Mardi 12 mars 2024

- Présidence de Mme Micheline Jacques -

Réunion commune avec la délégation aux outre-mer de l'Association des maires de France (AMF)

La séance est ouverte à 18 heures.

Mme Micheline Jacques, président. - Madame et Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, chers collègues, nous avons le plaisir de tenir une nouvelle fois une réunion commune entre les délégations aux outre-mer de l'AMF et du Sénat. La délégation outre-mer de l'AMF est née en février 2022 de l'initiative des cinq présidents d'associations départementales ultramarines. Nous avions eu l'honneur de recevoir ses membres, dans cette même salle René Monory, dès sa constitution. Le président du Sénat Gérard Larcher avait immédiatement salué et soutenu cette initiative.

Comme la nôtre, votre délégation vise à favoriser la prise en compte des spécificités des territoires ultramarins. Elle a , de plus, pour ambition de nourrir les travaux du comité législatif et réglementaire de l'AMF, afin d'être le plus en amont possible dans la préparation des politiques publiques, et le plus en aval possible dans leur évaluation.

La forte participation de ce jour montre combien cette démarche répond à une nécessité. Notre ordre du jour, établi en coordination, comporte en effet 3 points : la réforme de l'octroi de mer ; la situation à Mayotte ; l'adaptation des normes outre-mer, sujet sur lequel le président Gérard Larcher souhaite que le Sénat dépose une proposition de loi chaque année.

Sur le premier point, je rappelle que le Gouvernement a annoncé, l'année dernière, une réforme de l'octroi de mer, qui fait partie des 72 mesures présentées au comité interministériel des outre-mer (CIOM). À ce jour, il n'a cependant pas encore présenté de projet précis.

Sans attendre, la commission des finances du Sénat a donc organisé le 14 février dernier une table ronde avec l'ensemble des collectivités à compétence régionale des départements et régions d'outre-mer (DROM), à la demande du président Gérard Larcher. Notre délégation y a naturellement été conviée. Comme l'a rappelé le président Claude Raynal, l'octroi de mer, qui représente près de 1,5 milliard d'euros, est une recette fiscale indispensable pour ces collectivités territoriales. Il compte ainsi, pour 37 % des recettes fiscales des communes de La Réunion, 43 % de celles de Guyane, 45 % de celles de Guadeloupe, 47 % de celles de Martinique et plus de 76 % de celles de Mayotte.

Les cinq collectivités ont exprimé une position claire et unanime contre une réforme de l'octroi de mer, qui remettrait en cause ses équilibres fondamentaux (garantie de l'autonomie financière des communes et régions, instrument économique et fiscal à la main des régions, outil de protection de la production locale). Le calendrier est également critiqué, alors qu'une évaluation européenne à mi-parcours est encore attendue.

Quelques pistes d'évolution ont toutefois été citées. Il a ainsi été notamment proposé d'appliquer effectivement l'article 45 de la loi du 2 juillet 2004 qui dispose que l'octroi de mer n'est pas compris dans la base d'imposition de la TVA. Une autre piste consiste à contraindre les douanes à fournir des données par secteurs d'activités, afin de mieux mesurer l'impact de l'octroi de mer. Il s'agirait, en outre, d'encadrer le nombre de taux. Il est possible également d'étudier l'extension aux services et de mieux informer le consommateur de l'impact de l'octroi de mer sur les prix. Ces pistes sont citées parmi d'autres.

En résumé et comme l'ont indiqué les participants, s'il y a réforme, autant la réaliser « de manière intelligente ».

Je livre ces suggestions afin de lancer la discussion, mais nous savons tous que l'octroi de mer est un sujet particulièrement complexe. Notre délégation le sait. Elle a travaillé en 2020 sur ce sujet lors d'un rapport relatif à l'Union européenne porté par nos collègues Dominique Théophile, Vivette Lopez et Gilbert Roger. Je suis heureuse d'être entourée aujourd'hui encore d'éminents collègues comme Georges Patient et Victorin Lurel.

Comme vous le savez, la sortie ces jours-ci du rapport de la Cour des comptes « L'octroi de mer, une taxe à la croisée des chemins » n'a fait que raviver les inquiétudes. Ce rapport est critique sur l'octroi de mer, pointe ses imperfections (complexité, inefficacité économique, autonomie fiscale en trompe-l'oeil...) et propose un scénario de réforme ambitieux.

Parmi les 12 recommandations, deux intéressent directement les communes. Je les rappelle brièvement. La première d'entre elles consiste, d'ici 2025, à augmenter l'affectation des ressources issues de l'octroi de mer à l'investissement en plafonnant la hausse des recettes de l'octroi de mer consacrées au fonctionnement des collectivités (la dotation globale garantie ou DGG) et en affectant le différentiel exclusivement à l'investissement via le Fonds régional pour le développement économique et l'emploi (FRDE). Il s'agirait en outre, toujours d'ici 2025, d'affecter la moitié, voire la totalité des recettes du FRDE aux régions afin de financer des dépenses d'investissement les plus structurantes.

Après ces quelques rappels, je présente les participants : Serge Hoareau, président de l'association départementale des maires de La Réunion ; Héric André, 1er vice-président de l'association des maires de Guadeloupe ; Sophie Charles, membre associée du bureau de l'AMF et vice-présidente de l'Association des communes et collectivités d'outre-mer (ACCDOM), en visioconférence ; Didier Laguerre, maire de Fort-de-France ; Jean-Claude Maes, président de l'ACCDOM ; Mohamadi Madi Ousseni, maire de Chiconi à Mayotte, également en visioconférence.

M. Serge Hoareau, président de l'association départementale des maires de La Réunion. - Merci, Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs les Sénateurs de la délégation aux outre-mer, merci de nous recevoir pour aborder ces sujets importants pour nos territoires. Il est vrai que l'octroi de mer se trouve sous les feux de l'actualité, mais je veux dire qu'il ne s'agit pas d'un fait nouveau. En effet, régulièrement, des rapports sont publiés sur l'octroi de mer. Il s'agit d'un « serpent de mer qui se mord la queue », puisque, tandis que le sujet est remis sur la table régulièrement, nous n'avons pas nécessairement obtenu les résultats escomptés à l'issue des différents rapports publiés.

Le sujet a été porté également lors de la campagne présidentielle, puisqu'il figurait au programme du président de la République qui avait annoncé une réforme de l'octroi de mer. Le Gouvernement de Mme Elisabeth Borne a donc travaillé sur le sujet. Il a intégré la refonte de l'octroi de mer comme l'une des priorités du comité interministériel des outre-mer (CIOM). Il en a même fait la première mesure.

Plusieurs évolutions sont intervenues. Nous avons assisté en premier lieu à des changements de ministre des Outre-mer, avec successivement Jean-François Carenco, Philippe Vigier et, aujourd'hui, Marie Guévenoux, qui doit prendre ce dossier également en main. Nous avons commencé à travailler avec le ministère des outre-mer à travers les différentes rencontres que nous avons eues sur les sujets du CIOM, dont la dernière en date, au mois de novembre 2023, a consisté en un point d'étape sur la mise en route des différentes mesures.

Évidemment, le rapport de la Cour des comptes publié la semaine dernière a mis « le feu aux poudres », puisqu'il a placé la réforme de l'octroi de mer au coeur de l'actualité. Nous avons été pointés du doigt par ce rapport, repris allègrement par les presses régionales qui ont prétendu que si la vie était chère dans nos territoires, la cause en était l'octroi de mer. L'octroi de mer a même été rebaptisé en « octroi des maires ». Ce rapport a par conséquent eu une incidence néfaste sur les politiques que nous représentons. Bien évidemment, nous sommes aujourd'hui quelque peu affectés par cette version du rapport de la Cour des comptes. À notre sens, pour évoquer la cherté de la vie dans nos territoires, il aurait été plus intéressant et plus utile de réaliser une analyse de la formation des prix dans les territoires ultramarins : l'éloignement, les coûts de transport, les coûts du fret, la problématique des assurances, la part des distributeurs, la part des importateurs... Il s'agit d'un ensemble d'éléments entrant dans le mécanisme de la formation des prix. Il est donc regrettable de se concentrer uniquement sur l'octroi de mer. Il n'a pas été question également de la TVA, qui s'applique sur les produits.

Nous avons par conséquent jugé injustes certaines des recommandations portées par la Cour des comptes. Certaines recommandations peuvent certes être fondées. En revanche, nous rencontrons une difficulté aujourd'hui avec la volonté du Gouvernement d'engager une réforme ou une refonte de l'octroi de mer sur la base de ce rapport de la Cour des comptes.

Nous sommes extrêmement inquiets pour l'autonomie financière de nos collectivités. En effet, la Cour des comptes a rappelé que sa réforme ou ses recommandations étaient neutres pour l'État, donc supportées uniquement par les collectivités locales, notamment par le bloc communal. Cette proposition est inacceptable puisque, vous l'avez rappelé, le fait que l'octroi de mer financerait le fonctionnement et insuffisamment l'investissement a été pointé. Il s'agit d'une erreur. Grâce aux recettes de fonctionnement, nous pouvons effectivement équilibrer les budgets de nos collectivités et de nos communes. Parfois également, grâce aux recettes, lorsque la gestion est rigoureuse, nous pouvons obtenir une épargne brute, puis une épargne nette nous permettant d'affecter une partie des résultats positifs de nos budgets en section d'investissement.

Nous retrouvons une partie des crédits de fonctionnement en section d'investissement. Nous participons également au soutien du monde économique local avec nos marchés. En effet, les collectivités locales, notamment le bloc communal, sont les premiers donneurs d'ordre dans nos territoires. Quand nous attribuons des marchés publics, ces marchés publics permettent de faire vivre le monde économique local, les entreprises, mais également de soutenir le pouvoir d'achat des salariés à travers les marchés obtenus par leurs entreprises.

Notre souci aujourd'hui concerne le calendrier extrêmement contraint. En effet, la volonté du Gouvernement est d'avancer « à pas de charge » afin de présenter les premiers éléments de refonte ou de réforme d'ici l'été pour une intégration au projet de loi de finances pour 2025. Nous sommes par conséquent extrêmement inquiets.

C'est pour cette raison que l'ensemble des élus présents aujourd'hui à travers l'ACCDOM et l'AMF plaident auprès de leurs interlocuteurs en faveur de l'autonomie financière de nos collectivités locales et de la protection de la production locale. Le sujet est important. Il s'agit de parler de pouvoir d'achat plutôt que de vie chère et d'essayer ensuite de travailler à un projet de réforme ou de refonte.

Un véritable tollé a soulevé nos territoires. Je me suis entretenu avec des représentants des régions ultramarines. La réforme contient de nombreuses incertitudes. Nous devrions pouvoir y travailler car nous ne voulons pas subir cette réforme. Nous voulons être force de proposition. Nous y travaillons pour pouvoir apporter un argumentaire solide qui permettrait d'éclairer demain le Gouvernement sur des orientations de réforme de l'octroi de mer.

Madame la Présidente, je laisse mes collègues compléter mes propos.

M. Héric André, 1er vice-président de l'association des maires de Guadeloupe. - Je vous remercie de nous recevoir. Comme l'a indiqué notre collègue, M. Serge Hoareau, nous nous inscrivons contre ce que nous considérons comme une volonté manifeste d'attaquer un dispositif qui permet de financer par exemple 50 % du budget de ma petite commune. Vous imaginez à quel point il est difficile pour nous d'accepter une suppression du dispositif. Nous vivons des moments extrêmement difficiles, notamment s'agissant de la volonté d'associer l'octroi de mer à la vie chère dans nos territoires. Nous pensons qu'il est nécessaire que l'État revoie sa position.

Certaines initiatives, de surcroît, sont mal perçues. Deux personnes ont été missionnées pour venir sur le terrain recueillir l'avis des élus et des entrepreneurs. Il est difficile pour nous d'accepter, tandis que nous nous sommes organisés pour mettre en place une réflexion qui a conduit à ce que nous adressions des propositions au niveau du CIOM, une volonté parallèle de mettre en place une enquête pour un retour au Gouvernement. La situation aurait pu être mieux appréhendée par de la concertation avec les acteurs déjà présents sur le territoire. Lors du dernier Congrès des élus, nous avons émis une proposition de travail. Nous continuons de travailler sur le sujet. Ce soir, une réunion de notre atelier sera consacrée à l'octroi de mer en Guadeloupe. J'y participerai également en visioconférence. Les Guadeloupéens sont par conséquent en colère sur le terrain. Il leur sera difficile d'accepter un remplacement par la TVA, en particulier dans un contexte où nous demandons une organisation nous permettant de prendre des décisions de ce type dans nos territoires. La ressource est en effet collectée par les régions, et non pas par l'État. La position de l'État est par conséquent extrêmement mal perçue, tandis que nous réclamons davantage de pouvoir décisionnel dans nos territoires. Nous ne pouvons pas accepter la suppression d'une fiscalité que nous contrôlons alors que nous rencontrons déjà des difficultés.

