Mercredi 6 mars 2024

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Avenir du fret ferroviaire - Audition de représentants de chargeurs et de ports maritimes

M. Jean-François Longeot, président. - Notre commission poursuit ce matin son cycle d'auditions consacré à l'avenir du fret ferroviaire. Après une première séquence consacrée aux entreprises de fret ferroviaire, avec les auditions de Raphaël Doutrebente au nom de l'alliance 4F et de Frédéric Delorme, président de Rail Logistics Europe, nous nous intéressons ce jour plus particulièrement aux problématiques rencontrées par ceux qui recourent au fret ferroviaire pour déplacer des marchandises.

La table ronde de ce matin vise, d'une part à identifier les principales problématiques rencontrées par les chargeurs. Comme vous le savez, les chargeurs sont des entreprises qui ont des marchandises à faire transporter d'un point A à un point B, que ce soit à l'échelle régionale, nationale ou internationale. Ils recourent pour cela à différents modes de transport de marchandises - routier, ferroviaire, fluvial, maritime ou aérien. Compte tenu de la faible part modale du mode ferroviaire dans le transport intérieur de marchandises, qui s'élève à environ 10 %, avec un pic de croissance en 2021, nous souhaiterions comprendre pour quelles raisons les chargeurs font le choix de recourir ou non au mode ferroviaire. Notre souci est de comprendre les stratégies retenues, selon les filières, les conditions d'exploitation ou encore l'offre de transport.

D'autre part, notre échange a pour objectif d'appréhender l'articulation du fret ferroviaire avec nos ports maritimes, suivant une réflexion plus globale et intermodale. Je rappelle que 90 % des échanges dans le monde se font par voie maritime. Dans ce contexte, et compte tenu de l'augmentation de la taille des navires, la desserte des hinterlands par des modes plus capacitaires que la route s'impose d'autant plus. Pour rappel, 80 % des pré- et post-acheminements portuaires reposent en France sur le mode routier. Ainsi que l'avait souligné le rapport d'information de Michel Vaspart de juillet 2020 sur la compétitivité de nos ports maritimes, à la massification maritime doit répondre une massification terrestre. Cette dernière suppose toutefois des investissements importants, notamment en matière d'infrastructures.

Pour évoquer ces différents enjeux, je suis heureux d'accueillir : Hervé Martel, président du directoire du port de Marseille Fos, Jean-François Lagane, Manager France Railway logistics de Nestlé Waters et président de la commission ferroviaire de l'association des utilisateurs de transport de fret (AUTF), Jean--François Lepy, Directeur général de Soufflet Négoce InVivo et secrétaire d'Intercéréales et Jean-Yves Ollivier, directeur supply chain granulats nord chez CEMEX et président de la commission transport et logistique de l'Union nationale des producteurs de granulats (UNPG).

Afin d'initier les échanges et de permettre à chacun de présenter ses constats et propositions pour développer, là où il est pertinent, le fret ferroviaire, je poserai quelques questions. Dans quelle mesure le fret ferroviaire est-il pertinent pour les différentes filières que vous représentez ? Quels sont ses atouts et quelles sont ses principales faiblesses ? Pourquoi choisissez-vous parfois de ne pas y recourir ? Observez-vous des inflexions majeures ces dernières années et quel regard portez-vous sur la mise en oeuvre de la stratégie pour le développement du fret ferroviaire ? Identifiez-vous enfin des leviers pour améliorer sa part modale ? Monsieur Martel, pourriez-vous par ailleurs nous indiquer quelle est la part modale du fret ferroviaire dans les pré- et post-acheminements du port de Marseille Fos et comment, d'après vous, encourager un recours plus massif à ce mode pour desservir l'hinterland des différents ports maritimes ?

M. Jean-François Lagane, Manager France Railway logistics de Nestlé Waters et président de la commission ferroviaire de l'association des utilisateurs de transport de fret - L'association des utilisateurs de transports de fret représente des chargeurs multisectoriels, avec des activités multimodales, dont l'action s'inscrit dans une démarche globale d'amélioration de la performance tant économique qu'écologique, dans des chaînes de transport au service de la compétitivité des entreprises et de l'attractivité des territoires. L'AUTF salue la stratégie nationale du fret ferroviaire (SNDFF) présentée le 12 décembre 2022 lors du Comité interministériel de la logistique (CILOG), toutefois nous restons attentifs à la concrétisation des actions annoncées. Pour rappel, cette stratégie impliquait huit objectifs et vingt-trois actions pour faire de la France un leader de la logistique durable. La feuille de route présentée était excessivement ambitieuse, et il s'agit désormais de savoir où nous en sommes quinze mois plus tard. Je tiens à préciser que les chargeurs n'ont de toute façon pas attendu la mise en oeuvre de cette stratégie nationale pour contribuer activement au financement de la décarbonation des transports. Premier point, la crise énergétique a impacté la majeure partie des chargeurs, et notamment le choix du mode de transport : trois quarts des chargeurs affirment que la hausse des prix de l'énergie a eu des conséquences sur les choix de transport tandis qu'un chargeur sur deux estime que la crise énergétique a eu un impact élevé ou moyen sur le transport ferroviaire de leurs marchandises. Enfin, un tiers d'entre eux considèrent qu'ils ont été fortement impactés. Deuxième point, il existe une faible adéquation entre les besoins des chargeurs et l'offre de fret ferroviaire : moins d'un tiers des chargeurs jugent que l'offre de transport ferroviaire conventionnel correspond à leurs besoins. Plus d'un tiers des chargeurs affichent des perspectives de hausse du recours au transport ferroviaire conventionnel d'ici deux ou trois ans.

Fort de ces observations, l'AUTF porte des solutions concrètes pour atteindre les objectifs de réduction de l'empreinte carbone des chaînes logistiques et permettre aux professionnels de réaliser leur transition dans des conditions soutenables. Nous souhaitons mettre en avant trois objectifs. Le premier serait de déployer une approche systémique du transport massifié et du maillage territorial en infrastructures. Le deuxième consiste à sécuriser les flux stratégiques. Le troisième est de donner de la lisibilité dans la mise en oeuvre de la SNDFF.

Premier objectif donc : adopter une approche systémique du transport massifié, c'est-à-dire que nous devons éviter l'approche en silos : il s'agit de penser le transport ferroviaire, routier et fluvial de concert. Le besoin d'infrastructures, par ailleurs, est réel : il s'agit de penser et repenser le maillage territorial avec des plateformes multimodales équipées d'appareils de levage et de moyens de manutention de vrac. Deuxième objectif : dans le cadre des politiques de réindustrialisation, il faut développer dans les territoires des flux logistiques stratégiques robustes, capables de résister à la survenance de crises. Ces flux permettraient de soutenir l'effort de maintien des plateformes industrielles stratégiques existantes, et d'accompagner l'installation de nouvelles plateformes. Je pense par exemple au développement des Gigafactories de batteries, dans le Nord : quel type d'infrastructure est prévu pour l'appui logistique de ces installations ? Il s'agirait aussi d'envisager un service minimum en cas de mouvement social sur ces trains stratégiques. Enfin, troisième objectif : il s'agirait de définir un calendrier lisible et supportable de mise en oeuvre de la SNDFF afin que les professionnels puissent anticiper leurs besoins d'investissement.

M. Jean-François Lepy, directeur général de Soufflet Négoce InVivo et secrétaire d'Intercéréales. - L'une des caractéristiques de la filière céréalière, que je représente est que nous sommes sur des flux de trains complets. Nous avons très peu de wagons isolés. Nous sommes également sur un flux par bassin dans la plupart des cas, c'est-à-dire que nous avons des silos de collecte embranchés pour alimenter des usines ou des ports, puisqu'une tonne sur deux est exportée. L'un de nos atouts, c'est donc que nous transportons, comme je viens de le dire, des trains complets. C'est un transport massifié, homogène, qui permet de faire des économies d'échelle, lorsque les conditions sont réunies, et de décarboner notre filière et notamment notre maillon transport, puisque chaque train complet de 1 300 tonnes environ représente entre 25 et 28 camions de moins sur les routes.

