Mercredi 3 avril 2024

- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -

La réunion est ouverte à 13 h 30.

Institutions européennes - Conseil européen des jeudi 21 et vendredi 22 mars 2024 - Audition de M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe

M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui le ministre chargé de l'Europe, qui nous rendra compte de la dernière réunion du Conseil européen qui s'est tenue les 21 et 22 mars.

Cette réunion est intervenue à un moment stratégique, puisque l'Union doit répondre à l'agressivité de Vladimir Poutine, qui se manifeste à la fois en Russie, avec la mort d'Alexeï Navalny le mois dernier, en Ukraine, où la situation devient très difficile pour les militaires comme pour les civils, et dans l'Union européenne, qui subit une désinformation orchestrée depuis la Russie, un espionnage au profit de celle-ci au plus haut niveau de l'Eurocorps, et même une possible corruption par un réseau d'influence prorusse jusqu'au coeur du Parlement européen. À cet égard, je me réfère au travail que nous avons mené avec Claude Kern et Didier Marie sur la corruption dans l'Union européenne.

Dans ce contexte, le Conseil européen a apporté une réponse forte, confirmant son soutien à l'Ukraine, malgré les divergences franco-allemandes que j'avais soulignées avec inquiétude lors du débat préalable à cette réunion qui fut organisé dans l'hémicycle. Le Conseil européen a aussi confirmé son soutien à la Moldavie et à la Géorgie. Mais qu'en est-il de l'Arménie ? Lors de la réunion de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires de l'Union européenne (Cosac), voilà dix jours, les parlementaires arméniens m'ont sollicité pour que la Cosac, dans sa contribution finale, affirme son soutien à l'intégrité territoriale de leur pays, et non pas seulement de l'Ukraine, de la Moldavie et de la Géorgie. J'y suis parvenu. Toutefois, au Conseil européen, le sujet de l'Arménie a-t-il été abordé ?

Autre enjeu du Conseil européen : les capacités de défense autonomes de l'Union européenne. Les Vingt-Sept s'accordent sur la nécessité de renforcer la base industrielle et technologique de défense européenne et le Conseil européen invite à cet effet à « étudier toutes les possibilités de mobilisation de fonds » d'ici au mois de juin : l'hypothèse d'une nouvelle levée d'emprunt commun semble faire son chemin ; pouvez-vous nous le confirmer ? Par ailleurs, le Président de la République a-t-il fait valoir que la stratégie pour l'industrie européenne de la défense et le programme qui l'accompagne doivent respecter les compétences de la France comme des États membres, conformément au principe de subsidiarité ?

J'avais, en amont du Conseil européen, porté mon attention sur un troisième sujet de son ordre du jour, à savoir l'agriculture. Le caractère stratégique de celle-ci a enfin été reconnu au plus haut niveau. En outre, l'hypothèse d'une extension du cadre temporaire pour les aides d'État est expressément envisagée dans les conclusions du Conseil européen, ce dont je ne peux que me réjouir, moi qui plaide depuis longtemps, vous le savez, pour un relèvement des aides de minimis. Mais, permettez-moi de le noter, nulle part dans les conclusions du Conseil européen n'est mentionnée la pêche : est-ce à dire que les Vingt-Sept n'ont pas encore pris conscience de son caractère stratégique et de la nécessité de garantir aux pêcheurs, comme aux agriculteurs, un revenu équitable ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé de l'Europe. - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi pour commencer, à propos de cette réunion du Conseil européen, de relever deux points. D'une part, contrairement à l'habitude qui veut que le Conseil européen de mars soit consacré aux sujets économiques, celui-ci a largement porté sur les questions de sécurité et de défense. D'autre part, il a été inhabituellement court, ce qui témoigne d'une forme de convergence des Européens sur les questions qui ont été abordées.

Quels sont les points de satisfaction pour la France ? Au chapitre de la sécurité et de la défense, je voudrais d'abord souligner la prise en compte du principe de préférence européenne, ce qui n'était pas gagné d'avance. En effet, dans le cadre du renouvellement de la Facilité européenne pour la paix, un compartiment du mécanisme d'incitation financière au soutien militaire à l'Ukraine est désormais dédié aux achats conjoints, dès lors qu'ils sont orientés vers la base industrielle et technologique de défense.

Pour l'avenir, dans sa communication du 5 mars dernier, la Commission européenne propose un programme et une stratégie, qui consacrent le principe de la préférence européenne pour les outils de financement de l'industrie de défense.

Deuxième point de satisfaction : la question du financement, qu'il s'agisse du soutien militaire à l'Ukraine ou du développement de la base industrielle et technologique de défense européenne. Le Conseil européen a acté le principe selon lequel les revenus tirés des avoirs russes gelés permettront de soutenir militairement l'Ukraine.

En outre, le Conseil européen a fortement incité la Banque européenne d'investissement à revoir son mandat, qui lui interdit aujourd'hui de soutenir financièrement des activités de pure défense. À l'heure actuelle, la BEI ne peut investir que dans des activités duales, c'est-à-dire ayant aussi une dimension civile.

Les Vingt-Sept se sont accordés sur cet élargissement du mandat, ce qui représente, là encore, une étape significative.

Enfin, les Vingt-Sept ont mandaté la Commission européenne pour qu'elle leur présente au mois de juin un rapport explorant toutes les pistes de financement concernant notamment le soutien militaire à l'Ukraine.

Troisième élément : l'Union européenne soutiendra l'Ukraine aussi longtemps que nécessaire - nous avions déjà entendu ces mots -, et cela se fera - voilà qui est nouveau - « aussi intensément que nécessaire ». Cette expression, qui vient s'ajouter à la première, témoigne d'une forme d'ambiguïté stratégique. Telle est précisément la position que nous souhaitions voir l'Europe endosser.

Dernier point de satisfaction : la dénonciation des résultats des élections russes dans les territoires occupés de l'Ukraine, résultats que l'Union européenne ne reconnaît pas et qu'elle ne reconnaîtra jamais.

J'en viens à un deuxième chapitre, celui de l'élargissement. Il a été débattu de l'ouverture des négociations avec la Bosnie-Herzégovine, à la suite de la publication par la Commission d'un rapport préconisant cette ouverture. Nous étions pour notre part moins optimistes que la Commission, et nous avons obtenu, avec l'appui notamment des Pays-Bas, que la prochaine phase, c'est-à-dire l'ouverture effective des négociations, avec l'adoption du cadre des négociations, soit véritablement conditionnée à l'atteinte par la Bosnie-Herzégovine de tous les objectifs assignés. À nos yeux, cela est indispensable pour maintenir la crédibilité et l'exigence du processus d'adhésion.

Autre chapitre : celui de la situation au Proche-Orient. En la matière, nous sommes satisfaits puisque les Vingt-Sept ont appelé à une trêve humanitaire immédiate suivie d'un cessez-le-feu durable, à la libération inconditionnelle des otages, au renoncement à toute intervention sur Rafah ; ils ont de surcroît très clairement exprimé leur intention de prendre incessamment des sanctions contre les dirigeants du Hamas et les colons extrémistes et violents. Par ailleurs, le rôle de l'Unrwa, l'administration des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, est souligné.

J'en viens au dernier chapitre substantiel qui a été débattu pendant cette réunion du Conseil européen, à savoir celui de l'agriculture. Les dirigeants européens, notamment français, ont décerné un satisfecit à la Commission européenne concernant les mesures de simplification qu'elle a proposées.

Point nouveau et très satisfaisant à nos yeux, on voit apparaître dans ces conclusions du Conseil européen la question des aides d'État, ainsi qu'un principe très français, la protection du revenu des agriculteurs. Il y a là la première pierre de l'européanisation du principe des lois Égalim.

Le sujet de la pêche n'a pas été abordé en tant que tel. Toutefois, le Président de la République a profité de ce Conseil européen pour signaler à la présidente de la Commission européenne que nous ne pouvions plus attendre l'accord de la Commission pour autoriser le financement du renouvellement des flottes de pêche dans les départements d'outre-mer. Il a obtenu que cette autorisation soit accordée pour des flottes de pêche en Guyane, dans les Antilles et dans l'océan Indien.

Pour ce qui est de la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE), la France est plutôt satisfaite de la proposition qui a été mise sur la table par la Commission européenne, mais elle restera très vigilante quant au respect du principe de subsidiarité, la défense nationale relevant de la souveraineté des États membres. Il importe surtout que nous développions cette base industrielle de défense en améliorant sa réactivité, c'est-à-dire sa capacité à monter en puissance lorsque c'est nécessaire, et que nous renforcions l'interopérabilité de nos armées. Dans la mesure où nous avons pris l'habitude d'acheter nos équipements et nos armements à droite et à gauche, nous ne pouvons pas mener des batailles ensemble, pour des raisons non pas de commandement ou d'organisation des armées, mais tout simplement d'interopérabilité de nos équipements.

Pour ce qui concerne l'Arménie, vous connaissez la solidité et la détermination de notre action bilatérale. Nous poursuivons le renforcement de notre coopération de défense dans un esprit de responsabilité, sans volonté d'escalade. Sur le plan civil, nous soutiendrons des projets d'infrastructures dans des domaines stratégiques tels que les transports, l'énergie et l'eau ; quant à notre engagement humanitaire, nous le poursuivrons.

À l'échelle européenne, nous continuerons également de nous mobiliser. Bien que le sujet n'ait pas été abordé lors de cette réunion du Conseil européen, le Président de la République a profité du Sommet sur l'énergie nucléaire qui se tenait juste avant pour rencontrer son homologue arménien et échanger avec lui.

M. Jean-François Rapin, président. - Je souhaite revenir sur le sujet de l'agriculture et des aides de minimis. Vous le savez, l'État comme les régions mettent de l'argent sur la table pour les exploitations agricoles sinistrées. Or la règle de minimis, qui plafonne l'aide susceptible d'être reçue, fait que cet argent n'est pas utilisable. Parallèlement, chaque week-end, de nouveaux territoires, généralement ruraux, sont inondés.

En la matière, il y a vraiment un combat à mener. Certes, je le sais, tout le monde n'est pas d'accord. Monsieur le ministre, comme nous l'avons fait pour la pêche au moment de la crise du covid en relevant dix fois le seuil des aides de minimis, nous devons débloquer certaines situations. Il s'agit, c'est vrai, d'un problème surtout français, mais il concerne aussi un peu la Belgique et les Pays-Bas.

Mme Marta de Cidrac. - En matière d'élargissement, monsieur le ministre, n'oublions pas les pays des Balkans occidentaux, dont la perspective d'adhésion a été reconnue dès 2003 et qui attendent depuis plus de vingt ans de pouvoir adhérer à l'Union européenne !

Les conclusions du Conseil européen ne mentionnent pas le plan d'investissement et de croissance, doté de 6 milliards d'euros, annoncé en décembre dernier. Comment sera-t-il mis en oeuvre et selon quel calendrier ?

Sur la base de la recommandation émise par la Commission européenne le 12 mars dernier, le Conseil a décidé d'ouvrir des négociations d'adhésion avec la Bosnie-Herzégovine, en invitant la Commission européenne à préparer le « cadre de négociation en vue de son adoption par le Conseil dès que toutes les mesures pertinentes visées dans la recommandation de la Commission du 12 octobre 2022 auront été prises ».

La Bosnie-Herzégovine avait en effet obtenu le statut de candidat dès décembre 2022, après avis favorable de la Commission, laquelle avait identifié quatorze « priorités essentielles » pour des réformes - je citerai l'amélioration du fonctionnement des institutions centrales, le renforcement de l'État de droit et des droits fondamentaux, la lutte contre la corruption et la criminalité organisée.

La Bosnie-Herzégovine a ouvert récemment des négociations en vue d'un accord de coopération avec Frontex. En outre, son parlement a adopté une loi contre le blanchiment exigée par Bruxelles, ainsi qu'une loi sur la prévention des conflits d'intérêts dans les institutions. Sur la réforme des tribunaux et sur la loi électorale, en revanche, il n'y a toujours pas d'accord.

Compte tenu de la crise politique inquiétante à laquelle ce pays est confronté en raison des menaces sécessionnistes des Serbes de Bosnie-Herzégovine, quel calendrier de réforme envisagez-vous ?

M. Jacques Fernique. - Les conclusions du Conseil affirmant que l'Union soutiendra l'Ukraine aussi longtemps et intensément que nécessaire sont bienvenues. Je ne reviendrai pas sur le faux pas qu'a été la stratégie du cavalier solitaire adoptée par le président Macron.

Je veux relever que, si notre pays est classé, en Europe, au quinzième rang pour l'aide bilatérale à l'Ukraine, il est à la première place pour l'importation de gaz liquéfié russe. Total a annoncé honorer ses contrats tant que les États membres ne prendraient pas de sanctions interdisant le gaz russe. Pourtant, le Parlement européen avait bien voté en faveur d'un embargo total sur les importations de gaz naturel liquéfié russe ; ce sont les États qui ont stoppé cette ambition.

Je crois savoir que la France aurait presque triplé ses importations d'uranium enrichi en provenance de la Russie entre 2021 et 2022. Quelle position notre pays adoptera-t-il dans le cadre du Conseil européen pour mettre en cohérence nos importations européennes, notamment énergétiques, et notre soutien à l'Ukraine ?

Il est urgent par ailleurs de muscler l'industrie de défense européenne. À cet égard, les conclusions du Conseil européen sont à saluer. Profiterons-nous de l'échéance fixée en juin pour que toutes les options soient véritablement explorées en matière de ressources ? Pousserons-nous les États membres à avancer concrètement en faveur du déploiement des fameuses ressources propres, qui deviennent en quelque sorte l'Arlésienne de l'Union ?

