Mercredi 10 avril 2024

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Audition de de M. Patrick Martin, président du Mouvement des entreprises de France (MEDEF) (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu relatif à ce point de l'ordre du jour sera publié ultérieurement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Proposition de loi visant à faciliter la transformation des bureaux en logements - Désignation d'un rapporteur

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Dans la perspective de l'agenda législatif extrêmement chargé qui attend notre commission au cours des mois de mai et de juin, avec l'examen de plusieurs propositions de loi et de deux projets de loi d'ampleur, dont les calendriers respectifs seront précisés par la conférence des présidents qui se réunira ce soir, je vous propose de désigner dès à présent un rapporteur sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à faciliter la transformation des bureaux en logements.

Je vous propose la candidature de notre collègue Martine Berthet pour préparer ce rapport, dans des délais qui seront évidemment contraints compte tenu de la suspension des travaux parlementaires.

Le texte transmis par l'Assemblée comporte 12 articles, avec un volet fiscal - en l'espèce les articles 2, 3, 3 bis A et 3 bis B. Je vous propose de déléguer au fond son examen à la commission des finances du fait de sa compétence en la matière.

S'agissant du calendrier, nous examinerons ce texte en commission le mercredi 15 mai au matin, puis le mardi 22 mai en fin d'après-midi ou le soir en séance publique, à l'issue de la discussion de la proposition de loi visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif. Pour ce qui concerne ce dernier texte, je vous propose de la même façon de déléguer au fond l'examen des articles relatifs aux aspects fiscaux - à savoir les articles 3 et 4 visant à supprimer la double déduction des amortissements pour les loueurs non professionnels de meublés - à la commission des finances.

Il en est ainsi décidé.

Politiques publiques en matière de contrôle du traitement des eaux minérales naturelles et de sources - Création d'une mission flash

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Vous avez probablement pris connaissance, par voie de presse, il y a quelques semaines, de pratiques préoccupantes de certains industriels producteurs d'eaux minérales naturelles et d'eaux de source.

Une enquête du Monde et de Radio France a en effet révélé que des eaux minérales naturelles et de source auraient fait l'objet, depuis plusieurs années, de traitements non-conformes à la règlementation. Le Gouvernement en aurait été informé dès 2021 et aurait même procédé à un assouplissement de la règlementation en février 2023 afin de garantir la conformité des industriels - probablement en méconnaissance du droit européen.

Quand bien même ces pratiques n'auraient pas posé de problème sanitaire, ce qui est loin d'être acquis, elles posent un double problème : d'une part, un problème important d'information et de protection du consommateur. Ce dernier pense en effet payer pour consommer une véritable eau minérale ou eau de source, dont les propriétés justifient un prix bien plus élevé que pour l'eau du robinet ; d'autre part, elles posent aussi un grave problème de transparence et de finalité de l'action publique. Non seulement ces pratiques ont été cachées au grand public malgré l'information du Gouvernement, mais en plus ce dernier aurait cherché à minimiser leurs conséquences pour les industriels en modifiant la règlementation.

Autant d'éléments qui justifient un travail de contrôle de notre commission, compétente en matière de protection des consommateurs. Dès les premières révélations, ma collègue Antoinette Guhl a attiré mon attention sur l'intérêt pour notre commission de se pencher sur cette question. De nouveaux éléments publiés il y quelques jours évoquent des manquements sur la qualité sanitaire de ces eaux, nécessitant un « plan de surveillance renforcé » des autorités. Le groupe Socialistes, Écologistes et Républicains a réagi en déposant une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille et la responsabilité de l'État dans la défaillance du contrôle et la gestion des risques sanitaires associés.

Compte tenu de l'intérêt partagé pour ce sujet, j'ai décidé de proposer la création, au sein de notre commission, d'une mission « flash » sur les politiques publiques en matière de contrôle du traitement des eaux minérales naturelles et de sources. Notre collègue Antoinette Guhl en serait rapporteure. Ce format flexible de mission flash permet de tenir compte de l'agenda particulièrement chargé de notre commission jusqu'à l'été, tout en permettant un rendu des travaux avant la fin de la session.

Bien sûr, si à l'issue des travaux de cette mission flash, il apparaît qu'il y a un intérêt à ce que notre commission poursuive des travaux sous un format plus contraignant en usant de pouvoirs de contrôle renforcés, alors nous pourrons l'envisager. Mais, dans un premier temps, une mission flash nous permettra de dresser un état des lieux de la situation dans des délais satisfaisants.

Il me semble important de rappeler qu'une action judiciaire est en cours : il ne nous appartient pas de nous substituer à la justice pour évaluer si oui ou non il y a eu tromperie des consommateurs de la part des industriels. En revanche, il nous appartient de mettre au jour ce qui, dans l'action des pouvoirs publics, a pu conduire à ce que des eaux soient vendues en tant qu'eaux minérales ou eaux de source, sans répondre aux exigences pour l'être. Il nous revient également de réfléchir aux mesures à prendre pour éviter que cela ne se reproduise.

Les questions seraient nombreuses : Quelle est l'étendue du phénomène ? Quand ces pratiques ont-elles pu commencer ? Par quels facteurs étaient-elles motivées ? Certains évoquent le stress hydrique affectant les nappes phréatiques, d'autres la contamination des eaux avec des bactéries... L'assouplissement de la règlementation permis par le Gouvernement en 2023 remet-il en cause la qualification « eau minérale » ou « de source » de ces eaux aux yeux des consommateurs ? L'assouplissement a-t-il été réalisé en contrariété avec le droit européen ? Le cas échéant, quelles sont les conséquences potentielles pour la France et comment y remédier ? Des failles dans le dispositif de contrôle de l'État ont-elles été observées ? Si oui, sont-elles toujours d'actualité ? Et surtout, quelles mesures mettre en place pour éviter que cela ne se reproduise ?

Les travaux pourraient inclure des auditions d'administrations, d'inspections, d'autorités diverses, de responsables politiques et d'entreprises. Je pense bien sûr aux industriels de l'eau en bouteille, à la DGCCRF, mais aussi à des ARS, à l'IGAS, à l'ANSES, à des cabinets de ministre ayant été informés des faits dès 2021 et des cabinets actuels, ou encore aux journalistes ayant contribué à la révélation de ces pratiques.

La réunion est close à 11 h 45.

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques, et de M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées -

La réunion est ouverte à 16 h 35.

Audition de MM. Jean-Pierre Mustier, président du conseil d'administration et Paul Saleh, directeur général d'Atos

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. - Je remercie les membres des commissions des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et des affaires économiques pour leur participation à cette audition conjointe de M. Jean-Pierre Mustier, président du conseil d'administration d'Atos, et de M. Paul Saleh, directeur général d'Atos.

Monsieur le président, monsieur le directeur général, je vous remercie de votre présence cet après-midi et d'avoir accepté de vous exprimer publiquement devant nos deux commissions réunies. La situation d'Atos nous intéresse au premier chef et nous avons suivi avec une grande attention vos dernières annonces sur les perspectives de refinancement de l'entreprise d'ici à fin juillet.

La commission des affaires économiques est particulièrement soucieuse de l'évolution des grandes entreprises et des grands fleurons industriels français, surtout lorsqu'ils contribuent à notre souveraineté, à accélérer la numérisation de notre économie et de nos services publics, à renforcer notre base industrielle et à créer des emplois dans nos territoires.

Depuis désormais plus de deux mois, nos quatre rapporteurs - Mme Sophie Primas et M. Fabien Gay pour la commission des affaires économiques, MM. Thierry Meignen et Jérôme Darras pour la commission des affaires étrangères - mènent un travail approfondi de compréhension et d'analyse de la situation. Ce sont 84 personnes qui ont été entendues pendant 42 heures d'auditions et nous tenons vraiment à saluer la grande disponibilité et la coopération de vos services afin de faciliter notre travail de contrôle parlementaire.