M. Didier Laguerre, maire de Fort-de-France. - Bonjour à toutes et à tous. Pour compléter, l'octroi de mer est une recette, une taxe indirecte prélevée localement, et gérée par les collectivités locales. Il ne saurait être question qu'il soit remplacé par une dotation. Remplacer l'octroi de mer par une dotation alimentée par un prélèvement de TVA ou autre conduirait à terme à une perte d'autonomie financière des collectivités.

Le budget de la ville de Fort-de-France est de 200 millions d'euros. La recette d'octroi de mer est de 41 millions d'euros. Le sujet ne saurait par conséquent être guidé par les volontés gouvernementales successives de réduire les charges de l'État. Il s'agit d'un premier point fondamental. Le deuxième point concerne le fait que l'octroi de mer assume un rôle de protection de la production locale. Même s'il montre des défaillances, même s'il montre un certain nombre d'imperfections, il ne saurait non plus être remplacé par une dotation qui alimenterait des subventions de soutien à l'économie locale.

L'octroi de mer est attaqué depuis très longtemps. Il est aujourd'hui présenté comme un des vecteurs principaux de la cherté de la vie dans nos territoires, sans qu'à aucun moment des études sérieuses démontrant l'impact de l'octroi de mer sur le coût de la vie n'aient été réalisées. Comme l'a indiqué Serge Hoareau, aucune étude sérieuse ne s'est penchée réellement sur la formation des prix, sur les problématiques de concentration des acteurs économiques et donc sur les problématiques de marge qui contribuent à la cherté de la vie.

En réalité, nous craignons le remplacement de l'octroi de mer par une dotation versée aux collectivités qui permettrait une augmentation des marges des acteurs économiques. Pour le citoyen, l'opération resterait totalement neutre, sans impact réel sur la cherté de la vie dans nos territoires. De surcroît, l'octroi de mer remplacé par une TVA serait collecté par l'État. Nous subirions une perte d'autonomie fiscale.

Certes, l'octroi de mer présente un certain nombre d'imperfections (complexité du dispositif, manque de lisibilité à la fois pour le citoyen et l'acteur économique, nombre de taux important). Il gagnerait à être plus lisible, plus simple, plus efficace. Il présente également une problématique particulière, celle d'asseoir le financement des collectivités locales sur l'importation de produits et donc sur la consommation. Il s'agit d'un biais sur lequel travailler. Nous ne sommes pas opposés à un travail qui permette une fiscalité locale et donc un pouvoir fiscal local pour à la fois financer les collectivités et soutenir la production locale. En revanche, nous ne voulons absolument pas perdre la capacité à déterminer les taux, à orienter les secteurs d'activité que nous voulons voir développer. En effet, les collectivités régionales portent les investissements permettant le développement économique et les communautés d'agglomération. Il ne saurait donc être question que la recette leur échappe.

Enfin, l'octroi de mer présente un défaut particulier, le fait d'être assis à la fois sur la valeur du produit et sur les frais d'approche, de transport et de manutention. En plus de l'octroi de mer, vient s'appliquer une TVA qui renchérit le coût de la vie. La réforme de l'octroi de mer pourrait ainsi peut-être porter également sur l'assiette de l'octroi de mer, de façon à faire en sorte de ne pas payer en octroi de mer une valeur supérieure à la valeur du produit acheté. Le sujet n'est pas une question de fixation de taux ou de volonté politique locale. Il s'agit d'une question de structure de l'impôt, qui relève de l'action de l'État et du Gouvernement.

Enfin, pour terminer, l'octroi de mer est présenté comme le facteur du coût de la vie. La collectivité territoriale de Martinique a fait le choix de ramener à zéro le taux d'octroi de mer sur les produits de première nécessité. Lorsqu'en tant que président de la commission des finances, j'ai posé une question sur la perte de recettes pour la collectivité, le montant avancé était de 3 millions d'euros, ce qui signifie que les taux d'octroi de mer sur les produits de première nécessité sont déjà très faibles.

Mme Sophie Charles, membre associée du bureau de l'AMF et vice-présidente de l'ACCDOM. - Bonjour à toutes et à tous. Mes collègues se sont beaucoup exprimés. J'ajouterai quelques remarques. La réforme de l'octroi de mer pose, selon moi, trois problématiques relatives respectivement à la protection des productions locales, à l'autonomie fiscale des collectivités et à la préservation du pouvoir d'achat des populations.

Sur la protection des productions, l'argument généralement avancé par le monde économique réside dans le fait que l'octroi de mer vient compenser des coûts de production locale trop élevés qui alourdissent le prix de revient du produit et, ainsi, son prix de vente. Surtout, il devrait permettre la compétitivité des prix au niveau local.

Néanmoins, les entreprises font remonter que l'octroi de mer influe sur leurs besoins en fonds de roulement. Cette situation agit malgré tout sur le prix de vente. Les organisations professionnelles de Guyane interpellent régulièrement la collectivité territoriale sur ce problème de besoins en fonds de roulement. Il est important de noter, en particulier en Guyane, le manque de lisibilité de l'octroi de mer. Aujourd'hui, la grille tarifée pour l'octroi de mer en Guyane est un document de 227 pages, considéré comme peu lisible et qui, de surcroît, contient deux catégories de listes, une liste A et une liste B. Le dispositif est complexe. Il nécessite une simplification. Il existe des différences, parce qu'il y a un système de taxation pour les marchandises importées, l'octroi de mer interne, l'octroi de mer interne régionale, l'octroi de mer externe, l'octroi de mer externe régionale. Je pense qu'une simplification doit être apportée. En revanche, je suis évidemment contre la suppression de l'octroi de mer.

La raison en est qu'il s'agit de la ressource fiscale essentielle des communes. Aujourd'hui, cette taxe représente, au niveau des collectivités ultramarines, pour la Guadeloupe 37,9 % des ressources, pour la Martinique 37,8 % des ressources, pour la Guyane 55,4 % des ressources, pour La Réunion 33,4 % des ressources, pour Mayotte 70,5 % des recettes. Quand nous considérons l'ensemble des recettes fiscales de l'octroi de mer concernant à la fois régions, départements et communes, en Guyane, la ressource en 2021 était de 224,4 millions d'euros, répartis à 73 % pour les communes, 26 % pour la collectivité territoriale de Guyane (CTG) et 1 % pour les douanes. Il n'est pas possible de remplacer cette recette, qui est plus importante que la dotation globale de fonctionnement (DGF).

Il existe une autre raison de préserver cette recette. Préserver le droit des élus ultramarins à pouvoir décider du montant de cette taxe signifie préserver l'autonomie des élus ultramarins. Je crois qu'il est important de pouvoir en parler, en débattre. En revanche, il est hors de question qu'elle soit remplacée par une TVA, car des territoires comme Mayotte ou la Guyane, sont très vulnérables aujourd'hui. Certes, il est nécessaire de simplifier le cahier de taxation. Cette recette principale des communes doit rester du ressort des élus locaux. Il est essentiel, sur chaque territoire, de conserver la spécificité de l'octroi de mer. En contrepartie, il est évident qu'une plus grande transparence est indispensable. Il serait extrêmement intéressant de mener un travail par territoire sur le sujet des exonérations.

Concernant la préservation du pouvoir d'achat, une étude de formation des prix est indispensable. Je rappelle que l'Autorité de la concurrence avait mené une étude en 2019 indiquant que l'octroi de mer représentait 7 % du prix final du produit alors que le fait de recourir à des grossistes ou des importateurs représentait 16 %. Je crois qu'une réelle étude sur les raisons de la vie chère dans les outre-mer est indispensable. Elle devrait prendre en compte notamment les spécificités par territoire, car les situations sont différentes. La concertation avec les professionnels est également indispensable pour examiner les dispositifs à modifier. Il existe en particulier, dans l'octroi de mer, des spécificités propres au marché antillo-guyanais.

Sur les trois problématiques que j'évoquais précédemment, il est impossible d'avancer rapidement. Il est par conséquent important de comprendre que le calendrier initial de réforme par le projet de loi de finances pour 2025 est précipité. Les dispositifs à examiner pour chaque territoire, je le répète, sont notamment différents. L'uniformisation sera impossible dans un temps aussi court. Un travail spécifique doit être mené par territoire et par type d'exonération, tout en menant une étude sur la composition des prix.

M. Mohamadi Madi Ousseni, maire de Chiconi à Mayotte. - Bonsoir, Madame le Président, bonsoir à toutes et à tous. Je suis également trésorier de l'Association des Maires de Mayotte (AMM). Pour ma part, je souhaite revenir sur deux points essentiels.

Naturellement, comme mes collègues l'ont indiqué précédemment, un déséquilibre de nos recettes est à craindre. Elles sont déjà assez infimes en ce qui concerne Mayotte. Il a été rappelé qu'elles représentent 76 % des recettes dans le département de Mayotte. La question porte sur la manière dont la réforme impacterait nos recettes, compte tenu des difficultés que nous subissons déjà.

En second lieu, la question se pose de l'impact sur notre population, en particulier concernant les produits de première nécessité. Concernant la situation de Mayotte, avec la vie chère régulièrement évoquée qui y sévit, l'inquiétude concerne le double impact à la fois sur les collectivités et sur les populations, qui subissent déjà depuis plusieurs années une inflation galopante. À ce niveau-là, la question se pose des garanties qui seraient apportées à nos collectivités et à nos populations en cas de réforme.

M. Jean-Claude Maes, président de l'ACCDOM. - Bonsoir, Madame le Président, bonsoir, Mesdames et Messieurs les Sénateurs. Je suis heureux d'être présent ce soir. Je constate en effet que les onze territoires, dont les cinq DROM, sont d'accord sur la question de l'octroi de mer. Ce point est important. Je ne reviendrai pas sur les propos tenus précédemment. Ils sont la pure vérité. Je souhaite en revanche évoquer la question du sens politique.

L'État a déjà réformé la taxe d'habitation en 2017. Il s'attaque à présent à l'octroi de mer, avec l'intention de retirer le pouvoir aux élus locaux. J'irai même plus loin. La décentralisation est remise en cause. La décentralisation donnait davantage de pouvoir aux élus locaux pour travailler pour le bien de leurs populations. J'ai le sentiment que l'État se positionne au centre de tout. La suppression d'une recette dynamique et son remplacement par une subvention pose la question de savoir si cette subvention sera tout aussi dynamique. J'appelle par conséquent à la prudence. Aucune étude d'impact au niveau de l'économie locale n'a notamment été réalisée. Malgré la réforme, l'État n'a jamais communiqué d'étude d'impact sérieuse au niveau économique.

Nous nous dirigeons vers des conflits sociaux au sein des populations auxquelles l'octroi de mer est mal expliqué. Il n'est pas vrai d'affirmer en particulier que l'octroi de mer serait à l'origine de la cherté de la vie. Mes collègues ont précédemment démontré qu'avec l'octroi de mer, une commune peut être dynamique et créer de l'emploi, avec un impact économique très fort.

Il est question d'un transfert du fonds régional pour le développement et l'emploi (FRDE). L'État nous expliquerait, comme à des enfants, quels projets mettre en oeuvre. Les élus seraient donc incapables de définir si un projet est bon ou non pour leurs populations. C'est pourquoi je suis défavorable à cette réforme.

L'AMF et l'ACCDOM auront recours à un cabinet spécialisé pour les aider à adresser des propositions concrètes à l'État. Il n'en demeure pas moins que le délai est très court. Une inscription au PLF 2025 est impossible. Nous devons pouvoir étayer nos propositions jusqu'en 2027. Je suis ravi que l'ensemble des territoires ultramarins soient sur cette ligne. Nous pourrons adresser une proposition commune à l'État. Nous représentons plus de 2 millions d'habitants. L'État doit nous écouter.

M. Georges Patient. - Bonsoir à vous tous. Après une première séance avec les exécutifs locaux qui a montré une unanimité pour le maintien de l'octroi de mer, avec quelques mesures à revoir, à corriger, je suis content de constater la même unanimité au niveau des maires.

