Mardi 12 mars 2024

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 15 heures.

Projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement - Désignation des candidats appelés à siéger au sein de la commission mixte paritaire

La commission soumet au Sénat la nomination de Mme Dominique Estrosi Sassone, Mme Amel Gacquerre, Mme Anne Chain-Larché, Mme Françoise Dumont, Mme Viviane Artigalas, Mme Audrey Linkenheld et M. Stéphane Fouassin comme membres titulaires, et de Mme Martine Berthet, Mme Sylviane Noël, M. Yves Bleunven, M. Rémi Féraud, Mme Marianne Margaté, M. Pierre Jean Rochette et Mme Antoinette Guhl comme membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement.

Projet de loi d'orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture - Désignation de rapporteurs

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Le calendrier de l'examen du projet de loi d'orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture se précise enfin : il devrait être présenté en conseil des ministres le 27 mars prochain, examiné à la mi-mai par l'Assemblée nationale et en juin au Sénat. Je vous propose de désigner nos collègues M. Laurent Duplomb et M. Franck Menonville, rapporteurs sur ce texte.

La commission désigne MM. Laurent Duplomb et Franck Menonville rapporteurs sur le projet de loi d'orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture, sous réserve de sa transmission.

M. Yannick Jadot. - Qu'en est-il de la loi sur la programmation de l'énergie ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je n'ai pas d'informations. Il n'apparaît pas parmi les textes qui devraient être examinés durant la session. Il est à craindre, si l'on en croit les déclarations du ministre de l'économie dans la presse, qu'il ne soit repoussé aux calendes grecques. Le sujet ne serait pas encore assez mûr... La programmation pluriannuelle de l'énergie aurait déjà dû être examinée en 2023. L'ordre du jour est très chargé jusqu'en juillet. À la rentrée de septembre, nous examinerons le projet de loi sur la fin de vie, puis nous entamerons le marathon budgétaire. Il semble donc peu vraisemblable que nous puissions examiner ce texte avant la fin de l'année 2024.

M. Yannick Jadot. - Il va donc falloir fermer 14 réacteurs nucléaires...

Groupe de suivi de la politique agricole commune - Désignation des membres

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Comme vous le savez certainement déjà, au vu de l'actualité récente, nous avons décidé avec le président de la commission des affaires européennes, Jean-François Rapin, de relancer les travaux du groupe de suivi de la politique agricole commune, qui n'avait pas été reconstitué depuis le dernier renouvellement sénatorial. Ce groupe compte vingt membres, dix pour chacune de nos deux commissions, ce qui permet de garantir une représentation proportionnelle de chaque groupe politique et paritaire entre nos deux commissions.

La commission des affaires européennes a déjà procédé à la désignation de ses membres : M. Jean-Michel Arnaud, Mme Karine Daniel, M. Daniel Gremillet, Mme Pascale Gruny, Mme Nadège Havet, Mme Gisèle Jourda, M. Vincent Louault, M. Louis-Jean de Nicolaÿ, M. Jean-François Rapin, et Mme Silvana Silvani.

En ce qui concerne notre commission, je vous propose de désigner nos collègues : M. Henri Cabanel, M. Patrick Chauvet, M. Pierre Cuypers, M. Laurent Duplomb, M. Franck Menonville, M. Franck Montaugé, Mme Sophie Primas, M. Olivier Rietmann, M. Daniel Salmon et M. Jean-Claude Tissot.

Mme Marianne Margaté. - Je m'étonne de l'absence de membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky (CRCE-K) au titre de la commission.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Votre groupe est représenté par l'intermédiaire de Silvana Silvani, qui a été désignée par la commission des affaires européennes.

Il en est ainsi décidé.

Projet de loi autorisant la ratification de l'accord économique et commercial global entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et le Canada, d'autre part, et de l'accord de partenariat stratégique entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et le Canada, d'autre part - Examen du rapport pour avis

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous examinons maintenant le rapport pour avis de M. Laurent Duplomb sur le projet de loi autorisant la ratification de l'accord économique et commercial global entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et le Canada, d'autre part, et de l'accord de partenariat stratégique entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et le Canada, d'autre part.

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - Bientôt sept ans après la mise en oeuvre « provisoire » de l'intégralité de cet accord à l'exception de son chapitre 8 sur la protection des investissements, on nous demande enfin d'autoriser la ratification de l'accord économique et commercial global avec le Canada (AECG, plus connu sous le nom de CETA).

Après toutes ces années, il apparaît que le CETA, un accord commercial de nouvelle génération, est paradoxalement déjà daté : il n'a pas intégré les contraintes de l'accord de Paris ; il ne tient pas compte du retour de l'enjeu de la souveraineté alimentaire lié à la guerre en Ukraine.

Le manque de légitimité de cet accord est patent. D'ailleurs, dix États ne l'ont toujours pas ratifié : la Belgique, la Bulgarie, Chypre, la Grèce, la Hongrie, la Pologne, la Slovénie, l'Irlande, l'Italie et la France.

S'il y a donc lieu de se réjouir, à l'approche du printemps, de ce moment démocratique, c'est bien au groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky (CRCE-K), qu'il faut saluer pour cette initiative, que nous le devons, et non au Gouvernement.

Le projet de loi inscrit à l'ordre du jour de son espace réservé a été adopté à l'Assemblée le 23 juillet 2019 avec seulement 53 voix d'écart et un nombre important d'abstentions, notamment dans la majorité présidentielle.

Il autorise en son article 1er la ratification de cet accord commercial et, en son article 2, la ratification de l'accord de partenariat stratégique (APS). Cet autre accord, qui se veut contraignant, mais reste en fait largement déclaratoire, approfondit le dialogue et la coopération politiques en matière de droits de l'homme et de sécurité internationale entre l'Union européenne et le Canada.

En préambule, je voudrais vous éclairer sur les conséquences de votre vote.

Dans une déclaration du Conseil de l'Union européenne de 2016, c'est-à-dire des gouvernements réunis, ces derniers se sont arrogé le droit de choisir s'ils notifient ou non leur incapacité de ratifier l'accord à la Commission européenne qui, elle, est ensuite tenue de dénoncer l'application provisoire de l'accord, celle-ci prenant effet six mois après la dénonciation.

De fait, le refus du parlement chypriote n'a jamais été notifié par le gouvernement de ce pays, qui figure encore dans la liste des États n'ayant pas ratifié l'accord comme s'il ne s'était jamais prononcé. En théorie cet accord peut donc être appliqué de façon provisoire indéfiniment. Et si vous n'êtes pas d'accord, la Commission choisira à l'avenir de scinder les accords de nouvelle génération en deux, entre les dispositions commerciales et les autres.

Vous voyez bien à quel point la procédure de ratification de cet accord mixte contourne le Parlement et escamote la souveraineté nationale.

Mais venons-en au contenu même de l'accord. Soyez assuré que j'ai été soucieux au cours de mes travaux de ne pas priver l'économie française d'un bon accord s'il s'avérait, à l'analyse, que les producteurs et les consommateurs français tiraient de l'accord des bénéfices certains. Aussi, je me suis efforcé d'examiner l'accord pour ce qu'il est - tout l'accord, mais rien que l'accord.

De quoi me suis-je aperçu ? Écoutez bien, car je vais dissiper quelques idées reçues.

La première, véhiculée activement par les membres du Gouvernement, est que les chiffres de notre commerce avec le Canada prouveraient d'ores et déjà le succès de l'accord. Cette communication est prématurée et imprudente, si ce n'est tout simplement infondée, et ce pour trois raisons.

Tout d'abord, les exportations ont certes augmenté de l'ordre d'un tiers - de plus de 1 milliard d'euros -, mais les importations ont augmenté d'autant, et même légèrement plus - de 1,1 milliard d'euros. L'effet sur le solde commercial franco-canadien est jusqu'ici négatif puisqu'on constate une dégradation de 48 millions d'euros sur six ans. Légèrement négatif certes, mais il faut rappeler que les Canadiens sont loin d'exploiter tous les quotas d'exportation que nous leur avons accordés dans l'accord, contrairement à nous dans l'autre sens !

Ensuite, hormis pour quelques produits, l'augmentation des échanges franco-canadiens de 34 %, est à peine supérieure à celle de 31 % des échanges avec les autres pays tiers et cette hausse est en valeur, donc gonflée par l'inflation. Elle provient en outre selon le Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii), un service du Premier ministre, d'un effet de « détournement de trafic », qu'on retrouve souvent dans de tels accords économiques. Le commerce supplémentaire avec le Canada ne vient pas s'ajouter au commerce avec les autres pays, il nous en détourne, en offrant une meilleure valorisation ! Meilleure valorisation, peut-être, mais qui capte cette valeur ? Est-on bien sûr que cela ne va pas simplement aux actionnaires ? En tout cas, cela ne crée pas plus de production, et donc pas plus d'emplois.

M. Yannick Jadot. - Communiste !

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - Enfin, il ne suffit pas de constater une hausse du commerce bilatéral franco-canadien depuis 2017 pour l'attribuer au CETA. J'y insiste, aucune étude économique n'a été effectuée depuis l'accord pour distinguer ce qui relève du CETA en lui-même ou ce qui relève de la tendance générale de notre commerce extérieur, voire ce qui relève des bouleversements intervenus depuis, qui ont recomposé les flux mondiaux - guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis, invasion de l'Ukraine par la Russie. Au mieux, les effets sont présumés, mais pas avérés.

La deuxième idée reçue est que nous aurions un besoin urgent de contracter avec le Canada pour diversifier notre économie et notamment pour nous approvisionner en terres rares, nécessaires à la transition énergétique.

Je commencerai par faire un sort à ce dernier argument, car, bien que le Canada dispose de réserves en terres rares, elles sont 50 fois moins importantes que celles de la Chine et 25 fois plus faibles que celles du Brésil ou encore du Vietnam.

Ensuite, sur les opportunités économiques offertes par l'accord, le Canada compte 40 millions d'habitants, l'Union européenne, 450 millions d'habitants ! En conséquence, selon le Cepii, « les conséquences du CETA pour l'économie européenne sont nécessairement quantitativement limitées : 0,02 % du PIB français et moins de 0,01 % du PIB de l'Union européenne à l'horizon 2035, soit 12 dollars par an et par Français et 4 dollars par an et par Européen ». En revanche, pour l'économie canadienne, complètement arrimée aux États-Unis, le gain lié à l'accord serait évidemment plus important : de l'ordre de 313 dollars par an et par personne. On comprend la mobilisation canadienne des derniers jours pour faire voter l'accord !

Je ne nie pas qu'il puisse y avoir des secteurs gagnants : le textile, la chimie, les produits manufacturés, les vins et spiritueux - encore que ce dernier secteur, qui réalisait 200 millions d'euros d'excédents vers le Canada en 2022, en a déjà fait 40 de moins en 2023. Pour relativiser ces 160 millions d'euros d'excédent, permettez-moi de citer l'exemple de l'accord entre l'Union européenne et le Maroc sur les produits agricoles : cet accord a coûté aux Français, rien que par la hausse des exportations de la seule année dernière, 168 millions d'euros de plus, poursuivant la destruction d'une partie de la capacité de production en France.

Je ne nie pas même l'existence de gains globaux liés au CETA. Je dis simplement qu'ils sont relativement négligeables - 4 $ par an et par Européen - et qu'ils placent très bas le prix d'achat de nos reniements et de nos renoncements.

La troisième idée reçue est que nos filières sensibles seraient finalement moins heurtées que prévu, en particulier la filière bovine, car nous n'importons que 52 tonnes en France et 1 450 tonnes dans l'Union européenne. Je rappelle que ces quotas étaient de 4 000 tonnes équivalent-carcasse (TEC) sans droits de douane avec le contingent « panel hormones ». L'accord a ajouté 49 000 tonnes, cela fait donc 53 000 tonnes à droits nuls. Il ne faut pas oublier les 15 000 tonnes à 20 % de droits de douane du contingent « Hilton » partagé avec les États-Unis. Au total, plus de 67 000 tonnes de viande bovine. De plus, le Canada pourrait très bien n'exporter que des morceaux nobles comme l'aloyau ! Auquel cas, cela représenterait autour de 600 000 bovins, soit l'équivalent de ce que nous avons perdu en France en 10 ans dans notre cheptel.

Considérer que les Canadiens auraient négocié l'ouverture de quotas de viande bovine, secteur qu'ils savaient sensible pour les Européens, sans chercher à les remplir, serait faire injure à leur intelligence et à leurs qualités de négociation. Trop dépendants du marché américain, les producteurs de viande bovine se sont d'abord implantés par facilité sur les marchés asiatiques, où ils sont à la merci d'une fermeture soudaine des marchés comme les Chinois savent le faire. Ils utiliseront leur droit de tirage dès que la ratification de l'accord par l'Union européenne leur apportera la sécurité juridique dont ils ont besoin pour se lancer. Si le Canada a demandé à l'Autorité européenne de sécurité des aliments, l'EFSA, fin 2023, d'autoriser la décontamination des carcasses à l'acide péracétique, c'est bien pour lever des barrières sanitaires afin d'exporter vers notre marché.

La perte de valeur ajoutée liée au CETA anticipée pour le secteur de la transformation de la viande rouge est de 4,8 % à horizon 2035. C'est dix fois plus que l'évolution, positive ou négative, de n'importe quel autre secteur en France ou Allemagne. L'impact sur la viande est deux ou trois fois plus important en moyenne qu'habituellement pour de tels accords de libre-échange. Et ce n'est pas l'Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes, Interbev, qui le dit, mais les économistes du Cepii. En somme, la filière bovine viande française est sacrifiée. Cette filière, dont les revenus sont déjà les plus faibles de la ferme France, n'avait pas besoin de cela.