Tout comme Jean-François Lagane, je salue les initiatives qui ont été prises depuis quelques années sur le fret ferroviaire. Néanmoins, nous constatons plutôt un déclin de l'utilisation du fret ferroviaire dans le transport de céréales. En 2010, nous comptions 4,5 milliards de tonnes-kilomètres transportées par le mode ferroviaire, tandis que nous sommes aujourd'hui à environ 2 milliards. Le fret ferroviaire ne représente plus que 15 % des flux de transports de céréales, contre 20 à 25 % il y a dix à quinze ans. Le mode de contractualisation des chargeurs avec l'offre de transport ferroviaire ne permet pas d'être en adéquation avec les besoins de notre filière. Aujourd'hui, une entreprise ferroviaire fait majoritairement face à des coûts fixes. Elle doit louer ses machines, payer ses salariés, et pour pouvoir équilibrer ses comptes, elle demande à son chargeur de s'engager sur des plans de transport très optimisés, dans un contexte où les points de chargement et déchargement sont très différents les uns des autres. Dans ce schéma très optimisé, les aléas - c'est-à-dire l'absence d'un chauffeur pour conduire la machine, ou un aiguillage mal réglé par SNCF Réseau - n'ont plus place. Or, nous constatons en pratique que le taux d'aléas se situe entre 15 et 25 %. Donc un train sur cinq est annulé, ce qui est assez considérable. Ces trains non réalisés sont contractuellement assujettis à des pénalités d'annulation tardive, qui représentent 60 % de la valeur de transport de ce train. Le deuxième problème est que dans un plan optimisé comme ceux qui nous sont proposés, un train annulé ne peut être replacé qu'au bout de trois ou quatre mois. Nous sommes donc face à une cristallisation des aléas qui fait que le transport ferroviaire devient une charge très importante pour les chargeurs, mais aussi pour les entreprises ferroviaires.

Si l'on regarde le détail des 20 % de trains annulés, on observe que la moitié est liée à SNCF Réseau, tandis que l'autre moitié est liée aux chargeurs et aux opérateurs ferroviaires. C'est pour ces raisons que nous ne faisons parfois plus appel au ferroviaire : c'est une source de surcoût et de non-compétitivité. Je peux également évoquer le sujet des capillaires, qui alimentent, avec quelques trains par semaine ou par mois, un silo embranché sur le réseau secondaire puis primaire. Ce réseau capillaire a été laissé à l'abandon pendant plus de quarante ans par SNCF Réseau, puisque le transport de voyageurs a été jugé prioritaire, et plus particulièrement le transport de voyageurs à grande vitesse. Nous faisons donc face, aujourd'hui, à une impasse, puisque ce réseau doit être régénéré pour accroître l'attractivité du mode ferroviaire.

Pour autant, je crois beaucoup au fret ferroviaire, qui est un moyen de massification de nos flux, qui doit être un moyen de compétitivité, alors même que l'agriculture française a grandement besoin de pouvoir compter sur des chaînes logistiques très compétitives. Il existe des moyens d'amélioration, que cela passe par la facilitation de l'accès aux sillons, l'amélioration des relations contractuelles entre les entreprises ferroviaires et les chargeurs, ou encore la rénovation des capillaires.

M. Jean-Yves Ollivier, directeur supply chain granulats nord chez CEMEX et président de la commission transport et logistique de l'Union Nationale des Producteurs de Granulats (UNPG). - L'Union nationale des producteurs de granulats (UNPG) est la fédération qui regroupe les industries extractives et les fabricants de matériaux de construction. Très concrètement, en 2021, nous représentons environ 326 millions de tonnes granulats, 1 million de tonnes de pierres naturelles et 37 millions de mètres cubes de béton prêt à l'emploi. S'agissant de la logistique ferroviaire au sein de la fédération, nous avons transporté 10 millions de tonnes en 2021 par voie ferroviaire, soit 3,2 % de la production nationale. En 2010, nous nous situions à 13 % de matériaux transportés par voie ferroviaire, donc je rejoins Jean-François Lepy : nous observons une très forte baisse de ce mode de transport dans notre secteur, sur les dix dernières années. Ce volume représente environ 2 milliards de tonnes kilomètres aujourd'hui. Les principaux flux ferroviaires sont axés sur la région Île-de-France, au départ des régions Hauts-de-France, Champagne-Ardenne et Poitou-Charentes.

Dans le cadre du plan France relance, nous avions chiffré 28 projets de transports ferroviaires pour les granulats, dont60 % de projets de rénovation et de modernisation et 40 % de projets de création de nouvelles installations terminales embranchées (ITE). En particulier, figurent des projets industriels structurants pour les territoires : plateformes interconnectées fer-fluvial-route, plateformes périurbaines pour l'accueil et le transfert de déblais.

Les principales problématiques qui nous sont remontées portent sur les cours de marchandises et leurs accès mal entretenus ou nécessitant des évolutions pour réduire les impacts auprès des riverains, des blocages de circulation par mauvaise gestion des plages de travaux, par insuffisance d'entretien, défaut d'automatisation ou d'exploitation et enfin des sillons non disponibles par priorisation encore trop systématique des trafics voyageurs. D'ores et déjà, il apparaît clairement que les industriels des matériaux, que représente l'UNPG, ont besoin, pour contribuer efficacement à l'effort de décarbonation de leur secteur, qu'au minimum, la pérennité du réseau ferré public existant, ainsi que sa maintenance, soient assurées par un financement intégral contrôlé par les pouvoirs publics et que des projets de développement puissent être accompagnés pour bénéficier des synergies régionales et interrégionales.

J'aimerais aussi évoquer un exemple plutôt positif : celui d'un flux, assez novateur, au départ d'une carrière située à Voutré, en Mayenne, transporté vers la région Île-de-France, en passant par une plateforme située à Trappes. Un flux ferroviaire a été mis en place, avec des conteneurs, permettant l'approvisionnement du marché parisien en granulats, mais surtout le retour à charge, ce qui est assez rare dans nos métiers, avec des déblais de la région parisienne.

Pour conclure cette intervention, je rejoins le point évoqué par Jean-François Lepy, concernant le manque d'entretien des lignes capillaires, dites « lignes de desserte fine du territoire », qui sont assez structurantes et permettent une meilleure agilité. Cette agilité manque réellement actuellement, alors qu'elle est pourtant un des axes primordiaux dans nos métiers, pour pouvoir répondre à de nouveaux chantiers. Le point positif, c'est que nos métiers ont de réels besoins de massification, auxquels le mode ferroviaire peut répondre, tout en permettant de décarboner notre logistique.

M. Hervé Martel, président du directoire du grand port maritime de Marseille Fos. - Le transport ferroviaire est un enjeu stratégique pour les grands ports maritimes, tant en matière de respect de nos objectifs de décarbonation qu'en matière de performance économique, car au-delà d'une certaine distance, le mode ferroviaire est performant à la fois du point de vue écologique et économique. Le transport ferroviaire sur un port, c'est en fait beaucoup de choses différentes. Ce sont à la fois des marchandises qui ont traversé un terminal et partent sur un train pour être acheminées directement vers des destinations intérieures. Typiquement, c'est le cas de Michelin, qui approvisionne son usine, ou dans le cas de conteneurs ou de matières premières qui vont vers des usines. Vous avez également des entrepôts logistiques comme peut en avoir un groupe comme IKEA. Dans ce cas, ce ne sont plus des conteneurs qui sortent, mais des caisses mobiles qui partent vers d'autres entrepôts situés à l'intérieur des terres. Et vous avez enfin des industries implantées sur la zone portuaire, qui vont transformer des matières premières qui arrivent par voie maritime pour ensuite acheminer des produits finis dans le territoire français ou européen, comme ce peut être le cas pour un acteur comme Arcelor. Ce sont donc des segments différents, qui présentent des problématiques différentes.

Sur le port de Marseille, environ 55 % du flux empruntant le mode ferroviaire sont des marchandises diverses, essentiellement des conteneurs, et des voitures, à la marge. Le reste, ce sont des vracs. Or, le vrac se traite au cas par cas, il faut une logistique presque dédiée pour chaque transport. Le vrac ne va pas bien sur le port de Marseille en ce moment, puisque l'arrêt de l'un des deux hauts fourneaux d'Arcelor par exemple a nécessairement un impact sur l'activité ferroviaire. Pour ces acteurs majeurs, le ferroviaire n'est pas une option, c'est la solution privilégiée. L'une des raisons qui mènent des industriels comme Arcelor à s'installer sur une zone portuaire, c'est précisément la présence d'une offre logistique importante, notamment ferroviaire, pour le trafic de pondéreux. Dans le cas du transport de conteneurs, vous serez peut-être surpris, nous avons connu un triplement de l'activité ferroviaire en 10 ans, entre 2012 et 2022, alors que le trafic maritime n'a évolué que de 50 %. Donc, jusqu'en 2022, nous avons connu depuis plusieurs années une baisse de la part modale du transport routier, qui est resté inférieur à 80 % jusqu'à cette année-là. L'année 2023 a été fortement perturbée, et le manque d'agilité du transport ferroviaire pour répondre à ces perturbations a entraîné un recul, mais cette année n'est pas représentative.

