Mardi 19 mars 2024

- Présidence de Mme Micheline Jacques -

Étude sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer - Audition de Ben Issa Ousseni, président du conseil départemental de Mayotte

Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, dans le cadre de la préparation de notre rapport sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer, nous accueillons ce matin M. Ben Issa Ousseni, président du conseil départemental de Mayotte, accompagné de Mme Soihirat El Hadad, conseillère départementale déléguée à la coopération régionale.

Monsieur le Président, nous vous remercions particulièrement de vous prêter à cette audition. Elle a été organisée de manière impromptue, afin de réagir à l'actualité récente de Mayotte en lien direct avec notre étude sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer.

En effet, le 11 mars dernier, à l'occasion des Assises de la diplomatie parlementaire et de la coopération décentralisée, le conseil départemental de Mayotte a signé pour les trois prochaines années une convention inédite de partenariat avec le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères et le ministère de l'Intérieur et des outre-mer. La signature a eu lieu en votre présence et celle des ministres Stéphane Séjourné et Dominique Faure.

Cette convention vise à créer un cadre formalisé pour associer étroitement Mayotte à la construction de la politique de coopération régionale. Cette politique est au coeur des défis immenses que Mayotte doit relever, notamment en matière d'immigration, de sécurité et de développement économique. C'est aussi et d'abord un enjeu de souveraineté et de pleine reconnaissance de l'appartenance de Mayotte à la France.

Nous souhaitons donc vous entendre sur cette convention. En quoi marque-t-elle une nouvelle étape ? Qu'en attendez-vous ? Nous souhaitons également vous entendre sur les principales orientations que vous souhaitez donner à la politique de coopération régionale au bénéfice de votre territoire.

Parmi nos principales interrogations figure celle des priorités que vous souhaitez dégager, notamment en matière de développement économique. Quels sont les partenaires régionaux les plus prometteurs ? Ces partenariats peuvent-ils constituer autant de leviers de lutte contre la vie chère ?

Enfin, comment cette convention peut-elle servir de modèle aux autres territoires, qui ont encore le sentiment d'être associés à la marge à la politique de coopération régionale, malgré les progrès réalisés ces dernières années ?

M. Ben Issa Ousseni, président du conseil départemental de Mayotte. - Mayotte est située dans le canal du Mozambique, entre l'Afrique et Madagascar. Les échanges entre les territoires ont toujours existé, tant avec la côte Est de l'Afrique qu'avec Madagascar, mais aussi avec des territoires bien plus éloignés. Vous connaissez les difficultés liées à l'insularité, et vous savez qu'il est important que Mayotte puisse s'ouvrir dans sa zone géographique.

Nous connaissons des problèmes de souveraineté alimentaire. Mayotte souffre de l'étroitesse de son territoire et de problématiques d'eau. Ces difficultés nécessitent une ouverture sur notre environnement régional direct. Nous avons besoin, pour lutter contre la vie chère, de compter sur des productions provenant de la zone dans laquelle se trouve Mayotte. Mais nous avons également besoin d'accéder à des territoires où le foncier existe et où l'eau est disponible en abondance. À ce titre, nous avons initié certains projets avec Madagascar, par exemple sur l'alimentation du bétail, puisque nous ne disposons pas de l'espace et de l'eau suffisants à ce genre de production. Dès lors, nous allons travailler avec Madagascar afin de produire dans ce pays l'alimentation du bétail élevé à Mayotte.

S'ouvrir sur notre environnement immédiat dans la zone de l'océan Indien revêt un caractère de nécessité. Mais nous envisageons, à terme, d'aller beaucoup plus loin et d'atteindre des territoires tels que l'Inde ou Dubaï. Aujourd'hui, de nombreux Mahorais s'approvisionnent dans des zones encore plus éloignées, telles la Thaïlande et la Chine.

Outre cette ouverture vers l'extérieur, nous avons besoin d'une reconnaissance pleine et entière de l'appartenance et de l'attachement de Mayotte à la France. Mayotte est un département français. Par sa proximité avec les États du bassin Indien, qu'elle soit géographique, culturelle ou linguistique, elle entend jouer un rôle d'appui à la diplomatie conventionnelle française, et ainsi faciliter cette reconnaissance.

