en cause des décisions du Conseil constitutionnel, qui s'imposent pourtant aux pouvoirs publics. Quant au fond, je n'y reviens pas, nous en avons longtemps débattu. Défavorable. (Applaudissements sur quelques bancs UMP)

La motion est mise aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 246
Nombre de suffrages exprimés 246
Majorité absolue des suffrages exprimés 124
Pour l'adoption 37
Contre 209

Le Sénat n'a pas adopté.

Compte renduanalytique officiel

Mardi 29 janvier 2008

Ici un titre3

Ici un autre titre4

Sommaire

Questions orales1

Défense 2ème chance1

Les jeunes et l'alcool (I)2

Les jeunes et l'acool (II)2

Drones3

Les campagnes manquent de dentistes4

Énergies renouvelables4

Enlèvement international d'enfants5

Fermeture de l'usine Areva T&D de Montrouge6

Enfouissement des câbles7

Réforme du livret A8

Fonds social européen9

Foie gras10

Emplois vie scolaire10

Dysfonctionnement des services d'urgence11

Mobilité pédagogique dans les EPST12

Frais de transport des handicapés13

Situation des entreprises adaptées14

Eloge funèbre de Serge Vinçon, sénateur du Cher14

Révision du titre XV de la Constitution17

SÉANCE

du mardi 29 janvier 2008

57e séance de la session ordinaire 2007-2008

présidence de M. Guy Fischer,vice-président

La séance est ouverte à 10 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Questions orales

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les réponses du Gouvernement à dix-sept questions orales.

Défense 2ème chance

M. Michel Houel.  - Le dispositif « Défense 2ème chance » vise, depuis l'été 2005, l'insertion professionnelle des jeunes de 18 à 21 ans en difficulté scolaire et sociale, grâce à une formation comportementale, scolaire et professionnelle dispensée en internat. Outre les anciens militaires recrutés pour l'encadrement et l'enseignement de la formation civique, il fait appel à des enseignants de l'Éducation nationale et à des formateurs extérieurs.

Près de soixante mille jeunes sont chaque année identifiés comme proches de la marginalisation. Avec pour objectif de remettre ces jeunes sur le chemin de l'emploi, ce projet innovant et prometteur, prévoyait l'accueil de vingt mille volontaires fin 2007 dans cinquante centres.

Deux ans après l'expérimentation du dispositif, chacun reconnaît son intérêt social, prouvé par les résultats obtenus par les premières générations de volontaires : 95 % ont obtenu le certificat de formation générale, 80 % des certificats de qualification professionnelle, 90 % ont trouvé un emploi ou intégré une formation classique type CAP ou une formation en alternance dans des secteurs comme le bâtiment, les travaux publics, la restauration, le transport, la sécurité.

Les entreprises de ces secteurs ont besoin de recruter mais elles n'ont pas le temps d'insérer socialement un jeune éprouvé par la vie. Ce dispositif constitue donc le chaînon manquant dans l'intégration de ces publics, car passer d'une non-activité à une activité régulière n'est pas chose facile. Dans ma commune, je travaille à faire se rencontrer l'offre et la demande de main-d'oeuvre...

Malgré des résultats encourageants, aujourd'hui seuls vingt-deux centres sont ouverts qui n'accueillent que mille huit cent cinquante jeunes pour une capacité totale de deux mille cinq cents places. Ma déception est d'autant plus forte que le premier centre de ce type a ouvert ses portes dans mon département, à Montry, en septembre 2005 et que son succès a obligé à ouvrir une antenne nouvelle à quelques kilomètres de là.

Quelles suites seront données à ce dispositif, sachant que son succès dépend de la mobilisation de tous ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.  - Je tiens d'abord à excuser le ministre de la défense, retenu aux obsèques des trois gendarmes tragiquement décédés la semaine dernière.

Le dispositif en question est sous la double tutelle de la Défense et du ministère de l'économie, des finances et de l'emploi. La Défense met à disposition des personnels et des moyens matériels -elle a consenti par exemple pour 60 millions de cessions immobilières- tandis que l'Emploi fournit l'essentiel des frais de fonctionnement. En 2007, le budget affecté à cette opération a augmenté de 30 % grâce notamment à une participation du ministère du logement et de la ville.

Votre préoccupation rejoint tout à fait celle du Gouvernement. Le ministre de la défense s'est efforcé de recentrer le dispositif sur son objectif central, l'insertion des jeunes de18 à 21 ans. Son ministère a renforcé sa coopération avec celui de l'emploi et il souhaite élargir cette commune tutelle au ministère de la Ville.

Le Gouvernement tout entier est donc mobilisé au profit d'une méthode qui a porté ses fruits : le taux d'insertion est flatteur et de plus en plus de jeunes se portent volontaires. Il s'agit maintenant de développer cet irremplaçable outil d'insertion. Sous l'impulsion d'Hervé Morin, l'ensemble du Gouvernement élaborera un contrat quinquennal d'objectifs et de moyens. La ministre de la santé et de la jeunesse que je suis souligne cet engagement global du Gouvernement dont ce dispositif est un témoignage. Il en est d'autres, portés par l'éducation nationale, le logement et la ville et mon propre ministère. Il s'agit, vous le voyez, d'une action interministérielle où tout le Gouvernement joue pleinement son rôle.

M. Michel Houel.  - C'est une réponse encourageante. Lorsque deux cents jeunes de banlieues difficiles sont venus dans ma commune de trois mille habitants, ces derniers se sont inquiétés. Mais tout s'est très bien passé. Il faut donc continuer l'effort. Dans ce pays on a trop souvent le travers de ne parler que de ce qui ne marche pas bien. Quand quelque chose fonctionne bien, il faut en faire état ! (Mme la ministre approuve)

Les jeunes et l'alcool (I)

M. Adrien Gouteyron.  - L'alcool devient, pour de nombreux jeunes, un véritable fléau. Il ne s'agit pas d'excès ponctuels mais d'un phénomène d'alcoolisation lié, comme le souligne l'Association de prévention en alcoologie et en addictologie de la Haute-Loire, à des pratiques addictives de toutes sortes, parmi lesquelles le cannabis.

Je souhaite particulièrement évoquer les ravages dus à l'alcoolisation massive des adolescents qui ne me paraît pas suffisamment prise en compte et combattue. Cette association constate qu'un phénomène de banalisation de l'alcool est en train de toucher les jeunes qui boivent à n'en plus pouvoir. Ce phénomène nous vient des pays scandinaves qui pratiquent le binge drinking, ce que je traduirais par la « cuite facile »... Les jeunes absorbent une grande quantité d'alcool en un court laps de temps, recherchant une ivresse rapide. En témoigne le dramatique exemple des deux lycéennes d'Abbeville de 16 ans, retrouvées dans un état de coma dans les toilettes de leur établissement parce qu'à l'heure du petit déjeuner elles avaient bu quatre à cinq verres de vodka avant d'aller en cours.

Selon le rapport de cet automne de l'Académie de médecine, un pourcentage significatif de jeunes de 17 ans avoue s'être adonné au binge drinking dix fois au moins au cours des trente derniers jours.

Dans son excellent ouvrage, L'alcoolisme adolescent, en finir avec le déni, Frédérique Gardien souligne que cette recherche de la « défonce » est le signe d'un mal-être profond chez des adolescents qui veulent échapper à la réalité. Le phénomène n'est pas suffisamment pris en considération. Le Gouvernement peut-il nous en dire plus ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - La consommation d'alcool et de cannabis est une question qui me tient à coeur. Globalement, la consommation d'alcool est en diminution, même parmi les 18-25 ans. Mais c'est loin d'être satisfaisant puisque 9 à 10 % de cette tranche d'âge présentent les signes d'une consommation problématique d'alcool.

Les ivresses alcooliques sont en hausse chez les plus jeunes. La consommation de cannabis stagne, voire recule légèrement, mais l'usage régulier est stable et l'usage quotidien augmente.

Les consultations mises en place en 2004 pour les jeunes qui consomment du cannabis seront étendues à la consommation d'alcool, notamment pour traiter les problèmes d'ivresses massives. Ces consultations se dérouleront dans les centres de soins d'accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA), issus de la fusion, en 2007, des centres de cure ambulatoire en alcoologie et des centres de soins spécialisés aux toxicomanes. Désormais compétents non plus sur un produit mais sur l'ensemble des addictions, les CSAPA prendront en charge les cas de polyconsommations. L'offre de soins hospitaliers sera réorganisée, des services et des pôles d'addictologie créés. Enfin, la formation médicale comportera une filière addictologie.

L'articulation entre le secteur sanitaire et le système judicaire est importante. Depuis la loi prévention de la délinquance de mars 2007, des injonctions thérapeutiques peuvent être prononcées à tous les stades de la procédure pénale. Il est également indispensable de restreindre l'accès aux produits. La législation relative à la vente d'alcool aux mineurs est complexe et obsolète. Les mineurs de plus de 16 ans ont interdiction de consommer des alcools forts dans les bars mais peuvent les acheter en toute légalité en magasins ; et ils ont le droit de consommer bière et vin dans les bars ou les cafés. On sait que les ivresses massives des jeunes sont surtout liées à l'achat de boissons dans les grandes surfaces. Je vais présenter prochainement un certain nombre de mesures destinées à mieux protéger notre jeunesse. Le moment venu, la représentation nationale sera amenée à se prononcer sur ces questions.