Pour répondre à la question posée par le président Longeot, la part modale du ferroviaire a atteint 17 % en 2022 sur les marchandises diverses. C'est un bon ,voire un excellent résultat à l'échelle européenne, nous sommes l'un des cinq premiers ports européens en part modale du ferroviaire. Tel n'est pas le cas du transport fluvial, qui est en difficulté sur l'axe Méditerranée-Rhône-Saône. En 2024, on compte 12 opérateurs ferroviaires et 190 offres commerciales de transport combiné vers 19 destinations en France et en Europe, dont un nombre important dans la vallée du Rhône et jusqu'à Lyon.

Que faut-il pour accroître la part modale du transport de fret ferroviaire ? Des infrastructures sont nécessaires, de même qu'une offre de services ferroviaires et des clients pour lesquels cette offre correspond à un besoin. Sur l'infrastructure, l'enjeu est de disposer de terminaux. Il faut pouvoir faire des trains longs sur ces terminaux pour avoir des transports plus compétitifs. Il faut également avoir des chantiers ferroviaires directement présents non seulement sur les terminaux, mais au coeur des zones logistiques, pour que les marchandises qui ressortent des entrepôts puissent aussi bénéficier d'une offre ferroviaire. Il faut donc travailler à un maillage de ces lieux de massification que sont les ports. Il faut des chantiers ferroviaires, où l'on charge et décharge des trains. Mais ces installations ne sont utiles que si l'on dispose, à l'autre bout de la chaîne, des plateformes ferroviaires de transport combiné, qui accueillent également des trains longs, qui sont positionnées et aménagées là où il faut acheminer ou charger les marchandises. Donc l'évolution de ce positionnement des chantiers ferroviaires à l'intérieur du pays est un enjeu essentiel, et cela implique une véritable planification. Un autre élément essentiel, est l'infrastructure linéaire, et notamment le capillaire. Nous avons un sujet avec SNCF Réseau sur la régénération du réseau, y compris dans les ports, afin de lever les limitations de vitesse qui nous frappent pour le moment, mais aussi pour moderniser le réseau, avec peut-être à terme le doublement des voies à certains endroits. Nous avons aussi des enjeux importants au niveau national, je pense notamment au noeud lyonnais, avec la question de l'étoile lyonnaise, le contournement nord et sud, afin que Lyon ne soit plus une agglomération sur laquelle les trains viennent « buter ». Il faut que l'on puisse travers cette zone lyonnaise de manière fluide, et c'est un enjeu stratégique pour le port de Marseille, qui doit se développer vers le Sud-Ouest, Bordeaux, mais aussi vers l'est de la France, le sud de l'Allemagne, et même, sur certains flux, vers l'Île-de-France et l'Angleterre. Il faut ensuite des services, à commencer par des sillons. Cela suppose de la place dans la programmation de la capacité du réseau, pour faire passer des trains de fret en plus des transports de voyageurs, voire en priorité. Quand on regarde les ambitions fixées au port de Marseille Fos pour les dix à quinze ans à venir, où nous avons pour objectif de progresser de 17 % à 25 % de parts de marché ferroviaire, sur un trafic lui-même en croissance, cela implique plus de trains. Et cela implique forcément plus de sillons, ce qui est crucial dans la gestion du réseau ferroviaire. Cela suppose d'anticiper et d'avoir une visibilité à long terme. Ce qui est certain, c'est que nous ne manquons pas d'opérateurs ferroviaires. Enfin, il faut avoir des clients. Le train doit être un élément d'une solution logistique performante pour celui qui l'utilise. L'objectif n'est pas le ferroviaire, mais la compétitivité de la chaîne de transport logistique. C'est peut-être la différence entre les acteurs économiques, qui utilisent le fluvial et le ferroviaire lorsqu'ils apparaissent comme des éléments d'une solution compétitive et performante sur le plan environnemental, tandis que pour les acteurs publics, l'utilisation de ces modes de transport est un objectif en soi. Le ferroviaire est toujours plus complexe, mais il peut présenter des avantages compétitifs dès lors que l'on améliore l'ensemble de la chaîne de transports. Il faut notamment que les plateformes ferroviaires soient bien connectées aux entrepôts logistiques. Il y a donc une logique de planification à développer, pour construire un système qui utilise le transport ferroviaire comme l'un des éléments les plus performants et compétitifs possibles. C'est un chantier de long terme.

M. Philippe Tabarot. - Nous croyons particulièrement au fret ferroviaire dans cette commission, et au Sénat. Nous avons d'ailleurs inscrit l'objectif de doublement du fret ferroviaire dans la loi « Climat et résilience » d'août 2021, nous avons déposé une proposition de loi pour mieux prendre en compte la part du fret dans le contrat de performance avec SNCF Réseau. Je rappelle aussi que le Conseil d'orientation des infrastructures a validé la montée en puissance du fret ferroviaire, en précisant que des investissements particulièrement élevés et conséquents dans la durée seront indispensables, notamment pour le noeud ferroviaire de Lyon, dont vous avez parlé. Le Gouvernement s'est engagé sur un plan de financement de 4 milliards d'euros d'ici 2032, avec une augmentation, conséquente, de 200 millions d'euros sur le secteur du fret.

J'ai quelques précisions à vous demander. Vous parliez des sillons, il se trouve que le président-directeur général de SNCF Réseau nous a indiqué un net progrès dans l'attribution des sillons fermes, avec un passage de 70 à 85 %, validez-vous cette annonce ? Les investissements annoncés répondent-ils par ailleurs à vos demandes ? SNCF Réseau apporte-t-elle des garanties minimales par sillon pour une circulation par tranche horaire quotidienne ? Qu'en est-il de l'ordre de priorité actuel des trains de voyageurs sur les trains de marchandises, que vous avez rapidement évoqué ? Est-il si pénalisant de faire circuler les trains principalement la nuit ? Faut-il plus de créneaux de jour à votre avis ? Par ailleurs, le programme de modernisation prend-il bien en compte l'amélioration des noeuds ferroviaires, notamment le noeud lyonnais, de l'Île-de-France et de Lille, très importants en matière de fret ?

Une directive est actuellement en discussion au Parlement européen, portant sur le poids des camions de marchandises. Une proposition vise à autoriser le passage aux frontières des 44 tonnes. D'autres propositions visent à permettre la circulation de « méga-camions » de plus de 25 mètres, allant jusqu'à 60 tonnes. Qu'en pensez-vous, en tant que chargeurs ? Pour les céréaliers, où en êtes-vous quant aux difficultés d'accès à la Seine durant les Jeux olympiques ? Enfin, en tant qu'élu régional, j'avais travaillé avec l'État sur un plan de fret ferroviaire, pour favoriser la desserte du grand port maritime, qui prévoyait la création de deux nouveaux terminaux, notamment pour remplacer celui du Canet, dans les quartiers nord de Marseille. Est-ce que ces chantiers répondent aux projets ambitieux du port de Marseille Fos ?

M. Stéphane Demilly. - Je m'interroge sur les termes choisis pour cette table ronde : « l'avenir du fret ferroviaire ». Quand on vous écoute, messieurs, on est particulièrement démoralisé et inquiet. Je repense notamment aux paroles d'une chanson d'Annie Cordy, « J'voudrais bien, mais j'peux point », qui pourrait résumer les propos que vous avez tenus. Dispose-t-on d'analyses comparatives avec d'autres pays ? En France, le transport par rail représente 10 % du trafic, alors qu'il s'élève à 35 % en Suisse, 32 % en Autriche, ou encore à 18 % en Allemagne. Quels sont les freins en France ? J'ai compris que nous avons des problématiques liées à l'organisation, au prix, aux sillons, aux potentielles grèves qui peuvent toucher le secteur. Non seulement ça ne marche pas mais je constate que le peu qui fonctionnait marche encore moins bien que les années précédentes, comme vous l'avez indiqué.

Par ailleurs, j'aimerais évoquer le projet de liaison entre les trois ports Paris, Le Havre et Rouen, ainsi que le projet infrastructurel européen, le Canal Seine Nord Europe.