J'en appelle donc à la solidarité de l'aval avec l'amont : les producteurs de lait sont aussi, avec les vaches de réforme, des producteurs de viande : ce qu'ils gagnent d'un côté, grâce aux fromages, le marché pourrait leur reprendre de l'autre, sous l'effet d'une valorisation moindre de la viande issue du troupeau laitier.

Il faut aussi un principe de solidarité entre les filières. Cela vaut d'abord pour la filière laitière française : celle-ci était hier vent debout contre l'accord avec la Nouvelle-Zélande, mais elle est aujourd'hui satisfaite parce qu'elle vend 6 500 tonnes de fromage au Canada, soit seulement 1 % des 650 000 tonnes qu'elle exporte au total chaque année. Il en va de même pour la filière vins et spiritueux.

Mais je veux rassurer ces filières et le Gouvernement : avec ou sans CETA, nous exporterons toujours deux tiers de nos calories - même si on se demande bien pourquoi le Gouvernement s'est mis à compter nos exportations en calories, sinon pour tourner les chiffres à son avantage.

L'enjeu est de faire mieux respecter toute notre agriculture dans nos relations avec les pays tiers.

J'en viens donc au coeur du débat, la question des distorsions de concurrence et la naïveté coupable de la Commission européenne. Ce n'est pas une simple affaire de flux commerciaux, c'est une affaire de principes : la Commission ne peut pas continuer d'être un tigre avec nos agriculteurs et un agneau avec les autres. Ce que nous demandons est simple : cesser d'importer ce que nous nous interdisons de produire.

La contestation du monde agricole, en France et dans toute l'Europe, a été soutenue par la presque totalité de la population. Elle a ciblé notamment les accords de libre-échange, en ce qu'ils incarnent l'incohérence entre des exigences de plus en plus poussées au sein du marché intérieur et les défaillances, voire l'absence des contrôles aux frontières.

Les concessions, les contorsions et les silences de la Commission européenne dans ses relations extérieures sont en contradiction totale avec l'approche qu'elle promeut au sein du marché intérieur avec le Pacte vert, qui place la santé et l'environnement au-dessus de l'acte de production. C'est d'ailleurs tout le sens du mot d'ordre : « On marche sur la tête ! » Tout se passe comme si, éblouie par son propre reflet dans le miroir, trop contente d'elle-même, l'Union européenne en oubliait ses principes les plus chers dans ses échanges avec les pays tiers. Naïveté ou hypocrisie ?

Quoi qu'il en soit, Dani Rodrik, économiste à Harvard, pose, dans sa parabole sur le travail des enfants, une question toute simple : « Si la société refuse une pratique dans ses lois, pourquoi devrait-elle l'accepter par le canal de l'échange ? »

Aujourd'hui, pourtant, nous l'acceptons de trois façons : les normes absentes, les normes non appliquées et les normes abaissées.

Premièrement, les normes absentes. C'est bien simple, le CETA ne demande rien au Canada. Il ne prévoit aucune obligation de plus que les règles qui préexistaient : non seulement on trouve des protéines animales transformées dans la ration alimentaire des ruminants, ce qui est interdit dans l'Union européenne, mais on trouve même des farines de sang de bovins dans la ration des bovins - du boeuf cannibale !

Les bovins conduits à l'abattoir peuvent au Canada rester jusqu'à 48 heures d'affilée dans un camion, sans aménagements, contre 14 heures dans l'Union européenne - et la Commission voudrait que nous passions à 9 heures.

Par ailleurs, 41 substances actives phytopharmaceutiques, approuvées au Canada, mais pas dans l'Union européenne, sont tolérées dans les produits importés si leur concentration reste en dessous des limites maximales de résidus (LMR) fixées réglementairement. C'est le cas de l'atrazine, interdite dans l'Union européenne en 2003. Au-delà de ces chiffres, il ne faut pas oublier que des produits peuvent être autorisés en France ou en Europe, sous réserve de restrictions d'usage, ce qui n'est pas toujours le cas au Canada : il semble qu'au moins 96 molécules puissent ainsi être utilisées avec des normes différentes aux nôtres au Canada ; ce serait un travail de fourmi de toutes les recenser. C'est le cas du glyphosate, j'y reviendrai.

Deuxièmement, les normes non appliquées. Même quand ces normes existent, encore faut-il qu'elles soient applicables et que les contrôles ne soient pas défaillants. En ce qui concerne notre seule mesure miroir historique, les garanties qu'aucune viande de boeuf aux hormones ne soit exportée vers l'Union sont « compromises » par des « lacunes » des contrôles canadiens sur la traçabilité, selon deux audits de la Commission européenne réalisés en 2019 et 2022. Et pour cause, en France, la traçabilité est totale pour tous les animaux : on boucle les animaux dès leur naissance puis à toutes les étapes, jour après jour. Tous les soins doivent être inscrits sur un registre de la naissance à l'abattage. Au Canada, au contraire, l'identification commence à l'engraissement et n'est pas individuelle, elle se fait par lots. Il n'y a aucune identification à la naissance. On peut certes retracer les feedlots, mais non pas l'origine de chaque bête.

M. Jean-Luc Angot, chef du corps des inspecteurs de santé publique vétérinaire, a dit très clairement en audition que si de telles anomalies avaient été détectées dans l'autre sens, on nous aurait immédiatement bloqué l'accès au marché canadien. D'ailleurs, la Chine a cessé pendant plusieurs mois d'importer du porc canadien à cause de supposés faux certificats canadiens à la ractopamine.

Une seconde mesure miroir, sur l'interdiction des antibiotiques comme activateurs de croissance, a été votée par l'Union en 2018 : la Commission a procrastiné pour la mettre en oeuvre, elle ne sera applicable qu'en 2026... et sur simple attestation sur l'honneur du vétérinaire canadien, sans contrôle dédié, alors même que les vétérinaires sont, au Canada, économiquement dépendants des agriculteurs...

Par ailleurs, il n'y a pas dans l'accord avec le Canada de clause miroir excluant des quotas l'élevage en feedlot, ces immenses parcs d'engraissement. Il existait pourtant une telle clause dans l'accord avec la Nouvelle-Zélande où il n'y a pas de feedlot, et il n'y en a pas avec le Canada, où tous les bovins ou presque y passent, avec 26 000 têtes en moyenne. Cela révèle à mon sens la véritable fonction des clauses miroirs : des « miroirs aux alouettes » achetant par de prétendus acquis l'acceptabilité d'un accord qui ne répond pas aux attentes environnementales ou sanitaires. C'est pourquoi, à choisir, je préfère les mesures miroirs, qui s'appliquent à toutes nos importations, une fois pour toutes, aux clauses miroirs, mises au cas par cas dans des accords à géométrie variable.

Troisièmement, les normes abaissées pendant la négociation. Depuis l'application du CETA, le Canada a mené un lobbying assumé pour abaisser les exigences européennes. Je vous invite à lire les comptes rendus des comités conjoints sanitaires et phytosanitaires Union européenne - Canada, tout est public. Et la Commission a cédé et continue de céder : en 2012, la limite maximale de résidus de l'Union européenne sur le glyphosate dans la lentille - vous connaissez mon attachement aux lentilles vertes du Puy - a été multipliée par 100 et portée de 0,1 à 10 microgrammes de glyphosate par kilogramme, alors qu'au Canada, elle était encore jusqu'ici de 4 microgrammes. Cela permet aux Canadiens d'utiliser le glyphosate pour défaner la plante jusqu'à quatre jours avant la récolte, ce qui permet d'accélérer la maturité de la plante. Aujourd'hui nous importons un tiers de nos lentilles du Canada, le tout à droits de douane zéro !

L'autorisation de la décontamination des carcasses à l'acide lactique en 2013, dont le Canada s'est officiellement réjoui, et la demande canadienne pour utiliser l'acide péroxyacétique constituent un autre exemple, de normes abaissées. Cette demande révèle deux styles d'élevage aux antipodes ; l'éleveur français, qui note l'ensemble des manipulations qu'il a réalisées sur un registre, apporte la preuve qu'il n'a pas utilisé de substances interdites et qu'il respecte la réglementation sanitaire. Les carcasses françaises n'ont pas besoin d'être décontaminées. Cette pratique vise en fait à masquer la manière dont l'élevage a été réalisé. C'est une manière pour le Canada d'autoriser ses éleveurs à faire ce qu'ils veulent lors des étapes précédant l'abattage pour exporter, en remettant les compteurs à zéro par cette manipulation.

À la fin de l'année 2023, le Canada a rappelé « ses préoccupations concernant les modifications réglementaires liées à la réduction des limites maximales de résidus pour deux néonicotinoïdes », la clothianidine et le thiaméthoxame. Il propose « que la Commission autorise les pays tiers à réglementer les pesticides dans leur pays souverain de la manière qu'ils jugent appropriée et adaptée à leur environnement local ». C'est une manière de refuser toute règle !

Une façon d'accéder à la demande canadienne serait de rejeter le CETA...

Ne serait-il pas temps de réaffirmer notre souveraineté sur les produits que nous importons ?

Nous avons une vision assez québécoise du Canada, mais il faut se défaire de l'image bucolique que nous pouvons en avoir. La réalité de l'agriculture canadienne n'est pas au Québec, elle est surtout dans le Grand Ouest, en particulier dans l'Alberta. Elle est identique à celle que l'on rencontre dans les pays du Mercosur, aux États-Unis d'Amérique, en Nouvelle-Zélande. Ces pratiques sont aux antipodes des nôtres. Soyons clairs, autoriser la ratification de cet accord, c'est ouvrir la voie à l'accord avec le Mercosur. Car ces deux accords présentent les mêmes vices de conception ; les différences sont seulement de degré, pas de nature.

Notre exécutif, qui avait érigé la question des clauses et des mesures miroirs en priorité au premier semestre 2022, a toutes les peines du monde à faire avancer ce sujet. On sait bien par ailleurs qu'il peut flancher à tout moment sur le Mercosur.

Je vous propose de l'aider par notre vote, qui, soyez-en sûrs, fera bouger les choses dans le bon sens. Car, dans les démocraties modernes, le Parlement a un rôle diplomatique : consacrer des principes, formuler des lignes rouges, dont le Gouvernement pourra ensuite se prévaloir à Bruxelles, et dont la Commission pourra elle-même se prévaloir dans ses négociations avec le reste du monde. Un principe de bon sens serait déjà de ne pas importer ce que nous nous interdisons de produire.

Aussi, je vous invite à proposer la suppression de l'article 1er et à refuser la ratification de l'accord économique commercial global avec le Canada. Il est temps de regarder la réalité en face et de cesser de faire preuve de naïveté.

Il ne s'agit bien sûr pas d'un acte hostile à l'égard de nos amis canadiens, et ceux qui disent l'inverse vous trompent. D'ailleurs, je proposerai, en accord avec le rapporteur Pascal Allizard, de voter à l'identique l'article 2, autorisant la ratification de l'accord de partenariat stratégique, pour réaffirmer nos liens indéfectibles avec le Canada sur le plan culturel, politique et géostratégique.

Mais objectivement, en ce qui concerne le CETA, peut-on continuer de nous voiler la face ? Il est temps de dire stop au CETA.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci pour votre intervention enflammée !

M. Yannick Jadot. - Je me suis beaucoup battu au niveau européen, malheureusement nous avons perdu, sans doute pour des raisons d'imaginaire : nous venions d'obtenir gain de cause sur le traité de libre-échange transatlantique, parce que Trump était Président des États-Unis, tandis que le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, apparaissait comme beaucoup plus sympathique que ce dernier...

M. Jean-Claude Tissot. - On nous objecte que les Canadiens sont nos cousins !

M. Yannick Jadot. - Ce qui est en jeu c'est aussi l'avenir de notre économie, de notre agriculture, etc.

Je me retrouve parfaitement dans les arguments développés par le rapporteur. Il est à craindre que les Canadiens se mettent à remplir leurs quotas d'exportation et que nos éleveurs soient brusquement en concurrence avec eux, notamment sur l'aloyau.

La ratification de cet accord, comme de celui avec les pays du Mercosur, s'accompagnerait d'une baisse des contrôles.

Le traité prévoit une coopération réglementaire entre les régulateurs. Mais rien ne les empêchera de se mettre d'accord sur des clauses sanitaires ou phytosanitaires, sans que le législateur ait à se prononcer. Des fonctionnaires pourront donc modifier l'accord. Il existe ainsi une grande coopération sur les OGM. Vu l'enjeu, il serait bon que cette question soit tranchée par le législateur, et non pas seulement par des fonctionnaires.

L'arbitrage constitue aussi un sujet crucial : une entreprise pourra attaquer un État devant un tribunal arbitral privé si elle estime que sa législation sanitaire ou environnementale lui fait perdre de l'argent. Le Canada est ainsi en procès avec des énergéticiens qui contestent la suppression de permis d'exploiter du gaz de schiste.

Cet accord est néfaste et ne correspond plus à nos préférences collectives et sociétales. Je soutiens la position de notre rapporteur, d'autant plus qu'il a parlé du Pacte vert, de l'accord de Paris... Il a su employer les mots pour convaincre les écologistes !

M. Henri Cabanel. - Si j'osais, je dirais que c'est un rapport à charge...

M. Laurent Duplomb. - Objectif !

M. Henri Cabanel. - En effet. Je me réjouis de la position du rapporteur sur certains points, notamment sur le glyphosate.

On entend dire qu'il est normal qu'un accord puisse faire des gagnants et des perdants. Telle n'est pas ma philosophie : il faut que l'accord soit gagnant-gagnant !

Or comment peut-on conclure un accord dans le domaine agricole avec un pays qui n'a pas la même philosophie que nous en la matière ? L'agriculture au Canada est une agriculture industrielle. Nous avons refusé la création de la ferme des mille vaches : une telle exploitation serait pourtant bien petite au Canada ! 41 molécules phytosanitaires interdites en Europe sont autorisées là-bas. C'est un problème, car elles pourraient être employées pour produire des denrées exportées vers l'Europe.

