Mercredi 27 mars 2024

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement, adoptée par l'Assemblée nationale - Examen du rapport et du texte de la commission (troisième lecture)

M. Claude Raynal, président. - Nous entamons notre réunion par la présentation du rapport de Mme Christine Lavarde sur la proposition de loi visant à protéger le groupe Électricité de France (EDF) d'un démembrement, adoptée par l'Assemblée nationale, avec modification, en troisième lecture.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - C'est heureux que vous ayez rappelé le titre de la proposition de loi, monsieur le président, car il n'a strictement plus rien à voir avec le contenu du texte sur lequel nous devons nous prononcer en troisième lecture.

Un seul article présente un réel enjeu selon moi : il s'agit de l'article 3 bis, et il se trouve qu'il a été voté conforme par l'Assemblée nationale en troisième lecture.

Cet article concerne les tarifs réglementés de vente de l'électricité (TRVE). Il prévoit, conformément aux dispositions du droit européen, que les très petites entreprises (TPE), ainsi que les collectivités dont le budget s'élève à moins de 2 millions d'euros et comptant moins de 10 équivalents temps plein (ETP) salariés, puissent bénéficier des TRVE.

Je précise de nouveau que, dans le contexte actuel, ces tarifs sont moins attractifs que certaines offres de marché, mais qu'en cas de nouvelle crise des prix de l'électricité dans le futur, ils offriraient un mécanisme protecteur pour tout le monde. J'ajoute que leur définition sera amenée à évoluer avec la suppression de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) au 31 décembre 2025. Sur ce sujet, il y a un grand flou puisque le projet de loi « souveraineté énergétique » ne devrait finalement plus être présenté au Parlement au printemps.

Un autre article a fait l'objet de discussions nourries au sein de notre commission et dans l'hémicycle, et a de nouveau été modifié lors de son examen par l'Assemblée nationale ; je veux parler de l'article 2 relatif au périmètre du groupe Électricité de France et à ses activités.

L'Assemblée nationale a validé le principe d'un contrat d'une durée de dix ans réévalué tous les trois ans, qui permettra à la fois au Gouvernement et à l'entreprise de définir une stratégie de long terme, notamment s'agissant des investissements à réaliser pour garantir une fourniture d'électricité à prix compétitif et, surtout, faciliter la décarbonation de l'économie. Malheureusement, les rapporteurs à l'Assemblée nationale ont adopté en commission un amendement rédactionnel, qui, de mon point de vue, n'en est pas un.

Pour ne pas bloquer l'adoption du texte pour ce seul point, je vous propose de ne rien modifier à ce stade, mais de présenter un amendement en séance publique, visant à préciser que la révision tous les trois ans du contrat vaudra pour une durée de dix ans, et ce de manière à conserver l'idée d'un contrat de long terme. Il s'agit bien d'un contrat pour lequel, tous les trois ans, on refixe une échéance de dix ans, et non d'un contrat de dix ans révisés trois fois au cours de sa durée de vie. Le Gouvernement, avec qui j'ai échangé sur ce point, valide notre interprétation et la confirmera au banc, ce qui me permettra, à l'appui de ces éléments, de retirer l'amendement pour permettre un vote conforme.

Sur la philosophie globale, comme je l'indiquais, nous sommes très loin du texte initialement déposé. La version actuelle découle d'un accord en troisième lecture à l'Assemblée nationale entre l'auteur du texte et rapporteur Philippe Brun, appartenant au groupe Socialistes et apparentés, le second rapporteur Sébastien Jumel, membre du groupe Gauche démocrate et républicaine - NUPES, et le Gouvernement. À ce stade, ne nous en mêlons plus ! Le point qui nous importait, parce que le Sénat le porte depuis très longtemps, concernait l'article 3 bis et les TRVE ; nous obtenons à ce sujet une adoption conforme à nos votes en première et deuxième lectures. Je vous propose d'en rester là, pour un texte qui aura consommé « beaucoup d'énergie à faible rendement », pour reprendre une expression qui n'est pas de moi.

M. Thierry Cozic. - Au sein du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, nous regrettons que le texte final n'aille pas aussi loin que la version initialement proposée par notre collègue député Philippe Brun. Il est également dommage que l'actionnariat salarié ait été renvoyé à un décret ; il aurait été pertinent de l'inscrire dans la loi. Néanmoins, nous nous félicitons du consensus trouvé pour une adoption conforme.

M. Michel Canévet. - Je n'ai pas déposé d'amendement à ce stade, mais je compte en déposer pour la séance publique. En effet, je ne comprends pas l'entêtement du Gouvernement à considérer qu'il ne faut pas s'engager dans une opération d'actionnariat salarié, alors même que nous voulons développer le partage de la valeur dans notre pays. Chaque fois que des initiatives ont été prises pour favoriser, au travers de la mise en place d'une participation au capital, la mobilisation de l'ensemble des salariés à la bonne marche de cette entreprise importante qu'est EDF, le Gouvernement ne s'est pas montré enclin à s'engager. C'est totalement contraire à l'esprit d'un certain nombre de textes adoptés au Parlement au cours des dernières années, souvent sur l'initiative gouvernementale. Il faut qu'il en soit autrement ! L'enjeu est crucial pour la bonne marche future du groupe EDF.

Mme Christine Lavarde, rapporteur. - J'ai eu l'occasion de le dire lors de l'examen en deuxième lecture, cette question a été évoquée au cours de l'entretien que j'ai eu avec Luc Rémont, actuel président-directeur général d'EDF. Celui-ci a clairement indiqué que, dans le cadre de sa stratégie, il comptait renforcer les mécanismes d'intéressement et de participation. Ce type de programmes déclenche des versements au moment du calcul du résultat de l'entreprise, quand le versement des dividendes dépend des sommes encore disponibles après réalisation des investissements. Or le groupe EDF, comme ses filiales Enedis et RTE, est engagé à long terme sur des investissements représentant des montants colossaux, et sa dette, à ce stade, s'élève à 65 milliards d'euros. Autrement dit, ce n'est pas demain qu'il sera en capacité de verser des dividendes, tout en réalisant les investissements nécessaires au renouvellement de l'actuel parc nucléaire et aux nouveaux projets nucléaires.

EXAMEN DE L'ARTICLE

Article 2

L'article 2 est adopté sans modification.

La proposition de loi est adoptée sans modification.

Mission d'information sur les problèmes assurantiels des collectivités territoriales - Communication

M. Claude Raynal, président. - Nous entendons maintenant une communication de Jean-François Husson, en sa qualité de rapporteur de la mission d'information sur les problèmes assurantiels des collectivités territoriales.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le 7 février dernier, la commission des finances entendait l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), Intercommunalités de France et Régions de France sur le sujet des difficultés assurantielles des collectivités. Cette audition, en formation plénière de la commission, attestait de l'importance du sujet et marquait le début des travaux de la mission d'information, constituée le 30 janvier.

En moins de deux mois, la mission a mené 26 auditions et rencontré plus de 40 interlocuteurs : associations d'élus, assureurs, réassureurs, administrations centrales, courtiers, autorités administratives et indépendantes, etc.

Nous avons par ailleurs procédé à deux déplacements : l'un en Île-de-France, dans le Val-de-Marne et les Hauts-de-Seine ; l'autre en Meurthe-et-Moselle. Ces déplacements nous ont permis d'avoir des échanges nourris avec des élus de terrain, concernés au premier chef par ces problèmes.

Ces auditions et ces rencontres ont très utilement nourri les travaux de la mission. Elles ont permis, d'une part, de largement confirmer le constat de difficultés assurantielles accrues pour les collectivités et, d'autre part, de le préciser en identifiant plus clairement le type de problèmes, mais également les catégories de collectivités les plus concernées.

À cet égard, la consultation que le Sénat a menée au cours du mois de février nous a apporté des exemples précis et des éléments chiffrés - avec les réserves que nous devons toutefois avoir en raison du caractère non statistiquement représentatif des réponses reçues. La consultation a recueilli 713 contributions, qui permettent de confirmer solidement et de compléter les éléments et les témoignages récoltés lors des auditions.

On note tout d'abord que 48 % des répondants indiquent avoir constaté une dégradation de leur relation avec leur assureur depuis le 1er janvier 2023. Les collectivités de plus grande taille sont davantage touchées par la forte dégradation : 40 % pour les collectivités de plus de 5 000 habitants, contre 18 % pour les autres.

La consultation confirme également l'ampleur des remontées que nous avions eues des territoires : près de 30 % des répondants indiquent ainsi que leur contrat d'assurance a fait l'objet d'un avenant depuis le 1er janvier 2023, et même 45 % pour les collectivités de plus de 10 000 habitants. En outre, 94 % des avenants se sont traduits par une hausse du coût du contrat.

De manière générale, 60 % des collectivités répondantes déclarent faire face à au moins un problème important avec leur assureur, et c'est le cas de près de 90 % des collectivités de plus de 10 000 habitants.