M. Pierre Barros. - Je suis heureux que nous puissions discuter de problématiques concrètes, avec pragmatisme, avec des utilisateurs du réseau ferroviaire. Une stratégie a été menée il y a plusieurs décennies, pour organiser le transport sur le territoire français, notamment pour répondre à une problématique militaire. Votre stratégie est au service du développement économique des territoires, de la rentabilité des entreprises qui emploient le réseau. Mais on constate que cette stratégie est mise à mal par l'état des sillons qui peut être défaillant à certains moments, ou encore par des difficultés pour trouver des conducteurs. Vous avez parlé, diplomatiquement, d'aléa, pour évoquer l'impact important de ces défaillances sur le transport de milliers de tonnes de céréales par exemple. J'ai bien compris que vous aviez besoin d'interlocuteurs fiables. Le fret ferroviaire est parfois la seule solution. Le transport de matériaux pour alimenter les centrales à béton et les chantiers d'Île-de-France est évidemment stratégique. En Seine-et-Marne, il existe des endroits où une douzaine de kilomètres de réseau ferré est un véritable goulot d'étranglement pour l'approvisionnement de l'Île-de-France en ressources essentielles à son développement économique. Il y a un bras de fer entre l'État et vous, porteurs, pour réaliser les travaux nécessaires à l'entretien de ces voies stratégiques.

J'aimerais poser trois questions. Le Gouvernement a annoncé le 23 mai dernier une série de mesures pour atteindre l'objectif de doublement de la part modale du fret ferroviaire en 2030. À vous écouter, on semble plutôt s'éloigner de l'objectif que s'en rapprocher. Comment envisagez-vous la relance du fret ferroviaire en l'absence de Fret SNCF, alors même que vous avez besoin d'un interlocuteur fiable pour reprendre vos mots ? Le plan de discontinuité annoncé par le Gouvernement ne risque-t-il pas d'affaiblir toute la filière au point de mettre à mal la relance du fret ferroviaire ? Craignez-vous une nouvelle vague de report modal vers la route ? Concernant le projet de directive européenne qu'évoquait Philippe Tabarot, nous sommes à contre-courant de tout ce que soutient cette commission, avec des outils de transport qui ne sont pas forcément adaptés à vos métiers. Cette directive risque, à cet égard, de porter un coup fatal au transport combiné rail-route, alors qu'il est le fer de lance du développement du fret ferroviaire. S'il est voté, quel impact aurait ce texte sur vos filières respectives ?

M. Rémy Pointereau. - Le constat que vous nous partagez, nous le connaissons malheureusement depuis longtemps, et nous le constatons avec l'accroissement constant des poids lourds sur nos routes départementales et nos autoroutes. Quand vous habitez dans le centre de la France, et notamment le Cher et l'Indre, vous constatez que ces territoires sont pénalisés par les coûts de transport pour aller vers les ports de La Pallice et de Rouen, avec un prix de 5 à 7 euros la tonne, ce qui n'est pas négligeable. Je regrette que SNCF Réseau ne soit pas présent à cette table ronde, parce que l'on constate que les choses n'avancent pas, malgré l'ouverture à la concurrence, depuis plusieurs années, sur le secteur du fret. SNCF Réseau renvoie parfois la responsabilité aux chargeurs, qui n'investissent pas dans certains embranchements . Quels sont vos rapports avec SNCF Réseau ? Comment pouvons-nous agir pour faire avancer ces dossiers ?

M. Jean-François Lepy. - Sur les travaux d'infrastructure et la régénération des capillaires, c'est une question clef du point de vue de la compétitivité. Nous avons un gestionnaire d'infrastructure qui est également maître d'oeuvre des travaux. Et sur la gestion des capillaires, je regrette que nous ayons une vision au cas par cas et qui n'est pas globale. Lorsque vous avez un capillaire impropre à la circulation, SNCF Réseau interroge la région compétente, les chargeurs qui utilisent ce capillaire, et, si les travaux de régénération pour permettre au capillaire d'être utilisé encore cinq ans ne sont pas trop excessifs, les coûts seront partagés entre la région, les chargeurs et SNCF Réseau. Puis, on ajoute un coût à la tonne supporté par le chargeur pour entretenir ce capillaire à l'avenir. C'est une forme de prise d'otage, qui manque de vision globale : on traite capillaire par capillaire, sans comparaison avec des offres concurrentes qui plus est. Il serait sûrement utile de regrouper plusieurs capillaires dans le calcul des coûts, pour un coût qui serait moins cher au kilomètre. Si les chargeurs ne peuvent pas suivre le coût calculé par SNCF Réseau, c'est le camion qui est utilisé comme mode de transport. Un premier axe d'amélioration serait d'avoir une vision à l'échelle d'un bassin, pour mutualiser les coûts entre plusieurs régions. Vous avez aussi parlé des sillons : lorsque vous regardez les trains annulés, la moitié des annulations est liée à SNCF Réseau, pour des raisons diverses (le sillon a « sauté », absence du personnel, débordement des plages de travaux, etc.). Je rappelle d'ailleurs que SNCF Réseau a initié un cycle de travaux très importants qui a des effets de bord. Sanctuariser ces sillons, notamment ceux de longue distance, me paraît donc essentiel.

Certaines régions sont en effet plus enclavées que d'autres, et c'est dans ces zones que la puissance publique doit intervenir, faute de quoi nous allons tuer des économies céréalières. Il faut donc développer une vision d'ensemble.

S'agissant de la comparaison avec les autres pays, le transport de céréales est rarement assuré par le mode ferroviaire dans les autres pays. C'est le cas en Allemagne et en Italie. Mais, en France, ce n'est presque pas le cas, car les flux qui pourraient être exportés par train ne sont pas aussi compétitifs que les pays européens de l'Est, notamment la Pologne et la Hongrie, qui ont des disponibilités de sillons pour le fret bien plus importantes.

Quant à l'ambition gouvernementale de doubler la part du fret en France d'ici 2030, je pense que, sur le vrac, l'objectif sera, pour le transport de céréales, difficile à atteindre.

Vous parliez aussi de l'interlocuteur unique. Il est vrai que les chargeurs ne sont pas en lien direct avec SNCF Réseau, mais avec les opérateurs ferroviaires, qui eux sont en lien avec SNCF Réseau. Donc en effet, il est vraiment utile d'avoir un opérateur ferroviaire qui puisse dialoguer avec SNCF Réseau dans de bonnes conditions, c'est un enjeu pour les chargeurs. Par ailleurs, les entreprises ferroviaires en concurrence se paupérisent, et ne sont donc plus en capacité de porter une vision globale.

S'agissant de l'autorisation du passage des camions 44 tonnes à la frontière, nous sommes évidemment très favorables à cette mesure. Sur les « méga camions », il y a une difficulté liée à l'optimisation logistique, car il faut pouvoir charger et décharger ces camions.

Enfin, pour la question des Jeux olympiques sur la Seine, nous avons abouti, de concert avec la préfecture d'Île-de-France, à une interdiction de circulation complète sur la Seine sur une période de 6 jours et demi, mais nous estimons que cette situation sera gérable, car nous avons pu l'anticiper. Au-delà de cette période, nous pourrons circuler quasiment tous les jours pendant les épreuves, y compris lors des épreuves sur Seine. Le plus important est d'avoir un interlocuteur privilégié à la préfecture de police de Paris pour faire circuler les informations en fonction des aléas. Ce qui m'inquiète beaucoup plus, c'est le pont de Sully, endommagé le 31 janvier dernier. Certains experts avancent qu'il ne faut plus faire circuler de transports sous le pont, ce qui nous pose évidemment un problème. Les travaux de sécurisation du pont, puis de remise en état m'inquiètent. Si les travaux durent trois semaines ou plus, ce sera potentiellement plus dommageable pour nous que les Jeux olympiques.