L'Europe a atteint tous les quotas prévus dans l'accord, alors que le Canada en est encore très loin. Certaines filières bénéficieront de l'accord. C'est le cas des vins et spiritueux, mais les volumes exportés ne représentent que 2 millions d'hectolitres, alors que nous produisons 42 millions d'hectolitres. Nous exportions déjà des vins et des spiritueux au Canada avant 2017. Je ne vois pas pourquoi cela ne continuerait pas.

Je ne reviendrai pas sur le recours aux hormones de croissance, aux aliments à base de farines animales, etc. Je suis déçu que le Gouvernement n'ait pas eu le courage de proposer à l'Assemblée nationale de repousser cet accord. Je remercie donc le groupe communiste d'avoir mis ce sujet sur la table.

Une majorité des sénateurs du groupe RDSE suivra l'avis du rapporteur. J'espère convaincre les autres...

M. Daniel Laurent. - L'analyse de notre rapporteur constitue un rapport à charge. Le groupe d'études sénatorial Vigne et vins a auditionné les représentants de la filière viticole. Celle-ci est plutôt avantagée dans ce traité. Je ne suis pas certain que le niveau des ventes de vins et de spiritueux se maintienne si nous votons contre cet accord. Or, ce secteur est en grande difficulté. Depuis l'entrée en vigueur de l'accord en 2017, les ventes de vins et de spiritueux ont fortement augmenté. Certes les volumes sont modestes, mais ils sont significatifs.

M. Daniel Gremillet. - Ce débat était souhaité depuis longtemps. Nous avons longtemps déploré, au Sénat, que les États membres soient placés devant le fait accompli. L'Union européenne n'a pas intérêt à se refermer sur elle-même. Je n'oublie pas que des soldats canadiens ont donné leur vie lors de la Seconde Guerre mondiale pour libérer la France.

Mais je suis gêné par la faiblesse de l'Europe et par ses contradictions. Je ne comprends pas comment l'Union européenne a pu négocier un tel accord qui comprend autant de clauses qui sont en parfaite contradiction avec celles qu'elle applique à ses agriculteurs en Europe. L'Europe n'a cessé d'adopter, depuis 2017, de nouvelles mesures toujours plus exigeantes pour nos agriculteurs, sans chercher à modifier pour autant l'accord. Nous pouvons nous interroger : quel est le mandat de la Commission ? Comment sont consultés les États avant l'élaboration d'un traité ? Quel a été le rapport d'étape ?

Les Canadiens ont été meilleurs que nous dans la négociation et l'Union européenne n'a pas été capable de défendre ses paysans et ses règles. Nous ne devons pas incriminer le Canada, il a défendu ses intérêts. Nous devons plutôt instruire à charge contre l'Europe. Ce sera encore pire lorsque nous discuterons de l'accord avec les pays du Mercosur, car leur économie agricole est encore plus éloignée de la nôtre que ne l'est celle du Canada - il existe encore des sans-terre au Brésil. Je regrette que nous ne puissions pas revoir la conditionnalité de façon à rendre le traité acceptable, car nous n'avons pas intérêt à nous recroqueviller sur nous-mêmes. Les échanges commerciaux sont nécessaires, mais ils doivent être équilibrés.

Mme Sophie Primas. - Notre vote ne sera pas un acte de défiance ni un réquisitoire contre le Canada, qui est un pays ami, avec lequel nous sommes alliés dans d'autres combats dans le monde. Notre vote ne constituera pas non plus une position de principe contre les accords de libre-échange. Il ne sera pas non plus un jugement à l'égard des productions et des pratiques agricoles canadiennes. Chaque pays est libre de choisir ses normes.

Merci à notre rapporteur de nous avoir fourni des chiffres et de nous avoir redonné les ordres de grandeur. Ils nous permettent de remettre en perspective le lobbying intensif que l'on subit de la part du Gouvernement, des représentants des filières, du Canada : non, ce ne sera pas une catastrophe si nous ne ratifions pas ce traité.

M. Yannick Jadot a eu raison de rappeler la présence de clauses sur les tribunaux d'arbitrage. C'est un sujet de désaccord majeur.

Nous refusons que nos importations ne soient pas soumises aux mêmes exigences que celles que l'on impose à nos agriculteurs. Notre vote a aussi force de symbole : combien de résolutions le Sénat a-t-il voté contre ces accords commerciaux sur lesquels nous n'avons pas prise ? Notre vote aujourd'hui est donc aussi, permettez-moi l'expression, un coup de gueule.

M. Franck Menonville. - Le vote de mon groupe n'est évidemment pas un acte d'hostilité à l'égard du Canada.

Il ne traduit pas une volonté de se recroqueviller : si nous voulons défendre la ferme France, il faut accepter les échanges.

Mais le contexte a beaucoup évolué depuis sept ans, comme on l'a constaté lors du dernier salon de l'agriculture. Prenons au mot le Président de la République qui parle beaucoup de clauses miroirs et de souveraineté. Il nous faut de la réciprocité et faire en sorte que les produits importés soient élaborés avec les mêmes normes que celles que nous imposons à nos agriculteurs au quotidien. En somme, il ne s'agit pas d'un acte de défiance envers le Canada, mais d'une volonté de faire en sorte que la politique européenne soit cohérente.

M. Vincent Louault. - Ce rapport est bien à charge et frise même parfois la caricature ! Les clauses miroirs n'existent pas. Lorsque les accords de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ont été signés, nul ne parlait de clauses miroirs.

Il n'est pas question de vouloir imposer nos normes aux autres pays. Simplement, les produits importés doivent avoir une LMR compatible avec notre réglementation. Les idiots utiles, ce sont non pas les Canadiens, mais bien les Européens, qui ont fixé une limite de 10 microgrammes par kilogramme pour le glyphosate. Les Canadiens ne demandaient rien de tel ! Il ne faut donc pas faire payer à ces derniers la débilité de notre Europe et le mode de fonctionnement de la Commission européenne !

Les agriculteurs sont vent debout non pas contre le CETA, mais contre l'imposition de normes ubuesques en Europe, auxquelles ne sont pas soumises les marchandises importées : par exemple, les doses de produits phytosanitaires autorisées pour les noisettes de Turquie sont plus élevées que pour celles produites en Europe. Aucune viande ne peut entrer en France, si elle n'est pas conforme à nos exigences sur les hormones ou les antibiotiques...

Mme Sophie Primas. - Ce n'est pas mesurable !

M. Vincent Louault. - Si. C'est à nous de faire en sorte d'imposer des normes mesurables et de contrôler. Ayons le courage d'être des Européens, et de nous ouvrir vers les autres ! Ce n'est pas au CETA de payer les pots cassés du bazar qu'est devenue l'Europe !

Mme Anne Chain-Larché. - Il faut que le Gouvernement respecte le Parlement : voilà sept ans que nous alertons. Le repli sur soi serait mortifère, mais nous devons nous faire entendre. La même question se posera lors de l'examen de l'accord avec le Mercosur. Pour autant, ces pays ne doivent pas en déduire que la France est dans une position de repli. Que se passera-t-il si nous rejetons le texte ? Il importe de réfléchir à la manière de faire évoluer les accords.

M. Jean-Claude Tissot. - Je soutiens la position de notre rapporteur. Nous ne pouvons pas accepter d'importer des produits qui ne sont pas élaborés selon les mêmes normes. Si nous interdisons l'utilisation de farines animales, d'hormones de croissance, de glyphosate pour le défanage quelques jours à peine avant la récolte - ce qui est vraiment inadmissible -, c'est parce que c'est mauvais pour la santé humaine ! C'est pour ce motif qu'il faut repousser cet accord. Refuser de le voter en l'état ne signifie pas refuser de commercer. Le Canada sera toujours un pays ami.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Le Canada est un pays ami, une grande démocratie. Nous devons préserver nos relations avec ce pays. Celles-ci sont d'ailleurs amenées à se développer à l'avenir. L'Europe justifie ses contraintes pas l'intérêt du consommateur. On ne comprend pas pourquoi, dans ce cas, il faudrait accepter d'importer des produits qui ne respectent pas ces normes. C'est une question de cohérence. Les traités doivent être en accord avec nos propres règles. Le groupe Union centriste est partagé sur ce texte ; chacun votera comme il le souhaite.

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - En ce qui concerne les quotas de viande, je rappelle que le Canada n'a pas encore utilisé sa faculté d'exporter, vers l'Union européenne, 75 000 tonnes de viande porcine. Ses exportations de viande bovine s'élèvent à peine à 1 450 tonnes actuellement, alors qu'elles peuvent monter jusqu'à 65 000 tonnes.

Les producteurs canadiens se sont par facilité implantés sur les marchés asiatiques en forte croissance, où ils sont à la merci d'une fermeture soudaine des marchés. Ils pourront utiliser leur « droit de tirage », en fonction de l'évolution des différents marchés, dès que la ratification de l'accord par l'Union européenne leur apportera la sécurité juridique sur les normes sanitaires. Les exportations canadiennes ne peuvent donc qu'augmenter. C'est l'inverse pour nous !

En ce qui concerne la viticulture, j'indique que les appellations viticoles d'origine protégée ne sont pas menacées, car elles étaient déjà protégées avant l'accord depuis 2003. Nos exportations de vins représentent un volume de 2 millions d'hectolitres : un tiers de champagne, un tiers de bourgogne - ces exportations ne sont pas menacées -, et enfin un tiers de bordeaux. Je ne crois donc pas que le rejet du CETA mettrait en crise notre viticulture.

M. Yannick Jadot. - Le champagne fait l'objet d'un accord spécifique.

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - Certes, mais ses ventes sont comptabilisées dans l'excédent de 200 millions d'euros de la filière.

Je ne suis pas d'accord avec Vincent Louault. Il existe des clauses sanitaires, disposant que les importations de viande aux hormones, et bientôt aux antibiotiques, sont interdites, mais les audits qui ont été réalisés montrent qu'il y a des anomalies : les éleveurs canadiens peuvent toujours utiliser des hormones et des antibiotiques.

M. Yannick Jadot. - Sans parler du saumon transgénique !

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. - Or la Commission européenne ferme les yeux. Mon rapport n'est donc pas à charge, il est juste. Nous ne savions pas tout cela en 2017, lorsque l'accord a été signé. Aujourd'hui, il faut tenir compte des résultats des audits. Si nous faisions fi de ces éléments, nous serions coupables vis-à-vis des Français et des Européens. Comment dès lors ratifier un texte dont on sait déjà pertinemment qu'il n'est pas respecté ?

On ne peut pas accepter l'inacceptable. Nos résolutions successives n'ont pas été prises en compte. Ayons le courage aujourd'hui de jeter le pavé dans la mare. Être Européen, ce n'est pas se coucher en permanence. Nous devons défendre notre honneur et nos intérêts.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

L'amendement de suppression COM-2 est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption du projet de loi, sous réserve de l'adoption de son amendement.

La réunion est close à 16 h 15.

Mercredi 13 mars 2024

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Audition de M. Benoît Coeuré, président de l'Autorité de la concurrence

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui Benoît Coeuré, président de l'Autorité de la concurrence. Nous vous avions auditionné, Monsieur le Président, le 12 janvier 2022 dans le cadre de la procédure de nomination prévue à l'article 13 de la Constitution, à l'issue de laquelle nous avions émis un vote favorable à votre candidature, bien que les résultats aient été serrés au Sénat.

Lors de cette audition, vous aviez esquissé trois grandes priorités d'action sur lesquelles je souhaiterais revenir aujourd'hui afin d'effectuer un bilan d'étape.

Premièrement, vous nous aviez fait part de votre volonté, que nous partageons, de conforter l'indépendance de l'expertise et la capacité de réaction de l'Autorité de la concurrence. Concrètement, quelles mesures avez-vous mises en place ? Le collège de l'Autorité de la concurrence a-t-il été renouvelé pour s'adapter aux nouveaux enjeux ? Avez-vous renforcé le suivi des décisions prises ? Les délais d'instruction ont-ils été réduits ? L'Autorité de la concurrence affiche-t-elle plus de fermeté, par exemple en imposant plus de mesures conservatoires ? Ou prononce-t-elle davantage d'injonctions structurelles pour contraindre, lorsque cela s'avère nécessaire, les entreprises de céder certains de leurs actifs ?

Deuxièmement, vous nous aviez indiqué votre souhait de poursuivre les travaux initiés par votre prédécesseure, Mme Isabelle de Silva, en matière de régulation des marchés numériques. Pour ce faire, la force de frappe de votre service dédié à l'économie numérique a-t-elle été renforcée ? Depuis votre audition de nomination, l'environnement réglementaire a fortement évolué avec l'entrée en vigueur du règlement européen sur les marchés numériques : le DMA. Si ce règlement est progressivement applicable depuis le 2 mai 2023, une échéance importante a été franchie la semaine dernière, le 6 mars 2024, date depuis laquelle les contrôleurs d'accès désignés par la Commission européenne doivent se conformer à leurs principales obligations. Plusieurs acteurs contestent en justice leur désignation (Meta, Apple, TikTok), tandis que d'autres n'y sont pas encore soumis (Bing, Edge, iMessage d'Apple) ou devraient l'être prochainement (X, Booking, TikTok, Ads). Face à un tel niveau de contestation, comment assurer la bonne application de ce règlement ? Comment défendre notre modèle de régulation désormais plus ambitieux, équitable et offensif ?

Monsieur le président, vous le savez, le projet de loi visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique (PJL SREN), toujours en cours d'examen parlementaire, adapte notre droit national au DMA. Au Sénat, sous l'impulsion de notre rapporteur Patrick Chaize, nous avons modifié ce projet de loi pour vous confier de nouvelles prérogatives en matière de régulation du marché de l'informatique en nuage (cloud). Il s'agit d'un secteur stratégique sur lequel vous aviez annoncé vouloir travailler en raison de l'ampleur des pratiques anticoncurrentielles constatées. À cet égard, l'Autorité que vous présidez a récemment publié un avis sur le sujet, à propos duquel certains de mes collègues vous interrogeront très certainement.