M. Adrien Gouteyron. - Je me réjouis que vous preniez des mesures nouvelles car la situation est intolérable. Mais il faudra aussi se préoccuper du malaise qu'elle révèle parmi la jeunesse.

Les jeunes et l'acool (II)

Mme Anne-Marie Payet. - L'Académie nationale de médecine a formulé des recommandations pour lutter contre la consommation d'alcool chez les jeunes. L'alcool est la deuxième cause de mortalité évitable après le tabac -la première chez les jeunes. L'alcoolisation aiguë commence à un âge de plus en plus précoce. Or la neuro-imagerie a mis en évidence les diminutions de matière grise qui en résultent dans plusieurs zones cérébrales. Le constat est alarmant et les recommandations de l'Académie, pertinentes.

Il est proposé d'une part de restreindre l'accès aux produits et de modifier la législation existante. L'Académie suggère d'appliquer strictement l'interdiction de vente aux mineurs, d'interdire à tout heure la vente de boissons alcoolisées dans les stations service comme dans les lieux de manifestations sportives, de ramener à 0,2 gramme par litre le taux d'alcoolémie autorisé pour les détenteurs d'un permis de conduire probatoire. J'y ajoute l'interdiction de consommation d'alcool dans les restaurants d'entreprise : souvent les jeunes recrues doivent, rite initiatique, boire de l'alcool pour montrer qu'ils sont des hommes, des vrais. Modifions l'article L. 232 du code du travail afin de bannir de l'enceinte de l'entreprise toutes les boissons alcoolisées et non pas seulement les alcools forts.

N'oublions pas que l'alcool est impliqué dans 40 à 50 % des homicides, 30 % environ des agressions sexuelles, 20 % des accidents de la route. Je rappelle enfin que la loi santé publique d'août 2004 comporte l'objectif d'une réduction de moitié de la consommation annuelle d'alcool.

Madame la ministre, quelle suite comptez-vous donner aux propositions de l'Académie ? Quelles mesures prendrez-vous contre la consommation d'alcool au travail ? J'estime qu'il est urgent d'agir.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Il y a là un défi de santé publique qui mérite bien deux questions orales ! Je l'ai dit, si la consommation globale s'infléchit, les modalités de la consommation ont changé. L'observatoire français des drogues et toxicomanie a noté une augmentation de la fréquence des ivresses depuis 2003. Tous ceux d'entre nous qui ont dû, dans leurs fonctions de maire, aller annoncer à une famille, le dimanche matin, le décès d'un jeune en conservent un souvenir profond...

Plus de la moitié des jeunes de 17 ans déclarent avoir déjà été ivres, près de la moitié l'ont été au cours des douze mois précédents. Et un sur dix l'a été au moins dix fois en une année... Des comas éthyliques parfois mortels ont été signalés chez des jeunes de 12 ans.

Il y a en outre un problème de polyconsommation, qui exige la combinaison de diverses mesures. Celles proposées par le professeur Nordmann, de l'Académie de médecine, me paraissent pertinentes notamment pour lutter contre l'accroissement de la violence routière liée à la consommation d'alcool. Des mesures coercitives ne prendront leur sens qu'accompagnées d'un meilleur suivi des jeunes ayant des difficultés avec l'alcool. Dans les CSAPA vont s'ouvrir des consultations jeunes consommateurs. Ces centres assureront un traitement plus adéquat des polyconsommations. Mais il n'y a pas seulement les jeunes : l'alcoolisme des seniors, sur fond de solitude, est trop souvent méconnu.

Je présenterai des mesures très prochainement, en prenant en compte les propositions de l'Académie. Alcoolisation des jeunes, réduction de l'offre d'alcool pour baisser la consommation d'alcool pur par habitant... Il est vrai que 100 000 décès pourraient être évités chaque année. Le Gouvernement veut promouvoir une vraie politique de santé publique et les agences régionales de santé seront chargées de mener des actions de fond adaptées.

Mme Anne-Marie Payet. - Merci de cette réponse qui confirme votre détermination. J'ai présenté des amendements au projet de loi de santé publique afin de sensibiliser la population, les jeunes en particulier, au syndrome d'alcoolisation foetale. A La Réunion, des associations travaillent sur ces questions. Mais dans les campagnes d'information menées par l'État, ce thème est encore occulté. Un colloque international aura lieu sur ce syndrome et nous comptons sur votre présence.

J'attends les mesures que vous venez d'annoncer.

Drones

M. Philippe Nogrix.  - Je vous prie d'excuser un retard dû à un problème de feux de la SNCF.

Ma question s'adressait au ministre de la défense mais je me contenterai de la réponse de Mme Bachelot-Narquin, même s'il est plus sympathique que le ministre concerné réponde personnellement.

L'entrée en service des trois appareils de reconnaissance appelés système intérimaire de drones moyenne altitude longue endurance (SIDM) est retardée mois après mois, semestre après semestre, depuis le mois de mai 2006, date initialement prévue par vos services pour le début de son utilisation opérationnelle. Ces appareils, sans présence humaine à bord, sont réalisés par la société EADS à partir d'un appareil de type « Eagle » produit par une société israélienne. La commande initiale du ministère français de la défense remonte au 16 août 2001. Cette commande visait à éviter la rupture capacitaire des moyens de surveillance de notre espace aérien, alors assurée par des drones Hunter, devenus trop coûteux à maintenir en vol à partir de fin 2004. Je vous rappelle que des manifestations importantes comme le G8 d'Evian, ou les cérémonies du soixantième anniversaire du Débarquement des Alliés en Normandie, ont été sécurisées par la surveillance aérienne assurée par les drones Hunter.

A l'heure où quasiment tous les pays dotés d'une armée de qualité n'engagent leurs forces sur un champ de bataille qu'appuyés par des drones de reconnaissance, et sans revenir sur les nombreux aléas qui n'ont pas permis une mise à disposition prévue pour mai 2006, il me semble discerner aujourd'hui une absence de volonté de notre pays de posséder une telle capacité de surveillance par des drones Male. Ce renoncement semble remonter à l'échec du projet Euromale, conçu par la France pour réaliser un appareil de ce type en coopération européenne.

Nous apprenons incidemment que des industriels français développent des projets comme l'Advanced UAV en Allemagne. Mais ni le niveau de développement ni l'engagement financier de ces projets ne sont clairement identifiés, sans parler de l'échéance de leur mise à disposition, ni du nombre d'appareils qu'il est envisagé de commander. Vous savez mon attachement à doter nos armées de moyens de surveillance et de communications susceptibles de préserver nos forces sur le terrain, moyens qui sont à usage dual puisqu'ils permettent aussi aux autorités civiles de surveiller des manifestations d'ampleur. Il faut, monsieur le ministre, que vous nous donniez des assurances précises sur votre volonté de doter notre pays d'une telle capacité.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.  - M. Morin assiste aux obsèques des trois gendarmes tragiquement décédés vendredi dernier.

Il y a plusieurs familles de drones, des mini-drones aux drones endurants, mais tous exploitent les possibilités de limiter les risques humains et une présence permanente, aussi jouent-ils un rôle important sur les théâtres d'opération grâce à l'analyse des images qu'ils prennent et l'armée française y a recours depuis une décennie. Outre les drones de combat, qui font l'objet d'une coopération européenne ambitieuse, on distingue les drones tactiques et les drones endurants, sur lesquels porte votre question. Il est exact que l'industriel a pris du retard mais le SIDM est testé à Mont-de-Marsan : son premier vol a eu lieu le 20 décembre dernier et la formation des futurs utilisateurs débutera en février en vue d'une livraison cet été.

Le programme Male prépare la prochaine génération de drones endurants. Le projet de démonstrateur européen n'a pas encore vu le jour mais EADS a proposé une solution à la France, à l'Allemagne et à l'Espagne, qui consacreront 20 millions chacune au contrat d'étude notifié à EADS en février.

M. Philippe Nogrix.  - Je ne puis me satisfaire de quelques descriptions techniques car de plus en plus d'hommes sont sur le terrain alors que depuis quatre ans nous n'avons plus les moyens de sécuriser leur engagement. Il faudra déterminer qui en est responsable du ministre ou de la DGA ? Je vous prie de faire part de mon inquiétude au ministre.

Les campagnes manquent de dentistes

M. Dominique Mortemousque.  - Je veux attirer votre attention, madame, sur la pénurie de chirurgiens-dentistes en milieu rural. Selon une étude récente le nombre de ces praticiens passerait de 40 300 à 27 000 en 2030. Cette crise est de plus en plus sévère en milieu rural où des cabinets ferment, faute de repreneurs. Quelles mesures comptez-vous prendre ? Je précise que nous ne sommes pas hostiles à des praticiens nés hors de métropole -encore faut-il qu'ils ne soient pas retoqués, comme ce dentiste algérien dont le concours a été annulé, alors que son dossier était valable.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.  - C'est avec plaisir que je réponds à M. Mortemousque.