M. Jean-François Lagane. - Vous l'aurez compris, l'infrastructure est primordiale dans le mode ferroviaire, au niveau du point A, du point B, mais également en point intermédiaire. Si l'on veut faire des trains, les construire correctement, il faut pouvoir faire du contre-flux, pour réduire le coût, avec toute la complexité que ça implique. La structure de coût d'un train conventionnel est assez importante : location du wagon, entretien du wagon, création de l'infrastructure, entretien d'infrastructure, la traction, les pannes, les retards, les pénalités, la mise en place des sillons notamment. En additionnant tout cela, puis en le rapportant à la tonne ou à la palette, on s'aperçoit que le coût est considérable en comparaison avec le camion, ce qui fait grandement réfléchir. La question est : pourquoi veut-on faire du ferroviaire ? Cette appétence provient du fait que l'infrastructure des industriels et des chargeurs est déjà adaptée au ferroviaire. Donc il peut facilement faire du chargement en « temps masqué », de massifier. Un train fonctionne s'il est massifié, régulier et fréquent. Pour réduire les coûts, il faut ensuite organiser des contre-flux, qui ne vont jamais du point B au point A, donc il faut imaginer des points intermédiaires, mais pour ça il est nécessaire de disposer de voies supplémentaires, car un train peut croiser des flux inverses. Je construis pour ma part des trains en provenance d'Italie, qui se rendent dans l'Ouest de la France en s'arrêtant dans l'Est après avoir récupéré des trains dans le Sud. C'est un travail de titan, et pour que cela fonctionne, il faut des faisceaux où l'on peut poser ou prendre des wagons. Un chargeur qui veut prendre en main sa propre logistique de transport doit quasiment se substituer à un réseau de train national, pour construire son propre réseau, pour le rendre performant, stratégique et économiquement viable.

S'agissant de la comparaison internationale, il faut d'abord préciser que la Suisse est un cas à part : vous n'avez pas le choix, si vous souhaitez traverser la Suisse, vous devez prendre le train. Faire passer un train par la Suisse a un coût. Si l'on imagine une traversée de la France de Nord-Est en Sud-Ouest, on réduirait largement le nombre de camions sur la route, mais cela est une décision politique, qui dépasse les chargeurs que nous sommes.

Sur la question de la réglementation européenne, le camion 44 tonnes transfrontalier n'enlève aucun flux au ferroviaire. Si l'on ne dispose pas de l'infrastructure, si l'on n'a pas les volumes pour que le train soit rentable, le transport par le train ne sera de toute façon pas une réalité. Comme l'objectif est de décarboner, laissons de côté les camions et donnons-nous les moyens d'utiliser du train. Si nous pouvons privilégier le train, nous le ferons. Le chargeur est pragmatique et parfois opportuniste : il se pose une question de performance économique. C'est la même logique pour le camion 46 tonnes multimodal. Il y a des actions simples, rapides, qui permettent de décarboner rapidement, d'offrir des solutions pertinentes pour les chargeurs et les transporteurs.

Sur l'avenir du ferroviaire, je pense que la clef réside dans la facilité à mettre les choses en place, dans la capacité d'avoir du volume. Faire 250 kilomètres de train avec 50 tonnes par semaine n'a pas de sens. Même la mutualisation, avec le wagon isolé, est très complexe. On pourrait, pourquoi pas, imaginer une massification à l'intérieur de nos frontières avec par exemple une obligation de recourir au train au-delà de 500 kilomètres. Ce qui est sûr, c'est que le chargeur trouvera toujours des opportunités, la route présente aussi des opportunités au niveau de la décarbonation, avec les camions électriques notamment.

Enfin, je tiens à alerter sur la tentation de créer des contraintes pesant sur le choix des modes de transport. Pour ce qui est de la relation avec SNCF Réseau, plus un chargeur est gros, plus il a l'oreille de SNCF Réseau. Il y a un jeu d'acteurs entre le chargeur, l'opérateur ferroviaire et SNCF Réseau. J'en profite pour aborder la question des travaux par SNCF Réseau : globalement, cela fonctionne bien, il arrive que l'on ait des surprises, des accidents, des déraillements, mais la lisibilité sur la planification des travaux est satisfaisante. Mon inquiétude porte davantage sur le coût des travaux réalisés par SNCF Réseau. Nous avons parfois des surprises et je ne m'explique pas la différence des montants avec les travaux que nous réalisons sur nos ITE.

M. Olivier Jacquin. - Vos analyses ont convergé sur un constat d'un quasi enterrement du fret ferroviaire. J'ai entendu bien peu d'arguments en sa faveur, alors que vos propres entreprises ont des objectifs de décarbonation à atteindre et que celles d'entre elles qui communiquent avec le grand public mettent en avant qu'elles sont vertueuses au niveau environnemental. Or, l'impact carbone d'un train est nettement plus faible que celui des 28 camions qu'il remplace. Je ne vous ai pas assez entendus sur vos propres objectifs de décarbonation.

Dans les territoires, de nombreuses entreprises dépendent de chaînes logistiques ferroviaires. Lorsque le capillaire est menacé, nous apprenons que des financements sont nécessaires. Un cimentier dans mon département a ainsi sollicité les collectivités territoriales pour financer le flux logistique ferroviaire, qui est la source de son avantage compétitif. Il existe de nombreux autres exemples, que ce soient pour les céréales ou les pondéreux, comme l'acier.

Vous n'avez pas parlé des autoroutes ferroviaires, comme l'axe Bettembourg-Perpignan, qui est plutôt bien fréquenté. Quelles sont vos réactions sur ces autoroutes ferroviaires. Pierre Barros a mentionné le plan de discontinuité de Fret SNCF. Quel est son impact de cette restructuration profonde ? Quelles différences de fonctionnement existent entre les opérateurs publics et privés ?

M. Hervé Gillé. - Quelle est votre vision sur la libéralisation du fret ferroviaire et le démantèlement de Fret SNCF ? Cela semble créer une phase d'incertitude sur ce secteur alors que le fret ferroviaire gagnait des parts de marché : celles-ci sont désormais en stagnation, et l'on peut même craindre une régression dans les années à venir. Pour prolonger le propos d'Olivier Jacquin, il est difficile de mesurer l'impact des 4,7 milliards d'euros annoncés dans le cadre du plan de relance. Il faut veiller à ce que les rabots budgétaires, celui-ci qui vient d'être mené, mais également celui qui aura lieu en 2025, ne touchent pas des investissements prioritaires. Sur la question des investissements et de l'ambition qu'ils doivent porter, la stratégie nationale ne semble pas vraiment déclinée de manière cohérente, notamment à l'échelle régionale. Je ne comprends pas que, en tant que forces vives, vous n'agissiez pas plus proactivement et n'exerciez pas une pression politique suffisante pour faciliter son déploiement dans les contrats de plan État-région (CPER) et les contrats de plan interrégionaux État-Régions (CPIER) et avoir ainsi une vision stratégique partagée et décentralisée.

M. Jacques Fernique. - L'enjeu est de rendre attractives et compétitives les solutions ferroviaires dans l'ensemble de la chaîne de transports. Nous avons des objectifs de doublement de la part modale du ferroviaire et de triplement du transport combiné entre 2019 et 2030, c'est-à-dire très bientôt. Je note que l'adaptabilité et la souplesse de la route demeurent des données essentielles qui doivent peser dans l'arbitrage des chargeurs, alors même que nous connaissons son poids considérable en matière énergétique et environnementale, et c'est pour cela d'ailleurs que nous avons ces objectifs de report modal. Sur le ferroviaire, nous sommes bridés par l'état de l'infrastructure, nous avons besoin d'une réelle stratégie d'investissement. Si nous ne développons pas les gares de triage, nous ne pourrons pas développer le wagon isolé. Si nous ne développons pas les grandes infrastructures d'évitement, nous ne pourrons pas accroître la fréquentation des lignes, et si nous ne développons pas l'accès à nos ports, nous ne pourrons pas non plus accroître la part modale du transport ferroviaire. Nous avons parlé de nos voisins européens, notamment la Suisse, l'Allemagne, l'Autriche et les Pays-Bas, qui atteignent pour certains 20 à 30 % de part modale pour le fret ferroviaire. Ils ont certes réalisé un effort sur l'infrastructure, mais il existe en parallèle un effort de rééquilibrage compétitif entre la route et le train, à travers deux leviers : le principe du pollueur-payeur d'une part et un soutien direct du train afin de diminuer ses coûts, d'autre part. À votre sens, peut-on réussir à réguler le routier sans contraindre, afin de limiter les dégâts ?