Ces problèmes sont de natures diverses. Outre la mauvaise qualité de la relation avec l'assureur, notons que 20 % des collectivités répondantes ont vu leur contrat résilié depuis le 1er janvier 2023, parfois avec des préavis très courts - inférieurs à deux mois -, ce qui a induit des difficultés pour retrouver un nouvel assureur. Ainsi, 24 % des répondants indiquent avoir lancé des appels d'offres infructueux et 16 % affirment s'être retrouvés dans l'impossibilité de s'assurer depuis le 1er janvier 2023.

Au-delà de ces constats, permettant de mieux cerner la nature des problèmes rencontrés, la consultation nous éclaire également sur les actions qui pourraient être mises en oeuvre par les collectivités, au besoin avec l'accompagnement des assureurs, afin d'améliorer les relations contractuelles et de faciliter la passation et l'exécution des marchés d'assurance.

Tout d'abord, près de la moitié des collectivités estime ne pas avoir une connaissance suffisante du fonctionnement de ses contrats d'assurance et 62 % d'entre elles souhaiteraient pouvoir bénéficier d'une formation sur ce sujet. À cet égard, 61 % des collectivités qui évoquent une dégradation de leur relation avec leur assureur estiment, dans le même temps, ne pas connaître suffisamment le fonctionnement de leur contrat d'assurance. Inversement, celles qui évoquent une amélioration de leurs relations ne sont que 14 % à ne pas avoir une connaissance suffisante de leurs contrats. Preuve en est qu'une meilleure maîtrise par les collectivités des contrats d'assurance va de pair avec une meilleure relation entre assureur et assuré.

Par ailleurs, les collectivités considèrent rarement disposer de suffisamment d'informations sur les risques auxquels elles font face.

Enfin, la consultation montre que les actions de prévention des risques, pourtant de nature à permettre la conclusion de contrats dans les meilleures conditions tarifaires possible, ne sont pas suffisamment développées, comme en atteste le fait que 42 % des collectivités déclarent ne mener aucune action de prévention ou que 30 % déclarent ne pas connaître leur patrimoine, faute d'inventaire, alors même qu'une connaissance précise de ce patrimoine mobilier et immobilier est un préalable nécessaire à la définition du besoin d'assurance.

Nos travaux, qui se sont appuyés sur les résultats de cette consultation, et le rapport qui en découle mettent en exergue que les difficultés rencontrées par les collectivités sont protéiformes et concernent tant la passation des marchés que leur exécution. Par ailleurs, ces difficultés affectent l'ensemble des communes, qu'elles soient urbaines ou rurales, qu'elles aient été touchées ou non par des émeutes ou des phénomènes climatiques violents.

Cette généralisation pointe le fait que les tensions du marché de l'assurance des collectivités territoriales sont le fruit de dysfonctionnements structurels, bien plus qu'elles ne découlent du niveau de sinistralité des collectivités ou de leur exposition aux risques.

C'est pour moi l'une des principales découvertes issues directement de nos travaux. J'avoue avoir imaginé, en lançant cette mission, que les difficultés du secteur étaient essentiellement dues à une absence de corrélation entre l'évolution des risques, d'une part, et les pratiques des assureurs et des collectivités, d'autre part. Mais en réalité, les émeutes et la hausse de la sinistralité en 2023 n'ont été que le révélateur du véritable fait préjudiciable aux collectivités territoriales : l'atrophie du marché de l'assurance des collectivités, avec une absence quasi totale de concurrence.

Sur ce point, nous avons constaté que, dans la seconde moitié des années 2010, les tarifs des contrats d'assurance des collectivités ont fortement baissé, sous l'effet conjugué de la politique tarifaire très mordante de la Smacl et d'une guerre des prix sous l'influence d'assureurs européens ayant pénétré le marché, pour s'en désengager peu de temps après.

Le marché s'en retrouve aujourd'hui divisé en deux segments, dont chacun est dominé par un assureur : Groupama pour les collectivités de moins de 10 000 habitants et, pour les autres, Smacl Assurances SA, une société pénalisée par une gestion hasardeuse, matérialisée notamment par une inadéquation entre les risques souscrits et ses capacités d'y faire face. Son rétablissement, qui passe par des hausses de tarifs, pèse aujourd'hui d'autant plus sur les collectivités et celles-ci ne peuvent se tourner vers d'autres assureurs puisque, comme je l'ai expliqué, la concurrence n'existe plus sur ce marché.

Face à cette situation, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), dont l'une des missions est de superviser le secteur des assurances, a averti plusieurs fois la Smacl des difficultés vers lesquelles elle s'orientait et a fini par lui demander en septembre 2020 la mise en oeuvre d'un programme de rétablissement, aboutissant à l'adossement à la MAIF de la structure, devenue de ce fait Smacl Assurances SA.

L'action résolue de l'ACPR a très probablement évité la défaillance d'un acteur incontournable de l'assurance des collectivités. Toutefois, force est de constater qu'elle n'a pas permis de remédier structurellement aux dysfonctionnements du marché.

Or, en l'absence d'évolution du fonctionnement de ce marché, la situation ne pourra qu'empirer dans les années à venir, en raison de risques climatiques et de risques d'émeutes qui causent des dommages de plus en plus nombreux et coûteux. C'est ce qu'indique notamment une très récente communication de France Assureurs, selon laquelle l'année 2023 est la troisième plus chargée en sinistres climatiques, juste après 2022.

Dans ce contexte, les collectivités territoriales, si elles ne sont pas responsables des difficultés qu'elles subissent, peuvent toutefois prendre diverses mesures pour améliorer leur situation assurantielle, de même que les assureurs et l'État doivent renforcer leur accompagnement.

Au terme de ce travail approfondi, le rapport formule quinze recommandations qui s'articulent autour de quatre axes.

Premier axe : il est nécessaire de garantir la concurrence sur le marché de l'assurance.

C'est pourquoi je propose, d'une part, que la commission des finances saisisse l'Autorité de la concurrence, comme elle a le pouvoir de le faire, afin de disposer d'une analyse précise de la situation du marché de l'assurance des collectivités et des modalités à même de garantir son bon fonctionnement. Ce point me semble particulièrement important parce qu'il était dans l'angle mort du sujet ; il me semble notamment ne pas avoir été identifié par la mission diligentée par le Gouvernement, alors même qu'il apparaît comme un prérequis pour régler les problèmes rencontrés.

Je propose, d'autre part, que l'ACPR mette en place un suivi spécifique de l'assurance des collectivités, ce qui n'est pas le cas actuellement. Ses représentants nous ont même indiqué en réunion qu'ils disposaient de peu d'informations sur ce sujet, car ils traitent les collectivités au sein du secteur des entreprises, alors que ce marché, on le voit bien, est spécifique et nécessite un suivi particulier.

Deuxième axe : les collectivités doivent mettre en place des actions visant à mieux connaître leur patrimoine à assurer, à mieux identifier leurs risques et à les prévenir le mieux possible, ce qui doit permettre de négocier des marchés au plus près des besoins réels et au meilleur coût.

Cela passe par une amélioration de la tenue des inventaires, par le développement d'une culture de gestion des risques, mais également par le déploiement d'actions de prévention. Pour ce faire, les collectivités peuvent - doivent, me semble-t-il - se faire accompagner par les assureurs, dont c'est le métier et la responsabilité.

Il est évident que lorsque ni la collectivité ni, a fortiori, son assureur ne savent exactement quel est l'objet du contrat, c'est-à-dire les biens et les risques associés à assurer, tout le monde y perd : le contrat est plus cher, car l'assureur n'a pas de vision claire, et les risques sont moins bien couverts. Comme toujours lorsqu'on évoque la diversité des collectivités territoriales, certaines sont exemplaires, mais d'autres ont des progrès à faire en cette matière - les résultats de la consultation sur la plateforme du Sénat en attestent.

Troisième axe : les conditions de passation des marchés publics d'assurance doivent être facilitées et sécurisées, de même qu'une relation contractuelle équilibrée doit être favorisée.

Ainsi, il convient de déterminer dans quelles conditions les collectivités peuvent avoir recours à l'ensemble des procédures du code de la commande publique sans courir de risques de contentieux. Cette responsabilité incombe au premier chef à l'État, en particulier à la direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy, qui, me semble-t-il, peut progresser pour sécuriser l'utilisation de ce code et diffuser les bonnes pratiques auprès des collectivités. Un grand nombre de celles que nous avons rencontrées ne se sentent pas suffisamment « assurées » - c'est le cas de le dire - dans l'utilisation des procédures de marchés publics, et ce sans compter que le guide pratique de la DAJ remonte à 2008...

Il est également nécessaire de former les élus et les agents aux particularités du marché des assurances en favorisant, autant que possible, le recours à des intermédiaires qui peuvent, si besoin, accompagner les collectivités et les aider à développer des relations contractuelles plus équilibrées avec leur assureur.

Enfin, il me semble qu'il faut avancer vers une généralisation des franchises à des niveaux limités, en évitant les franchises nulles. En effet, les franchises présentent plusieurs avantages : elles permettent de recentrer le contrat sur son coeur - les risques principaux -, en réduisant son coût et en améliorant son efficacité ; elles incitent par ailleurs les collectivités à adopter des pratiques vertueuses en matière de prévention des risques, l'objectif prioritaire étant davantage de réduire les risques que de seulement tout faire pour les couvrir.