Nous sommes conscients des difficultés liées à l'exercice d'un tel contrôle à l'égard d'une société cotée dont la forte médiatisation n'est pas toujours facilitatrice, mais vous noterez que nos rapporteurs ont, jusqu'à présent, été attachés à conserver une grande discrétion sur leurs travaux afin d'établir un climat de travail serein et de confiance.

Nos préoccupations n'en restent pas moins légitimes, car Atos n'est pas un groupe comme les autres. C'est l'une des entreprises françaises de services numériques les plus connues au monde, un grand groupe informatique qui compte près de 10 000 salariés en France, comprend plusieurs sites - dont l'usine d'Angers de fabrication des supercalculateurs - et contribue à de nombreuses activités publiques, parapubliques et souveraines, qui participent de la défense des intérêts supérieurs de notre Nation.

Face à cette situation et au regard de la mobilisation que nous jugeons assez largement insuffisante et tardive du Gouvernement - la tribune des parlementaires publiée le 1er août 2023 sous l'impulsion du président Cédric Perrin constituant le véritable tournant de la mobilisation politique sur ce dossier -, nous cherchons à mieux comprendre la situation dans laquelle se trouve Atos et les enjeux de sa restructuration afin de contribuer à l'élaboration de solutions crédibles qui bénéficieront à l'entreprise, mais qui permettront également d'améliorer nos politiques publiques de façon durable.

Nous bénéficions aujourd'hui d'un tout petit peu de recul face aux solutions mises en place pour les groupes Casino et Orpea, nous regardons avec inquiétude la situation d'autres grands groupes français à l'instar d'Altice-SFR, et nous avons surtout pour objectif de permettre à Atos de demeurer un grand groupe français, au service de la souveraineté et de la compétitivité de notre pays.

Messieurs, vous l'aurez compris, votre audition est très importante et je ne doute pas que nos rapporteurs et nos collègues auront de très nombreuses questions à vous poser. Je cède sans plus tarder la parole au président Cédric Perrin.

M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères. - Monsieur le président, monsieur le directeur général, nous vous remercions d'être présents parmi nous cet après-midi.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, vous vous en doutez, suit avec la plus grande attention - et parfois avec une certaine inquiétude - l'évolution de la situation d'Atos.

En effet, certaines activités de votre groupe présentent un intérêt stratégique majeur en ce qu'elles constituent un maillon de la composante la plus critique de notre défense - je veux évidemment parler de la dissuasion. Depuis l'arrêt des essais nucléaires en 1996, le développement de nos armements nucléaires repose très largement sur des simulations informatiques réalisées par des supercalculateurs conçus par Atos.

Au-delà de la question clé de l'avenir des supercalculateurs - au sujet de laquelle l'annonce, hier matin, de l'octroi d'une action de préférence au profit de l'État semble apporter un début de réponse -, nous nous demandons dans quelle mesure il n'existe pas une certaine porosité entre les services d'infogérance, rassemblés dans l'entité Tech Foundations, et les activités intéressant la défense nationale. Même si les négociations exclusives avec Daniel Kretinsky n'ont pas abouti, votre groupe conserve un programme de cession d'actifs important, de l'ordre de 400 millions d'euros.

En d'autres termes, quand bien même les activités les plus sensibles d'Atos seraient préservées, dès lors que certains contrats de Tech Foundations relatifs à des services d'infogérance ont été passés avec des services du ministère des armées ou des entreprises sensibles de la base industrielle et technologique de défense (BITD), une cession de Tech Foundations à un acteur étranger pourrait être porteuse d'un risque d'ingérence. Nous souhaiterions que vous nous éclairiez sur la réalité d'un tel risque.

Nous souhaiterions également vous entendre sur la décision de l'État d'octroyer à Atos un prêt de 50 millions d'euros en échange d'une action de préférence dans Bull SA. Vous pourrez nous présenter les droits attachés à cette action et nous expliquer dans quelle mesure ce dispositif doit effectivement permettre de sécuriser certaines activités souveraines, tout en précisant le périmètre des activités concernées. Nous souhaiterions également que vous nous précisiez si cette action de préférence prendra fin lorsqu'un accord de refinancement aura été conclu, ou si celle-ci a vocation à perdurer par la suite.

Enfin, Atos est devenu au cours des dernières années un acteur majeur dans le domaine du quantique. La loi de programmation militaire (LPM) que nous avons votée à l'été dernier a bien mis en avant l'importance que prendra ce domaine dans les années à venir. Les projets de cession d'activités envisagés par Atos sont-ils de nature à mettre en danger cette filière, qui peut désormais être considérée comme souveraine ?

Messieurs, vous l'aurez compris, votre audition était attendue et nous souhaitons que vous apportiez des réponses précises à ces différentes questions, ainsi qu'à celles qui ne manqueront pas d'être soulevées par les rapporteurs et nos collègues des deux commissions.

M. Jean-Pierre Mustier, président du conseil d'administration d'Atos. - Merci, mesdames, messieurs les sénateurs, de nous recevoir.

S'agissant des questions de souveraineté et de l'accord que nous avons passé avec l'État, cette action de préférence lui donne des droits de gouvernance sur une filiale du groupe, Bull SA, qui regroupe une grande partie de nos activités dites « sensibles » liées à la souveraineté. L'accord avec l'État prévoit que des activités extérieures à Bull SA puissent y être placées si l'action de préférence entre en jeu.

Au-delà de ces droits de gouvernance, l'action de préférence permet un certain nombre d'accords avec l'État et la gestion d'une série de sujets opérationnels. Parmi ceux-ci, la capacité donnée à l'État d'acquérir les activités sensibles si l'actionnariat d'Atos venait à changer, notamment dans le cas où l'arrivée d'actionnaires qui ne seraient pas français ou considérés comme incompatibles avec les sujets de souveraineté nécessiterait une telle évolution.

Nos activités sensibles, je tiens à le souligner, s'inscrivent dans un cadre très protégé : séparées, elles s'effectuent dans des conditions strictes pour l'ensemble des employés concernés, de manière à assurer une totale confidentialité. Une accréditation défense leur est attribuée, à la différence de Paul Saleh et de moi-même, car nous ne pouvons ni ne devons en connaître le détail. Cette action de préférence va nous permettre d'aller plus loin pour protéger ces activités, au cas où la restructuration industrielle d'Atos amènerait un changement d'actionnariat.

Quant au devenir de cette action de préférence, elle demeurera bien au-delà de l'accord de refinancement et du remboursement du prêt de 50 millions d'euros accordé par l'État. Ce prêt, négocié avec le comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri), a été conçu de manière à compléter les lignes de financement accordées par les banques, à hauteur de 300 millions d'euros, et par nos investisseurs obligataires. De court terme, lesdites lignes permettent de s'assurer qu'Atos disposera des coussins de liquidités nécessaires pour aller jusqu'à la négociation d'un accord de refinancement avec l'ensemble de nos créditeurs.

Grâce à cet accord de refinancement, le groupe pourra assurer la continuité de ses activités opérationnelles, essentielle pour les salariés d'Atos. J'en profite pour saluer le travail extraordinaire que ces derniers ont accompli, à l'étranger et en France : dans une situation médiatiquement difficile, ils restent malgré tout fidèles au groupe.

Après ces accords sur les liquidités et le lancement de cette phase de restructuration, nous sommes donc très confiants pour l'avenir du groupe, comme le sont nos salariés et nos clients. Vous pouvez l'être également, qu'il s'agisse du développement de nos activités sensibles ou des jeux Olympiques et Paralympiques, pour lesquels Atos sera au rendez-vous.

M. Paul Saleh, directeur général d'Atos. - Citoyen américain, je vous prie de m'excuser par avance si je cherche certains de mes mots. Atos est effectivement une entreprise très reconnue dans le secteur numérique, avec un chiffre d'affaires d'environ 10,7 milliards d'euros et 95 000 collaborateurs, dont 80 000 ingénieurs, ce qui explique que nous détenions plus de 2 000 brevets et plus de 400 000 certifications. Cela fait de nous une entreprise exceptionnelle, à la pointe du numérique.