Certains États voisins croient encore que Mayotte est une colonie, et que la France s'impose à nous. Ils ne comprennent pas que l'attachement de Mayotte à la France est un choix de sa part.

M. Georges Patient, rapporteur. - Lors de notre déplacement dans l'océan Indien, nous n'avons malheureusement pas pu nous rendre à Mayotte. Mais nous avons été surpris par l'isolement dont souffre Mayotte par rapport à d'autres territoires. À Maurice, nous avons constaté que les relations avec Mayotte étaient minimes. Nos échanges ont également montré que les relations avec les Seychelles ou Madagascar n'étaient pas aussi fortes que celles que ces pays entretiennent avec La Réunion, par exemple.

Nous avons exprimé notre mécontentement quant au fait que Mayotte n'ait pu, jusqu'à présent, adhérer à la principale organisation intergouvernementale de la région, la Commission de l'océan Indien (COI). Mayotte n'a pas intégré cette commission en dépit de la présence de la France dans cette partie de l'océan Indien, de sa contribution financière à la Commission de l'océan Indien, dont elle finance le fonctionnement à hauteur de 40 %, de l'importance des fonds européens mobilisés, et de l'engagement de l'Agence française de développement (AFD). Mayotte ne bénéficie pas des fonds de la Commission de l'océan Indien, contrairement à La Réunion. Pensez-vous, monsieur le président, que la convention signée récemment permettra à Mayotte de trouver sa place au sein des différentes organisations de la région ?

M. Ben Issa Ousseni. - Cette convention recouvre un triple objectif : le renforcement de la place et de l'influence de Mayotte dans l'océan Indien, la reconnaissance internationale de Mayotte en tant que département français et région ultrapériphérique (RUP) de l'Union européenne, et enfin la formation de nos agents dans le but de les faire monter en compétences dans les missions diplomatiques.

Ainsi que vous l'avez souligné, monsieur le rapporteur, Mayotte souffre d'un manque de reconnaissance. Les contacts avec l'État mauricien et sa diplomatie sont en effet restreints, sinon minimalistes. La convention a pour objectif de nous aider, dans le cadre de la diplomatie française, à nouer des liens régionaux.

Un intense lobbying comorien voudrait faire croire que Mayotte ne saurait être un département français et devrait être rattaché aux Comores. Ce lobbying nous met en difficulté, et nous avons pris du retard dans la reconnaissance de la véritable place de Mayotte. Notre stratégie de coopération concentre ses efforts sur cette reconnaissance pleine et entière de Mayotte comme département français, et sur son influence dans la région et vis-à-vis des pays proches, par exemple le Kenya.

Je rappelle que Mayotte est française depuis 1841. Elle a acquis le statut de département en 2011 et celui de RUP en 2014. Pourtant, certaines régions et certains pays n'ont pas connaissance de ces éléments. Ceci explique les difficultés que nous rencontrons pour faire signer des conventions dans le cadre de la coopération européenne (Interreg). Nous sommes parvenus à signer des accords avec Madagascar, les Comores et le Mozambique, mais pas avec la Tanzanie et les Seychelles. Nous menons un travail de rapprochement avec ces deux pays. Force est de constater qu'il n'existe quasiment aucun lien avec les Seychelles. En revanche, le travail mené depuis deux ans avec la Tanzanie commence à porter ses fruits. Nous espérons que de la convention facilitera le dialogue avec le Gouvernement tanzanien. Elle nous permet déjà d'être reçus par celui-ci. Cependant, la diplomatie française doit nous accompagner, puisque la parole de la diplomatie conventionnelle et la nôtre n'ont pas le même poids.

M. Georges Patient, rapporteur. - Cette convention a été signée pour une durée de trois ans. Avez-vous reçu l'assurance que la France fera en sorte que Mayotte intègre la Commission de l'océan Indien à l'issue de cette période ?

M. Ben Issa Ousseni. - Cela fait partie du combat que nous menons pour la défense des intérêts du territoire mahorais. Nous nous battons pour intégrer pleinement la Commission de l'océan Indien, au sein de laquelle notre parole, en effet, n'est pas portée. Nous n'avons pas obtenu l'assurance de l'intégrer à l'issue de ces trois prochaines années, mais nous espérons que cette convention, ainsi que d'autres conventions régionales à venir, nous permettront d'y parvenir. Je rappelle que la convention prévoit une possibilité de reconduction à l'issue de trois ans, mais qui n'est pas automatique.

