Lundi 8 avril 2024

- Présidence de Mme Amel Gacquerre, présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 00.

Audition d'associations d'élus locaux

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Nous reprenons aujourd'hui nos travaux en recevant des représentants d'associations d'élus locaux et plus particulièrement Mme Hélène Geoffroy, ancienne ministre, maire de Vaulx-en-Velin, co-présidente de la commission politique de la ville et cohésion sociale de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), M. Michel Bisson, maire de Lieusaint, vice-président de France Urbaine, et M. Philippe Rio, maire de Grigny, vice-président de l'Association des maires Ville & Banlieue de France.

La diversité des villes que vous représentez montre bien que le sujet de la paupérisation des copropriétés touche tous les territoires, des métropoles aux bourgs ruraux en passant par les banlieues, avec les grands ensembles emblématiques des politiques publiques en la matière.

En vue de l'examen du projet de loi qui vient d'être voté sur les copropriétés dégradées, j'avais fait organiser une consultation des maires sur le site du Sénat. L'un des résultats qui nous avaient frappés était que près de 60 % des répondants déclaraient avoir une copropriété dégradée sur leur commune et que c'était une priorité pour deux tiers d'entre eux. Dans ce projet de loi, comme vous le savez puisque plusieurs d'entre vous y ont participé et ont eu un impact direct sur le texte final, il y a eu un certain nombre d'avancées. Vous me direz si elles sont suffisantes pour vous. Mais il nous a semblé qu'au moins trois volets n'étaient pas assez traités dans ce projet de loi, sans que le temps disponible pour son examen ne permette d'y remédier.

Tout d'abord, la détection. Comment les maires, et les pouvoirs publics plus généralement, peuvent-ils savoir que telle ou telle copropriété est en train de déraper ? Théoriquement, le registre national d'immatriculation des copropriétés (RNIC) devrait y aider, mais, dans la réalité, j'ai l'impression que cela reste très empirique alors même que l'Agence nationale de l'habitat (Anah) nous indique que 150 000 copropriétés sont fragiles, sur 750 000.

Ensuite, la prévention. Quels outils a-t-on et quels outils devrait-on mettre en place ? Le mandataire ad hoc n'a pour l'instant guère fonctionné et les critères d'alerte liés aux impayés semblent mal calibrés.

Enfin, les petites villes et les petites copropriétés n'étaient pas vraiment dans le viseur du projet de loi. En réalité, très peu de copropriétés sont concernées par les opérations de requalification des copropriétés dégradées (Orcod) - même si c'est important. Plus généralement, c'est une opération programmée d'amélioration de l'habitat et de renouvellement urbain (Opah-RU) qui est utilisée avec des moyens plus limités. D'ailleurs, dans nombre de communes pauvres, le manque de moyens rend inenvisageable de s'engager dans une opération de restauration immobilière (ORI).

Concernant les marchands de sommeil, nous savons aussi qu'il est désormais plus nécessaire d'essayer de les entraver et de les faire condamner que d'alourdir un arsenal de sanctions déjà important. Il faut appliquer ce qui existe déjà.

Enfin, sachez que nous recevons après vous le directeur des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice et que nous l'interrogerons à nouveau sur la manière dont la police municipale, tout particulièrement, pourrait mieux collaborer avec le procureur pour lutter contre tous ces phénomènes.

En fait, madame et messieurs les maires, aidez-nous à être concrets et pragmatiques en poussant à la création ou à la mise en oeuvre de mesures qui seront vraiment opérationnelles.

Sachez également que la commission d'enquête a lancé une consultation citoyenne sur le site internet du Sénat et que celle-ci peut être largement diffusée pour que nos concitoyens et vos administrés s'expriment directement.

Avant de vous laisser la parole, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet et les réseaux sociaux du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Hélène Geoffroy, M. Michel Bisson et M. Philippe Rio prêtent serment.

Mme Hélène Geoffroy, ancienne ministre, maire de Vaulx-en-Velin, co-présidente de la commission politique de la ville et cohésion sociale de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité. - Ce sujet est particulier pour la ville de Vaulx-en-Velin, dont je suis maire, puisqu'une copropriété dégradée de ma ville a connu un tragique incendie il y a un peu plus d'un an. Elle faisait déjà partie d'un plan d'accompagnement des copropriétés dégradées. Même si la justice n'a pas encore rendu ses conclusions, je peux dire que cet incendie a jeté la lumière sur la situation de copropriétaires en désarroi face à la dégradation de leur copropriété.

La temporalité de l'action publique est toujours un peu longue, mais la complexité liée au fait qu'il s'agisse de propriétaires privés ajoute des difficultés. Plusieurs programmes de redressement ont pu être mis en oeuvre, mais le temps nécessaire à leur déploiement n'empêche pas la dégradation des copropriétés. Le premier enjeu est donc celui de la temporalité.

Dans la loi proposée, j'ai voulu défendre, au titre de l'AMF, la capacité de la puissance publique - l'intercommunalité me semblant être le bon niveau - à se saisir d'une partie de la vie quotidienne de la copropriété, ce qui heurte le droit fondamental de la propriété privée. À Vaulx-en-Velin, une copropriété privée a été prise en main par un administrateur judiciaire qui s'est révélé défaillant. L'État, la ville et la métropole ont eu des difficultés à intervenir, alors même que les trois apportaient des financements de redressement de la copropriété, car ils n'avaient pas la capacité de peser sur les choix de l'administrateur judiciaire. Nous nous sommes retrouvés dans des fonctionnements quasi parallèles.

Il nous semble important de retravailler la question du syndic public, en cas de dysfonctionnement majeur.

Dans le cas du renouvellement urbain, la question de la participation des agences et des modes de travaux se pose. Les règlements de l'Anah et de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), qui partagent des types d'interventions, ne se recoupent pas totalement, ce qui alourdit les difficultés.

L'alerte est souvent donnée par des copropriétaires qui viennent trouver le maire. Il n'existe pas de volet d'alerte suffisant des syndics, si le conseil syndical dysfonctionne, si les impayés deviennent trop lourds ou si l'on dénombre trop de propriétaires bailleurs, ce qui peut être un indice de la présence de marchands de sommeil. Des outils d'amélioration de la connaissance par le maire de son territoire pourraient nous aider à mieux anticiper les problèmes.

Les plans de sauvegarde, quand ils sont de très grande ampleur, fonctionnent bien, mais leur temporalité de mise en oeuvre est très longue.

La puissance publique doit intervenir avant que la situation ne soit trop dégradée.

M. Philippe Rio, maire de Grigny, vice-président de l'Association des maires Ville & Banlieue de France. - Pour les membres de l'Association des maires Ville & Banlieue de France, vos travaux sont extrêmement importants, car nos territoires sont frappés de plein fouet par la paupérisation et la crise du logement. Crise du logement et crise sociale s'alimentent l'une l'autre. Une famille en voie de paupérisation qui intègre une copropriété fragile ou dégradée accélère sa paupérisation et fragilise encore plus la copropriété.

Des familles vulnérables qui n'ont pas accès au logement social se retournent vers la copropriété et sont parfois contraintes de prendre le statut de copropriétaire. Dans ce pays, le logement social exclut beaucoup de personnes qui se retrouvent dans des logements fragiles, voire dégradés.

Nous sommes relativement pessimistes sur les années à venir, car la crise du logement durera.

Ces dix dernières années, et plus particulièrement ces cinq dernières années, notre pays a fait un grand pas, sur la question des copropriétés, avec un arsenal législatif et réglementaire nouveau, auquel le Sénat a beaucoup contribué, et une politique d'État bien plus massive, grâce au plan Initiative Copropriétés (PIC). Il est nécessaire d'amplifier ces avancées très positives, car il demeure des lacunes, notamment sur la détection, la prévention, et les petites copropriétés.

M. Michel Bisson, maire de Lieusaint, vice-président de France Urbaine. - Je suis très heureux que vous ayez inscrit ce sujet à l'agenda de vos travaux, car il est majeur et s'amplifiera vraisemblablement. Nous disposons des capteurs nécessaires pour anticiper les difficultés dans l'habitat social, mais c'est bien moins le cas dans les copropriétés. Parfois, l'alerte est trop tardive.

Chez France Urbaine, la totalité des acteurs les plus concernés que nous avons sondés constate un accroissement du nombre de copropriétés fragiles et dégradées. Ils estiment aussi que l'Opah copropriétés dégradées (Opah-CD) et les plans de sauvegarde sont des outils adaptés au redressement des copropriétés en difficulté.

Comme M. Rio, nous estimons que des progrès ont été réalisés.

Si le fichier RNIC est utile et précieux, il est encore très largement insuffisant pour devenir un outil d'alerte, en raison de sa mise à jour annuelle - dans le meilleur des cas. C'est un état des lieux utile, mais insuffisant pour réagir de façon rapide.

Certaines petites copropriétés souhaitent limiter les coûts en faisant appel à des syndics bénévoles. Le risque de dégradation accélérée est accru. En effet, que ce soient des bénévoles qui gèrent au quotidien la copropriété, aussi impliqués soient-ils, ne permet pas de mesurer le risque à temps.

Nous saluons le travail déjà réalisé et la loi que vous préparez. Des dispositifs complémentaires pourraient être mis en oeuvre, tels que la préemption acquisitive, la mise en gestion par des bailleurs sociaux via des syndics d'intérêt général, et des programmes d'accompagnement intégrés aux espaces France Rénov'.