Notre taux de rétention des talents s'établit à 88 %, contre 84 % en moyenne dans l'industrie : cela démontre que nos collaborateurs, qui servent nos clients avec talent, sont loyaux et qu'ils constituent une véritable force pour l'entreprise. Nous disposons également d'académies implantées un peu partout sur la planète, ce qui leur permet de se former dans les domaines les plus avancés.

Si nos difficultés ne sont pas de nature opérationnelle, nous devons encore rectifier une série d'aspects qui auraient pu être corrigés plus tôt. Nous avons encore du travail à accomplir pour prendre toute notre part dans la croissance du secteur numérique et trouver une solution à la dette que nous avons à assumer.

Mme Sophie Primas, rapporteur de la commission des affaires économiques. - À mon tour de vous remercier de votre présence parmi nous : votre audition devant notre Haute assemblée tombe à point nommé. Je vous remercie également pour la qualité du document que vous nous avez transmis : extrêmement précis et complet, il nous a permis d'affiner nos connaissances.

Nous avons bien pris acte de l'ouverture d'une procédure amiable de conciliation qui devrait vous permettre, d'ici à la fin du mois de juillet, de déterminer précisément le plan de refinancement du groupe Atos auprès de ses principaux créanciers.

Néanmoins, une telle procédure n'est valable que si Atos évite la cessation de paiements. C'est pourquoi il nous faut considérer avec sérieux votre annonce d'un besoin total de liquidités à hauteur de 1,2 milliard d'euros sur l'année à venir.

Face à cette urgence financière et dans l'attente de la conclusion d'un accord d'ici à fin juillet, un financement intermédiaire de 400 millions d'euros a été annoncé - alors qu'il a été fait mention de 300 millions d'euros précédemment -, complété d'un prêt de l'État de 50 millions d'euros octroyé par l'intermédiaire du fonds pour le développement économique et social (FDES).

Afin de bien comprendre et de bien préciser les choses, ces 450 millions d'euros viennent-ils en déduction ou en addition du 1,2 milliard d'euros de besoins de liquidités qui est souvent évoqué ?

En tout état de cause, il s'agit d'une solution temporaire et transitoire qui constitue certes un « coussin » de liquidités supplémentaire, mais qui ne permet en aucun cas à Atos d'avoir l'« assise » nécessaire pour développer un projet stratégique et industriel de long terme.

Encore une fois, nous constatons avec regret que « l'État pompier » s'est substitué à « l'État stratège » et n'est pas intervenu de manière suffisamment rapide. Car la souveraineté de la France, qui passe par certaines des activités d'Atos, ne se résume pas uniquement à l'activité de fabrication de supercalculateurs, aussi primordiale soit-elle. Le groupe est présent « partout, tout le temps » : il est indispensable au fonctionnement de nos centrales nucléaires et de nombreux services publics, dont les transports ; il est indispensable à la gestion de nos données de santé, de retraite, ou encore à la sécurisation informatique des jeux Olympiques et Paralympiques, et même, nous dit-on, au calcul de la performance des athlètes.

Avec une dette financière totale évaluée à 4,9 milliards d'euros et un objectif de réduction de celle-ci de 2,4 milliards d'euros d'ici à fin 2026, comment comptez-vous concrètement réduire l'endettement du groupe ? Quelle entité - Eviden, Tech Foundations, les deux - portera la charge de l'endettement ?

L'annonce récente du cadre de refinancement d'Atos n'exclut en aucun cas des futures cessions d'actifs, y compris dans l'éventualité d'un accord conclu avec les principaux créanciers de l'entreprise.

Au cours des très nombreuses auditions que nous avons menées, un élément m'a particulièrement marquée : l'hypothèse d'un maintien entier du groupe n'est presque jamais abordée, souhaitée ou, en tout cas, considérée - en premier lieu, d'ailleurs, par les services de l'État. Aujourd'hui, le maintien en entier du groupe Atos est-il une solution envisagée ? Est-elle celle qui a votre préférence ? Sinon, que projetez-vous de faire ?

Il semble que des logiques financières de court terme aient pris le pas sur des logiques industrielles de long terme. Mentionnons, déjà, une scission du groupe en deux entités qui a été très fortement contestée et une délimitation des activités - suggérée probablement par des cabinets de conseil - dont la pertinence demeure encore à démontrer. Mentionnons, ensuite, le fait que les récentes annonces concernent un « cadre de refinancement » et un « plan d'affaires », absolument pas un « plan stratégique » et encore moins une « vision industrielle de long terme ».

Quelle stratégie industrielle voulez-vous déployer pour le groupe Atos, à court et moyen termes ? Quel souffle, quelles impulsions comptez-vous lui donner dans les prochains mois et, surtout, dans les prochaines années ?

M. Fabien Gay, rapporteur de la commission des affaires économiques. - Je vous remercie également de votre présence cet après-midi et des éléments extrêmement complets que vous nous avez adressés en réponse au questionnaire que nous vous avons transmis.

Les annonces des deux derniers jours se veulent rassurantes, mais je ne vous cache pas que nos inquiétudes et nos préoccupations quant à l'avenir du groupe Atos subsistent, en particulier après le travail d'approfondissement que nous avons mené.

Le maintien du groupe Atos en entier, fleuron informatique français dont l'importance pour la souveraineté de notre pays n'est plus à démontrer, semble complexe, voire - vous me pardonnerez l'expression - mal embarqué. Nous le regrettons. Ce que par-dessus tout je ne souhaite pas, c'est une vente à la découpe à la barre du tribunal de commerce qui serait organisée sous l'égide de la conciliatrice nommée dans le cadre de la procédure de conciliation amiable. Des entreprises n'ayant pas voulu racheter lors du premier tour pourraient alors se positionner aux deuxième et troisième tours, tels des rapaces, pour acheter et dépecer Atos.

Le groupe - en particulier sa branche dite d'infogérance, Tech Foundations - fait déjà l'objet de restructurations importantes, notamment en Allemagne où plusieurs milliers d'emplois ont déjà été supprimés. Ces restructurations doivent se poursuivre, d'autant que le chiffre d'affaires et la croissance de cette branche - qui reste a priori rentable - continuent de diminuer.

Il avait été question qu'elle soit reprise par la société EPEI de Daniel Kretinsky, mais les négociations exclusives avec Atos se sont terminées le 28 février dernier. Je reste persuadé que cette société n'exclut pas de se positionner de nouveau, au deuxième ou au troisième tour des négociations et à la barre du tribunal de commerce. Cette dimension pose question dans la mesure où Daniel Kretinsky est connu comme le champion du redimensionnement et de la réorganisation, c'est-à-dire, en clair, des suppressions d'emplois.

De votre point de vue, la cession de la branche Tech Foundations est-elle toujours d'actualité ? Quelles sont les garanties économiques et sociales de préservation de l'emploi et de l'outil industriel qui seront imposées à son futur repreneur ?

Je me permets d'insister sur ce point, car cette question est souvent oubliée. J'ai pu le constater à de nombreuses reprises lors des auditions que nous avons menées ces dernières semaines, notamment avec les représentants de l'intersyndicale, auxquels je tiens à apporter ici toute ma solidarité.

Je ne peux donc regarder qu'avec inquiétude l'avenir des 10 000 salariés du groupe présents en France et des différents sites de recherche et de production, en particulier celui de l'usine d'Angers de fabrication des supercalculateurs, qui permet à la France d'assurer son rang dans la compétition mondiale pour la puissance de calcul, aux côtés des États-Unis et de la Chine. Comme vous l'avez souligné, la force majeure d'Atos réside dans ses salariés, il est donc important que nous sachions si ces derniers pourront prolonger leur activité.