La pénurie d'orthodontistes affecte les zones rurales mais aussi des zones urbaines. Les projections de la Dres indiquent une réduction d'un tiers d'ici vingt-cinq ans. Si nous laissions le numerus clausus à 977, le nombre de praticiens reviendrait de 65 à 40 pour 100 000 habitants en 2030. J'ai donc proposé de le porter à 1 300 en cinq ans et il s'établira à 1 047 dès 2008. Les augmentations dépendent des capacités de formation, qui varient selon les régions et que nous devons renforcer. On retrouve les mêmes disparités que pour les médecins : Paris, la région Provence-Côte d'Azur, l'Aquitaine (mais peut-être pas la Dordogne) sont mieux dotées que le Nord-Pas-de-Calais et la Lorraine.

Il est important de bien distinguer au sein des régions les zones denses des cantons sous-dotés. La situation des régions les moins favorisées appelle une vigilance particulière. C'est un des buts des états généraux de la santé. J'ai déjà pu mesurer à Rennes, vendredi dernier, l'intérêt des préconisations des assurés sociaux, des professionnels et des élus.

Vous avez enfin évoqué l'annulation d'un examen : il s'agissait non d'une éviction mais du respect des règles.

M. Dominique Mortemousque.  - Merci, madame la ministre, de cette réponse précise. Les élus travaillent à rendre le milieu rural plus attractif : les maisons de la santé sont l'un de ces outils. Je suis sensible à votre souci de faire du cousu main pour nos territoires.

Énergies renouvelables

Mme Nicole Bricq. - Vous n'êtes plus, madame la ministre, en charge de l'écologie mais vous connaissez ces dossiers et, en tant que ministre, vous êtes solidaire des déclarations du Président de la République.

En conclusion du Grenelle de l'environnement, celui-ci s'est engagé à « faire de la France le leader des énergies renouvelables, au-delà de l'objectif européen de 20 % de notre consommation d'énergie en 2020 ». Or les administrations concernées ne semblent pas avoir pris en main cette ambition proclamée. Dans de nombreux départements, les projets de zone de développement éolien (ZDE) se heurtent à de multiples difficultés. Des dossiers soigneusement préparés par des élus locaux dans le cadre du dispositif de concertation prévu par la réglementation sur les ZDE, souvent avec l'aval d'une majorité des habitants concernés, sont rejetés malgré plusieurs années de travail préparatoire. Les recommandations techniques changent ou s'empilent plus vite que l'élaboration d'une zone de développement éolien. La durée d'instruction de l'étude d'impact pour obtenir le permis de construire dépasse largement les délais réglementaires.

En Seine-et-Marne, compte tenu de la méthodologie préconisée par les services préfectoraux et de la cartographie qui en découle, le développement de l'éolien s'annonce minimal. Mon département s'étend pourtant sur la moitié de l'Ile-de-France, première région consommatrice d'électricité, et accueille ainsi une grande part du potentiel éolien francilien. Dans ces conditions, la France ne saurait atteindre ses objectifs de production d'énergies renouvelables.

L'État va-t-il enfin assumer les responsabilités du développement éolien ? Va-t-on enfin envoyer aux préfets des prescriptions claires ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.  - Merci de me poser cette question. Ma première intervention en tant que ministre de l'écologie, en 2002, avait été pour défendre ici même un projet de loi sur l'urbanisme éolien. Mais aujourd'hui, bien sûr, c'est la réponse de M. Borloo que je vais vous lire.

Le Grenelle de l'environnement s'est prononcé pour la mise en place de plusieurs programmes sur les thèmes de l'énergie, du changement climatique, de la préservation de la biodiversité ainsi que de la prévention des effets de la pollution sur la santé. Notre ambition est d'augmenter de 20 millions de tonne équivalent pétrole la production d'énergie renouvelable en 2020 et d'atteindre une proportion d'au moins 20 % d'énergies renouvelables dans la consommation finale d'énergie. Parmi toutes les énergies renouvelables productrices d'électricité, l'énergie éolienne est celle qui présente le plus grand potentiel de développement à court terme. La puissance éolienne installée en métropole s'élevait fin 2007 à 2 000 mégawatts, soit trois fois plus qu'en 2005. La France est devenue le troisième pays européen en termes de marché annuel. Selon la dernière enquête réalisée par le ministère de l'écologie, qui couvre la période du 1er février 2006 au 1er février 2007, environ trois cents permis de construire ont été délivrés, représentant une puissance d'environ 1 500 mégawatts. S'y ajoutent neuf cents demandes de permis qui étaient en cours d'instruction pour une puissance de plus de 5 000 mégawatts. Ces chiffres encourageants montrent qu'une dynamique pérenne de l'éolien a été installée en France.

En Seine-et-Marne, huit projets totalisant 40 mégawatts, déposés depuis le 1er février 2006, étaient en cours d'instruction au 1er février 2007. Aucun permis de construire n'a été refusé au cours de cette période. Il va de soi que le développement de l'énergie éolienne doit être maîtrisé, avec le souci constant du respect des milieux naturels, des paysages, du patrimoine et plus généralement du cadre de vie. Le développement de l'énergie éolienne se heurterait, sinon, à l'hostilité de nos concitoyens et s'en trouverait compromis.

Mme Nicole Bricq. - Je ne pense pas qu'on puisse parler d'une dynamique de l'éolien. C'est au contraire, parmi les énergies renouvelables, la plus difficile à mettre en oeuvre, parce qu'il faut convaincre les habitants et les élus, et que les prescriptions des préfets sont très confuses, variables en outre d'un département l'autre. Je demande donc au Gouvernement de manifester très clairement sa volonté auprès des préfets, pour que soit enfin appliqué ce choix politique.

L'éolien peut, à terme, représenter 15 % de la production d'électricité. La France se fait tancer régulièrement par la Commission européenne car, de fait, il y a comme un consensus négatif à propos de cette source d'énergie, qui pourrait pourtant être source de revenus pour les collectivités locales, ce qui diminue d'autant la pression fiscale pour les habitants. Dans l'Aisne, où l'éolien s'implante mieux qu'en Seine-et-Marne, tout le monde en est satisfait.

Je le répète : sans volonté de l'État clairement affirmée, on n'y arrivera pas.

Enlèvement international d'enfants

Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - Je regrette beaucoup que le garde des Sceaux n'ait pu venir répondre à cette question que je lui ai posée il y a quatre mois. Je connais, bien sûr, votre compétence, madame la ministre.

Il ne se passe pas de mois sans que les médias parlent de cas d'enfants déplacés à l'étranger et soustraits au droit de garde ou de visite d'un père ou d'une mère. L'application des conventions multilatérales censées régler ces situations est souvent inefficace, au mépris des droits de l'enfant reconnus par l'ONU. La convention de La Haye du 25 octobre 1980, qui vise au retour des enfants déplacés et au respect des droits de garde et de visite, ne remplit pas bien son objectif, comme l'a souligné la commission spéciale de la conférence de La Haye. Malgré l'obligation faite aux autorités centrales des quatre-vingts États contractants, le droit de visite transfrontière visé à l'article 21 n'est pas toujours assuré.

Beaucoup de nos compatriotes, notamment des femmes, dans l'incapacité d'assumer les frais très élevés de justice dans certains pays comme les États-Unis ne bénéficient pas de l'assistance juridique et juridictionnelle qu'elles sont en droit d'attendre en vertu de l'article 25. La barrière de la langue et la complexité des systèmes juridiques étrangers motivent souvent le retour d'un parent avec ses enfants dans son pays, où il pense de bonne foi pouvoir mieux se défendre. L'État peut-il accepter de renvoyer un enfant dans un pays réclamant son retour, sans avoir en échange la garantie que le parent français pourra s'y défendre et exercer son droit de visite ?

Avec l'entrée en vigueur du règlement européen relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et de responsabilité parentale, dit Bruxelles II bis, l'application directe d'ordonnances de justice d'un État membre dans un autre peut se révéler catastrophique lorsque les décisions sont prises unilatéralement, dans le secret et en l'absence de tout débat contradictoire. En Allemagne par exemple, les décisions du juge administratif local sont applicables directement au parent étranger sans même qu'il ait été entendu. D'autres difficultés proviennent de la diversité des approches en droit de la famille : certains États n'admettent pas l'autorité parentale conjointe ou la filiation au père d'un enfant né hors mariage.

En matière de recouvrement de pensions alimentaires, il est choquant que nos tribunaux acceptent l'exequatur sans tenir compte du fait que le parent débiteur peut être empêché d'exercer son droit de visite par le parent gardien.

