Mercredi 6 mars 2024

- Présidence de M. Cédric Perrin, président -

La réunion est ouverte à 11 h 10.

Déplacement à Berlin des 28 et 29 janvier 2024 - Communication

M. Cédric Perrin, président. - Mes chers collègues, les 28 et 29 janvier derniers, une délégation de notre commission s'est rendue à Berlin, conjointement avec nos homologues de la commission de la défense de l'Assemblée nationale. Ce déplacement poursuivait au moins deux objectifs : y voir plus clair sur l'avancée du projet de char de combat du futur (MGCS) et, plus largement, prendre le pouls de la coopération franco-allemande en matière de défense, dans un contexte marqué par le « changement d'ère » annoncé par le chancelier Scholz au lendemain de l'invasion russe de l'Ukraine. Il s'agissait enfin de relancer le cycle d'échanges qu'avait mis en oeuvre le président Cambon avant la crise du covid.

Tacite disait des Germains qu'ils étaient friands de présages. Je me garderai pour ma part d'interpréter les signes apparus sur notre route. Nos interlocuteurs avaient d'abord annulé précipitamment la première rencontre, prévue début novembre. Ensuite, notre chef d'état-major de l'armée de terre, le général Schill, ne devait finalement faire le déplacement que pour s'entretenir avec l'adjoint de son homologue allemand, ce dernier étant retenu par une réunion de l'Otan. Enfin, à peine avions-nous décollé de Roissy qu'une dénonciation amère de la contribution « dérisoire » de la France à l'effort de guerre ukrainien apparaissait sur le compte Twitter de mon homologue du Bundestag. C'est peu dire que le déplacement ne s'annonçait pas sous les meilleurs auspices...

Mais avant d'envisager l'avenir, rappelons le passé. Le projet d'un char de combat de conception franco-allemande, destiné à remplacer le Leclerc et le Leopard 2 d'ici à 2040, a émergé voilà une dizaine d'années. Les industriels Nexter et KMW ont constitué à cette fin une holding en 2015, appelée KNDS, où est né le projet du MGCS proprement dit en 2017. La décision du gouvernement allemand d'y adjoindre l'industriel Rheinmetall en 2019 a cependant déséquilibré l'édifice et, disons-le d'emblée, mis en péril sa survie : sur le plan financier, puisque les industriels allemands prétendent non plus à la moitié, mais aux deux tiers de l'affaire ; et sur le plan de la conception opérationnelle du char, Nexter et Rheinmetall défendant chacun leur propre canon, duquel dépend le choix des munitions.

En sorte que la pérennité du projet repose désormais davantage sur la volonté politique que sur la convergence de vues des industriels. KNDS a certes présenté des projets intermédiaires, tel l'EMBT, première ébauche de char hybride entre le Leclerc et le Leopard, et il s'est essayé à une nouvelle version du Leopard 2 en collaboration avec Rheinmetall, mais le MGCS lui-même semble en quelque sorte suspendu, bien que les ministres Lecornu et Pistorius aient redit dans la presse, en septembre dernier, leur volonté commune qu'il aboutisse.

C'est la fermeté de cette volonté que notre déplacement visait à évaluer.

L'audition du responsable de KNDS effectuée à l'ambassade n'a pas permis d'en prendre la mesure. Pour la holding franco-allemande, certes, l'épaisseur du carnet de commandes, grâce au succès du Leopard à l'export en Europe, trace de belles perspectives, mais cela ne saurait suffire à rassurer la moitié française de l'actionnariat. Nous partageons l'éloge qui a été dressé de la coopération et du potentiel à exploiter ensemble, mais la question de savoir quel type de char KNDS souhaite faire figurer à son catalogue n'a, à notre sens, pas reçu de réponse univoque.