Quatrième, et dernier axe : pour apporter de la sécurité aux collectivités, l'État doit élargir son intervention dans les situations exceptionnelles.

Actuellement, les collectivités craignent de plus en plus de se retrouver sans assureur, ce qui n'est pas acceptable. Certaines sont déjà, bien malgré elles, dans cette situation, et de nombreuses risquent de s'y retrouver au 1er juillet prochain, si rien n'est fait.

Dans les cas extrêmes où une collectivité ne trouve plus d'assureurs, elle doit pouvoir bénéficier d'une solution. Je propose de confier cette mission au Médiateur de l'assurance, spécialiste du secteur, assortie d'une obligation de moyens. Celui-ci me semble effectivement être le bon interlocuteur pour aider les collectivités confrontées à cette difficulté : il connaît parfaitement le marché et peut rapidement, par décret, voir ses missions étendues par le Gouvernement.

Je propose également d'augmenter la durée du préavis en cas de résiliation de contrat par les assureurs, en le portant à six mois - la règle est de deux mois et la pratique plutôt de quatre -, afin que les élus aient le temps de passer un nouveau marché. Je souhaite aussi que les assureurs aient l'obligation de justifier la résiliation : nous avons rencontré trop d'élus locaux désemparés qui étaient pris d'un sentiment de culpabilité face à des résiliations sèches et non justifiées.

Enfin, je propose d'étendre les modalités d'intervention de l'État en cas d'émeutes majeures touchant un nombre important de collectivités territoriales, en pérennisant des solutions qui sont aujourd'hui adoptées en urgence. L'idée est d'éviter, comme en juillet 2023, de recourir à un projet de loi d'urgence et d'offrir de la visibilité tant aux assureurs qu'aux assurés.

Les dommages aux biens non assurables dans ces cas extrêmes d'émeutes généralisées seraient couverts in fine par une dotation semblable à la dotation de solidarité en faveur de l'équipement des collectivités territoriales et de leurs groupements touchés par des événements climatiques ou géologiques (DSEC).

Les dommages assurables pourraient, quant à eux, être couverts par un régime spécifique, qui s'inspirerait du régime des catastrophes naturelles (CatNat), avec intervention de la Caisse centrale de réassurance (CCR). En cas d'impossibilité de celle-ci de faire face à la sinistralité, l'État interviendrait avec sa garantie illimitée.

Ces recommandations tiennent compte du fait que les collectivités territoriales sont les victimes de l'atrophie du marché de l'assurance et qu'elles ne peuvent pas être considérées comme des entreprises : la nécessité d'assurer des services publics de proximité exige de traiter leurs difficultés assurantielles de manière différenciée par rapport au secteur privé. Il me semble d'ailleurs que la faculté de s'assurer doit être considérée comme contribuant à leur libre administration.

J'ajoute enfin qu'un guide pratique à destination des collectivités territoriales pour la passation de leurs marchés publics d'assurance a été réalisé dans le cadre des travaux de la mission. Il ne se substituera pas au dialogue renoué que j'appelle de mes voeux entre les collectivités territoriales et leurs assureurs, mais pourra fournir une aide utile aux collectivités, en attendant que l'État se saisisse du problème.

Je rappelle d'ailleurs que ce travail a été réalisé en parallèle des autres travaux de notre commission sur cette thématique, à savoir, d'une part, le contrôle budgétaire mené par Christine Lavarde sur le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, et, d'autre part, la mission conjointe de contrôle relative aux inondations survenues en 2023 et au début de l'année 2024, en particulier dans le nord de la France.

Mme Vanina Paoli-Gagin. - Je salue la qualité des travaux de la mission d'information, qui répondent à des préoccupations concrètes des collectivités territoriales. Vous parliez d'angle mort. Le risque cyber n'en est-il pas un ? Plusieurs maires m'ont fait part de leurs inquiétudes à ce sujet. Quand les systèmes informatiques sont hors service ou que les communes sont victimes de ransomware, il est très difficile d'assurer la continuité du service public.

Par ailleurs, plusieurs maires s'interrogent sur la possibilité d'assurer certains domaines de voirie - aires de retournement, ronds-points -, comme si nous étions dans l'incertitude. Qu'en est-il ? Qui les assure ?

M. Marc Laménie. - Je remercie le rapporteur et les collègues qui se sont investis sur ce sujet. Je m'étonne que les collectivités du Pas-de-Calais aient été si peu nombreuses à répondre à la consultation. Ce département a pourtant été particulièrement touché par les inondations récentes. Par ailleurs, les nombreuses recommandations témoignent de l'ampleur de la tâche. Les banques en particulier se font de plus en plus souvent assureurs. Prennent-elles des dispositions en direction des collectivités locales ? Enfin, il est vrai que tout ce qui relève de la voirie n'est pas assuré. Comment peut-on mieux connaître le patrimoine immobilier des collectivités ?

M. Albéric de Montgolfier. - Je remercie Jean-François Husson de ce rapport et en particulier d'avoir proposé le recours au Médiateur de l'assurance pour les collectivités qui ne trouvent pas d'assureur. Pourquoi ne pas avoir proposé de recourir au Bureau central de tarification (BCT) ? Cette autorité administrative indépendante est chargée de désigner un assureur et, au besoin, d'établir la tarification pour ce qui concerne les assurances obligatoires. Son champ d'action, initialement limité à l'assurance automobile, a notamment été étendu à l'assurance responsabilité locative. Je pose donc la question de la compétence du BCT en cas de refus d'assurance.

Mme Isabelle Briquet. - Je salue le travail collectif qui a été réalisé sous la houlette du rapporteur. Les positions des membres de la mission ont été prises en compte dans toute leur diversité.

Compte tenu de la forte attente de nos collectivités, cette mission d'information était importante. Je comprends que mes collègues éprouvent une certaine frustration à la lecture des résultats de la consultation des élus. Personnellement, je m'explique mal le delta, dans mon département par exemple, entre les remontées de terrain et les retours qui ont été transmis à la mission au travers de cette consultation.

Albéric de Montgolfier a souligné l'importance des recommandations qui ont été formulées, dont celle du recours au Médiateur. J'espère qu'elle sera rapidement mise en place, car aucune collectivité ne peut être ainsi privée d'assureur.

M. Grégory Blanc. - Je remercie le rapporteur de la qualité du travail présenté. Je goûte avec délectation les propos du rapporteur, qui fait le constat qu'en l'absence de régulation le marché seul ne peut fonctionner et que la puissance publique doit intervenir pour remettre de l'ordre dans tout cela.

Face au risque, les collectivités ne sont pas toutes logées à la même enseigne. Je pense à celles qui sont sujettes à l'effacement du trait de côte ou aux inondations, ou encore à celles qui ont connu des émeutes urbaines. Le déclenchement d'un mécanisme de solidarité supplémentaire de la part de l'État a-t-il été envisagé pour aider ces collectivités à prendre en charge ce surcoût ?

Ma deuxième question porte plus directement sur la recommandation n° 14. Préconisez-vous de maintenir le seuil pour être indemnisé à 150 000 euros de dommages ? Les émeutes urbaines, notamment, dépassent parfois les frontières de la commune et les coûts peuvent être importants pour de petits budgets.

Enfin, on sait que, entre le moment où survient le sinistre et le moment où la commune touche la dotation de solidarité pour les événements climatiques, de très longs mois s'écoulent. Comment faire en sorte que les équipements puissent être remis en service plus rapidement ?

M. Christian Bilhac. - Cette mission d'information nous aura permis d'approfondir le sujet et ses recommandations permettront de faire un grand pas en avant.

Une chose me surprend. Lorsque j'ai parlé de nos travaux à des maires et que je leur ai dit que les assureurs n'avaient pas connaissance de certains éléments - inventaire des biens, cartographie des risques, registres de sécurité, rapports des bureaux de contrôle sur la conformité des installations électriques -, ils m'ont répondu qu'ils les avaient et que jamais les assureurs ne les leur avaient demandés. Il y a donc un manque de communication flagrant entre assureurs et collectivités. Peut-être certaines collectivités n'effectuent-elles pas les contrôles électriques, mais celles qui le font tiennent à disposition des assureurs les documents qui en attestent.

Mme Sylvie Vermeillet. - Je vous remercie, monsieur le rapporteur, de ces travaux qui répondent à une attente très forte de la part de nos collectivités. Pouvez-vous nous apporter un éclairage sur la solidité financière de nos compagnies d'assurance ? Pendant les années covid, en 2020-2021, une sinistralité en baisse leur avait permis de réaliser des profits records - 2,2 milliards d'euros de mémoire - et un prélèvement exceptionnel de 1,5 milliard d'euros avait été décidé. À la faveur d'événements nouveaux, comme les émeutes, la sinistralité est certes aujourd'hui différente, mais les compagnies d'assurances ont-elles conservé cette solidité financière ?

M. Vincent Capo-Canellas. - Je remercie le rapporteur pour son écoute et pour la manière dont il a animé cette mission d'information. Les orientations présentées hier ont donné satisfaction à ses membres.

Je voudrais insister sur l'urgence de la situation. Trop de collectivités de taille moyenne sont encore confrontées à l'absence de réponse sur des lots significatifs. Les élus concernés sont plongés dans un abîme de perplexité.