Madame la ministre, quelles dispositions avez-vous prises ou envisagez-vous de prendre ? Des mesures comme l'octroi d'une aide juridictionnelle aux parents dans l'incapacité financière de défendre leurs droits à l'étranger, l'utilisation de vidéoconférences avec des juridictions étrangères, la formation des juges en droit international de la famille et la nomination dans toutes les cours d'appel d'un magistrat compétent en matière de déplacements internationaux d'enfants paraissent indispensables. Alors que la France vient de ratifier la convention de La Haye de 1996, ne conviendrait-il pas que nos tribunaux prennent mieux en compte l'intérêt supérieur de l'enfant en s'assurant, avant de rendre leurs décisions, que sera maintenu le contact de l'enfant avec ses deux parents ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.  - Je vous remercie, madame la sénatrice, de me poser cette question pleine d'humanité, car y est en jeu la souffrance de familles et d'enfants confrontés à des situations dramatiques. Soyez assurée que Mme le garde des Sceaux y porte une attention toute particulière.

Même si les situations restent atrocement complexes au plan juridique, des avancées ont été enregistrées, que vous avez mentionnées. S'agissant de la Convention de la Haye du 25 octobre 1980, qui vise le retour des enfants illicitement déplacés et protège le droit de visite, vous avez raison de souligner l'importance d'un bilan régulier qui permet d'alerter les autorités en cas de dysfonctionnement. Le règlement de 2003 dit Bruxelles II bis a permis, quant à lui, de définir des règles de compétences juridiques, tandis que, sur la Convention de la Haye de 1996, qui porte sur des matières entrant dans le droit communautaire, nous restons, pour ce qui est de la loi autorisant sa ratification, en l'attente de la décision de la Commission européenne.

Tout doit être mis en oeuvre pour que l'intérêt de l'enfant soit pris en compte et le droit de visite respecté. Les textes le rappellent pour les juridictions françaises, mais nous ne pouvons nous opposer, alors que nous nous sommes engagés à les reconnaître, à des décisions prises par les juridictions d'autres États.

La France est signataire de près de cinquante conventions bilatérales et partie à de nombreuses conventions multilatérales, ainsi qu'aux accords européens issus d'une directive de 2003, faits pour faciliter l'accès international à la justice et qui permettent notamment au parent d'un enfant victime d'un déplacement illicite de solliciter, dans un autre État, l'assistance d'un avocat.

À chacun de ses déplacements à l'étranger, la ministre s'entretient avec ses homologues des cas douloureux de déplacements illicites, ainsi qu'elle l'a fait récemment au Maroc et en Algérie.

Enfin, vous avez raison de souligner l'importance du droit international dans la formation des magistrats. Des sessions de formation continue sont organisées par l'École nationale de la magistrature. Il convient aussi renforcer la dimension internationale de la formation des élèves magistrats et vous avez indiqué des pistes, que je ne manquerai pas de transmettre à Mme Dati.

Vous voyez que le Gouvernement est attentif à vos préoccupations, qu'il s'attachera à faire avancer à l'occasion de sa prochaine présidence de l'Union européenne.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - Je vous remercie de votre réponse, qui témoigne de votre intérêt personnel pour ces questions difficiles, sur lesquelles la présidence française de l'Union européenne devrait être l'occasion pour notre pays d'apporter beaucoup. Il serait utile, notamment, de dresser un bilan global des problèmes qui se posent afin de s'attacher à l'harmonisation de nos juridictions en matière de garde et de droits des enfants. Dans certains pays, prévalent des dispositions très anciennes : autant d'obstacles, liés à la nature de leurs droits internes, qui ne devraient pas primer sur le droit des enfants, transcendant les intérêts nationaux.

Fermeture de l'usine Areva T&D de Montrouge

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - Je regrette l'absence de Mme Lagarde, dont j'espère qu'elle ne traduit pas un manque d'intérêt.

Depuis le 10 janvier, 90 % des salariés de l'usine Areva T&D de Montrouge sont en grève pour protester contre la décision prise par la direction, qui argue de pertes opérationnelles de plus de 11 millions d'euros, de fermer ce site spécialisé dans la fabrication de transformateurs haute-tension.

Pourtant, le groupe Areva se porte bien et l'augmentation de son chiffre d'affaires -plus de 10 milliards d'euros en 2006- est liée non seulement à la hausse des cours de l'uranium, mais aussi à la forte progression de l'activité de transmission et de distribution, celle-là même qui nous intéresse. Ce pôle a en effet signé de fructueux contrats au Qatar, en Libye, en Chine, en Arabie Saoudite et, tout récemment, en Inde.

Est-il normal qu'au même moment, les quatre-vingt-neuf salariés d'Areva Montrouge soient laissés sur le carreau ? Cette fermeture va constituer un terrible gâchis humain et industriel. Les perspectives de reclassement, du fait de la pyramide des âges, de l'absence de politique de formation et de la désindustrialisation de la région parisienne, sont bouchées. Après la fermeture de Montrouge, il n'y aura plus de site de fabrication de ce type en France. Les salariés s'inquiètent.

Sans compter les répercussions locales. Sur le seul site d'Areva, cent neuf entreprises extérieures interviennent... Après le départ de Schlumberger, d'Orange et d'Ela Medical, Montrouge sera bientôt un désert industriel. Les commerçants de la ville, les habitants et jusqu'au maire sont solidaires des grévistes.

Quel gâchis industriel, enfin, alors que le marché du transport d'électricité en Europe a de beaux jours devant lui, notamment pour la France. J'ajoute qu'avec cette fermeture, Areva prive EDF des services d'un laboratoire de haut niveau nécessaire à la surveillance et à la maintenance d'un parc qui compte de nombreux transformateurs anciens dont le défaut de surveillance peut poser de sérieux problèmes de sécurité.

On comprend la décision des salariés qui avaient pris le parti d'occuper l'usine, jusqu'à ce que la direction assigne trente et un grévistes en justice. Le médiateur qui avait été nommé vient de se retirer, et la grève continue, car la direction s'en tient à des propositions de reclassement et de dédommagement a minima.

Quelles garanties l'État, actionnaire d'Areva à 91 %, compte-t-il apporter aux salariés pour engager la direction dans de réelles négociations ? Faut-il rappeler les engagements de Mme Lauvergeon, en décembre dernier, devant des députés, assurant qu'Areva ne laissait jamais personne sur le bord du chemin et mettait tout en oeuvre pour que chaque salarié retrouve un travail ?

M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme.  - C'est en raison de résultats négatifs du site, qui traduisent, depuis plusieurs années, malgré les efforts de ses salariés, l'absence durable de rentabilité du site de Montrouge que la société Areva T&D, en charge du pôle transmission et distribution du groupe, a annoncé, en septembre 2007, son intention de fermer, à compter du 31 août 2008, ce site de Montrouge qui emploie quatre-vingt-neuf salariés. Depuis, les salariés, comme ils l'avaient déjà fait en novembre 2007, ont décidé de bloquer le site. Les négociations informelles engagées localement avec l'appui des pouvoirs publics n'ayant pas permis d'apporter une réponse à leurs revendications, une délégation, accompagnée de votre collègue députée, Mme Amiable, a été reçue par le cabinet de Mme Lagarde, le 23 janvier dernier. Cette réunion a eu pour effet immédiat l'annulation de la procédure de référé engagée par l'entreprise pour libérer l'accès au site, le déblocage de l'usine et la reprise des négociations, le lendemain, avec la médiation du directeur départemental du travail et de l'emploi.

Le Gouvernement, dont l'intervention a contribué à restaurer un climat de confiance, espère qu'un accord interviendra rapidement pour élaborer un plan de sauvegarde permettant le retour à l'emploi de chaque salarié dont le poste est supprimé suite à la fermeture. Mme Lagarde, madame la sénatrice, se tient quotidiennement informée de l'évolution de ce dossier.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - J'insiste sur les conséquences de la décision d'Areva. Des salariés hautement spécialisés sont d'autant plus menacés de ne pas retrouver d'emploi que plus aucun site de ce type n'existera en France. On les a même obligés -quel cynisme !- à former des ingénieurs pour d'autres sites, vers lesquels l'entreprise, au nom de la sacro-sainte réduction du coût du travail, délocalise ses activités, à la suite de l'acquisition du groupe allemand Ritz, dont on n'a aucune garantie qu'il présentera le même degré de certification et de sécurité.

Areva invoque des raisons économiques. Or, le plan de redressement a porté ses fruits : les pertes sont passées, grâce à un fort investissement des salariés, de 1 milliard à 123 000 euros. L'entreprise a de surcroît englouti des sommes importantes dans des investissements à l'étranger.

Le cabinet d'expertise-comptable Secafi, mandaté par le comité d'entreprise, a relevé des lacunes surprenantes, notamment l'absence de chiffrage du projet de liquidation du site. Pourtant, lorsque l'on parle de pertes, tout devrait être pris en compte. Enfin, l'on peut se demander si la décision de fermer le site de Montrouge n'a pas été prise a priori, et non au vu de la situation économique réelle de l'entreprise, comme l'on peut s'interroger sur le coût social d'une telle opération pour la collectivité et, partant, sur la responsabilité sociale des grands groupes.

Monsieur le ministre, je vous invite donc à intervenir auprès d'Areva durant les négociations qui doivent se tenir cet après-midi pour préserver les activités industrielles à Montrouge.