Des procédures accélérées et simplifiées à l'égard des marchands de sommeil sont indispensables pour stopper leurs capacités d'acquisition et de gestion. Leurs locataires doivent être sécurisés sur place si nécessaire. Il faut lutter contre les squats organisés par les marchands de sommeil et faciliter le relogement des locataires, en le faisant financer par l'Anah ou d'autres organismes.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Je vous remercie d'avoir posé un cadre et suggéré de premières propositions. Au fur et à mesure des auditions, nous constatons que la paupérisation des copropriétés s'aggrave - notons à ce propos que les propriétaires occupants représentent un tiers des ménages modestes. Le système de la copropriété se fragilise à grande vitesse.

Cette commission d'enquête a toute sa pertinence pour être aux côtés de maires parfois démunis et leur proposer de nouveaux outils.

Les syndics sont des interlocuteurs importants. Quelles sont les bonnes pratiques pour en faire des partenaires ?

Un bon accès au droit des ménages vivant dans des copropriétés est important. Ils sont souvent démunis. Les maires peuvent les accompagner. Le triptyque maire-préfet-intercommunalité fonctionne-t-il bien ? Pourrait-il être amélioré ?

M. Philippe Rio. - Je suis un peu gêné pour répondre à cette dernière question, car mon président d'intercommunalité est à mes côtés, et la situation de Grigny relève de l'intercommunalité : nous n'avons pas une petite copropriété en difficulté, mais une très grande Orcod. L'articulation entre services est extrêmement importante : si les compétences sont partagées, le défi est commun. L'articulation avec le préfet, l'Anah, parfois l'Anru, et même les bailleurs sociaux est importante. Je n'oublie pas la police et la justice. Les services d'hygiène et de salubrité jouent également un rôle déterminant.

La question de la capacité de la justice à traiter la quantité de dossiers que nous transmettons se pose. Les tribunaux sont plus ou moins spécialisés sur ces sujets-là. À Bobigny et à Évry, des substituts du procureur maîtrisent très bien ces procédures.

Nous pensons que l'accompagnement social n'est vraiment pas au niveau. Le fonds de solidarité pour le logement, pour la copropriété de Grigny 2, n'a concerné que 23 dossiers en 2023. Les habitants de copropriétés dégradées ou vulnérables ne recourent pas au droit. Nous avons même détecté une autocensure de travailleurs sociaux, qui estiment que leur crédibilité sera affectée si la procédure à laquelle ils incitent n'aboutit pas.

Le RNIC est nouveau. Il faut qu'il entre dans les moeurs des territoires. Quand on constate des impayés supérieurs à 25 % dans des copropriétés de moins de 200 lots ou de 15 % dans des copropriétés de plus de 200 lots, quel pouvoir avons-nous pour enclencher une stratégie de recouvrement des impayés ?

La semaine dernière, le préfet délégué pour l'égalité des chances a convoqué le syndic d'une copropriété où il y a 141 % d'impayés : il n'y a pas de stratégie de recouvrement. Le taux d'impayés atteint 190 % dans une autre copropriété, et 90 % dans une autre encore. Ce syndic est présent depuis cinq à dix ans. Au fur et à mesure, on passe en administration provisoire. Il manque l'impulsion vers un nouveau comportement. En outre, les stratégies de recouvrement coûtent de l'argent. C'est une mécanique très compliquée. Il faut passer les impayés en créances irrécouvrables, ce qui signifie que ceux qui paient doivent payer plus cher, pour moins de services. C'est complètement dysfonctionnant. La comptabilité doit être adaptée.

Il est important de détecter les situations problématiques, mais il faut, ensuite, que le plan d'action soit réalisable comptablement et juridiquement. Cela pose aussi la question de la capacité des tribunaux à traiter tous les dossiers. Dans de grandes copropriétés, leur nombre peut être élevé.

Les associations syndicales libres (ASL) ne bénéficient pas de dispositifs aussi clairs et nets que les copropriétés. En Essonne, 50 % des ASL sont fragiles. Nous avons une ASL de 200 logements individuels groupés à côté de Grigny 2, qui connaît des difficultés de gestion, des impayés, des propriétaires nouveaux qui se paupérisent, et qui peinent à maintenir le patrimoine en état, notamment celui des années 1970 et même 1980.

La solution de l'emprunt collectif est très bonne. Se pose la question, en ASL ou en copropriété, de la garantie d'emprunt. Vous savez que l'on ne prête qu'aux riches ! On dénombre 27 plans de sauvegarde à Grigny pour Grigny 2, sur 127, me semble-t-il, en France.

Le préfinancement pose aussi question.

Mme Hélène Geoffroy. - La première difficulté que l'on rencontre, à Vaulx-en-Velin, est de toucher les habitants quand il y a une proportion de propriétaires bailleurs, investisseurs pour partie, qui ne sont pas dans un travail partenarial avec la collectivité. Les locataires, pour certains fragiles, ne sont pas les interlocuteurs appropriés. Le plan Initiative Copropriétés est un plan important. Il a été vécu comme une heureuse initiative. Les mesures de programme opérationnel de prévention et d'accompagnement des copropriétés (Popac) et d'Opah ne font pas la maille.

Une copropriété qui a connu nombre de dispositifs en quinze ans est passée d'orange à rouge après un Popac. Elle serait peut-être passée à violet sans Popac, mais cela signifie que l'on n'a pas pris la mesure des besoins.

L'intérêt du plan Initiative Copropriétés est de rassembler l'État, l'intercommunalité ou la métropole et la ville, et d'être au bon niveau financier, avec un rachat d'appartement acceptable si nécessaire.

L'une des difficultés est la divergence d'intérêts des copropriétaires selon qu'ils sont bailleurs ou occupants. Certains bailleurs se transforment en marchands de sommeil et nous nous retrouvons face à des locataires sans titre de séjour. Or l'accès au droit des locataires ne se pose pas dans les mêmes termes selon qu'ils ont ou non un titre de séjour.

Nous devons bien identifier ces différentes caractéristiques.

Le poids de la puissance publique est important à l'égard des syndics dès lors qu'elle octroie des financements. Nous, les maires, voyons des copropriétaires dépassés qui n'osent plus parler à leur syndic et viennent nous demander de le faire. Certains syndics se défaussent. Face à cela, le triptyque État-intercommunalité-ville offre une forme unie d'action très importante. Si certains syndics sont extrêmement performants, pour d'autres, le préfet délégué pour l'égalité des chances (Pdec) doit frapper du poing sur la table.

Je reviens sur l'administrateur judiciaire : si nous conservons le même format, il faut absolument donner un droit de regard à la puissance publique qui finance. Nous devons nous pencher sur les syndics de collectivités. Au moins, nous serions dans la transparence.

Notre service d'hygiène et de salubrité est de plus en plus sollicité par le privé. Ce n'est pas toujours simple de répondre aux demandes d'expertise.

Nous n'avons pas été organisés pour répondre aux questions d'accès au droit des ménages. Le logement social mobilise tout le monde, mais il y a aussi une montée en puissance de la problématique des copropriétés. Désormais, les promoteurs immobiliers demandent quel sera l'accompagnement des nouveaux copropriétaires. Jusqu'à présent, les collectivités territoriales se disaient : « C'est du privé, ils gèrent leurs affaires. » Mais nous voyons que ce n'est plus possible.

M. Michel Bisson. - L'intercommunalité est la bonne échelle, en tout cas pour France Urbaine. Certaines métropoles ont pris la compétence d'autorité organisatrice de l'habitat, ce qui amène une ingénierie à haut niveau.

Le trio évoqué tout à l'heure est essentiel et fonctionne très bien à l'échelle des métropoles que j'ai citées. Cela s'explique par la taille de ces dernières - je pense en particulier à la communauté d'agglomération Grand Paris Sud Seine-Essonne-Sénart - et à l'engagement de maires très impliqués qui ont une vision et une intelligence de la situation. S'ajoutent à cela les capacités d'ingénierie des agglomérations et leur politique de peuplement, donc de relogement, au-delà de la simple échelle communale, mais aussi l'accompagnement réalisé par le Pdec.

L'unité d'action est très importante sur ces sujets qui sont, par nécessité, complexes et impliquent une multiplicité d'acteurs.

La chaîne de l'action publique doit être la plus fluide et efficiente possible, ce qui fait souvent défaut dans notre pays. Il s'agit non pas de retravailler les compétences et de les redistribuer, mais de réduire la verticalité au profit de l'horizontalité.

L'adoption du projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement doit assurer la montée en puissance des syndics d'intérêt collectif. Ils s'avèrent particulièrement utiles sur des sujets très sensibles en ce qu'ils permettent de mobiliser l'ensemble des bailleurs sociaux.

La vigilance sur les mandataires sera renforcée via la certification QualiSR Syndic Prévention Redressement et les consultations auprès des collectivités compétentes en matière d'habitat. L'idée est d'exclure systématiquement de la liste des mandataires ceux qui auraient commis des infractions sur d'autres territoires ou dans le cadre d'autres opérations.

Enfin, il existe des disparités entre les territoires en matière de financement. Par exemple, la région d'Île-de-France et le département de l'Essonne accompagnent les copropriétés, ce qui n'est pas le cas du département de Seine-et-Marne. La Banque des territoires a beaucoup à apporter, notamment au travers du prêt avance à destination des copropriétaires en difficulté. Ce sont les dispositifs de suivi et d'animation qui ont été privilégiés jusqu'à présent, mais ils ne suffisent pas. Il est donc nécessaire que la Banque des territoires intervienne de nouveau en soutien des dispositifs de l'Anah.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Lutter contre la paupérisation des copropriétés, c'est en même temps lutter contre la paupérisation des copropriétaires via l'accompagnement social de ceux qui sont le plus fragilisés.