Si l'environnement réglementaire évolue, cela est d'autant plus vrai des technologies que nous utilisons. Je pense à l'intelligence artificielle et aux investissements réalisés par les grands acteurs du numérique dans ce domaine. Par exemple, Microsoft dans OpenAI, Amazon et Google dans Anthropic. Face aux risques que les contrôleurs d'accès et les technologies d'aujourd'hui contrôlent également l'accès aux technologies de demain, vous vous êtes emparés du sujet. Quels sont les objectifs poursuivis par l'instruction de l'Autorité de la concurrence ? Quels sont les risques que vous anticipez ? Quels sont désormais les enjeux d'une juste régulation de ce marché ?

Enfin, vous aviez insisté sur la nécessité de soutenir à la fois la productivité des entreprises et le pouvoir d'achat des consommateurs. Or ces deux objectifs nous semblent rarement conciliables. Pour ne donner qu'un exemple, choisi au hasard, nous sommes aujourd'hui les témoins malheureux de l'incapacité du Gouvernement à réguler les pratiques de la grande distribution tout en garantissant un juste revenu aux agriculteurs et des prix acceptables pour les consommateurs. La succession infructueuse des lois Egalim et le manque de moyens alloués à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ne faisant qu'empirer la situation.

Je laisse le soin à notre rapporteure Anne-Catherine Loisier d'aborder plus en détail les enjeux de rapprochement des centrales d'achat, un sujet dont l'autorité s'est saisie d'office à deux reprises en 2020. Outre les centrales d'achat, pourriez-vous néanmoins nous éclairer sur les autres instructions en cours au sein de la grande distribution ? Quelles sont vos sources de préoccupations face aux recompositions à l'oeuvre dans ce secteur ?

M. Benoît Coeuré, président de l'Autorité de la concurrence. - Merci beaucoup, Madame la présidente, pour votre invitation et votre exposé introductif.

Je reviendrai d'abord brièvement sur les missions de l'Autorité de la concurrence en rappelant les instruments et leviers dont elle dispose, et présenterai ensuite un bilan des années 2022 et 2023 ainsi que des priorités pour 2024 et 2025.

L'Autorité de la concurrence est une instance administrative indépendante, ce qui appelle en contrepartie sa responsabilité devant les représentants de la Nation. Je me réjouis donc de cette occasion d'échanger avec vous. J'ai d'ailleurs eu l'occasion d'échanger ces dernières semaines avec la commission des finances sur l'assurabilité des collectivités territoriales ainsi qu'avec la commission des lois. Les relations entre l'Autorité de la concurrence et le Sénat sont donc très riches. Elles pourraient l'être encore plus puisque vous pouvez, par exemple, nous saisir pour avis.

Être indépendant nécessite de travailler en bonne intelligence avec son écosystème. J'ai cherché, depuis mon arrivée, à renforcer les relations de travail et à entretenir un lien de confiance avec les autres autorités de régulation ; l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), la Commission de régulation de l'énergie (CRE), l'Autorité nationale des Jeux (ANJ), la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), etc. Par exemple, nous avons publié en décembre une déclaration commune avec la CNIL sur les interactions entre protection de la vie privée et concurrence et la manière dont nous entendons travailler ensemble.

L'Autorité de la concurrence est également soumise à des règles très strictes de séparation entre les services d'instruction et le Collège, que je préside, conformément aux décisions de la Cour européenne des droits de l'homme et du Conseil constitutionnel. Le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence définit de manière indépendante la politique d'instruction, laquelle garantit l'impartialité du Collège, le respect du contradictoire et la protection des droits de la défense, sous le contrôle de la Cour d'appel de Paris, pour les contentieux, et du Conseil d'État, pour les autres affaires, notamment les concentrations.

Notre action se divise en trois missions.

Tout d'abord, sur la partie contentieuse, les infractions aux droits de la concurrence donnent lieu à des enquêtes et à des instructions qui sont souvent longues, avec des standards légaux extrêmement stricts afin de garantir le secret des affaires et les droits de la défense.

Le temps d'instruction des enquêtes tend à diminuer légèrement, mais reste important du fait de ces standards légaux et de la multiplication des recours de procédures par les entreprises et leurs conseils, notamment concernant le secret des affaires et la contestation de nos opérations de visite et de saisie.

Pour donner un exemple, face à la crise qui a frappé le pouvoir d'achat des ménages en 2022 et 2023, l'Autorité de la concurrence a lancé des enquêtes. Des opérations de visite et de saisie ont été menées dans le domaine des biens de consommation, mais ces décisions ne seront rendues que dans deux ou trois ans.

L'Autorité de la concurrence est également chargée du contrôle des opérations de concentrations. Elle agit en amont du rapprochement entre deux ou plusieurs entreprises. La tendance à la concentration des activités et à l'augmentation du pouvoir de marché des entreprises s'observe dans toutes les économies développées.

Qu'elles soient européennes ou américaines, les différentes autorités de concurrence s'accordent sur la nécessité d'exercer une surveillance très stricte dans ce domaine et de se munir d'instruments pour identifier les rapprochements entre les entreprises de plus petite taille.

Aussi, nous nous sommes dotés de tels instruments ces dernières années, avec notamment l'article 22 du règlement sur les concentrations qui permet de signaler à la Commission européenne des opérations concernant des entreprises situées sous les seuils européens. Cette demande, qui avait été présentée par l'Autorité de la concurrence, a déjà donné lieu à trois signalements.

Dans le secteur de la recherche médicale, la Commission européenne a notamment interdit la prise de contrôle de Grail par Illumina. L'opération fait l'objet de recours au Tribunal et à la Cour de justice de l'Union européenne.

La Commission européenne a également décidé d'ouvrir une procédure d'examen de l'opération de rachat par Qualcomm d'Autotalks dans le domaine des capteurs embarqués. L'Autorité de la concurrence craignait que Qualcomm ne prenne le contrôle de cette technologie clé - permettant notamment aux véhicules d'échanger des informations avec leur environnement - ce qui lui aurait permis de conforter sa position de marché. Transmis par la France et par d'autres pays à la Commission européenne, ce dossier est actuellement en cours d'instruction.

Notre troisième mission est l'activité consultative qui nous permet d'intervenir rapidement, sur auto-saisine ou saisine du Gouvernement, du Parlement ou d'organisations professionnelles.

Enfin, un quatrième domaine d'action connexe au précédent réside dans la régulation des professions réglementées du droit. Nous produisons des avis sur les codes de déontologie des notaires, des commissaires de justice et des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation ainsi qu'une cartographie des propositions de création de postes pour les commissaires de justice et les notaires, tous les deux ans. Le Gouvernement a publié la semaine dernière le décret portant sur la création - sur la base de notre dernière proposition émise en 2023 - de 502 postes de notaire d'ici 2026.

En 2022, l'Autorité de la concurrence a pris 26 décisions contentieuses ayant entraîné 468 millions d'euros d'amende et 37 décisions pour 167 millions d'euros d'amende en 2023. Ces chiffres se situent pourtant très en deçà de notre moyenne historique. Entre 2013 et 2022, le montant annuel moyen des sanctions pécuniaires imposées par l'Autorité de la concurrence s'est élevé à 700 millions d'euros. Ce montant sera très supérieur en 2024, certaines affaires, qui n'ont pas encore été publiées, comportant des sanctions importantes.

Notre budget s'élève à 23 millions d'euros. Nous employons près de 200 personnes à temps plein.

Nos effectifs sont inférieurs à ceux de nos homologues étrangers. Le service dédié à l'économie numérique ne comprend que cinq personnes, des analystes de données et des économistes du numérique. À titre de comparaison, l'Autorité de concurrence britannique, la CMA, dénombre 70 employés dans ce même département, et a obtenu des crédits pour augmenter à 200 le nombre de personnels dans ce service. Les ETP dont nous disposons ne nous permettent pas d'augmenter les moyens de cette unité. En effet, les lettres plafonds de l'été 2023 prévoyaient trois ETP pour deux ans (deux ETP en 2024 et un ETP supplémentaire en 2025).

Tout ETP versé à l'Autorité de la concurrence est donc parfaitement valorisé que ce soit en termes de capacité d'enquête et d'analyse ou de renforcement de la robustesse juridique de nos décisions.

Cette faible marge de manoeuvre budgétaire nous oblige également à une très grande sélectivité dans nos choix d'investigation. En termes analytiques et consultatifs, nous n'avons pas les moyens de surveiller tous les secteurs de l'économie et devons identifier nos priorités. Nous avons ainsi réalisé des enquêtes sectorielles sur l'informatique en nuage, les bornes de recharge de véhicules électriques - un marché important pour la transition énergétique et en pleine structuration - ou encore le transport terrestre de personnes, pour lequel un avis très volumineux a été publié en novembre 2023. Dans le prolongement de ces travaux, un webinaire intitulé « Mobilités : la concurrence est-elle en mouvement ? » est d'ailleurs organisé cet après-midi avec les acteurs du secteur, dont des collectivités territoriales.

La liste des décisions prises par notre instance reflète la variété des sujets traités et la cohérence avec les ambitions que je m'étais fixées lors de ma nomination.

Ces objectifs restent d'actualité, avec une grande priorité accordée au numérique.

En 2022, des décisions très importantes ont été prises contre Meta pour imposer l'équité dans l'accès aux informations du groupe dans le secteur de la publicité en ligne, et contre Google dans le domaine des droits voisins de la presse.

Un cadre de négociation a été créé entre Google et les éditeurs et agences de presse pour la valorisation de leurs droits. Nous suivons sa mise en oeuvre avec une grande attention et observons de près les débats en cours sur l'utilisation des articles de presse par Google et les autres grandes plateformes pour entraîner leur modèle d'intelligence artificielle, avec les problèmes de concurrence que ces situations peuvent éventuellement engendrer.

Dans le domaine de la vérification publicitaire sur Internet, nous avons également prononcé l'an dernier des mesures conservatoires, dans l'attente d'une décision au fond, à l'encontre de Meta sur saisine de la société française Adloox. Nous avons imposé à Meta de rendre ce programme de partenariat ouvert et transparent et d'entamer des discussions avec Adloox. Meta n'a pas contesté ces mesures conservatoires qui sont maintenant définitives. Le délai d'intervention sur mesure conservatoire est en moyenne de 6 à 7 mois. Cet instrument permet d'agir beaucoup plus rapidement qu'en ayant recours au droit de la concurrence traditionnel.

Le pouvoir d'achat fait également partie des priorités de l'Autorité de la concurrence.

Plusieurs décisions ont été prises en 2022 et 2023 dans le secteur de l'énergie contre EDF et Gaz de Bordeaux pour abus de position dominante.

Dans le domaine des produits de consommation, 80 millions d'euro d'amendes ont été pris contre Essilor pour avoir mis en oeuvre des pratiques entravant le développement de la vente en ligne de verres correcteurs. 91 millions d'euros de sanctions ont aussi été appliqués contre Rolex pour une entente verticale interdisant la vente en ligne des montres.

Nous avons condamné à la fin de l'année dernière des associations professionnelles et certaines entreprises pour avoir mis en oeuvre une stratégie collective visant à empêcher les industriels du secteur de se faire concurrence sur la question de la présence ou non de bisphénol A dans les contenants alimentaires (conserves, canettes, etc.). L'entente est intervenue pendant la phase transitoire durant laquelle étaient simultanément mises sur le marché des boîtes avec et sans Bisphénol A (tolérance instaurée pour l'écoulement des stocks).

Un certain nombre d'opérations de visite et de saisie, toujours à l'instruction, ont été menées ces deux dernières années dans le secteur de la collecte du lait de vache, de la distribution de produits alimentaires, du transport aérien aux Antilles et d'autres domaines. Elles seront rendues publiques également en guise d'avertissement aux secteurs concernés.

Nous avons également été très actifs au niveau du contrôle des concentrations. 257 décisions ont été prises en 2022 et 266 décisions en 2023.

Leur nombre est en augmentation constante ce qui pèse sur l'utilisation de nos ressources avec notamment des répercussions sur les délais de traitement au contentieux et la fonction consultative.

Si cette augmentation reflète le dynamisme de l'économie française, elle illustre aussi les difficultés auxquelles certains secteurs sont confrontés.

Nous avions constaté cette tendance dans le domaine de l'alimentation bio quand ce secteur s'était retrouvé en difficulté, ou dans celui de l'habillement et de la chaussure où les opérations de rapprochement demeurent d'ailleurs encore nombreuses.

Nous assistons également aujourd'hui aux suites des problèmes du groupe Casino. Une première vague de transferts de 61 magasins au groupe Intermarché a été autorisée en janvier. Nous instruisons actuellement une opération encore plus conséquente impliquant également des mouvements vers Carrefour et Auchan. L'analyse d'une concentration dans le domaine de la grande distribution est un processus très lourd qui nécessite de définir la zone de chalandise où étudier le niveau de concentration. Ce travail n'est pas une science exacte. Selon les circonstances, certains critères ne peuvent s'appliquer de manière systématique, ce qui implique de discuter avec les entreprises concernées et leurs concurrents. Cette première autorisation de 61 magasins a ainsi donné lieu à 58 autorisations et trois zones de chalandise près de Lons-le-Saunier, dans la Loire et en Bretagne. Compte tenu de la concentration locale, des remèdes ont été proposés par l'entreprise ayant consisté à revendre les magasins.

Cette situation suscite beaucoup d'inquiétude et parfois de perplexité de la part des salariés. Nous nous efforçons donc de traiter ces problèmes le plus en amont possible en échangeant avec les partenaires sociaux et les élus locaux lorsqu'ils le souhaitent.

L'immense majorité de ces décisions sont « simplifiées » et rendues très rapidement, en une quinzaine de jours sans condition. Très peu donnent lieu à des engagements.