Vous savez les difficultés que la délégation mahoraise rencontre pendant les Jeux des îles de l'océan Indien : nous n'avons ni drapeau, ni hymne national. Nous souhaitons travailler dans la perspective des Jeux des îles en 2027, afin que Mayotte puisse y participer dans les meilleures conditions. Ces Jeux seront organisés aux Comores, qui tentent d'empêcher la participation de Mayotte avec le drapeau et l'hymne national. Nous devons par conséquent aboutir sur ce point. En outre, nous envisageons d'organiser les Jeux des îles en 2036 et nous devons travailler au sein de la Commission de l'océan Indien afin d'être en mesure de réussir l'organisation de cet événement.

M. Stéphane Demilly, rapporteur. - Le département de Mayotte a signé le 11 mars une convention de partenariat avec le ministère des Affaires étrangères, en marge des Assises de la diplomatie parlementaire et de la coopération décentralisée. L'objectif de cette convention est de permettre à Mayotte d'être engagée avec le Quai d'Orsay dans les opérations diplomatiques menées dans la région, notamment à Madagascar, à Maurice et au Mozambique. À terme, Mayotte devrait être représentée dans une dizaine de territoires, parmi lesquels les Seychelles, le Kenya et les Comores, même si beaucoup de subtilités sont à prendre en considération. En vous écoutant, Monsieur le Président, je comprends que votre ambition ne se limite pas à ces seuls territoires, et je tiens à vous en féliciter. Je salue la signature de cette convention qui doit permettre à Mayotte de mieux se faire connaître des causes africaines, afin de développer les échanges culturels et économiques.

Ces mesures sont déterminantes pour votre département, qui est le département le plus pauvre de France, mais le plus jeune aussi. Son économie a récemment subi un nouveau choc avec les barrages qui l'ont paralysée durant plus d'un mois, affectant de nombreuses entreprises de votre territoire. Face aux violences et à la sécheresse qui a contraint de nombreux Mahorais à vivre sans eau courante jusqu'à deux jours sur trois, les entreprises et les administrations expriment leurs difficultés à recruter et à fidéliser des employés partis en nombre ces derniers mois.

Ces problèmes internes, extrêmement pesants pour les élus du département, n'occultent pas vos ambitions extérieures. À ce titre, quelles seront les prochaines étapes permettant d'établir des liens de coopération économique avec les pays voisins de Mayotte ?

M. Ben Issa Ousseni. - La convention que nous avons signée est une convention-cadre. Nous espérons, d'ici quelques mois, signer d'autres conventions, notamment avec les ambassades des pays de la région. En effet, nous avons pour objectif d'installer, dès le mois de mai prochain, les premiers représentants du département de Mayotte dans les pays voisins, en premier lieu Madagascar, le Mozambique et Maurice. Les échanges avec les ambassades ont déjà été engagés et une première convention a été signée entre Mayotte et l'ambassade de Madagascar. Nous avons préparé des rencontres et choisi les trois agents qui représenteront Mayotte. Ceci constitue une première étape.

L'étape suivante consiste à travailler avec d'autres territoires que j'ai déjà mentionnés, notamment le Kenya, qui est aujourd'hui un pays qui monte en puissance dans la zone, le Mozambique et, à terme, Djibouti et d'autres territoires plus éloignés.

Notre territoire, vous l'avez souligné monsieur le rapporteur, souffre d'un manque d'attractivité. Ainsi notre hôpital éprouve de plus en plus de difficultés à faire venir des médecins en provenance de la France hexagonale. Dès lors, nous souhaitons que ces échanges régionaux nous permettent d'attirer des infirmières, des sage-femmes ou des médecins de la zone. Dans cette perspective, je crois que nous pouvons nous ouvrir notamment vis-à-vis de l'Inde. J'ai reçu récemment la visite des représentants du Consulat général de l'Inde à La Réunion, qui m'ont fait part de leur disposition à envoyer, si toutes les conditions sont réunies, des agents hospitaliers à Mayotte.