Ces incertitudes, nos échanges avec les membres de la commission de défense du Bundestag non plus ne les ont pas dissipées. Participaient aussi à cette discussion le général Marlow, numéro deux de l'armée de terre allemande, et le général Schill, notre chef d'état-major de l'armée de terre. Il nous a semblé qu'ils interprétaient le même thème - l'importance de la coopération bilatérale -, mais dans des tonalités différentes. Le premier a vanté l'ancienneté de notre coopération militaire, les unités mixtes, les interventions conjointes, avant de relever le caractère quelque peu divergent désormais de nos positions stratégiques respectives, tout en appelant à renforcer la doctrine d'emploi de la brigade franco-allemande. Le général Schill a, pour sa part, insisté sur le caractère commun des nouveaux défis - le retour de la guerre au sol, qui éclipse l'âge d'or des Opex et de la gestion de crise - et sur celui des besoins, à savoir une solution partagée, performante et innovante pour le combat terrestre.

Les échanges avec la présidente de la commission de la défense du Bundestag, Marie-Agnes Strack-Zimmermann, et les députés présents ont été riches, mais ils n'ont pas permis d'y voir plus clair.

D'une part, la balle a été renvoyée dans le camp des industriels, dont il est loisible à chacun, dans ces circonstances, de saluer l'autonomie de décision. La présidente Strack-Zimmermann n'a ainsi pas manqué de souligner qu'« il peut y avoir un écart entre la volonté politique et les projets industriels... »

D'autre part, nous nous sommes un peu écartés du MGCS pour aborder d'autres questions, importantes : l'aide à l'Ukraine, notre présence au Sahel ou encore l'harmonisation européenne des règles d'exportation d'armes. Sur ce dernier point, fondamental dans notre coopération bilatérale, je n'ai pas manqué de faire observer que le pouvoir de blocage dont abusent actuellement certains États-membres plaidait peu pour une telle harmonisation.

Le président Gassilloud et moi-même nous sommes ensuite entretenus avec Mme Siemtje Möller, la secrétaire d'État parlementaire du ministre de la défense Boris Pistorius. Nous avons évoqué de nombreux sujets, notamment les questions de dissuasion nucléaire, qui intéressent beaucoup les Allemands, mais le dossier du MGCS est resté en grande partie ouvert.

Cela peut sembler paradoxal, mais la seconde leçon de notre mission est plus optimiste. En deux mots, nous pourrions dire qu'il existe, en dépit de ces incertitudes, une fenêtre d'opportunité pour redoubler d'efforts dans la coopération franco-allemande de défense.

Il faut d'abord prendre la mesure du bouleversement que traverse l'Allemagne depuis l'invasion russe de l'Ukraine. Nous avions déjà évoqué ces questions en auditionnant les auteurs du rapport de l'Institut français des relations internationales (Ifri) sur les transformations de la Bundeswehr ; notre ambassadeur sur place nous a brossé de ce Zeitenwende un tableau plus général.

Depuis février 2022, l'Allemagne vit douloureusement la disparition du confort assuré par les dividendes de la paix et l'écroulement de ses certitudes. Comme d'autres nations, sans doute, mais davantage que certaines du fait de sa position centrale en Europe et de sa proximité de Kaliningrad, du poids de son industrie et de la nature de sa dépendance énergétique, de l'émergence d'une conflictualité sociale nouvelle, de l'importance, enfin, qu'elle accorde au lien transatlantique, qui serait plus menacé que jamais si Trump revenait au pouvoir outre-Atlantique.

L'Allemagne a, en quelque sorte, été contrainte d'engager une mue stratégique. La direction prise est claire : réaffirmer son rôle de leader en Europe, y compris sur le plan géostratégique et de défense. L'Allemagne a en effet une conscience plus nette du risque que la menace russe fait peser sur l'Europe. Fin octobre, le ministre Pistorius prévenait ses compatriotes : « nous devons nous préparer à la guerre, nous devons être capables de nous défendre et d'y préparer la Bundeswehr et la société ». C'est ce qui explique l'importance que l'Allemagne accorde à l'aide à l'Ukraine, la vigueur du débat sur la livraison de missiles Taurus, l'accord trouvé sur l'exportation d'Eurofighter en Arabie Saoudite ou encore la décision prise en décembre de déployer une brigade permanente en Lituanie.

Nous avons mieux pris la mesure de ce changement d'état d'esprit, en visitant le siège du commandement territorial de la Bundeswehr. Celui-ci a été créé en 2022, après l'agression russe, pour coordonner toutes les tâches des différentes armées allemandes au niveau national, ce qui va du commandement opérationnel de l'ensemble des forces à l'assistance administrative en cas de catastrophe, en passant par la coordination du déploiement de troupes alliées en Allemagne.