Il en est de même pour les autres cessions d'actifs envisagés. Au regard de la fin des négociations exclusives avec Airbus, que l'État n'a pas suffisamment soutenu dans sa démarche, la cession de tout ou partie des activités de la branche Big Data & Cybersecurity (BDS) est-elle également d'actualité ? Par un ou plusieurs repreneurs industriels français réunis en consortium ? Des garanties économiques et sociales seront-elles fixées ?

Disons-le clairement : le cadre de refinancement annoncé nous semble un peu fragile. D'abord, parce qu'il ne détaille pas la façon dont l'entreprise va réduire son endettement de moitié d'ici à fin 2026. Ensuite, parce qu'il repose sur la bonne coopération des créanciers, qui devraient renoncer à une partie significative de leurs créances, et des actionnaires, qui devraient soit apporter de nouveaux fonds, soit accepter une forte dilution du capital. Enfin, parce qu'il n'exclut en aucun cas des cessions d'actifs qui fragiliseraient sans doute encore un peu plus l'avenir d'un grand groupe français.

M. Jean-Pierre Mustier. - La mission du conseil d'administration consiste à préserver l'intérêt social du groupe, c'est-à-dire, dans l'ordre, les employés, les clients, les créditeurs et les actionnaires. C'est bien ainsi que nous souhaitons mener la démarche de réception des propositions d'apporteurs de capital, qu'il s'agisse de créanciers, d'actionnaires ou de toute autre personne ou entité susceptibles d'être intéressée par le groupe.

Nous dépouillerons ces différentes propositions dans l'idée de trouver un accord qui corresponde le mieux à notre vision de la soutenabilité des activités d'Atos. Ce cadre étant annoncé, nous ne pouvons pas, à ce stade, préjuger du résultat du dépouillement, qui dépendra de la nature des plans qui nous seront proposés.

Notre vision industrielle consiste à maintenir le groupe dans son ensemble, mais la décision, in fine, sera prise par un vote des différentes classes d'actifs, à savoir les créditeurs d'un côté et les actionnaires de l'autre. Le conseil d'administration, comme le management, n'est là que pour faciliter un processus qui sera ensuite validé par ces parties prenantes.

Par ailleurs, il est bien question de 400 millions d'euros d'apports de liquidités de court terme, dont 300 millions d'euros provenant des banques et 100 millions d'euros des investisseurs obligataires. Les 50 millions d'euros apportés par l'État s'y ajoutent et nous permettent de disposer des coussins de liquidités qui, je le répète, nous mettent en position d'avoir toute confiance dans l'avenir de la société, dans la pérennité des emplois et dans notre capacité à servir nos clients.

M. Paul Saleh. - Vous avez mentionné un besoin total de liquidités s'élevant à 1,2 milliard d'euros. Plus précisément, 600 millions d'euros sont nécessaires pour soutenir l'entreprise sur la période 2024-2025, à l'issue de laquelle elle générera du cash. Les 600 millions d'euros restants apportent une flexibilité financière nécessaire à l'entreprise, avec 300 millions d'euros qui viendraient s'inscrire dans une ligne de crédit et 300 millions d'euros qui constitueraient des garanties bancaires.

S'agissant de la répartition de la dette, la situation n'est pas modifiée dans la mesure où la compagnie mère, Atos SE, assume la charge de l'endettement.

Notre stratégie, ensuite, a été façonnée en partant du postulat que nous allions maintenir l'ensemble des actifs du groupe, postulat qui permet justement de soutenir l'entreprise. Nous avons aussi clarifié la stratégie de la compagnie en lien avec les investisseurs : je vous enverrai, si nécessaire, l'ensemble des contributions ayant permis de clarifier notre vision industrielle.

Dans le détail, une partie des actifs est située au niveau de Tech Foundations et couvre aussi bien l'infogérance que l'environnement informatique des utilisateurs. Dans ce domaine, nous continuerons à accompagner nos clients dans leur transformation vers un cloud hybride. Pour ce qui concerne Eviden, nous continuerons à nous adapter aux besoins de nos clients dans des secteurs très avancés ou à forte valeur ajoutée, tels que les supercalculateurs ou l'intelligence artificielle (IA).

Notre stratégie et notre vision sont donc très claires. Si nous avons consacré un certain temps à scinder Eviden et Tech Foundations, cette opération était nécessaire. Ces entités servaient effectivement des clients différents et n'avaient pas les mêmes besoins en investissements, même si elles faisaient formellement partie de la même organisation. Pour autant, elles continuent à échanger, de manière à fournir des solutions complètes à nos clients.

Par ailleurs, les garanties apportées aux employés de la branche infogérance ont déjà été présentées dans le cadre de la vente à EP Equity Investment (EPEI) qui a été un temps envisagée. Même si ce scénario a été abandonné, nous continuons à honorer les conditions alors négociées, rien n'ayant changé sur ce plan.

Enfin, comme l'a indiqué Jean-Pierre Mustier, nous ne sommes pas en mesure de détailler les modalités de réduction de notre dette dans l'immédiat puisque nous sommes dans l'attente des propositions de nos investisseurs et créanciers. En tout état de cause, il s'agira pour nous de préserver l'intérêt social du groupe, en particulier nos salariés et nos clients.

M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères. - Vous n'avez pas répondu à mon interrogation relative à une éventuelle porosité entre l'entité Tech Foundations et les activités intéressant la défense nationale.

Par ailleurs, monsieur le président, avez-vous bien indiqué que les activités sensibles qui ne sont pas actuellement logées dans Bull SA pourraient y être rapatriées en cas de mise en oeuvre de l'action de préférence ?

M. Thierry Meignen, rapporteur de la commission des affaires étrangères. - Nous avons pu constater le caractère stratégique de certaines activités d'Atos lors des auditions que nous avons menées. Des inquiétudes légitimes ont par conséquent pu s'exprimer sur les projets de rachat de ces activités ou encore sur le risque d'une montée au capital d'acteurs étrangers.

Le président de Onepoint, David Layani - désormais actionnaire de référence d'Atos avec 11,4 % du capital - a récemment présenté un plan pour le groupe avec l'ambition de faire d'Atos « l'Airbus du cyber et du digital ».

Or en novembre dernier, Onepoint - qui est, je le rappelle, une société française - a réalisé une opération de refinancement auprès du fonds américain Carlyle pour un montant de 500 millions d'euros. À ce stade, cette opération n'a pas changé la structure de l'actionnariat de Onepoint, qui demeure détenu par M. Layani et ses salariés.

Néanmoins, les ambitions de Onepoint vont conduire la société à lever des fonds ou à chercher des partenaires, le cas échéant auprès d'acteurs étrangers, comme l'a illustré l'annonce du soutien de Butler Industries au projet porté par M. Layani.

Un « verrouillage » vous semble-t-il possible pour garantir que des acteurs étrangers ne puissent pas intervenir dans les activités les plus sensibles d'Atos ? Des mesures similaires ont-elles été prises par le passé ?

Je souhaiterais également que vous nous éclairiez sur les conditions de mise en oeuvre des droits attachés à l'action de préférence dont bénéficiera l'État en contrepartie d'un prêt de 50 millions d'euros. Il est prévu qu'il puisse acquérir des activités souveraines en cas de franchissement par un tiers du seuil de 10 % ou d'un multiple de 10 % du capital ou des droits de vote.

Ce dispositif peut-il déjà s'appliquer dans la mesure où Onepoint dispose de 11,4 % du capital d'Atos ? S'appliquera-t-il si la structure du capital de Onepoint venait à évoluer ?

Plus généralement, le conseil d'administration et la direction générale ont-ils été informés des détails du plan de M. Layani pour Atos et, dans cette hypothèse, pourriez-vous nous indiquer comment celui-ci a été accueilli par les instances dirigeantes du groupe ?