La recommandation n° 13 - élargir les prérogatives du Médiateur de l'assurance - me paraît très pertinente. Je me demande toutefois si, compte tenu de l'urgence, il ne faudrait pas demander au Gouvernement de procéder à un recensement par les préfectures ou de mener une mission d'inspection afin de faire remonter les cas.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Cela prendrait des mois !

M. Vincent Capo-Canellas. - Nous ne pouvons pas laisser les élus seuls face à la responsabilité de se dire que tel bâtiment peut partir en fumée sans être couvert par une assurance. En cas de sinistre, tout le monde pointerait leur responsabilité.

Mme Ghislaine Senée. - Je remercie le rapporteur de cette synthèse, réalisée en un temps record après des auditions très denses. Je salue l'équilibre des recommandations. Il en ressort la nécessité de mieux connaître le patrimoine des collectivités et de développer la culture du risque.

Je ne peux pas m'empêcher de penser qu'une fois que le marché sera réactivé, nous ferons face à des enjeux cruciaux, notamment en matière d'aléas climatiques. Il y a donc urgence à ce que l'État fasse en sorte que les assureurs assument leurs responsabilités. La rupture du dialogue est en effet davantage du fait des assureurs que des collectivités, qui ne sont pas en faute. Les assureurs doivent prendre leur part pour améliorer la qualité de ce dialogue et la connaissance mutuelle des risques d'un côté, du patrimoine des collectivités de l'autre. Ils doivent s'interdire à l'avenir d'envoyer un courrier de résiliation sans aucune discussion préalable. On a bien vu pendant les auditions que ces pratiques avaient laissé chez les élus locaux une certaine amertume.

M. Michel Canévet. - Je remercie à mon tour le rapporteur et l'ensemble de la mission pour ce travail de synthèse. Je soutiens tout à fait les recommandations qui sont formulées.

Mon inquiétude porte surtout sur les risques liés aux événements climatiques, dont l'intensité pourrait doubler par rapport à ceux des trente dernières années. C'est dire si l'enjeu est important, et les sommes qui se jouent - 143 milliards d'euros - sont tout à fait significatives. Les collectivités doivent-elles s'attendre à ce que les cotisations d'assurance doublent elles aussi ? Peut-on trouver une autre forme de financement ? Imaginer un dispositif inspiré du régime CatNat, dont les réserves sont aujourd'hui épuisées ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Dans le cadre de cette mission, nous sommes passés du constat « collectivités recherchent assureur désespérément » à l'objectif de trouver la manière de garantir une solution d'assurance aux collectivités, quelle que soit la situation.

L'objectif de cette mission d'information était d'obtenir des garanties pour les collectivités. Nous l'avons menée dans un temps rapide. Le risque cyber a été évoqué, mais il n'est pas encore assez mature. Nous ne disposons pas de statistiques suffisantes, et l'aléa n'est pas évalué. Des débuts de solutions d'assurance existent et ce sujet montera en puissance.

Sur les risques climatiques, ayons bien en tête que le problème du défaut d'assurance des collectivités n'est pas lié à l'explosion des risques. Ce n'est pas seulement la sinistralité liée aux émeutes ou aux événements climatiques qui a provoqué la situation actuelle. Le problème vient en fait du marché, qui se partage désormais entre deux assureurs essentiellement. L'un d'eux a perdu 25 % d'encaissement de primes dans les années précédant l'année 2020 quand, dans la même période, les sinistres qu'il devait régler augmentaient de 25 % !

La pire des situations est celle des communes qui n'ont pas connu de sinistre et qui reçoivent une lettre sèche de résiliation, sans aucune autre explication. La mission avait d'abord pour objectif de résoudre cette difficulté. Chaque chose en son temps.

En ce qui concerne la voirie, ma réponse est simple : ces biens ne sont pas assurables. S'ils les assuraient, les assureurs seraient probablement vite appelés à indemniser beaucoup de sinistres. L'assurance est une activité privée, qui exige un équilibre technique, économique et financier. La Smacl, qui s'était lancée dans une vaine stratégie de conquête, a failli baisser le rideau avant de connaître un plan de redressement. Il est ici question d'assureurs mutualistes ; le sujet n'est donc pas, comme j'ai pu l'entendre, celui des dividendes ou des profits. Cette société a simplement commis des erreurs stratégiques.

Vous m'interrogez sur la solidité financière des compagnies. C'est assez simple : quand les prix sont trop bas, certains concurrents considèrent l'activité comme non rentable et se retirent du marché, ce qui conduit à sa désertification. Il faut donc retrouver un équilibre de prix de marché et faire en sorte que les assureurs retrouvent l'envie de garantir les collectivités.

Grégory Blanc a raison, je ne suis pas partisan d'un marché débridé. Dans tout marché, il y a un cadre d'exercice et des règles qui s'appliquent. À force de jouer avec le feu, dans un premier temps viennent l'évitement, les départs, l'évaporation, et, dans un second temps, ceux qui restent se retrouvent dans une forme d'impasse.

Concernant la question de la connaissance du patrimoine, des risques et des outils d'aide, le guide pratique visant à aider les collectivités dans leur approche du marché de l'assurance vous sera transmis par voie numérique très rapidement. Par ailleurs, l'Association pour le management des risques et des assurances de l'entreprise (Amrae) a établi un document permettant de réaliser une cartographie des risques. Elle a décliné cet outil pour les collectivités ce qui leur permettra de réaliser, de manière autonome, leur propre cartographie des risques

Au-delà de la connaissance des risques auxquelles elles sont exposées, je rappelle que 30 % des collectivités qui ont répondu à la consultation déclarent elles-mêmes ne pas connaître leur patrimoine avec précision. Dans les cas où elles le connaissent et qu'elles disposent de certificats de mise aux normes, comme le certificat de vérification des installations électriques, ces documents ne sont pas demandés par les assureurs. Or, mieux le risque est renseigné, mieux il est tarifé. Faute d'informations, l'assureur peut considérer que le défaut d'entretien, par exemple, aggrave le risque d'incendie et augmenter son tarif.

Monsieur de Montgolfier, nous avons reçu le BCT. Il n'est compétent que pour quelques risques, exclusivement dans le domaine des assurances obligatoires. Pour la plupart de leurs contrats, les collectivités ne sont donc pas concernées puisque les assurances dommages aux biens, qui posent les plus grandes difficultés, ne sont pas obligatoires. Pour être tout à fait honnête, nous n'avons, par ailleurs, pas senti une grande appétence du BCT pour garantir l'obtention d'une assurance pour les collectivités territoriales.

Nous avons également reçu le Médiateur de l'assurance. Ses compétences ont été élargies en octobre 2023 mais de manière assez limitée. En la matière, il faut faire vite. Le rapport d'information du Sénat s'adresse en premier lieu aux collectivités, mais nous proposerons au Gouvernement de se saisir de nos quinze recommandations. À lui d'en faire le meilleur usage possible.

C'est bien l'urgence qui nous a poussés à répondre au besoin de garantie des collectivités. Notre volonté affirmée de combler les trous pour ce qui concerne les garanties incitera les collectivités à trouver des solutions.

Madame Senée, j'ai moi-même évolué au fil des auditions dans ma position sur l'appréciation des risques. Afin de tenir compte des situations différentes, nous proposons des garanties pour que le reste à charge soit minimal.

Monsieur Blanc, l'application du seuil de 150 000 euros n'a pas été évoquée par la mission. En Meurthe-et-Moselle, nous avons visité une école qui avait été incendiée dans la nuit du 13 au 14 juillet dernier et qui a pu rouvrir pour la rentrée. En l'espèce, le fait de ne plus avoir à réaliser certaines consultations avant de procéder à des réparations d'urgence me semble intéressant. Nous avons dressé le même constat à Laxou, où les dégâts sur un bâtiment sont presque totalement effacés. Il en va autrement, en revanche, à Valenton : la mairie est toujours fermée, les dégâts sur un garage sont très importants et la collectivité est dans l'attente d'un règlement, dans un contexte de tension avec les assureurs.

Pour finir, je vous invite à communiquer sur les conclusions de notre rapport. Les dernières recommandations, les plus importantes, sont de nature à rassurer les élus. Notre travail devrait faire consensus. J'espère qu'il permettra au Gouvernement de prendre des décisions rapides au bénéfice des collectivités locales.

Les recommandations de la mission d'information sont adoptées.

La commission autorise la publication de la communication du rapporteur de la mission sous la forme d'un rapport d'information.

Proposition de loi visant à accroître le financement des entreprises et l'attractivité de la France - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne M. Albéric de Montgolfier rapporteur sur la proposition de loi n° 2321 (A.N., XVIe lég.) visant à accroître le financement des entreprises et l'attractivité de la France, sous réserve de sa transmission.

Contrôle budgétaire - Dégradation du déficit public en 2023 - Communication

M. Claude Raynal, président. - Nous en venons à une communication de Jean-François Husson, non plus en tant que rapporteur, mais en tant que rapporteur général, sur le contrôle réalisé le jeudi 21 mars 2024 en application de l'article 57 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) au ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Mes chers collègues, lorsque nous nous sommes vus mercredi dernier, je ne pensais pas vivre une telle semaine.