Après avoir organisé, quelques jours avant notre visite, un important colloque réunissant 300 personnes pour réfléchir aux menaces hybrides - guerre de l'information, cyberattaques, espionnage ciblé, sabotage... -, la Bundeswehr travaille à l'élaboration d'un plan opérationnel. Celui-ci définira le rôle de l'Allemagne en matière de défense et organisera sa « capacité de guerre », notamment le déploiement des alliés sur le « hub allemand », que les Allemands voient comme la base de la dissuasion conventionnelle sur le continent. Ce document sera la première planification concrète, depuis la fin de la guerre froide, de réponse en cas d'attaque militaire en Europe de l'Est, l'Allemagne s'étant certes déplacée depuis cette époque de la zone de front immédiate vers la « zone arrière », comme l'appelle l'Otan.

Cette configuration nouvelle, de notre point de vue, offre l'opportunité de consolider la coopération franco-allemande. Si nos journaux ont été remplis, courant 2023, d'articles pessimistes sur la relation bilatérale, les sujets de dissension ont reculé dans les trois derniers mois de l'année : la réforme du marché de l'électricité, la réforme du pacte de stabilité, la coopération en matière spatiale, la feuille de route sur l'intelligence artificielle, celle sur l'union des marchés de capitaux, etc. Le sommet gouvernemental de Hambourg d'octobre dernier a été un succès et une visite d'État est prévue fin mai 2024, avant l'ouverture de l'été du sport franco-allemand. D'une certaine manière, dans cette configuration inédite, en dépit des soubresauts, il existe un espace pour une dynamique nouvelle, parce que le contexte doit nous pousser à resserrer nos liens.

Si certains sujets font encore débat et doivent être clarifiés - la dissuasion nucléaire, le contrôle des exportations -, tâchons de saisir les opportunités qui pourront se présenter sur la défense européenne et les programmes d'armement conjoints entre nos deux pays.

Outre le dossier du MGCS, il faut citer le système de combat aérien du futur (Scaf), mais aussi le partenariat entre Safran et l'Allemand MTU Aero Engines pour la fabrication de moteurs d'avion et d'hélicoptères militaires.

Concernant le projet de bouclier du ciel européen, il est très regrettable que les Allemands se soient lancés sans nous, mais il y a peut-être des convergences possibles. Tel est en tout cas le sens de la tribune que j'ai cosignée avec le président Gassilloud le jour de notre déplacement dans la presse française, et qui a trouvé des échos dans les médias allemands.

Ne nous cachons pas l'asymétrie de la relation. Il y a davantage de visites françaises en Allemagne que de visites allemandes en France. La notion de « couple franco-allemand » n'existe pas outre-Rhin. Et les appels français à l'autonomie stratégique européenne - pour ne rien dire des critiques adressées jusqu'en 2022 à l'Otan - provoquent chez nos voisins un mélange d'inquiétude et d'hostilité, parfois durable. Il n'en demeure pas moins que l'amitié franco-allemande garde une valeur et une vigueur particulières, et nous avons aussi ressenti cette amitié dans nos échanges.

Tel fut ainsi l'objet du message conclusif de la présidente Strack-Zimmermann après le déjeuner. Ce fut également le point final de notre journée de travail, qui s'est achevée Place de l'amitié franco-allemande, dans l'enceinte de la caserne Julius-Leber, avec nos homologues du Bundestag. Nous avons achevé cette journée en visitant l'émouvant petit musée de cette ancienne « caserne Hermann Goering », devenue « quartier Napoléon » de 1945 jusqu'au départ des forces françaises, fin 1994. En espérant que l'expression ne recèle pas un mauvais présage, je dirais que nous nous sommes quittés bons amis...

En conclusion, je pense que la gravité de la situation justifie en tout état de cause que nous exploitions toutes les opportunités de travailler avec nos alliés allemands, quand c'est possible, pour être plus fort face à la montée des périls.

Mme Hélène Conway-Mouret- Certes, je reconnais l'existence de cette amitié franco-allemande, mais je ressens toujours un certain manque de confiance. Force est de constater que nous faisons beaucoup d'efforts pour l'entretenir, comme vous l'avez souligné, mais il serait bon de réaliser que l'Allemagne ne souhaite pas de relation exclusive avec la France.