Enfin, pour ce qui est de la situation à Gaza, les conclusions du Conseil européen ne sont pas tout à fait à la hauteur de la situation. Avons-nous vraiment changé de registre à l'endroit du gouvernement israélien ? Nous disposons pourtant de leviers concrets : embargo sur les ventes d'armes et sur l'ensemble des matériels et composants militaires, action auprès de nos partenaires pour que l'accord d'association avec Israël soit suspendu, entrée des enquêteurs de la Cour pénale internationale dans Gaza, reconnaissance de l'État palestinien. Quelle est la position du Gouvernement concernant ces différentes pistes ?

Vous avez évoqué, monsieur le ministre, un satisfecit presque général sur le sujet de l'agriculture. Vous avez eu raison de dire « presque », car mon groupe ne partage pas cette position. La simplification retenue s'apparente à un détricotage de trois ans d'efforts consentis pour « verdir » la politique agricole commune.

M. André Reichardt. - À mon tour, monsieur le ministre, je veux évoquer l'élargissement.

Certains pays attendent depuis longtemps de passer du statut de pays candidat à l'adhésion à celui de membre de l'Union. L'Ukraine, la Moldavie, la Géorgie sont dorénavant reconnus comme pays candidat. Ma question porte sur le partenariat oriental.

N'y aurait-il pas lieu de réfléchir, au niveau de l'Union européenne, à une redéfinition du partenariat oriental, dans le cadre duquel ces pays sont déjà associés de l'UE ? Cela aurait l'avantage de ne pas les décourager, tout en les aidant à travailler en faveur des réformes indispensables à mener dans leur pays.

Deuxième question, pour ce qui concerne la Moldavie et la Géorgie, quid du calendrier ? Ainsi, que signifie « rapidement » dans la phrase suivante, issue des conclusions du Conseil européen : « à la suite de la présentation des projets de cadres de négociation pour l'Ukraine et la République de la Moldavie, le Conseil européen invite le Conseil à adopter rapidement et à faire avancer les travaux sans tarder » ?

Autre phrase qui me semble sibylline, à propos cette fois de la Géorgie : le Conseil européen « prend note des efforts actuellement déployés par la Géorgie et encourage le pays à progresser sur la voie des réformes prioritaires qu'il reste à mener ».

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Mme de Cidrac a évoqué les deux dimensions principales du processus d'adhésion.

Il y a, d'une part, le rattrapage économique et social. Si les pays candidats ne bénéficient pas des politiques de cohésion, ils peuvent malgré tout bénéficier d'un soutien de l'Union européenne : c'est tout le sens du plan de croissance pour les Balkans occidentaux, qui fait l'objet de négociations entre le Parlement et le Conseil. Un trilogue devrait se tenir demain sur le sujet.

Il y a, d'autre part, l'adoption des règles de l'État de droit et le « rattrapage » du coeur institutionnel de l'Union européenne. Le Secrétaire général aux affaires européennes s'est rendu en Moldavie pour accompagner les autorités moldaves dans la mise en place d'un certain nombre de processus institutionnels, qui sont de nature à la faire progresser dans son chemin vers l'adhésion.

Pour ce qui est de la Bosnie-Herzégovine, la Commission a estimé que les quatorze points identifiés en octobre dernier avaient été atteints. Pour notre part, nous considérons qu'il reste du travail pour assurer un environnement favorable à la société civile, aux médias et à la liberté d'expression ; il convient en particulier d'améliorer le fonctionnement du système judiciaire et de mieux lutter contre la corruption et la criminalité organisée. Nous serons particulièrement vigilants à ce que toutes ces étapes soient franchies avant la prochaine étape du processus d'adhésion, qui, comme vous le savez, est la convocation d'une conférence intergouvernementale, laquelle statuera à l'unanimité sur le cadre de négociation.

Cette conférence pourrait intervenir vers la fin de l'année ; mais toutes les étapes requises n'ont pas encore été franchies.

Monsieur Fernique, un quatorzième paquet de sanctions envers la Russie est en cours de préparation. La France insiste particulièrement sur la question du contournement de ces sanctions : elle souhaite cibler les entités, notamment les entités logistiques, qui contribuent à ce contournement.

Il est vrai que certains sujets n'ont pas été intégrés dans les paquets de sanctions. Ainsi, nous refusons d'utiliser l'alimentation comme une arme. Par ailleurs, nous veillons à ne pas compromettre la sécurité énergétique européenne par des sanctions qui viseraient directement le gaz naturel liquéfié ou l'uranium. Cela étant, nous réfléchissons à des actions dans le domaine énergétique sans fragiliser l'approvisionnement énergétique de l'Union européenne.

Au mois de juin, la Commission présentera des propositions qui auront trait notamment au lancement d'un emprunt commun. Or qui dit emprunt commun dit ressources propres. Sur ce point, la position de la France est très claire. Que l'on parle de l'agenda stratégique de la future mandature ou de la feuille de route des réformes de l'Union européenne, trois points sont à l'ordre du jour : les politiques que nous voulons mener ; la manière dont nous voulons les financer ; les questions de gouvernance.

La transition verte, l'autonomie stratégique de l'Europe, les nouveaux États membres : tout cela a un coût ! Il serait hypocrite de ne pas prendre en compte cet aspect. Ce coût pourrait être supporté par de l'argent public, mais aussi par de l'argent privé. Or un nombre de plus en plus important de pays souhaitent avancer sur l'union du financement, c'est-à-dire l'union des marchés de capitaux.

Pour ce qui est de Gaza, la déclaration contient bien une injonction du Conseil européen au gouvernement israélien de ne pas entreprendre d'opération à Rafah.

Monsieur Reichardt, concernant le partenariat oriental, je n'ai pas de réponse toute faite à vous livrer aujourd'hui. Votre collègue député Jean-Louis Bourlanges a rédigé un rapport sur un possible séquencement dans le processus d'adhésion à l'Union européenne ; reste qu'une telle orientation soulève un certain nombre de questions d'équité et d'égalité.

Le fait que certains pays puissent devenir associés ou participer à l'activité de certaines agences européennes devra sans doute être envisagé. En effet, profitant parfois des délais très longs inhérents à ces processus d'adhésion, certaines forces étrangères s'invitent dans les débats nationaux de ces pays pour leur faire rebrousser chemin et les maintenir dans une forme d'emprise.

Au sujet de la Moldavie, vous m'interrogez sur le terme « rapidement ». Le Conseil européen invite le Conseil des ministres, et en particulier le Conseil des affaires générales, à adopter « rapidement » le cadre de négociation et à faire avancer le travail sans délai. Cette voie a été défendue par la France, car nous souhaitons que les choses avancent très rapidement, dans un contexte un peu contraint. Vous le savez, un État membre de l'Union européenne, qui prendra bientôt la présidence de l'Union, est très fortement opposé à la progression du processus d'adhésion de l'Ukraine et de la Moldavie. Par ailleurs, nous sommes en contexte électoral, en tout cas jusqu'au 9 juin. Tout cela crée des conditions peu propices à une décision à l'unanimité. Ainsi faut-il entendre, derrière le terme « rapidement », notre souhait que la décision puisse être prise avant l'été, c'est-à-dire avant la nouvelle présidence de l'Union européenne.

M. Dominique de Legge. - Je veux revenir sur le volet de la défense. Vous avez rappelé le principe de la préférence européenne en matière d'acquisition d'équipements, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir. Vous avez également rappelé le principe du maintien de la compétence nationale en matière de défense, ce dont nous ne pouvons derechef que nous réjouir. La combinaison de ces deux principes ne nous conduit toutefois pas forcément à l'interopérabilité, qui est indispensable. Il faut avoir l'honnêteté intellectuelle de dire que, en réaffirmant ces principes, on ne fait pas pour autant avancer nécessairement le dossier.

Vous avez évoqué l'acquisition de munitions et les équipements. Quid de la BEI, que vous avez mentionnée rapidement, et des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ? J'ai compris, à vous écouter, que les choses étaient possiblement en passe d'évoluer, mais l'expérience nous a appris que, d'un accord de principe à sa mise en oeuvre effective en passant par l'accord formalisé, un certain temps peut s'écouler. Par conséquent, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette évolution que nous appelons de nos voeux ?

M. Olivier Henno. - Ma question portera sur la notion d'« Europe puissance ». Je m'étonne d'ailleurs que l'on pinaille sur la question de l'ambiguïté stratégique. Selon moi, nous n'avons pas pris la mesure de la déclaration de Donald Trump, qui envisage la remise en cause de l'article 5 de l'OTAN, ce qui laisserait les pays européens seuls en cas d'attaque russe.

Parallèlement, voilà quelques heures, nous avons appris qu'Alexandre Loukachenko, le président de la Biélorussie, se préparerait à la guerre, envisageant d'intervenir jusqu'à Kaliningrad.

Avons-nous pris conscience de l'ampleur du risque ? Si Donald Trump était élu, il nous faudrait réagir dans un délai extrêmement bref, sachant en outre que l'on soupçonne une ingérence russe dans certains pays européens.

M. Didier Marie. - Vous avez évoqué un quatorzième paquet de sanctions contre la Russie. De nombreuses décisions ayant déjà été prises pour sanctionner ce pays, j'aimerais savoir si le Conseil a dressé un bilan de leur efficacité. Allons-nous toucher aux points les plus sensibles ? Je pense notamment au GNL.

Le Conseil a décidé de prendre des sanctions contre la Biélorussie, la Corée du Nord et l'Iran, aujourd'hui alliés de la Russie, qui lui fournissent armes et matériel. Pouvez-vous nous donner le détail de ces sanctions ? Quelle est leur portée réelle ?

Il a été décidé d'utiliser les intérêts des avoirs russes gelés. Quelle est la faisabilité juridique et technique d'une telle décision ? Des mesures de rétorsion russes sont-elles envisagées contre les avoirs des Vingt-Sept en Russie, qu'ils relèvent des États ou de partenaires privés ?

Ma deuxième salve de questions concerne les États candidats à l'adhésion. Plusieurs d'entre eux subissent aujourd'hui une forte pression de la Russie ; je pense en particulier à la Géorgie et à la Moldavie. Le Conseil a-t-il évoqué l'utilisation de la Facilité européenne pour la paix pour venir en aide à ces pays, notamment pour lutter contre la désinformation et la guerre cyber ? Dans quels domaines la France, le cas échéant, intervient-elle ?

Pour ce qui est des migrations, je souhaite connaître la position de la France - je la devine - sur l'externalisation de l'accueil des migrants et de l'instruction des demandes d'asile décidée dans le cadre des accords qui ont été signés entre l'Italie et l'Albanie et entre l'Union européenne et l'Égypte, ce dernier s'agrémentant d'un soutien financier important.

Enfin, la Cour des comptes de l'Union européenne a alerté la Commission sur le bon usage de la Facilité pour la reprise et la résilience, qui est dotée de 723 milliards d'euros. Le Conseil a-t-il évoqué cette question ? Avez-vous un premier bilan à nous présenter, monsieur le ministre, concernant l'utilisation de cette facilité ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Pour ce qui concerne la BEI, la position était encore récemment très fermée à propos de l'extension de son mandat. Mais les choses ont évolué, et le Conseil européen a décidé de modifier la définition des activités duales et d'étendre le mandat de la BEI. Il existe des résistances à une telle extension, dans la mesure où la BEI sert à financer d'autres secteurs, notamment la transition écologique. Certains craignent d'assister à une sorte de cannibalisation des crédits ; d'autres redoutent que la banque, autorisée à investir dans des activités de défense, perde ainsi la confiance de certains de ses propres créanciers.

Il faut désormais veiller, vous avez raison, à ce que cette nouvelle orientation soit suivie d'effet ; la décision sera prise par le conseil d'administration de la Banque européenne d'investissement.

Je partage le diagnostic de M. Henno. Si nous insistons autant sur la préférence européenne, c'est parce que nous anticipons ce qu'il pourrait se passer dans le cas où Donald Trump serait élu. Deux scénarios sont devant nous : soit nous avons déjà engagé un mouvement vers la construction d'une base industrielle et technologique de défense européenne et d'une meilleure interopérabilité de nos armées, et les États membres de l'Union, constatant la moindre protection apportée par l'OTAN, pourraient prendre appui sur l'Europe ; soit, en réaction à la dévitalisation de l'article 5 que vous avez évoquée, les États membres de l'Union européenne négocieront de manière bilatérale leur sécurité avec les États-Unis de Donald Trump, s'engageant ainsi dans une course à l'acceptation du chantage le plus inacceptable.

La gravité de la situation mérite d'être soulignée ; les avancées vers une Europe industrielle de la défense doivent être amplifiées pour parer à ce risque d'une vente à la découpe de la sécurité européenne.

Sur les ingérences russes, j'ose croire qu'il y a une prise de conscience. Il semblerait en effet que la Russie ait pris la liberté de financer directement certains parlementaires européens pour tenir des propos favorables à la Russie ou défavorables à l'Ukraine.

Je constate aussi qu'un certain nombre de résolutions ont été prises récemment, en matière de publicité politique ou d'obligations déontologiques des parlementaires européens. Je le rappelle, nous sommes actuellement dans une période préélectorale. Songez à la façon dont les élections nationales slovaques ont été perturbées par la diffusion de contenus artificiels, et notamment d'hypertrucages, pendant la période de silence, c'est-à-dire pendant la période où il ne doit pas y avoir de communication politique.

À l'échelon national, nous avons mis en place un dispositif renforcé autour de Viginum, service technique et opérationnel de l'État chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères - seuls les Suédois disposent d'un service équivalent. Sa mission est de détecter et d'identifier les auteurs des manoeuvres informationnelles. Il est placé sous l'autorité du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et oeuvre en lien étroit avec les autres services du Gouvernement.