Pensez-vous qu'il manque un acteur spécifique à même d'assurer cet accompagnement ? S'il existe déjà, il faudrait sans doute renforcer ou clairement définir ses missions. Avez-vous des exemples de bonnes pratiques dans vos territoires pour aider les copropriétés fragiles ?

M. David Ros. - Ma première question a trait à l'impact de la multilocation dans le cycle néfaste de paupérisation-dégradation et de dégradation-paupérisation. S'agit-il d'un élément majeur ? Y a-t-il des choses à entreprendre de manière spécifique ?

Ma deuxième question s'adresse directement à M. Rio. La ville de Grigny a bénéficié d'une Orcod. Pensez-vous qu'il est temps de faire le bilan de l'efficacité de ce dispositif, notamment sur le plan de l'accompagnement social ? Est-il adapté aux différentes situations et aux tailles de copropriétés ? Devrions-nous l'étendre à d'autres communes ?

Enfin, ma troisième question concerne la verticalité que M. Bisson évoquait au sujet des administrateurs judiciaires. Existe-t-il des freins dans la chaîne de commandement qui ne leur permettent pas de mener à bien leur travail ?

M. Laurent Burgoa. - La généralisation du permis de louer permettrait-elle de freiner la paupérisation des copropriétés ? Elle supposerait une aide de l'État, car elle engendrerait des besoins de fonctionnement supplémentaires pour les communes et les intercommunalités.

La transformation des copropriétés privées en logements sociaux publics serait-elle la solution à la grande paupérisation dont souffrent certaines copropriétés ? Ayant été adjoint chargé de la rénovation urbaine auprès du maire de Nîmes, je sais que l'Anru n'y serait pas du tout favorable. Une telle transformation irait même à l'encontre de sa politique, qui consiste précisément à réduire le nombre de logements sociaux dans les quartiers.

M. Philippe Rio. - Je pense qu'il y a une certaine frilosité à traiter le cas des « invisibles » de la précarité et de la paupérisation. En effet, notre système est tétanisé et nous empêche de franchir la porte des copropriétés vulnérables et dégradées. Notre expérience nous amène à constater qu'il n'existe aucune solution pour un certain nombre de ménages.

Les immeubles gérés par les bailleurs sociaux disposent d'un gardien et d'assistantes sociales ; des enquêtes sociales y sont menées. On peut arriver à faire bouger les choses si tant est que l'on se donne les moyens d'aller au contact des services de la ville et du département. Dans une copropriété privée, il n'y a rien. S'enkystent donc des situations sociales extrêmement difficiles. Hélène Geoffroy évoquait la situation de ceux qui sont sans droit ni titre : parfois, la copropriété est pour eux le seul moyen de se loger. Il existe non seulement une crise du logement, mais aussi une crise de l'hébergement d'urgence.

Dès qu'un plan d'attaque est mis en oeuvre - Orcod, opérations programmées d'amélioration de l'habitat (Opah), plans de sauvegarde -, il faut proposer des solutions sociales beaucoup plus puissantes, en plus de celles qui sont apportées en matière de logement et d'habitat. On voit bien qu'un grand écart se creuse : on fait le bâti, mais on ne pense pas à l'humain. Or les deux sont intimement liés.

J'en viens aux multilocations. Je fais partie de ceux qui ont défendu l'interdiction des colocations à baux multiples dans des secteurs d'intervention publique.

Le ministre du logement nous a beaucoup parlé du monde étudiant. Or ce ne sont pas des étudiants que nous retrouvons dans nos copropriétés sous ORCOD. Aujourd'hui, les marchands de sommeil présumés s'abritent derrière la loi devant les tribunaux - je ne le sais que trop bien, étant presque toujours chargé de représenter la ville lorsqu'elle se constitue partie civile.

Sur cette question, je vous renvoie aux débats sur le projet de loi concernant la rénovation de l'habitat dégradé et à l'amendement du Sénat adopté contre l'avis du Gouvernement. Il est certain que la multilocation est un facteur d'accélération de la fragilité des copropriétés.

Oui, il convient de faire le bilan de l'opération de requalification des copropriétés dégradées d'intérêt national (Orcod-in) qui a été lancée Grigny en 2016. Pour l'heure, le dispositif est à mi-parcours. La vraie question que pose l'Orcod-in est celle de la perception d'un impôt spécifique. À Nîmes, la taxe spéciale d'équipement (TSE) permet de constituer des sommes spécifiques pour une intervention extrêmement importante auprès de copropriétés complexes qui font souvent la une des médias en raison de certaines catastrophes.

Bien évidemment, il reste des choses à améliorer : le mal-logement va s'accélérer dans les copropriétés et nécessitera d'adapter nos outils.

Le contrôle des administrateurs judiciaires fait partie des marges de progrès que le législateur doit nous donner, sans quoi nous ne pourrons pas être plus performants. La ville de Grigny a été contrainte de poursuivre en justice un administrateur judiciaire qui n'avait pas rendu les comptes pendant trois ans auprès de l'établissement public foncier d'Île-de-France (Epfif). C'est bien le lien entre la justice et les administrateurs qui pose question.

Par ailleurs, le permis de louer semble être un bon outil et un certain nombre de villes l'ont déjà mis en place. Néanmoins, il faut y consacrer du temps et des moyens, ce qui peut poser problème en zone rurale. Sachez que la ville de Grigny ne dispose que d'un seul inspecteur de salubrité pour 300 visites annuelles. Le permis de louer et le maintien de la salubrité représentent une charge pour ceux qui ont la malchance de résider dans ces habitats.

Enfin, vous avez évoqué l'Anru et l'Anah. Nous sommes convaincus que les bailleurs sociaux ont un rôle déterminant à jouer dans l'avenir des copropriétés fragiles : ils sont l'une des clés de leur redressement.

Lorsque les copropriétés touchent le fond, elles ont parfois beaucoup de mal à remonter à la surface. Ainsi, il est essentiel de privilégier les copropriétés mixtes, dont l'un des membres est un vrai professionnel de l'immobilier capable de gérer et de mutualiser les coûts, mais aussi de négocier avec un chauffagiste ou un ascensoriste. Le chauffage et l'ascenseur sont les deux éléments de charges incontrôlables pour les copropriétaires qui, je le rappelle, sont bénévoles. Le rapport de force qu'ils entretiennent avec des entreprises comme Otis ou Schindler est forcément asymétrique.

Il est donc bon pour les copropriétaires de compter parmi eux un professionnel consciencieux, vertueux, et contrôlé - les bailleurs sociaux ont un savoir-faire remarquable. Aujourd'hui, ce n'est pas dans le logement social que se manifeste le mal-logement, mais dans les copropriétés.

Enfin, je souhaiterais clarifier mes propos sur la prévention. Dès qu'un plan de sauvegarde, une Opah ou un Popac est mis en oeuvre, il faudrait obligatoirement procéder à un audit financier et comptable de la copropriété. Des préfets ont parfois été conduits à mettre fin à l'aide à la gestion des syndics versée par l'Anah, ces derniers étant incapables de faire état de la situation financière réelle de la copropriété. On a parfois continué à avancer alors que le brouillard persistait sur la situation comptable réelle de la copropriété.

Quelle stratégie mettre en oeuvre et comment la partager entre les syndics, les copropriétaires et la puissance publique ?

Des avancées exceptionnelles ont été actées pour les syndics d'intérêt collectif. La loi leur permet désormais d'intervenir sous administration provisoire, ce qui va dans le sens de la prévention. Dans le cadre des Popac, des plans de sauvegarde, des Orcod et des Orcod-in, il faut laisser la possibilité aux copropriétaires et à la puissance publique de s'organiser pour mettre à disposition un outil de gestion permettant d'en faire davantage là où il y a le plus d'impayés.

Dans une sorte de cercle vicieux, les copropriétés difficiles exigent une plus grande intervention en raison d'une dégradation de la gestion et du bâti, mais aussi de l'augmentation des impayés. L'équation est impossible à résoudre s'il n'existe pas de système mutualisé impliquant l'intervention d'une société d'économie mixte (SEM) ou d'un bailleur social, lequel a un véritable savoir-faire en milieu difficile, notamment en matière de bonne gestion.

Mme Hélène Geoffroy. - Le permis de louer intéresse notre métropole, qui a lancé une première étape dans une autre ville que Lyon. Si cela intéresse la commission d'enquête, je peux lui faire parvenir un premier bilan puisque nous bénéficions désormais d'un recul d'un an sur la mise en oeuvre de ce dispositif.

Concernant les administrateurs judiciaires, nous sommes incapables d'encadrer la façon dont les choses fonctionnent. Nous n'avons aucun mot à dire sur leur rémunération, pas plus que les copropriétaires ou la puissance publique, en raison de la séparation que j'évoquais tout à l'heure.

En réalité, les administrateurs judiciaires ne sont pas des spécialistes des copropriétés, faute de bénéficier d'une formation et d'un mandat spécifiques. En outre, les copropriétaires n'ont aucun retour sur ce que fait l'administrateur judiciaire ; c'est une vraie difficulté. Certains habitants de Vaulx-en-Velin n'ont pu connaître l'état de leur copropriété et la façon dont étaient utilisées leurs charges, les mandataires judiciaires n'étant pas obligés de leur rendre compte. Nous devons absolument avancer sur ce point et anticiper les choses.

La métropole de Lyon a créé un poste spécifiquement consacré à l'accompagnement social des copropriétaires, mais il ne sera maintenu que le temps du PIC. Dès lors, comment structurer l'accompagnement social sur le long terme ? Ce plan constitue une avancée par rapport au dispositif antérieur en ce qu'il permet de structurer un accompagnement avec les outils et les financements nécessaires : ainsi, le bureau d'études accompagne les copropriétés, procède à des analyses, établit des diagnostics et délivre des documents aux copropriétaires. En outre, il a ranimé les conseils syndicaux.