M. Franck Dhersin. - Les chiffres sont clairs, 80 % du fret est sur la route, et il reste 20 % pour le rail et le fluvial. Nous sommes tous d'accord pour dire que ces chiffres ne nous satisfont pas, et que le pourcentage de transport par camion doit diminuer. Pour cela, il faut investir, on l'a dit, dans l'infrastructure ferroviaire, mais nous ne parvenons pas à trouver les 100 milliards d'euros promis depuis plusieurs mois, le Gouvernement faisant même marche arrière puisque les investissements dans les transports ont été rabotés. Mais les problèmes sont divers, la question des sillons est notamment importante. La priorité de SNCF Réseau reste le transport de passagers, je le sais pour avoir fait face à cette réalité dans ma région. Je vous pose donc la question, que je souhaite poser au Gouvernement également : où en sont les projets d'autoroutes ferroviaires, avec des axes réservés au fret ? Lorsqu'on sait que l'État dépense 3,8 milliards d'euros pour rénover l'infrastructure alors qu'il en faudrait 10 par an, on voit bien que nous sommes face à un problème. Sur les capillaires notamment, j'ai observé ce décalage dans la région Hauts de France : région doit financer à hauteur de 50 %, et SNCF Réseau ne met pas plus de 8 %, le reste revenant aux chargeurs, ce qui n'est évidemment pas possible.

J'entends dire que les gros chargeurs étaient prêts à investir massivement dans le fret ferroviaire, est-ce vrai ? Par ailleurs, comme vous le savez, nous sommes en train de bâtir le chaînon manquant du transport fluvial, à travers la construction du canal Seine Nord Europe, afin de relier l'ensemble des axes en Europe, avec quatre ports intérieurs dont deux seront reliés au fret ferroviaire. Nous sommes prêts dans les Hauts de France et la chatière du Havre va enfin se lancer ; ce canal doit être un avantage pour le Havre et Dunkerque avant toute chose, et non simplement pour Anvers et Rotterdam. Et enfin, quel est l'impact du Zéro artificialisation nette (ZAN), qui va nécessairement être pris en compte dans vos futurs projets, comment êtes-vous touchés par ces futures restrictions ?

Mme Nicole Bonnefoy. - J'aimerais vous interroger au sujet de la route nationale 10 (RN10), en Charente, qui est un véritable « aspirateur » à camions. On décompte 10 000 camions journaliers, qui transitent par notre route nationale - et départementales - afin d'éviter l'autoroute pour réaliser des économies. On nous répond qu'il est impossible d'empêcher ce phénomène, au nom de la liberté de circulation des marchandises. Nous faisons face au même problème avec la route nationale 141, en cours d'aménagement à deux fois deux voies, et qui attire également un flux international considérable de camions, qui viennent se déverser sur la RN10 au niveau de l'agglomération d'Angoulême, et viennent l'asphyxier, avant de se diriger vers la métropole bordelaise, sur la route de l'Espagne. Les effets environnementaux de ce phénomène sont évidemment considérables, tant pour la nature que pour la santé humaine. À côté de cela, on décarbone les autoroutes. Mais cet effort est inutile si nous « carbonons » parallèlement les routes nationales et départementales. Les élus locaux et les citoyens sont démunis face à cette réalité, d'autant que ce trafic se développe et que les méga-camions à 60 tonnes sont en passe d'être autorisés. Le transport routier est le premier émetteur de gaz à effet de serre, ce constat est donc réellement problématique.

Par ailleurs, vous nous disiez tout à l'heure que pour mettre en place des lignes de fret ferroviaire, il fallait des infrastructures et des clients. Nous avons les deux à Cognac : une gare de fret ferroviaire et des millions de bouteilles de Cognac qui partent chaque année. Pourtant la gare de fret, inaugurée en 2007 par le ministre des transports à l'époque, est à l'arrêt depuis des années, faute d'opérateurs candidats et de rentabilité. Alors nous avons tout, mais cela ne fonctionne pas. Pourquoi ? On nous répond que c'est compliqué, tout est compliqué, mais que faut-il faire pour régler le problème ? En tant que législateur, élu local et citoyen, nous sommes démunis. Je rappelle l'urgence en matière climatique, où le transport est le premier contributeur en émissions de gaz à effet de serre. Je rejoins ce que disait mon collègue Hervé Gillé : là où il y a une volonté, il y a un chemin. Vous avez l'expérience, nous avons de la volonté : comment et quand y arriver ?

M. Simon Uzenat. - Je souhaite évoquer un point rapide sur la situation de la Bretagne, encore plus dégradée qu'au niveau national : nous sommes à 9 % au niveau national et à 1 % dans ma région. Cela s'explique évidemment par les particularités géographiques de notre territoire, mais je voudrais apporter des précisions et vous poser quelques questions. Tout d'abord, s'agissant des carrières et des granulats, nous avons la chance d'avoir en Bretagne deux carrières dépassant le million de tonnes de production par an. Or, quand on interpelle les dirigeants de ces sites, ils nous indiquent bien qu'ils se situent sur des périmètres relativement réduits, de quelques dizaines de kilomètres au mieux. Est-ce que le fret ferroviaire concerne les régions de la même manière ? S'agissant des céréales et leur acheminement vers ou depuis les les ports - nous avons Brest, Lorient, Saint-Malo -, avez-vous des points particuliers à nous faire remonter ? Enfin, sur la partie infrastructures, le centre de transport combiné de Rennes qui faisait face à des inquiétudes quant à son avenir il y a encore quelques mois, et qui a désormais des lignes vers Lille et Lyon. Vous parliez, monsieur Lagane, de potentiels trains vers l'ouest, cette infrastructure fait-elle partie des destinations potentielles ? Les installations terminales embranchées (ITE), dont vous avez parlé, font partie des infrastructures figurant dans le volet mobilités du CPER 2023-2027, qui ne comporte pour l'instant que du financement État ou région. De la même façon, sur les lignes capillaires de fret, nous sommes confrontés aux mêmes problématiques que les autres régions : le CPER prévoit 40 millions d'euros d'investissements, dont 24 pour l'État et 16 pour la région Avez-vous été sollicités sur ces différents sujets ?

M. Alain Duffourg. - Le sujet abordé aujourd'hui dans le cadre de cette table ronde est un enjeu macroéconomique national, et chacun d'entre nous connaît une situation particulière qui l'illustre. Dans mon département, le Gers, il existait il y a 30 ans un capillaire qui permettait le transport de voyageurs et de fret. Lorsque j'ai été élu, on disait qu'il fallait rouvrir cette ligne pour assurer le transport de céréales et de produits agricoles gérés par la société Val de Gascogne. J'ai demandé à cette entreprise si la réouverture de cette ligne pourrait les intéresser, qui m'a répondu par la négative, parce que le train qui livrait les céréales à l'époque faisait face à de nombreux aléas et problèmes techniques, des retards et des grèves. La remise en place de ce train aurait pourtant été particulièrement vertueuse, puisqu'un train de céréales correspond à environ 70 camions sur la route. Cette ligne ne peut donc être rouverte, pour toutes ces raisons, mais également pour d'autres raisons s'agissant du transport de voyageurs.

M. Hervé Martel. - Concernant l'ouverture du fret à la concurrence, qui a eu lieu il y a plus de 15 ans, la dynamique est partagée entre le groupe historique et des acteurs privés. L'activité de transport combiné a été multipliée par trois au port de Marseille-Fos, alors que la croissance du trafic global n'est que de 50 % sur dix ans. Il y a donc eu une hausse marquée de la part modale du fret ferroviaire qui traduit une dynamique qui contraste avec le pessimisme ambiant sur ce sujet. Le logisticien auvergnat Combronde a ouvert un chantier de transport combiné à Loire-sur-Rhône, considérant qu'il n'était pas possible fonctionnellement de le faire en coeur de ville à Vénissieux ou à Lyon Édouard Herriot. C'est ainsi un acteur privé qui trouve une solution sur un terrain de taille modeste pour faire un chantier ferroviaire. Un groupe comme Modalis, qui transporte des citernes de gaz naturel vers l'est de la France, a essayé de chercher un modèle économique adapté. Il faut encourager la dynamique qui vient des acteurs privés. C'est une bonne chose de ne pas dépendre d'un monopole.