Je voudrais tout d'abord vous dire pourquoi je suis allé à Bercy. Comme vous, j'ai appris par voie de presse, mercredi soir dernier, les indiscrétions d'un dîner à l'Élysée : le solde public pour 2023 serait non plus de - 4,9 % du PIB comme annoncé, mais de - 5,6 %.

J'avais bien vu que le Gouvernement distillait l'information selon laquelle il y aurait un dépassement d'une ampleur encore inconnue. Mais l'ampleur de ce dépassement probable révélé mercredi soir était sans commune mesure avec ce qu'on pouvait attendre ou ce qu'on avait l'habitude de voir. De fait, l'écart annoncé à ce moment était de 0,7 point de PIB, soit plus de 20 milliards d'euros. Ce n'est pas l'épaisseur du trait et le Parlement a été laissé à distance.

Je me suis dit que des signes avant-coureurs de ce dépassement avaient dû exister avant que le Président de la République ne s'exprime. J'ai donc pris ma décision le jeudi matin, après en avoir informé le président Raynal et lui avoir demandé s'il était disponible. En fin de matinée, j'ai prévenu le ministère de mon intention de réaliser un contrôle sur pièces et sur place. Je lui ai indiqué les directions d'administration centrale - direction générale du Trésor, direction générale des finances publiques, direction du budget - que je souhaitais rencontrer et les éléments que nous souhaitions obtenir, c'est à dire toutes les notes relatives aux finances publiques adressées par ces directions au Gouvernement depuis le mois de septembre. L'objectif était de comprendre la soudaineté et, éventuellement, l'épaisseur de la crise.

Ce contrôle s'est effectué conformément à l'article 57 de la Lolf, qui confère ces pouvoirs aux présidents et rapporteur généraux des commissions des finances des deux assemblées. Voici les principaux enseignements que j'en retire.

Premier enseignement : les premiers signes de la forte dégradation du déficit 2023 étaient connus dès le mois d'octobre, quand la direction générale des finances publiques (DGFiP) constatait de moindres rentrées fiscales issues de la TVA. Dans une note aux ministres du 6 octobre 2023, il est proposé, pour le projet de loi de finances de fin de gestion (PLFFG), une annulation nette de 2,4 milliards d'euros sur les crédits des ministères. La note précise que cette annulation « permettrait de renforcer les messages clairs et rassurants sur la sincérité et le respect de la programmation 2023 ». Il ne vous a pas échappé que le Gouvernement n'a inscrit aucune annulation nette au PLFFG. Dans une autre note aux ministres datée du 1er décembre 2023, il est écrit : « Les premières remontées sur la TVA de novembre sont encore plus dégradées que pour la TVA d'octobre. Cela n'augure pas bien de la fin de l'année et de l'impôt sur les sociétés (IS) en décembre ».

La chronique est ensuite la suivante. La prévision de déficit 2023 passe de 5,2 % dans une note du 7 décembre 2023, à 5,3 % dans une note du 24 janvier 2024, puis à 5,6 % dans une note du 16 février. Je rappelle que, quarante-huit heures plus tard, le ministre de l'économie et des finances s'exprimait sur le plateau de TF1, un dimanche soir, au beau milieu des vacances scolaires des Parisiens.

Nous avons donc finalement appris hier que le chiffre officiel de l'Insee était de - 5,5 % du PIB. Je précise - je l'ai dit d'ailleurs dans mon point presse de jeudi après-midi - que ces prévisions sont à prendre avec la précaution qui s'impose.

Deuxième enseignement : le Gouvernement n'a pas suivi toutes les préconisations de redressement adressées par ses services, qui demandaient 2,4 milliards d'euros d'annulations nettes de crédits dès le 6 octobre. Il n'a pas mis en oeuvre des mesures de redressement pour 2023. Pour 2024, il continue selon moi de « sous-réagir ».

Troisième enseignement : la dégradation se poursuit jusqu'en 2025 et l'écart entre la prévision technique des services et l'affichage en loi de programmation des finances publiques (LPFP) s'accroît. Ainsi, la note du 16 février 2024 indique que « la prévision de solde public atteint - 5,7 % du PIB en 2024, contre - 4,4 % selon la LPFP, et - 5,9 % en 2025, contre - 3,7 % selon la LPFP », soit un écart de 2,2 points, c'est-à-dire environ 65 milliards d'euros.

D'après cette même note du 16 février, cet écart s'explique notamment par l'ampleur des hypothèses qualifiées par l'administration elle-même de « favorables », car non documentées, et qui figurent pourtant dans la trajectoire de la LPFP 2023-2027. Je rappelle que fin 2022 nous n'avions pas trouvé d'accord avec le Gouvernement sur ce texte.

La note précise que « la présente prévision technique », celle donc qui envisage un déficit de 5,7 % du PIB en 2024 et de 5,9 % du PIB en 2025, « n'intègre pas les hypothèses favorables retenues dans la LPFP », qui sont tout de même chiffrées par les services de Bercy à 0,8 point de PIB en 2025, soit à plus de 20 milliards d'euros.

On trouve dans ces hypothèses favorables les 12 milliards d'euros d'économies restant à documenter par les revues de dépenses, mais aussi la trajectoire de dépenses des collectivités locales en l'absence de mécanisme de contrôle - en particulier la baisse de 0,5 % en volume par an des dépenses de fonctionnement -, ou encore des hypothèses relatives aux recettes hors prélèvements obligatoires.

Au total, la LPFP pour l'année 2025 s'appuie donc sur plus de 20 milliards d'euros de « faux », en tout cas d'économies non documentées. La note poursuit : même « en réintégrant des hypothèses favorables similaires à celles de la LPFP, le déficit atteindrait 5,4 % du PIB pour 2024. Pour revenir aux cibles de déficit nominales de la LPFP, le quantum d'économies supplémentaires à intégrer dans cette trajectoire, en plus de celles déjà prévues dans la LPFP, serait de 30 milliards d'euros dès 2024 ».

Dernier enseignement : le Gouvernement ne dit pas encore toute la vérité sur la situation actuelle. Je constate que, quand le ministre des finances annonce sur TF1, le 18 février dernier, un décret d'annulation de crédits de 10 milliards d'euros, il dispose d'une note de ses services, datée de deux jours auparavant, qui indique que l'objectif de maintien du déficit à 4,4 % en 2024 passe par la réalisation de 30 milliards d'euros d'économies. La même note prévoit d'ailleurs une croissance de 0,9 % en 2024 quand « l'opération-vérité » du Gouvernement annonce deux jours plus tard une croissance à 1 %. Je rappelle que le consensus des économistes à cette date est de 0,7 % en 2024. Les prévisions du Gouvernement sont donc soit optimistes, soit imprudentes.

Selon moi, en l'absence d'un projet de loi de finances rectificative (PLFR) rapide, la France ne pourra pas tenir son objectif de 4,4 % de déficit en 2024. En effet, les comptes auront encore dérivé pendant les six premiers mois de l'année quand le Gouvernement finira par réagir. Dans la même note du 16 février, il est indiqué que cette situation dégradée « pourrait conduire à l'activation par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) du mécanisme de correction de la Lolf (art. 62) dès avril 2024, lors du dépôt du projet de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2023 ».

Enfin, un élément supplémentaire provient non pas de mon contrôle à Bercy, mais du travail d'analyse qu'ont réalisé les services de la commission. Vous vous rappelez que lors de l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2024, nous avions critiqué la pratique désormais récurrente des reports de crédits importants d'une année sur l'autre, sans aucun plafond. Ces reports se font par arrêté, sans passage au Parlement, et dégradent le solde budgétaire de l'année de report, en permettant au Gouvernement de dépenser encore plus que les montants adoptés en PLF.

Le travail d'agrégation des différents arrêtés montre que le Gouvernement a reporté vers 2024 plus de 16 milliards d'euros de crédits supplémentaires non prévus en loi de finances pour 2024 et non consommés en 2023. Toutes ces ouvertures sont intervenues avant le 15 mars dernier ; elles contredisent de mon point de vue le message de sérieux que constituait l'annulation de 10 milliards d'euros de crédits par décret du 21 février 2024.

Comme cela nous a été rappelé lors de l'audition des services de Bercy, ces reports annuels ne dépassaient pas 3 milliards à 4 milliards d'euros auparavant, et n'atteignaient jamais 16 milliards d'euros. À mon sens, l'ampleur de ces reports traduit le fait que le Gouvernement cherche des marges de manoeuvre pour dépenser sans limites et surtout, me semble-t-il, pour éviter de repasser devant le Parlement.

Voilà les éléments que je souhaitais vous communiquer et voilà quel a été mon état d'esprit. J'avais été profondément irrité, pour ne pas dire plus, en éprouvant le sentiment qu'on nous demandait de regarder passer les trains. Contrairement à ce que laisse entendre le Gouvernement - je n'entrerai pas dans la polémique -, ce contrôle a révélé des informations d'une ampleur inconnue de la représentation nationale comme des Français. C'est tout de même éminemment regrettable. Lorsque l'on voit la situation des grands indicateurs financiers et budgétaires de notre pays, il est un peu contre-productif de s'en prendre au Parlement, qui est dans sa mission de contrôle et de bonne exécution des dépenses.