Aujourd'hui, on constate une diminution du taux d'impayés sur les treize copropriétés que j'évoquais - enfin ! Mais le PIC a été mis en place en 2018 ; nous avons donc déjà accompli six ans de travail, d'où la nécessité d'anticiper et d'agir plus rapidement.

Concernant l'Anru, plusieurs écoles de pensée s'affrontent au sein de l'AMF. Pour ma part, je pense que la transformation des copropriétés en logements sociaux nous ferait perdre en mixité à l'échelle du quartier. Je crois davantage aux capacités d'accompagnement que nous mettons en place et au rachat des appartements pour les remettre dans le champ du logement privé. Mais cela nécessite une intervention forte de la puissance publique. Je pense toutefois qu'il faut maintenir un équilibre entre copropriété privée et logement social. Je n'ai pas interrogé l'AMF pour connaître sa position globale sur ce sujet. De manière générale, le rachat de copropriétés pour en faire des logements sociaux ne saurait être une politique systématique ; en tout cas, je n'y suis pas favorable.

Cela peut être une bonne solution au cas par cas, mais gardons à l'esprit l'enjeu de mixité. Les copropriétés dégradées sont souvent présentes dans deux types d'endroits : les coeurs de villes anciens et les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Si nous procédions à la transformation suggérée par M. Burgoa, certains territoires seraient, comme par le passé, pourvus d'un trop grand nombre de logements sociaux, de l'ordre de 60 à 70 %, ce qui entraîne d'autres formes de dysfonctionnement.

Il vaut mieux se concentrer sur les copropriétés, déterminer la bonne temporalité pour les accompagner et privilégier les outils d'alerte.

Les élus locaux sont aujourd'hui capables de décrire tout le processus de dégradation d'une copropriété. Ils peuvent même déterminer le bon moment pour sonner l'alerte et mettre en oeuvre les dispositifs les plus pertinents pour éviter la dégradation. Lorsque les choses sont allées trop loin et que la dégradation est avérée, il convient parfois de racheter certains appartements.

Nous nous voyons quelquefois contraints de mener un travail sur l'environnement urbain, car la paupérisation peut soulever des problèmes en matière de sécurité, de cadre de vie et d'urbanisme. On traite souvent le volet habitat sans se soucier du volet urbain, des questions de sécurité publique ou du cadre de vie. Il faut penser à intégrer le volet urbain et tout traiter en même temps, comme lorsque nous avons construit les logements sociaux.

J'en ai bien conscience, tout ne se fera pas d'un seul coup. Mais l'enjeu urbain doit être considéré de façon égale si nous voulons répondre de façon structurante à la dégradation des copropriétés des années 1960, 1970 et 1980.

Enfin, il existe un nouvel enjeu d'accompagnement des collectivités locales pour les copropriétés qui sont construites aujourd'hui. Dans ce cadre, toutes les typologies d'accession à la propriété doivent être prises en compte. En raison de l'accession sociale à la propriété, de la diversité de logements et des nouveaux programmes de renouvellement urbain, il arrive que des copropriétés se retrouvent accolées à des logements sociaux. Or ce genre de mixité ne fonctionne pas toujours très bien.

M. Michel Bisson. - Je milite également pour une approche globale urbaine cumulant l'Anah et l'Anru, deux outils extrêmement puissants, de façon à ne pas saucissonner des bouts de territoire en les traitant de manière différente.

Nous devons profiter de la transition sociale et écologique pour réparer les habitations. Il s'agit de réaliser des raccordements à des réseaux de chaleur pour maîtriser les prix de sortie de l'énergie dans la durée, mais aussi de procéder à des travaux d'isolation et de rénovation thermique. Nous devons nous assurer que l'habitat que nous rénovons ne se trouvera pas demain dans la même situation qu'aujourd'hui.

Il faut aussi tenir compte de l'aspect social de la transition écologique ; je pense notamment aux coûts de l'énergie. Il existe un très grand nombre d'aides, que ce soit à l'échelle nationale, départementale, communautaire ou communale. Les grands opérateurs que sont la caisse d'allocations familiales (CAF) et la sécurité sociale ont ici leur rôle à jouer.

Tout cela représente des sommes colossales et bien utiles, mais chaque autorité agit dans son couloir et poursuit ses propres objectifs. Il est donc nécessaire, au moins là où existent les plus grandes difficultés, de créer des pactes de solidarité et de réunir tous les acteurs autour de la table. Les choses pourront ainsi démarrer et seront ensuite évaluées.

Dans les copropriétés dégradées, il existe des difficultés sociales qui entraînent vraisemblablement des difficultés en matière de santé. La sécurité sociale conduit de plus en plus de politiques publiques de prévention qui, bien souvent, sont aussi mises en oeuvre par les collectivités. En partant du même constat et en poursuivant le même objectif, nous démultiplierions la force des moyens publics. C'est pourquoi il est nécessaire de mettre autour de la table l'ensemble des partenaires qui concourent à la lutte contre la pauvreté, voire l'extrême pauvreté.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je vous remercie pour vos contributions. Je vous informe que cette commission d'enquête conclura ses travaux fin juillet et présentera un rapport que nous serons heureux de vous communiquer.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est ouverte à 17 h 30.

Audition de M. Olivier Christen, directeur des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Madame la rapporteure, mes chers collègues, nous recevons Olivier Christen, directeur des affaires criminelles et des grâces. Pour rappel, notre commission d'enquête porte sur les phénomènes de dégradation et de paupérisation des copropriétés observés sur l'ensemble de notre territoire. Nos travaux entendent ainsi apporter un éclairage sur les processus, multiples, qui peuvent conduire une copropriété à la paupérisation afin d'une part, d'accélérer leur prise en charge et leur redressement, ainsi que, d'autre part, de mieux prévenir l'apparition de telles situations.

Parmi tous les risques pouvant conduire les copropriétés à la paupérisation, l'installation de marchands de sommeil, propriétaires malveillants qui louent à prix élevé des logements indignes, constitue une étape d'un schéma connu par la puissance publique, mais contre lequel elle demeure encore trop souvent impuissante.

Aussi, il nous semblait primordial de consacrer un temps de nos travaux aux réponses, notamment pénales, que la puissance publique peut apporter pour prévenir et réprimer ces agissements. Nous nous réjouissons de pouvoir vous entendre, vous qui dirigez depuis plus de trois ans désormais la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice, chargée d'établir et de conduire les politiques publiques en matière pénale.

Je souhaiterais vous interroger en premier lieu sur la répression pénale des marchands de sommeil. Malgré le renforcement des sanctions pénales portées par le projet de loi récemment adopté par le Parlement, pour lequel j'étais rapporteure, je sais qu'il demeure des difficultés pour parvenir à faire condamner ces propriétaires malveillants. Comment, selon vous, est-il possible encore d'avancer dans la détection et la répression de tels actes ?

De plus, notre Commission d'enquête se fonde pour partie sur les constats du rapport Hanotin-Lutz paru il y a quelques mois, qui dénonce un manque de moyens pour la détection et la lutte contre l'habitat dégradé. La mission Hanotin-Lutz propose de confier des pouvoirs d'officier de police judiciaire à des policiers municipaux et à des inspecteurs de salubrité en cette matière, sous le contrôle du procureur. Quel est votre regard sur ces propositions ? Comment serait-il possible aujourd'hui de mieux doter ces services afin d'accélérer la détection et la prise en charge de ces problématiques ?

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour énoncer votre propos introductif, je précise que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié. Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre Commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende. Je vous invite donc à prêter serment, de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Olivier Chriten prête serment.

Monsieur, vous avez donc la parole. Je précise également que notre rapporteure Marianne Margaté est à mes côtés, avec mes deux collègues sénateurs, David Ros et Laurent Burgoa.

M. Olivier Christen. - Merci, Madame la Présidente, de nous avoir invités à participer à vos travaux. Je suis accompagné de deux collègues de la direction des affaires criminelles et des grâces, à savoir Étienne Perrin, chef du bureau du droit économique, financier et social, de l'environnement et de la santé publique, et Alexis Chiari, magistrat rédacteur. Ils me suppléeront peut-être pour répondre à certaines de vos questions, compte tenu du caractère plus avancé de leur maîtrise technique des sujets.

J'interviens aujourd'hui en tant que directeur des affaires criminelles et des grâces de la Chancellerie. Ma direction élabore la législation et la réglementation en matière répressive. Dans le cadre des travaux du Parlement, je prépare des propositions de textes pour le gouvernement, ou des propositions de réponses aux arguments parlementaires. Ma direction participe aussi à l'élaboration de la législation européenne et internationale, en lien avec le Secrétariat général des affaires européennes. Pour autant, cette seconde mission nous intéressera moins dans mon audition.

Par ailleurs, nous préparons les instructions générales d'action publique du ministère de la Justice, qui portent la politique pénale. Nous coordonnons et nous évaluons leur mise en application. Nous vérifions leur mise en oeuvre par les parquets généraux et les parquets. Ainsi, je pourrai vous apporter des précisions sur l'efficacité du dispositif répressif existant et sur la prise en compte des instructions générales d'action publique par les parquets.

La lutte contre l'habitat indigne s'articule autour d'actions de prévention et de résorption, portées par différentes procédures administratives issues du Code de la santé publique et du Code de la construction et de l'habitation, engagées par les préfets, les maires, les présidents des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).

De plus, la lutte contre l'habitat indigne figure de longue date au rang des axes prioritaires des politiques pénales, présentées par le garde des Sceaux. Ma direction veille à la poursuite et à la répression des infractions qui se rapportent à l'habitat indigne, avec une fermeté particulière dès lors qu'elles peuvent porter une atteinte à la santé ou à l'intégrité physique des occupants, ou causer un trouble important à l'ordre public.