Enfin, dans le cadre des différents scénarios étudiés par Atos pour réduire son niveau d'endettement, une transformation des créances en actions, qui se traduirait par une montée au capital de banques étrangères, est-elle envisageable ? Si oui, pourriez-vous nous indiquer si, au regard de la structure actuelle des créanciers d'Atos, cette situation pourrait conduire ces acteurs à jouer un rôle dans la gouvernance du groupe ?

M. Jean-Pierre Mustier. - S'agissant des accords passés avec l'État dans le cadre de l'octroi d'une action de préférence dans Bull SA, je rappelle que cette entité abrite actuellement une grande partie des activités sensibles d'Atos. Si quelques activités de ce type peuvent être en dehors du périmètre, nous tâcherons de les regrouper, dans le cadre de cet accord avec l'État, sous le même « chapeau ».

Une fois encore, notre cadre de travail est déjà très sécurisé puisque le personnel dispose d'habilitations spécifiques. Il n'existe aucune porosité entre les activités, les employés extérieurs aux activités sensibles ne prenant aucunement connaissance de leur contenu. Ce principe de fonctionnement sera maintenu.

Le cadre mis en place par l'action de préférence offre une série de droits et de pouvoirs de contrôle de l'État allant jusqu'à un possible rachat de ces activités. Je peux vous donner une garantie totale du fait que, quel que soit l'actionnariat final de notre société après d'éventuelles restructurations, l'État pourra agir et actionner ce droit de rachat de certaines activités.

J'ai lu avec attention le communiqué du ministère de l'économie et des finances en date du 9 avril, qui mentionne « une première étape dans la protection des activités stratégiques du groupe ». Vous ne manquerez pas de m'interroger sur les étapes ultérieures, et vous m'excuserez d'anticiper en rappelant que l'État est déjà intervenu, à titre d'actionnaire minoritaire, pour protéger les activités sensibles de sociétés telles qu'Airbus et Safran. Je ne pense pas que l'État ait déjà en tête une intervention au niveau d'Atos SE, mais, à l'avenir, notre activité BDS pourrait susciter son intérêt et l'inciter à investir en tant qu'actionnaire minoritaire. Une telle opération devra bien sûr être réalisée dans des conditions de valorisation cohérentes avec l'équilibre de notre dette, mais elle permettrait à l'État de renforcer sa présence en disposant d'administrateurs dotés d'un pouvoir décisionnaire à l'intérieur de BDS, tout en maintenant les droits liés à l'action de préférence.

Les actions entreprises actuellement doivent donc vous rassurer : quelle que soit l'évolution du groupe, le problème de souveraineté est réglé et complètement sous contrôle, tandis que les activités sensibles seront protégées par cette possibilité de prise de contrôle par l'État. L'intervention de ce dernier par le biais d'un prêt de 50 millions d'euros et d'une action de préférence a été tout à fait décisive de ce point de vue, d'où notre engagement, pris auprès du Ciri, de protéger en retour la souveraineté de l'État.

M. Paul Saleh. - Nous travaillons étroitement avec Onepoint et son dirigeant M. Layani, et nous nous félicitons qu'il propose une solution pour l'entreprise, car il joue le rôle de pierre angulaire. Nous étudierons sa proposition en la mettant en perspective avec les autres solutions qui devraient nous être remises d'ici au 26 avril, toujours avec l'objectif de préserver l'intérêt social du groupe et les activités impliquant des enjeux de souveraineté pour l'État français.

M. Jérôme Darras, rapporteur de la commission des affaires étrangères. - Comme l'a souligné le président Cédric Perrin, certaines activités d'Atos participent pleinement de notre souveraineté. Je pense évidemment à la dissuasion, dont le programme de simulation numérique repose sur les supercalculateurs développés par Atos.

L'activité de calcul de haute performance (HPC) d'Atos est très spécifique. Elle nécessite des investissements importants et réguliers pour se maintenir au niveau alors que les commandes, au regard des coûts d'achat, sont par nature espacées avec en moyenne une acquisition par l'État tous les quatre ou cinq ans.

L'histoire du programme nucléaire français nous rappelle toute l'importance de disposer d'une filière nationale de supercalculateurs. Je rappelle qu'à ses débuts, le programme de simulation français reposait sur des calculateurs haute performance américains. Or les États-Unis n'ont pas toujours fait preuve de diligence dans la livraison de ces matériels. On peut citer l'épisode de 1967 et le retrait de la France du commandement intégré de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), qui s'est traduit par la vente de technologies moins performantes, ou celui de 1981 avec l'alternance politique en France, qui a vu des retards dans la livraison de certains matériels américains.

À l'époque, notre dépendance à l'égard des États-Unis, bien que problématique, ne remettait pas fondamentalement en cause la dissuasion nucléaire. Mais, depuis la fin des essais nucléaires et la nécessité de les simuler, de telles contraintes ne sont plus compatibles avec l'impératif d'optimisation constante de notre dissuasion. C'est ce qui a conduit l'État à mettre en place une stratégie nationale de calcul de haute performance reposant sur un co-développement avec Atos.

Nous sommes aujourd'hui placés face à la nécessité absolue de garantir la pérennité de cette filière souveraine de supercalculateurs, en dépit des difficultés rencontrées par votre groupe. Aussi, pourriez-vous nous confirmer que la situation financière d'Atos lui a bien permis de maintenir un flux suffisant d'investissements dans l'activité HPC pour en assurer la viabilité et en garantir la compétitivité ?

Plus généralement, dans l'hypothèse où l'activité BDS ne serait pas cédée - scénario envisageable depuis la fin des discussions avec Airbus -, comment le groupe Atos entend-il s'assurer de la pérennité de cette filière souveraine ?

Enfin, au-delà de l'action de préférence dont va bénéficier l'État dans Bull SA en contrepartie de l'octroi d'un prêt de 50 millions d'euros, quel rôle l'État vous semble-t-il devoir jouer en la matière ? Au cours des auditions, il nous a par exemple été indiqué que le niveau de financement public dont bénéficie Atos au titre de cette activité était très faible et significativement inférieur au soutien apporté, par exemple, par le gouvernement américain à Hewlett Packard (HP).

M. Paul Saleh. - Vous avez tout à fait raison sur les importants investissements que nécessite l'activité HPC : nous les avons réalisés de manière continue, ce qui nous permet d'occuper aujourd'hui une excellente position à l'échelle mondiale et de disposer de brevets incroyables.

Vous avez également raison de pointer l'espacement entre les commandes, mais celles-ci sont désormais très nombreuses pour ce type de machines, d'autant plus que l'IA nécessite des calculs de plus en plus avancés. De surcroît, nous détenons des brevets sur les systèmes de refroidissement de ces supercalculateurs et nous sommes la seule entreprise proposant d'importantes économies d'énergie en la matière, ce qui nous fournit un atout de premier ordre.

Ces investissements indispensables sont intégrés aux 600 millions d'euros de nouveaux fonds dont j'ai mentionné la nécessité pour la période 2024-2025, l'entreprise devant ensuite dégager d'importants résultats à compter de 2026. Je n'ai aucun doute sur notre capacité à continuer à investir dans ce domaine, qui représente un fleuron français et européen dans la mesure où plusieurs centres de recherche soutiennent cette activité sur le continent.

Mme Sophie Primas, rapporteur de la commission des affaires économiques. - J'ai bien compris que la dette était détenue par Atos SE. Néanmoins, quelques mois plus tôt, il était question de scinder l'entreprise en deux parties avec Eviden d'un côté et Tech Foundations de l'autre, sans que nous ayons bien saisi si la première entité était censée emporter tout ou partie de la dette. De nouveau, à qui appartient la dette parmi les entités et sociétés du groupe ? La question est d'autant plus pertinente dans l'hypothèse où le groupe viendrait à être découpé en plusieurs parties, même si vous avez exprimé la volonté - et nous nous en réjouissons - de le maintenir dans son ensemble.