Nous avons par exemple conditionné l'acquisition de ZEbet ZEturf par la Française des Jeux, une opération importante dans la structuration de ce secteur, à la séparation des activités en monopole et commerciales du groupe.

Le secteur étant en train de se structurer, cette décision vise donc aussi à préparer l'avenir. La Française des Jeux s'est par exemple engagée à ne pas utiliser les données clients, à mettre en place des parcours de vente différents entre ces domaines d'activité et à filialiser ses activités commerciales (séparation comptable, etc.).

Nous intervenons donc à la frontière entre la concurrence et la régulation. Ces sujets ont été longuement discutés avec l'Autorité nationale des jeux comme nous le ferions avec la CRE ou l'Arcep dans les domaines de l'énergie ou des télécoms.

Les concentrations les plus problématiques font l'objet d'un examen approfondi, dit de « phase 2 ».

Nous avons eu à traiter deux affaires de ce type en 2022.

Il s'agit tout d'abord de l'acquisition de Conforama par But qui posait de lourds problèmes de concentration à l'aval dans certaines zones de chalandise et à l'amont vis-à-vis de certains fournisseurs, notamment les fabricants de lits français. Nous l'avons tout de même autorisée, car sans cette opération, Conforama aurait disparu et les alternatives auraient été pires pour la concurrence. Nous avons convoqué l'exception de l'entreprise défaillante, une possibilité juridique qui n'avait pas été utilisée depuis 2005, mais qui a permis de préserver beaucoup d'emplois.

Nous avons également travaillé sur le projet de fusion entre TF1 et M6 que nous nous apprêtions à interdire avant que le dossier nous soit retiré pour être renvoyé à la Commission européenne.

Deux examens de « phase 2 » ont également eu lieu en 2023. Les dossiers ont tous deux été retirés.

Ils ont concerné la prise de contrôle de Smartbox par Wonderbox dans le secteur des titres cadeaux, car cette opération aurait conduit à un pouvoir de marché très important, et le projet de rapprochement entre Euralis et Maïsadour dans le domaine du foie gras et de la viande.

La très grande majorité des opérations sont autorisées sans conditions. Certaines donnent lieu chaque année à des engagements. Quant aux interdictions formelles, elles sont rarissimes. Une seule a récemment été prononcée : le refus de l'acquisition d'oléoducs par Ardian, confirmé par le Conseil d'État il y a quelques semaines.

Lorsqu'aucune solution n'est trouvée à un problème de concurrence, les dossiers sont la plupart du temps retirés.

Nous dialoguons par ailleurs avec la Commission européenne à qui certaines opérations sont renvoyées en raison de leur taille ou de leur dimension européenne. Celle-ci peut également nous transférer des affaires comme ce fût le cas pour les acquisitions de magasins Casino par Auchan. L'Autorité de la concurrence a été considérée plus à même d'examiner des zones de chalandise en France sur du commerce de détail.

L'Autorité de la concurrence a rendu 9 avis consultatifs en 2022 et 20 en 2023, soit le double par rapport à l'année précédente. Le délai nécessaire à la publication d'un avis est en général de 18 mois. Nous nous efforçons d'avancer le plus rapidement possible. Nous nous sommes ainsi fixé un délai de quatre mois pour finaliser l'enquête sur le paysage numérique, le débat public sur ce thème devant rapidement arriver.

Notre instance vient également de s'autosaisir pour un avis dans la grande consommation, secteur marqué par une grande variété de systèmes de notation et de gouvernances. Il s'agit donc de dresser un diagnostic concurrentiel de ces services.

Nous avons également été saisis par le Gouvernement sur des sujets importants comme la réforme du marché des titres restaurant ou le fonctionnement du marché de l'entremise immobilière.

Nous sommes par ailleurs très régulièrement saisis sur des projets d'arrêtés et de décrets.

Le coeur d'activité de l'Autorité de la concurrence, notamment la lutte contre les cartels et les ententes sur les marchés publics, demeure donc stable.

Nous avons ainsi récemment jugé une affaire d'entente dans le secteur de la reconversion des installations nucléaires contre le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), et sommes régulièrement amenés à traiter des dossiers d'abus de position dominante, notamment dans le numérique.

Un certain nombre de ces pratiques seront traitées directement par la Commission européenne sous l'angle du DMA. Mais le champ de cette législation reste étroit : de nombreuses entreprises et services, comme ceux relevant de l'informatique en nuage ou de l'intelligence artificielle, n'y figurent pas. Cette absence est néanmoins justifiée, car il est important de laisser le temps à la réflexion sur tous ces sujets. Ces questions sont par conséquent traitées sous l'angle du droit de la concurrence, soit par la Commission européenne, soit par l'Autorité de la concurrence. Nous avons donc commencé à investiguer ces sujets sur le terrain. Des opérations de visite et de saisie ont été menées contre un grand acteur de la production de cartes graphiques, ce secteur étant un goulot d'étranglement très sensible, tant pour l'intelligence artificielle que pour l'informatique en nuage.

L'Autorité de la concurrence s'investit aussi sur des problématiques émergentes comme le développement durable afin de comprendre les nouveaux marchés qui se créent. J'ai évoqué le marché des bornes de recharge de véhicules électriques. Notre avis sur les transports terrestres a également en partie été traité sous cet angle. Par exemple, la manière dont les appels d'offres sont conduits ou les données partagées peuvent permettre de favoriser l'intermodalité, et ce faisant contribuer aux objectifs de développement durable.

L'Autorité de la concurrence a également lancé une consultation publique pour permettre aux entreprises d'échanger sur la conformité de projets, en termes de droits de la concurrence, contribuant à la transition climatique. Il est rare que nous apportions des rescrits aux entreprises. Cependant, compte tenu de l'importance de l'enjeu environnemental, nous avons souhaité impulser une politique qui soit davantage proactive. De premiers retours positifs nous sont parvenus des entreprises. La version définitive de ce communiqué de procédure sera publiée dans quelques semaines.

Nous disposons enfin d'une série de nouveaux instruments.

Lorsque le projet de loi SREN sera voté, ce que nous espérons, l'Autorité de la concurrence aura en effet la possibilité de mener des enquêtes pour le compte de la Commission européenne dans le cadre du DMA.

Nous avons mis en oeuvre, de manière très concrète, la loi et le décret qui prévoient de nouvelles dispositions sur les lanceurs d'alerte dans des domaines de concurrence. Un guichet, un numéro de téléphone et un espace Internet ont été créés. Ce dispositif a déjà commencé à porter ses fruits. Des signalements ont été émis, lesquels font actuellement l'objet d'enquêtes de l'Autorité de la concurrence.

Enfin, nous avons révisé notre communiqué sur la clémence dans le cadre des cartels.

Je conclurai mon propos par un commentaire qui sera peut-être moins consensuel. La capacité d'intervention de l'Autorité de la concurrence suppose que nous puissions enquêter dans les entreprises et réaliser des opérations de visite et de saisie dans des conditions d'effectivité.

J'ai eu l'occasion de partager avec vos collègues de la commission des lois la très grande préoccupation de notre instance, mais aussi de l'Autorité des marchés financiers (AMF) et de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) vis-à-vis de la proposition de loi du sénateur Louis Vogel visant à garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d'entreprise.

L'octroi d'une immunité aux juristes d'entreprise affecterait très fortement la capacité d'enquête de la CPR, de l'AMF et de l'Autorité de la concurrence dans des domaines aussi importants que les cartels, la lutte contre le blanchiment et l'abus de marché, et affaiblirait l'État dans sa mission de défense de l'ordre public économique. De notre point de vue, cette loi affaiblit donc la souveraineté de l'État.

Je vous prie de m'excuser pour mes mots un peu forts, mais je tenais à vous exprimer mon sentiment dans les mêmes termes que je l'ai fait devant la commission des lois.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci beaucoup, Monsieur le président pour l'ensemble des éléments que vous portez d'ores et déjà à notre connaissance.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Monsieur le président, vous aviez attiré notre attention lors de votre audition préalable il y a deux ans sur la relation structurellement déséquilibrée entre les quelques grandes enseignes de la distribution et leurs fournisseurs, pour beaucoup des TPE-PME.

Ce rapport inégal est exacerbé lorsque les distributeurs unissent leurs forces via des accords de coopération à l'achat. Le terme « à l'achat » est d'ailleurs aujourd'hui un peu contesté : des prix et des volumes sont négociés, mais il n'y a en réalité pas de flux réels de marchandises. Ces accords viennent en fait renforcer leur puissance de négociation. Notre commission s'en était alarmée dès 2014 et avait saisi l'Autorité de la concurrence. Mais ces accords de coopération n'étant ni des fusions ni des concentrations, votre instance ne pouvait exercer de contrôle ex ante systématique à leur égard. C'est la raison pour laquelle nous avons inscrit dès 2015 dans le code du commerce une obligation d'information préalable de l'Autorité de la concurrence pour tout accord de rapprochement à l'achat qui dépasse certains seuils de chiffre d'affaires.

Lors de l'adoption de la première loi Egalim en 2018, dont j'étais la rapporteure, nous avons renforcé cette obligation d'information en précisant qu'elle devait avoir lieu quatre mois avant la mise en oeuvre de l'accord. Nous avons également prévu une procédure spécifique de bilan concurrentiel qui permet à votre autorité de mesurer les risques d'atteinte à la concurrence liés à la mise en oeuvre de ces accords. Quel bilan faites-vous à ce jour de ce dispositif ? Est-ce qu'il vous semble plus adapté pour faire face à la diversité des situations ?

Nous avons observé ces derniers temps qu'une partie grandissante de ces rapprochements dits à l'achat surviennent à l'échelle européenne. Comment s'articule le droit français avec les contrôles mis en oeuvre par la Commission européenne, notamment au vu des aménagements de juin dernier quant à ses lignes directrices sur tous ces accords horizontaux ?

Je souhaiterais enfin rebondir sur votre intervention à propos des jeux en ligne et vos observations sur la Française des jeux (FDJ). Aviez-vous bien à l'esprit le risque de position dominante de la FDJ vis-à-vis du PMU (lequel exerce, je le rappelle, une mission d'intérêt général au service de la filière hippique) ? Il conviendrait donc que l'avenir du PMU soit bel et bien préservé par rapport aux ambitions de déploiement de la FDJ.

M. Benoît Coeuré. - Nous étions en effet conscients de ce risque. Les engagements que nous avons demandé à la FDJ lors de l'acquisition de ZEturf reflètent notre vigilance croissante vis-à-vis du groupe, compte tenu de la montée en puissance de sa politique d'acquisition. Nous avons négocié avec la FDJ ce cadre de séparation entre les activités sous monopole et les activités commerciales après consultation du secteur.

Je ne suis néanmoins pas certain que le PMU sera d'accord avec ces propos puisqu'il semble toujours contester cette opération. Nous l'avons en tout cas réalisé après consultation et dialogue avec le secteur, y compris avec le PMU, de manière à protéger les concurrents de la FDJ. Plus la FDJ grossira, plus nous serons vigilants. Cette surveillance fait partie de notre ADN. Nous aurons l'occasion d'en discuter à l'occasion de la prochaine acquisition de la FDJ que nous prévoyons d'examiner.

S'agissant des relations avec les fournisseurs et les coopérations à l'achat, les dispositions prévues dans la loi me semblent pertinentes puisqu'elles nous permettent d'intervenir en amont, lors de la constitution des centrales.

Compte tenu de la recomposition très forte du secteur autour des magasins Casino, des répercussions sur les coopérations à l'achat sont à prévoir. Lorsque le paysage sera un peu stabilisé, nous pourrons dresser un nouveau bilan sous forme d'avis, que ce soit à votre initiative ou par autosaisine. Les dispositions prévues dans la loi nous permettent d'émettre un avis et de nous exprimer sur les rapports de force à l'amont. L'Autorité de la concurrence avait d'ailleurs émis des réserves quant à certaines dispositions qui risquaient d'affecter de manière disproportionnée les petits producteurs. D'ici là, si vous estimez qu'une nouvelle photographie du secteur s'impose urgemment, vous pouvez bien entendu nous saisir.

Concernant la dimension européenne, si l'Autorité de la concurrence a pu avoir des réserves sur certains aspects de la loi Egalim, les dispositions de la loi Descrozaille quant au respect du droit français sont absolument incontestables. Nous pourrons le rappeler à la Commission européenne si l'occasion se présente, mais nous ne sommes pas directement compétents.

M. Franck Montaugé. - Pouvez-vous nous expliquer comment la question de la souveraineté nationale est prise en compte dans vos contrôles et dans vos décisions ?

Dans les secteurs stratégiques industriels comme celui du nucléaire, nous avons par exemple constaté que les Gafam, en l'occurrence Amazon Web Services, prennent des positions commerciales importantes qui pourraient en préfigurer d'autres plus délicates pour notre souveraineté industrielle énergétique.

Mme Viviane Artigalas. - Vous nous avez dit que le soutien au pouvoir d'achat des consommateurs fait partie de vos objectifs et j'ai cru comprendre que vous portiez une attention particulière aux outre-mer. Alors que l'augmentation exponentielle des billets du transport aérien vers les Antilles compromet la continuité territoriale des outre-mer, où en sont vos investigations sur ce sujet et quelles solutions pourraient être proposées ?

J'ai également vu que vous aviez lancé une instruction particulière sur le fonctionnement du port de Longoni à Mayotte. Pourriez-vous m'en dire plus ?

M. Jean-Claude Tissot. - La filière laitière traverse malheureusement une période compliquée, que ce soit Lactalis, qui vient d'être accusé d'une évasion fiscale de grande ampleur, ou Savencia, qui a vu ses usines bloquées par des agriculteurs protestant contre le prix d'achat du lait. Les actualités ne manquent pas pour les grands groupes, au détriment bien souvent des paysans. On se rappelle également de l'affaire particulièrement grave du cartel du yaourt en 2015. Plus récemment, en 2022, l'Autorité de la concurrence a mené plusieurs opérations de contrôle chez des acteurs de la filière afin de clarifier certaines pratiques anticoncurrentielles. Est-ce un marché que vous continuez de suivre de près ? Quel bilan tirez-vous des contrôles de 2022 ? De nouvelles pratiques anticoncurrentielles ont-elles été mises en avant depuis ?