À l'échelon européen, Stéphane Séjourné, avec ses homologues allemand et polonais, a créé un mécanisme d'alerte et de riposte contre les manoeuvres qui auraient une dimension transfrontalière. Pour ma part, m'appuyant sur certains travaux du Sénat, j'ai demandé à la Commission européenne de se saisir de tous les pouvoirs que lui confère le règlement sur les services numériques.

Monsieur Marie, les sanctions prennent généralement la forme de désignations individuelles assorties d'un gel des actifs. L'objectif est de renforcer les sanctions existantes, en ciblant les acteurs qui aident au contournement.

Quant au risque juridique que vous avez évoqué, il est avéré pour ce qui concerne une éventuelle saisine des actifs eux-mêmes, piste que nous laissons de côté. Il est en revanche écarté pour ce qui concerne la saisine des revenus tirés de ces avoirs.

Sur l'aide à la Moldavie dans le cadre de la guerre cyber, des travaux sont en cours à plusieurs niveaux. Au niveau bilatéral, des échanges ont lieu entre les services moldaves et les services français de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi). Au niveau européen, la Communauté politique européenne a défendu le principe de la réserve citoyenne de cyberdéfense. Par ailleurs, dans le cadre du sommet international convoqué par le Président de la République le 26 février dernier, une liste de cinq champs de coopération a été actée par les vingt-sept chefs d'État ou de gouvernement participants, au nombre desquels la cyberdéfense.

Quoique nous ne soyons pas les plus fervents promoteurs de la « déconcentration » en matière de demande d'asile, l'accord entre l'Italie et l'Albanie appartient à ces deux pays. Dans le cadre du pacte sur la migration et l'asile, nous soutenons une disposition autorisant la prise en compte de la demande d'asile à la frontière pour les ressortissants de pays d'origine sûre, c'est-à-dire ceux pour lesquels, en général, la protection internationale de la France n'est pas accordée.

Les accords signés entre l'Union européenne, l'Égypte et la Tunisie s'inspirent du pacte sur la migration et l'asile. Si nous voulons que ces pays, par le développement économique, mais aussi par la simple mise à jour de leur système informatique de traitement de l'état civil, puissent eux-mêmes maîtriser les départs et les flux migratoires, il convient de coopérer avec eux. J'ai demandé à la Commission européenne, lors du Conseil des affaires générales, de rendre des comptes sur ces accords qu'elle négocie en notre nom.

Ce matin, en Conseil des ministres, le ministre de l'économie et des finances a communiqué sur le plan de relance européen de 750 milliards d'euros, dont 40 milliards d'euros pour notre pays, soit une partie importante des 100 milliards d'euros dédiés au plan France Relance. Une fois n'est pas coutume, notre pays n'étant pas toujours le meilleur pour solliciter ce genre de fonds, la France se classe en tête des pays européens pour le décaissement de cette facilité. Nous sommes en attente du versement d'une tranche importante, d'un montant proche de 10 milliards d'euros, consécutive à notre présentation à la Commission européenne des investissements ainsi financés.

Mme Karine Daniel. - Concernant la politique agricole commune (PAC), je suis inquiète des renoncements auxquels on assiste sur le plan environnemental, étant entendu que les effets des politiques agricoles se mesurent à long terme. Ainsi les effets de la dérégulation des prix n'apparaissent-ils qu'aujourd'hui ; et, de même, nos renoncements environnementaux produiront tous leurs effets dans vingt ou trente ans. En tant que législateur, voilà qui doit nous préoccuper.

Pouvez-vous préciser les pistes de discussion ou de négociation qui s'inspirent de la loi Égalim à l'échelon européen ? S'oriente-t-on vers de nouveaux prix garantis, ou vers un encadrement des discussions entre producteurs, transformateurs et distributeurs ? Si tel était le cas, cela pourrait entraîner des effets d'éviction, sachant que la singularité de la PAC consiste à s'intéresser autant à la production qu'aux enjeux environnementaux.

Mme Nadège Havet. - Sur le sujet de l'agriculture, des pistes concrètes liées notamment à la simplification ont-elles été évoquées lors de la réunion du Conseil européen ? Disposez-vous d'un calendrier des annonces ?

Par ailleurs, au regard des suites attendues du Brexit, le Conseil européen va-t-il prendre la défense de nos pêcheurs ?

Mme Silvana Silvani. - Je souhaite revenir sur la situation au Proche-Orient. Monsieur le ministre, vous avez évoqué la décision d'appeler à une trêve humanitaire et à un cessez-le-feu, ainsi que la volonté de sanctionner les extrêmes de part et d'autre. Vous avez également présenté la formulation d'une injonction comme un résultat satisfaisant, reflétant un accord parmi les États membres, mais cela n'est pas très concret.

Un embargo, même temporaire, a-t-il été envisagé par les États membres concernant la fourniture d'armes à Israël ? Quelles mesures projette-t-on de prendre pour soutenir l'action humanitaire au regard de la situation critique et du risque de famine mentionnés dans les conclusions du Conseil européen ? Enfin, comment la France compte-t-elle soutenir, conformément aux demandes du Conseil européen, les enquêtes indépendantes sur les allégations de violences sexuelles ?

Mme Catherine Morin-Desailly. - Ma question a trait à la nécessité pour l'Europe d'être le plus autonome possible d'un point de vue stratégique. La loi Fisa (Foreign Intelligence Surveillance Act) visant à lutter contre l'espionnage continue de s'appliquer, et l'accord d'adéquation relatif au transfert de données personnelles aussi au détriment des Européens. Monsieur le ministre, quels messages comptez-vous porter à Bruxelles sur ce sujet de l'autonomie stratégique ?

Mme Christine Lavarde. - Concernant la situation au Proche-Orient, le Conseil européen a évoqué la question de la stabilité de la zone, en particulier au Liban et en mer Rouge. Des sanctions avaient été prises par l'Union contre les dirigeants libanais s'opposant à la mise en place du processus démocratique, et notamment à l'élection du président de la République. Cela fait plus de dix-huit mois désormais que la situation est gelée. Un bilan de l'efficacité de ces sanctions a-t-il été réalisé ? L'idée de les durcir a-t-elle été évoquée ?

M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué. - Sur le sujet agricole, les mesures de simplification proposées par la Commission européenne et récemment adoptées par le Conseil européen seront débattues en séance plénière par le Parlement européen à la fin du mois. Ces mesures, comme vous le savez, ont pour objet de réduire la charge administrative, afin de donner plus de flexibilité aux agriculteurs, et de permettre aux États membres d'envisager des exemptions spécifiques aux bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE), dans le cadre d'une prise en compte plus pragmatique du contexte géopolitique.

Afin de parvenir à une meilleure intégration des agriculteurs dans la chaîne de valeur sur le modèle de la loi Égalim, la Commission européenne propose de créer un observatoire des coûts de production, des marges et des pratiques commerciales, impliquant l'ensemble des parties prenantes. Par ailleurs, il est prévu de revoir et d'adapter le règlement portant organisation commune des marchés des produits agricoles (OCM), ainsi que la directive relative aux pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d'approvisionnement agricole et alimentaire (UTP, Unfair Trading Practices). Ainsi retrouvons-nous un peu de l'esprit de la loi Égalim ; pour accompagner ce mouvement, la France défend l'idée d'une force européenne de contrôle agricole et sanitaire ou, à défaut, d'une coordination de forces nationales. L'analyse de l'effectivité de ces mesures et des possibilités de révision sera lancée dès le courant du mois qui s'ouvre.

Quant au Brexit, il continue de produire des effets ; je pense à cette décision prise par le Royaume-Uni de créer, officiellement pour des raisons écologiques, des aires marines protégées (AMP). Dans le détail, cette décision apparaît discriminatoire à l'égard des pêcheurs, en particulier des pêcheurs boulonnais et de la Manche. Aux représentants de la filière, j'ai indiqué que nous allions chercher à construire une coalition des gouvernements dont les pêcheurs sont concernés par ces fermetures, de manière à ce que la Commission européenne se saisisse des moyens de rétorsion prévus dans le cadre de l'accord de commerce et de coopération ; ceux-ci incluent notamment, dans les cas les plus extrêmes, l'application de tarifs douaniers sur les importations britanniques.

Au sujet du Moyen-Orient, la communication de l'Union européenne peut sembler déclaratoire. Mais cette unité dans l'expression des Européens, par l'adoption d'une résolution parlementaire ou de conclusions du Conseil européen, est indispensable si l'on veut infléchir les positions des uns et des autres dans cette situation de catastrophe humanitaire.

J'en viens à l'aide humanitaire à Gaza : la France a été parmi les premiers pays à apporter de l'aide, par différents canaux. Dans les conclusions du Conseil européen apparaît un point important : le soutien à l'initiative prise par Chypre de créer un nouveau corridor maritime pour l'acheminement de l'aide humanitaire. Au total, la France a débloqué plusieurs dizaines de millions d'euros en faveur de cette aide ; et, si l'on agrège les aides consenties par les autres États membres de l'Union, on atteint des volumes significatifs.

Madame Silvani, vous avez évoqué des enquêtes en cours. Je ne suis pas certain de savoir de quelles enquêtes vous parlez ; je vous propose de revenir vers vous muni d'éléments détaillés lorsque nous aurons pu échanger sur le sujet.

Je réponds à Mme Morin-Desailly : l'accord d'adéquation fait l'objet d'un contentieux devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), qui sera traité en tenant compte du durcissement de la réglementation américaine. Le Parlement européen a considéré cet accord d'adéquation comme insuffisamment protecteur des données des citoyens de l'Union ; il revient désormais à la CJUE d'en juger.

Dans ce même esprit, avec le référentiel SecNumCloud, la France soutient la création d'une certification du cloud respectueuse des choix français de protection contre les législations extraterritoriales. Elle appuie également l'idée que la politique de concurrence doit s'appliquer dans tous les segments du numérique, et en particulier désormais dans celui de l'intelligence artificielle ; l'Autorité de la concurrence remettra au mois de juin un rapport d'analyse sur le risque de constitution de nouveaux monopoles dans le domaine de l'intelligence artificielle, risque qui, s'il se concrétisait, créerait des liens de dépendance pour l'Union et fermerait aux entreprises européennes l'accès à ces marchés.

La France continuera de soutenir une approche ambitieuse de l'intelligence artificielle. Ce sujet sera à l'ordre du jour des prochains conseils des ministres franco-allemands ; il requiert toute notre attention dans la mesure où nous préparons le sommet mondial sur l'intelligence artificielle, dont la prochaine édition se tiendra en France à la fin de l'année 2024 ou au début de l'année 2025.

Concernant l'effet des sanctions au Liban, je ne dispose pas d'informations ; je reviendrai vers vous prochainement à ce sujet.

M. Jean-François Rapin, président. - Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir répondu précisément à toutes ces questions.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 14 h 45.

Jeudi 4 avril 2024

- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Questions sociales, travail, santé - Action de l'Union européenne contre les pénuries de médicaments - Examen de la proposition de résolution européenne et de l'avis politique

M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, nous abordons ce matin une question vitale pour nos concitoyens : les pénuries de médicaments. Nous rencontrons depuis plusieurs années des difficultés d'approvisionnement en médicaments, qui se sont encore creusées dernièrement. Fin janvier 2024, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a indiqué avoir enregistré près de 5 000 signalements de ruptures et de risques de rupture de stock au cours de l'année précédente, soit une hausse de 30,9 % par rapport à 2022, et de 128 % par rapport à 2021. Même le paracétamol a manqué l'hiver dernier.

Ces difficultés remontent à une dizaine d'années. De fait, les tensions sur les médicaments s'observaient déjà avant la pandémie : dès 2019, un collectif de médecins hospitaliers avait rédigé une tribune, dans Le Journal du dimanche, appelant à relocaliser la production en Europe. La pandémie de covid-19 a encore aggravé la situation. Celle-ci tient principalement à la concentration et à la mondialisation de la production, qui repose désormais sur un très petit nombre d'usines de matières premières, localisées en Asie. On déplore aussi fréquemment des défauts de qualité sur les médicaments produits. En outre, la demande mondiale est en forte croissance. Enfin, les bénéfices à la vente sont disparates selon les pays, le prix des médicaments étant, en France, imposé et relativement bas.

Cette situation exige de répondre à un défi immédiat - que fait-on en cas de pénurie ? -, mais aussi à un défi plus structurel - que fait-on pour éviter la pénurie ? Des initiatives législatives nationales ont été engagées pour tenter d'apporter une réponse, mais la solution a aussi une évidente dimension européenne, et c'est cet aspect que nos rapporteurs ont étudié. Je les remercie pour ce travail et leur laisse le soin de nous le présenter.

Mme Pascale Gruny, rapporteur. - La Commission européenne a présenté, en avril 2023, une proposition de directive et une proposition de règlement visant à réviser la législation pharmaceutique de l'Union. Cette révision a trois objectifs : fixer les normes relatives à la qualité, à la sécurité et à l'efficacité des médicaments ; promouvoir l'innovation et l'accès aux médicaments ; sécuriser l'approvisionnement.

En complément des mesures prévues dans ce paquet pharmaceutique, la Commission a présenté, en octobre 2023, une communication détaillant les dispositifs qu'elle entend mettre en oeuvre pour lutter contre les pénuries de médicaments, sujet qui nous occupe aujourd'hui. Ainsi, la Commission propose différentes mesures, notamment pour anticiper le risque de pénurie, établir une liste de médicaments critiques et engager le dialogue avec les représentants de l'industrie pharmaceutique.