Par ailleurs, vous avez évoqué votre vision de la soutenabilité de l'entreprise : pourriez-vous préciser celle-ci ?

Enfin, où en est la restructuration de Tech Foundations ? Celle-ci concerne au premier chef l'Allemagne, mais également la France, et nous souhaiterions connaître son état d'avancement.

M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères. - Nous nous sommes peut-être mal compris sur la porosité, qui fait écho aux propos que vient de tenir Mme Primas. Si les activités d'infogérance devaient se retrouver en difficulté, considérez-vous que les activités de défense seraient elles aussi concernées ?

M. Paul Saleh. - Comme vous l'avez indiqué, Atos SE porte toute la dette. Lorsque nous travaillions sur une hypothèse de vente de Tech Foundations à Daniel Kretinsky, la dette devait rester du côté d'Eviden. Un schéma de refinancement de cette dette avait également été élaboré et prévoyait à la fois une extension des délais pour les banques ; une nouvelle levée de fonds de l'ordre de 180 millions d'euros auprès de Daniel Kretinsky pour une valorisation, à l'époque, de 20 euros par action ; enfin, une levée de fonds sur le marché à hauteur de 700 millions d'euros. Dans cette hypothèse, près de 900 millions d'euros auraient donc été disponibles pour réduire une dette qui, une fois encore, serait restée au niveau de la même entité juridique - Eviden.

Ce schéma n'est plus d'actualité puisque Tech Foundations reste dans le giron du groupe, tout comme Eviden. Les deux entités sont détenues par Atos SE, qui porte la charge de la dette. Nous travaillerons avec nos créanciers à la réduction de celle-ci, sans connaître pour l'instant la méthode qui sera utilisée.

Sur la question de la soutenabilité, je rappelle que l'entreprise dispose d'atouts incroyables, au premier rang desquels nos collaborateurs, mais également nos brevets et notre expertise. Nous pourrons donc continuer à jouer un rôle majeur dans le secteur du numérique.

Outre la réduction de la dette, nous devons continuer à transformer notre organisation, ce qui passera par une interrogation sur nos coûts, bien plus élevés que ceux de nos concurrents, notamment en raison du fait que nous employons de nombreux collaborateurs en Europe.

Du reste, nous avons déjà exécuté 55 % du programme de restructuration et de transformation annoncé avant notre nomination.

M. Fabien Gay, rapporteur de la commission des affaires économiques. - Je comprends que vous teniez à rester flous sur certains sujets... Mais j'insiste sur la question de la soutenabilité et de la vision stratégique. Nous avons entendu plusieurs versions : certains nous ont expliqué qu'il était difficile de séparer les activités du groupe ; d'autres ont affirmé que la séparation ne posait aucun problème ; d'autres encore qu'elle fonctionnerait si on l'organisait différemment. Dans ce contexte, nous avons besoin de connaître votre vision stratégique.

La soutenabilité même du groupe pose question. Est-il possible de garder un groupe uni avec 5 milliards d'euros de dettes, sachant que vous allez devoir sortir 2 milliards d'euros dans les dix-huit prochains mois ?

Pensez-vous à une cession d'actifs ? À qui ? Airbus a renoncé au rachat des activités BDS, qui ne semblent pas intéresser grand monde... On parle toutefois de Worldgrid qui pourrait intéresser EDF, voire l'une de ses filiales. Pensez-vous pouvoir garder le groupe ?

Vous affirmez que 55 % de la restructuration de Tech Foundations est déjà accomplie. Qu'entendez-vous par-là ? La « restructuration » est un terme technique pour désigner les licenciements. Ainsi, combien de licenciements sont encore prévus en France ? Je pense que votre réponse à cette question intéresse la représentation nationale.

M. Jean-Pierre Mustier. - Nous n'avons pas de réponse claire à vous donner sur l'avenir du groupe. Je le répète, nous avons proposé aux différents apporteurs de capital un plan d'action qui se déroule aujourd'hui avec un groupe uni. Or il n'est plus dans nos mains. Le conseil d'administration et le management, sous l'égide du conciliateur, feront en sorte que ce plan soit acceptable par les différentes classes de parties prenantes - créditeurs et actionnaires - qui seront amenées à le voter. Le conseil d'administration, lui, ne décidera de rien.

Pour notre part, nous souhaitons que le groupe reste uni, mais nous ignorons les propositions qui nous seront présentées. Bien entendu, nous communiquerons la décision aux employés et aux marchés ; vous en serez également informés.

Quel est le niveau de dette acceptable en termes de soutenabilité ? Le plan proposé envisage une réduction de 50 %, mais la méthode n'est pas définie : un actionnaire qui apporte un très gros montant d'argent permettra sans doute de la rembourser ; autrement, les différents actionnaires peuvent proposer un accord sur un apport en capital pour effacer la dette en la convertissant en actions.

Voilà pourquoi nous ne voulons pas préjuger de la solution et vous donner de résultats - il ne s'agit pas de mauvaise volonté de notre part.

En revanche, nous savons que le plan proposé par le management et revu par le conseil d'administration nous permet d'envisager la soutenabilité du groupe. Nous avons des prévisions de liquidités et de profitabilité à venir. Grâce à l'amortissement de la dette, le groupe atteindra un rating lui assurant une levée de dette sur le marché à un horizon relativement proche.

Nous sommes très confiants sur l'avenir du groupe à court terme, compte tenu des liquidités qui nous ont été fournies par les banques, les créanciers obligataires et l'État, ainsi qu'à moyen terme. En France, aucun grand groupe comme Atos ne s'est retrouvé sans solution dans le cadre d'une procédure de conciliation. Nous sommes certains que des apporteurs de capital, en fonds propres ou en dette, nous permettront d'assurer la soutenabilité du groupe. Mais encore faut-il que la dette soit effacée de 50 %...

Les repreneurs pourront éventuellement présenter d'autres plans, mais le conseil d'administration veillera à recommander une solution à même de garantir notre soutenabilité.

M. Paul Saleh. - Je tiens de nouveau à le souligner : le plan que nous avons partagé avec les créanciers et le marché concerne le groupe dans son ensemble, sans séparation d'actifs. Toutes les projections financières sont très claires et nous avons détaillé la stratégie envisagée pour chacun des actifs. Le plan fait aussi état des actions que nous devrons entreprendre dans les prochaines années. C'est donc bien d'un plan complet qu'il s'agit.

Nous continuerons à gérer les sociétés indépendamment l'une de l'autre. Elles ont été séparées pour des besoins très spécifiques, pour poursuivre des stratégies indépendantes. Avant, toutes les activités étaient entrelacées et les choses n'étaient pas aussi claires. Mais il reste des domaines dans lesquels les deux sociétés peuvent créer des solutions communes. Au demeurant, je conteste l'idée selon laquelle cette séparation n'aurait pas été bien faite.

Avant que M. Mustier et moi-même soyons nommés, le groupe avait partagé avec le marché un plan de restructuration dont l'ampleur était inédite en Europe, et même dans le monde. Il s'agissait, à terme, de supprimer environ 7 000 postes. Nous en avons déjà supprimé certains ou nous les avons remplacés. Certains employés ont quitté la société volontairement, les autres ont reçu des compensations au moment de leur départ. Beaucoup de ces employés étaient allemands.

M. Jean-Pierre Mustier. - Si la scission en deux entités n'avait pas déjà été effectuée, et s'il nous fallait définir la manière de mieux gérer le groupe, nous ferions cette séparation. La séparation doit être conçue en termes de gestion opérationnelle et, en ce sens, c'est une bonne décision. Les deux métiers - Tech Foundations et BDS - ont effectivement des dynamiques très différentes. Or des activités en décroissance et des activités en croissance ne se gèrent pas de la même manière. D'où la nécessité de les séparer d'un point de vue opérationnel et stratégique, même si elles continuent d'appartenir à un groupe uni.