Enfouissement des câbles

M. Simon Sutour. - Ma question s'adresse à madame la ministre de l'économie. Depuis le récent désengagement financier de l'État, l'enfouissement coordonné des réseaux d'électricité et de communications électroniques dans le Gard, comme dans d'autres départements, s'effectue dans le cadre d'une convention entre le syndicat à cadre départemental d'électricité du Gard, le conseil général et France Telecom, selon les termes de l'article L. 2224-35 du code général des collectivités territoriales. Jusqu'à présent, le comité ad hoc, réunissant les parties à cette convention, a trouvé des solutions ponctuelles aux difficultés nées de l'application de l'accord. Pour autant, les retards fréquents constatés par nos collectivités adhérentes ont des répercussions sur le cadre de vie des administrés et risquent de compromettre les travaux d'électrification rurale programmés, dont les subventions doivent être consommées dans des délais stricts. En conséquence, France Telecom, qui a la maîtrise d'ouvrage de ces travaux de câblage, devrait adapter ses moyens humains et budgétaires à l'effort consenti par les collectivités et leurs partenaires financiers, le Face et EDF.

Le désengagement financier de l'État devait être partiellement compensé par une participation de l'opérateur de communications électroniques aux coûts de terrassement, fixée, selon l'article 30 de la loi du 7 décembre 2006 relative au secteur de l'énergie, par un arrêté ministériel pris six mois après la publication de la loi. Or cet arrêté n'a toujours pas été publié alors que la loi a été promulguée au Journal officiel le 8 décembre 2006. Que compte faire le Gouvernement pour accélérer le processus réglementaire ?

M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme.  - Monsieur le sénateur, les retards dans l'enfouissement des câbles résultent, selon vous, d'une inadaptation des moyens mis en oeuvre par France Telecom. Or les moyens humains qu'il mobilise relève de sa seule responsabilité dès lors qu'il respecte ses obligations. S'agissant des moyens financiers, les coûts pris en charge par l'opérateur sont énumérés à l'article L. 2224-35 du code général des collectivités territoriales et fixés par une convention conclue entre celui-ci et la collectivité concernée. Un accord passé entre France Telecom, l'association des maires de France et la fédération nationale des collectivités concédantes et régies sur l'enfouissement coordonné des réseaux d'électricité et de communications électroniques propose un modèle de convention.

En raison de divergences d'interprétation de la loi, des difficultés sont apparues concernant le partage des coûts de terrassement. L'article L. 2224-35 a donc été modifié pour éclaircir ce point par un arrêté ministériel qui fait actuellement l'objet d'une concertation. Mme la ministre des finances veillera à ce qu'il soit publié prochainement, après consultation de l'autorité de régulation des communications électroniques et des postes et de la commission consultative des réseaux et services de communications électroniques.

M. Simon Sutour. - Je vous remercie pour cette réponse qui me donne un petit espoir, mais j'insiste sur la nécessité de publier l'arrêté au plus vite. Les délais prévus par la loi -six mois après la promulgation de la loi, soit le 8 décembre 2006- sont largement dépassés. Si l'on veut vraiment revaloriser le rôle du Parlement, comme on le dit beaucoup ces temps-ci, il faut d'abord que le Gouvernement applique les lois. L'enfouissement des lignes constitue un sujet important pour les communes et, tant que l'arrêté n'aura pas été publié, celles-ci conserveront des incertitudes sur les financements apportés.

Réforme du livret A

M. Georges Mouly, en remplacement de M. Gérard Delfau.  - Mon collègue et ami M. Delfau exhorte le Gouvernement à résister à l'ultimatum lancée par la Commission européenne sur le livret A. Symbole de l'épargne populaire, il compte 45 millions de titulaires. Ses vertus, pour M. Delfau, sont nombreuses : il assure sécurité à ses bénéficiaires qui n'ont jamais été spoliés depuis 1884, il est peu coûteux pour les finances publiques et il finance la construction du logement social via la Caisse des dépôts. Si le livret A était laissé aux mains du secteur bancaire privé, ses fonds seraient transférés vers des placements plus rentables. Qui plus est, la principale source de financement de la construction des logements sociaux serait réduite comme peau de chagrin alors que la demande n'a jamais été aussi forte et l'opinion publique aussi mobilisée.

Si la demande de la Commission est suivie par le Gouvernement, qu'adviendra-t-il des mesures du plan Borloo dont le financement repose à 80 % sur le livret A, de l'engagement à produire le double de logements sociaux ou encore du programme national de rénovation urbaine ? Comment La Poste, distributeur historique du Livret A, financera-t-elle son réseau en zone rurale et dans les quartiers sensibles si on lui ponctionne 15 % de son chiffre d'affaires ? Enfin, la centralisation des fonds par la Caisse des Dépôts va-t-elle disparaître au profit des banques privées et de leurs actionnaires ? Pour M. Delfau, la banalisation du livret A emporterait d'importantes conséquences sociales. Aussi, en en appelle-t-il à une politique du logement social ambitieuse et respectueuse de l'intérêt général. Quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre s'agissant du livret A ?

M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme - Le rapport sur le livret A que M. Michel Camdessus a remis au Premier ministre a été publié fin décembre alors que la Commission européenne demandait à la France d'abroger les dispositions législatives qui réservent la distribution du livret A à La Poste, aux caisses d'épargne et au Crédit mutuel. Dans son rapport, M. Camdessus, après avoir constaté que le livret A ne finançait plus de manière satisfaisante le logement social, estime que la réforme demandée par la Commission offre une chance de diffuser plus largement un produit d'épargne populaire auquel les Français sont attachés, et de réduire de 1 à 2 milliards par an le coût de financement du logement social, tout en préservant l'accessibilité bancaire de tous les Français.

Le Gouvernement est fermement décidé à s'attaquer à la pénurie de logements. Pour atteindre l'objectif de construire 500 000 nouveaux logements par an, dont 120 000 logements sociaux, rappelé par le Président de la République lors de son discours à Vandoeuvre-lès-Nancy, nous devons faire des propositions audacieuses, nourries par les recommandations de M. Camdessus, qui feront l'objet d'une large consultation. Si une réforme peut être une chance pour le logement social, nous la saisirons.

Le Président de la République a fixé les lignes rouges à ne pas dépasser : la réforme devra contribuer à améliorer les conditions de financement du logement social, garantir l'accessibilité bancaire et respecter l'équilibre financier des établissements qui distribuent le livet A. Le Gouvernement entend préserver en outre le rôle de la Caisse des dépôts ; Mme Lagarde a rencontré fin décembre trois cent soixante cadres de la caisse pour leur témoigner la confiance du Gouvernement et préciser ses attentes.

La réforme à venir est une chance pour le logement social ; nous devons la saisir collectivement. Le Gouvernement est ouvert au dialogue avec tous les acteurs concernés pour la mener à bien.

M. Georges Mouly.  - Je vous remercie pour votre réponse, que M. Delfau ne manquera pas de lire et d'apprécier comme il l'entendra. J'en ai retenu pour ma part que le logement social reste une priorité, que l'accessibilité bancaire sera garantie, que le rapport Camdessus fera l'objet d'un examen attentif et que concertation et dialogue sont au programme.

Fonds social européen

M. Jean-Pierre Bel.  - Les dotations du Fonds social européen (FSE), qui financent les actions d'insertion, sont actuellement gérées par les départements au travers du plan départemental d'insertion. Dans la nouvelle programmation 2007-2013, ils sont en diminution de 40 %. L'enveloppe a deux volets, l'un à destination des personnes relevant des plans locaux pour l'insertion et l'emploi, l'autre de ceux relevant du plan départemental d'insertion. Le refus de globaliser ces crédits et l'absence de critères plus favorables aux territoires ruraux placent ces derniers dans une situation très difficile, alors qu'ils doivent faire face à des charges de plus en plus lourdes, notamment pour assurer la reconversion des bassins en crise. A titre d'exemple, la subvention globale attribuée à mon département de l'Ariège, soit 2 millions d'euros sur six ans, baisse de 52 %.

Ces coupes franches ont de graves conséquences pour les acteurs du secteur, singulièrement pour les structures d'insertion par l'activité économique, les « lieux ressources », les entreprises d'insertion ou les associations intermédiaires, ces dernières ne bénéficiant que des crédits du FSE.

Alors que l'efficacité de toutes ces structures est unanimement reconnue, l'État ne compense pas la baisse des crédits et laisse les départements assumer seuls leurs responsabilités ; c'est le cas de l'Ariège, où le conseil général a maintenu ses subventions.

Quelles dispositions le Gouvernement entend-il prendre pour rétablir une répartition territoriale des crédits plus équitable et donner aux acteurs de l'insertion des raisons de ne pas désespérer ?