Des échanges économiques existent entre Mayotte et certains territoires proches. Ainsi, des importations ont lieu depuis Madagascar et, réciproquement, des entreprises mahoraises commencent à s'y installer, notamment dans le secteur de l'hôtellerie, mais aussi dans l'informatique et le numérique. Nous accompagnons nos entreprises dans certains forums économiques, en Tanzanie, au Mozambique, à Madagascar et même, récemment, à Maurice, répondant à leur souhait de participer à des échanges économiques. Les chefs d'entreprise nous disent qu'ils recrutent du personnel dans les territoires voisins. Installer nos représentants dans les ambassades nous permettra d'accompagner plus efficacement nos entreprises dans les territoires concernés, parallèlement à des échanges culturels qui, eux, sont bien identifiés.

M. Thani Mohamed Soilihi. - La signature de la convention est une excellente nouvelle pour Mayotte, au moins à deux titres. D'abord, sur le plan symbolique, cette convention fournit un cadre de travail. Autrefois, les accords, les programmes, les conventions se faisaient dans le dos de Mayotte. Je rappelle la polémique qui a éclaté lorsque les Mahorais ont découvert qu'une feuille de route, évoquant notamment ses relations avec les Comores, allait être signée à leur insu. La signature de la convention du 11 mars tranche avec ces manières de procéder, en définissant ouvertement un cadre de travail certes insuffisant, mais précis. Je voulais commencer par souligner cet aspect.

Ensuite, cette convention accélère la sortie de l'isolement de Mayotte. Les Mahorais sont exaspérés qu'on veuille leur imposer un destin comorien. La moitié des villages de Mayotte sont malgachophones. On y parle le shibushi, ce qui n'est le cas dans aucun village des Comores. L'autre langue principale de Mayotte, le shimaoré, est apparenté au swahili, tel qu'il est parlé au Mozambique, en Tanzanie ou au Kenya. Il faut cesser d'orienter Mayotte vers un destin comorien dont les Mahorais ne veulent pas, ainsi qu'ils l'ont exprimé à plusieurs reprises.

À cet égard, la convention représente une prise de conscience par le ministère des affaires étrangères. Je m'en réjouis, et j'espère qu'elle ne se limitera pas à la France, mais qu'elle sera partagée par les autres pays de la Commission de l'océan Indien, et par cette cousine de Mayotte qu'est La Réunion. La France ne peut pas financer une instance internationale telle que la Commission de l'océan Indien et tolérer dans le même temps que Mayotte en soit exclue.

Le président des Comores vient de féliciter Vladimir Poutine pour sa brillante réélection. Ce geste est certes anecdotique, mais il est aussi représentatif de sa personnalité. La France devrait en tirer les conclusions qui s'imposent et ne pas continuer à traiter avec un dictateur, puisqu'il convient de rappeler que le président comorien Azali Assoumani est parvenu au pouvoir à la faveur d'un putsch. Il existe, autour de Mayotte, suffisamment de pays avec lesquels nous entretenons des liens privilégiés, et avec lesquels nous souhaitons nouer des rapports sains, pour se passer des Comores. Les Comoriens, d'ailleurs, se rendent peut-être compte qu'ils n'ont pas d'autre choix, s'ils veulent améliorer leur situation, que de coopérer avec nous.

Je conclurai en disant que, si la signature de la convention représente une étape très importante, elle ne suffira pas si des moyens, et d'abord des moyens de persuasion, ne sont pas mobilisés par la France pour accompagner les efforts mahorais. La France, qui témoigne par cette convention de la confiance qu'elle place dans les Mahorais et leurs élus locaux, doit user de tout son poids diplomatique pour que les pays amis de la France, ainsi que le département voisin de La Réunion, acceptent enfin que Mayotte joue un rôle à égalité avec les autres territoires. Nos jeunes, à Mayotte, ne demandent qu'à entendre la Marseillaise lorsqu'ils remportent des compétitions sportives. Nous ne demandons pas l'impossible. J'espère que nous sommes à un tournant et que désormais les choses iront en s'améliorant à Mayotte.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie, cher collègue, pour votre intervention. J'entends l'émotion que vous transmettez. Nous la partageons ici, au Sénat, qui est l'assemblée des collectivités. Il est tout de même surprenant que des Français ne puissent pas brandir le drapeau national et entonner fièrement leur hymne national.