Je concentrerai mon intervention sur les aspects répressifs de la lutte contre l'habitat indigne, comme vous m'y invitiez, et particulièrement sous le prisme des copropriétés immobilières, situées au coeur de votre enquête.

Tout d'abord, je présenterai rapidement le cadre normatif lié à l'habitat indigne. Puis, j'évoquerai la politique pénale portée par le ministère de la Justice. Enfin je reviendrai sur le traitement judiciaire des infractions, tel qu'il apparaît à partir des éléments adressés par les parquets généraux.

Le droit pénal en vigueur réprime le non-respect de la police en matière d'habitat insalubre, l'hébergement incompatible avec la dignité humaine, ainsi que la pratique dite de location « à la découpe ». Il existe également pour certains professionnels immobiliers et pour les syndics de copropriété une obligation non pénalement réprimée de signalement des faits relevant de ces deux catégories de délit au procureur de la République.

Les dispositions répressives relatives à la lutte contre l'habitat insalubre figurent principalement aux titres I et II du livre V du Code de la construction et de l'habitation, consacrés respectivement à la sécurité et à la salubrité des immeubles, et à la protection des occupants.

Les infractions réprimées à titre principal, de peines d'emprisonnement d'un à cinq ans et d'amende de 50 000 à 150 000 euros, sont prévues par les articles L. 511-22 et L. 521-4 de ce code. Pour mémoire, les personnes physiques encourent les peines complémentaires obligatoires suivantes : confiscation des fonds de commerce ou de l'immeuble destinés à l'hébergement des personnes ayant servi à commettre l'infraction et interdiction d'exercer une activité professionnelle ou sociale.

Les personnes morales encourent à titre principal, outre ces peines complémentaires, une peine d'amende cinq fois plus élevée que celle encourue par les personnes physiques. Enfin, la loi du 26 janvier 2024 a renforcé la répression des marchands de sommeil, en aggravant les peines encourues lorsque la victime est une personne vulnérable. Ces personnes vulnérables sont notamment des ressortissants étrangers en situation irrégulière, souvent dans une situation particulièrement fragile, exploitée par les filières d'immigration irrégulières.

Il convient de souligner que la notion d'habitat insalubre se distingue de la notion d'hébergement incompatible avec la dignité humaine, qui est un élément constitutif du délit décrit dans l'article 225-14 du Code pénal et qui réprime « le fait de soumettre une personne, dont la vulnérabilité ou l'état de dépendance sont apparents ou connus, à des conditions de travail ou d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine ». Cet article prévoit une peine de cinq ans d'emprisonnement et une amende de 150 000 euros.

Lorsque ce délit est commis à l'égard de plusieurs personnes ou d'un mineur, ces peines sont aggravées à sept ans d'emprisonnement et à une amende de 200 000 euros.

Quand ce délit est commis contre plusieurs personnes parmi lesquelles figurent un ou plusieurs mineurs, la peine prévue est portée à dix ans d'emprisonnement et à une amende de 300 000 euros.

Pour rappel, le projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement a été adopté le 19 mars par l'Assemblée nationale et le 27 mars par le Sénat. La promulgation du texte, sous réserve d'une éventuelle saisine du Conseil constitutionnel, est donc imminente. Ce texte aggrave les peines prévues par les articles 225-14 et 225-15 du Code pénal, qui répriment la soumission à un hébergement incompatible avec la dignité humaine.

La sanction de la pratique de la location à la découpe est précisée dans l'article L. 183-15 du Code de la construction et de l'habitation, créé par l'ordonnance du 29 janvier 2020. La mise à disposition en vente ou en location de locaux destinés à l'habitation provenant d'une division interdite d'immeuble par appartement est réprimée par une peine de deux ans d'emprisonnement et par une amende de 75 000 euros.

J'en viens à présent à l'obligation de signalement. La loi du 2 janvier 1970 pose à l'égard des professionnels de l'immobilier l'obligation de signalement au procureur de la République des faits susceptibles de constituer les délits réprimés par les articles 225-14 du Code pénal et L. 511-22 du Code de la construction et de l'habitation.

Une disposition similaire a été introduite par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Elan) à l'égard des syndics de copropriété, conduisant à modifier la loi du 10 juillet 1965.

La méconnaissance de ces obligations de signalement n'est toutefois pas pénalement sanctionnée, comme cela est souvent le cas s'agissant des obligations de signalement au procureur. Néanmoins, l'introduction d'une sanction pour les opérateurs immobiliers qui n'auraient pas signalé des situations dont ils auraient eu connaissance renforcerait le dispositif répressif. Ces sanctions existent dans d'autres domaines.

Le ministère de la Justice porte via la direction des affaires criminelles et des grâces une politique pénale se voulant très proactive en matière de lutte contre l'habitat indigne, où nous sommes pleinement mobilisés depuis plusieurs décennies. La source de cette politique pénale se trouve dans une circulaire déjà ancienne du 4 octobre 2007, qui présente les dispositions de la loi du 13 juillet 2006, portant engagement national pour le logement.

Plus récemment, dans le sillage de la loi Elan, une importante circulaire conjointe du 8 février 2019 relative au renforcement et à la coordination de la lutte contre l'habitat indigne a été signée par la garde des sceaux Nicole Belloubet et le ministre délégué chargé de la ville et du logement Julien Denormandie. Les directives très structurantes de cette circulaire conservent toute leur pertinence et toute leur actualité. Lorsque les ministres signent eux-mêmes les circulaires de politique pénale, sans en déléguer la signature au directeur des affaires criminelles et des grâces, ils souhaitent leur donner une force politique plus lourde.

La politique pénale portée par le ministère de la justice en matière de lutte contre l'habitat indigne repose sur deux axes, à savoir la coordination étroite de l'action administrative et judiciaire, et le renforcement de l'efficacité du traitement judiciaire.

S'agissant premièrement de la coordination de l'action administrative et judiciaire, elle est identifiée par la circulaire du 4 octobre 2007 de la direction des affaires criminelles et des grâces relative à l'application de la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement comme « un jalon essentiel d'une politique pénale efficace en matière d'habitat indigne ».

Cette coordination, gage de la cohérence d'une politique publique efficace, se manifeste au sein des pôles départementaux de lutte contre l'habitat indigne (PDLHI), instances privilégiées du dialogue noué entre les partenaires impliqués dans la lutte contre l'habitat indigne. Les parquets, et notamment le magistrat référent en matière d'habitat indigne, doivent être étroitement associés à ce dialogue.

À titre d'information, la circulaire du 4 octobre 2007 demandait la désignation de magistrats référents en matière d'habitat indigne dans tous les parquets de France. La désignation de magistrats du parquet plus spécialement chargé de domaines techniques particuliers constitue une pratique fréquente. Selon la taille du parquet, un magistrat référent peut être chargé de plusieurs champs. Ces magistrats sont aussi les référents des autorités administratives chargées de coordonner l'action administrative et judiciaire.

La coopération menée au sein des PDLHI facilite le repérage des logements indignes et l'identification de potentiels marchands de sommeil. Il s'agit de permettre aux procureurs de la République d'envisager l'opportunité de l'engagement d'actions pénales.

Différents signaux participent à l'identification des situations d'habitat indigne. En particulier, nous observons des difficultés de mise en oeuvre de l'action administrative, en raison de l'absence de syndics dans les copropriétés, de l'absence de documents permettant le fonctionnement des copropriétés, ou encore de la défaillance des syndics de copropriété. Il apparaît des infractions constatées que ces copropriétés en difficulté sont les cibles favorites des marchands de sommeil.

La circulaire du 8 février 2019 relative au renforcement et à la coordination de la lutte contre l'habitat indigne insiste sur l'importance des PDLHI. Elle leur demande de traiter les situations d'habitat indigne avec une vigilance particulière.

Le renforcement de l'efficacité du traitement judiciaire des situations d'habitat indigne constitue le second axe de la politique pénale de lutte contre ces formes d'habitat. Des groupes locaux de traitement de la délinquance (GLTD) dédiés au traitement judiciaire des situations d'habitat indigne portent la généralisation d'une politique pénale progressive, pour une réponse plus ferme dans les affaires les plus graves. La direction des affaires criminelles et des grâces promeut spécialement cette démarche dans le champ de la lutte contre l'habitat indigne.

Nous avons invité à plusieurs reprises les parquets à créer des GLTD dédiés à la lutte contre l'habitat indigne (GLTD LHI), pour répondre de la manière la plus adaptée à des problématiques spécifiques à une commune, un quartier, voire une copropriété. Les GLTD LHI semblent constituer un lieu d'échange opérationnel tout à fait approprié. Les échanges y sont menés sous la présidence du procureur de la République, et avec la participation des services administratifs et des services d'enquête. Les GLTD LHI identifient et assurent le traitement des situations relevant d'une réponse judiciaire, en coordination avec l'action des services administratifs.

Les GLTD existent dans beaucoup de domaines. Ils sont parfois créés pour traiter un phénomène de délinquance global dans un quartier donné. Depuis un certain nombre d'années, nous promouvons l'établissement de GLTD dits thématiques. Si les GLTD LHI peuvent correspondre au traitement local de la délinquance, ils peuvent aussi concerner plusieurs territoires du ressort des procureurs. Ce dispositif, qui fonctionne bien, permet de réunir autour d'une même table, sous la présidence du procureur de la République toutes les personnes concernées par le sujet. Les GLTD LHI balayent donc toutes les problématiques posées, depuis la détection d'habitats indignes, jusqu'à la répression. Ces groupes s'intéressent aussi à l'identification des services d'enquête pouvant intervenir et le type d'investigation qu'ils pourront conduire. Il s'agit aussi de réaliser un suivi sur les décisions prises dans les différents GLTD LHI, pour vérifier leur efficacité ou pour identifier de nouvelles mesures.