Certes, l'approvisionnement en médicaments, de même que la détermination de leur prix et de leurs conditions de remboursement, relève de la compétence des États membres. Toutefois, depuis la pandémie de covid-19, l'intervention de l'Union a été plus marquée : ainsi a été créée l'Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire (HERA, Health Emergency Response Authority), chargée de garantir la disponibilité de contre-mesures médicales en cas de crise sanitaire ; le règlement (UE) 2022/123, qui établit le cadre d'intervention de l'Union pour lutter contre les pénuries de médicaments en cas d'urgence de santé publique a été adopté ; l'achat groupé de vaccins a été organisé par la Commission européenne.

Le Conseil européen est bien conscient qu'un nombre croissant de pénuries de médicaments affecte les États membres de l'Union. Il a plaidé, dans ses conclusions de juin 2023, pour des mesures urgentes visant à assurer une production et une disponibilité suffisantes des médicaments les plus critiques, appelant ainsi à développer l'action de l'Union en ce domaine.

Celle-ci devra s'effectuer dans le respect des compétences des États membres. Ainsi, dans la proposition de règlement, la Commission définit plusieurs notions à différents niveaux : médicament critique, pénurie, pénurie critique. Cette typologie permet d'identifier les cas où une intervention de l'Union est requise, conformément aux principes de subsidiarité et de proportionnalité. Ainsi, la pénurie critique est définie comme une pénurie critique dans un État membre pour laquelle une action coordonnée au niveau de l'Union est jugée nécessaire en vue d'y remédier. Un médicament critique est défini comme un médicament pour lequel une insuffisance de l'approvisionnement entraîne un préjudice grave ou un risque de préjudice grave pour les patients et qui figure à ce titre sur la liste des médicaments critiques de l'Union européenne.

Il y a là un motif de satisfaction, et ce n'est pas le seul, il faut le reconnaître. En effet, la Commission reprend de nombreuses mesures préconisées par notre commission des affaires européennes dans son avis politique d'octobre 2022. Toutefois, les conditions de leur mise en oeuvre appellent plusieurs remarques sur trois thèmes : le renforcement des obligations des titulaires d'autorisation de mise sur le marché (AMM), le recours à des mesures coordonnées pour sécuriser l'approvisionnement en médicaments et le développement des capacités de production de l'Union.

Pour faciliter la détection des pénuries, la Commission souhaite renforcer les obligations des titulaires d'AMM. Elle propose notamment d'allonger à douze mois, au lieu de deux actuellement, le délai de notification avant cessation définitive de mise sur le marché d'un médicament. Cela doit notamment permettre de faciliter le transfert de l'AMM vers un autre titulaire. L'Agence européenne des médicaments (EMA) devra aider à organiser ce transfert, en publiant sur son site internet la liste des entreprises souhaitant un tel transfert. De surcroît, nous souhaitons que les entreprises qui ne respecteraient pas leurs obligations de notification puissent faire l'objet de sanctions financières.

En outre, la proposition de règlement crée une obligation pour les titulaires d'AMM de fournir aux autorités compétentes des États membres et à l'EMA différentes informations. Celles-ci sont détaillées dans l'annexe IV de la proposition de règlement. Ces informations sont indispensables pour permettre une réaction appropriée des pouvoirs publics. C'est pourquoi nous préconisons qu'en cas de pénurie critique, les informations directement collectées par l'EMA auprès des titulaires d'AMM puissent être partagées avec les autorités compétentes des États membres. De surcroît, nous recommandons d'utiliser les informations du système européen de vérification des médicaments, afin de ne pas imposer aux titulaires d'AMM de fournir plusieurs fois les mêmes informations. Enfin, les autorités compétentes des États membres et l'EMA devraient également assurer sur leurs sites internet respectifs la publicité des pénuries potentielles et fournir une information en temps réel sur la disponibilité des médicaments, afin de permettre notamment aux médecins d'adapter leurs prescriptions.

Par ailleurs, la proposition de règlement prévoit une obligation pour les titulaires d'AMM d'établir des plans de prévention des pénuries. Si cette obligation est utile, son efficacité doit être renforcée. En effet, à la lecture de la proposition de règlement, notre impression est que l'élaboration de ces plans sera exigée sans objectifs clairement définis. Pour remédier à cette lacune, nous jugeons nécessaire de restreindre le champ d'application de cette mesure aux seuls médicaments critiques. Ainsi la régularité et la qualité de ces plans pourront-ils faire l'objet d'une évaluation de la part de l'EMA. C'est là une nouvelle mission qui serait confiée à l'Agence ; une augmentation du financement public qui lui est alloué s'impose donc, mesure que nous soutenions déjà dans notre résolution européenne relative à la proposition de règlement relatif aux redevances et aux droits dus à l'EMA.

Nous demandons également que ces plans de prévention des pénuries puissent être communiqués à tout moment aux autorités compétentes des États membres, lesquels pourraient saisir l'EMA pour signaler tout manquement. En outre, des sanctions dissuasives doivent être prévues pour inciter au respect de cette obligation et ces plans devront être mis en oeuvre en cas de besoin réel ou potentiel.

M. Bernard Jomier, rapporteur. - La Commission propose différentes mesures pour garantir l'approvisionnement en médicaments, parmi lesquelles figurent l'élaboration d'une liste de médicaments critiques, des obligations de stockage, un mécanisme de coopération volontaire pour permettre le transfert de médicaments d'un État membre à l'autre ou encore le recours aux achats publics conjoints.

En premier lieu, la proposition de règlement prévoit que l'autorité compétente de l'État membre identifie les médicaments critiques dans cet État membre, selon une méthode d'identification élaborée par l'EMA, la liste étant ensuite transmise à cette dernière. Sur cette base, le groupe de pilotage sur les pénuries de médicaments, prévu par le règlement (UE) 2022/123 et composé de représentants des États membres, propose l'établissement d'une liste de l'Union des médicaments critiques, que la Commission adopte par un acte d'exécution. La Commission a souhaité anticiper la mise en application de cette mesure en publiant une première liste de 268 substances actives critiques, élaborée sur la base de six listes fournies par des États membres, dont la France.

Nous soutenons l'élaboration d'une telle liste à l'échelon européen, mais celle-ci ne doit pas être une simple addition des listes nationales. Elle doit permettre de déterminer les substances actives sur lesquelles portera l'action de l'Union. Nous rappelons également que la sélection de ces substances actives doit être faite selon leur intérêt clinique démontré en toute transparence ; les associations de patients devraient par conséquent être associées à ce travail.

Une fois la criticité thérapeutique ainsi établie, il sera nécessaire d'évaluer la criticité industrielle des médicaments contenant ces substances actives afin d'identifier les éventuelles vulnérabilités des chaînes d'approvisionnement. Ce travail sera principalement mené par l'HERA. Il est nécessaire, à cet effet, que les obligations d'information relatives aux processus de fabrication soient renforcées et que, en parallèle, la confidentialité de ces informations soit garantie.

Le second sujet est celui de la constitution de stocks. La proposition de règlement prévoit que la Commission pourra prendre des mesures pour lutter contre les pénuries critiques, sans que la nature de ces mesures soit précisée. Les services de la Commission nous ont toutefois indiqué qu'ils pourraient demander aux titulaires d'AMM de constituer des stocks. En outre, la proposition de règlement prévoit que la Commission pourra imposer aux titulaires d'AMM de constituer des stocks pour les médicaments critiques, via l'adoption d'un acte d'exécution.

À ce stade, les mesures relatives à la constitution de stocks ne sont donc pas précisées et demeurent optionnelles ; or il nous semble important que la Commission précise d'ores et déjà les cas où elle entend recourir à cette possibilité. En parallèle, il faut veiller à ce que ces obligations de stockage ne remettent pas en cause celles qui sont imposées par les États membres, dont la France.

La Commission indique par ailleurs vouloir élaborer avec les États membres une approche stratégique commune en matière de stockage de médicaments. Nous sommes bien sûr favorables à cette proposition, sous réserve que les États membres puissent adhérer aux mesures proposées sur une base volontaire.

En outre, la Commission propose la mise en place d'un mécanisme de solidarité volontaire en matière de médicaments, qui doit permettre aux États membres de signaler aux autres États membres leurs besoins concernant un médicament donné faisant l'objet d'une pénurie critique au niveau national, afin que ces derniers puissent indiquer s'ils disposent de stocks disponibles susceptibles d'être redistribués. L'EMA sera chargée de la mise en oeuvre de ce mécanisme, qui présente un intérêt certain. Il est du reste soutenu par les États membres, mais nous en notons les nombreuses limites. En effet, il suppose des difficultés d'approvisionnement circonscrites à un nombre limité d'États membres ; il suppose la pleine transparence des États membres quant à l'état des stocks sur leur territoire - cette condition est loin d'être remplie aujourd'hui ; il suppose l'existence de tels stocks. Pour ce qui est de ce dernier point, nous estimons que les États membres devraient, à l'image de la France, imposer des obligations de stockage aux titulaires d'AMM sur certains médicaments qu'ils jugent essentiels. La participation d'un État membre au mécanisme de solidarité devrait selon nous être conditionnée à l'existence de cette obligation de stockage à l'échelle nationale.

Enfin, la mise en oeuvre de ce mécanisme implique des flexibilités réglementaires pouvant notamment concerner la notice, les équipements utilisés pour la production ou l'emballage. Ces flexibilités devront être décidées sur la base d'une évaluation réalisée par l'autorité compétente de l'État membre concerné pour garantir la sécurité des patients.

Ainsi, lorsque les informations figurant sur le conditionnement secondaire du médicament et la notice ne sont pas dans la langue du patient, celles-ci devraient lui être fournies dans sa langue sous format papier ou format électronique, selon son souhait, par le pharmacien.

En outre, la proposition de directive du paquet pharmaceutique prévoit que les États membres puissent décider que la notice sera mise à disposition sous format papier ou électronique, voire les deux. Dans le cas où ils optent pour le format électronique, les États membres devront veiller à ce qu'une version papier de la notice soit mise à disposition sur demande et sans frais supplémentaires pour les patients. Cette proposition de la Commission pourrait, si elle s'appliquait, faciliter la circulation des médicaments au sein de l'Union européenne.

La proposition de directive prévoit également que la Commission serait habilitée à adopter des actes délégués afin de rendre obligatoire la version électronique de la notice. Nous estimons quant à nous qu'il appartient aux États membres, et à eux seuls, de décider de l'opportunité d'imposer les notices électroniques. Nous demandons donc la suppression de cette disposition.

Enfin, la Commission insiste sur l'intérêt des marchés publics conjoints, que nous vous proposons également de soutenir, à condition que la participation des États membres se fasse sur une base volontaire et que ces marchés publics soient conclus en toute transparence.

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Il apparaît nécessaire de développer les capacités de production de l'Union afin de garantir l'approvisionnement en médicaments critiques, mais aussi, plus largement, d'assurer la souveraineté sanitaire de l'Union.

L'HERA a été créée en 2021 pour garantir la disponibilité en temps utile et en quantité suffisante de contre-mesures médicales nécessaires en cas de crise sanitaire. Il serait utile d'élargir son rôle au-delà des seuls cas d'urgence sanitaire, pour permettre la mise en oeuvre d'achats groupés et soutenir la relocalisation de productions prioritaires de médicaments critiques. Ainsi l'HERA pourrait-elle être chargée d'effectuer une analyse de la criticité industrielle des médicaments et de cartographier les sources d'approvisionnement des principes actifs et des intrants de ces médicaments, en y associant une évaluation des risques d'approvisionnement induits. Le cas échéant, il sera nécessaire de renforcer les moyens de cette autorité et de bien définir ses missions, notamment pour éviter toute redondance avec celles de l'EMA.

L'HERA sera par ailleurs chargée de piloter l'Alliance pour les médicaments critiques, créée par la Commission en janvier 2024. Cette Alliance doit réunir les autorités nationales, l'industrie, les représentants de la société civile, la Commission et des agences de l'Union et traiter selon une approche industrielle le défi que représentent les pénuries de médicaments. Si nous saluons la création de cette alliance, nous soulignons qu'elle ne pourra véritablement fonctionner que si les titulaires d'AMM participent activement à ses travaux.

La diversification des chaînes d'approvisionnement est également indispensable pour assurer la disponibilité des médicaments. À cette fin, la Commission propose de créer un réseau de partenaires internationaux destiné à renforcer la résilience des chaînes d'approvisionnement. Nous estimons que cela ne doit se faire qu'à la condition de favoriser la convergence réglementaire et le respect des normes européennes garantissant la qualité des médicaments. Les défauts de qualité sont en effet souvent source de pénurie ; nous vous proposons donc de soutenir la proposition de la Commission visant à développer des programmes d'audit communs aux autorités nationales compétentes pour l'inspection des unités de production.

Enfin, il est assurément nécessaire d'augmenter les capacités de production de l'Union européenne. Cela passe d'abord par la défense des sites industriels existants, mais peut aussi se faire par le biais de programmes de relocalisation ou par le développement d'une production publique. La France a d'ores et déjà mis en place un programme visant à relocaliser la production de médicaments qu'elle juge essentiels. Si l'on peut regretter que ce programme n'ait pas fait l'objet d'une concertation européenne, la direction générale des entreprises du Ministère de l'économie nous a assuré que l'action du gouvernement français s'était concentrée sur des produits très peu fabriqués dans l'Union européenne, ce qui limite fortement le risque de créer des surcapacités ou des redondances. Toutefois, pour éviter ces situations, la Commission devrait recenser les différents projets de relocalisation et organiser la concertation entre États membres autour de ces projets.