Mme Viviane Artigalas. - Je souscris pleinement aux propos de notre collègue Thani Mohamed Soilihi. Il faut rappeler que les Comores, tant d'un point de vue historique que géographique, n'ont jamais été un État. Les Comores sont un archipel d'îles souvent très diverses. Dès lors, la revendication de souveraineté sur Mayotte par les Comores n'est pas motivée, et la France a eu raison d'affirmer qu'il revenait à chaque île de décider de son destin.

Je rejoins également ce qui a été dit à propos de la jeunesse et des sports. La délégation sénatoriale aux outre-mer a produit un travail sur les jeunes et le sport en 2018. À l'occasion d'un séjour à Mayotte, j'ai pu constater moi-même, lors de compétitions organisées par l'Union nationale du sport scolaire, la frustration des jeunes Mahorais empêchés de défendre les couleurs de leur pays. Il s'agit d'un sujet d'autant plus important que Mayotte, comme d'autres territoires ultramarins, contient un vivier de talents sportifs à valoriser, et qui apporterait des médailles à la France.

La reconnaissance internationale de Mayotte comme département français est une clé de voûte à de multiples égards, et il convient de fournir un effort de communication en ce sens. J'observe que l'article 5 de la convention signée le 11 mars aborde la question de la communication. Cependant, il me semble que le texte s'arrête au stade des intentions. Par exemple, il indique que les ambassades de la région participeront à des actions de communication lorsqu'elles le jugeront pertinent, ce qui est une manière de faire prévaloir les décisions des autres sur les initiatives mahoraises. Monsieur le président, qu'en pensez-vous ? Est-il nécessaire d'aller plus loin dans ce domaine, afin que ces actions de communication et de médiatisation permettent enfin que Mayotte soit reconnue par toutes les instances comme un département français ?

M. Ben Issa Ousseni. - Cette convention était nécessaire dans un premier temps parce que, comme je l'ai indiqué, nous avions besoin d'un cadre de travail. Je précise que je ne suis pas un autonomiste. Mayotte s'inscrit dans la logique de l'article 73 de la Constitution relatif aux départements et régions d'outre-mer, et nous ne comptons pas en sortir. Cependant, je suis convaincu que les territoires ultramarins, au vu de leur positionnement régional, ont beaucoup à apporter sur le plan diplomatique. Ainsi je suis convaincu que le sénateur Thani Mohamed Soilihi a des contacts directs avec des ministres malgaches et qu'il peut échanger avec eux très facilement. Nous avons effectivement à mener un travail de communication sur la reconnaissance de Mayotte à l'échelle internationale, et nous comptons sur le Quai d'Orsay pour nous ouvrir les portes de différentes instances, notamment l'Organisation de l'unité africaine (OUA) ou l'ONU, afin d'expliquer et défendre le point de vue mahorais.

Comme vous l'avez rappelé, madame la sénatrice, il n'y a jamais eu un État comorien. Mayotte est française depuis 1841, parce que le sultan Andriantsoly, se sentant menacé par l'esprit de conquête et de domination des royaumes voisins, l'a cédée à la France afin de sécuriser son territoire. Mayotte était française quand chaque île de l'archipel était complètement autonome et indépendante. Les autres territoires ont rejoint la France beaucoup plus tard, avant de faire le choix de la quitter. Mayotte quant à elle a choisi de continuer son parcours français, et nous devons, en partenariat avec l'État, communiquer sur ce choix, sur la promotion de la convention et sur la reconnaissance de Mayotte à l'international. Notre objectif est d'être associé à la diplomatie française pour porter la parole de Mayotte.

Mme Agnès Canayer. - J'avoue humblement ne pas être une fine connaisseuse des problématiques de Mayotte. Aussi, je me pose une question relative aux enjeux de cette convention, dont je comprends bien qu'elle représente pour Mayotte l'occasion d'obtenir les moyens d'agir dans le cadre de la coopération décentralisée, notamment dans les relations avec les États en proximité. Outre les enjeux agricoles, que prévoit cette convention en matière de coopération policière, judiciaire et militaire ? Êtes-vous associés sur ces sujets ?