Nos gouvernements continuent pourtant de laisser penser que nous avons absolument besoin de l'Allemagne : c'est une mauvaise manière d'arriver à une table de négociations, quel qu'en soit l'objet. Il faut bien réceptionner les messages qu'ils nous envoient de façon subtile : pour eux, le multilatéral prévaut sur le bilatéral renforcé. Leur vision doit être respectée et entendue.

Acte est donné de cette communication.

Projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'extradition entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume du Cambodge - Examen du rapport et du texte proposé par la commission

M. Cédric Perrin, président. - Notre ordre du jour appelle maintenant l'examen du rapport de M. Christian Cambon sur le projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'extradition entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du royaume du Cambodge.

M. Christian Cambon, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, le présent projet de loi a pour objet l'approbation d'une convention d'extradition entre le Gouvernement français et celui du royaume du Cambodge, signée à Paris le 26 octobre 2015 par Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice français, et M. Ang Vong Vathana, ministre de la justice cambodgien.

Ce texte s'inscrit dans un double contexte : celui de la situation des droits de l'homme au Cambodge - qui apparaît pour le moins préoccupante - et celui de notre relation bilatérale - qui connaît actuellement une dynamique très positive.

De fait, cette convention, qui attend sa ratification depuis 2015, est un serpent de mer législatif : depuis sa signature, elle a été déposée trois fois sur le bureau de l'une ou de l'autre des assemblées ; trois fois elle a été retirée, avant d'être déposée, une quatrième fois, sur le bureau du Sénat le 15 juin 2022. Sa ratification devrait cette fois être menée à son terme, avec un examen en séance publique prévu le 14 mars prochain.

Ces reculades et atermoiements répétés sont tout sauf inopinés : ils sont liés à la détérioration préoccupante, depuis 2017, de la situation des droits de l'homme dans le royaume, avec notamment la condamnation arbitraire des principaux opposants politiques, qui a privé les dernières élections de toute opposition crédible.

Le régime cambodgien est actuellement caractérisé par un profond décalage entre le droit affiché et la pratique : la constitution cambodgienne comme la loi pénale garantissent en effet l'indépendance des juges, la séparation des pouvoirs, le respect des droits de l'homme, la liberté d'expression, le respect des droits de la défense, la présomption d'innocence, etc. La garde à vue et la détention provisoire sont strictement encadrées.

Force est cependant de constater qu'en dépit de cette panoplie de garanties, qui n'a rien à envier aux démocraties les plus abouties, leur mise en oeuvre n'est pas à la hauteur des principes affichés. C'est ainsi que les élections législatives de juillet 2023 ont été précédées par une vague de répression envers l'opposition au parti gouvernemental : condamnation à vingt-sept ans de prison de l'opposant Kem Sokha et dissolution de son parti ; condamnation par contumace de Sam Rainsy et de soixante-dix autres opposants à des peines allant de vingt ans de prison à la perpétuité ; diverses mesures entravant le droit de vote et la liberté de la presse... Les syndicalistes, les défenseurs des droits fonciers, les militants écologistes font également l'objet d'intimidations et d'arrestations que les ONG dénoncent régulièrement.

Cette situation interne a valu au royaume du Cambodge de se voir retirer par l'Union européenne, dès 2020, une partie des préférences commerciales qui lui avaient été accordées au titre du régime « Tout sauf les armes », dont il bénéficiait depuis 2001.

L'élément nouveau, qui a conduit à l'inscription de cette convention à notre ordre du jour, est que, depuis quelques mois, la relation entre la France et le royaume du Cambodge connaît une dynamique particulièrement constructive, avec la visite officielle de Sa Majesté Norodom Sihamoni, roi du Cambodge, en novembre 2023, et celle du nouveau Premier ministre Hun Manet, le 18 janvier dernier. À cette occasion, les dirigeants cambodgiens ont réaffirmé leur volonté d'approfondir la relation bilatérale et se sont montrés demandeurs d'un partenariat renforcé avec la France.

La convention soumise aujourd'hui à votre examen s'inscrit dans ce contexte encourageant. Je vous proposerai de l'approuver pour plusieurs raisons.