Je m'en étais rendu compte lors du congrès de l'ACCDOM en Nouvelle-Calédonie. Une séance avait eu lieu sur l'octroi de mer. Il y avait la même unanimité pour le maintien de l'octroi de mer, avec quelques réformes. Il existe une unanimité au niveau des collectivités locales d'outre-mer, qui sont les bénéficiaires de cet octroi de mer, dont je rappelle qu'il s'agit de fiscalité indirecte, sans impact financier pour l'État.

Nous avons parlé du calendrier. Il s'agit d'un calendrier presque contraint, avec inscription, dans le PLF 2025, pour une réforme - ou une rupture, comme l'indique le rapport de la Cour des comptes - en 2027. Nous savons que la question se jouera au niveau du Parlement.

Les parlementaires doivent à présent commencer à mener le combat. La mesure voulue par le Gouvernement n'est pas une priorité. Il existe d'autres priorités. Si la mesure annoncée s'applique, il y aura, non pas des troubles, des problèmes sociaux, comme le craint le président de l'ACCDOM, mais un tollé déjà au niveau des élus. Je ne sais pas si la population suivra les élus, mais il y aura un tollé au niveau des élus qui, sur tous les bancs, sont défavorables à cette disposition. Si le Gouvernement n'abandonne pas cette mesure, elle sera présentée au Parlement entre octobre et décembre 2024. Nous devons par conséquent nous préparer. Je sais qu'au niveau du Sénat, une majorité, pour l'instant, est disposée à nous suivre, puisque le rapporteur général de la Commission des finances était présent lors de la dernière séance. J'ai cru comprendre que l'autonomie locale l'intéressait fortement et qu'il était prêt à nous suivre dans notre démarche. Il nous appartient donc, à nous parlementaires, de commencer à nous organiser pour faire en sorte que cette mesure ne s'impose pas.

Quant au rapport de la Cour des comptes, j'exerce actuellement mon troisième mandat au Sénat. J'ai vu passer de nombreux rapports. Je finis par me dire que la Cour des comptes aurait - j'utilise le conditionnel - peut-être des a priori contre les outre-mer. Examinons les recommandations qui émanent du rapport de la Cour des comptes. La Cour des comptes réclame par exemple la suppression des 40 % et la suppression de la défiscalisation. Elle formule une critique générale vis-à-vis de l'ensemble des élus, qui manqueraient notamment de capacités d'ingénierie locale. Les collectivités seraient dépensières, avec des dépenses de personnel excessives. Je n'ai pas lu tout le rapport parce qu'il est tout de même consistant, mais nous sentons qu'il arrive à point nommé, évoquant même 2027 pour une rupture. Il est question de réforme, mais il est surtout question de rupture, avec un remplacement par la TVA en 2027. Je n'affirme pas qu'il s'agît d'un rapport commandé. En revanche, il y a une forte collusion entre la volonté du Gouvernement et les conclusions de ce rapport.

Je me félicite de l'unanimité qui se dégage au sein des outre-mer. Il nous appartient à présent, à nous parlementaires, de nous montrer vigilants si la mesure nous est présentée en loi de finances.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci, chers collègues. Avant de laisser la parole à notre collègue Victorin Lurel pour quelques minutes, je suis en phase avec Georges Patient sur la nécessité de se concerter et de travailler sur ce sujet en amont. Je partage également les inquiétudes des élus de toutes les collectivités ultramarines. Je laisse à présent la parole à Victorin Lurel.

M. Victorin Lurel. - Bonsoir à toutes et à tous. Je rejoins l'ensemble des propos précédents, puisqu'il s'en dégage une unanimité pour éviter une réforme qui n'a pas été conçue en concertation avec les élus de nos territoires. J'exprime également une méfiance vis-à-vis de la volonté affichée par Bercy de lutter contre la vie chère simplement en réformant l'octroi de mer, sans davantage d'informations.

Cela étant, nous savons que les rapports commencent à s'accumuler depuis une dizaine d'années, créant un fond d'ambiance selon lequel l'octroi de mer serait, avant tout, un facteur de vie chère. Aux yeux du Gouvernement, l'étude la plus crédible allant dans ce sens est l'étude de l'Autorité de la concurrence. La Cour des comptes y a ajouté sa touche. La Chambre régionale des comptes Antilles-Guyane, notamment sur la Guadeloupe, a ajouté également des éléments. Au total, un ensemble d'études, avec des biais d'analyse et des approches curieuses, conclut au potentiel inflationniste de l'octroi de mer.

Nous sommes tous d'accord pour refuser des réformes pensées rapidement. Je suis d'accord avec Georges Patient pour affirmer qu'il existe d'autres priorités. Pour ma part, je demande à mes collègues de se tenir prêts à émettre des propositions sur l'ensemble des dispositifs. Le Gouvernement peut formuler des propositions de TVA régionale (peut-être baptisée d'un autre nom, mais sur le modèle de la TVA). Pour notre part, nous devons travailler à revoir le mécanisme de déduction, imité de la TVA, qui fonctionne extrêmement mal. Nous devons peut-être y travailler avec des experts pour ne pas avoir à subir demain les propositions de Bercy. À mon sens, les régions doivent simplifier leur grille. Les mécanismes d'exonération doivent être revus et clarifiés. Il paraît indispensable également de revoir l'imposition et la tarification sur tous les produits de première nécessité et, peut-être également, sur les produits de large consommation, en allant au-delà des produits de première nécessité. Nous devrons nous entendre sur le périmètre. Ce travail doit être réalisé entre nous, même si chacun, dans son autonomie de territoire, aura à ajuster le périmètre. Nous devons déjà y penser, puisqu'il est vrai que ces sujets affectent le panier de la ménagère. Nous ne devons pas rester inertes et subir les décisions prises par Bercy à notre place.

Simultanément, nous devons parvenir à un consensus politique, pour demander à l'État de produire les efforts nécessaires sur la TVA. L'État argue de taux de TVA faibles sur les produits de première nécessité. Ce n'est pas tout à fait faux, mais ce n'est pas tout à fait juste non plus, notamment dans son étendue, son ampleur et son périmètre. Il est indispensable de revoir les logiciels, les commissionnaires en douane et l'empilement de la TVA sur l'octroi de mer et vice versa. Ces points existent dans le texte, qui n'est cependant pas appliqué. Il a même été question à l'époque d'un rescrit fiscal pour fixer la doctrine administrative que pratiquaient les douanes. Aujourd'hui et demain, ce sera la direction régionale des finances publiques (DRFIP). Nous devons être prêts. Un certain nombre d'éléments doivent en outre être revus au niveau européen.

J'espère ne fâcher ni Georges Patient, ni les autres participants, mais nous devons avoir le courage de penser le marché unique Guadeloupe-Martinique, avec également des rapports avec la Guyane, en harmonie et en comprenant les intérêts de chacun.

Nous avons un travail considérable à mener. Notre rapporteur général Jean-François Husson est je crois bien disposé, mais les questions qu'il a posées lors de notre réunion commune sont d'inspiration proche des positions du Gouvernement. En conséquence, nous devons nous préparer.

Refusons-nous d'autorité toute réforme ? Je pense que la réponse est négative. Sommes-nous prêts à émettre des propositions ? J'y travaille. Nous y travaillons tous. Sommes-nous tous d'accord pour maintenir le financement de la première section des budgets des communes, donc le fonctionnement ? Nous devons également aller plus loin que le FRDE, qui propose une faible subvention aux équipements, en finançant les investissements de la deuxième section des budgets (section d'investissement). Pouvons-nous, à l'instar de la Guyane, qui peut aller jusqu'à 5 % d'octroi de mer, laisser la même liberté aux autres territoires ? Cette disposition existe. Aucun territoire ne l'a utilisée. À l'époque, Bercy avait argué de l'impossibilité de flécher ces nouvelles recettes en faveur des investissements, le fléchage allant prétendument contre la loi organique relative aux finances publiques. C'est faux. Il faut donc que nous soyons d'accord pour autoriser les communes à équilibrer leurs budgets, mais, simultanément, également à financer leurs investissements. C'est possible compte tenu du caractère dynamique de l'octroi de mer.

Nous devons revoir les listes A, B et C. Nous devons revoir la nomenclature douanière, la nomenclature en huit ou en dix chiffres. En d'autres termes, nous avons un travail considérable à mener.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci, cher collègue. Je donne la parole à notre collègue Audrey Bélim.

Mme Audrey Bélim. - Merci, Madame le Président. Je serai brève car il existe de nombreux points de convergence avec les propos tenus précédemment. Cependant, je vous fais part de mon embarras quant aux disparités qui existent dans les territoires malgré cette unanimité, qui devrait se régler par un pilotage pourtant inexistant aujourd'hui. L'AMF et/ou l'ACCDOM seraient-ils en capacité de rassembler les élus locaux, de rassembler les parlementaires, afin de travailler sur une proposition commune ? Un pilote ou un référent nous permettrait en effet de parler d'une même voix.

M. Serge Hoareau. - Je souhaite rappeler que la décision concernant l'octroi de maire revient aux collectivités régionales et territoriales. Nous, les maires, bénéficions de l'octroi de mer. Nous ne fixons pas les taux. Nous n'exonérons pas tel ou tel produit. Il est difficile pour nous d'affirmer qu'il revient à l'AMF et/ou à l'ACCDOM de réunir l'ensemble des protagonistes. Je crois qu'il doit exister une volonté sur chacun de nos territoires, une concertation qui puisse s'opérer entre d'une part la collectivité qui décide de l'octroi de mer et des taux, et d'autre part les élus locaux que nous sommes. Selon moi, nous devons travailler sur nos territoires pour ensuite rassembler les travaux sur le plan national avec vous, pour vous associer également et pouvoir se concerter.

M. Héric André. - Nous avons réagi par rapport à une attaque du Gouvernement. Il n'a pas été facile, par exemple, de convaincre le monde économique de venir discuter avec nous. Une grande partie de la population avait en effet cédé à l'idée selon laquelle l'octroi de mer serait véritablement le facteur principal de la vie chère. Nous avons dû mener ce travail. Nous avons organisé des réunions sur le terrain avec les acteurs économiques. Nous devons à présent passer à l'étape suivante, celle d'unifier nos argumentations, pour que nous puissions effectivement peser. Nous abordons à présent une phase de rassemblement et d'explication. L'octroi de mer est en effet un mécanisme complexe. La population, surtout, ne comprend pas. Pour ma part, j'avais insisté, lors des ateliers que le Congrès des élus en Guadeloupe avait proposé de mettre en place, sur la nécessité de partager notre travail avec les administrés et la population.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie. Je donne la parole à notre collègue Annick Girardin.

Mme Annick Girardin. - Bonjour à tous. Merci d'être présents aujourd'hui pour cet échange avec nous. La question de l'octroi de mer n'est pas nouvelle. Elle correspond à vingt ans de débats à l'issue desquels, systématiquement, chacun « pose le stylo » et met un terme à toute possibilité de réforme. Nous devons cependant avoir l'honnêteté de reconnaître que les populations ont demandé d'aller plus loin. J'étais à La Réunion au moment du mouvement des « Gilets jaunes ». J'ai pu constater que l'ensemble des Réunionnais avaient émis une demande en ce sens, probablement en raison du manque de transparence du dispositif.

Certes, l'octroi de mer n'est évidemment pas la seule raison du coût de la vie dans les territoires ultramarins. Il s'agit cependant d'un facteur qui s'ajoute aux autres, tels que le coût du transport, le coût de l'assurance, etc. Il ne s'agit pas du seul élément à corriger. Il s'agit néanmoins d'un élément indéniable. Je crois que pour gagner tous ensemble, nous devons être honnêtes et d'accord entre nous sur le constat.

Le dispositif est en outre extrêmement compliqué. Il est par conséquent extrêmement difficile de l'expliquer à nos concitoyens qui pensent qu'il suffit aux collectivités de produire un effort. Les montants servent une dynamique sur les territoires. La question est de savoir si une tentative de changer de modèle a réellement été menée. En premier lieu, il est indispensable de protéger les productions locales. L'outil avait été créé initialement à cette fin. Le modèle doit protéger les productions locales. Deuxièmement, le modèle doit être simple. Dans le cas contraire, il continuera d'exister une ambiguïté auprès de nos concitoyens quant à une insuffisance de transparence et d'explications. Troisièmement, si le vecteur de l'octroi de mer n'existait pas, quel autre moyen permettrait des ressources suffisantes pour les collectivités, sachant que ce moyen devrait être une taxe ou un impôt juste et équitable. Actuellement, l'octroi de mer porte sur la consommation. Il porte sur tous les produits qui entrent dans les territoires. Il est donc partagé. Est-il juste et équitable ? il s'agit d'un vrai débat. Je crois, pour ma part, que le modèle juste et équitable reste à construire.