M. Ben Issa Ousseni. - Nos échanges, à l'heure actuelle, ne portent pas sur la question de l'immigration. Mais nous espérons pouvoir aborder les sujets de cet ordre avec l'État et lui faire savoir notre point de vue, peut-être à la faveur de futures conventions. Nous avons demandé à ce titre la mise en place d'échanges. Vous connaissez la situation que nous vivons en matière d'immigration et nous établissons une corrélation entre l'immigration et l'insécurité. Dès lors, nous devons être intégrés dans la boucle sur ces questions, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Pour compléter les propos du président, j'ajouterai que le temps où les décisions se prenaient sans les Mahorais et sans leurs représentants doit être révolu. La question de notre collègue Agnès Canayer me semble très pertinente. Nous ne souhaitons pas que la coopération s'arrête aux domaines que nous avons évoqués. La question de l'immigration relève du domaine régalien de l'État, et nous ne cherchons pas à empiéter sur lui. Mais trop souvent nous avons subi par le passé des décisions prises sans associer les élus mahorais ou en faisant semblant de les écouter. Aujourd'hui, les élus locaux de Mayotte sont de plus en plus dynamiques et volontaires. Ils souhaitent assumer leurs responsabilités, et il est temps de leur faire confiance. Il est temps aussi de changer les mentalités, de ne plus soupçonner un élu de séparatisme dès lors qu'il parle de coopération, et de cesser l'opposition entre ceux que l'on appelait dans les années 1970 les « serrez-la-main », c'est-à-dire les indépendantistes, et les « sorodas », partisans d'une Mayotte française. Je pense que la situation actuelle est suffisamment transparente, puisque tout ce qui se dit et se fait est exposé en place publique, pour dépasser ces vieilles rivalités.

M. Stéphane Demilly, rapporteur. - Monsieur le président, j'aimerais savoir si vous avez l'intention de réviser le cadre stratégique de coopération décentralisée et d'action internationale du conseil départemental de Mayotte, signé par votre prédécesseur et que vous avez adopté en 2018.

M. Ben Issa Ousseni. - Ce texte ne sera pas fondamentalement modifié. Cependant, en matière de stratégie, les documents doivent rester vivants, et nous allons faire évoluer celui-ci afin de l'adapter aux réalités contemporaines. Comme je l'ai indiqué précédemment, nous souhaitons élargir notre périmètre d'action et nous ouvrir à d'autres pays comme l'Inde, la Chine, la Malaisie, voire Singapour et la Thaïlande. Dès lors, nous souhaitons inscrire cette ouverture dans ce texte, où ne sont à ce jour mentionnés que huit ou neuf États, essentiellement des voisins proches et Djibouti. Cette évolution entend répondre à la réalité des échanges commerciaux et culturels, qui s'étendent déjà jusqu'au Sénégal ou à Dubaï.

Mme Soihirat El Hadad, conseillère départementale déléguée à la coopération régionale. - J'aimerais insister sur le caractère symbolique de la convention signée le 11 mars. Elle marque notre volonté de travailler avec l'État sur toutes les questions relatives à la promotion et à l'intégration de Mayotte dans sa région. Il est important de le marteler. Cette convention se double de la création d'un Comité d'insertion régionale de Mayotte, qui sera un espace d'échanges et de dialogue nous permettant d'aborder tous les sujets relatifs à la coopération et au développement du territoire dans sa région. La convention prévoit en outre un volet consacré à la formation de nos cadres et de nos futurs cadres sur les questions diplomatiques et protocolaires. L'objectif consiste en une montée en compétence du territoire dans ce domaine.

Par ailleurs, la convention précise les modalités d'une association du département de Mayotte à la politique étrangère de la France dans la région, ce qui répond parfaitement à la mesure n° 54 du Comité interministériel des outre-mer du 18 juillet 2023. Il convient de souligner que cette convention représente une étape inédite pour Mayotte et pour sa reconnaissance internationale.

Mme Micheline Jacques, président. - Vous avez évoqué dans votre propos liminaire, monsieur le président, le manque de foncier et le déficit en eau, qui représentent des freins à vos objectifs de souveraineté alimentaire. Vous avez aussi évoqué les relations tissées avec Madagascar en matière de développement agricole. J'aimerais savoir quel modèle agricole vous envisagez de développer. Est-ce une agriculture intensive ? Ou bien une agriculture de petites fermes ? Comment la coopération agricole sera-t-elle organisée ?