M. Claude Raynal, président. - Je confirme que le rapporteur général m'avait appelé avant de se rendre à Bercy pour me convier à cette rencontre, mais que, n'étant pas sur place à ce moment-là, je n'avais pas pu honorer cette invitation. Dans l'esprit, j'ai totalement soutenu sa démarche. Il était temps selon moi de casser la mécanique actuelle, qui consiste à attendre que les informations sortent dans la presse, avant de les commenter. À un moment donné, il faut aller chercher les informations à la source. En tant que parlementaires, nous devons nous forger une position autonome sur ces sujets.

M. Vincent Capo-Canellas. - Il y a le fond et il y a la forme. Sur le fond, le chiffre de 30 milliards d'euros que vous dévoilez, monsieur le rapporteur général, correspond aux estimations hautes que l'on a pu entendre. Il doit appeler un certain nombre de réflexions et de prises de position.

Sur la forme tout de même, est-ce la bonne méthode, d'une part, que l'on apprenne par voie de presse que ce contrôle a eu lieu et, d'autre part, qu'un compte rendu soit fait à la presse à l'issue du contrôle ? Le chiffre de 5,6 % de déficit est ainsi sorti avant même que la commission ne soit saisie et n'entende le rapporteur général. Cela ne correspond pas aux habitudes et je regrette cet enchaînement.

Cela étant dit, nous devons maintenant envisager les mesures à prendre. Au-delà de la polémique politicienne, ayons à l'esprit qu'il faut parler aux marchés. Nous n'avons pas intérêt à créer une forme de fébrilité supplémentaire. Trouvons donc le bon équilibre. Le président a raison de rappeler que la commission est dans son droit, mais il y a tout de même des formes à respecter. Regardons sérieusement avec le Gouvernement comment communiquer sur tout cela et comment agir.

M. Albéric de Montgolfier. - Je suis membre de cette commission depuis 2008 et j'ai vécu un certain nombre de PLF. Tous les gouvernements sans exception ont péché par excès d'optimisme sur la croissance. C'est finalement assez classique. Ce qui me surprend en revanche, c'est le faible délai entre le vote du PLF et l'annonce de la forte dégradation des comptes publics.

Je relisais à l'instant le compte rendu de la séance du 23 novembre dernier, en ouverture de l'examen du PLF pour 2024. Bruno Le Maire indiquait : « Nous tiendrons l'objectif de 4,4 % de déficit public en 2024, je m'y engage, de même que nous tiendrons celui de revenir sous les 3 % de déficit public en 2027. » Il l'a ensuite répété à maintes reprises. Cette affirmation date seulement de quelques mois et cela soulève tout de même au moins deux problèmes : d'une part, la crédibilité de la parole publique - en la matière, chacun se fera son opinion - et, d'autre part, la fiabilité des informations qui sont données à la représentation nationale.

Je suis perplexe. À croissance égale, il faudrait réaliser près de 80 milliards d'euros d'économies pour atteindre 3 % de déficit en 2027. Cet objectif me semble aujourd'hui totalement irréaliste. Au vu des conclusions du contrôle à Bercy, on nous raconte n'importe quoi. Comment un ministre peut-il répéter de tels engagements, puis se contredire ainsi ? Si les informations données à la commission sont fausses, je me demande s'il ne vaut pas mieux lire Les Échos chaque matin plutôt que d'y siéger.

Mme Christine Lavarde. - Le rapporteur général a eu parfaitement raison de se rendre à Bercy avec le soutien du président de la commission.

Il me semble que le programme de stabilité (PStab) doit être transmis à la Commission européenne avant le 1er mai prochain et que le Parlement doit en prendre connaissance quinze jours avant. Si le Gouvernement tient son calendrier, nous recevrons le PStab pendant la coupure parlementaire. Nous n'aurons donc pas la possibilité de mener des auditions ou d'interroger les ministres. Avez-vous envisagé des modalités particulières pour que le Parlement puisse se saisir de ce document ?

Par ailleurs, le programme national de réforme (PNR) doit être communiqué puis la loi de règlement examinée probablement en juillet. Alors que ces objets sont assez différents, il ne faudrait pas que nous attendions le mois de juillet pour débattre à la suite de la publication de ces documents, qui sont tout de même assez structurants.

M. Claude Raynal, président. - Les délais ne sont pas les mêmes pour tous ces documents. Il serait extraordinaire mais souhaitable que nous recevions cette année le PStab à la date prévue. Il y a bien longtemps que ce n'est plus le cas. En général, nous commençons la discussion sur ce document en constatant que les délais ne sont pas respectés par le Gouvernement.

M. Didier Rambaud. - J'entends que le débat porte à la fois sur la forme et le fond. La forme ne m'intéresse pas. Sur le fond, je veux, comme vous tous, comprendre pourquoi il y a eu une aggravation du déficit public. Celle-ci s'explique non pas par une aggravation des dépenses, mais par de moindres rentrées fiscales.

En effet, les dépenses publiques ont augmenté moins vite que les prix. Le ratio des dépenses par rapport au PIB était de 57,3 % en 2023, contre 58,8 % en 2022. Compte tenu de la crise, les recettes fiscales, quant à elles, sont moindres. Le manque à gagner est de 21 milliards d'euros.

Il faut une prise de conscience collective de la nécessité de maîtriser nos dépenses publiques : c'est un exercice difficile car personne ne s'intéresse aux finances publiques dans notre pays. Je suis invité demain par la chambre départementale des notaires de l'Isère pour parler du logement : je sais pertinemment que l'on va me demander des dépenses fiscales supplémentaires !

Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, vous pourriez dire à vos collègues de l'Assemblée nationale de commencer par vous écouter, eux qui n'ont pas été capables de voter la réforme des retraites...

M. Claude Raynal, président. - Laissons à Bruno Le Maire ses propos !

M. Didier Rambaud. - Proposer 124 milliards d'euros de dépenses supplémentaires ne relève pas du tout de l'esprit que vous souhaitez voir régner !

M. Thierry Cozic. - Je vous remercie, monsieur le rapporteur général, pour votre rapport. Je rejoins Vincent Capo-Canellas : maintenant, comment agit-on ? Aucun d'entre nous n'est surpris du résultat de votre contrôle, que l'on subodore depuis plusieurs mois. Dès septembre dernier, des éléments indiquaient que les hypothèses retenues pour le PLF 2024 ne seraient pas tenues. Cela pose, selon moi, un problème d'insincérité budgétaire.

Le Gouvernement a un mantra, le « moins d'impôts ». La conséquence de ce choix politique, c'est que nous avons perdu 50 milliards d'euros de recettes fiscales par an.

Votre rapport n'est pas loin de celui d'une commission d'enquête. Les délais sont contraints, entre la suspension parlementaire du mois d'avril, les ponts du mois de mai et l'activité restreinte durant l'été, mais ne serait-il pas pertinent que la commission des finances crée une mission d'information ? Il faudrait éviter que ces faits se reproduisent - et je retiens plus particulièrement la volonté de ne pas informer le Parlement.

M. Thomas Dossus. - Je m'associe aux propos de Vincent Capo-Canellas : nous aurions aimé avoir un compte rendu de ce contrôle plus rapidement, pour ne pas le découvrir dans la presse.

La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et la contribution à l'audiovisuel public ont été supprimées, ce qui représente 8 milliards d'euros de recettes fiscales en moins. Cette logique est absurde.

L'article des Échos évoque la contribution sur la rente inframarginale, qui devait rapporter 12 milliards d'euros, ne représente que 300 millions d'euros aujourd'hui. C'est pourtant la mesure mise en avant pour contrer les différentes propositions de taxe sur les superprofits qui émanaient de différents groupes, et pas seulement de la gauche.

La politique en matière de recettes est catastrophique : nous aurions aimé avoir davantage d'informations sur ce point - peut-être, là aussi, avec un contrôle sur pièces.

M. Éric Bocquet. - Je n'ai aucune réserve sur l'initiative du rapporteur général : je l'ai saluée. J'étais content de le voir débarquer à Bercy pour demander des comptes, et je m'étonne que des collègues s'interrogent sur la forme. Je n'attendais pas de carton d'invitation ! Nous avons eu l'information, et un compte rendu du contrôle nous est fait aujourd'hui ; cela fait partie des prérogatives du rapporteur général et du président de la commission des finances, et c'est tant mieux s'il est fait usage d'un de ces pouvoirs de contrôle du Parlement !

Je suis par ailleurs surpris, voire choqué, d'entendre qu'il faut « parler aux marchés ». Nous avons entendu l'Agence France Trésor il y a quelques semaines, je n'ai pas senti de la part des marchés financiers la moindre menace à notre endroit, on fait la queue pour nous prêter... Ce n'est pas aux marchés qu'il faut parler, mais à nos concitoyens qui s'inquiètent de voir les chiffres du déficit, lesquels ne sont que la conséquence des choix faits antérieurement. On supprime des impôts et on se rend compte que les recettes diminuent : je suis étonné que M. Macron, présenté comme expert en finance, ne comprenne pas ce principe basique !