Je suis d'accord quant à la nécessité pour les régions, départements et mairies d'avoir recours à des fiscalistes capables de proposer un autre modèle ou, du moins, d'améliorer le modèle. Il sera difficile, en revanche, de poser le stylo encore une fois. Le sujet est allé trop loin. Les revendications ont été trop nombreuses.

La procédure est peut-être précipitée. Mais reconnaissons cependant que le sujet est bloqué depuis vingt ans. Pour ma part, je n'ai pas souhaité de réforme de l'octroi de mer parce que j'étais persuadée que finalement, nous reviendrions au point initial.

Je crois qu'il est possible aux territoires ultramarins de proposer eux-mêmes un modèle. Plusieurs d'entre vous l'ont indiqué précédemment. Je crois que nous devons absolument mettre en avant un autre modèle qui préserve l'autonomie des collectivités et qui permette de flécher les crédits, dans la dynamique souhaitée sur le territoire. Il peut effectivement exister des différences selon les territoires. Les besoins de fonctionnement sont par exemple différents d'une commune à une autre ou d'un territoire à un autre. Je crois qu'il est nécessaire de laisser cette liberté aux territoires ultramarins, synonyme de davantage de responsabilités de la part des élus. Je crois que les territoires ultramarins doivent proposer un autre modèle. L'autonomie des territoires, sur la fiscalité comme sur d'autres sujets, signifie prendre ses responsabilités.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci, chère collègue. L'un d'entre vous souhaite-t-il répondre ?

M. Serge Hoareau. - Je souhaite réaffirmer que si un autre modèle est proposé, ce modèle doit veiller à l'existence d'une fiscalité rattachée au territoire.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie. Nous l'avons constaté lors d'une précédente table ronde avec les exécutifs. Nous sommes tous d'accord quant au fait que l'octroi de mer est extrêmement important pour les territoires. Il s'agit d'une ressource fiscale qui laisse à chaque territoire une certaine autonomie d'action. Nous sommes également tous d'accord autour de cette table quant à la nécessité d'une réflexion associant les acteurs de chaque territoire, qui se trouvent au plus près de la population.

Vous avez votre rôle à jouer. Nous espérons pouvoir travailler ensemble pour présenter un modèle qui corresponde à chaque territoire et permette de développer chacun en fonction de ses caractéristiques et de ses contraintes.

M. Jean-Claude Maes. - L'ACCDOM va dans ce sens avec l'AMF en ayant recours à un cabinet d'experts capable de formuler des propositions concrètes. Nous souhaitons être force de proposition devant l'État, notamment pour que la réforme aboutisse à une fiscalité rattachée à nos territoires. Nous y tenons.

M. Serge Hoareau. - En revanche, le travail ne pourra pas avoir abouti au mois de juin prochain. Nous ne pouvons donc pas nous enfermer dans un calendrier qui annonce une présentation des éléments d'une réforme ou d'une refonte pour le PLF 2025. Une concertation doit être menée avec les élus, avec le monde économique et avec les représentants des populations.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie. Je vous propose à présent de passer au deuxième temps de notre réunion.

La délégation a effectué un déplacement dans l'océan Indien dans le cadre de deux études en cours, avec Philippe Bas et Victorin Lurel, rapporteurs de la mission sur l'adaptation des modes d'action de l'État dans les outre-mer, et Georges Patient, rapporteur de la mission sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer. Nous avons pu nous rendre à La Réunion, mais pas à Mayotte en raison du contexte difficile. Nous y prévoyons reprogrammons un déplacement ultérieurement.

Sur l'action de l'État dans les outre-mer, est apparue avant tout la nécessité d'un État fort et efficace sur le coeur régalien de ses missions. De premières idées ont été émises, notamment pour donner davantage de marges de manoeuvre et d'initiatives aux autorités locales de l'État. Beaucoup reste à faire en matière de coopération. Toutefois, nous nous réjouissons de la signature de la convention de partenariat entre le département de Mayotte et l'État, permettant de mieux intégrer le territoire de Mayotte dans son environnement régional.

En l'absence du président de l'association des maires de Mayotte, notre collègue sénateur de Mayotte, Thani Mohamed Soilihi et Mohamadi Madi Ousseni, maire de Chiconi, vont ouvrir la discussion afin de nous éclairer sur l'évolution de la situation sur place et sur les attentes des communes.

M. Mohamadi Madi Ousseni. - Effectivement, la situation de Mayotte reste très compliquée, depuis les récents événements qui se sont déroulés sur le territoire. Compte tenu des impératifs horaires qui s'imposent à Monsieur le sénateur Thani Mohamed Soilihi, je lui laisse le loisir de présenter la situation.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci, Monsieur le maire. Cher collègue, vous avez la parole.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Merci, Madame la Présidente de consacrer ce temps à la situation de Mayotte, malgré le fait que la mission que vous avez menée n'ait pu s'y rendre. Aujourd'hui, le calme revient progressivement. Les barrages ont été levés. La situation reste cependant semblable à un incendie mal éteint, où le feu continue de couver, parce que personne ne s'est encore attaqué aux racines du mal. Nous courons par conséquent toujours le risque de revenir à un cycle de blocage et de violence.

Je rappelle que cette situation a des répercussions également à La Réunion. Beaucoup de Mahoraises et de Mahorais se rendent en effet à La Réunion ou dans d'autres départements, parce que les minima sociaux y sont différents de ceux de Mayotte. Je pense que, dans les semaines ou dans les mois à venir, la problématique de la convergence des droits ne pourra plus être ajournée. Un Mahorais, comme tout Français vivant dans un département, veut avoir les minimums sociaux pour vivre. N'en bénéficiant pas aujourd'hui à Mayotte, les Mahoraises et les Mahorais se rendent à La Réunion.

Par ailleurs, certains jeunes arrêtés à Mayotte doivent être dirigés vers un centre éducatif fermé. Or il n'en existe pas à Mayotte. Ils sont donc envoyés à La Réunion. À l'issue de leur enfermement, ils se retrouvent dehors. Nous en avons vu les conséquences. Il faut avoir le courage de tenir ces propos de façon crue pour que des solutions soient trouvées.

Nous vivons aujourd'hui cette situation parce que, pendant deux décennies, dans ce département, la jeunesse a été délaissée. Les jeunes d'origine étrangère sont souvent pointés. Beaucoup des jeunes mis en cause sont cependant Français. Les solutions, inexistantes durant deux décennies, sont désormais impératives, avec, si possible, des rattrapages. C'est pourquoi nous parlons souvent, à Mayotte, de redressement. Dans le reste de la France, ces propos choquent, mais à Mayotte, pour rattraper l'éducation qui n'a pas pu être réalisée correctement durant ces 15-20 dernières années, il semble ne pas exister d'autre solution.

Un autre point me surprend. Les propositions émises portent sur l'avenir. Excusez-moi de parler ainsi, mais qu'est-il prévu pour le stock ? La suppression du droit du sol ne réglera pas le problème de ceux qui ont déjà acquis la nationalité française par le biais du droit du sol. Un nouveau préfet, M. François-Xavier Bieuville, a pris ses fonctions. Il est sur le terrain avec des méthodes nouvelles que les élus demandaient depuis plusieurs mois, voire depuis plusieurs années. Il apporte un changement de doctrine. Il s'agit d'occuper le terrain pour aller dénicher les délinquants, les criminels où ils se réfugient et où ils préparent leurs méfaits, expliquant en partie les raisons du retour à une situation quasiment normale. Malgré tout, les gens vont au travail la peur au ventre. Les jeunes montent dans les bus avec la peur de se faire caillasser. Un caillassage n'est pas anodin. Des jeunes risquent leur vie pour se rendre à l'école. Pour ma part, je souhaite que le préfet travaille avec les collectivités pour voir la situation mahoraise s'améliorer de façon pérenne. J'insiste sur la nécessité de s'occuper de la jeunesse.

Chaque année, en effet, au moins 5 000 jeunes sortent du cursus de formation ou du cursus scolaire sans diplôme. Des solutions existent. J'ai commencé à en parler, par exemple s'agissant des dispositifs de droit commun. Nous pourrions notamment intensifier l'action des missions locales. La mission locale à Mayotte ne possède pas les mêmes droits que les missions locales des autres départements, dans un territoire où 60 % de la population a moins de 20 ans.

La mise en place immédiate de certaines initiatives ne demanderait pas des efforts surhumains. Par exemple, Mayotte est le département qui possède le plus faible nombre d'infrastructures pour pratiquer un sport. Ne nous étonnons pas qu'un jeune qui n'a pas d'endroit pour pratiquer un sport soit enrôlé dans une bande et devienne un délinquant.

Madame la Présidente, j'ai résumé ma pensée en quelques minutes. Merci à toutes et tous de votre soutien.

Mme Micheline Jacques, président. - Merci, cher collègue. Nous sommes tous solidaires de Mayotte au sein des territoires ultramarins. Sachant qu'un projet de loi Mayotte devrait être présenté en Conseil des ministres à la fin du mois de mai 2024, j'y vois peut-être une opportunité de définir ensemble des initiatives que nous pourrions mener.

Je saisis également l'opportunité pour saluer le courage des maires qui sont encore en première ligne à Mayotte. Nous nous rendrons dès que possible à Mayotte pour rencontrer tous les acteurs du territoire et émettre des propositions.

Nous abordons enfin la dernière partie de notre ordre du jour. L'ambition de la délégation est de toujours mieux acclimater les politiques publiques aux intérêts propres et spécificités des outre-mer et de mieux associer les élus ultramarins aux travaux du Sénat. Pour soutenir ce processus, nous mettons en place deux nouveautés à partir de 2024. En premier lieu, la désignation d'un binôme de référents (hexagonal-ultramarin) dans chaque commission, chargé d'établir un lien et un relai entre nos structures. La seconde nouveauté concerne le dépôt et l'examen d'une proposition de loi annuelle relative à l'adaptation du droit des outre-mer. La proposition de loi (PPL) d'adaptation du droit outre-mer pourrait être bâtie autour de quelques thèmes. Nous avons demandé aux présidents des collectivités régionales, départementales ou territoriales de nous faire remonter leurs priorités d'ici fin mars 2024. Nous espérons aboutir à un dépôt et une présentation au prochain Congrès des maires. Nous comptons sur votre aide pour tenir ce calendrier.

Mesdames et Messieurs les élus, que pensez-vous de cette initiative ? Quels sont les thèmes qui vous paraissent à la fois transversaux et urgents à traiter ? Quelles précautions jugez-vous utiles de prévoir ? Le débat est ouvert. Qui souhaite prendre la parole ?

M. Serge Hoareau. - Le sujet est vaste. Même si le président du Sénat, a aujourd'hui la volonté de porter avec vous ce sujet d'adaptation pour nos territoires, je crois utile de revenir tout simplement au bon sens.

Lorsqu'ils viennent à débattre de lois nationales, aussi bien au sein du Sénat qu'à l'Assemblée nationale, nos parlementaires doivent avoir le « réflexe outre-mer ». Il est parfois oublié, du fait d'une trop grande propension à examiner la loi sous l'angle de la France hexagonale. Les parlementaires oublient que nos territoires sont des territoires singuliers, dont l'environnement au quotidien et les bassins de vie sont différents. Régulièrement, nous devons faire face à des lois inadaptées à nos territoires. Le premier élément nécessaire réside par conséquent dans le « réflexe outre-mer ».

Sur l'adaptation pour les outre-mer, on peut évoquer par exemple les lois d'aménagement. Nous avons eu la loi « Résilience climat » et la loi « zéro artificialisation nette » (ZAN). Ces sujets préoccupent le territoire hexagonal. Il nous préoccupe également. Je cite un exemple simple. La loi ELAN est une loi d'aménagement. Elle prévoit de modifier les schémas de cohérence territoriaux (SCOT). Elle oublie cependant que, dans nos territoires - Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion - il existe le schéma d'aménagement régional. Or rien n'est prévu en termes de modification ou de révision du schéma d'aménagement régional (SAR) pour y intégrer les éléments de la loi ELAN. Or le SAR est un document opposable qui se situe, dans la hiérarchie des normes, entre les lois nationales et le SCOT. Cet exemple simple démontre l'importance du « réflexe outre-mer ».