Ces politiques de relocalisation se heurtent à plusieurs difficultés, qui impliquent de choisir avec soin les projets à soutenir. D'abord, les relocalisations nécessitent une aide publique dont les montants sont importants. Ensuite, il importe de garantir la viabilité économique des entreprises relocalisées, dans un contexte où la régulation budgétaire et la concurrence avec les productions asiatiques tendent à diminuer le prix des médicaments matures. Pour y pourvoir, il est nécessaire que la sécurité des approvisionnements devienne effectivement l'un des critères d'attribution des marchés publics. J'ajoute que l'écart en matière de normes environnementales entre l'Union et les autres régions du monde renchérit le coût des productions européennes. La Commission devrait donc s'engager à promouvoir des conditions de concurrence équitables avec les États tiers. Un tel effort implique notamment d'intégrer des critères environnementaux et sociaux dans les bonnes pratiques de fabrication que les entreprises situées dans les États tiers devront respecter.

Dès lors, tout projet de relocalisation devrait faire l'objet d'une étude attentive permettant d'évaluer son coût pour les pouvoirs publics, l'impact de cette dépense sur les autres dépenses de santé et les conditions nécessaires à la pérennité de la production envisagée, notamment le prix que les pouvoirs publics sont prêts à payer et le volume de la demande. Par ailleurs, les aides versées doivent, à notre sens, impliquer des contreparties, relatives notamment à la sécurité de l'approvisionnement et au maintien de l'activité.

Les projets de relocalisation nécessitent, pour se concrétiser, des aides publiques importantes, dont le montant est encadré par la législation de l'Union. Il existe un instrument permettant de bénéficier d'un surcroît d'aides publiques pour développer des projets industriels dans le domaine de la santé, à savoir le projet important d'intérêt européen commun (Piiec). Cet outil a pour objet de soutenir des projets industriels utilisant des technologies innovantes ; il n'est donc pas adapté pour favoriser la relocalisation de médicaments matures qui n'emportent aucune avancée technologique particulière. C'est pour cette raison que, comme la plupart des États membres, nous demandons à la Commission de proposer un texte législatif visant à créer un instrument plus adéquat pour développer la relocalisation de la production de médicaments critiques sur le territoire de l'Union ou maintenir les sites industriels existants. L'usine Synthexim implantée à Calais, par exemple, a été fermée alors qu'elle aurait pu être utilisée pour produire notamment du méthylphénidate, substance active régulièrement en rupture et essentielle pour traiter les troubles du déficit de l'attention avec hyperactivité.

Nous soutenons en outre le développement d'une production publique de médicaments et la création d'un établissement pharmaceutique européen à but non lucratif capable de produire des médicaments critiques en cas de défaut de la production privée ou d'insuffisance de ses capacités. La Commission européenne a écarté cette possibilité ; pourtant, de nombreux projets de production publique se développent, au Canada ou aux États-Unis par exemple.

Voilà, mes chers collègues, les principales modifications que nous souhaitons apporter aux propositions faites par la Commission européenne en matière de lutte contre les pénuries de médicaments. Celles-ci vous sont présentées dans le projet de proposition de résolution que nous vous soumettons.

M. Jean-François Rapin, président. - Merci encore de ce travail, qui s'inscrit dans la continuité de celui qui fut fourni en 2022 avec Laurence Harribey. Les choses ont avancé depuis lors, quoiqu'à une vitesse insuffisante.

Les circonstances internationales et européennes qui nous ont conduits à redéfinir les conditions de notre autonomie stratégique sont aussi valables concernant la production des médicaments les plus courants, qui sont souvent négligés par les laboratoires en raison de leur faible rentabilité.

M. André Reichardt. - Je veux rendre hommage au travail des trois rapporteurs, dont j'approuve les propositions.

Il convient de saluer la volonté de l'Union européenne de s'engager véritablement dans ce dossier ; les populations européennes n'attendent pas autre chose. À l'approche des élections, ce dossier peut être l'occasion de démontrer à nos concitoyens tout l'intérêt d'une Union européenne bien pensée et efficace, dans le respect - Dieu sait s'il reste du travail à cet égard - du principe de subsidiarité.

Cela étant dit, force est de constater que les propositions de l'Union européenne s'inscrivent dans le moyen, voire le long terme. Or les besoins sont immédiats - en témoigne la pénurie de Doliprane de l'an dernier - et ce sujet préoccupe fortement nos concitoyens.

Dans l'attente des relocalisations attendues et sachant que les principaux sites industriels sont situés en Asie, comment peut-on éviter que l'Union européenne ne soit le parent pauvre du marché des médicaments ? Est-il possible, par le biais d'une politique européenne concertée, d'orienter la vente des médicaments vers l'Union européenne plutôt qu'ailleurs ?

Il faut répondre au plus vite aux dysfonctionnements qui affectent la mise à disposition des médicaments sur le marché. Sans mésestimer les risques sanitaires liés à la diffusion plus massive dans l'Union européenne de ces médicaments produits en Asie, on voit bien que les producteurs préfèrent d'autres débouchés. Peut-on donc envisager, dans le cadre de cette proposition de résolution, une position plus affirmée ?

M. Jacques Fernique. - Je remercie les trois rapporteurs de leur travail ; l'enjeu rend manifeste la plus-value européenne potentielle.

Pourriez-vous tout d'abord clarifier la répartition des tâches entre l'EMA et l'HERA ?

Ensuite, les difficultés dans l'identification des pénuries tiennent-elles simplement à un manque de mutualisation et à la complexité de la coordination ou des freins compromettent-ils la bonne réalisation de ce travail ? Vous avez évoqué l'hypothèse de sanctions dissuasives ; c'est donc bien que certains comportements ne facilitent pas les choses.

Si j'ai bien compris, la liste commune des 268 substances actives résulte de l'agrégation de six listes nationales.

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Pour l'instant, oui.

M. Jacques Fernique. - Nombreux sont donc les pays qui n'avancent pas au même rythme et il semblerait que les freins ne soient pas à rechercher uniquement du côté des entreprises privées et des titulaires d'AMM.

En ce qui concerne les préconisations de la résolution, il me semble déterminant d'exiger que les aides publiques à l'augmentation des capacités de production soient assorties de contreparties claires. Il faut envisager des projets de production publique, et non s'en remettre aux seules productions privées. Et, bien sûr, il faut répondre au problème des distorsions de concurrence avec la production asiatique, qui n'est pas du tout soumise aux mêmes normes.

Quant aux notices, elles sont malheureusement le plus souvent jetées à la poubelle sans être lues. La quasi-totalité des patients les considèrent comme un obstacle à l'ouverture de la boîte.

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - C'est dommage.

M. Jean-François Rapin, président. - Dans la pratique, ce sont peut-être les personnes qui ont le moins accès au numérique qui regardent la notice papier, c'est-à-dire les personnes les plus âgées.

Je voudrais rebondir sur les propos d'André Reichardt et dire un mot de la perception du sujet dans l'Union européenne. Pendant la présidence française du Conseil de l'Union européenne s'est tenue la conférence sur l'avenir de l'Europe, qui a réuni citoyens et institutions. L'un des volets de cette conférence était consacré à la santé dans l'Union européenne. S'est exprimée clairement à cette occasion la volonté de prendre ce sujet à bras-le-corps et de demander à l'Union européenne de s'en saisir. La création de l'HERA découle directement de cette volonté et plusieurs évolutions ont vu le jour depuis lors ; il me semble donc que l'Union européenne a bel et bien pris en compte ce sujet.

La difficulté relève de la mise en oeuvre de la subsidiarité. Comment, dans ce contexte, vont s'adapter les États membres notamment le fonctionnement des systèmes de remboursement et de prise en charge des frais de santé ?

Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. - Pour préparer cette proposition de résolution, nous avons auditionné de nombreuses personnes et structures et nous avons eu le sentiment d'avoir trop peu parlé de relocalisation.

Pour fabriquer un médicament, il faut des principes actifs. Il faudrait commencer par ne plus fermer les sites industriels qui en fabriquent, comme ce fut le cas à Calais. On nous opposera que les normes environnementales n'y étaient plus respectées, mais peut-être aurait-il fallu réfléchir à remettre ce site en état... En tout état de cause, il y avait là un savoir-faire.

Vous avez raison - nous l'avons vécu durant la pandémie de covid-19, puis à l'occasion de la pénurie de Doliprane : le manque de médicaments crée de l'angoisse chez nos concitoyens, qui sont préoccupés par les questions de santé.

Afin d'aller plus loin, il faudrait selon moi un acte législatif permettant d'accroître les aides publiques allouées aux projets de relocalisation de la production de médicaments critiques. Il nous faut également multiplier les sources d'approvisionnement - je pense à l'Amérique du Sud - et mettre en place des marchés publics conjoints afin de renforcer la force de frappe de l'Union européenne en ce domaine.

Mme Pascale Gruny, rapporteur. - L'EMA est l'agence européenne du médicament. Elle gère notamment les demandes d'autorisation de mise sur le marché, tandis que l'HERA a été constituée, à la suite de la pandémie de covid-19, dans le même esprit que la Barda (Biomedical Advanced Research and Development Authority) aux États-Unis, pour fournir des contre-mesures médicales en cas de crise sanitaire majeure. On sent bien qu'une telle structure est indispensable pour faire face à d'autres crises comme pour lutter contre les pénuries de médicaments.

Pendant la crise de covid-19 et en particulier dans les territoires frontaliers, la population ne comprenait pas que les réponses à la crise sanitaire divergent d'un État membre à l'autre. « Que fait l'Europe ? », pouvait-on entendre. Si une demande d'Europe s'est alors exprimée, les possibilités de réponse commune restent limitées, y compris en ce qui concerne la mobilité du personnel soignant. Ainsi, l'écart de rémunération entre professionnels de santé en France et au Luxembourg est tel qu'il vaut mieux travailler au Luxembourg. Grâce à l'HERA et à l'achat groupé, une réponse commune a toutefois pu être apportée à la demande des Français.

Le fait que la santé soit, aux termes du traité, non pas une compétence propre, mais une compétence d'appui de l'Union européenne pose une difficulté. Et il faut bien admettre en même temps qu'il existe de nombreux freins - prix, pratiques, formation - à ce que la santé devienne un jour une compétence propre de l'UE. En principe, le titulaire d'un diplôme européen devrait pouvoir travailler sans difficulté dans un pays voisin ; or, pour les professionnels de santé, force est de constater que tel n'est pas le cas.

En ce qui concerne les relocalisations, quelque 80 % des principes actifs sont produits en Chine et en Inde. L'Amérique du Sud a été évoquée ; encore faut-il nouer des partenariats, le marché sud-américain étant par ailleurs plutôt en autoconsommation.

M. Jean-François Rapin, président. - L'évolution a été très rapide de ce point de vue : il y a vingt ans, seuls 30 % des principes actifs étaient produits en Asie.

Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Le prix est un élément clef des pénuries. Quand on pense médicament, on pense souvent aux gros laboratoires industriels ; mais les PME ne sont pas en reste. Auditionnés, les responsables d'une PME qui venaient de reprendre une autre entreprise nous ont expliqué que pour atteindre l'équilibre financier ils préféraient vendre leurs produits à l'étranger, le prix étant trop bas en France.

La relocalisation industrielle bute aussi sur les normes environnementales. Paradoxalement, nous acceptons que l'on produise et donc que l'on pollue ailleurs, ce qui n'est pas cohérent. Faites l'expérience, sur le terrain, d'évoquer le projet de création d'une entreprise chimique : vous verrez de nombreuses associations descendre dans la rue. La bonne réponse est donc difficile à trouver alors que les besoins sont criants.

Enfin, nous l'avons précisé dans le rapport, la liste de médicaments ne doit pas être une simple addition des listes des États membres.

M. Bernard Jomier, rapporteur. - On sent bien - c'est intéressant - que ces propositions de règlement et de directive font suite à l'épidémie de covid-19. La volonté de promouvoir une réponse coordonnée correspond, de plus, à une demande des États membres.

Personne en France ne connaît l'HERA. Or il s'agit ni plus ni moins de la réponse organisationnelle de l'Union à la crise sanitaire. Nous avons été incapables, je tiens à le dire, de faire l'équivalent en France. On peut réclamer de la subsidiarité, mais qu'avons-nous fait de notre côté ? Avons-nous fait le ménage dans nos agences ?

L'Union européenne a pris ses responsabilités en créant l'HERA. Pour le cas où une nouvelle pandémie nécessiterait un vaccin, les lignes de production des industriels sont réservées par contrat ; l'Union pourra donc produire en masse.

La question de la liste des substances actves est complexe. Vous vous souvenez que, pour la France, l'ancien ministre François Braun avait publié une liste ; immédiatement, des pharmacologues, infectiologues et autres médecins avaient publié une tribune pour la remettre en question. Qu'est-ce, en effet, qu'une liste de médicaments critiques ? Est-ce une liste de familles de produits ? Par exemple, les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), indiqués dans le traitement de l'ulcère, sont-ils tous des substances actives critiques comme l'indique la liste du Gouvernement ou faut-il ne considérer qu'une seule de ces substances actives comme critique ? Entrer dans le détail des molécules et des principes actifs revient à déclencher une bataille rangée entre industriels, sans parler des noms de marques. La liste que François Braun avait initialement publiée comporte quelque 400 substances actives. De son côté, l'ANSM explique qu'environ 6 000 médicaments sont considérés comme étant d'intérêt thérapeutique majeur, au sens de la législation française. L'Union européenne, quant à elle, a annoncé que sa liste de 268 substances était provisoire. Il faut évidemment définir des principes : le critère d'inscription sur la liste doit être l'intérêt clinique démontré et les associations de patients doivent être associées à son élaboration.

Je conclurai en évoquant la question fondamentale du marché des médicaments. L'industrie pharmaceutique est entièrement financiarisée ; elle repose sur des objectifs de rendement, mais vend des produits qui, pour une part, sont pris en charge par notre système socialisé. Le prix correspond-il à la valeur réelle du produit, c'est-à-dire au coût du médicament ? C'est une question essentielle pour éviter les pénuries. Les médicaments matures n'intéressent plus les industriels en raison de rendements trop faibles : si nous devions demain relocaliser la production de paracétamol en France, la boîte serait seulement vendue 20 % plus cher ; en revanche, pour d'autres médicaments, la question se pose en des termes totalement différents.