Le magazine Forbes a publié un article sur l'homme d'affaires Mohamed Dewji, première fortune de Tanzanie, qui ambitionne de faire de son pays une puissance dominante dans le secteur agroalimentaire, en développant une agriculture intensive. Selon vous, que représente cette perspective pour Mayotte ? Est-ce une opportunité ? Est-ce une source d'inquiétude pour le développement des agriculteurs mahorais en Tanzanie ?

M. Ben Issa Ousseni. - Nous ne sommes pas en capacité de développer sur le territoire de Mayotte ce que vous appelez une agriculture intensive sur de grandes superficies. Notre activité agricole se déroule sur de petites exploitations à taille humaine, et c'est ce que nous nous efforçons de développer. Cependant, force est de constater qu'en matière alimentaire, nous manquons de tout. À Mayotte, le prix d'un kilo de tomates peut atteindre 12 à 15 euros. Le prix d'un kilo d'oignons est monté jusqu'à 15 euros récemment, alors qu'habituellement il se négocie autour de 3 euros.

La Chambre de Commerce et d'industrie de Mayotte coopère déjà avec les territoires proches, notamment la Tanzanie. Récemment, notre chambre d'agriculture a signé une convention avec la chambre d'agriculture tanzanienne, afin que nous puissions produire en Tanzanie ce dont nous avons besoin à Mayotte. Autrement dit, nos structures prennent le devant et, bien entendu, nous espérons développer de préférence une agriculture la plus saine possible, et respectant les normes environnementales.

Aujourd'hui, des Mahorais produisent à Madagascar, d'où nous importons beaucoup de produits, notamment des oignons, du taro et des tomates. Notre souhait d'ouverture et de coopération élargie vers le Kenya répond également à cette nécessité d'approvisionnement, puisque le Kenya est performant en matière de production agricole, et dispose d'un grand port tourné vers Mayotte, avec laquelle des liaisons maritimes sont établies. Certains porteurs de projets mahorais travaillent sur la question du transport maritime dans la perspective de faire circuler les productions dans la zone et de permettre à Mayotte de s'approvisionner en produits frais.

L'agriculture mahoraise restera une agriculture de petite taille, plutôt respectueuse de l'environnement. Bien développée, elle ne pourra satisfaire, dans le meilleur des cas, que 40 à 50 % de la demande locale. L'autre moitié, nous devrons l'importer des autres États de la région.

Mme Micheline Jacques, président. - Nous apprenons avec plaisir que vous avez déjà développé un certain nombre de relations régionales. Dès lors, cette convention scelle votre volonté de vous ouvrir sur les territoires proches de Mayotte, mais aussi plus lointains puisque vous avez parlé de l'Inde, de la Chine ou encore de la Thaïlande. Elle constitue donc une très belle opportunité pour Mayotte, et nous espérons que ces échanges propèrent à la faveur d'autres conventions, dans d'autres domaines.

Nous pouvons espérer également, pour reprendre le thème évoqué par notre collègue Agnès Canayer, que se développe la coopération en matière de sécurité. Le canal du Mozambique est une région stratégique où Mayotte occupe une place importante pour la France. Il convient d'exploiter au mieux toutes les opportunités qu'offre Mayotte.

Je vous remercie, monsieur le président, de nous avoir apporté ces éclairages, et je vous assure que la délégation sénatoriale aux outre-mer restera très attentive quant à la situation de Mayotte, à ses démarches de coopération, à son insertion régionale, ainsi qu'au rayonnement de la France dans le canal du Mozambique.

M. Ben Issa Ousseni. - Je vous remercie également, et je signale que Mayotte accueillera, le 18 avril prochain, la Conférence des ambassadeurs. Cette réunion permettra d'échanger avec l'ensemble des ambassadeurs de la zone sur le déploiement de la convention.

Mme Micheline Jacques, président. - La délégation sénatoriale aux outre-mer ne pourra se rendre à cette conférence, puisqu'à cette date elle se déplacera dans les Antilles, dans le cadre d'une mission sur les modes d'action de l'État dans les outre-mer. Toutefois, nous envisageons un déplacement à Mayotte à la fin du mois de mai. Cette mission aura deux volets. D'une part, il s'agira d'aborder le rôle de l'État au sein des collectivités et l'adaptation des compétences régaliennes de l'État sur les territoires. D'autre part, nous évoquerons la coopération régionale dans le bassin Indien.

La séance est levée à 15 heures.