Je me souviens des propos tenus par M. Attal, quand il était à Bercy : « Nous avons baissé l'impôt sur les sociétés, mais son rendement augmente. » Et on découvre qu'en réalité les chiffres baissent... Il faudra qu'il revoie sa partition !

Nous avons les uns et les autres déposé des amendements sur le PLF 2024 qui ont été retoqués. Le choix a été fait de financer le budget de la France à 50 % par les impôts et les taxes et à 50 % par la dette : il faut l'assumer !

J'aimerais avoir des détails pratiques sur la visite du rapporteur général à Bercy : qui a-t-il rencontré ? Des documents ont-ils été remis ? Comment s'effectue le contrôle ?

M. Bernard Delcros. - Je remercie le rapporteur général pour ce contrôle tout à fait légitime et utile, même si je m'associe à ce qu'ont dit plusieurs collègues sur le fait que nous aurions aimé être informés autrement que par la presse.

Sur le fond, ces chiffres nous confortent sur la ligne que notre groupe tient depuis un certain nombre d'années : nous ne redresserons pas les finances publiques sans activer le levier des recettes. Pour accroître ces dernières, nous représenterons des propositions que nous avions déjà faites sur les rachats d'actions, les superprofits, l'exit tax, la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus...

Il ne s'agit pas d'augmenter les impôts pour les ménages, mais la solidarité nationale doit mieux fonctionner pour redresser les comptes publics. Il faut une plus grande justice fiscale, et les chiffres nous confortent dans cette idée.

M. Claude Raynal, président. - Nous allons vivre des moments intéressants dans les mois qui viennent !

M. Grégory Blanc. - Je remercie le rapporteur général de nous avoir présenté les retours de son investigation. Ce qui me frappe, c'est l'évolution inquiétante de la trajectoire du déficit. Nous pensions tous qu'elle était descendante ; or des notes de décembre dernier indiquent que c'est l'inverse. Nous allons être confrontés à un problème structurel alors que, dans le même temps, des sociétés vont bien, le CAC a dépassé les 8 000 points, et des dividendes importants sont accordés...

En tant que jeune parlementaire, je veux poser une question de béotien. Avant mon élection, j'ai lu le rapport du Haut Conseil des finances publiques qui posait déjà, à mon sens, le problème de sincérité budgétaire pour 2024. La commission des finances ne peut-elle pas interroger le Conseil constitutionnel sur ce point ? Car on ne peut pas retoquer un budget lorsqu'il est insincère, ce qui soulève un problème démocratique de fond.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Comme vous venez de le dire, monsieur le président, nous allons vivre des moments intéressants. J'ai consacré mon premier mandat de sénateur à la commission de la culture, au sein de laquelle j'ai défendu, parfois avec des trémolos dans la voix, des éléments auxquels je croyais mais qui augmentent la dépense publique. Pour mon deuxième mandat, j'ai souhaité devenir membre de la commission des finances parce que nous vivons une situation très grave.

Sur la forme, le rapporteur général a eu ô combien raison de procéder comme il l'a fait à partir du moment où le président était informé. Si je comprends ce que Vincent Capo-Canellas a voulu dire sur le fait qu'il fallait faire attention aux marchés, je partage les propos d'Éric Bocquet. La situation est tellement grave que ce n'est pas aux marchés qu'il faut penser en premier, mais à notre pays, aux collectivités et aux territoires que nous représentons.

Dans nos éléments de langage, nous n'allons pas parler de « mensonge », d'« insincérité »... Nous sommes au Sénat : nous évoquerons un « manque de prudence », un « optimisme démesuré ». Nous devons aller au-delà de nos sensibilités respectives, de nos outils politiques et de nos étendards. Quel gouvernement n'a pas eu recours à des prévisions de croissance démesurées ? Mais nous sommes dans du jamais vu ! On ment à la représentation nationale : nous ne pouvons plus supporter de débattre des heures pour ce résultat. Nous sommes attachés à l'image du Sénat à l'extérieur : nous avons une obligation de vérité. Cela va au-delà d'une conférence de presse. Le PLF 2025 sera, encore une fois, un exercice plus que périlleux.

Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - Je remercie le rapporteur général d'avoir fait ce qu'il devait faire : c'était tout à fait légitime et attendu par les Français.

Dans les notes qu'il a pu consulter, a-t-il trouvé des analyses relatives à la baisse des recettes de l'État en 2023 ? Lors de son audition, Bruno Le Maire a présenté les choses comme s'il venait de découvrir cette baisse. Or la situation mensuelle budgétaire du 1er septembre 2023 montre déjà une baisse des recettes de 18 milliards d'euros par rapport à 2022. On n'est pas dans l'épaisseur du trait !

J'imagine qu'un travail d'analyse a dû être mené dès l'été pour prendre des mesures correctrices et qu'un projet de loi de finances différent, basé sur d'autres hypothèses, aurait pu être présenté... J'y insiste, la baisse n'est pas survenue brutalement en fin d'année, comme le ministre l'a sous-entendu lors de son audition et dans la presse.

Mme Nathalie Goulet. - Retards, non-réponses, décrets d'avance ou d'annulation... Les relations entre Bercy et notre commission n'ont fait que se dégrader ces dernières années. On atteint là un point de non-retour, en termes à la fois d'insincérité budgétaire et d'absence de cohérence du discours. Pour citer un exemple, les résultats en matière de lutte contre la fraude fiscale seraient exceptionnels alors qu'aucune mesure sérieuse n'a été prise.

Concrètement, que fait-on maintenant ? Doit-on saisir le Conseil constitutionnel d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pour insincérité ? Comment obtenir un projet de loi de finances rectificative ?

M. Christian Bilhac. - Bravo, monsieur le rapporteur général, pour cette enquête. Si Bercy ne vient pas à Husson, c'est Husson qui vient à Bercy !

Monsieur le président, en France, il y a 30 000 maires ruraux, qui n'ont pas reçu de formation particulière : alors qu'ils ont subi en 2023 la hausse des prix, notamment de l'énergie, et la hausse du point d'indice, certains ont déjà commencé à voter des comptes administratifs en excédent. Comment peut-on se retrouver avec un tel déficit public alors que Bercy est dirigé par un ministre des finances dont tout le monde connaît la hauteur de vue et la capacité intellectuelle, lequel est entouré d'une nuée de fonctionnaires bardés de diplômes ?...

Nous devrions réussir à nous sortir de la situation dans laquelle nous sommes en actionnant les deux leviers : freiner les dépenses et augmenter les recettes. C'est le b.a-ba de l'équilibre budgétaire ! Je ne suis pas favorable au matraquage fiscal, mais une partie des superprofits pourrait être taxée.

M. Claude Raynal, président. - Je rappelle que l'État a une fonction d'assureur en dernier ressort qui l'autorise à faire quelques dépassements en période de crise, et à mettre en oeuvre des politiques contracycliques.

L'État a un rôle de protection des entreprises et des citoyens à jouer en période de crise, ce que ne font pas les collectivités, et il doit l'assumer. Si les aggravations ponctuelles de déficit lors des crises sont tout à fait justifiées, comment revient-on ensuite à une situation normale ? On ne peut pas comparer la gestion du budget d'une collectivité, ou - encore moins ! - d'un ménage, avec celle du budget de l'État.

En ce qui concerne l'initiative du rapporteur général, je le redis, il m'a prévenu et m'a proposé de l'accompagner. Je ne pouvais malheureusement pas y aller, mais je l'aurais fait avec plaisir pour montrer qu'il s'agissait d'une opération de la commission des finances, et non d'une décision du seul rapporteur général. Car nous faisons face à la distillation, au compte-gouttes, d'informations par le Gouvernement via la presse. À un moment donné, il faut dire stop, faire cesser ce jeu. Il faut marquer par un acte d'autorité le fait que le Parlement a un droit de regard. À l'époque des réseaux sociaux, il n'est pas inutile d'agir par surprise. De mon point de vue, c'est un sans-faute !

L'année dernière, j'avais demandé des renseignements, au même titre que le rapporteur général, sur le fonds Marianne : je n'ai pas le souvenir d'avoir eu la moindre remarque sur le fait que mon initiative aurait été illégitime ou que j'aurais dû prévenir la commission.

Nous disposons de cette capacité de percuter un certain nombre de certitudes, et nous n'en avons pas beaucoup : il faut l'exercer, avec finesse.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'accepte les compliments et les critiques. Le taux de 5,6 % ce n'est pas moi qui l'ai annoncé : c'est le Président de la République lui-même qui l'a annoncé le mercredi 20 mars dernier.

On entend une petite musique sur le fait que personne n'avait fait de propositions d'économies : nous en avons fait, et elles ont été votées, plutôt par la majorité sénatoriale. Sur celles que j'ai soutenues, et parfois défendues, il m'est arrivé d'avoir été battu, mais cela ne me pose pas de problème : c'est la démocratie.

Je n'ai pas eu d'état d'âme à exercer la faculté réservée au président et au rapporteur général de la commission des finances de chaque assemblée.