Autre exemple, le CIOM mentionne l'adaptabilité des normes dans le domaine de la construction. Aujourd'hui, nous nous nous inscrivons toujours dans des relations sud-nord, alors que, dans notre bassin de vie, nous pourrions parfois nous approvisionner en matériaux de construction qui ne respectent pas la norme CE. La norme CE nous oblige à continuer à acheter des produits très loin et très chers, alors qu'à proximité, nous disposons de matériaux de qualité reconnus à moindre coût, qui permettraient de réduire le coût de la construction, par exemple de logements sociaux, sur nos territoires.

Je souhaite évoquer également les normes imposées à nos agriculteurs. Les agriculteurs de France hexagonale se sont exprimés, il y a 15 jours, lors des derniers événements liés au Salon international de l'agriculture. Il en va de même dans nos territoires. Il est demandé à nos agriculteurs de respecter la norme européenne pour produire, tandis que nous importons sur nos territoires des produits en provenance de la zone ACP (Afrique, Caraïbe, Pacifique) ou des produits en provenance de Chine ou d'Inde qui ne respectent aucune norme, mais qui viennent concurrencer directement les productions locales. La profession agricole n'est pas encouragée. L'objectif de souveraineté alimentaire défini par le président de la République n'est pas encouragé. Nous faisons face à des injonctions contradictoires. Il est par conséquent essentiel, selon moi, de veiller à ce que les décisions qui nous viennent de l'Union européenne ou de France hexagonale soient en cohérence avec nos bassins de vie et nos territoires.

M. Didier Laguerre. - C'est aussi le cas de la pêche. Pour renouveler la flotte de pêche en Martinique, nous sommes contraints en matière de motorisation des bateaux, en totale contradiction avec le besoin du territoire. Il en va de même concernant la lutte contre le recul du trait de côte. Comment véritablement concilier, sur une île de 80 km sur 30, le zéro artificialisation nette des terres, le recul du trait de côte et le fait que 30 communes sur 34 qui ont leur centre-ville en front de mer. Il existe une réelle nécessité d'une analyse et d'une lecture outre-mer dans la volonté de légiférer avant de produire le texte.

La question de l'adaptation, de son côté, s'est posée dans le cas de la production d'eau potable sur le territoire de la Martinique. Trois communautés d'agglomération ont la charge de la production d'eau potable et de l'assainissement, tandis que l'essentiel de la ressource en eau se trouve sur une partie du territoire, à savoir le nord. La logique voudrait que nous disposions d'une autorité unique en charge de la production et de l'assainissement. Cette option est impossible à mettre en oeuvre, parce que la seule collectivité en capacité de demander une habilitation est la collectivité territoriale qui ne possède pas la compétence de production d'eau potable et d'assainissement.

Nous pouvons également parler de santé publique. Sur un territoire comme le nôtre, à 8 000 kilomètres de la France hexagonale, l'implication des collectivités territoriales en matière de santé publique est indispensable. Le maire que je suis organise des permanences de médecins et d'infirmiers dans les quartiers grâce à la politique de la ville. La population, en particulier, est vieillissante. Elle se déplace de plus en plus difficilement. Elle peine à avoir accès au système de santé. Or, selon les critères de détermination d'un désert médical, la ville de Fort-de-France ne fait pas partie des déserts médicaux. Pourtant, il faut six, huit, dix mois pour avoir un rendez-vous chez un ophtalmologiste. La plupart des domaines de la vie quotidienne nécessitent par conséquent, à des niveaux plus ou moins élevés, des adaptations.

Pendant que je vous parle, des émeutes ont lieu à Fort-de-France. Des véhicules sont incendiés. Des bus sont incendiés. Des commerces sont incendiés. Des tirs à balles réelles ont lieu sur les forces de l'ordre, en raison d'une problématique d'indivision dans une famille. Il s'agit d'un vaste sujet sur notre territoire. Le titre de propriété remonte à 1874 ; le décès du propriétaire remonte à 1902. Il avait douze enfants Se pose donc la problématique de la propriété foncière et de l'accès à cette propriété foncière pour les familles martiniquaises. Nous sommes également sur des problématiques d'adaptation du droit et, en réalité, de la mise en adéquation de ce droit avec la réalité de la vie du territoire. Les émeutes ont commencé dimanche. Je pense qu'elles prendront fin après la visite du ministre de l'Intérieur.

Tous les domaines de la vie quotidienne, à un niveau ou à un autre, appellent une adaptation des droits que parfois nous obtenons par des amendements, par des arrangements. Finalement, cependant, l'ensemble des territoires d'outre-mer ont réclamé une autre relation avec l'État et donc une autre étape de décentralisation.

Je peux également parler des transports. Il a fallu une vingtaine d'années, sur un territoire comme la Martinique, pour passer de 18 autorités organisatrices de transport à une seule. Aujourd'hui, nous disposons d'une autorité organisatrice de transport unique grâce au dispositif d'habilitation, sans cependant que cette situation nous permette de déterminer et de modifier les modalités de financement du transport. Finalement, il existe un besoin de financement de l'ordre de 250 millions d'euros et une recette de l'ordre de 80 millions d'euros.

Pour conclure, je souhaite insister sur le fait que l'ensemble des domaines dans lesquels nous intervenons nécessite, à un niveau ou à un autre, une adaptation.

M. Héric André. - La question est importante. Elle a nécessité la mise en place d'un atelier de réflexion. Nous avons été confrontés à un choix. La question est de savoir si nous devons dresser la liste des situations et des normes qui nous sont imposées et pour lesquelles nous sentons une impossibilité d'adaptation ou, au contraire, prévoir de mener une large réflexion permettant d'établir un cadre pour, non pas imposer des normes, mais tout simplement dresser la liste des situations, des réalités de vie, qui aboutirait à réfléchir aux normes à mettre en place. La très grande majorité des élus ont jugé impératif de se baser sur la réalité des vies pour les encadrer par des normes, et non pas recenser la liste des normes qui nous ont été imposées depuis des années et dont nous avons constaté qu'elles sont inapplicables.

Il a été question de l'urbanisme. De nombreuses entreprises naissantes déposent rapidement le bilan car elles ne parviennent pas à respecter les normes en matière de construction.

Il y a donc un consensus à rechercher chez les élus, pour que nous puissions mener un travail de réflexion afin de proposer des normes, et non plus avoir à adapter les normes qui nous sont imposées.

Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie. La délégation est consciente de ces difficultés. C'est la raison pour laquelle nous avons innové en proposant un binôme de référents, non-ultramarin et ultramarin, dans chaque commission permanente du Sénat, pour servir de relais entre la délégation et les textes qui sont étudiés dans les commissions. Nous avons lancé cette initiative au mois de novembre dernier.

Par ailleurs, pour que les territoires ultramarins se fassent mieux connaître, nous organiserons un événement le 9 avril prochain. J'ai demandé à chaque collègue de présenter pendant 15 minutes son territoire à tous les collègues sénateurs et aux administrateurs du Sénat, de manière à mesurer les distances, l'éloignement, un certain nombre de spécificités de chaque territoire. Nous sommes 21 sénateurs ultramarins dans une assemblée de 348 sénateurs. Nous avons pour mission d'intéresser nos collègues non ultramarins aux problématiques de notre territoire.

Je vais laisser la parole à Madame Sophie Charles.

Mme Sophie Charles. - Vous avez posé la question des thèmes qu'il serait intéressant de traiter. Je souhaiterais évoquer la question du recensement. Le recensement est réalisé selon les règles qui s'appliquent dans l'Hexagone, tous les 5 ans. Malheureusement, sur le territoire de la Guyane, cette situation nous met en difficulté, car le recensement ne retransmet absolument pas la réalité du terrain. Les habitants attribués à chaque commune sont loin d'être la réalité. Je donnerai l'exemple de Macouria cette année, qui perd 200 habitants, mais qui construit un groupe scolaire de 16 classes tous les 18 mois. Je pense qu'une adaptation du recensement est par conséquent à réaliser.

Il serait intéressant d'étudier deux autres sujets. Le premier d'entre eux est relatif au désenclavement. Nos territoires sont complètement enclavés, contrairement aux territoires hexagonaux qui possèdent les routes, autoroutes et trains qui sont nécessaires. Aujourd'hui, nous ne possédons pas ces moyens de désenclavement.

Sur le ZAN, je rejoins les propos précédents. Le ZAN est synonyme d'absence totale de construction sur le territoire de l'ouest-Guyane, par exemple, alors que nous savons que nous devons construire au moins 1 500 logements tous les ans pour résorber la demande qui existe, ce qui occasionne un habitat informel et spontané extrêmement significatif sur nos communes.

Enfin, le sujet de la continuité territoriale doit être abordé. Je rappelle que nos difficultés de transport sont extrêmement importantes, que ce soit pour les populations ou pour les collectivités.

M. Jean-Claude Maes. - Dans les Antilles, l'État nous indique comment aménager notre territoire. Il s'agit d'une aberration. La population des Antilles est vieillissante. Des jeunes voudraient venir, mais il n'est pas possible de construire sur le terrain des parents à cause de normes aberrantes. Nous avons besoin de lois adaptées à notre collectivité et à notre économie. Nos territoires sont capables de gérer ces sujets pour le bien-être des populations.

M. Didier Laguerre. - En Guyane et à Mayotte, le nombre de jeunes est très élevé. La Guadeloupe et la Martinique, au contraire, connaissent une décroissance démographique, avec un vieillissement accéléré de la population. Vous ne pouvez pas appliquer les mêmes textes sur des territoires avec des réalités aussi différentes. Elles sont différentes de surcroît des réalités de la France hexagonale.

Mme Micheline Jacques, président. - La proposition de loi d'adaptation du droit démontre le fait que le Sénat commence à intégrer les problématiques de différenciation territoriale, qui ont été le « cheval de bataille » de la délégation pendant de nombreuses années.

M. Serge Hoareau. - Est-ce que je peux me permettre de vous poser une question, sans réouvrir le sujet de l'octroi de mer ? Est-ce que vous pensez qu'il y aura une mission sénatoriale sur l'octroi de mer pour nous aider ? Vous pourriez en effet peut-être obtenir des éléments que nous ne pouvons pas obtenir, des douanes par exemple.

Mme Micheline Jacques, président. - Lors du Congrès des maires, le président Gérard Larcher a annoncé publiquement qu'il chargeait la commission des finances du Sénat de se pencher sur la problématique de l'octroi de mer. Nous avons déjà réalisé une audition commune. Vous avez pu constater que Victorin Lurel est déjà très actif sur le sujet.

Je reste en contact régulier avec le président Claude Raynal pour connaître la direction que prendront les travaux de la commission des finances.

M. Serge Hoareau. - Ce serait pour nous une chance de vous avoir à nos côtés pour peut-être obtenir les chiffres des douanes, par exemple. Je pense que ce serait très utile que vous puissiez intercéder en notre faveur.

La volonté semble être de faire passer cette réforme dans le cadre d'un projet de loi de finances. Une loi spécifique ne serait-elle pas mieux adaptée ? Je pose la question ; je n'ai pas la réponse.

Mme Viviane Malet. - Je vais dans votre sens. Une mission sénatoriale serait un soutien pour vous.

Mme Micheline Jacques, président. - Nous partageons l'idée que la loi de finances n'est pas le bon véhicule législatif.

Je vous remercie pour ce moment d'échange. C'est un plaisir toujours renouvelé. Vous savez que vous pouvez toujours compter sur la délégation sénatoriale aux outre-mer pour vous appuyer dans vos démarches. Nous sommes à votre écoute.

La séance est levée à 20 heures.

Jeudi 14 mars 2024

- Présidence de Mme Micheline Jacques -

Étude sur l'adaptation des moyens d'action de l'État dans les outre-mer - Audition de Christian Nussbaum, chef de la mission outre-mer de la Direction générale de la police nationale (DGPN)

Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, dans le cadre de la préparation de notre rapport sur l'adaptation des modes d'action de l'État dans les outre-mer, nous auditionnons ce matin le contrôleur général Christian Nussbaum, chef de la mission outre-mer à la direction générale de la police nationale (DGPN), et Cécile Personeni, commandante adjointe à la mission outre-mer. Nous vous remercions de participer ce matin à cette audition.