M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme.  - En raison de l'élargissement de l'Union européenne, l'enveloppe FSE pour la période 2007-2013 a baissé de 27,34 %. Nous devons prendre en compte cette donnée nouvelle, quel que soit notre niveau de responsabilité. Compte tenu du rôle essentiel de l'insertion dans le combat contre le chômage, le Gouvernement a demandé aux préfets de région, en charge de la programmation des crédits FSE, de faire de l'insertion par l'activité économique une priorité. Entre 2007 et 2013, 183 millions d'euros seront programmés pour financer les structures d'insertion par l'activité économique, auxquels s'ajouteront les 21 millions de la ligne nationale pour le financement des têtes de réseau de cette forme d?insertion. Les préfets ont en outre été autorisés, sur 2007 et 2008, à programmer des actions au titre des reliquats de crédits 2000-2006.

Il faut de plus prendre en compte la possibilité qu'ont les conseils généraux de financer les structures d'insertion par l'activité économique au titre de la subvention globale qu'ils gèrent. Les directions régionales de l'emploi ont ainsi programmé pour ce dispositif 454 millions sur la période 2007-2013.

L'insertion par l'activité économique a bénéficié ces dernières années de moyens accrus : 197 millions de crédits d'État au titre du plan de cohésion sociale en 2008, contre 179 en 2005 ; aide à l'accompagnement des associations intermédiaires et dotations des fonds départementaux d'insertion plus que doublées ; création d'une aide à l'accompagnement dans les chantiers d'insertion, dotée de 24 millions ; maintien enfin en 2008, comme Mme Lagarde l'a annoncé le 29 novembre dernier, du volume des contrats aidés pour le secteur de l'insertion.

Le Gouvernement entend permettre aux structures d'insertion par l'activité économique de mener à bien leurs missions. La modernisation concertée de leurs financement est en cours dans le cadre du Grenelle de l'insertion, afin d'asseoir les engagements de l'État sur des éléments objectifs.

Comme vous le constatez, le Gouvernement a bien pris en compte la nouvelle donne et maintient ses priorités.

M. Jean-Pierre Bel.  - J'entends bien, mais tout cela ne trouve pas sa traduction sur le terrain ! Dans un département comme le mien, touché par la crise de ses mono-industries, comme l'aluminium, le textile, la papeterie, la baisse de 52 % des crédits FSE n'est pas sans conséquences sociales graves. La mission locale a été contrainte de supprimer cinq emplois, et des suppressions sont aussi à craindre dans les structures d'insertion par l'activité économique. Entre vos propos, monsieur le ministre, et ce que nos concitoyens constatent sur le terrain, il y a un gouffre ! Que le Gouvernement assume ses responsabilités !

Foie gras

M. Alain Milon.  - La filière foie gras a mis en oeuvre une charte de progrès sanitaire qui impose aux éleveurs des pratiques toujours plus exigeantes. Les palmipèdes élevés en plein air sont en effet plus vulnérables que d'autres au risque de la grippe aviaire. Un plan de modernisation de la filière participerait d'une meilleure prévention. Les investissements nécessaires sont nombreux, de l'acquisition de bacs d'équarrissage ou de matériels de désinfection à la construction de clôtures et d'abris. Le coût de ce plan est estimé à 5 000 euros par élevage, soit au total 15 millions d'euros, que la filière s'engage à financer à hauteur de 60 % ; elle attend de l'État et des régions les 40 % restant. Des crédits sont prévus dans les contrats de plan, ceux-ci offrant un cadre à l'État pour débloquer, si nécessaire, une aide exceptionnelle de 2 millions par an sur trois ans. Une fois le plan validé, il serait mise en oeuvre au travers d'un accord interprofessionnel.

Le Gouvernement compte-t-il allouer ce budget et aider ainsi à la modernisation de la filière ?

M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme.  - Je vous prie d'excuser l'absence de Michel Barnier, ministre de l'agriculture, qui m'a demandé de répondre à sa place. Le sujet est important. L'obligation de déclaration des foyers d'influenza aviaire faiblement pathogènes permet de mieux les détecter dans les élevages de palmipèdes, particulièrement sensibles à ce virus.

Le plan de modernisation proposé par la filière « palmipèdes à foie gras » témoigne de la volonté qu'a cette dernière d'appliquer la charte de progrès sanitaire et de s'engager dans une logique de prévention et de précaution. Les pouvoirs publics désirent l'aider à lutter contre la présence de souches faiblement pathogènes en aviculture. Pour soutenir les premiers investissements, le budget de l'Office de l'élevage sera doté en 2008 d'une enveloppe de 1,5 million d'euros. Un message est ainsi envoyé à la filière et aux éleveurs.

M. Alain Milon. - Il sera entendu. Je vous en remercie.

Emplois vie scolaire

M. Robert Hue. - Je souhaite revenir sur un sujet qui nous préoccupe beaucoup : l'avenir des contrats « Emploi vie scolaire », créés dans le cadre de la loi de cohésion sociale en remplacement des emplois jeunes. Depuis le 15 décembre dernier, les contrats arrivés à terme ne sont pas renouvelés et tout recrutement est suspendu, sauf pour l'aide aux élèves handicapés et l'assistance administrative aux directeurs d'école.

Ces contrats avaient pour ambition d'être des tremplins vers l'emploi. Malgré leur faible rémunération, ces agents ont mené des actions pédagogiques saluées par la communauté éducative et par les parents d'élèves. Avec la décision du Gouvernement, tous les efforts pédagogiques engagés depuis dix ans s'arrêtent brusquement. Dans le Val-d'Oise, plus de cinq cents emplois sont supprimés, y compris dans les collèges « Ambition réussite ».

Aucune proposition de reclassement n'a été adressée aux intéressés. Le ministre de l'éducation nationale a pourtant affirmé, le 16 janvier dernier, à l'Assemblée nationale qu'un contrat aidé n'a pas vocation à être pérennisé, mais constitue une première étape vers l'insertion. Répondant à un courrier dans lequel je lui faisais part de mon inquiétude, M. Darcos a indiqué qu'une synergie entre les services de l'inspection académique, de l'ANPE et des Assedic permettrait de réinsérer ces personnes, et il a évoqué la possibilité d'effectuer un bilan de compétences. Or, aucun des échanges que j'ai eus avec les personnels concernés ne permet de le confirmer. Les élus, les personnels et les parents d'élèves sont scandalisés, et les écoles déstabilisées. Un investissement humain et matériel important est gâché par cette décision incohérente.

Monsieur le ministre, pouvez-vous me préciser les engagements que compte prendre le Gouvernement pour assurer la scolarisation et la réussite de tous les élèves ? Je demande la pérennisation des emplois vie scolaire afin d'assurer l'accueil des enfants handicapés et l'accompagnement des équipes pédagogiques.

M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme.  - M. Darcos, ministre de l'éducation nationale, vous prie d'excuser son absence et m'a chargé de répondre à sa place.

Les contrats d'accompagnement dans l'emploi (CAE) et les contrats d'avenir (CAV), créés dans le cadre de la loi de cohésion sociale en remplacement des contrats « emploi solidarité » et des contrats « emploi consolidé », sont regroupés sous l'appellation « emplois vie scolaire ». En fonction des orientations de la politique de l'emploi arrêtées dans la loi de finances pour 2008, le Gouvernement a prévu le maintien des personnels exerçant les fonctions d'assistant administratif d'un directeur d'école ou d'accompagnateur d'élèves handicapés. Il est donc prévu de les remplacer en cas de départ volontaire.

Le Gouvernement se soucie de ses obligations d'employeur et l'éducation nationale permet aux personnels sous contrat aidé de bénéficier d'actions d'accompagnement à l'insertion par le biais de formations à la micro-informatique, à l'accompagnement scolaire, à la psychologie, à la préparation aux concours, et de la validation des acquis de l'expérience (VAE). Ces formations leur sont dispensées par les services déconcentrés de I'éducation nationale, les établissements scolaires et les Greta hors du temps de travail. Et l'éducation nationale coopère étroitement avec les services publics de l'emploi, qui leur proposent des aides à la définition du projet professionnel, des bilans de compétence ou des entretiens individuels de diagnostic. Une convention entre l'éducation nationale et le service public de l'emploi est en cours d'élaboration afin d'améliorer l'information des intéressés sur ces dispositifs.

M. Robert Hue. - Je ne suis pas convaincu par votre réponse car il y a un fossé entre les paroles de M. Darcos et ses actes. Vous parlez de cas généraux, je parle concrètement. Les personnels dont le contrat s'est achevé en décembre ne seront pas remplacés. Imaginez la déception des enseignants et des élèves qui n'ont pas retrouvé ces aides lors de la rentrée de janvier. Cela va engendrer de nouveaux retards scolaires, par exemple dans ma ville, située dans une zone urbaine sensible.

J'insiste sur l'incohérence de la décision gouvernementale, qui a porté un mauvais coup à notre système éducatif et contribuera à dégrader les conditions de scolarité pour les personnels et les élèves. L'État n'a pas rempli son contrat. Pourquoi ne pas pérenniser ces emplois ? C'est ainsi que l'opinion publique se détache de votre politique sociale.