Pour répondre à Didier Rambaud, je rappelle que, de 2017 à aujourd'hui, le montant des dépenses publiques a augmenté de 286 milliards d'euros, que le niveau d'imposition était en 2022 plus élevé qu'à la fin du quinquennat de François Hollande et que la hauteur de la dette nous met sur le podium des plus mauvais élèves en Europe. Je ne peux pas dire que ce soit une copie de premier de classe ! On est au-delà du temps des leçons.

Par ailleurs, je me pose exactement la même question que Christine Lavarde concernant le PStab. Quand nous avons demandé au Gouvernement, au moment du décret d'annulation, ses grands équilibres et ses prévisions macroéconomiques et de croissance, on nous a annoncé de nouveaux chiffres à l'occasion du PStab. Mais, comme l'a redit Albéric de Montgolfier, il ne s'est pas passé cinquante jours entre l'adoption par nos soins du budget à la mi-décembre et les annonces gouvernementales. Il n'y a pas eu d'accident industriel, cela vient de plus loin...

La question est donc de savoir quel était le niveau de connaissance du ministre. Pour autant, portant comme chacun d'entre vous la voix d'une institution, je ne peux pas jouer le jeu des annonces intempestives et fantaisistes ; je ne peux pas porter d'accusation ou délivrer d'avis sans un minimum de chiffres.

Il y aura un conseil des ministres le 17 avril lors duquel devrait être présenté le PStab et nous avons prévu un débat ici, au Sénat, le 30 avril. Voyez le peu de temps entre les deux dates... C'est d'autant moins facile à gérer qu'actuellement les chiffres bougent en permanence.

J'observe d'ailleurs qu'il faudrait que chacun ait aujourd'hui sa boîte à malice contenant des propositions toutes plus efficaces les unes que les autres ; mais à l'heure où je parle, je ne connais même pas le montant réel de l'addition, l'ampleur du mal. Si l'on veut que tout le monde participe au redressement, que tout le monde formule des propositions, il faut connaître précisément les chiffres, ceux de la sphère sociale, ceux du bloc des collectivités et ceux de l'État. Or, aujourd'hui, on s'exprime et on commente beaucoup, notamment le Gouvernement et le Président de la République, mais on n'a toujours pas les chiffres !

La situation me semble grave. Nous avons un problème de défiance des Français envers les décideurs publics ; il ne faut pas jouer avec le feu ! Il faut des informations claires, et que chacun assume sa part de responsabilité.

Je ne vais pas jusqu'à invoquer l'insincérité parce que, pour qu'il y ait insincérité, il faut une intention trompeuse et je ne suis pas certain que celle-ci soit caractérisée à ce stade. Cela étant, cette question relève de considérations juridiques inscrites dans la Lolf : s'il y avait insincérité, le Conseil constitutionnel pourrait effectivement sanctionner.

Je suis d'accord sur le fait que la dégradation des comptes est aussi liée à des choix politiques. Les dépenses et les recettes actionnées dépendent bien des politiques menées. Or, je le répète, même si d'aucuns regrettent certaines disparitions d'impôts, le niveau actuel d'imposition était supérieur en 2022 à celui de la fin du quinquennat de François Hollande. Interrogeons-nous tout de même sur cette dissonance entre ce que nous pouvons parfois exprimer et le ressenti des Français : les chiffres montrent la réalité, et celle-ci est que, en dépit des suppressions de la contribution à l'audiovisuel public, de la taxe d'habitation, ou encore de la CVAE, les Français constatent qu'ils paient toujours autant d'impôt, voire un peu plus.

Je reviens un instant sur l'ambiance du contrôle. Je le redis, nous avons appelé en fin de matinée, jeudi dernier, le secrétariat parlementaire du ministre en annonçant ce contrôle sur pièces et sur place à Bercy et à rencontrer la direction du budget, la direction générale des finances publiques et la direction générale du Trésor. Nous avons indiqué souhaiter disposer de tous les éléments d'information produits par ces directions au service des ministres durant la période concernée, pour comprendre s'il existait des alertes ou données chiffrées démontrant, soit un effondrement soudain au mois de janvier, soit au contraire un phénomène identifié depuis longtemps. Je n'arrive toujours pas, pour ma part, à croire à une telle soudaineté !

Nous sommes arrivés sereins et avons été très bien reçus. Les équipes techniques, par exemple à la direction générale des finances publiques, ont été très factuelles. Elles nous ont expliqué avoir noté les premières tendances à la baisse de TVA au mois de septembre, mais en précisant qu'il peut y avoir des saisonnalités en la matière, avec compensation d'une baisse d'un mois sur l'autre. En revanche, elles ont dit avoir été surprises par la poursuite de la baisse après septembre.

Au-delà de cet accueil très correct et des éléments techniques qui nous ont été donnés, on nous a remis un peu de littérature, qui nous a donné des éléments de compréhension supplémentaires. À partir de tous ces éléments, il restait encore du travail à faire...

Actualisation du programme de contrôle de la commission pour l'année 2024

M. Claude Raynal, président. - Cela m'amène au point suivant de l'ordre du jour, directement lié au contrôle que nous venons d'évoquer et aux questions soulevées par nos collègues. Quelles suites donner à tout cela ?

On ne peut pas, me semble-t-il, se contenter d'une conférence de presse et d'un retour, même très complet, du rapporteur général. Il nous faut établir un rapport plus étayé, contenant l'ensemble des éléments et des conclusions que l'on peut en tirer.

Mes chers collègues, vous êtes nombreux à avoir également relevé un élément problématique : en dépit des outils dont nous disposons, nous passons en dernier. Nous ne pouvons pas être informés une heure avant les Français... Il faut donc, à l'occasion de cette affaire, s'interroger sur la façon dont nous pourrions, notamment en période de crise et de difficultés, mener un contrôle des dépenses et des recettes davantage in itinere, au fil de l'eau. Cela permettrait au moins que, au moment où nous nous exprimons sur le PLF, nous ayons connaissance des derniers chiffres connus.

Au regard de ce qui vient d'être exposé et des informations les plus récentes dont nous disposons, en particulier la dégradation du déficit pour 2023, je vous propose donc de poursuivre le travail engagé par le rapporteur général.

Il apparaît effectivement utile non seulement de poursuivre nos investigations sur la dégradation des finances publiques que notre pays connaît depuis 2023 - quelles en sont les explications profondes ? Comment les prévisions initiales ont-elles pu être si optimistes ? -, mais aussi de s'interroger sur le suivi de l'exécution budgétaire et, plus généralement, de l'état des finances publiques par l'administration de Bercy et le Gouvernement. Il s'agirait de regarder, par exemple, depuis quand et avec quels indicateurs l'administration a constaté que les feux passaient au rouge ; quand et comment le Gouvernement a été alerté et a pris ses décisions. Enfin, il me semble indispensable de nous interroger sur les modalités d'information du Parlement, compte tenu du caractère parcellaire, voire inexistant, de cette information tant que le Gouvernement n'a pas décidé de déposer un projet de loi de finances rectificative.

Il n'est évidemment pas normal que, lorsque la situation économique et de nos finances publiques se dégrade autant par rapport aux prévisions, le Parlement n'en soit pas naturellement informé et que nous apprenions de la presse les dernières données dont dispose le Gouvernement, voire que le rapporteur général ait à aller chercher les informations à Bercy dans un contrôle sur pièces et sur place. Je rappelle qu'il n'y a pas plus de trois semaines nous recevions ici même en audition les ministres Bruno Le Maire et Thomas Cazenave - l'occasion pour eux de pratiquer la transparence.

Cette situation n'est donc pas acceptable ! Nous devons réfléchir à de nouvelles règles, par exemple avec un envoi systématique des notes trimestrielles réalisées par les administrations, ou encore un système d'alerte qui, passé un seuil d'évolution majeure des grands agrégats de nos finances publiques, obligerait le Gouvernement à revenir devant le Parlement pour l'en tenir informé.

Aussi, en accord avec le rapporteur général, je vous propose de formaliser ces questionnements, qui appellent des réponses précises de l'administration et du Gouvernement, et de poursuivre les travaux de contrôle lancés par le rapporteur général au travers d'une mission d'information dont l'ensemble des membres de la commission des finances seraient membres. Celle-ci prendrait la forme d'une mission d'information « flash », ses travaux étant concentrés sur quelques semaines.

Je vous propose de la présider et de désigner comme rapporteur Jean-François Husson.

Des questionnaires écrits seront envoyés, un certain nombre d'auditions devraient permettre de compléter notre information. Certaines pourraient être réalisées en audition plénière de commission, d'autres en audition président-rapporteur.

Si vous êtes d'accord avec cette proposition, le programme de contrôle de la commission serait donc actualisé pour le compléter d'une mission d'information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l'administration et le Gouvernement et les modalités d'information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France.

Y a-t-il des observations ?

Mme Nathalie Goulet. - J'approuve tout à fait la création de cette mission d'information. Mais ne faudrait-il pas évoquer, au lieu de « modalités d'information », des « carences dans l'information » ?

M. Claude Raynal, président. - Nous ne pouvons pas retenir cette proposition : ce serait déjà répondre à la question.

La commission adopte le programme de contrôle ainsi modifié.

La réunion est close à 11 h 50.