M. Benoît Coeuré. - Je ne vais malheureusement pas pouvoir vous répondre dans le détail aux questions sur l'outre-mer et sur la filière laitière. Ces dossiers se trouvent actuellement à l'instruction et n'ont pas encore été délibérés par le Collège de l'Autorité. Certains n'ont même pas fait encore l'objet de notifications de grief par le rapporteur général.

L'instruction de ces dossiers est longue même si, depuis le vote du Parlement, la procédure prévoit désormais un seul tour de contradictoire écrit, contre deux jusqu'à récemment.

Après les opérations de visite et de saisie, les rapporteurs travaillaient pour identifier les griefs notamment en auditionnant des acteurs. Une notification de grief était ensuite envoyée à l'entreprise qui pouvait répondre. Puis, le rapporteur général répondait à son tour à l'entreprise qui renvoyait ses observations sur le rapport. Au terme de l'ensemble de ces échanges, le dossier parvenait au Collège que je préside pour décision. Il s'agit d'un long processus par ailleurs souvent émaillé d'incidents de procédure.

La nouvelle procédure va donc contribuer à raccourcir les délais.

Les services d'instruction suivent en tout cas de très près la filière laitière et des biens de consommation alimentaire. L'affaire du bisphénol A que j'évoquais a été jugée et d'autres sont à l'instruction. Il faut également prendre en compte les délais des procédures d'appel. Par exemple, la Cour d'appel ne s'est prononcée que la semaine dernière concernant le cartel du jambon, en confirmant en partie nos décisions.

J'ai rencontré l'année dernière à plusieurs reprises les ministres chargés des outre-mer et nous discutons étroitement avec la DGCCRF. J'ai plaidé auprès du Gouvernement, du ministre de l'outre-mer et du ministre des finances pour un renforcement, non pas de nos moyens, mais des moyens de la DGCCRF en outre-mer. Il me semble que la commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales avait fait la même recommandation pour renforcer notre capacité d'enquête dans ces territoires.

Nous essayons donc d'être le plus actif possible. Des opérations de visite et de saisie ont eu lieu dans le transport aérien aux Antilles et dans le domaine des câbles. Le dossier du port de Longoni est lui aussi encore à l'instruction.

Le flux d'affaires lié à la mise en oeuvre de la loi Lurel est en train de se tarir maintenant que l'interdiction des exclusivités d'importation commence à être bien intégrée.

Le règlement de plusieurs affaires, particulièrement longues et complexes, en contrôle des concentrations en outre-mer, notamment à La Réunion, s'est par ailleurs avéré laborieux du fait de l'étroitesse des marchés et de la difficulté à trouver des acheteurs.

Si le droit de la concurrence n'est pas un instrument au service de la souveraineté, nous sommes conscients de ces enjeux dont nous discutons avec les administrations concernées.

Les contrôles de concentration dans le secteur de la défense font systématiquement l'objet de dialogues avec la Direction générale de l'armement ou le ministère de la défense. Nous avons également demandé à la Commission européenne, en accord avec le gouvernement, de reprendre le dossier du rachat des turbines Arabelle par EDF au vu des enjeux stratégiques tant pour EDF que pour le développement de la filière nucléaire.

Par ailleurs, nous n'avons pas récemment été amenés à traiter de contentieux dans le secteur de la défense ou du nucléaire. La question ne s'est donc pas posée à ce niveau.

La dimension de la souveraineté est en revanche très présente dans nos activités consultatives.

Par exemple, l'avis de l'Autorité de la concurrence sur l'informatique en nuage contient des développements détaillés sur le développement du label SecNumCloud et les perspectives de négociations européennes concernant le cloud souverain en Europe et vise à trouver un équilibre entre les considérations de concurrence et les impératifs stratégiques.

Les problématiques de concurrence nous ont ainsi amenés à nuancer notre diagnostic concernant SecNumCloud. Si, d'un point de vue stratégique, ce référentiel est essentiel pour protéger nos données sensibles, il cantonne les services de cloud a un marché national. Les entreprises peuvent donc se montrer hésitantes à aller vers un cloud souverain qui ne leur apportera pas la diversité des services offerts par un acteur mondial. L'Autorité de la concurrence a donc estimé qu'un label européen permettrait de concilier les impératifs économiques et stratégiques. Cependant, la réalité est que beaucoup de pays ne veulent pas d'un cloud souverain européen.

M. Franck Menonville. - Avec la Commission de régulation de l'énergie, vous avez adressé au Gouvernement un courrier contenant des propositions pour garantir une concurrence équitable dans la mise en oeuvre de la réforme du marché de l'électricité. Pourriez-vous nous en détailler les grands principes ?

Comment faites-vous la différence entre entente, position dominante et risque de non-concurrence ? Créer des groupes nationaux à dimension internationale, quand notre pays affiche 100 milliards d'euros de déficit commercial, représente aussi un enjeu stratégique pour notre pays.

M. Daniel Gremillet. - Ma première question porte sur les négociations commerciales relatives aux matières premières agricoles (MPA) et industrielles (MPI). Il y a eu beaucoup de communication sur le renforcement des contrôles. L'Autorité de la concurrence se limite-t-elle à s'assurer que seule la MPA est bien appliquée (sachant que le prix final de la transaction comprend la MPA et la MPI) ?

Le dossier collecte laitière à travers les territoires concerne-t-il la partie entente d'entreprise ? Dans certaines zones, un seul camion passe pour diminuer les frais kilométriques et les émissions de gaz à effet de serre. J'aurais besoin d'être rassuré afin d'être bien certain que l'instruction ne porte pas sur ces accords de collecte. Si c'est le cas, certains producteurs pourraient se retrouver en grande fragilité. D'autant qu'avec cet accord, les producteurs restent complètement indépendants de l'entreprise.

Vous avez évoqué le démantèlement du nucléaire. Un sujet de la même importance va se poser concernant les constructions des nouvelles centrales. La France a perdu des compétences. Peu d'entreprises seront en capacité de construire en série afin de garantir la compétitivité. La marge de manoeuvre pour interpréter une situation dominante et concurrentielle dans le domaine du démantèlement, mais surtout de la construction ne risque-t-elle pas d'être difficile à trouver ?

M. Serge Mérillou. - Dans votre feuille de route 2024-2025, vous dites attacher une grande importance aux produits de grande consommation. L'Autorité de la concurrence est là pour garantir le respect du jeu de la concurrence, lequel est censé bénéficier aux consommateurs. Dans un avis consultatif de novembre 2023 sur le fonctionnement concurrentiel du secteur des transports terrestres, vous soulignez les obstacles à l'arrivée de nouveaux acteurs, notamment étrangers, sur ce marché. Comment redynamiser ce secteur sans affaiblir notre opérateur historique national, la SNCF, en particulier sur les lignes les moins rentables ? Plus globalement, quelle est votre marge d'action dans les secteurs en quasi-monopole ?

M. Benoît Coeuré. - Je vais commencer par répondre à la question du sénateur Franck Menonville. J'ai effectivement écrit à la Première ministre, conjointement avec la présidente de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), concernant un projet de loi qui avait été soumis à des consultations. Cette lettre date du mois de décembre et le texte semble depuis avoir été renvoyé dans les limbes.

Nous estimions cette réforme positive dans ses grandes lignes et ses objectifs visant à sortir d'un prix réglementé, l'ARENH. Ce dispositif a eu des effets bénéfiques pour animer la concurrence sur le marché de la distribution, mais aussi de nombreux effets pervers et un lourd impact financier sur EDF.

Elle consiste à sortir de l'approche fondée sur le contrôle du prix en se dotant de mécanismes davantage basés sur deux types de marchés :

- un marché de l'électricité relativement standardisé, les « rubans », pour des contrats à court terme destinés à tous les acteurs ;

- des contrats de plus long terme de participation dans le nucléaire qu'EDF signerait avec seulement quelques partenaires.

Cette réforme va permettre à EDF de reprendre, d'une certaine manière, le contrôle de son destin. Négociée très difficilement avec la Commission européenne, l'instauration de l'ARENH avait nécessité une intervention très forte de l'État sur ce marché.

Avec cette réforme, on purge donc la problématique de l'aide de l'État pour faire reposer sur EDF la responsabilité de l'animation du marché, augmentant les risques d'abus de position dominante. Il incombe donc à EDF de faire en sorte que cela ne se fasse pas dans des conditions discriminantes.

Le problème ne se pose pas pour le marché de court terme des rubans qui sera très concurrentiel.

En revanche, nous voulons être certains que les contrats de partenariat seront ouvertement accessibles et que l'État ne délègue pas à EDF le choix des clients qui vont bénéficier d'une électricité bon marché pour leur politique industrielle.

Avec la CRE nous demandons au Gouvernement d'instaurer dès le début des garde-fous clairs de transparence et de non-discrimination pour que le marché puisse démarrer sur de bonnes bases. Nous ne voulons pas avoir à intervenir au contentieux, saisis dans six mois par un concurrent d'EDF, avec des mesures conservatoires ou des injonctions qui perturberont le fonctionnement du marché.

Le Gouvernement comprend très bien notre objectif et la discussion est tout à fait apaisée. Nous attendons néanmoins d'en savoir plus sur ses projets.

S'agissant des matières premières agricoles (MPA) et industrielles (MPI), la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) est compétente sur les sujets relatifs aux contrôles de la mise en oeuvre de la loi Egalim et non l'Autorité de la concurrence. Je ne peux donc pas vous répondre.

Je ne peux malheureusement pas non plus m'exprimer sur le sujet de la collecte laitière, ce dossier se trouvant encore à l'instruction. J'en ignore les détails, conformément au principe de séparation des fonctions d'instruction et de décision. J'ai néanmoins bien noté votre inquiétude d'une possible mise en danger de la filière et vous propose d'en reparler lorsque le dossier me sera revenu.

Le marché du démantèlement du nucléaire n'est pas en position dominante. Nous sommes intervenus face à un cartel d'acteurs de la construction, notamment des branches spécialisées dans la manipulation des matériaux nucléaires de Bouygues et de Vinci qui apparaissent dans la décision publique. Nous leur reprochons de s'être entendus, mais il ne s'agit pas d'un abus de position dominante.

La problématique de la construction nucléaire est très différente. La construction sera pilotée par EDF qui est en position dominante.

Il convient de rappeler qu'en droit de la concurrence, la position dominante n'est en elle-même pas contestable. De nombreux marchés engendrent, de par leur structure, des situations de monopoles naturels. En revanche, l'abus de position est condamnable.

La construction des nouvelles centrales va donc faire émerger une problématique majeure d'aide d'État qui devra faire l'objet d'une discussion entre EDF, le Gouvernement français et la Commission européenne.

Nous avons publié un avis très conséquent sur l'ouverture à la concurrence et son fonctionnement dans le domaine du transport terrestre. Cet avis englobe à la fois les secteurs librement organisés comme le TGV Paris-Lyon, des appels d'offres des collectivités territoriales sur les transports locaux (TER, bus, etc.) et d'autres modes de transport (VTC, taxis) sous l'angle de l'animation de la concurrence et des difficultés.

Nous avons identifié un certain nombre de raisons qui empêchent de nouveaux acteurs de rentrer dans ce secteur.

Tout d'abord, alors que l'ouverture du marché des TER débute, les collectivités territoriales vont être confrontées à des besoins très importants en matière de structuration et de coordination et auront probablement besoin de soutien pour concevoir ces appels d'offres. Or le marché du conseil dans ce secteur étant limité, il est à craindre que les collectivités territoriales ne puissent aborder dans de bonnes conditions cet enjeu de l'ouverture à la concurrence.

Une grande partie de nos recommandations portent sur la séparation effective de SNCF réseau, SNCF voyageurs et SNCF gare et connexion. L'Autorité de la concurrence ne conteste pas le cadre juridique. Cependant, et alors que les fonctions de réseau et de services de transport ont été réintégrées au sein de la même entreprise, il convient de veiller à ce que leurs objectifs demeurent séparés. SNCF Réseau doit être prêt à accueillir et à accompagner l'ouverture à la concurrence. Or un certain nombre d'écueils se dessinent, bien connus des acteurs du secteur, liés à l'organisation interne de la SNCF et de certains services (maintenance, formation, etc.).

Il est essentiel de se donner les moyens de faire entrer de nouveaux acteurs, au risque de se condamner à une situation non concurrentielle.

Une ouverture trop grande à la concurrence présente des risques, mais aussi des avantages. Si l'exemple britannique, régulièrement invoqué, n'a pas été un franc succès, en Espagne et en Italie, ce processus a permis d'accompagner le développement du trafic et donc de « resolvabiliser » le financement du réseau pour que les investissements ne reposent pas uniquement sur l'opérateur historique.

Nous avons, au fond, le choix entre deux approches. La première, malthusienne, et malheureusement adoptée ces vingt dernières années, consiste à mettre des bâtons dans les roues aux nouveaux entrants. L'État se retrouve ainsi condamné à financer les investissements dans le réseau, soit directement, soit en ponctionnant les résultats de la SNCF. On se prive alors de la possibilité de développer l'offre de services ferroviaires à un moment où la demande est très forte, pour des raisons notamment de transition climatique. La seconde fait davantage confiance à la concurrence. Nous gageons que l'arrivée de nouveaux entrants, régulée et encadrée, à l'instar de l'Italie et de l'Espagne, apportera sans doute une partie de la solution au financement de la rénovation du réseau.