Sur la question spécifique du Canet, le port de Marseille-Fos est constitué en réalité de deux ports différents avec 400 hectares en ville à Marseille et 10 000 hectares à Fos. Le port de Marseille est encore desservi par le chantier ferroviaire du Canet qui va fermer pour laisser la place au parc des Aygalades, dans le cadre de l'opération d'intérêt national Euroméditerranée. Ce chantier a deux fonctionnalités : la réception et le chargement et déchargement des trains. Il faut donc reconstituer ces fonctionnalités, ce qui est d'ailleurs une obligation nationale et européenne. Certaines marchandises, qui entraient dans Marseille pour en repartir vers Miramas, seront rapatriées vers le chantier ferroviaire T3M de Miramas, le terminal Ouest Provence, qui est maintenant en service. Pour les marchandises à destination du port ou de la ville de Marseille et de la zone d'Aubagne, les trains devraient être reçus sur le port où serait effectuée la manutention de tous leurs chargements. Les deux maîtres d'ouvrage, SNCF Réseau et le Grand Port maritime de Marseille, devraient prendre une décision en ce sens prochainement sous réserve des conclusions de l'enquête publique - le rapport du commissaire-enquêteur est attendu dans les prochains jours. Les nouveaux projets ferroviaires créent de nombreux débats notamment à cause des nuisances sonores liées au passage des trains. Cela s'est toutefois bien mieux passé que la fois précédente, en 2015, et j'ai bon espoir que l'on arrive à des solutions pour faire des autoroutes ferroviaires. Il y a en effet en Méditerranée un trafic assez fort de remorques - environ 200 000 à 250 000, qui viennent essentiellement de Corse et de Tunisie. Un trafic important se développe en provenance de Turquie via Trieste aujourd'hui. Environ les deux tiers de ces remorques partent ensuite sur des trains à destination de la région parisienne et le Royaume-Uni via la Manche. Il y a donc des connexions maritimes et des autoroutes ferroviaires à créer dans nos ports méditerranéens. Le port de Marseille doit se positionner sur ce sujet et avoir un terminal pour les remorques. CMA-CGM a remporté un appel d'offres il y a deux ans pour cette infrastructure. Il faut également des connexions ferroviaires pour que ces remorques puissent être acheminées vers le nord de l'Europe. La reconstitution des fonctionnalités au travers du chantier Darak dans le cadre du grand projet Ligne nouvelle Provence - Côté d'Azur (LNPCA) et la rampe de Saint-André ont fait l'objet d'une enquête publique qui s'est récemment achevée.

Il y a encore trois tunnels sur des gabarits restreints qui ne peuvent laisser passer que des trains surbaissés, avec, de surcroît, des restrictions de vitesse. La mise au gabarit standard européen P400 de ces tunnels, qui coûterait plusieurs dizaines de millions d'euros, est un enjeu clé du déploiement des autoroutes ferroviaires.

J'en viens au « Zéro artificialisation nette » (ZAN). Les projets d'envergure nationale et européenne (PENE), qui permettent à l'État d'avoir un quota d'artificialisation, sont un sujet majeur pour nous : ils permettent de mener les projets d'aménagement logistiques et industriels portuaires et les terminaux portuaires ainsi que les aménagements linéaires. Quid du pendant dans l'hinterland ? C'est tout un enjeu, dans la construction de l'axe Méditerranée-Rhône-Saône, de pouvoir agréger les plateformes intérieures en lien avec un port maritime dans cette logique de PENE. Cet enjeu, qui n'est pas encore tranché, fait l'objet d'échanges avec la préfète de région. Il serait cohérent que le caractère national des enjeux soit reconnu pour l'ensemble de la chaîne logistique, et pas seulement la zone portuaire.

M. Jean-Yves Ollivier. - Nous avons un produit régional, qui a un rayon assez local. Cependant, pour des raisons de types de matériaux, on le transporte plus loin que le cadre régional. Dans ce cas-là, pour utiliser le ferroviaire, il est nécessaire de disposer de cours de marchandises en état de recevoir des trains. Certains marchés, comme le marché parisien, aspirent des matériaux venant de régions diverses. Certains chantiers ponctuels demandent à être approvisionnés par la voie ferroviaire. Dans la préparation de ces dossiers, qui prend du temps, notamment afin d'obtenir les sillons souhaités, on se rend compte que les cours de marchandises ne sont plus entretenus. Le gestionnaire propose alors un plan de remise en état, qui exige de six mois à un an de travaux. Ces délais sont trop longs. Comment demander à un industriel de payer pour remettre en état des cours de marchandises avant que le processus final soit abouti ? On manque de réactivité et d'agilité sur ces points-là. Il y a des potentiels et des demandes, mais le manque d'entretien des voies et des plateformes multimodales obère les projets existants. Il y a aussi, en dépit d'une meilleure fiabilité, beaucoup de pertes de sillons. On a besoin de plus d'agilité sur les sillons de dernière minute, pour répondre à ces chantiers et à ces demandes qui peuvent arriver dans l'année en cours. Si l'on n'offre des créneaux que pour deux ou trois années après, alors le chargement sera acheminé par la route. Ce n'est pas ce que l'on souhaite faire : nous croyons au train, à la multimodalité et la décarbonation.

Monsieur Barros, concernant les capillaires, en Seine-et-Marne, la ligne Flamboin-Montereau fait partie des trois les plus utilisés en France, mais est en danger d'ici les deux prochaines années si des travaux ne sont pas effectués. Cette ligne provient de l'est de la France -- 200 kilomètres par train sont déjà effectués pour l'atteindre -- avant que les chargements soient renvoyés vers le marché parisien par la voie d'eau. Ce flux, qui fonctionne très bien, est multimodal et décarboné. Il faut certes envisager de nouveaux projets, mais il faut surtout maintenir les flux existants. Si ce capillaire disparaissait, il y aurait des milliers de camions supplémentaires sur les routes.

Concernant le transport transfrontalier, ce sont des matériaux qui voyagent peu. Le camion à 44 tonnes nous semble plutôt pertinent, et nous soutenons son développement pour répondre à ces flux de part et d'autre de la frontière. Abaisser le taux de charge à 40 tonnes a remis des camions sur la route, car ce ne sont pas des marchés pour le ferroviaire.

S'agissant des Jeux olympiques, il y a des enjeux pour les céréaliers, mais également des points d'inquiétude pour notre profession avec les interdictions de naviguer qui ont été prises alors que de nombreux matériaux sont transportés par la voie d'eau. En particulier, les installations dans Paris ne seront pas approvisionnées.

M. Jean-François Lagane. - L'AUTF porte les projets Fret 21 et Remove : la décarbonation est au coeur de nos réflexions et de l'accompagnement de nos adhérents. La décarbonation est d'autant plus facile que le climat des affaires est bon. Elle est étudiée par tous les chargeurs, à des échelles variables, ne seraient-ce que, parfois, par la pression des clients. C'est un point structurant de leurs activités. Il faut garder en tête que logistique et le transport ne sont pas le coeur de métier des chargeurs, mais sont d'abord un centre de coûts à gérer.

Concernant la circulation routière, je déplore la situation sur la RN10 en Charente, mais je n'ai pas de solutions à apporter. Dans le ferroviaire, de nombreux sujets expliquent la certaine complexité des enjeux : nécessité d'un volume élevé du chargement, de définir une fréquence et un tonnage suffisants, de mettre en place des contre-flux, de prendre en compte les coûts de pré et de post-acheminement et d'entretien des voies... Concernant Cognac, je ne saurai pas répondre aux questions d'organisation des flux. Un industriel ne peut supporter seul les coûts de l'entretien d'une voie de cinquante kilomètres.

J'essaie de monter un opérateur ferroviaire de proximité (OFP) dans le Sud-Ouest, ce qui est difficile. Les chargeurs ont besoin des autres acteurs, et notamment des régions, pour mettre en place les flux pertinents et trouver des partenaires, notamment pour les contre-flux.

Concernant la décision locale « pollueur-payeur », je n'ai rien à ajouter, mais il me semble qu'une approche incitative est plus opportune afin de ne pas pénaliser les entreprises. Un camion, sur une année d'exercice, coûte un million d'euros moins cher que le ferroviaire. Cependant, il est possible, en multipliant les efforts, de réduire en partie cet écart.

Pour l'Ouest et la Bretagne, ce qui manque le plus pour favoriser le développement du fret ferroviaire, c'est le contre-flux. En outre, les chargements proviennent de nombreuses localisations, ce qui pose la question du lieu d'installation de la plateforme multimodale. Il faut des flux réguliers sur des longues distances. Nous avions travaillé avec un grossiste en boissons qui voulait créer une base à côté de Rennes. Le projet n'a cependant pas abouti, car les contrats commerciaux avec les différents fournisseurs étaient différents. Certains affrétaient eux-mêmes leurs produits tandis que les autres les mettaient à disposition à la sortie d'usine.

M. Simon Uzenat. - Le dialogue entre les entreprises pourrait être une piste de travail, afin d'harmoniser les pratiques.