L'écrasante majorité des pénuries porte sur ces médicaments dits matures, qui sont les plus courants. L'essentiel de la pharmacopée a perdu son intérêt pour un système complètement financiarisé : l'industriel s'intéresse davantage aux médicaments dont la vente dégagera une marge élevée car protégé par un brevet : le fait est que sur les médicaments récents et innovants - sauf exception, en oncologie notamment -, il n'y a globalement pas de rupture.

La question est donc celle du rapport de force entre les institutions publiques, d'une part, et, une industrie qui produit et fait de la recherche pour trouver de nouveaux médicaments, d'autre part. L'échelle européenne peut-elle permettre de rééquilibrer ce rapport de force ? Je pense que oui, sous certaines conditions. D'autres, comme Olivier Maguet, membre de Médecins sans frontière et auteur d'un livre sur le Sovaldi, traitement contre l'hépatite C dont le prix a déclenché un véritable scandale- nous l'avons auditionné hier -, ne sont pas de cet avis. Pour ma part, il me semble que l'Union européenne peut mener une politique volontariste de relocalisation de la production. Cette partie de la proposition de résolution relative à la création de l'Alliance sur les médicaments critiques - initiative inspirée de ce qui a été fait pour les batteries électriques - me semble d'ailleurs, à titre personnel, la plus intéressante.

Ce n'est pas le gouvernement français qui, en multipliant les effets de communication sur une usine de paracétamol opérationnelle dans deux ans et dont l'activité entraînera peut-être l'arrêt de la production d'Aspégic, fera avancer les choses dans son coin : c'est bien à l'échelle de l'Union européenne que les choses sont susceptibles d'avancer.

M. Jean-François Rapin, président. - La possibilité d'échanges transfrontaliers est également très intéressante : il s'agit d'une avancée considérable.

Une guerre commerciale se profile en effet sur les médicaments critiques. C'est la raison pour laquelle la longévité du médicament sur le marché est un critère à prendre en compte pour déterminer la liste des médicaments critiques. Nous parlions des IPP ; le premier médicament à avoir fait ses preuves dans le traitement des ulcères, c'est le Mopral, dont la substance active est l'oméprazole : c'est le cas type du médicament universel toujours prescrit. Sa formule a ensuite été affinée via la commercialisation d'autres médicaments ; était-ce vraiment nécessaire s'agissant d'un traitement que l'on pourrait considérer comme un traitement d'urgence ? Je suis en tout état de cause assez confiant à la suite de la création de l'HERA, qui va prendre son envol, forte de ses 6 milliards d'euros de budget.

Reste à nous prémunir également contre les pénuries que nous créons nous-mêmes. Cette réalité de terrain touche beaucoup plus vite les territoires ruraux que les autres et les petits pharmaciens plutôt que les grands. J'ai constaté ce comportement chez certains pharmaciens : dès lors qu'une éventuelle pénurie d'amoxicilline et de Doliprane a été évoquée pour l'hiver, ils ont commencé à accumuler des stocks dès l'été. Lorsqu'est publié l'arrêté d'interdiction d'accumulation de stocks, il est déjà trop tard. Cet aspect de la régulation du marché et de l'approvisionnement est donc important.

Pour avoir pratiqué une ou deux pharmacies parisiennes, j'ai pu apprécier la qualité de leur travail en réseau : elles savent accepter la concurrence des pharmacies voisines pour répondre à la demande.

M. André Reichardt. - Comment expliquer la pénurie d'oméprazole ? Est-elle le fait d'une production moindre de la part de producteurs de principes actifs situés en Asie ? La demande a-t-elle augmenté dans d'autres pays, hors Union européenne ?

M. Bernard Jomier, rapporteur. - Je ne saurais répondre à cette question, car j'ignorais qu'il existât une telle pénurie. La gamme des IPP est si étendue qu'en la matière, il est possible de substituer un produit à un autre.

M. Jean-François Rapin, président. - La création, voilà vingt à vingt-cinq ans, de ces médicaments extraordinaires a créé une véritable dépendance.

La commission adopte à l'unanimité la proposition de résolution européenne, disponible en ligne sur le site du Sénat, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
SUR L'ACTION DE L'UNION EUROPÉENNE CONTRE LES PÉNURIES DE MÉDICAMENTS

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu les articles 114 et 168 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,

Vu les conclusions du Conseil européen des 29 et 30 juin 2023,

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 25 novembre 2020 : « Stratégie pharmaceutique pour l'Europe », COM(2020) 761 final,

Vu le règlement (UE) 2022/123 du Parlement européen et du Conseil du 25 janvier 2022 relatif à un rôle renforcé de l'Agence européenne des médicaments dans la préparation aux crises et la gestion de celles-ci en ce qui concerne les médicaments et les dispositifs médicaux,

Vu le règlement (UE) 2022/2372 du Conseil du 24 octobre 2022 relatif à un cadre de mesures visant à garantir la fourniture des contre-mesures médicales nécessaires en cas de crise dans l'éventualité d'une urgence de santé publique au niveau de l'Union,

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 26 avril 2023 : « Réforme de la législation pharmaceutique et mesures de lutte contre la résistance aux antimicrobiens », COM(2023) 190 final,

Vu la proposition de recommandation du Conseil relative au renforcement des actions de l'Union visant à lutter contre la résistance aux antimicrobiens dans le cadre d'une approche « Une seule santé », COM(2023) 191 final,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil instituant un code de l'Union relatif aux médicaments à usage humain et abrogeant la directive 2001/83/CE et la directive 2009/35/CE, COM(2023) 192 final,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des procédures de l'Union pour l'autorisation et la surveillance des médicaments à usage humain et établissant des règles régissant l'Agence européenne des médicaments, modifiant le règlement (CE) nº 1394/2007 et le règlement (UE) nº 536/2014 et abrogeant le règlement (CE) nº 726/2004, le règlement (CE) nº 141/2000 et le règlement (CE) nº 1901/2006, COM(2023) 193 final,

Vu la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 24 octobre 2023 : « Remédier aux pénuries de médicaments dans l'Union européenne », COM(2023) 672 final,

Vu l'avis politique de la commission des affaires européennes du Sénat du 20 octobre 2022 sur la stratégie pharmaceutique pour l'Europe de la Commission européenne,

Vu le rapport d'information du Sénat « Pénurie de médicaments : trouver d'urgence le bon remède », (n° 828 tome I, 2022-2023) - 4 juillet 2023 - de Mme Laurence Cohen, fait au nom de la commission d'enquête sur les pénuries de médicaments,

Une action nécessaire de l'Union européenne dans le respect des traités

Considérant la multiplication des pénuries de médicaments dans les États membres de l'Union ;

Considérant que la fourniture de médicaments relève de la compétence des États membres ;

Considérant l'action de l'Union durant la pandémie de COVID-19 pour organiser l'achat commun de vaccins et ainsi éviter une concurrence entre États membres ;

Considérant la typologie des pénuries retenue par la Commission qui distingue parmi elles celles nécessitant une action coordonnée au niveau de l'Union pour y remédier ;

Considérant que le groupe de travail sur les pénuries de médicaments, institué par le règlement (UE) 2022/123 et composé de représentants des États membres, sera chargé d'adopter et de mettre à jour une liste des pénuries critiques de médicaments, sur la base des notifications réalisées par les autorités compétentes des États membres ;

Est favorable à une action de l'Union contre les pénuries de médicaments dans le respect des compétences des États membres ;

Appuie la proposition de typologie des pénuries proposée par la Commission dans la mesure où elle respecte les principes de subsidiarité et de proportionnalité ;

Soutient l'adoption d'une liste des pénuries critiques de médicaments par le groupe de pilotage institué par le règlement (UE) 2022/123 ;

Des obligations de notification et d'information renforcées pour les titulaires d'autorisation de mise sur le marché (AMM)

Considérant que la Commission européenne propose que les titulaires d'autorisation de mise sur le marché  (AMM) notifient avec davantage d'anticipation à l'autorité compétente de l'État membre concerné, et à l'Agence européenne des médicaments (EMA) lorsqu'il s'agit d'un médicament couvert par une autorisation centralisée de mise sur le marché, leur décision de retirer, définitivement ou temporairement, un produit du marché ou une perturbation temporaire de la fourniture d'un médicament dans un État donné ;

Considérant les mesures proposées par la Commission dans ce cas pour faciliter le transfert de l'AMM ;

Considérant que la Commission propose également de renforcer les obligations des titulaires d'AMM en ce qui concerne la fourniture d'informations aux autorités compétentes des États membres ainsi qu'à l'EMA, leur permettant d'apprécier le risque de pénurie et d'y répondre ;

Considérant la nécessité d'améliorer les prévisions relatives à l'offre et à la demande de médicaments ;

Soutient les mesures proposées par la Commission en vue de renforcer les obligations de notification et d'information des titulaires d'autorisation de mise sur le marché ;

Souligne qu'elles doivent s'accompagner de mesures visant à faciliter le transfert de l'autorisation de mise sur le marché vers un autre titulaire en cas de retrait d'un médicament du marché ;

Recommande que l'EMA puisse faciliter ce transfert en publiant sur son site Internet la liste des entreprises souhaitant organiser un tel transfert ;

Demande que soit modifiée l'annexe II de la proposition de règlement COM(2023) 193 final, ci-dessous « la proposition de règlement », qui précise la liste des obligations dont le non-respect peut faire l'objet de sanctions financières sous forme d'amendes, pour y inclure les obligations de notification et d'information ;

Souhaite que les informations collectées directement par l'EMA auprès des titulaires d'AMM en cas de pénurie critique soient partagées avec les autorités compétentes des États membres ;

Recommande d'utiliser les informations des systèmes actuellement en vigueur au sein de l'Union, notamment le système européen de vérification des médicaments afin d'éviter aux titulaires d'autorisation de mise sur le marché d'avoir à fournir plusieurs fois les mêmes informations ;

Estime que les autorités compétentes des États membres et l'EMA devraient également assurer sur leur site Internet la publicité des pénuries potentielles et fournir une information en temps réel sur la disponibilité des médicaments, afin de permettre notamment aux médecins d'adapter leurs prescriptions ;

Demande un renforcement des liens entre le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, d'une part, et les autorités compétentes des États membres, d'autre part, pour mieux anticiper la demande de médicaments ;

Une obligation utile d'établir des plans de prévention des pénuries dont l'efficacité doit être renforcée

Considérant que la proposition de règlement prévoit que les titulaires d'autorisation de mise sur le marché devront établir un plan de prévention des pénuries pour tous les médicaments de leur portefeuille ;

Juge que ces plans constituent un outil utile d'évaluation des risques et d'anticipation des tensions d'approvisionnement ;

Estime nécessaire de restreindre le champ d'application de cette mesure aux seuls médicaments critiques ;

Demande que la régularité et la qualité de ces plans fassent l'objet d'une évaluation par l'EMA ;

Appelle à une augmentation du budget de l'EMA pour lui permettre d'assurer convenablement cette mission ;

Souhaite que ces plans puissent être communiqués à tout moment aux autorités compétentes des États membres qui pourraient ainsi saisir l'EMA pour signaler tout manquement en ce qui concerne leur régularité ou leur qualité ;

Rappelle que les données communiquées par les titulaires d'autorisation de mise sur le marché dans ce cadre peuvent faire l'objet d'une demande légitime de confidentialité ;

Soutient la mise en place de sanctions dissuasives pour inciter au respect de l'obligation d'établir des plans de prévention des pénuries et donc que soit modifiée l'annexe II de la proposition de règlement en conséquence ;

Demande que la proposition de règlement précise que les titulaires d'autorisation de mise sur le marché sont tenus de mettre en oeuvre le plan de prévention des pénuries en cas de besoin réel ou potentiel ;

Une liste de médicaments critiques reposant à la fois sur la criticité thérapeutique et sur la criticité industrielle

Considérant que la proposition de règlement prévoit que la Commission adopte, sur proposition du groupe de pilotage prévu par le règlement (UE) 2022/123, une liste de médicaments critiques de l'Union ;

Considérant que la Commission a anticipé cette mesure en publiant une première liste de substances actives critiques ;

Considérant que cette liste est établie sur le fondement de la criticité thérapeutique des substances actives, évaluée selon une méthode identifiant trois niveaux de risque relatifs à deux critères : l'indication thérapeutique et la disponibilité d'alternative adéquate ;

Considérant que six États membres, dont la France, ont élaboré une liste de substances actives essentielles qui ont été transmises à la Commission ;

Soutient l'élaboration d'une liste de médicaments critiques de l'Union ;

Rappelle que celle-ci ne doit pas être une simple addition des listes nationales mais doit contenir les substances actives critiques à l'échelle de l'Union ;

Demande que la sélection des substances actives critiques soit faite de manière transparente par une équipe indépendante qui devra sélectionner les substances dont l'intérêt clinique pour les patients a été démontré ;

Demande que les associations de patients soient impliquées dans l'élaboration de la liste de l'Union de médicaments critiques ;

Rappelle la nécessité d'évaluer également la criticité industrielle des médicaments, substances actives et produits finis, en réalisant une cartographie de la chaîne de valeur et en identifiant les vulnérabilités ;

Demande que les titulaires d'autorisation de mise sur le marché répondent aux demandes d'information de la Commission concernant leurs opérations industrielles afin de lui permettre d'évaluer la vulnérabilité des chaînes de valeur ;

Appelle à garantir la confidentialité des informations transmises par les titulaires d'autorisation de mise sur le marché dans ce cadre ;

La disponibilité des stocks qui conditionne l'efficacité d'un mécanisme de coopération volontaire entre États membres