Ces structures paraissaient particulièrement pertinentes dans les territoires les plus exposés à la problématique du logement indigne, à savoir la Seine-Saint-Denis, le Val-de-Marne, l'Essonne, le Nord, les Alpes-Maritimes et les Bouches-du-Rhône. Les parquets de ces départements ont tous mis en place des GLTD LHI.

Parallèlement à ces GLTD, des échanges plus opérationnels sont parfois mis en oeuvre dans le cadre des comités opérationnels départementaux antifraude (CODAF), un autre instrument de coordination.

En plus de s'intéresser à la détection, les GLTD LHI portent la généralisation d'une politique pénale progressive allant vers une réponse ferme dans les affaires les plus graves. Il s'agit d'apporter une réponse pénale adaptée à la variété et à la gravité des situations susceptibles de relever de qualifications pénales.

Les faits les moins graves peuvent donner lieu à des mesures alternatives aux poursuites, telles que la composition pénale ou des classements sans suite sous conditions, dès lors qu'une régularisation intervient. Cette régularisation peut prendre la forme de la réalisation de travaux, pouvant être sollicitée par un arrêté, ou encore celle d'un relogement des occupants. Il s'agit traditionnellement du premier niveau de répression. Dans les infractions liées à l'habitat indigne, nous essayons toujours de fournir une réponse pénale qui accompagne une amélioration de la situation. En effet, une résolution des situations apporte un gain sociétal plus grand qu'une réponse pénale limitée à des sanctions.

En revanche, si une solution n'est pas apportée dans le cadre des alternatives aux poursuites, des poursuites sont engagées. De plus, une procédure classée sans suite peut être réactivée pour un mis en cause qui entrerait de nouveau dans un processus infractionnel. Cette démarche de réponse graduée est intéressante.

Néanmoins, les faits les plus graves, où les investigations révèlent une mauvaise foi manifeste des propriétaires, ou une exploitation de la vulnérabilité d'autrui (location de biens insalubres ou dangereux à des personnes en difficulté sociale ou économique, etc.) appellent à la mise en oeuvre systématique de poursuites. Tel est le sens de la politique pénale conduite en la matière. La saisie des biens immeubles objets de l'infraction doit alors être recherchée dans tous les cas, afin de prévenir la réitération des faits et de sanctionner efficacement les mis en cause. Comme dans tous les types d'infraction, il est notoire que la saisie des biens est souvent la sanction qui effraye le plus. Elle peut être le meilleur remède dans certaines situations.

Les directives de politique pénale que j'ai présentées ont été décidées dès 2007. Elles ont été réactualisées en 2019, compte tenu de l'évolution des textes, et réaffirmées comme une priorité gouvernementale. Enfin, elles ont été rappelées à nouveau par une circulaire conjointe des ministres de l'Intérieur et des Outre-mer et du garde des sceaux du 29 janvier 2024, relative à la lutte contre les filières d'exploitation des étrangers en situation régulière.

Je vais à présent revenir sur les difficultés identifiées par le ministère public (procureurs de la République et procureurs généraux) et la mise en oeuvre effective au niveau local de la politique de lutte contre l'habitat indigne.

En 2019, nous avons demandé aux parquets généraux de nous faire remonter des informations précises sur la question de l'habitat indigne. Ainsi, le rapport d'activité du ministère public de 2019 nous offre une vision du sujet qui demeure d'actualité.

À titre d'information, tous les ans, les parquets généraux font remonter des informations sur les affaires individuelles les plus lourdes, mais aussi sur la politique pénale mise en oeuvre dans leurs ressorts. Régulièrement, la direction des affaires criminelles et des grâces demande aux procureurs généraux des remontées plus précises sur certains points relatifs à différents volets de la politique pénale.

En 2019, les procureurs de la République déploraient la détection insuffisante des situations d'habitat indigne. Or il s'agit du point le plus important de la mise en oeuvre de la politique pénale de lutte contre l'habitat indigne. Les procureurs ont souligné le faible nombre de signalements émanant des collectivités territoriales, dont la capacité à assumer cette mission de signalement était très variable, mais aussi des occupants victimes de ces abus, qui craignaient de perdre leur logement ou d'être inquiétés par rapport à une situation administrative irrégulière.

Cette carence de signalement des collectivités est regrettable puisque, sans être nécessairement une autorité de contrôle légal, ces dernières ont une vision sur les situations de logement indigne, notamment pour les collectivités d'importance, qui disposent de nombreuses fonctions supports et de missions d'inspection plus lourdes. La déficience de signalement peut aussi dépendre de la volonté politique des collectivités.

En 2019, les procureurs ont aussi relevé une organisation administrative assez complexe qui fait intervenir plusieurs acteurs, tels que les agences régionales de santé (ARS), les directions départementales des territoires (DDT), ou encore les communes. Les compétences et les procédures de ces acteurs ne sont pas nécessairement harmonisées dans le cadre de la lutte contre le logement indigne. De plus, la multiplicité des intervenants peut parfois rendre difficile l'identification des acteurs qui doivent opérer les signalements.

Aussi, il s'est avéré que l'absence de formation et de spécialisation des agents posait des difficultés dans les contentieux ayant trait aux logements indignes, particulièrement techniques. En effet, ces contentieux peuvent exiger un acte administratif préalable, ou une caractérisation délicate des infractions de mise en danger délibérée d'autrui, ou de soumission de personnes vulnérables à des conditions d'hébergement indigne. Ces difficultés sont fréquemment rencontrées dans les contentieux techniques.

L'ensemble de ces écueils explique selon nous le faible nombre de procédures traitées par an. Ce point a été souligné par la Cour des comptes dans son rapport La lutte contre l'habitat indigne publié en 2021.

Pour autant, dans le cadre du rapport d'activité du ministère public de 2019, les parquets ont fait état d'un effet très positif de la loi du 23 novembre 2018 et de la circulaire du 8 février 2019 sur la redynamisation des relations partenariales préexistantes et sur la création de nouvelles synergies entre les différents acteurs, notamment dans le cadre des PDLHI. Presque l'intégralité des parquets était alors associée aux travaux des PDLHI, en particulier pour l'élaboration de plans départementaux de plans départementaux pluriannuels de lutte contre l'habitat indigne.

En 2019, pour favoriser la détection des situations d'habitat indigne, de nombreux parquets participaient à des actions de sensibilisation à destination des maires, des syndics de copropriétés, des agents immobiliers, ou encore des administrateurs judiciaires, tous pouvant participer aux signalements.

Par ailleurs, toujours dans le rapport d'activité de 2019, certains parquets ont relevé plusieurs carences dans les enquêtes judiciaires relatives aux logements indignes, dans un contexte de rareté des enquêteurs.

Ces parquets ont relevé que les administrations, les collectivités et les services d'enquête pouvaient procéder eux-mêmes aux actes d'investigation. En conséquence, ils ont estimé nécessaire d'optimiser les moyens d'enquête dévolus à la lutte contre l'habitat indigne. Ainsi, ils ont jugé opportun de confier aux administrations spécialisées de nouvelles prérogatives de polices judiciaires, comme celle de l'audition libre. Pour nous, cette proposition constitue sans doute un des leviers les plus forts à actionner pour contrecarrer le manque d'enquêteurs et pour pouvoir disposer de personnes qui maîtrisent les enjeux techniques du sujet et qui sont très engagées dans leurs missions de police judiciaire.

Pour les faits les plus graves, il ressort des différents rapports qui nous sont transmis que, conformément aux directives de politique pénale, des poursuites et des déferrements (présentation des mis en cause au parquet à l'issue de gardes à vue) sont engagés, dès lors que les faits mettent en péril les occupants, troublent l'ordre public ou s'inscrivent dans le cadre d'une délinquance d'habitude, telle que la fraude sociale ou fiscale connexe.

Enfin, nous relevons que le réflexe patrimonial est désormais bien intégré dans les parquets. Ainsi, plusieurs parquets ont fait état de saisies systématiques opérées sur les immeubles concernés. Ce réflexe de saisie des immeubles utilisés pour des habitats indignes commence à entrer dans les moeurs. D'ailleurs, la loi du 8 avril 2021 améliorant l'efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale introduisait la possibilité de réaffecter des biens confisqués à des organismes sociaux, mettant ainsi en évidence l'utilité de la saisie. Le garde des sceaux était particulièrement attaché à cette disposition, qui s'inspire notamment de pratiques italiennes.

Une des premières réaffectations opérées dans le cadre de cette loi a été réalisée à Coudekerque-Branche (Nord), situé près de Dunkerque. Elle a donné lieu à un déplacement du garde des sceaux. Il s'agissait de la réaffectation d'un immeuble complet, saisi dans une procédure de lutte contre l'habitat indigne réalisée, au bénéfice d'une association consacrée aux logements à finalité sociale. L'immeuble offrait des conditions d'hébergement particulièrement insalubres. Il y a peu, j'ai pu constater que l'association a réaménagé l'immeuble en résidence sociale. Ainsi, ces politiques pénales patrimoniales peuvent s'inscrire dans une démarche globale de réaménagement des lieux.