Monsieur Christian Nussbaum, vous avez été nommé en 2020 auprès du directeur général de la police nationale pour suivre les questions outre-mer, ce qui vous donne le recul nécessaire pour juger des forces et faiblesses de l'action de l'État outre-mer dans votre domaine.

Votre nomination a coïncidé avec la création des directions territoriales de la police nationale outre-mer. En 2022, la création d'une mission outre-mer proprement dite auprès du DGPN a été formalisée.

Vous pourrez en dresser le bilan, ainsi qu'établir des points de comparaison avec l'organisation du commandement de la gendarmerie nationale outre-mer. Nous avons, en effet, auditionné, en janvier dernier, le général Lionel Lavergne. Ce dernier a vanté l'existence d'une équipe France dans les outre-mer sur le sujet régalien de la sécurité. Vous nous direz si vous partagez ce point de vue et comment aller plus loin le cas échéant.

La délégation aux outre-mer revient d'un déplacement à La Réunion où nos deux rapporteurs, Philippe Bas et Victorin Lurel, ont pu rencontrer la quasi-totalité des acteurs de la sécurité et de la justice sur l'île. Je les laisserai vous interroger après votre exposé liminaire, puis nos autres collègues interviendront s'ils le souhaitent.

Notre sentiment général a été que sur ce territoire ultramarin, le besoin d'adaptation des règles et des normes n'était pas significatif dans le cadre de vos missions de police, même si des ajustements sont toujours possibles. Vous nous direz si, sur d'autres territoires, votre constat est différent.

Nous n'ignorons pas évidemment les immenses défis à relever, comme en Guyane ou à Mayotte.

Monsieur Christian Nussbaum, vous avez la parole.

M. Christian Nussbaum, chef de la mission outre-mer de la Direction générale de la police nationale (DGPN). - Je vous remercie pour cette invitation, qui me permettra de vous expliquer le dispositif de la police nationale en outre-mer. Ce dispositif a été profondément modifié depuis 2020 puisqu'une mission outre-mer a été créée au sein de la direction générale de la police nationale. Je suis l'heureux premier titulaire à ce poste. Je me suis attelé à constituer une équipe, installée place Beauvau, qui pilote les territoires ultramarins au travers des 7 directions territoriales de la police nationale. Trois de ces directions (Guyane, Nouvelle-Calédonie et Mayotte) avaient été créées au 1er janvier 2020. À l'issue d'un bilan, le directeur général a proposé au ministre l'extension du dispositif à l'ensemble des territoires ultramarins sur lesquels la police avait un dispositif. Les directions territoriales de la police nationale (DTPN) de Guadeloupe, Martinique, La Réunion et Polynésie française ont été créées au 1er janvier 2022, si bien que l'ensemble du dispositif ultramarin est maintenant en place.

Ce projet n'a pas du tout été expérimental. Il n'avait pas vocation à être lié au projet qui s'est mis en place en métropole au 1er janvier 2024. Le sort de l'organisation ultramarine n'a jamais été lié à la mise en place ou non de la réforme en métropole. Il était important que nous le fassions savoir aux collègues ultramarins. Quoiqu'il advienne, l'organisation mise en place outre-mer avait vocation à perdurer.

Le dispositif de la police nationale en outre-mer comprend 6 500 fonctionnaires, soit un peu plus que la gendarmerie. Ce faisant, nous couvrons 1 % des outre-mer et 30 % de la population. Nous traitons 50 % de la délinquance sur les items « homicides volontaires », « tentatives d'homicides volontaires » et « vols avec violence ». Ce dispositif est donc important. La direction générale a toujours eu la volonté de consolider son dispositif ultramarin. Cela s'est concrétisé par des augmentations de moyens et d'effectifs. L'ensemble des territoires ultramarins ont 30 % d'effectifs en plus par rapport à 2016. À Mayotte et en Guyane, l'augmentation est de 50 %, ce qui est énorme dans le contexte actuel. Des efforts importants devaient être faits. Ils l'ont été. Cela concerne aussi la nouvelle organisation, qui donne entière satisfaction.

Les principaux objectifs de la réforme sont atteints. Il existe dorénavant un véritable chef de police sur chaque territoire ultramarin. Ce chef de police est l'unique interlocuteur des partenaires. L'ensemble des forces de police sont rassemblées sous une même autorité, ce qui permet au directeur territorial d'adapter son dispositif comme il l'entend.

Cette gouvernance locale complètement modifiée n'est pas pour autant devenue indépendante. La mission outre-mer doit veiller à ce que le dispositif soit bien utilisé dans chaque territoire, dans l'intérêt général. Cela donne beaucoup de facilité et de souplesse aux DTPN dans les gestions des ressources humaines et des budgets.

Nous avons obtenu des résultats. Ainsi, la police judiciaire, et notamment sa direction nationale, est désormais impliquée sur l'ensemble des territoires ultramarins. Avant la réforme, des unités de l'ancienne direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) n'étaient présentes qu'en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe. À présent, il existe aussi un service de police judiciaire à La Réunion, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte. La direction nationale de la police judiciaire s'occupe de l'intégralité des territoires ultramarins.

La délinquance outre-mer est un vrai sujet pour la police nationale. La criminalité est beaucoup plus élevée dans la plupart des territoires ultramarins que dans l'Hexagone, notamment sur les items « homicides volontaires », « tentatives d'homicides volontaires » et « vols avec violence ».

Le dispositif a été complètement réorganisé, il donne entière satisfaction mais nous pouvons encore trouver des voies d'amélioration. Voilà pourquoi il est très important de recueillir vos remarques. L'adaptation du dispositif passe par la discussion avec les élus et les personnes de terrain, de manière à améliorer la situation et notre prestation, dont le seul objectif consiste à mieux protéger la population.

Parmi ces pistes d'amélioration, je pense que nous devons mettre en oeuvre des solutions innovantes de coopération et de collaboration avec la gendarmerie. Je ne suis pas certain, eu égard à la configuration de la plupart des territoires ultramarins, que ce soit toujours la patrouille de police ou de gendarmerie la plus proche du lieu de l'appel qui intervient. Nous avons déjà évoqué des pistes avec nos collègues gendarmes. Nous ne cessons de réfléchir aux pistes d'amélioration à mettre en place.

Je pense avoir répondu à quelques-unes des questions que vous m'aviez transmises en amont. Je suis à l'écoute de vos autres questions. Je me ferai un plaisir d'y répondre.

Mme Micheline Jacques, président. - La parole est à notre rapporteur.

M.  Philippe Bas, rapporteur. - Nous essayons de mesurer les adaptations utiles à nos outre-mer dans les modes d'action de l'État. Nous avons choisi comme point concret d'observation les missions régaliennes de l'État : police, gendarmerie, justice, système pénitentiaire, voire contrôle des frontières. Nous en sommes au commencement de ce travail, que nous avons entrepris avec quelques intuitions fortes qui viennent de l'expérience de nos collègues ultramarins, et qui montrent une grande diversité de situations.

Certaines collectivités sont particulièrement exposées à des flux migratoires qui sont sources d'insécurité. C'est notamment le cas de Mayotte et de la Guyane, mais nous avons aussi pu constater l'émergence d'une pression croissante dans des territoires réputés calmes.

J'imagine que vous disposez de chiffres qui viennent corroborer la préoccupation que nous avons concernant la sécurité, l'ordre public, les violences urbaines et les violences intrafamiliales. La délinquance est parfois ultraviolente, notamment à Cayenne et à Saint-Laurent du Maroni. Elle est liée notamment à l'immigration haïtienne et surinamienne.

Une réflexion a-t-elle été engagée, ou le sera-t-elle, sur les limites auxquelles nous nous heurtons du fait de l'application sans distinction des mêmes règles, en matière de police judiciaire et d'interpellation, outre-mer et en métropole ? Si cette réflexion a lieu, vous pourrez nous éclairer afin que nous puissions faire des propositions adéquates pour améliorer votre efficacité.

M. Christian Nussbaum. - Une étude est en cours à Mayotte sur les dispositions qui pourraient être proposées. Il existe une urgence à traiter ce territoire. Plus généralement, il y a des bonnes choses réalisées dans les outre-mer qui mériteraient d'être étendues. Ainsi, il serait intéressant qu'une étude soit menée sur l'impact qu'ont eu, en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie, les restrictions sur la vente d'alcool. Outre-mer, les faits de violence aux personnes sont souvent commis sur fond de consommation excessive de produits stupéfiants et d'alcool. Nous essaierons de lancer une étude sur le sujet en vue de formuler des propositions pour d'autres territoires.

Il ne faut pas tomber dans des régimes trop différents concernant les pouvoirs régaliens de l'État. Il faut rester proche d'un fonctionnement équitable pour tout le monde, même si dans les faits, des fonctionnements sont déjà différents. Le dispositif peut être adapté. Je pense notamment aux interpellations de mules en Guyane. Il existe des différences de traitement qui ne sont pas le fait de la police, mais qui existent de par le fonctionnement de la justice et de la police.

D'autres éléments pourraient améliorer le dispositif. La porte a été ouverte avec la décision du ministère de l'Intérieur d'envoyer des compagnies républicaines de sécurité (CRS) lors de l'opération Wuambushu conduite à Mayotte en 2023. Aucun CRS n'était plus allé outre-mer depuis des dizaines d'années. La porte est ouverte. J'espère qu'elle pourra de nouveau être utilisée.

Outre-mer, il n'y a que des gendarmes mobiles. Ils sont normalement à la disposition du territoire, mais ce n'est pas toujours simple. Il est parfois difficile d'obtenir le concours des forces mobiles de gendarmerie qui sont déployées sur les territoires. Nous y arrivons, mais nous aimerions avoir de la souplesse sur l'envoi de forces lorsqu'elles sont disponibles et lorsque c'est nécessaire. Cela nous permettrait de sécuriser les territoires en cas de violences urbaines importantes.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Merci pour vos explications. J'en profite pour louer le travail qui est accompli sur le terrain. Ce n'est pas facile. Il y a beaucoup d'insatisfaction de la part des citoyens, mais nous savons que les hommes et les femmes à vos côtés sont extrêmement engagés.

Vous dîtes que l'objectif de la réorganisation de la DGPN a été atteint. Effectivement, c'est plutôt une satisfaction sur le plan organisationnel. Néanmoins, l'insécurité ne cesse de croître dans certains territoires.

Je sais que vous revenez de Mayotte. Vous connaissez parfaitement la situation de ce territoire. Nous sentons actuellement une amélioration. Nous avions préconisé un changement de doctrine, notamment en allant chercher les voyous dans leurs repères. C'est ce qui semble se produire sur le terrain. Comment faire pour que cette amélioration continue et qu'elle soit pérenne ? L'exaspération de la population provient aussi du fait que la violence reprend crescendo après chaque moment d'amélioration. Ces moments de reprise sont d'une extrême violence. Que faire pour que le calme revienne de façon durable à Mayotte ?

Il a été question, tout en respectant les règles d'équilibre de notre démocratie, de faire venir davantage d'originaires mahorais en renfort de vos hommes. Les originaires connaissent le terrain, les langues et les recoins. Où en sommes-nous de cette demande particulière ? J'ai cru comprendre qu'une campagne de recrutement supplémentaire a été lancée.

Votre travail engagé et formidable serait vain si le traitement judiciaire n'était pas à la hauteur. Des mineurs qui commettent des délits et des crimes à Mayotte sont envoyés, faute de structure sur place pour les encadrer, en centres éducatifs fermés à La Réunion. Ils sont relâchés dans la nature à l'issue de leur enfermement, si bien que nous assistons aujourd'hui à une recrudescence de la violence à La Réunion.

Même si d'aucuns pourraient être choqués, le lien entre immigration et insécurité n'est plus discuté dans nos territoires. Beaucoup d'auteurs d'infractions sont arrêtés et jugés, mais les conditions dans lesquelles ils sont incarcérés n'atteignent pas toute leur dimension punitive. Ces personnes proviennent d'endroits où la misère et la promiscuité sont telles que faire de la prison en Mayotte ou à Guyane peut poser souci. Qu'est-ce qui pourrait être fait, notamment en matière de coopération judiciaire, pour que les pays dont ces personnes sont originaires reprennent leurs ressortissants, alors que nos prisons sont pleines ?