La première tient à la relation franco-cambodgienne privilégiée dans laquelle elle s'inscrit, héritée à la fois d'une histoire commune et du rôle central joué par la France dans le développement du pays, mais aussi dans la mise en place de ses institutions, depuis les accords de Paris de 1991. La présence très active de la communauté cambodgienne en France et la place importante de la francophonie au sein du royaume, contribuent à nourrir ces liens. D'une manière générale, la France a plutôt bonne presse au Cambodge. Le roi comme le Premier ministre sont demandeurs d'un rapprochement. Dans le contexte mondial que vous connaissez, où l'influence française est de toutes parts et par tous moyens remise en question, cela mérite d'être souligné et encouragé.

Cette relation privilégiée permet également d'aborder sans tabou la question des droits de l'homme. Même si aucun résultat tangible n'a été obtenu à ce jour, elle pourrait favoriser une évolution positive dans ce domaine.

Deuxième raison, la rédaction de cette convention d'extradition apporte aux justiciables toutes les garanties souhaitables pour prévenir son instrumentalisation à des fins contraires aux droits de l'homme. Son contenu, qui reprend le texte proposé par la France, est conforme en tous points aux standards juridiques nationaux et internationaux.

Le texte prévoit en effet un certain nombre de motifs de refus obligatoires : ainsi, les demandes d'extradition seront rejetées automatiquement si elles concernent des infractions politiques ou si elles apparaissent motivées par l'origine ethnique, le sexe, la nationalité ou la religion de la personne réclamée. Ces clauses constituent des garde-fous importants dans le contexte politique que je vous ai décrit ; elles préviendront notamment toute demande d'extradition à l'encontre d'un opposant au régime.

Le fait de posséder la nationalité de la partie requise constitue également un motif de refus. Afin d'éviter toute impunité, la partie requise devra toutefois soumettre l'affaire à ses propres autorités, en application du principe aut dedere, aut judicare - extrader ou poursuivre. Cette clause s'avère très protectrice pour nos ressortissants, ainsi que pour les binationaux - ce qui n'est pas anodin, car la quasi-totalité des opposants au régime réfugiés en France possèdent la double nationalité.

D'autre part, alors même que la peine capitale a été abolie au royaume du Cambodge en 1989 et que sa prohibition est inscrite dans la constitution depuis 1993, la convention prévoit une clause de substitution de cette peine, ce qui permet de parer à toute tentation de retour en arrière.

Une clause dite humanitaire permet enfin de rejeter une extradition susceptible de mettre en danger la personne réclamée en raison de son âge ou de son état de santé.

Cet arsenal de précautions, qui figure dans la plupart des conventions bilatérales de ce type conclues par la France, a fait la preuve de son efficacité et permet à notre pays d'opérer des échanges extraditionnels avec cinquante-quatre États - dont la Chine et l'Iran.

La troisième raison en faveur de cette convention est qu'elle permettra de mieux cadrer et sécuriser, tant sur le fond que sur la forme, les procédures d'extradition. Les échanges extraditionnels étaient jusqu'à présent réalisés sur la base d'un principe informel de réciprocité ; de ce fait, ils se trouvaient tributaires du bon vouloir des parties. De plus, les procédures, d'un formalisme mal défini, manquent de rigueur et n'ont pas permis à l'unique demande formulée par la partie cambodgienne d'aboutir, en raison d'un dossier incomplet.

Enfin, la convention prévoit un certain nombre de stipulations visant à fluidifier les échanges entre les deux parties, notamment une procédure accélérée lorsque la personne réclamée consent à être extradée ainsi qu'une procédure permettant une arrestation provisoire du justiciable en cas d'urgence.

L'adoption de cette convention d'extradition permettra d'établir une coopération plus efficace entre nos deux pays en matière de lutte contre la criminalité.

Les échanges extraditionnels opérés entre la France et le Cambodge sont particulièrement modiques : au cours des dix dernières années, aucune demande d'extradition n'a été formulée par les deux parties ; entre 2009 et 2013, seules trois demandes avaient été transmises par la France et une par le Cambodge.