M. Gilbert Favreau. - Compte tenu de la chute vertigineuse des sanctions sur les deux années précédentes, comment imaginez-vous pouvoir les augmenter en 2024 ? Certes, les facteurs inhérents à la période actuelle, une inflation marquée et de plus en plus de concentration, sont susceptibles de favoriser les infractions. Quel lien voyez-vous entre le volume de ces amendes et le contexte très particulier de l'année 2024 ?

M. Yves Bleunven. - Je souhaiterais revenir sur votre intervention liminaire. Monsieur le Président, vous n'avez pas abordé le problème des coûts de la construction et, entre autres, l'indice des coûts de matériaux de la construction.

Nous traversons une crise du logement sans précédent et aux causes multiples. Outre le foncier et le prix de l'immobilier, la montée en flèche des coûts des matériaux de construction constitue un problème majeur. Or, l'on assiste dans ce domaine à une concentration des opérateurs. Lors des assises du bâtiment, le ministre de l'économie Bruno Le Maire avait annoncé la création d'un indice. Vous aviez alors été sollicité. Où en êtes-vous dans ce dossier ?

M. Yannick Jadot. - On observe une concentration très importante dans l'édition en lien, dans le cas des groupes Bolloré et Kretinsky, avec l'information. Il s'agit donc d'une double concentration qui touche à des enjeux très forts de production intellectuelle avec, pour ce qui est du groupe Bolloré, une dimension idéologique évidente. Il était à un moment question de faire rentrer l'édition dans le cadre législatif de concentration des médias. Avez-vous pu mener cette réflexion ? Comment travaillez-vous sur ce secteur de l'édition ?

M. Benoît Coeuré. - Notre mission principale ne consiste évidemment pas à maximiser le montant des amendes. Nous sommes compétents pour juger des infractions au droit de la concurrence. Notre action se base sur un communiqué de procédure relatif à la méthode de détermination des sanctions. Ce document permet de sécuriser juridiquement les entreprises.

Les montants annuels sont en réalité très granulaires, car ils résultent d'affaires très lourdes. Par exemple, sur les 468 millions d'euros d'amendes en 2022, 300 millions concernaient un ancien dossier portant sur l'utilisation des données des tarifs réglementés à des fins commerciales par EDF.

Les montants des amendes demeurent également largement tributaires des décisions de la Cour d'appel qui les réduit toujours, mais ne les augmente jamais. Les entreprises font très souvent appel, la diminution moyenne espérée leur permettant de couvrir leurs frais d'avocat.

Je ne peux pas m'exprimer sur les amendes correspondant à des sanctions qui n'ont pas encore été prononcées. Ce serait contraire au droit de la défense et au principe du contradictoire devant le Collège. Certaines affaires ont en revanche déjà été jugées, mais n'ont pas encore été rendues publiques, ce qui me permet d'affirmer que les montants seront beaucoup plus importants en 2024.

Le Gouvernement nous avait effectivement saisis pour avis sur un projet public d'élaboration d'un indice du coût de la construction avec une nomenclature très détaillée, matériau par matériau, dans des secteurs très concentrés. Cette approche posait un double problème, de fiabilité statistique et de concurrence. L'INSEE avait tenté de concevoir une maquette de cet indice. Or, il s'est avéré que, pour de nombreux secteurs, les informations n'étaient soit pas disponibles soit pas fiables.

Nous avions estimé cela problématique également sous l'angle de la concurrence, le risque étant que les entreprises coordonnent leurs prix. Nous étions donc très réservés sur ce projet compte tenu du peu d'informations et du degré de concentration des secteurs et de granularité qui était envisagé par le Gouvernement. Nous avons exprimé nos réticences à M. Le Maire et n'avons plus entendu parler de ce sujet par la suite. Je ne sais pas où en est cette réflexion aujourd'hui.

J'élargirai ma réponse à la question sur l'édition au secteur de la communication et de l'information en général. Nous avons eu l'occasion d'aborder ce sujet sous divers angles. Tout d'abord en contrôle des concentrations.

L'opération que vous avez mentionnée n'a pas été contrôlée par l'Autorité de la concurrence, mais par la Commission européenne. Nous n'avons donc pas eu l'occasion d'étudier en détail le dossier.

Lorsque des opérations présentant un enjeu de diversité de l'information nous arrivent, nous prenons toujours en compte cet aspect en faisant une distinction subtile entre la diversité, qui est un paramètre de concurrence, et le pluralisme qui relève de la compétence de l'Arcom dans l'audiovisuel.

L'Autorité de la concurrence a par exemple récemment autorisé l'acquisition d'OCS par Canal+. Nous sommes arrivés à la conclusion que cette opération renforcerait la position du groupe dans le financement de la production de films français. Il n'était pas souhaitable que la quasi-intégralité de la production des films français soit financée par le même opérateur.

Nous avons donc imposé à Canal+ des engagements de maintien de la diversité dans le financement de la production, à la fois en termes de montant de financement, mais aussi de variété des films financés. Parmi ces conditions figurait par exemple un engagement de financement de plus petits budgets et à faire financer par OCS des films qui auraient été refusés par Canal+.

Lorsque nous avons instruit le projet TF1-M6, l'impact qu'aurait eu la fusion sur la diversité du financement des films français, et des programmes de divertissement a également fait partie de nos réflexions même si ce n'était pas l'angle principal. Notre préoccupation portait avant tout sur les enjeux liés à la publicité et les répercussions que cette opération aurait eu sur les entreprises françaises.

Quand nous avons autorisé, il y a quelques années, des consolidations importantes dans la presse quotidienne régionale, nous avions imposé des engagements de maintien de rédactions séparées au titre des engagements devant l'Autorité de la concurrence. Nous le ferons à nouveau si nécessaire.

Nous avons participé à la réflexion avec l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle (Arcom), l'Inspection générale des finances et l'Inspection de la culture sur les régimes de concentration dans l'audiovisuel. Comme je l'ai redit devant les états généraux de l'information, nous sommes plutôt favorables à la création d'un régime de concentration spécifique dans les médias à la main de l'Arcom qui soit complémentaire du régime de concentration du droit de la concurrence.

Nous sommes enfin très attentifs au maintien de l'équilibre économique du secteur de l'information et à ce qu'on peut malheureusement qualifier de captation de valeur par les grandes plateformes, notamment dans la publicité en ligne, au détriment des plateformes d'information.

Notre intervention dans la publicité en ligne, notamment nos décisions historiques contre Google puis Meta, vise aussi à rééquilibrer le partage de la valeur. Le cadre de négociation que nous avons imposé entre Google et les éditeurs sur les droits voisins y contribue par ailleurs.

Comme évoqué précédemment, nous serons très attentifs à la manière dont l'utilisation des contenus de presse dans l'intelligence artificielle peut affecter cet équilibre.

M. Yannick Jadot - Qu'en est-il de l'édition ?

M. Benoît Coeuré. - Peu de dossiers sont arrivés chez nous dans ce domaine. Les opérations autour d'Editis ont été traitées par la Commission européenne. Nous avons été chargés de l'acquisition de la Provence par M. Saadé. Ce dossier ne posait pas de problèmes majeurs de concurrence puisque CMA-CGM n'était pas un acteur fort dans le domaine des médias. Pour l'instant, nous n'avons donc pas eu l'occasion d'intervenir dans ce secteur.

Mme Annick Jacquemet. - Je souhaiterais revenir au contexte de la crise agricole actuel. Que pouvez-vous nous dire du respect du droit de la concurrence dans le secteur agroalimentaire ? Des pratiques déloyales sont-elles observées fréquemment dans ce domaine ? Si elles existent, dans quelles proportions ces dernières engendrent-elles des hausses de prix artificielles des produits alimentaires, lesquelles sont particulièrement problématiques si elles grèvent le pouvoir d'achat de nos concitoyens, sans pour autant bénéficier aux agriculteurs ?

M. Philippe Grosvalet. - Nous avons parlé d'électricité, mais une autre question est au coeur de la transition écologique : l'eau. Deux ans après l'offre public d'achat (OPA) de Veolia sur Suez, quelle influence cette opération peut-elle avoir sur la capacité de nos collectivités à engager un nouveau modèle hydraulique qui soit davantage basé sur les économies réalisées plutôt que sur la consommation, notamment de nos entreprises ?

Mme Sylviane Noël. - Dans un avis du 2 juin 2023, l'Autorité de la concurrence recommande au Gouvernement d'envisager une réforme visant à renforcer la protection économique des consommateurs et à assouplir les conditions d'exercice de l'activité d'entremise immobilière. Elle propose également de créer une fiche récapitulative standardisée du dossier de diagnostic technique (DDT) qui sera fournie au moment de la négociation sur le prix.

Cette décision a fait couler beaucoup d'encre et a suscité un grand étonnement dans la profession qui s'estime injustement pointée du doigt. En effet, le secteur de l'immobilier en France est l'un des marchés les plus concurrentiels. Chaque client a la liberté de vendre son bien directement par le biais de plateformes spécialisées ou en passant par un prestataire immobilier qu'il aura librement choisi, par affinité ou en fonction du niveau de prestation attendu, de la rémunération qu'il acceptera de lui verser et des garanties qui lui seront apportées. Le client a donc la liberté de choix, puisque 75 % d'entre eux décident de passer par un agent immobilier.

J'aurais donc souhaité connaître les raisons qui ont conduit l'Autorité de la concurrence à rendre une telle décision ?

M. Benoît Coeuré. - S'agissant de l'entremise immobilière, il ne s'agit pas d'une décision, mais d'un avis rendu à la demande du Gouvernement sur les conditions de fonctionnement de ce marché. La comparaison des taux de commissions d'entremise immobilière (il ne s'agit évidemment pas des frais de notaire ou de la partie fiscale, mais des commissions d'agence) entre la France et les autres pays européens révèle que notre pays se situe vraiment dans le haut de la fourchette par rapport à la moyenne européenne, qui plus est dans un contexte de doublement des prix immobiliers sur dix ans.

Cela représente donc une ponction sur le pouvoir d'achat des ménages. Nous nous sommes interrogés sur la manière de renforcer le pouvoir de négociation des acheteurs et des vendeurs face à leur agence immobilière. La plupart de nos recommandations visent à renforcer la transparence sur la structure des coûts et à faire en sorte que ces derniers puissent décider des prestations qu'ils veulent demander à leur agence et de celles qu'ils souhaitent réaliser seuls ou avec un autre partenaire. Il s'agit donc de mieux décomposer les aspects de la prestation et de gagner en transparence au niveau de la tarification de ses différentes composantes (visite, conseil, diagnostics, etc.). L'objectif est donc de redonner des armes à l'acheteur et au vendeur pour qu'ils se trouvent dans la meilleure position possible au moment de la négociation du tarif avec l'agence.

S'agissant de l'OPA de Veolia sur Suez, cette opération a été examinée par la Commission européenne. Nous n'avons donc pas récemment étudié le secteur de l'eau. Nous avons été saisis par le Gouvernement sur de nombreux autres sujets et sommes contraints de choisir nos priorités. Cette question demeure néanmoins importante pour les collectivités locales et les Français en général. Un jour, il faudra bien sûr y revenir.

Concernant les hausses de prix alimentaires et agroalimentaires, des opérations ponctuelles ont été menées par les services d'instruction pour observer les pratiques chez certains opérateurs ou organisations professionnelles. Je ne peux pas fournir ici de détails parce que ces affaires sont à l'instruction.

D'une manière générale, l'Autorité de la concurrence a toujours soutenu l'objectif de la loi Egalim qui est de sécuriser les revenus des producteurs.

Cependant, l'approche consistant à faire remonter de la valeur du consommateur vers le producteur, est pour le moins risquée. En effet, l'examen des taux de marge des différents acteurs du secteur (l'exercice a été réalisé à deux reprises par l'Inspection générale des finances dans la chaîne de valeur agroalimentaire) révèle que, bien souvent, la valeur s'arrête en chemin et reste captive au niveau des industries agroalimentaires, sans remonter au producteur.

Mme Marianne Margaté. - Nous voyons bien que si l'inflation décroît sur les prix alimentaires, ces derniers restent malgré tout très élevés et peu supportables pour bon nombre de nos concitoyens, encore plus en période de fête. Les prix explosent et les prix des produits de première nécessité sont totalement hors de contrôle. Vous avez affirmé qu'identifier des secteurs d'où proviennent ces profits excessifs est « une priorité collective ». Où en êtes-vous de vos investigations à ce sujet ?

Mme Micheline Jacques. - Les territoires ultramarins régis par l'article 73 de la Constitution sont mobilisés contre la réforme de l'octroi de mer annoncée par le Gouvernement, incriminant justement cette taxe à l'origine de la cherté de la vie. Les élus des territoires concernés la contestent unanimement et déplorent qu'aucune étude approfondie n'ait été réalisée et une certaine opacité sur la constitution des prix. La mise en oeuvre du bouclier qualité-prix en application de la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer ne semble pas efficace. Quel bilan faites-vous de ce dispositif et comment sont effectués les contrôles dans les territoires ultramarins ?

M. Alain Cadec. - La Cour d'appel de Paris a confirmé la condamnation du cartel du jambon et de la charcuterie pour des ententes sur les prix, mais a réduit de manière significative l'amende, qui est passée de 93 millions d'euros à 39 millions d'euros. La Cooperl, dont le siège se trouve dans mon département, a donc écopé de 13 millions d'euros au lieu de 35 millions d'euros.

Comment l'Autorité de la concurrence reçoit-elle cette décision ?

Mme Sophie Primas. - Comment déterminez-vous le marché pertinent pour définir s'il y a abus de position dominante ou fraude ? Dans le cas du projet de fusion entre TF1 et M6, l'argument des deux chaînes, en particulier TF1, pour contester le risque d'abus de position dominante était de considérer comme marché pertinent l'ensemble des supports de communication sur lesquels s'exprime la publicité et non uniquement le marché de la télévision.