M. Saïd Omar Oili. - Je m'associe complètement à ce qui vient d'être dit.

Tous les indicateurs de la délinquance sont en hausse dans l'archipel de Mayotte en 2023. En nombre d'homicides, nous sommes en 4e position derrière la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe. Les coups et blessures volontaires sur les personnes sont en progression de 12 % par rapport à 2022. Les vols d'accessoires sur les véhicules sont en hausse de 20 %. Je pourrais continuer comme cela longtemps.

La délinquance à Mayotte est spécifique, et pas uniquement au niveau de son intensité. Cela renvoie à l'adaptabilité dont doit faire preuve la police. Cette délinquance se développe dans un environnement géographique très différent de la métropole. Nos zones urbaines sont très différentes. Les délinquants connaissent parfaitement bien les petits chemins escarpés. Les parties urbaines mahoraises sont entourées de zones avec de la végétation souvent très dense et des pentes qui permettent aux délinquants de disparaître très rapidement. Nous l'avons vu avec l'opération Wuambushu.

Nos délinquants sont principalement des jeunes, voire des très jeunes de 12 à 15 ans. Le chef de bande peut avoir 19 ans. Ces jeunes agissent en bande. Le plus souvent, ils n'ont pas de référent adulte. Ils courent très vite, dans un environnement de brousse qu'ils connaissent parfaitement. Les policiers mahorais connaissent très bien ces endroits. Pensez donc à faire venir des jeunes mahorais qui connaissent les lieux en cas d'opération Wuambushu 2.

L'opération Wuambushu avait pour objectif de lutter contre cette forte et spécifique délinquance à Mayotte. D'ici quelques semaines, une opération Wuambushu 2 est programmée. Quels enseignements avez-vous tirés de la première opération ? Quel bilan en faites-vous ? Les élus n'avaient pas été informés de cette opération en amont. À présent qu'elle est passée, nous n'avons pas eu de retour. Je ne doute pas que la direction de la police nationale a effectué une évaluation de la première opération. À Mamoudzou, vos fonctionnaires se trouvent au centre du foyer le plus intense de la délinquance. Je voudrais saluer et remercier ces policiers, qui sont sur le pont tous les jours dans des conditions difficiles avec des moyens réduits. Quels enseignements tirez-vous de Wuambushu 1 ? Quelles propositions comptez-vous faire dans le cadre de Wuambushu 2 ?

M. Christian Nussbaum. - Je ne peux pas me permettre de juger des suites judiciaires qui sont données aux interpellations. Ce n'est pas mon rôle. Vous constatez comme moi que certaines améliorations ont été apportées. Nous devons faire perdurer ce petit signe positif. Cela suppose des décisions fortes. L'emploi du RAID est très efficace, à tel point que son antenne a été pérennisé à Mayotte. Son règlement d'emploi a aussi été assoupli. À ce propos, je souligne la compréhension et la bienveillance du chef du RAID, qui a accepté cette adaptation. Normalement, le RAID doit être appelé lorsque des collègues ou des citoyens sont en difficulté. Avec l'accord de son chef, nous prépositionnons le RAID en cas d'opération, si bien qu'il peut intervenir plus rapidement. Cela concourt à améliorer notre efficacité. Il faut vraiment que nous impactions les malfaiteurs.

Par ailleurs, nous avons décidé de la création à Mayotte d'une force intermédiaire. Entre le RAID et les collègues de la BAC, du GSP ou de la police secours, l'espace est trop grand. Lorsque les collègues de la BAC ou du GSP interviennent pour libérer un barrage, ils ne peuvent pas partir derrière les malfaiteurs, sinon la route n'est plus sécurisée et de nouveaux barrages sont érigés. Cette force intermédiaire doit permettre de maintenir le dispositif de police sur le barrage et de partir derrière les malfaiteurs. Le recrutement est en cours. Un appel ponctuel à candidature a été lancé au niveau national. 50 fonctionnaires seront recrutés. Ils seront équipés d'unités canines. Ces personnes seront sur place d'ici le 1e mai. Elles seront équipées et formées pour aller chercher les délinquants. Les malfaiteurs ne comprennent pas s'ils ne se font pas arrêter. Cette force nous permettra donc d'être plus offensif.

Les policiers d'origine mahoraise sont nécessaires. Nous en employons déjà beaucoup. À Mayotte, le taux d'originaires est supérieur à 50 %. L'appel à candidature a été lancé avec des conditions statutaires abaissées quant au temps de présence dans l'Hexagone. Nous pourrons donc recruter beaucoup de jeunes mahorais. L'objectif de cette unité spécialisée sera de procéder à des interpellations et de présenter les personnes interpelées à la justice. La DNPJ s'implique totalement dans le dispositif judiciaire. Un groupe d'une dizaine de fonctionnaires entièrement dédiés à la lutte contre les phénomènes de bandes est en cours de création au sein de la division d'investigation spécialisée. Nous essaierons d'augmenter nos capacités de renseignement.

Il y a donc des avancées en matière judiciaire. Dans le cadre de Wuambushu 1, rien n'a mieux fonctionné que l'interpellation des chefs de bande. Nous essayons de réitérer ce qui a été fait. L'opération Wuambushu 2 est en cours de préparation. Nous chercherons à être beaucoup plus efficaces, même si l'opération sera peut-être moins importante en termes de personnel. Nous aurons tiré les enseignements de la première opération. Nous bénéficierons de renforts temporaires pour le temps de l'opération. Il s'agira notamment d'enquêteurs spécialisés dans la lutte contre les réseaux d'immigration depuis la Tanzanie. Nous ferons aussi venir des enquêteurs judiciaires pour interpeler des chefs de bande. Nous préparons les dossiers qui nous permettront de cibler ces malfaiteurs et de les présenter à la justice. L'un des objectifs de Wuambushu 2 sera d'être encore plus performant sur le volet judiciaire.

Mme Audrey Bélim. - Je salue le courage et la sincérité des propos de mes collègues de Mayotte. À La Réunion, l'inquiétude grandit. J'ai pu constater, lors de mes échanges avec la préfecture et d'autres responsables de la sécurité, notamment des syndicats de police, une demande grandissante de renforts afin de lutter contre des phénomènes que nous n'avions jamais connus jusqu'alors, et qui viennent fragiliser la fraternité que nous avons avec Mayotte. Sans prise en charge sérieuse et sans véritables réponses pour pallier aux inquiétudes des Réunionnais, le « vivre ensemble » risque d'être fragilisé. Une réflexion a-t-elle été engagée sur l'apport de renforts supplémentaires pour faire face à ce qu'il se passe exceptionnellement sur le territoire ?

Par ailleurs, nous avons une problématique lourde autour des violences intrafamiliales. Nos services de police et de gendarmerie sont formés. Les choses sont faites très correctement. Néanmoins, la question de la judiciarisation se pose. Lorsqu'une personne est interpelée et mise en garde à vue une fois, deux fois, et que son procès n'est prévu qu'en fin d'année... comment pouvons-nous aider à faciliter la judiciarisation ?

Enfin, nous recevons beaucoup de demandes de mutation de policiers. La loi Égalité réelle a posé les critères d'intérêts matériels et moraux. En est-il systématiquement tenu compte dans les demandes de mutation ? Nous avons des situations de grande souffrance qui affectent des carrières professionnelles, en lien avec ce besoin de retour.

M. Christian Nussbaum. - Je vais vous tenir un discours de vérité. La mission outre-mer a vocation à assurer la gouvernance de l'ensemble des territoires ultramarins. J'assure cette gouvernance dans l'intérêt général du dispositif.

Nous avons beaucoup de jeunes réunionnais qui entrent dans la police nationale, qui passent le concours et qui, ensuite, se retrouvent bloqués en métropole sans pouvoir rentrer. Dès lors que les effectifs ont atteint le plafond fixé par le ministre sur un territoire, il est compliqué d'aller au-delà.

Si La Réunion est plus calme que d'autres territoires ultramarins, c'est peut-être parce qu'il y a beaucoup de policiers. Il faut maintenir le nombre de policiers qui sont en poste à La Réunion. C'est ce que nous essayons de faire, avec les limites que vous devez comprendre et les priorités qui sont les nôtres. Par comparaison, nous avons du mal à recruter à Mayotte et en Guyane, où les faits de violence et de délinquance sont beaucoup plus nombreux qu'à La Réunion. Il y aura toujours des mutations qui interviendront. Il est aussi important que des locaux s'investissent sur des postes d'encadrement. À La Réunion, nous devons encourager les jeunes policiers à passer les concours internes pour évoluer, ce qui leur permettra ensuite de venir en métropole sans forcément avoir envie de repartir car ils auront une carrière à faire.

Je connais une technicienne police technique et scientifique (PTS) de La Réunion qui a réussi le concours d'ingénieur. Elle sera immédiatement affectée à La Réunion à sa sortie d'école. Nous pouvons faire des efforts ponctuels de ce type.

Les effectifs de terrain gèrent la situation. Mon collègue de La Réunion le confirme. Les policiers réunionnais sont très motivés. Nous ne sommes pas en difficulté. Il faut que cela dure, tout en veillant à contenir les phénomènes de violences urbaines impliquant des jeunes originaires de Mayotte. Vis-à-vis de ces jeunes de Mayotte qui sont à La Réunion, il faut que nous soyons très présents et que nous procédions à des interpellations rapides. Nous avons le dispositif. Les personnels sur place sont performants. Ils ont procédé à 7 ou 8 interpellations lors des violences urbaines qui ont eu lieu en début de semaine. Nous ne sommes pas désarmés ou en difficulté. Nous y veillons.

Mme Céline Personeni, commandante fonctionnelle. - Les centres d'intérêt matériels et moraux ont été pris en compte. La réforme de la circulaire mutation pour le corps d'encadrement et d'application (CEA) les a placés en priorité légale d'affectation. Chaque fonctionnaire qui peut se prévaloir d'un centre des intérêts matériels et moraux (CIMM) le fait reconnaître dès son entrée dans l'administration. Il bénéficie ensuite de 25 points par mois au cours des mouvements que nous réalisons chaque année, contrairement à une personne de l'Hexagone qui souhaiterait partir dans les îles. Le capital points des « cimmiens » augmente donc très vite, si bien qu'ils sont prioritaires d'autorité pour repartir dans leur île. Ce système fait néanmoins que nous avons « embolisé » les postes que nous pouvions fournir. Chaque année, il y a de moins en moins de postes prévus pour La Réunion. C'est le revers de la médaille. C'est à peu près la même chose dans tous les territoires.

M.  Philippe Bas, rapporteur. - Nous revenons de La Réunion. Certains d'entre nous connaissaient peu, ou pas du tout, ce département. De prime abord, nous avons eu l'impression d'un département quasiment métropolitain, mais lorsque nous nous plongeons dans les réalités de La Réunion, nous constatons que ce n'est pas exactement le cas. Cette image d'un très bon niveau de développement et d'un mode de vie qui se rapproche de celui de nos départements métropolitains méditerranéens empêche parfois de prendre en compte des réalités locales qui ne sont pas si rassurantes que cela. Ainsi, le phénomène des violences familiales est largement lié à l'alcoolisme, qui se répand chez les femmes comme chez les hommes. Le phénomène des violences urbaines semble s'aggraver du fait de l'arrivée de mineurs mahorais que leurs familles envoient à La Réunion pour les mettre à l'abri de la situation à Mayotte, et qui sont livrés à eux-mêmes. Ce n'est pas un mouvement politisé ou théorisé. C'est juste l'envie d'exister en défiant l'autorité. L'autorité est complètement défaillante dans les familles qui recueillent ces jeunes. Ces familles n'ont pas la capacité de s'en occuper.

J'ai l'impression que La Réunion n'est pas considérée comme prioritaire du point de vue de la sécurité. Dans l'évaluation des besoins en effectifs de La Réunion, il n'est pas tenu compte de la nécessité de donner un coup d'arrêt à un phénomène de violences urbaines qui s'amplifie. Si vous rapportez le nombre de policiers à la population de Saint-Denis de La Réunion, vous considérez que tout va bien. Si vous regardez les délais d'intervention, vous constatez que l'étendue du territoire à contrôler est considérable. Il faut donc que des patrouilles soient constamment de sortie pour que l'une d'entre elles puisse se porter sur les lieux d'un incident le plus rapidement possible. Si vous ajoutez à cela les procédures administratives que les patrouilles doivent parfois remplir, vous constatez que la disponibilité pour intervenir en urgence est relativement réduite.