Par ailleurs, nous constatons une baisse des affaires orientées par les parquets, qui reçoivent moins de signalements et de plaintes des différents acteurs concernés (collectivités, services d'enquête, plaignants). En 2022, 1 440 personnes ont été mises en cause pour au moins une des infractions liées à l'habitat insalubre, contre 1 693 en 2015. Nous ne saurons pas préciser les motifs de cette baisse, autrement que par la baisse des signalements. Les signalements diminuent notamment en raison de la technicité des procédures.

Le taux de classement sans suite des affaires non poursuivables est relativement important, atteignant 48 %. Pour les affaires poursuivables, entre 2015 et 2022, 71 % des personnes mises en cause ont fait l'objet d'une procédure alternative aux poursuites, essentiellement en vue de régularisation sur demande du parquet, ou dans le cadre de poursuites et de sanctions de nature non pénale. En outre, 29 % des personnes mises en cause ont été poursuivies.

Une centaine de condamnations sont prononcées chaque année. Ce chiffre est relativement stable depuis 2015. L'emprisonnement est prononcé dans plus de six condamnations sur dix. Le montant moyen des amendes, prononcées dans la moitié des condamnations, est de 9 768 euros.

Les affaires menées à leur terme par les juridictions peuvent parfois donner lieu à la prononciation de peines relativement importantes. Parmi les exemples les plus récents, nous relevons une décision du tribunal correctionnel de Marseille prononcée le 13 novembre 2023 condamnant un ancien fonctionnaire de police, pour des faits de soumission de personnes vulnérables à des conditions de logement indignes et de mise en danger de la vie d'autrui. Il a été condamné à la peine de cinq ans d'emprisonnement, dont un avec sursis, avec mandat de dépôt. Sa peine comprend aussi la confiscation d'une assurance-vie, la saisie d'immeubles et 75 000 euros d'amende. Les trois sociétés civiles immobilières (SCI) détenues par le prévenu ont aussi été condamnées chacune à une amende de 100 000 euros.

Nous relevons encore une décision du tribunal correctionnel de Bobigny, prononcée le 15 décembre 2023, qui a condamné une personne morale à une amende de 50 000 euros à titre de peine principale, à une remise en état des lieux dans un délai de six mois et à dix ans d'interdiction d'achat d'un bien à usage d'hébergement. La personne physique mise en cause a été condamnée à 24 mois d'emprisonnement avec sursis, à dix ans d'interdiction d'achat d'un bien à usage d'hébergement et à trois ans d'interdiction de diriger une personne morale.

La direction des affaires criminelles et des grâces constate une augmentation du nombre de condamnations des personnes morales pour des infractions en lien avec l'habitat insalubre. Cette dynamique s'inscrit dans la politique pénale, qui vise aussi les personnes morales dans le cadre de la lutte contre l'habitat insalubre.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Je vous remercie pour votre présentation. Dans le passé, nous peinions à qualifier juridiquement un marchand de sommeil. Ainsi, au regard de la jurisprudence, il serait bon de savoir si la définition juridique de la notion de « marchand de sommeil » est désormais suffisamment encadrée pour permettre aux communes et aux syndics d'opérer des signalements en toute connaissance de cause.

Par ailleurs, il existe une grande variété de marchands de sommeil. Certains sont des professionnels de l'exercice, disposant de sociétés-écrans et d'hommes de paille. Les affaires et les signalements traités montrent-ils plus spécialement le profil de marchands de sommeil professionnels bien établis et mettant en place un système très organisé ? S'agit-il plutôt de propriétaires occupants qui laissent dériver des situations ? S'agit-il de chefs de filières liés à l'immigration irrégulière ? À défaut de profils, pourriez-vous présenter les tendances particulières qui émergeraient parmi les marchands de sommeil ?

Enfin, les outils déployés pour contrecarrer les marchands de sommeil sont-ils suffisants pour les empêcher d'acheter de nouveaux biens et de faire prospérer leurs activités ?

M. Olivier Christen. - Il n'existe pas de définition légale du marchand de sommeil. Pour autant, la typologie de délits présentée dans mon propos liminaire couvre l'ensemble des situations qui se présentent. La notion générique de marchand de sommeil se décline pénalement dans différents délits. En tout état de cause, nous ne disposons pas de remontées de situations non couvertes par le champ pénal actuel.

De plus, les infractions liées à l'habitat indigne sont relativement techniques et complexes. Par conséquent, il serait intéressant que les services en charge de la détection, ou de certains éléments de l'investigation aient la connaissance technique du champ du logement indigne et des éléments à rechercher. C'est pourquoi, parallèlement aux questions de formation de la police nationale et de la gendarmerie nationale qui interviennent classiquement lorsque ces infractions sont commises, il peut être intéressant de confier certaines compétences de police judiciaire aux administrations.

Cette question s'est déjà posée dans d'autres champs techniques. Ainsi, depuis un certain nombre d'années, nous avons confié à certaines administrations des missions de police judiciaire de plus en plus étendues. Par exemple, ces missions sont confiées à certains agents du fisc, des douanes, ou de l'Office français de la biodiversité (OFB).

Ces missions de police permettent aux administrations d'aller au-delà du simple relevé du constat. Elles peuvent aussi aider à associer les administrations avec les services classiques d'investigation existant, selon les cadres juridiques prévus. Des procédures plus ciblées et mieux construites permettent aux parquets d'apporter les réponses adéquates. L'important taux de classement sans suite s'explique tant par des signalements qui ne correspondent pas aux champs des infractions, que par des signalements qui ne permettent pas d'apprécier la réalité de l'infraction.

De plus, la création des magistrats référents permet le lancement d'actions de formation et de sensibilisation au sein des cours d'appel. Les magistrats concernés peuvent ainsi avoir une vraie connaissance de la matière très technique de l'habitat indigne et s'inscrire dans une politique pénale qui est construite et qui a du sens.

Par ailleurs, nous observons toutes sortes de marchands de sommeil. Pour vous fournir une typologie, il nous faudrait sans doute produire une analyse plus fine. Les remontées que nous recevons nous donnent le sentiment que toutes sortes de catégories de marchands de sommeil existent. Néanmoins, la direction des affaires criminelles et des grâces a une vision statistique qui ne permet pas nécessairement de connaître exactement la typologie des mis en cause. À travers les rapports d'activité des parquets généraux et selon leur niveau d'analyse sociologique des profils, je peux obtenir des informations plus précises. Pour autant, je n'ai pas une vision de toutes les affaires traitées en France. Je ne reçois pas de rapports complets sur chaque affaire, qu'il s'agisse des affaires de logements indignes traités par des alternatives aux poursuites ou par des poursuites. Je ne dispose pas d'éléments nécessaires pour établir une analyse sociocriminelle suffisamment fine sur les profils des marchands de sommeil. Les parquets généraux n'entrent dans le détail que dans les remontées de problématiques locales particulières.

Enfin, en matière de prévention de la délinquance pure dans le champ des marchands de sommeil, les procureurs sont moins impliqués que certaines autorités administratives. En revanche, les peines complémentaires, telles que l'interdiction d'achat d'immeubles à usage d'hébergement, l'interdiction de diriger des SCI, ou la confiscation des biens, permettent de prévenir la réitération des infractions. Aussi, les mesures prises dans les alternatives à la poursuite revêtent aussi une dimension de prévention. En effet, le classement sous condition de régularisation et de remise en état des lieux reste associé à une possibilité de reprise des poursuites, avec un délai de prescription de six ans, une durée non négligeable. Ainsi, un ex-marchand de sommeil qui aurait remis en état un immeuble après la constatation d'une infraction et qui le maintiendrait dans un état satisfaisant pourrait très bien être poursuivi s'il commettait une nouvelle infraction dans un autre immeuble. En effet, des anciens mis en cause peuvent se cacher derrière un immeuble loué dans de bonnes conditions d'hébergement, tout en reprenant par ailleurs des pratiques de marchand de sommeil.

M. Laurent Burgoa. - Est-il possible de généraliser les GLTD LHI dans tous les départements qui connaissent une problématique d'habitat indigne ? Sauf erreur de ma part, vous n'avez pas cité le Gard parmi les départements disposant de ces GLTD. Il serait intéressant de savoir pourquoi un GLTD LHI n'est pas constitué à Nîmes. Les relations sont bonnes entre la procureure de Nîmes et le maire de Nîmes, qui collaborent autour d'un contrat de sécurité.

Par ailleurs, en tant que membre de la commission d'enquête consacrée au narcotrafic, j'aimerais savoir s'il existe un lien entre narcotrafic et paupérisation des copropriétés. Par cette question, je ne souhaite toutefois pas anticiper l'audition du garde des sceaux prévue pour demain.

M. Olivier Christen. - J'ai cité uniquement les départements où je sais que des GLTD LHI ont été mis en place, lorsque leur constitution a été encouragée. Ces départements ont eu une préoccupation plus particulière sur ce sujet. Beaucoup des GLTD que j'ai cités se situent en Île-de-France, sans doute parce que le parquet général de Paris a mentionné dans son rapport d'activité de 2019 leur création dans les départements de Val-de-Marne, de l'Essonne et de Seine-Saint-Denis, situés dans son ressort. Cela ne signifie pas pour autant qu'il n'existe pas de GLTD LHI dans d'autres départements. D'ailleurs, un appel à la généralisation de ces GLTD dédiés a été lancé au niveau national. Il est donc tout à fait possible qu'un GLTD LHI ait été créé à Nîmes. Je pourrais vous fournir une réponse, en contactant le procureur général de Nîmes. Je peux me renseigner sur quelques départements, néanmoins, dans le délai de l'audition, je ne pourrais pas vous apporter de précisions pour l'ensemble du territoire national. Cependant, je pense que la plupart des départements qui rencontrent une problématique marquée sur le sujet de l'habitat indigne disposent de ces GLTD. Il s'agit souvent de départements à forte densité urbaine, même si des GLTD LHI peuvent aussi être créés dans des territoires plus ruraux, dépourvus de grandes métropoles.