M. Benoît Coeuré. - La définition des marchés pertinents est un débat ancien. On se souvient des discussions lors de l'interdiction de la fusion Alstom-Siemens sur la pertinence d'inclure ou non les constructeurs chinois dans ce marché.

L'approche que nous essayons de suivre est fondée sur la substituabilité pour l'acheteur. Deux entreprises sont considérées comme appartenant au même marché lorsque leurs produits sont substituables.

Nous n'avons pas d'avis a priori au moment d'aborder un dossier. Concernant le projet de fusion entre TF1 et M6, il s'agissait de définir le périmètre du marché de la publicité sur la télévision gratuite. Nous avons réalisé un test de marché en interrogeant des milliers d'acteurs du secteur, notamment tous les annonceurs et les régies publicitaires. Dans leur très grande majorité, ils nous ont confirmé qu'une publicité diffusée à la télévision à une heure de grande écoute n'est pas substituable avec une publicité sur YouTube et même sur Netflix. Les publicités sur YouTube sont beaucoup plus courtes et jouissent d'une audience nettement moins importante puisqu'elles ne bénéficient pas de l'effet fédérateur propre à la télévision.

En revanche, la question de la substituabilité avec des publicités sur Netflix ou Amazon a fait l'objet de discussions très approfondies. Nous avons constaté qu'elles étaient encore assez peu développées. Cet argument n'était pas nécessairement pertinent étant donné que ces publicités sont amenées à se développer dans les années à venir. Les chiffres sur Netflix comme sur Amazon n'ont pourtant pas explosé depuis. L'offre avec publicité sur Netflix ne demeure pas majoritaire et reste encore très limitée. Les programmes grand public et fédérateur sur Amazon Prime n'atteignent pas les mêmes chiffres d'audience cumulée que ceux de la télévision. Nous avons donc conclu, sur la base des analyses que nous a présentées le secteur, que le marché n'avait pas suffisamment changé. Si vous me posiez la même question aujourd'hui, je vous répondrais que nous n'avons probablement encore pas suffisamment d'éléments pour émettre un avis différent d'il y a deux ans. Mais cela pourrait changer à l'avenir.

Le projet de fusion entre TF1 et M6 découlait d'ailleurs de la volonté de l'opérateur européen Bertelsmann, qui comptait des chaînes télévisées en France, en Belgique et aux Pays-Bas, de vendre ses activités dans ces pays pour se recentrer sur l'Allemagne. Le même nous demande ensuite de prendre en compte le marché au niveau européen alors que ce n'est pourtant pas sa stratégie.

Un débat identique existe dans le secteur des télécoms où les industriels, afin de pouvoir fusionner, appellent à changer la définition du marché tout en affirmant que les marchés allemand ou italien diffèrent du marché français.

Je pense qu'il est en effet souhaitable d'avoir des opérateurs européens forts à condition au préalable que la réalité du marché change. Il convient notamment de mettre en place des initiatives réglementaires pour accélérer l'intégration du marché des télécoms en Europe.

Dans notre avis rendu en 2019 sur les économies ultramarines, nous étions arrivés à la conclusion que le niveau des prix était beaucoup plus élevé en outre-mer qu'en métropole. Ce constat a été confirmé l'an dernier par une enquête de l'INSEE sur ce thème. L'octroi de mer n'apparaît pas comme la composante la plus importante. Les facteurs géographiques d'accès au port ou de coûts de transport étaient aussi impactants, ce qui nous avait amenés à émettre plusieurs recommandations telles que la facilitation de la vente en ligne dans les outre-mer.

L'Autorité de la concurrence ne fait pas de macroéconomie et de statistiques. L'étude des taux de profit et de marge est réalisée par l'INSEE et parfois aussi par l'Inspection des finances.

Nous pouvons intervenir de manière ciblée sur des secteurs où nous soupçonnons des pratiques ayant pu conduire à augmenter les prix. C'est le rôle des services d'instruction.

Ce propos m'amène, Madame la présidente, à une dernière réflexion. Le Gouvernement semble vouloir présenter une loi de modernisation économique sur les profits excessifs. C'est pour nous une occasion unique d'étendre ce débat à un ensemble plus vaste de secteurs. Nous avons l'intention de nous impliquer dans cette discussion et de faire des propositions pour identifier des secteurs où l'on peut reprendre du pouvoir d'achat et le rendre au consommateur.

Je ne porterai pas de jugement de valeur sur ce que fait la Cour d'appel qui est mon instance de contrôle. Très souvent, et heureusement, la Cour d'appel confirme nos sanctions. Il lui arrive de les réduire parce qu'elle n'est pas d'accord avec un des griefs que nous avons retenus (le jugeant trop faible ou estimant que les preuves sont insuffisantes), mais parfois également de considérer, même lorsqu'elle reconnaît le grief, que la sanction est excessive.

À titre d'exemple, les 1,1 milliard d'euros de sanctions décidés contre Apple ont été divisés par trois - un des griefs a été abandonné et la sanction appliquée pour les autres griefs jugée excessive.

D'après la loi, les amendes de l'Autorité de la concurrence peuvent représenter jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires mondial d'une entreprise.

Le montant des sanctions prises contre Apple représentait moins de 1% du chiffre d'affaires mondial du groupe. La Cour d'appel a manifestement estimé ce montant excessif et l'a réduit à 0,3 %.

L'intention du législateur, qui est de permettre à l'Autorité de la concurrence d'appliquer une sanction pouvant atteindre 10 % du chiffre d'affaires mondial, n'est donc en pratique jamais mise en oeuvre. La Cour d'appel le conteste souvent, au risque de créer des inégalités entre les entreprises. Il est à craindre que l'on réduise les sanctions contre de grands groupes parce que les montants sont très élevés, sans appliquer ce raisonnement à de plus petites entreprises. Celles-ci pourraient alors être sanctionnées plus durement. Si l'on en arrive là, ce sera problématique.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci beaucoup Monsieur le président de nous avoir consacré autant de temps et d'avoir répondu aussi précisément à l'ensemble des questions de nos collègues et des commissaires. Merci et nous vous souhaitons une bonne journée.

M. Franck Montaugé. - Le groupe socialiste a proposé il y a quelques semaines, dans le cadre de la crise agricole, la constitution d'une commission d'enquête qui traiterait de la question de la formation de la valeur et de sa répartition entre le producteur, l'agriculteur jusqu'au consommateur. Je pense que ce sujet est important et mériterait d'être objectivé autant que possible. Une commission d'enquête le permettrait. Une proposition de commission d'enquête a été faite par Patrick Kanner en conférence des présidents. Le président Gérard Larcher a proposé que la commission des affaires économiques puisse éventuellement le cas échéant, si elle le souhaite, s'en saisir. Le règlement du Sénat permet effectivement qu'une commission permanente se constitue en commission d'enquête. J'ai posé la question à Madame la présidente il y a quelque temps. Il faudrait que nous prenions une décision suivant les formes que la Présidente souhaitera retenir.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je ferai les mêmes observations que dans le cadre de la conférence des présidents lorsque la demande a été formulée par Rachid Temal qui représentait Patrick Kanner.

Ce sujet est bien sûr éminemment important. Un certain nombre de travaux vont de fait traiter ces questions auxquelles vous faites référence.

Nous avons relancé tous les groupes d'études et de travail, au premier rang desquels le groupe de suivi des lois Egalim mené par Daniel Gremillet et Anne-Catherine Loisier. Ils ont d'ailleurs déjà réalisé un certain nombre d'auditions. Une mission parlementaire sur l'évaluation et l'évolution des lois Egalim a également été confiée par le Premier ministre à deux députés, avec pour but d'examiner l'encadrement des centrales d'achats européennes et la non-négociabilité de la matière première agricole.

Nous avons également reconstitué hier le groupe de suivi sur la réforme de la politique agricole commune (PAC) - lequel intéresse à la fois la commission des affaires européennes et notre commission, avec dix commissaires dans chacune - et qui va de nouveau travailler sur ces sujets. Il se penchera plus particulièrement sur le durcissement des conditions d'accès aux aides de la PAC dans le cadre de son actuelle programmation ainsi que le montant des éco-régimes du premier pilier.

Le groupe d'études agriculture, élevage et alimentation présidé par Laurent Duplomb, lui-même composé de plusieurs sections d'études à vocation agricoles, auditionnera la semaine prochaine Vincent Chatellier, économiste de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement autour de la question des revenus agricoles.

Enfin, il ne vous aura pas échappé que dans l'ordre du jour qui sera confirmé en conférence des présidents la semaine prochaine, nous serons saisis du projet de loi d'orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture. Ce texte sera d'abord examiné par l'Assemblée nationale puis au Sénat dans la première quinzaine de juin. Les rapporteurs que nous avons nommés hier, Laurent Duplomb et Franck Menonville, vont donc commencer leurs travaux et leurs auditions.

Je rappelle que ces auditions sont ouvertes à l'ensemble des commissaires qui souhaitent participer à ce projet de loi qui est très attendu du monde agricole et dont nous aurons à débattre. Je ne doute pas de la richesse des échanges qui auront lieu tant au sein de notre commission qu'en séance publique, dans l'hémicycle.

J'insiste aussi sur la mobilisation très importante des moyens humains de la commission sur l'ensemble de ces travaux.

Si une commission d'enquête, dont les travaux s'étalent généralement sur six mois, devait être créée, ses conclusions risquent d'être rendues après la bataille. En effet, le projet de loi pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture aura déjà été examiné tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat. Enfin, je rappelle que les parlementaires en charge de ces groupes d'études et de suivi, comme nos rapporteurs, sont fondés à demander au Gouvernement, par l'intermédiaire de notre commission, la communication de certains documents non publics, qu'ils estimeraient pertinents.

Pour toutes ces raisons, sans nier l'intérêt du sujet que vous évoquez, je pense que suffisamment de travaux sont en cours ou à venir pour pouvoir traiter pleinement ce sujet.

M. Franck Montaugé. - Merci Madame la présidente. J'entends tous ces arguments. Je salue en même temps les initiatives qui ont été prises. Je pense qu'elles produiront leurs effets et nous y contribuerons. Cela dit, rien, en réalité n'a la force d'une commission d'enquête, dès lors qu'elle est bien menée. Je pense que cela aurait aussi donné un retentissement médiatique plus important à nos travaux. Je pense que la question reste entière et qu'une forme de transparence, en tout cas pour nous parlementaires et sous réserve du droit des affaires, aurait amené des éclaircissements nécessaires, dans l'intérêt des agriculteurs et des agro-industriels français sans oublier des commercialisateurs. Je pense qu'il faudra revenir sur cette demande.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous savons toutes et tous combien vous êtes extrêmement mobilisés. Le président de l'Autorité de la concurrence me le rappelait encore à l'instant. Nous avons déjà beaucoup travaillé et vos expertises et connaissances personnelles seront là aussi pour enrichir les débats. J'insiste surtout sur le calendrier tel qu'il nous est proposé aujourd'hui. La commission d'enquête arriverait après coup sachant qu'une proposition de loi visant à garantir un mode de calcul juste et équitable des pensions de retraite de base des travailleurs non salariés des professions agricoles a de nouveau été déposée par Philippe Mouiller. Beaucoup de sujets sont donc programmés. Nous avons évoqué hier l'accord économique et commercial global entre l'Union européenne et le Canada (CETA) dont nous reparlerons en séance jeudi prochain. Nous ne laissons aucun de ces sujets de côté et il nous appartient de continuer à être extrêmement mobilisés et de suivre l'ensemble des auditions qui seront menées par Laurent Duplomb et Franck Menonville, mais aussi celles qui sont conduites par des groupes d'études et de suivi.

Mme Sophie Primas. - Je partage en tous points vos propos, Madame la présidente. Les ressources à la disposition de la commission ne sont pas extensibles à l'envi et sont déjà beaucoup sollicitées. Ces travaux qui sont demandés par tout le monde sont en réalité extrêmement complexes et la commission d'enquête, malgré ses pouvoirs importants, ne peut pas tout régler. Même les travaux menés récemment par Bercy n'ont pas permis de déterminer avec précision où se situe la valeur. Obtenir les tarifs des centrales d'achat qui achètent en Espagne, en Belgique ou au Luxembourg est presque impossible, car ces acteurs ne les fournissent pas, arguant de l'extraterritorialité de droit. Nous ne pouvons avoir que des résultats globaux. Les commissions d'enquête peuvent par ailleurs faire miroiter un résultat qui s'avère par la suite décevant. C'est la raison pour laquelle je pense qu'il ne faut pas en abuser.

M. Jean-Claude Tissot. - Je ne partage pas l'avis de Sophie Primas. On ne peut pas conclure des résultats d'une commission d'enquête avant même d'avoir commencé les travaux. En effet, comme l'a indiqué la Présidente, l'implication de tous sur l'agriculture en général n'est pas à mettre en doute dans cette commission. Toutefois, la commission d'enquête présente tout de même l'atout d'établir un rapport. Nous n'avions évidemment pas de niche dédiée et nous savions que nous étions soumis au bon vouloir du président du Sénat qui l'a rejetée. Je refuse de nous entendre dire que la commission d'enquête ne donnerait pas de résultat. L'objectif de ces travaux est aussi de se pencher sur la répartition de la valeur et non uniquement la formation.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je pense vraiment que le calendrier n'est pas favorable. Nous avons tous la volonté de nous saisir de ce projet de loi d'orientation agricole et d'y apporter la touche du Sénat. Nous avons conscience que le texte qui sera présenté risque d'être, pour le moins, assez succinct et décevant. Concentrons nos efforts dans cette direction. Nous serons par ailleurs saisis d'ici la fin du mois de juin de plusieurs projets de loi, dont celui sur le logement.

M. Franck Montaugé. - Le but est d'établir un état des lieux, idéalement une dynamique, sur la question de la formation de la valeur et de sa répartition.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Peut-être que cette question fera aussi l'objet d'un de vos droits de tirage pour la prochaine session parlementaire. Merci beaucoup. Bonne journée.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 30.