Dysfonctionnement des services d'urgence

M. Claude Biwer. - Une thèse d'État rédigée en 2007 par Jean-François Schmauch, un ancien colonel de sapeurs-pompiers lorrain, pointe des dysfonctionnements dans les services d'urgence français. Malgré les efforts des départements et des communes pour renouveler le matériel des sapeurs-pompiers, malgré le professionnalisme et le dévouement de ces derniers, l'organisation des secours pose problème. De ce fait, le nombre de contentieux au pénal est passé de dix-neuf en 1996 à six cent vingt et un en 2006.

La thèse du colonel Schmauch pointe des difficultés récurrentes, tels le temps d'attente téléphonique au centre régulateur 15 ou les délais d'intervention la nuit, le week-end ou en zone rurale. Selon les textes applicables à l'équipement des sapeurs-pompiers, il faudrait doubler le nombre d'engins, dont certains ont en moyenne vingt ans de service. La France compte deux cent mille pompiers volontaires, trente-huit mille professionnels et douze mille militaires à Marseille et à Paris. Malgré cela, les sapeurs-pompiers ne sont que quarante-neuf au kilomètre carré, contre trois cent quarante-six en Allemagne.

Les services du Samu et des sapeurs-pompiers sont mal coordonnés. Le bleu et le blanc ne s'accordent pas toujours... L'obligation pour les pompiers d'appeler le 15 pour une urgence médicale allonge souvent des délais d'attente et suscite l'incompréhension, voire crée des cafouillages entre services. La permanence des soins assurée par les médecins libéraux, aléatoire, instable et fragile, surtout en zone rurale, conduit, la nuit, à un engorgement des systèmes d'urgence et de la chaîne des secours.

Selon le directeur de la sécurité civile, les observations formulées par le colonel Schmauch seraient « dépassées ». Si j'en juge par le manifeste de septembre 2004 de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, qui fait état d'une « profonde dégradation de la situation au détriment des victimes et d'une augmentation des délais d'intervention », je crains que cela ne soit pas le cas.

S'il doit y avoir une régulation médicale préalable à tout départ de secours, le doute devrait profiter à la victime et, dans ces conditions pourquoi ne pas accorder une plus grande autonomie aux sapeurs-pompiers, comme c'était le cas avant la mise en place des centres 15 ?

Enfin, nous ne pourrons pas plus longtemps faire l'économie d'objectifs de performance stricts tant pour les appels que pour les délais d'intervention. La plupart de nos voisins européens y sont arrivés : en Angleterre, il faut moins de trois secondes pour répondre à 90 % des appels et en Allemagne chaque citoyen doit pouvoir être atteint par une ambulance en moins de huit minutes. Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions aboutir aux mêmes résultats en France ; il en va tout de même de la vie de nos concitoyens. J'espère, monsieur le ministre, que vous pourrez nous rassurer.

M. Luc Chatel, secrétaire d'État.  - Mme Alliot-Marie vous prie de l'excuser et m'a chargé de répondre à une question qui préoccupe l'élu rural que je suis, dans un département voisin du vôtre, monsieur le sénateur. Cette question mérite une réponse franche.

Le Gouvernement va revoir l'organisation des secours à la personne, en instaurant une collaboration entre les différents acteurs, ainsi que l'a annoncé le Président de la République lors de la clôture du 114ème congrès national des sapeurs-pompiers, le 29 septembre dernier. En 2006, les Services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) ont effectué deux millions cinq cent mille interventions, soit 70 % de leur activité et 7 % de plus que l'année précédente. Ces missions impliquent des relations permanentes entre les différents acteurs, en premier lieu les Samu. Leur médicalisation a permis ces dernières années de diminuer de 30 % la mortalité des urgences vitales. Ces progrès sont le fruit du travail de tous les acteurs de l'urgence.

Notre objectif commun est clair : il faut mieux s'organiser, mutualiser davantage les moyens, mieux se coordonner. C'est dans cet esprit que le ministre de l'intérieur a installé, le 16 novembre 2007, avec le ministre de la santé, un comité quadripartite regroupant les deux administrations de tutelle, les urgentistes et les sapeurs-pompiers. La mission de ce groupe est d'élaborer les instructions qui permettront cette évolution. Ainsi, la coordination régionale entre Sdis et Samu se concrétisera, dès 2008, par un rapprochement systématique des schémas départementaux d'analyse et de couverture des risques et des schémas régionaux pour l'organisation des urgences médicales et du secours aux personnes. Michelle Alliot-Marie a signé, le 31 décembre dernier, avec notre collègue Roselyne Bachelot, une circulaire en ce sens. Pour faire face à une augmentation sans précédent des demandes d'interventions, il faut repenser les modes de réception des appels au 15 et au 18 et l'interconnexion entre les différentes structures. La coopération entre les Sdis et les Samu sera améliorée grâce aux technologies de l'information qui facilitent les échanges de données en temps réel : dès 2008, seront mis en service des outils de radiocommunication numérique partagée. Pour une utilisation plus rationnelle des ressources, une expérimentation sera lancée également en 2008 dont l'objectif sera d'envoyer le plus rapidement possible une équipe auprès de la victime pour évaluer, sous le contrôle du centre 15, la réponse médicale la plus appropriée. Un comité de suivi évaluera l'efficacité de ce système de réponse graduée pour le généraliser dès 2009.

Grâce au dévouement des sapeurs-pompiers et des personnels médicaux des Samu, auxquels le Gouvernement veut une nouvelle fois rendre hommage, nos concitoyens bénéficient d'un système de secours efficace sur l'ensemble de notre territoire. Ce système peut et doit être amélioré ; c'est l'engagement que prend le Gouvernement.

M. Claude Biwer.  - Cet effort du Gouvernement me rassure. Encore un détail : celui qui appelle le 15 a intérêt à avoir fait des études médicales, tant on lui pose de questions pointues avant de décider de lui envoyer ou non quelqu'un.

Mobilité pédagogique dans les EPST

M. Henri Revol.  - Merci tout d'abord, madame la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, d'avoir répondu si vite à ma question et d'être aujourd'hui au Sénat alors que votre emploi du temps est bien chargé, avec la mise en oeuvre des lois recherche et université et, cela, au lendemain de la remise du rapport Attali.

Ma question est à l'intersection de vos deux préoccupations de l'instant : la recherche et l'université. Alors que la fluidité des passages entre ces deux secteurs est une nécessité, la complexité des pratiques et des textes entraîne une rigidité certaine. C'est notamment le cas pour un point précis, souvent évoqué par les personnalités auditionnées par notre Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques : l'extension du champ d'application du décret du 11 octobre 2001 qui, s'il prévoit une prime de mobilité pour les directeurs des Établissements publics, scientifiques et technologiques (EPST), n'est actuellement pas applicable aux ingénieurs et chargés de recherche de ces établissements. Pensez-vous procéder à son extension dans un proche avenir ?

Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.  - Comme vous, je crois à la nécessité de fluidifier les passages entre le monde de la recherche et celui de l'enseignement supérieur. D'une part, la richesse de notre système de recherche repose sur les synergies que développent chercheurs et enseignants-chercheurs travaillant côte à côte dans des unités mixtes de recherche. D'autre part, la qualité de l'enseignement supérieur est fondée sur l'adossement des formations à la recherche. Il importe que les chercheurs puissent, s'ils le souhaitent, faire bénéficier les étudiants de leur expertise, sachant qu'eux-mêmes retireront des éléments de réflexion de ces échanges.

Le décret du 11 octobre 2001, en octroyant une prime de mobilité pédagogique aux directeurs de recherche, les incite à développer une activité d'enseignement. C'est une première étape dont l'extension aux chargés de recherche et ingénieurs de recherche revêt un intérêt certain. La modification de ce décret avait été envisagée en ce sens, mais elle n'avait pas tout à fait abouti, car toute modification d'un régime indemnitaire implique d'en mesurer l'ensemble des incidences, y compris reconventionnelles, dans les corps comparables. De surcroît, la réflexion avait été conduite dans un contexte différent de la situation actuelle, avant le vote de la loi du 10 août 2007 qui fait, des personnels des organismes de recherche travaillant dans des laboratoires liés à l'université, des membres à part entière de la communauté universitaire, électeurs ou éligibles dans les collèges correspondants, qu'ils soient directeurs, chargés de recherche ou ingénieurs, au même titre que, respectivement, les enseignants-chercheurs ou que les personnels ingénieurs de recherche et de formation.

De plus, bénéficiant de compétences élargies, les universités auront la possibilité de décider des primes et des dispositifs d'intéressement qui pourront aussi dans certains cas, être versés aux personnels des organismes de recherche exerçant des activités d'enseignement ou des responsabilités diverses dans l'université. Cette possibilité est symétrique de celle donnée aux EPST d'attribuer l'indemnité spécifique pour fonctions d'intérêt collectif aux enseignants-chercheurs directeurs de laboratoires.

La participation des chercheurs à l'enseignement est, avec l'accueil des enseignants-chercheurs en délégation dans les EPST, un des éléments du partenariat entre l'organisme de recherche et l'université dont le groupe présidé par le ministre François d'Aubert doit préciser les contours, tandis que les travaux menés par la commission présidée par Rémy Schwartz sur « l'avenir des personnels de l'université », devraient formuler des propositions en matière de mobilité et d'évolution des régimes indemnitaires.