Considérant que, dans la proposition de règlement, la Commission ne précise pas les mesures qu'elle est susceptible de prendre en cas de pénurie critique de médicaments ;

Considérant que la Commission indique qu'elle pourra, par le biais d'un acte d'exécution, demander aux titulaires de l'autorisation de mise sur le marché d'un médicament critique de constituer des stocks ;

Considérant que certains États membres ont imposé aux titulaires d'autorisation de mise sur le marché une obligation de stockage correspondant à leurs besoins ;

Considérant que la Commission a mis en place un mécanisme de solidarité en matière de médicaments qui doit permettre, sur une base volontaire, le transfert de médicaments d'un État membre à l'autre en cas de besoin ;

Considérant que ce transfert sera organisé avec le concours de l'EMA qui recensera les besoins ;

Considérant que ce transfert ne pourra se faire qu'à condition que les médicaments soient disponibles dans un autre État membre mais qu'il est actuellement difficile d'évaluer les stocks de médicaments disponibles dans un État membre donné ;

Considérant que le transfert de médicaments d'un État membre à l'autre nécessite la mise en oeuvre de flexibilités réglementaires qui peuvent concerner l'étiquetage ou la notice ;

Considérant que la proposition de directive COM(2023) 192 final prévoit que les États membres pourront décider que la notice sera mise à disposition sous forme papier ou électronique, voire les deux ;

Considérant que la proposition de directive prévoit également que la Commission pourra être habilitée à adopter des actes délégués afin de rendre obligatoire la version électronique de la notice ;

Demande que la Commission précise, dans la proposition de règlement, les mesures qu'elle serait habilitée à prendre dans le cadre de la gestion des pénuries critiques de médicaments ;

Recommande que chaque État membre puisse fixer des obligations de constitution de stocks aux titulaires d'autorisation de mise sur le marché selon ses propres besoins et que la Commission propose des mesures pour promouvoir une approche stratégique commune en matière de stockage de médicaments, sous réserve que les États membres restent libres d'y participer ;

Soutient la création d'un mécanisme de solidarité volontaire en matière de médicaments ;

Souligne qu'un tel mécanisme suppose que les difficultés d'approvisionnement soient circonscrites à un nombre limité d'États membres ;

Estime que la participation d'un État membre à ce mécanisme de solidarité doit être conditionnée à la mise en oeuvre d'une obligation de stockage à l'échelle nationale ;

Appelle à favoriser une plus grande transparence des États membres sur les stocks dont disposent les titulaires d'AMM sur leur territoire ;

Approuve la possibilité de mettre en oeuvre des flexibilités réglementaires lorsque celles-ci peuvent permettre de remédier à la pénurie critique de médicaments, à condition qu'elles aient été évaluées par l'autorité nationale compétente de l'État membre concerné et qu'elles ne présentent pas de danger pour la sécurité des patients ;

Demande que ceux-ci puissent, dans tous les cas, bénéficier d'une notice dans leur langue au format électronique ou papier, selon leur souhait ;

S'oppose à toute suppression de la possibilité pour les patients d'obtenir une notice au format papier ;

Demande la suppression, dans la proposition de directive COM(2023) 192 final, de la disposition permettant à la Commission d'adopter des actes délégués afin de rendre obligatoire le recours aux notices électroniques ;

L'Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d'urgence sanitaire (HERA) et les marchés publics, deux instruments à promouvoir dans la lutte contre les pénuries de médicaments

Considérant que le règlement (UE) 2022/2372 prévoit une révision des missions de l'HERA en 2024 ;

Considérant que le budget du programme EU4Health a été récemment réduit d'un milliard d'euros ;

Considérant la nécessité d'une analyse de la criticité industrielle des chaînes de valeur de la production de médicaments ;

Considérant que le règlement (UE) 2022/123 consacre le rôle de l'EMA et du groupe de pilotage sur les pénuries de médicaments dans la lutte contre ces pénuries ;

Considérant la nécessité de disposer d'informations fiables sur la demande et l'offre de médicaments critiques ;

Considérant que la Commission estime nécessaire de prendre en compte les garanties offertes par les candidats en matière de sécurité de l'approvisionnement lors des procédures de passation de marchés publics ;

Considérant que l'HERA organise dès à présent la passation de marchés publics conjoints pour l'achat de vaccins ;

Considérant l'opacité regrettable qui a entouré les contrats d'achat anticipé de vaccins contre la COVID-19 ;

Demande que les missions de l'HERA soient élargies au-delà des seuls cas d'urgence sanitaire pour participer à la gestion des pénuries critiques de médicaments et évaluer la vulnérabilité industrielle des médicaments critiques ;

Souhaite que l'HERA effectue une analyse de la criticité industrielle des médicaments critiques et qu'elle cartographie les sources d'approvisionnement des principes actifs et des intrants de ces médicaments, en y associant une évaluation des risques d'approvisionnement induits ;

Estime nécessaire de bien définir les missions de l'EMA et de l'HERA afin de s'assurer que leurs actions soient complémentaires ;

Souhaite, que, dans le cadre du prochain cadre financier pluriannuel, le budget de l'HERA soit augmenté ;

Recommande de restreindre le commerce parallèle de médicaments en cas de pénurie critique ;

Soutient la passation de marchés publics conjoints pilotés par l'HERA et la possibilité, pour les États membres, d'y participer sur une base volontaire ;

Estime que ces marchés publics conjoints doivent être passés en toute transparence ;

Demande que le critère lié aux garanties en matière de sécurité de l'approvisionnement soit pris en compte pour l'attribution des marchés publics ;

Le nécessaire développement des capacités de production de l'Union

Considérant que la Commission a institué une Alliance pour les médicaments critiques permettant aux autorités nationales, à l'industrie, aux représentants de la société civile, à la Commission et aux agences de l'Union de mettre en place une action coordonnée au niveau de l'Union contre les pénuries de médicaments ;

Considérant que la concentration de la production de certains intrants ou principes actifs renforce la vulnérabilité des chaînes d'approvisionnement ;

Considérant que la Commission entend créer un réseau de partenaires internationaux afin de renforcer la résilience des chaînes d'approvisionnement tout en favorisant la convergence réglementaire avec les partenaires de ce réseau ;

Considérant que la proposition de règlement prévoit le développement de programmes d'audit commun supervisés par l'EMA pour harmoniser les pratiques des autorités compétentes des États membres en charge du contrôle des unités de production ;

Considérant que la Commission soutient le renforcement des capacités de l'Union à produire des médicaments ;

Considérant que la Commission promeut la mise en oeuvre de projets importants d'intérêt européen commun pour soutenir le développement de l'industrie du médicament sur le territoire de l'Union et lutter contre les pénuries de médicaments ;

Considérant que ces projets permettent de bénéficier d'aides publiques plus importantes mais doivent être porteurs d'innovation ;

Considérant que ce critère d'innovation est difficile à satisfaire dans le cadre de médicaments matures et que ces médicaments sont pourtant les plus concernés par les risques de pénurie ;

Considérant que plusieurs États membres dont la France ont initié un projet important d'intérêt européen commun pour développer des procédés de fabrication plus écologiques ;

Considérant que la France a lancé un programme de relocalisation de certains médicaments ou principes actifs ;

Considérant l'absence de concertation sur les programmes de relocalisation au sein de l'Union ;

Considérant que les programmes de relocalisation nécessitent une aide publique importante qui reste néanmoins encadrée par la législation de l'Union ;

Considérant la nécessité d'assurer la viabilité économique à long terme des opérations de relocalisation ;

Considérant que les médicaments produits sur le territoire de l'Union subissent la concurrence des productions asiatiques qui ne répondent pas nécessairement aux mêmes normes de production, notamment environnementales ;

Considérant que la production des médicaments sur le territoire de l'Union risque d'entraîner une hausse de leur prix ;

Considérant que les politiques de relocalisation peuvent ne pas suffire à garantir un approvisionnement approprié en médicaments critiques ;

Considérant que l'Union dispose d'unités de production mobilisables à tout moment pour permettre de produire jusqu'à 325 millions de doses de vaccins dans le cadre du dispositif EU Fab ;

Considérant que ce dispositif a un coût annuel de 160 millions d'euros ;

Soutient la création de l'Alliance pour les médicaments critiques ;

Souhaite que la Commission encourage les titulaires d'autorisation de mise sur le marché à participer activement aux travaux de cette Alliance ;

Soutient les mesures visant à diversifier les chaînes d'approvisionnement et la création d'un réseau de partenaires internationaux pour renforcer la résilience des chaînes d'approvisionnement et favoriser la convergence réglementaire et le respect des normes européennes garantissant la qualité des médicaments ;

Encourage le développement de programmes d'audit commun pour l'inspection des unités de production afin de limiter les défauts de qualité des médicaments qui sont souvent sources de pénurie ;

Indique que les projets importants d'intérêt européen commun ne sont pas nécessairement un instrument adapté pour favoriser la relocalisation de médicaments matures dans la mesure où ceux-ci ne présentent pas nécessairement une composante d'innovation ;

Souhaite que la Commission présente un texte législatif visant à proposer un instrument plus adéquat pour développer la relocalisation de médicaments critiques sur le territoire de l'Union ;

Rappelle que toute subvention versée pour soutenir un projet de relocalisation implique des contreparties, notamment en termes de sécurité d'approvisionnement et de maintien de l'activité ;

Estime nécessaire d'examiner en amont de tout projet de relocalisation les conditions nécessaires à la viabilité économique de la production envisagée, notamment en termes de prix et de volume de la demande ;

Demande que soit également évalué le coût d'opportunité des opérations de relocalisation, dans la mesure où les subventions accordées ne serviront pas à financer d'autres besoins du système de santé ;

Plaide pour la promotion de conditions de concurrence équitables entre les entreprises produisant sur le territoire de l'Union et celles implantées dans d'autres régions du monde, notamment en intégrant des critères environnementaux et sociaux dans les bonnes pratiques de fabrication que les entreprises situées dans les États tiers devront respecter ;

Regrette l'absence de coordination entre États membres dans la mise en oeuvre des projets de relocalisation ;

Souhaite que les projets de relocalisation nationaux puissent faire l'objet d'une information et d'une concertation entre États membres organisées par la Commission européenne ;

Recommande que cette concertation permette d'éviter les redondances afin de garantir la demande suffisante nécessaire à la viabilité économique d'une production relocalisée ;

Soutient la production publique de médicaments et la création d'un établissement pharmaceutique européen à but non lucratif capable de produire des médicaments critiques, en cas de défaut de la production privée ou d'insuffisance de ses capacités ;

Invite le Gouvernement à faire valoir ces positions dans les négociations au Conseil.

Institutions européennes - LXXIe réunion de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires de l'Union européenne (Cosac) à Bruxelles du 24 au 26 mars - Communication

M. Jean-François Rapin, président. - Je souhaite maintenant vous rendre compte de la soixante et onzième réunion de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires de l'Union européenne (Cosac), qui s'est tenue du 24 au 26 mars à Bruxelles. Celle-ci constitue le volet parlementaire de la présidence belge de l'Union européenne. La quasi-totalité des parlements nationaux des États membres et des pays candidats - notamment la Turquie - y étaient représentés, ainsi que le Parlement européen. J'y ai représenté seul le Sénat, Didier Marie et Claude Kern ayant été malheureusement empêchés de m'accompagner comme prévu. Louise Morel, députée du Bas-Rhin, siégeait au nom de l'Assemblée nationale.

La réunion plénière de la Cosac se tient habituellement en mai et permet de tirer un bilan de la présidence en exercice, mais, cette fois, le calendrier électoral a conduit à l'avancer à la fin du mois de mars : en effet, le 9 juin se dérouleront à la fois les élections législatives fédérales et les élections régionales belges, ainsi que les élections européennes.

La réunion était présidée par nos collègues coprésidents du comité d'avis fédéral belge chargé des questions européennes : Éliane Tillieux, qui est aussi présidente de la Chambre des représentants de Belgique, et Gaëtan Van Goidsenhoven, qui est membre du Sénat belge.

Elle s'est déroulée en quatre séquences respectivement consacrées au bilan de la législature européenne 2019-2024 et aux perspectives de l'agenda stratégique du Conseil pour les années 2024-2029 ; à la politique du genre et à la représentation des femmes au Parlement, sujet qui tient au coeur de la présidente Éliane Tillieux ; à l'autonomie stratégique ouverte, à la compétitivité et à la résilience ; à la démocratie et à l'État de droit.

La première séquence a été ouverte par M. Georges Gilkinet, vice-premier ministre et ministre de la mobilité de Belgique. Il a rappelé les avancées obtenues durant la présidence belge du Conseil de l'Union européenne, notamment en matière sociale ou en ce qui concerne l'ouverture de négociations d'adhésion avec l'Ukraine et la Moldavie.

Mme Ivanna Klympouch-Tsintsadzé, présidente de la commission pour l'intégration à l'Union européenne de la Rada d'Ukraine, est ensuite intervenue. Elle a remercié l'Union européenne pour son soutien face à la guerre meurtrière menée par la Russie et aux bombardements incessants visant les populations civiles et les infrastructures. Elle a appelé les États membres à intensifier leur aide politique et financière ainsi que les livraisons d'armes et de munitions à l'Ukraine. En ce qui concerne l'attentat terroriste de Moscou, elle a mis en garde contre l'instrumentalisation de cet attentat par Vladimir Poutine pour mettre en cause l'Ukraine.

La plupart des intervenants ont confirmé la nécessité de renforcer l'appui européen à l'Ukraine. Pour ma part, j'ai rappelé le soutien apporté par la France et par le Sénat. Compte tenu de la politique agressive de la Russie, des incertitudes relatives à la politique étrangère américaine et de l'émergence de la puissance de la Chine, j'ai insisté sur la nécessité de renforcer l'autonomie stratégique de l'Union européenne et d'avancer vers une défense européenne crédible et autonome.