M. Jean-Luc Ruelle. - En effet, jamais un grand groupe comme Atos en France n'a raté sa restructuration financière. Je suis donc tout aussi confiant que vous, sachant que les choses vont se faire très rapidement.

En revanche, je m'interroge sur l'un des aspects de votre redressement. Vous prétendez que celui-ci n'est pas opérationnel. Je n'en suis pas si sûr : pour assurer la soutenabilité du groupe, le modèle de redressement prévoit que votre chiffre d'affaires devra être de l'ordre de 11,5 milliards d'euros en 2027, avec une marge opérationnelle de 10,3 % - elle n'était que de 3,1 % en 2023 et atteindra seulement 4,3 % en 2024.

Le différentiel d'ici à 2027 est considérable ! Comment pensez-vous réussir, d'autant que la marge opérationnelle est très dépendante de vos coûts salariaux et des coûts de sous-traitance ? D'ailleurs, le plan de restructuration a-t-il des effets sur vos coûts et votre marge opérationnelle de 2024 ?

L'année 2024 sera assez décevante, même si la perte sera un peu moins forte que les années précédentes. En 2021, 2022 et 2023, elle était respectivement de 3 milliards, 1 milliard et 3,4 milliards d'euros.

Vous allez donc brûler du cash. Vous avez véritablement intérêt à assurer la performance financière prévue pour 2027, sans quoi tout s'écroulera. Atteindre une marge opérationnelle de 10,3 % est même un impératif lorsqu'on sait que celles de Capgemini et d'Accenture sont respectivement de 13 % et de 16 %. Votre marge opérationnelle actuelle est aberrante dans votre secteur de métier.

M. Paul Saleh. - Nous avons tous les atouts pour réussir le plan que nous avons présenté au marché ; il ne manque pas d'actifs, par exemple. Il ne s'agit pas d'exécuter un plan opérationnel qui n'aurait jamais été accompli : toutes les sociétés que vous avez citées ont déjà fait ce genre de travail. Notre groupe est simplement en retard. C'est pourquoi nous avons entrepris un certain nombre d'actions dès 2023 et nous finirons d'exécuter ce plan très rapidement ; c'est d'ailleurs ce que reflètent nos résultats financiers. Le montant d'investissements à réaliser est assez important...

En effet, l'année 2024 ne sera pas aussi satisfaisante que prévu. Les six premiers mois de l'année, nos clients sont bien plus réservés à nous donner des contrats, faute d'une visibilité claire sur la réduction de notre dette ou l'obtention de liquidités à long terme. Nous avons donc revu nos prévisions : à l'origine, nous misions sur une croissance de revenus bien plus importante grâce à un coût réduit. Il convient donc de résoudre le problème de coût fixe.

Je ne minimise pas le travail à accomplir : il est important. Mais ce n'est pas comme si aucune entreprise ne l'avait fait avant !

M. Jean-Pierre Mustier. - Le conseil d'administration fait pleinement confiance à l'équipe de management pour obtenir les résultats et la profitabilité escomptés. Nos employés font confiance au groupe : en janvier 2024, le taux de démission a été le plus bas depuis plusieurs années. La société sait conserver ses collaborateurs, notamment parce qu'elle leur offre une formation et la possibilité de passer un certain nombre d'examens et de validations. Ils sont donc bien meilleurs que les salariés qui travaillent chez nos compétiteurs.

Nous remercions nos employés et nous savons pouvoir compter sur eux. Mais il faut aussi les rassurer et tuer tout le bruit médiatique détestable qui s'est abattu sur Atos. Certains se sont permis de commenter de manière publique l'avenir de la société et ce qui pouvait s'y passer sans aucun respect pour les employés et les clients. Je crois que nous avons retrouvé une certaine sérénité. J'espère que les annonces récentes redonneront confiance.

Je sais que nous pouvions en douter auparavant, mais nous savons désormais que le groupe trouvera une solution, comme cela a toujours été le cas.

Nous pourrons ainsi renouveler nos contrats et attirer les clients. Aujourd'hui, notre rôle consiste à avancer le plus vite possible pour trouver une solution et la mettre en oeuvre rapidement. Cela aura pour bénéfice supplémentaire d'assurer une totale confiance envers le groupe et la soutenabilité de ses activités sensibles, essentielles à la souveraineté nationale.

M. François Bonneau. - Vous avez tout à fait raison de vouloir redonner de la confiance dans un contexte difficile. Mais le cours de votre action a tout de même baissé de 97 % depuis cinq ans. Il faut aussi que vous compreniez les inquiétudes des rapporteurs. Le fait de gérer deux activités aussi différentes n'est-il pas préjudiciable à l'ensemble du groupe ? Malheureusement, les performances semblent l'indiquer.

Les activités de cybersécurité sont ultrasensibles. Aussi, nous aimerions que vous puissiez nous rassurer, non pas sur la gestion de votre groupe, mais sur la pérennité de ces activités qui sont fondamentales pour la souveraineté française.

M. Jean-Pierre Mustier. - Nous l'avons dit, le groupe trouvera une solution, nous en sommes convaincus. Les activités sensibles qui sont liées à la souveraineté de notre sécurité informatique, à la défense et à l'énergie seront bel et bien pérennes. Nous serons d'ailleurs capables de les protéger même si la nature du repreneur ne s'avérait pas compatible avec les enjeux de souveraineté.

Il n'y a donc pas d'inquiétude à avoir. J'insiste : le management et le conseil d'administration s'engagent à ce que les activités sensibles soient bien protégées, quelle que soit la solution apportée par les repreneurs. L'État a d'ailleurs pris des mesures pour s'en assurer. Sa démarche est décisive et pourra sans doute être renforcée.

M. Paul Saleh. - Nos deux activités servent des marchés différents, mais elles relèvent d'un seul et même groupe et font partie de notre plan pour l'avenir - ce n'est pas parce qu'elles sont séparées qu'elles sont en conflit. Dans ce cadre, nos actions sont très claires.

Nos plans très détaillés et nos projections financières assureront la croissance de chacune de ces activités. Les clients souhaitent que notre société continue à les exercer malgré leur séparation. La réduction de notre dette et l'obtention de fonds permettront d'exécuter notre plan.

M. Jean-Pierre Mustier. - Je souhaiterais remettre les choses en perspective concernant la réduction de la dette. Par construction, nous n'avons plus 5 milliards d'euros de dettes : il n'en reste que la moitié, car, d'une manière ou d'une autre, la dette sera effacée.

La dette est aujourd'hui valorisée sur le marché à hauteur de 30 % de sa valeur faciale ; c'est assez faible, car les investisseurs ne sont pas prêts à monter jusqu'au niveau annoncé, compte tenu des incertitudes.

Contractuellement, la dette atteint bien 5 milliards d'euros, mais, compte tenu de ce qui sera négocié, elle sera d'un montant beaucoup plus faible à l'avenir.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. - Je suis contrainte de vous quitter pour rejoindre la conférence des présidents. Aussi, je passe le relais à M. Perrin. Au nom de la commission des affaires économiques, je vous remercie pour votre participation à cette audition, qui était particulièrement attendue. Vos propos sont rassurants et de nature à reconstruire la confiance à l'égard du groupe Atos.

Mme Sophie Primas, rapporteur de la commission des affaires économiques. - La réduction de la dette à 2,5 milliards d'euros fait partie du cahier des charges que vous vous êtes engagés à respecter pour assurer la continuité de votre entreprise.

On parle beaucoup de l'empreinte du groupe Atos en France, compte tenu des enjeux de souveraineté et de défense. L'acquisition de l'américain Syntel et son intégration au sein de votre groupe ont soulevé de nombreuses interrogations. La cession d'une partie de votre entreprise pourrait être une solution aux problèmes rencontrés. L'avez-vous envisagée ?