Je ne veux pas dramatiser. Je n'ai pas les moyens de comparer La Réunion avec toutes les collectivités d'outre-mer. Néanmoins, je suis revenu de La Réunion avec une intuition, à vérifier, qui est qu'à force de considérer que tout va bien, on finira par laisser se dégrader la situation. Il ne faudrait pas que s'installe l'idée que tout va bien à La Réunion et que nous ne devons pas nous préparer à l'aggravation du risque de sécurité.

M. Christian Nussbaum. - Je vous rejoins concernant les débuts de violences urbaines impliquant des jeunes mahorais et les violences intrafamiliales. Il y aura quelques renforts d'effectifs. Il faudra qu'ils soient ciblés, notamment en fonctionnaires spécialisés dans le traitement des violences intrafamiliales. Ces renforts ne sont pas très importants en nombre d'ETP.

Je comprends ce que vous dites concernant les violences urbaines. Néanmoins, on peut considérer que les effectifs actuels de la DTPN sont en mesure de faire face. Nous ne sommes pas en difficulté. Ce n'est pas pour autant qu'il faut penser que tout va bien et que rien ne peut arriver. Il faut donc à tout prix maintenir le bon niveau d'effectif que nous avons à La Réunion et veiller à ce qu'il ne baisse pas. Si La Réunion est un territoire à peu près contrôlable, c'est peut-être parce que les forces de sécurité y sont en nombre suffisant. Nous devons donc avoir pour objectif de maintenir ce niveau d'effectif, en espérant qu'il n'y ait pas de nouveaux problèmes. J'ai fait le point avec le directeur territorial sur les violences urbaines qui commencent à s'y dérouler : nous arrivons à contrôler la situation.

M. Jean-Gérard Paumier. - Vous avez dit que les taux de criminalité étaient plus élevés dans les outre-mer qu'en métropole. Quelles en sont les raisons ?

Le dispositif de sécurité vous paraît-il suffisamment agile et efficace pour faire face à une délinquance de plus en plus jeune ? Les rapprochements police-gendarmerie sont une chose, mais nous savons bien que les mots cachent parfois des réalités différentes.

Les ratios d'affectation des forces de sécurité tiennent-ils suffisamment compte de la spécificité des territoires ?

Enfin, il est important d'avoir des représentants locaux qui connaissent bien les territoires. À Saint-Pierre-des-Corps en Indre-et-Loire, j'ai pu constater que le renforcement de la médiation et de la prévention avait contribué à faire baisser la tension et à aider singulièrement les forces de l'ordre.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Il a été question du lien entre immigration, violence et délinquance dans certains territoires. Hélas, c'est un peu partout comme cela, y compris dans l'Hexagone.

En revanche, il a très peu été question du narcotrafic, qui est un vrai sujet, en particulier dans les Caraïbes. J'ai le sentiment que la consommation de drogues de synthèse peu chères est un vrai sujet dans certains territoires des Caraïbes. Disposez-vous de statistiques ? Le crack fait des ravages en métropole et à Paris. En est-il de même aux Antilles ? Comment gérez-vous le narcotrafic qui vient d'Amérique du sud ? Les mules qui arrivent de Guyane sont un vrai sujet. Des opérations « place nette » sont parfois menées dans l'Hexagone. Existent-elles également dans les territoires ultramarins ?

Enfin, avez-vous pour politique d'appliquer l'amende forfaitaire délictuelle pour les consommateurs des autres drogues ?

Mme Lana Tetuanui. - Je souscris à tout ce qu'ont dit mes collègues de Mayotte et de La Réunion.

Dans nos collectivités ultramarines, les services de l'État pourraient être plus efficaces s'ils travaillaient en commun. Prenons l'exemple de la restriction de vente d'alcool réfrigéré sur l'ensemble du territoire de la Polynésie française. Cette décision a avant tout été prise par les maires. La collectivité a ensuite pris un arrêté. L'objectif était d'éviter les attroupements de jeunes, surtout en fin de semaine, devant les épiceries. C'est une très bonne chose, et un très bon exemple de travail en commun entre les forces de l'ordre et les élus locaux.

Les ressources humaines sont mon cheval de bataille depuis mon arrivée au Sénat en 2015. Il y a une certaine hypocrisie dans les services de l'État. Nous avons voté des textes. Nous réclamons que des élus des collectivités concernées participent aux commissions d'attribution des CIMM. Les décisions sont prises à Paris. La priorité doit aller aux natifs des collectivités.

L'attrait de nos territoires est aussi une affaire pécuniaire. De nombreux avantages sont octroyés aux expatriés qui se rendent sur nos territoires. Cela n'existe pas en sens inverse pour les habitants de nos territoires qui se rendent dans l'Hexagone. D'une certaine manière, il existe une petite « mafia » dans les services déconcentrés de l'État.

Je suis fière de ce qu'il se passe en Polynésie. Il ne faut pas oublier nos policiers municipaux, qui travaillent beaucoup, au plus près des habitants. La Polynésie française, c'est l'Europe. La police nationale est principalement installée dans la grande agglomération qu'est Papeete. Dans l'ensemble des îles, c'est plutôt la gendarmerie qui est présente. Les violences urbaines ont surtout lieu en centre-ville en fin de semaine. Nos hommes en uniforme sont actifs. La Polynésie est pénalisée par sa proximité géographique avec les États-Unis. La drogue dure qui s'appelle « ice » tue la jeunesse polynésienne à « petit feu ». Les services judiciaires doivent lancer une étude sur la dangerosité de cette drogue et le nombre de jeunes qui ont succombé à ce fléau.

Enfin, j'aimerais faire une proposition. Je ne porte pas de jugement, mais je fais un constat : lorsqu'un élu passe au tribunal, la presse polynésienne tourne en boucle sur le sujet. En revanche, lorsqu'il est question de mules ou de Polynésiens qui ont été interpelés à leur descente d'avion avec de l'« ice », nous n'entendons aucun nom. Il serait peut-être intéressant que tout le monde sache qui fait quoi.

M. Christian Nussbaum. - Concernant les raisons du taux de criminalité élevé sur les territoires ultramarins, nous avons déjà évoqué la consommation excessive d'alcool et de produits stupéfiants, notamment aux Antilles et en Guyane, qui sont les départements les plus violents. Il y a aussi le rapport à la violence des jeunes, qui est différent dans l'Hexagone. Les jeunes ne se rendent pas compte du degré de violence de leurs actes.

La consommation de stupéfiants, notamment le crack, est en augmentation. Nous avons un dispositif important avec les antennes de l'OFAST (Office anti-stupéfiants) en Guyane, en Martinique, en Guadeloupe et à Saint-Martin. Ce dispositif obtient des résultats. Nous l'avons réorganisé. Il existe deux types de trafic dans les Antilles : le trafic inter-îles et le trafic transatlantique à destination de l'Europe. Nous avons organisé nos antennes OFAST en conséquence avec des groupes d'enquêteurs dédiés au trafic inter-îles et d'autres au trafic transatlantique. Cela donne des résultats. Par ailleurs, l'action de l'État en mer est sur la pente ascendante en Martinique. Des arraisonnements récents ont abouti à des saisies importantes.

Concernant le phénomène des mules en Guyane, le dispositif « 100 % contrôle » que nous avons mis en place à l'aéroport de Cayenne a porté ses fruits. Les saisies à l'arrivée en métropole ont nettement diminué. Ces derniers temps, les mules étaient souvent des Nigérians ou des individus originaires des pays baltes. Le dispositif d'arrêté de refus d'embarquement a fait que ces individus ont fini par ne plus pouvoir repartir. 9 mois plus tard, il n'y a plus du tout de Nigérians ou d'individus des pays baltes qui arrivent en Guyane pour faire les mules. Le trafic par mules redevient ce qu'il était avant, avec des jeunes de Saint-Laurent du Maroni. Il faut donc que nous continuions à appliquer ce dispositif « 100 % contrôle » avec des arrêtés de refus d'embarquer. Ces arrêtés sont parfois contestés par les élus, qui trouvent que le dispositif est trop discriminatoire par rapport aux profils des individus qui se présentent. Il faut bien comprendre que ce dispositif est mis en place avant l'enregistrement des bagages. Les personnes qui veulent prendre l'avion font l'objet d'un entretien informel avec des « cibleurs ».

Apparemment, les Nigérians et les Baltes arrivent maintenant en Guadeloupe et en Martinique. En raison du trafic beaucoup plus dense, nous ne pourrons pas mettre en place le dispositif que nous avons mis en place à l'aéroport de Cayenne. Nous sommes très attentifs au sujet. Nous essaierons de mettre en place des contrôles pour éviter que le trafic par l'intermédiaire de mules ne se déporte pas de la Guyane aux Antilles. Il faudrait que nous parvenions à empêcher les Nigérians et les individus des pays baltes d'embarquer de Paris vers les Antilles. Cela permettrait de couper la source. La raison du refus d'embarquer pourrait être un viatique insatisfaisant.

Nous réalisons des opérations « place nette » en outre-mer, pas plus tard que la semaine dernière en Guyane. Beaucoup d'autres opérations sont en préparation. Nous avons aussi des groupes de partenariat opérationnel (GPO) dans toutes les DTPN. Nous faisons actuellement un nouveau GPO à Mayotte avec l'Éducation nationale et la commune afin de nous attaquer aux violences à la sortie des établissements scolaires. Nous aimerions responsabiliser davantage les parents. Beaucoup ne savent pas que leurs enfants commettent des bêtises sur le chemin de l'école. S'ils étaient au courant, cela pourrait changer la donne.

Concernant les relations police-gendarmerie, les citoyens ont surtout besoin qu'en cas de problème, ce soit la patrouille la plus proche qui intervienne, peu importe qu'elle soit de la police ou de la gendarmerie. Si cela suppose de passer des accords avec les gendarmes, j'y suis favorable. Je suis certain que mon collègue de la gendarmerie y est également favorable. Outre-mer, la police et la gendarmerie sont extrêmement solidaires. En Nouvelle-Calédonie, nous avons mis en place une brigade des transports scolaires à la DTPN qui assure la sécurité des bus du début du parcours, en zone gendarmerie, à la fin, en zone police. C'est ce genre de process qui nous fera progresser.

Mme Micheline Jacques, président. - Avant de conclure, j'aimerais rebondir sur le lien entre la police municipale et la police nationale. La police municipale est au contact des citoyens. En Polynésie française, les policiers municipaux ont un statut particulier dans certains domaines. Pensez-vous que nous pourrions reproduire ce statut à titre expérimental dans les autres territoires ultramarins et mieux coordonner les relations entre la police nationale et la police municipale ?

Mme Lana Tetuanui. - En fait, il existe une fonction publique communale spécifique à la Polynésie française. Ce sont des agents municipaux qui reçoivent l'assermentation donnée par le procureur de la République. Ce sont des agents de police judiciaire adjoints (APJA).

M. Christian Nussbaum. - Je ne connais pas bien ce statut. Je ne peux donc pas vous répondre. En revanche, je peux vous assurer que la coopération avec la police municipale existe, notamment en Polynésie française. Nous devons davantage la développer à Mayotte, particulièrement à la sortie des établissements scolaires, afin que la police nationale puisse être plus active dans l'interpellation des fauteurs de trouble. Nous nous sommes mis d'accord avec la police municipale. Cette coopération est d'autant plus une solution que les policiers municipaux connaissent leur territoire et leur population. Ils peuvent donc être très utiles.

Mme Micheline Jacques, président. - En conclusion, nous avons retenu tous les efforts déployés par la police nationale sur les territoires ultramarins pour faire face au développement de la criminalité qui est variable selon les territoires. Il ne faut pas considérer que les territoires plus calmes sont à l'abri.

De nombreuses pistes ont été abordées ce matin.

Il faut des moyens humains et techniques, et prendre en compte les CIMM. À Mayotte, plus de 50 % des effectifs sont originaires du territoire. À La Réunion, l'effectif de policiers originaires du territoire est également conséquent.

L'emploi du RAID a été adapté à Mayotte. Différents dispositifs ont été mis en place tels que les refus d'embarquement, qui apportent des solutions. Pourquoi ne pas regarder de plus près ce qui a été fait en matière d'interdiction de vente d'alcool réfrigéré en Polynésie française ? À La Réunion, beaucoup de violences intrafamiliales sont liées à la consommation d'alcool et de produits stupéfiants.

Monsieur Christian Nussbaum et Madame Céline Personeni, nous vous remercions pour vos éclairages.

M. Christian Nussbaum. - Nous vous ferons parvenir une contribution sur la base des nouvelles questions que vous nous avez posées aujourd'hui.

La séance est levée à 10 heures 40.