En marge de la réunion, j'ai eu l'occasion d'avoir plusieurs entretiens bilatéraux, formels ou non, notamment avec les représentants du Bundestag et du Bundesrat allemands, du Sénat polonais et du Parlement moldave.

Au cours de la rencontre bilatérale avec la délégation allemande, qui a duré une heure et demie, de nombreux sujets ont été évoqués. Malgré quelques différences d'approche, nous avons constaté la convergence fondamentale entre la France et l'Allemagne sur l'Ukraine et sur l'autonomie stratégique de l'Union européenne ; nous sommes convenus de l'importance du couple franco-allemand et du triangle de Weimar. Nous avons aussi abordé des sujets plus sensibles : le Green Deal et son articulation avec la politique agricole commune ; la place de l'énergie nucléaire dans la politique européenne de l'énergie ; les enjeux budgétaires et la question de la dette - nous n'avions pas encore connaissance de la dérive du déficit budgétaire français, que l'Insee a annoncée le lendemain... Avec mon homologue du Bundestag, M. Hofreiter, qui appartient au parti Die Grünen, nous sommes convenus de multiplier nos échanges, car nous avons de nombreuses convergences sur plusieurs points.

Trois commissaires européens sont intervenus devant la Cosac ; tous trois ont déjà été auditionnés par notre commission.

Nicolas Schmit et Thierry Breton se sont exprimés lors de la séquence relative à l'autonomie stratégique ouverte, à laquelle j'ai participé : j'ai insisté sur la nécessité de sécuriser notre approvisionnement en matières premières, de poursuivre le « de-risking » de certaines activités économiques et d'utiliser l'atout du marché unique pour affirmer notre modèle sur la scène mondiale, y compris en matière agricole.

Didier Reynders, pour sa part, est intervenu lors de la séquence relative à la démocratie et à l'État de droit. Au cours de cette réunion sont aussi intervenus notamment Koen Lenaerts, le président de la Cour de justice de l'Union européenne, qui nous a fortement impressionnés, et Françoise Tulkens, qui fut juge et vice-présidente de la Cour européenne des droits de l'homme.

L'intervention de cette dernière a été particulièrement éclairante : elle a tenté de définir les termes du débat en rappelant que le modèle européen de l'État de droit recouvrait à la fois le droit au droit et le droit au juge. Le droit au droit comprend toutes les dispositions juridiques qui limitent la puissance de l'État et assurent le respect des droits et libertés par les organes étatiques et les autorités publiques. Le droit au juge désigne la nécessité de garantir la possibilité d'un recours juridictionnel devant un tribunal. À propos de la démocratie, Mme Tulkens a cité Paul Ricoeur : « est démocratique une société qui se reconnaît divisée ».

Ces valeurs fondatrices européennes, l'État de droit et la démocratie, lui paraissent faire l'objet d'attaques de trois ordres : d'abord, la non-exécution des décisions de justice, à la fois nationales et européennes ; ensuite, les atteintes à la liberté d'expression du fait des menaces pesant sur les journalistes, de la désinformation croissante et des progrès de la censure ; enfin, les atteintes à l'intégrité des gouvernants. Elle a insisté sur la nécessité de lutter contre la corruption, qu'elle estime être à la source de « crimes sans victimes ». Ces propos confirment l'importance du travail effectué par notre commission sur ce sujet sensible, d'autant que nous avons appris, dans l'intervalle, qu'un possible « Russiagate » était en passe d'être révélé au Parlement européen...

La réunion s'est conclue par l'adoption de conclusions qui ont prêté à débat : le texte proposé par la présidence belge faisait référence à un projet de charte du parlementarisme, que défend le Parlement européen. Ce dernier espère qu'il sera adopté lors de la prochaine conférence des présidents des parlements de l'Union européenne, qui aura lieu en Espagne dans trois semaines - j'y représenterai le président Larcher. Le Parlement européen plaidait pour que la Cosac mentionne dans ses conclusions que ce projet de charte serait adopté à cette occasion.

Je me suis élevé contre cette proposition, car la Cosac n'a aucune légitimité pour anticiper sur l'issue de cette réunion des présidents des parlements. C'est une manoeuvre assez grossière à laquelle s'est prêté Othmar Karas, vice-président du Parlement européen... Ma collègue députée et moi-même avons obtenu - grâce au soutien de nos collègues allemands, du Bundestag comme du Bundesrat, et de nombreux autres collègues, qui sont très réservés à l'égard de cette charte, car elle n'a pas fait l'objet d'une concertation suffisante et son contenu est loin de faire consensus - que la Cosac prenne simplement acte du fait que l'examen de ce projet de charte figurera à l'ordre du jour de la prochaine conférence des présidents des parlements de l'Union européenne.

Par ailleurs, la Cosac a produit une contribution finale adressée à l'ensemble des institutions européennes. Ce document assez étoffé reprend les grandes lignes des quatre séquences ; nous avons pu l'enrichir de diverses manières : nous avons insisté sur le fait que l'autonomie alimentaire constituait un objectif à atteindre pour l'agriculture européenne ; nous avons fait valoir que la sobriété énergétique était un outil au service des ambitions de l'Union européenne en matière climatique ; nous avons souligné l'importance de la lutte contre la corruption ; enfin, nous avons ajouté l'Arménie à la liste des pays dont la Cosac confirme qu'elle soutient l'indépendance, la souveraineté et l'intégrité territoriale, liste qui comprend déjà l'Ukraine, la Moldavie et la Géorgie.

Nous avons également obtenu de tempérer la rédaction d'un amendement italien qui visait à ce que la Cosac plaide pour un nouvel emprunt européen, destiné à investir dans la défense. J'ai expliqué à nos collègues que je ne saurais soutenir un tel texte : nous avons déjà voté en faveur d'un premier emprunt européen et je peux difficilement défendre l'idée d'un second emprunt. Nous sommes convenus qu'il était préférable, à ce stade, que la Cosac se limite à appeler à un débat sur l'opportunité de créer de telles obligations européennes de défense, sans aller jusqu'à en soutenir d'emblée le principe. Nous avons été entendus, puisque le texte de compromis de la présidence a repris notre ligne plus prudente. Je tiens d'ailleurs à souligner l'excellence de notre relation de travail avec nos homologues italiens : ils ont tenu compte de notre avis.

La contribution finale de la Cosac comprend aussi un développement sur la situation au Proche-Orient, qui a suscité de nombreux débats et que la délégation allemande a souhaité ne pas endosser : dans une note de bas de page, elle explique que le texte ne reconnaît pas suffisamment à ses yeux, parallèlement à la reconnaissance des souffrances de la population civile dans la bande de Gaza, le droit inaliénable d'Israël à exister et son droit à l'autodéfense.

La délégation allemande a aussi fait mentionner expressément que, si le texte ne reflétait pas suffisamment son point de vue sur ce sujet sensible, c'était en partie à cause de la difficulté de recueillir la majorité qualifiée élevée prévue par le règlement intérieur de la Cosac pour l'adoption des amendements.

Voilà en effet deux ans que j'alerte sur ce sujet. De fait, pour faire adopter un amendement à la Cosac, il faut obtenir les trois quarts des votes exprimés, ce qui est souvent hors d'atteinte. La Cosac a été créée pour que les parlements nationaux puissent se faire entendre au niveau européen ; mais le Parlement européen qui en fait aussi partie y a pris un poids croissant. Il s'appuie à cet effet sur sa nombreuse administration et le vice-président Othmar Karas n'hésite pas à donner des consignes de vote aux parlementaires nationaux. Voilà qui est préoccupant.

Nous nous sommes nous-mêmes heurtés à cette difficulté : avec les représentants de l'Assemblée nationale, nous n'avons pas réussi à obtenir que le texte de la contribution finale mentionne les groupes de travail que nous avions créés durant la présidence française, alors que deux passages de la contribution, sur l'État de droit et sur le renforcement du rôle des parlements dans l'Union, sont clairement inspirés de leurs travaux.

Ces règles de vote très exigeantes m'ont empêché de faire adopter deux autres amendements.

Par le premier, je souhaitais insister sur la condamnation du terrorisme et en particulier de l'attentat commis en Russie et revendiqué par Daech à l'encontre de civils innocents le 22 mars 2024 : il s'agissait ainsi de souligner l'implication de Daech, que Poutine ne reconnaît pas.

Mon second amendement avait pour objet de supprimer de la contribution finale une mention indiquant, au titre de la politique d'égalité des genres, que la Cosac se réjouissait que des parlements nationaux adoptent des directives pour un langage « sensible au genre et neutre du point de vue du genre » - le Sénat, je le rappelle, avait voté une proposition de loi sur ce sujet. Je regrette que cette mention n'ait pu être effacée, un quart des membres de la Cosac suffisant à bloquer toute modification du texte soumis au vote...

En ma qualité de président de la commission des affaires européennes, je participe à la Cosac depuis trois ans. Il me semble que son fonctionnement par consensus est de moins en moins opérant. Le principe, en effet, est de soumettre au vote des participants un projet de contribution élaboré par la présidence du Conseil de l'Union en exercice, en concertation avec la précédente et avec la suivante, c'est-à-dire par ce que l'on désigne comme une « troïka ». Mais le Parlement européen est aussi partie prenante de cette troïka ; il exerce ainsi son influence à tous les stades de la discussion, ce qui n'est pas normal.

Comme j'ai pu l'indiquer au président Larcher, il me semble qu'il faudrait revoir les règles de fonctionnement de la Cosac - des représentants de nombreux pays me soutiennent à cet égard. De plus, le temps de parole - une minute ou une minute trente - y est très bref ; il faut laisser les parlementaires s'exprimer. Il conviendrait donc de revoir le règlement de la Cosac pour mieux la laisser respirer.

Mme Pascale Gruny. - Cette situation est peut-être l'héritage d'une période où le Parlement européen avait peu de pouvoir : sa mainmise sur la Cosac est une manière pour lui d'exercer son influence.

M. Jean-François Rapin, président. - Il existe en effet une concurrence entre les différentes instances européennes.

M. André Reichardt. - Les pays candidats à l'adhésion à l'Union européenne, notamment la Turquie, participent à la Cosac. Ont-ils le droit de voter ?

M. Jean-François Rapin, président. - Non : ils peuvent s'exprimer, mais ils ne peuvent pas voter. Seuls les représentants des parlements des États membres de l'Union européenne votent. La « petite Cosac » réunit uniquement les présidents des commissions des affaires européennes de chaque chambre. La réunion plénière, dite « grande Cosac », réunit des délégations composées de trois membres de chaque chambre de chaque parlement ; le vote s'y exprime par chambre.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - J'ai assisté à l'assemblée générale de l'Union interparlementaire qui s'est tenue à Genève - les pays européens y font partie du groupe des « Douze Plus », qui comprend aussi Israël, le Canada ou encore l'Australie. L'Union européenne, en tant que telle, n'y a pas vraiment d'impact : chaque parlement joue sa partition et s'efforce de faire adopter ses motions. Les États européens tentent des actions collectives, mais ils doivent s'allier à des États tiers, car, pour l'heure, leur influence est diluée. Comment l'Europe pourrait-elle exprimer sa force ? Il faudrait sans doute revoir les statuts de cette organisation.

M. Jean-François Rapin. - Je crois beaucoup à la relation interparlementaire permanente. Ainsi, lors de la réunion de la Cosac, j'ai discuté pendant une heure et demie avec les membres de la délégation allemande. Pourtant, M. Hofreiter appartient au parti Die Grünen ; nous n'avons donc pas, a priori, beaucoup d'affinités politiques. Mais cela ne nous a pas empêchés de trouver des convergences.

La France perd en influence sur la scène internationale, certes, mais notre voix continue de porter. Pendant la réunion de la Cosac, les représentants de plusieurs pays, notamment des pays baltes, sont ainsi venus nous consulter pour connaître notre position. Nous travaillons aussi très bien avec les Italiens. La plupart ont compris que, sans la voix de la France, ils pourront difficilement faire adopter un texte, et qu'en revanche, s'ils obtiennent l'appui de la France et de l'Allemagne, ils obtiendront la majorité requise.

J'irai à Chypre dans quelques semaines pour faire le point sur la situation migratoire. Les Espagnols et les Italiens ont demandé à me rencontrer pour étudier comment nous pouvons agir pour réveiller la Cosac, cette belle endormie qui a pu faire figure de chambre d'enregistrement du Parlement européen. Mais la situation évolue : à Bruxelles, plus de 90 amendements ont été déposés sur le projet de contribution finale de la Cosac - c'est inédit.

Mme Pascale Gruny. - L'influence de la France est-elle liée à la francophonie ? Au Parlement européen, j'ai observé une différence entre les générations : les députés plus âgés parlent souvent le français, mais les plus jeunes parlent anglais et nous perdons de l'influence.

M. Jean-François Rapin. - En effet, la langue joue un rôle. À la réunion de la Cosac, nos réunions bilatérales ont eu lieu en anglais, même s'il reste des diplomates qui connaissent le français.

Questions diverses - Désignation d'un rapporteur

M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, je suis l'auteur, avec Bruno Retailleau, d'une proposition de résolution européenne (PPRE) visant à appuyer l'ouverture à l'Arménie d'une assistance au titre de la Facilité européenne pour la paix (FEP). Nous devons nommer un rapporteur ; la PPRE sera examinée par notre commission le 11 avril prochain, avant d'être renvoyée à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Je vous propose de désigner Valérie Boyer, au vu de son expertise et du travail qu'elle a déjà réalisé sur l'Arménie.

Il en est ainsi décidé.

La réunion est close à 10 h 55.