Le Conseil d'État a émis un avis favorable sur ce texte, sous réserve d'une vigilance, de la part des autorités françaises, concernant le respect des principes généraux du droit de l'extradition ainsi que des règles de transmission des données personnelles.

Mes chers collègues, pour toutes ces raisons, je préconise l'adoption de ce projet de loi. Son examen en séance publique au Sénat est prévu le jeudi 14 mars prochain, selon une procédure simplifiée, ce à quoi la Conférence des présidents, de même que votre rapporteur, a souscrit.

Le royaume du Cambodge a quant à lui achevé la ratification de cette convention le 14 octobre 2020.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. - J'ai écouté avec attention l'intervention de notre rapporteur. Il n'est pas interdit d'être réaliste et je comprends que l'adoption de cette convention permettrait d'envoyer un signal positif alors que les relations entre nos deux pays se réchauffent sensiblement.

Pour autant, je n'oublie pas le travail accompli par notre ancien collègue, André Gattolin, qui était très mobilisé sur la question du Cambodge. Même si les infractions relevant des seuls domaines militaires ou politiques peuvent conduire à des refus d'extradition, on sait qu'il existe d'autres façons de s'en prendre aux opposants, notamment sous l'angle fiscal ou économique.

À ce stade, je m'abstiendrai sur ce texte eu égard aux pratiques passées du régime concerné.

Mme Michelle Gréaume- Je m'abstiendrai sur ce vote, notre groupe souhaitant la tenue d'un débat en séance publique sur la question du respect des droits de l'homme.

M. Guillaume Gontard. - Je souhaite m'associer à la demande de Michelle Gréaume et du groupe CRCE. Je salue la qualité du rapport de M. Cambon, mais cette convention n'est pas anodine. Il nous semble donc important de tenir un débat sur ce sujet.

M. Christian Cambon, rapporteur. - Monsieur Lemoyne, c'est à la demande pressante du Gouvernement que cette convention nous parvient.

Il s'agit en somme de l'éternelle question du verre à moitié vide ou à moitié plein. Il faut encourager le Cambodge, qui a pris de bonnes résolutions auprès du gouvernement français, notamment lors de la visite du Premier ministre en janvier dernier. Cela étant dit, la volonté d'en débattre en séance publique me paraît tout à fait légitime.

Le projet de loi est adopté sans modification.

Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Canada relatif au déploiement d'agents de sûreté en vol - Examen du rapport et du texte proposé par la commission

M. Cédric Perrin, président. - Notre ordre du jour appelle maintenant l'examen du premier rapport de Mme Évelyne Perrot sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Canada relatif au déploiement d'agents de sûreté en vol.

Mme Évelyne Perrot, rapporteure. - Mes chers collègues, les relations diplomatiques officielles entre la France et le Canada remontent à 1928, c'est-à-dire peu de temps après la déclaration Balfour de 1926, qui a fait du Canada une nation totalement indépendante.

Nos deux pays partagent non seulement une langue, mais aussi de nombreuses valeurs communes.

Sur le plan économique, le Trésor dénombre 1 200 filiales d'entreprises françaises au Canada, où plus de 100 000 Français sont enregistrés auprès de nos consulats. Il s'agit de la cinquième plus importante communauté française à l'étranger.

À l'échelon multilatéral, le Canada et la France sont alliés de longue date dans les enceintes du G7, du G20, de l'Otan, structures au sein desquelles nos deux pays partagent des positions sur les grands enjeux globaux et sur les crises internationales.

La coopération bilatérale est riche, notamment en matière sécuritaire. En janvier 2016, nos deux États ont signé une déclaration d'intention sur un partenariat renforcé dans le domaine de la coopération de sécurité.

Après les attentats du 11 septembre 2001, le Canada a mis en place une unité permanente d'agents de sûreté en vol : le programme de protection des transporteurs aériens canadiens.

En France, les agents pouvant être déployés en cas de menaces graves ou avérées relèvent non pas d'une unité permanente, mais principalement du groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), dont l'expérience et l'expertise en matière de contre-terrorisme aérien sont reconnues de longue date.

Les collaborations entre ces deux unités sont nombreuses : échanges techniques et de bonnes pratiques, formations et entraînements communs.