Je souhaite que les deux dispositifs croisés, accueil des enseignants-chercheurs en délégation et participation des chercheurs à l'enseignement, facilitent la modulation de service des enseignants-chercheurs et, en particulier, l'allégement du service des jeunes enseignants-chercheurs, disposition novatrice également inscrite dans la loi du 10 août. C'est dans cet esprit qu'est intervenu le Président de la République le 28 janvier à Orsay, lorsqu'il a évoqué un double rattachement des jeunes recrutés dans les organismes de recherche et dans les universités. En effet, aujourd'hui, un jeune docteur reçu en même temps au CNRS et dans une université, doit faire un choix cornélien : soit choisir une carrière de chercheur et se priver du contact avec les étudiants et avec l'enseignement ; soit choisir une carrière d'enseignant-chercheur et consacrer beaucoup de temps à l'enseignement, au risque de perdre la possibilité de faire une recherche de haut niveau, faute de temps et de liberté d'esprit.

Il est de notre devoir de trouver une voie nouvelle qui concilie dans le temps les aspirations et les compétences, tout en préservant les besoins des institutions. Un double rattachement à un organisme de recherche et à un établissement d'enseignement supérieur permettrait de moduler dans le temps l'activité des jeunes chercheurs recrutés et je vous propose de travailler en ce sens. C'est dans ce cadre global, cohérent et renouvelé, que pourra être refondu efficacement le décret de 2001.

M. Henri Revol.  - Merci de cette réponse encourageante, qui ne m'étonne pas, connaissant vos efforts pour que ces deux milieux travaillent, enfin, la main dans la main. Je vous félicite pour cet engagement qui est dans la droite ligne de celui pris, hier, par le Président de la République. Notre Office parlementaire parraine des chercheurs : votre réponse apaisera les craintes et doléances dont ils nous font part fréquemment.

Frais de transport des handicapés

M. Philippe Leroy. - Le décret du 5 février 2007 a placé les frais de transport des handicapés dans le champ des dépenses couvertes par la prestation de compensation du handicap en établissement (PCH), selon des modalités d'application qui restent à préciser. Les frais de transport étaient jusqu'à présent financés par l'assurance maladie, soit sur la base d'une prescription médicale individuelle, soit par intégration dans les budgets de fonctionnement des établissements et services d'aide par le travail (Esat), des établissements d'éducation spécialisée, des maisons d'accueil spécialisée (MAS). Tout allait bien jusqu'à ce décret qui suscite de nombreuses questions !

Alerté par de nombreuses familles inquiètes, le ministre, M. Bas, a en avril 2007 demandé aux caisses d'assurance maladie de ne pas se presser d'interrompre les versements.

En Moselle, nous étudions comment intégrer les frais de transport dans la PCH ; mais nous ne pouvons légalement prendre en charge que le surcoût lié au handicap -dans la limite d'un plafond !- et non la totalité du coût de transport. Le « reste à charge » excède 1 000 euros par mois pour certaines familles ! Les établissements ont peur de voir la sécurité sociale se désengager du financement de leur budget transport. Tout le monde se tourne donc vers le département... La prestation de compensation du handicap en établissement est certes un progrès, parce qu'elle est un droit opposable, non une aide facultative. Mais les modalités d'application n'en ont pas été prévues.

Un groupe de travail a été mis en place. Quelles sont ses orientations ? Quels moyens seront dégagés pour les frais de transport ?

Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.  - Ce problème, rendu plus aigu par la diversification des moyens de transport, retient toute l'attention du Gouvernement. L'accueil de jour dans les établissements est essentiel pour entretenir un lien social, mais le domicile des personnes handicapées est parfois très éloigné. La PCH a bouleversé le dispositif, en ouvrant la possibilité d'un financement des frais à hauteur de 12 000 euros sur cinq ans -le conseil général pouvant aller au-delà. La CPAM a donc décidé de se retirer du financement du transport.

Pour éviter toute rupture de prise en charge, l'État a demandé aux caisses d'assurer la transition avant l'instruction des dossiers de PCH. La PCH ne constitue pas, en outre, une réponse intégrale au problème posé. Et les prises en charge individuelles excluent l'organisation d'un service collectif.

Le groupe de travail mis en place étudie la possibilité d'inclure dans le budget des établissements, comme cela se fait pour les personnes âgées, les frais de transport des handicapés qu'ils accueillent. Il faudra aussi tenir compte de la situation des personnes qui n'optent pas pour la PCH et des personnes qui ont des besoins spécifiques en matière de transport. Le Gouvernement travaille à cette question en lien avec les associations.

M. Philippe Leroy. - Gouvernement et départements établissent un diagnostic identique. Il faut à présent déterminer si les caisses de sécurité sociale doivent ou non se désengager. Cela n'était pas prévu ! Mais elles ont profité de l'aubaine. Pour une fois, ce n'est pas l'État qui transfère des charges et refile à d'autres le mistigri... Nous sommes au moins d'accord sur le diagnostic : les solutions seront donc faciles à trouver.

Situation des entreprises adaptées

M. Georges Mouly. - Il est urgent de développer les entreprises adaptées pour sauvegarder les vingt mille emplois de salariés handicapés et aider ces établissements, situés entre l'entreprise classique et la structure médico-sociale, à jouer le rôle d'un service d'insertion professionnelle et sociale. Xavier Bertrand m'a récemment indiqué que la suppression pour 2008 de trois cent quatre-vingt sept postes aidés et l'absence de revalorisation de la subvention spécifique étaient la conséquence d'une sous-consommation des crédits de 2007. Le ministre m'assurait qu'une réflexion était engagée, associant les organismes gestionnaires des entreprises adaptées pour aboutir à une gestion optimale des crédits alloués. Il affirmait la détermination du Gouvernement à poursuivre la mise en oeuvre du plan de soutien et de modernisation lancé en 2006.

Cependant, la logique purement comptable ne correspond pas aux réalités des entreprises adaptées et cet arrêt brutal des aides budgétaires fragilise un outil précieux de l'insertion des handicapés. Le contingentement des aides au poste est un système pervers, qui contraint les entreprises à lier leur activité au niveau de l'aide accordée, limitant leur développement et leur recrutement. La sous-consommation s'explique par la non prise en compte du salarié malade, la lenteur des procédures administratives, l'impossibilité de moduler le contingentement, éventuellement les préconisations supplémentaires des services déconcentrés... Tout cela freine le développement des entreprises adaptées, donc l'insertion professionnelle des handicapés. Pourquoi négliger ainsi la valeur sociale ajoutée ? L'effort budgétaire de la collectivité nationale au profit d'un demandeur d'emploi handicapé se situe entre 8 000 et 11 000 euros par an, celui consenti pour un salarié handicapé est de 3 700 euros. Sans comptabiliser l'intégration et l'épanouissement des personnes concernées ! Nous avons tout à gagner à accompagner le développement des entreprises adaptées. L'Union nationale des entreprises adaptées vous a fait des propositions, qui ne s'inscrivent du reste pas dans une logique de « financements en libre service ». Cette contribution sera-t-elle intégrée aux réflexions engagées par le Gouvernement avec les responsables du secteur ?

Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.  - Le Gouvernement est très attentif aux entreprises adaptées qui offrent à des personnes handicapées un véritable emploi rémunéré dans les conditions de droit commun. La loi du 11 février 2005 a voulu les conforter en rendant leurs ressources plus prévisibles et l'effort de l'État demeure fort en 2008 avec une enveloppe des crédits permettant de financer dix neuf mille six cent vingt-cinq aides au poste, ce qui est supérieur aux aides réellement consommées en 2007. Le Cnasea ayant mis en place un suivi mensuel, nous pourrons opérer les redéploiements nécessaires et financer de nouveaux projets.

Le Gouvernement partage votre souhait d'assouplir les contraintes liées au contingentement. Une plus grande souplesse des recrutements pourrait s'accompagner d'une clarification de la notion d'efficience réduite, ainsi que l'a suggéré l'excellent rapport du délégué interministériel. Nous allons en outre réfléchir aux conditions d'attribution de la subvention spécifique dont l'enveloppe 2008 s'établit à 42 millions.

Enfin, le Gouvernement a sa part de responsabilité à travers la commande publique : on peut réserver des marchés ou des parts de marché aux entreprises adaptées. Nous leur apportons un soutien fort et attentif.

M. Georges Mouly. - Je n'ai jamais douté de la volonté du Gouvernement mais les entreprises adaptées rencontrent des problèmes. Je vous remercie donc de cette réponse : suivi mensuel, redéploiements, assouplissements, mise en oeuvre de la notion d'efficience réduite et commande publique peuvent en effet aider les entreprises adaptées. Je suivrai l'évolution du dossier, mais je ne doute pas que, grâce au Gouvernement, la situation s'améliore.

La séance est suspendue à midi trente-cinq.

présidence de M. Christian Poncelet

La séance reprend à 16 h 15.