Depuis 2020, la gouvernance d'Atos a beaucoup évolué, avec la scission du poste de PDG entre le président et le directeur général. Je ne porte aucun jugement de valeur sur les personnes qui se sont succédé à la direction du groupe. Toutefois, comment éviter que la succession des dirigeants, qui implique des changements de stratégie, ne perturbe trop l'entreprise ?

M. Jean-Pierre Mustier. - Sur proposition du management, le conseil d'administration a étudié différents formats permettant de garantir l'intégrité du groupe. La solution présentée aux apporteurs de capital respecte bien cet objectif.

L'Union des actionnaires d'Atos constructifs (Udaac), dont j'ai rencontré l'un des coprésidents, Hervé Lecesne, la semaine dernière, a aussi formulé des propositions. Dans un communiqué de presse, elle a ainsi suggéré la vente de nos activités aux États-Unis.

Nous ne pensons pas que ce soit la solution. Certes, la vente d'un actif peut rapporter des liquidités au groupe et réduire facialement la dette. Mais nous vendons du résultat net et la soutenabilité de la dette dépendra du résultat net résiduel. Les États-Unis ayant une marge de profitabilité importante, les activités résiduelles nécessitent donc moins de dette. Le schéma reste inchangé. Soyez rassurés, nous avons étudié tous les aspects de la question...

Effectivement, la société a passé des années difficiles et des questions de gouvernance se sont posées, ce qui crée une forme d'anxiété, notamment parmi les employés. Nous faisons tout pour maintenir leur motivation, en garantissant la soutenabilité des activités, ce qui est aussi important pour nos clients. La gouvernance a évolué, et nous sommes proches d'une solution. La phase d'incertitude prendra donc bientôt fin, nous pourrons alors envoyer un message clair aux actionnaires et aux employés sur l'évolution de la société.

M. Fabien Gay, rapporteur de la commission des affaires économiques. - Je renouvelle mes remerciements pour vos réponses. Tous, nous avons envie, très sincèrement, que vous réussissiez.

Vous avez parlé d'investissements dans l'offshore. Vos concurrents ont beaucoup oeuvré dans ce sens, contrairement à vous, pour des raisons diverses... confirmez-vous ces investissements ?

Concernant l'actionnariat, certains déplorent un manque de vision industrielle au sein du conseil d'administration. Verriez-vous d'un bon oeil que l'État ou Bpifrance puissent entrer au capital, par exemple à hauteur de 10 % ou 15 % ? Cela permettrait-il de rassurer, au sein d'un plan de restructuration de la dette ?

M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères. - Si tel était le cas, quelles seraient les modalités les plus pertinentes ? Quelles seraient les entités d'Atos concernées ?

Avez-vous des contacts avec l'Élysée et son secrétaire général, avec l'État en général ?

M. Paul Saleh. - Nos concurrents sont mieux positionnés dans des pays moins coûteux, dans l'offshore ou encore dans le bestshore, par exemple en Pologne, où il y a de nombreux talents qui coûtent moins cher.

Nous devrons aussi automatiser bien plus nos activités en interne. Nos ingénieurs sont très avancés en intelligence artificielle. Nous leur demandons de nous rendre plus efficaces.

M. Jean-Pierre Mustier. - L'actionnariat de Onepoint et de son président fondateur, M. David Layani, a été une très bonne nouvelle pour notre groupe. M. Layani a acquis 11,4 % du groupe à un moment où il était très décrié et attaqué, décision très courageuse ; il va présenter un plan de sauvetage. Cette confiance est de bon augure. Nous souhaitons cependant trouver le plus de repreneurs possible. Nous allons étudier toutes les propositions, pour assurer le succès d'Atos.

J'en viens à l'intervention de l'État. Nous sommes une société privée, cotée en bourse. Le prêt décidé par le Ciri, avec l'accord du ministre, est déjà un signal très fort : nous nous engageons ainsi à protéger nos activités sensibles. Pourquoi ? Premièrement, nous sommes français ; M. Saleh est un Français d'adoption. Deuxièmement, en garantissant que ces activités soient bien protégées, nous attirons le plus grand nombre d'investisseurs et assurons le succès de cette phase de refinancement. Cette action de préférence était donc très importante à nos yeux. D'autres accords ont été passés, qui permettent par exemple à l'État de racheter des actifs.

Ce dernier ira-t-il plus loin ? Je pense qu'il ne serait potentiellement pas optimal qu'il se positionne au niveau du groupe Atos ; il devrait plutôt le faire à un échelon plus bas - par exemple BDS - pour prendre une participation minoritaire, comme il le fait pour d'autres groupes, avec des droits similaires ou augmentés. Nous sommes ouverts à tout type de solution, mais ce qui est mis en place aujourd'hui garantit déjà la souveraineté du groupe.

Nous travaillons avec le Ciri, qui a réalisé un travail tout à fait extraordinaire. Son responsable, M. Pierre-Olivier Chotard, a joué un rôle clef dans la réussite des négociations de dimanche dernier. Le ministre nous a reçus, nous nous sommes également présentés au secrétaire général de l'Élysée, mais notre point de contact reste M. Chotard, qui est garant de la démarche interministérielle.

M. Jérôme Darras, rapporteur de la commission des affaires étrangères. - Nous avons buté, lors de nos auditions, sur deux visions de l'avenir d'Atos : une vision financière, qui encourageait le découpage du groupe, et une vision industrielle, qui vantait ses mérites, considérant que sa force était de pouvoir, grâce à un spectre d'activités très large, satisfaire tous les besoins des clients. Ce soir, je vois un chemin soutenable se dessiner, qui préserve les intérêts financiers du groupe et porte un vrai projet industriel. Je vous souhaite de réussir.

M. Jean-Pierre Mustier. - Je suis ancien banquier, beaucoup me disent que je ne pense qu'à la solution financière. Non, les banquiers peuvent voir de temps en temps la lumière. La contrainte financière est certes très importante, il faut résoudre le problème, mais le projet industriel apporté par les repreneurs reste le plus important.

Je suis originaire d'Auvergne : nous avons certes passé le Puy-de-Dôme, mais l'Everest des négociations, pour attirer les apporteurs de capital, est encore devant nous. Le Ciri nous a beaucoup aidés pour en arriver là. Cette nouvelle phase sera intense. Nous sommes prêts, nous sommes sûrs que nous allons trouver une solution. Il reste encore beaucoup de travail, pour soutenir une vision industrielle ; nous voulons tout faire pour en assurer la soutenabilité.

Je souhaite conclure sur un point important : nous sommes très confiants sur l'avenir du groupe. Il faut le dire, pour nos employés, pour nos clients, car on a trop longtemps tapé sur Atos.

M. Paul Saleh. - J'espère que nous avons pu vous rassurer sur notre capacité à préserver les intérêts de la société. Nos 95 000 collaborateurs sont notre force. Je les remercie pour leur dévouement et leur travail. Chacun de nos clients nous rappelle combien nos collaborateurs les servent d'une manière incroyable. Ce nuage financier sera bientôt derrière nous, et nous pourrons revenir à nos activités habituelles.

M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères. - Compte tenu de la taille de l'entreprise et des enjeux considérables qui sont devant nous, c'est en responsabilité que nous avons alerté l'opinion et le Gouvernement, pour faire de cette affaire une sorte de symbole. Cet été, nous risquions de la voir réglée en catimini dans des bureaux parisiens. Notre intervention du mois d'août fut peut-être salvatrice.

De nombreux articles négatifs ont été publiés sur le groupe, mais, derrière Atos, il y a presque 100 000 personnes. Nous agissons donc en responsabilité, dans le cadre des compétences que nous confère la Constitution en matière de contrôle. La mesure dont ont fait preuve nos rapporteurs est la marque de fabrique du Sénat.

Vous avez tenu des propos rassurants. Nous resterons très vigilants, tout en vous souhaitant le meilleur !

La réunion est close à 18 h 20.