Nos deux États procèdent déjà aux déploiements d'agents de sécurité en vol, mais sur la base de notes verbales. La France et le Canada partagent une approche commune de l'action de ces agents dans une logique de contre-terrorisme aérien, ce qui signifie que ces personnels ont vocation à intervenir en prévention et en réponse à des actes illicites portant gravement atteinte à la sécurité de la navigation aérienne, qu'il s'agisse de celle de l'aéronef ou de celle des passagers. Ils n'ont donc pas un rôle de police générale au sein de l'appareil, contrairement aux Air marshalls américains. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle un tel accord n'a pu être finalisé avec les États-Unis.

Le présent texte a pour objet d'organiser juridiquement les modalités de mise en oeuvre des opérations des « agents de sécurité en vol ». En effet, le déploiement d'agents sur la base de simples notes verbales présente plusieurs inconvénients : celles-ci doivent être adoptées à chaque intervention et n'offrent pas une protection juridique suffisante auxdits agents.

Le présent accord entend donc corriger ces insuffisances. Les premiers contacts ont commencé dès 2009, mais ce n'est qu'à partir de 2013 que les négociations ont réellement débuté, pour aboutir à un texte définitif fin 2021. L'accord a été signé à Paris le 19 janvier 2022 par les deux ministres des affaires étrangères.

Celui-ci formalise la procédure de déploiement d'agents en vol et organise leur protection juridique. C'est le premier accord de ce type que la France conclut.

Concernant la procédure, l'accord précise en premier lieu que ces agents sont des agents gouvernementaux, chargés de missions de contre-terrorisme aérien, spécialement formés à cet effet. Ils doivent respecter la législation de l'État sur lequel ils se trouvent et ne peuvent être déployés que dans des aéronefs immatriculés dans leur pays de rattachement.

Que le déploiement soit programmé à l'avance ou décidé en urgence, il doit faire l'objet d'une information de l'autre partie, par le biais d'un « point de contact national chargé de la coordination des déploiements ».

Pour des raisons évidentes de discrétion et d'efficacité, les agents ne sont pas reconnaissables. Ils sont autorisés à transporter leurs armes de service chargées.

Quant à leur protection juridique, l'accord prévoit l'inopposabilité de la peine de mort dans le cas où l'aéronef serait amené à atterrir sur un territoire qui la pratique. Les parties accordent l'entraide judiciaire la plus large possible à leurs agents en cas de procédure civile ou pénale. Il est également prévu que l'agent puisse communiquer avec son supérieur hiérarchique et qu'il soit séparé des autres détenus. L'examen bienveillant des demandes de priorité de compétence juridictionnelle ou de transfèrement en cas de condamnation est également prévu.

Le respect de la souveraineté et de nos exigences en matière de prérogatives de puissance publique est assuré par le fait que l'accord prévoit, d'une part, que les agents d'une partie ne peuvent effectuer une intervention policière de manière autonome sur le territoire de l'autre partie, et donc sous le contrôle de cette dernière ; d'autre part, que les agents canadiens doivent respecter le droit français lorsqu'ils se trouvent sur le territoire national.

Enfin, on peut noter que l'accord ne créera pas de charges nouvelles pour les services opérationnels déployant des agents, puisque ces déploiements ont d'ores et déjà lieu. L'accord ne comporte pas de mesures contraignantes imposant un quelconque déploiement d'agents de sûreté en vol.

La partie canadienne a déjà mené à terme ses procédures internes de ratification. L'Assemblée nationale a adopté le présent projet de loi le 27 septembre 2023 ; il reste au Sénat de se prononcer en faveur de l'approbation de cette convention, ce que je préconise, en ce qu'elle consolide les procédures opérationnelles et la protection des agents engagés.

L'examen de ce projet de loi en séance publique est prévu le jeudi 14 mars 2024, selon la procédure simplifiée, ce à quoi la Conférence des présidents, de même que votre rapporteure, a souscrit.

Le projet de loi est adopté sans modification, à l'unanimité.

La réunion est close à 11 h 50.

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Dégradation du contexte géopolitique - Audition de M. Stéphane Séjourné, ministre de l'Europe et des affaires étrangères (sera publié ultérieurement)

Le compte-rendu sera publié ultérieurement.

La réunion est close à 18 h 20.