Par ailleurs, la problématique de l'habitat insalubre est associée à des problématiques corollaires. Les marchands de sommeil ciblent généralement une population vulnérable économiquement. Ils peuvent être en lien avec des filières d'immigration irrégulière. La population de l'immigration irrégulière, par nature vulnérable, est moins encline à s'adresser aux forces de l'ordre en cas de difficultés. Ces filières de l'immigration irrégulière se greffent opportunément sur une autre situation de délinquance qui peut les intéresser.

Il en est de même pour les narcotrafiquants. Ils peuvent utiliser des copropriétés négligées pour cacher des stupéfiants. Ils savent que la population hébergée dans une situation d'habitat indigne ne dénoncera pas facilement l'entreposage de stupéfiants aux forces de l'ordre.

Votre commission d'enquête sur l'habitat indigne est particulièrement intéressante sur le volet des politiques pénales en général. Les lieux où sont localisés des populations vulnérables représentent un nid à opportunité pour un autre type de délinquance. Les marchands de sommeil sont souvent présents dans le champ de nombreuses autres fraudes ou de nombreux autres types de délinquances.

Par ailleurs, le procureur général de Nîmes vient de m'indiquer que la question de l'habitat indigne est abordée dans son ressort dans un GLTD Urbanisme.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Vous avez présenté des chiffres et des statistiques sur le traitement des signalements. Quelle est la durée moyenne de traitement des signalements ? Quelle évolution constatez-vous dans la durée de ces traitements ? Ces délais de traitement se raccourcissent-ils ou s'allongent-ils ?

De plus, les élus locaux sont intéressés par l'outil pragmatique des GLTD. Néanmoins, le point noir qui apparaît à plusieurs reprises dans vos propos renvoie à l'identification des situations d'habitat indigne. Cette question est-elle intégrée dans les axes de travail et les plans d'action partagés des GLTD LHI ?

Aussi, je comprends que vous n'ayez pas de réponse précise à apporter sur l'évolution du nombre de signalements. Vous évoquez un manque d'information et de sensibilisation des acteurs concernés, ainsi que la crainte des occupants. Indépendamment des remontées statistiques, que vous est-il remonté sur les raisons de l'inquiétante baisse du nombre de signalements ? Alors que nous rencontrons un phénomène de développement des copropriétés fragiles, le nombre de signalements diminue.

En somme, mes questions renvoient aux actions concrètes mises en place pour remédier à la problématique de l'habitat indigne.

M. Olivier Christen. - Je ne dispose pas des outils nécessaires pour vous extraire des informations sur l'évolution de la durée des investigations qui suivent les signalements. D'ailleurs, de nombreux acteurs interviennent dans ces investigations.

Par ailleurs, pour avoir piloté différents GLTD consacrés à d'autres thématiques, l'identification des délits est généralement un point majeur de préoccupation. Les GLTD visent à identifier les problèmes, des moyens pour les traiter et les acteurs de ce traitement, et à établir une priorisation de leurs traitements. Un bilan est opéré sur les actions menées depuis la précédente réunion du GLTD. Ces bilans comprennent notamment des éléments sur la durée du traitement des problèmes.

Confier davantage de pouvoirs de police à certaines administrations permet indéniablement d'accélérer le traitement des situations d'habitat indigne, en plus d'améliorer sa qualité. En effet, les membres de ces administrations, dotées de ces pouvoirs, opéreront des signalements avec d'autant plus d'enthousiasme qu'ils seront impliqués directement dans les suites qui seront données. Les auditions libres menées par ces administrations sont souvent utiles au recueil des éléments de preuve. Elle permet aussi d'avancer plus rapidement que s'il fallait mobiliser des services d'enquête. En effet, ces derniers doivent inclure les situations d'habitat indigne parmi les différentes problématiques de délinquance qu'ils traitent. Ces situations ne sont toutefois pas mises de côté par les services d'enquête, d'autant plus qu'elles rejoignent plusieurs problématiques de délinquance.

Je ne dispose pas d'éléments pour expliquer la baisse des signalements. Cette explication demande de mener une analyse que je n'ai pas les moyens de conduire. Je ne dispose pas de copies de tous les signalements. Je ne saurais donc pas les qualifier année après année. Pour recueillir ces informations, il faudrait s'entendre avec certains des procureurs de la République des départements les plus concernés par la problématique. Ces derniers disposent de l'ensemble des signalements et pourraient apporter des réponses plus précises sur l'évolution des signalements sur une période donnée, au sein de leurs ressorts. Vous pourriez alors faire des projections de ces évolutions au niveau national. Ces procureurs pourraient présenter les qualités des signalements, les motifs des baisses de signalement, ou encore les analyses des GLTD réalisées sur ces baisses.

Quoi qu'il en soit, il est assez classique que les occupants des logements indignes craignent d'opérer des signalements. Ils peuvent avoir peur de représailles personnelles. Ils peuvent craindre une perte de leur logement. Cette difficulté est aussi rencontrée dans d'autres problématiques de logement, comme celle des logements trop petits, ou celle des loyers trop élevés dans des villes où les loyers sont encadrés. Les dénonciations de loyers trop élevés demeurent certainement marginales. Les populations en difficulté sociale très lourdes sont celles qui peinent le plus à faire valoir leurs droits les plus primaires. Elles se tournent moins souvent vers les autorités.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - La baisse des signalements semble à contre-courant, d'autant plus qu'il existe des PDLHI dans presque dans tous les départements. De plus, la plateforme Histologe, un outil de signalement individuel, a été déployée dans une soixantaine de départements. D'ailleurs, je ne sais pas si les signalements opérés depuis cet outil sont suffisamment caractérisés pour être pris en compte dans des procédures judiciaires.

En définitive, il existe un décalage entre la baisse du nombre de signalements et la multitude des dispositifs de terrain permettant les signalements, comme les dispositifs de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), Histologe, ou encore les PDLHI. Pourtant, tout porte à penser que la problématique de l'habitat indigne s'aggrave. Les marchands de sommeil semblent plutôt prospérer, compte tenu de la crise du logement et de la vulnérabilité de certains occupants.

M. Olivier Christen. - Je relativise tout de même la baisse des signalements. Ce nombre est effectivement passé de 1 693 en 2015 à 1 443 en 2022. Néanmoins, ce nombre est globalement stable, compte tenu de ses fluctuations de hausses et de baisses. Entre 2018 et 2019, ce nombre est passé de 1 340 à 1 425. Aussi, 1 571 signalements ont été enregistrés en 2021.

Pour autant, la stabilité du nombre de signalements peut malgré tout interroger, dès lors que nous pouvions imaginer une tendance haussière. Généralement, la mise en place de dispositifs de signalement dans les parquets pour des infractions données entraîne une hausse du nombre de signalements. Par exemple, l'établissement de dispositifs de signalement des violences conjugales a généré une forte hausse du nombre de signalements. Les outils de signalements ayant été efficaces, des faits ont été portés à la connaissance des autorités.

La stabilité du nombre de signalements ne signifie pas pour autant que les dispositifs de signalements ne seraient pas efficaces. Néanmoins, ils ne conduisent pas à une hausse des signalements. Nous pouvons donc émettre différentes hypothèses. Les services chargés du traitement des signalements sont-ils saturés ?

Cette stabilité se retrouve aussi au niveau des condamnations. Le nombre de condamnations n'est pas baissier, mais continu.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Vous avez évoqué la confiscation de biens et l'efficacité de cette peine. Vous avez aussi évoqué la peine de l'interdiction d'achat de biens à usage d'hébergement. Disposez-vous de données sur le nombre de personnes physiques ou morales condamnées à ces peines ? L'application de ces peines est-elle contrôlée ? Le cas échéant, comment l'est-elle ?

Nous avons intégré dans votre questionnaire une question portant sur les ventes aux enchères. Ces mesures de contrôle sont-elles aussi mises en place dans ce cadre ?

M. Olivier Christen. - Nous vous fournirons dans le questionnaire des chiffres plus précis sur le nombre de personnes condamnées. Ce nombre est relativement faible et assez stable.

La peine de l'interdiction d'achat de biens à usage d'hébergement a été prononcée 13 fois en 2019, 7 fois en 2020, 5 fois en 2021, moins de 5 fois en 2022, 6 fois en 2023. Les personnes morales n'ont pas été condamnées à cette peine chaque année. Le cas échéant, elles étaient moins de cinq.

La peine de l'interdiction d'achat ou d'usufruit de biens ou de fonds de commerce à usage d'hébergement est généralement prononcée contre une vingtaine de personnes physiques chaque année. Elle a toutefois été prononcée contre 40 personnes en 2023. Moins de cinq personnes morales sont condamnées chaque année, ce chiffre pouvant monter jusqu'à huit.

La seule manière de suivre l'application de ces peines renvoie à la vérification du bulletin numéro 2 du casier judiciaire de l'acheteur, opérée normalement avant tout acte préalable à la conclusion d'un acte de vente.

En revanche, les procédures de vente aux enchères ne relèvent pas de la Direction des affaires criminelles et des grâces. Je ne sais donc pas comment les achats sont contrôlés dans ce cadre. Pour autant, l'accès au bulletin numéro 2 du casier judiciaire de l'acheteur mentionne la peine d'interdiction d'achat.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - En l'absence d'autres questions, il nous reste à vous remercier pour toutes les réponses que vous avez apportées, pour vos contributions et pour votre disponibilité. Notre Commission d'enquête prendra fin le 31 juillet 2024. Elle aboutira à la publication d'un rapport.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 35.