M. Jean-François Lagane. - Les « clubs chargeurs » peuvent en effet être une solution, mais cette démarche demande de bien identifier les problématiques. Sur un sujet ferroviaire, le pré et le post acheminement sont essentiels. Si la moitié du trajet est effectuée en camion, le recours au ferroviaire n'a pas de sens. Cela vient diminuer le nombre de chargeurs intéressés et donc la viabilité du projet. Hormis sur les grands axes, chaque flux est un flux unique à construire. Nous ne sommes plus au temps du fret ferroviaire massifié. Certains chargeurs, avec l'arrêt du wagon isolé, sont passés au tout camion alors qu'ils ont encore des voies dans leurs usines. Certains ont toutefois gardé la convention de raccordement entre l'installation terminale embranchée (ITE) et le réseau ferré. Un entrepôt embranché reste une denrée rare. Il n'est plus possible de raccorder un entrepôt facilement compte tenu de la complexité des technologies utilisées : les délais sont de trois à cinq ans et le coût d'un million d'euros.

Les cours de marchandises ont également une importance pour sécuriser les flux. Elles doivent pouvoir être la solution de rechange. Si, par exemple, un train déraille à l'entrée de l'ITE, le trafic peut être interrompu pendant un mois, le temps d'identifier la cause de l'accident et les responsabilités respectives des différents acteurs. Les cours de marchandises peuvent alors être utilisées. Certains chargements, comme les granulats, amènent des contraintes spécifiques : il faut que la réflexion sur le fret ferroviaire prenne en compte le fait que les chargeurs n'ont pas tous les mêmes matériels - citernes, bennes, plateaux... Cette situation pose des difficultés propres pour les contre-flux. Nous avions étudié la possibilité d'utiliser le train pour transporter du papier recyclé depuis la région d'Angers et Tours pour l'emmener dans l'Est. Le papier étant gras et potentiellement un peu sale, il n'est pas possible que le contre-flux soit composé de produits alimentaires. Un train fonctionne de façon complexe et sur le temps long, contrairement au transport routier.

M. Jean-François Longeot. - Entre la nostalgie du passé et les difficultés de mise en place des projets, je suis particulièrement inquiet.

M. Jean-François Lepy. - Intercéréales a créé le poste de référent logistique, et c'est à ce titre que je suis présent aujourd'hui. Nous travaillons depuis longtemps sur ces sujets de rénovation de capillaires, d'opportunité d'autoriser la circulation transfrontalière de camions de 44 tonnes, de mettre en place ou non une écotaxe... Nous sommes en train de créer dans les régions des clubs chargeurs : tous les chargeurs échangent sur ces problématiques en amont des CPER afin de flécher les investissements et d'éviter ceux qui ne sont pas suivis d'effets - comme la gare de Cognac. Ces discussions entre les chargeurs et les régions sont nécessaires. Il est indispensable d'avoir une vision de terrain et locale, mais aussi globale : à cet égard, la vision capillaire par capillaire est insuffisante.

La décarbonation est un sujet essentiel dans la filière agricole et agroalimentaire française. Intercéréales s'est engagé dans une trajectoire à l'horizon 2030 et 2050. Nous savons cependant d'ores et déjà que certaines activités ne pourront pas être complètement décarbonées, mais nous travaillons - au niveau de la ferme, c'est le plus important - afin de limiter les émissions de carbone en définissant de nouvelles pratiques agronomiques. Nous avons affiché cette ambition au Salon international de l'Agriculture, car l'agriculture doit apporter des solutions de décarbonation. Nos entreprises s'engagent à diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre et définissent des politiques de responsabilité sociale et environnementale ambitieuses et robustes. Ce sont des initiatives fondées sur la science - Science Based Targets initiative (SBTI). Nous donnons des trajectoires chiffrées annuelles mentionnant les objectifs de réduction des émissions et les moyens utilisés pour réaliser ces objectifs. L'interprofession travaille pour mettre en place des standards communs mesurables.

J'en viens à l'avenir de Fret SNCF dans cet environnement concurrentiel, qui doit devenir une entreprise de transport ferroviaire qui gère et mutualise des moyens. Nos entreprises affirment que le transport de céréales est stratégique pour Fret SNCF, car il s'agit d'une mutualisation de moyens. Je suis assez rassuré par la gestion de Fret SNCF par le Gouvernement vis-à-vis de la Commission européenne, qui peut raisonnablement laisser espérer que Fret SNCF s'en sortira et résoudra ses difficultés.

Les chargeurs investissent, en veillant bien sûr au retour sur investissements. À titre personnel, je suis sans doute le seul céréalier de France à avoir augmenté ses flux de céréales sur dix ans. J'ai construit un silo en « bord à quai » au port de La Rochelle. L'objectif était de passer de moins de 10 % à 25 % la part d'alimentation ferroviaire. Je n'ai pas encore atteint cet objectif du fait des nombreux aléas rencontrés. La construction d'une ITE pour charger des trains complets coûte entre 1,5 et 2 millions d'euros. Une ITE pour décharger deux à trois trains par jours coûte même 2 à 3 millions d'euros. Une fois ces investissements faits, il faut les amortir et se mettre en ordre de bataille pour que cela fonctionne.

La Bretagne est l'une des rares régions à être une destination de nos céréales pour la filière animale locale. Cet approvisionnement se fait souvent en train, ce qui ne va pas sans poser des difficultés. Je me réjouis donc que vous ayez sanctuarisé un budget pour rénover certains capillaires qui en ont bien besoin. Les ports bretons - Lorient, Brest et Saint-Malo - sont des points d'importations de protéine végétale. Dans une logique de marché, le coût de transport de céréales produites en amont de la Bretagne serait trop élevé. Nous avons des installations portuaires céréalières en surcapacité, que ce soit à La Rochelle, Rouen, Dunkerque ou Bordeaux et les ports de la Méditerranée, plutôt en difficulté aujourd'hui. Cette surcapacité amène à concentrer les flux sur les ports qui fonctionnent le mieux.

La situation de Val de Gascogne est une situation de marché. Dans le Sud-Ouest, les céréales sont achetées par des acteurs espagnols. Les récoltes de céréales en Espagne, en baisse et très fluctuantes, ne suffisent pas pour répondre aux besoins de leurs filières animales. Or, les opérateurs espagnols n'utilisent souvent pas le rail ou sont reliés à un réseau qui n'utilise pas les mêmes écartements de voies de chemin de fer. Le départ en camion est donc inévitable. Quel est donc l'intérêt d'aller à Bordeaux, port d'estuaire au tirant d'eau parfois insatisfaisant, qui exporte surtout du maïs - sur lequel notre situation concurrentielle est difficile, l'Union européenne étant le plus grand importateur au monde, en provenance d'Ukraine pour une large part. Cette situation de marché implique que certaines infrastructures ne sont plus utilisées du fait des évolutions de la situation. Les clubs chargeurs par région doivent être une chambre de discussion de l'organisation des flux, permettant de rendre possibles certains projets auxquels on n'avait pas pensé auparavant.

Le ferroviaire doit être une solution de décarbonation du fret. Pour cela, il faut avoir une vision globale de la rénovation des infrastructures, notamment des plates-formes multimodales. Le canal Seine-Nord-Europe doit être bien connecté avec ses hinterlands. Il faut donc réunir les chargeurs, qui seront les principaux investisseurs, pour définir les projets pertinents. L'objectif est d'avoir les coûts de report modaux les plus faibles possible et donc des infrastructures à haute vélocité. Les marchés céréaliers - Rouen, Le Havre - s'adapteront.

Le transport est un coût, mais aussi une source de compétitivité. Mon activité de chargeur de vrac est internationale : je constate, malheureusement, que la compétitivité de nos transports décroît alors que celle de nos concurrents céréaliers s'améliore.

M. Jean-François Longeot. - Cette intéressante table ronde montre bien qu'être de bonne volonté de suffit pas, et qu'il n'y a pas de solutions toutes faites pour répondre aux défis du fret ferroviaire. Par ailleurs, vos réponses témoignent de ce qu'une marge de manoeuvre importante existe, qui nous laisse autant d'espoir que de travail à mener. Nous voulons tous développer le fret ferroviaire : nous ne pouvons que progresser !

Ce compte rendu a fait l'objet d'une captation vidéo disponible sur le site internet du Sénat.

Projet de loi relatif à l'organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire et projet de loi organique modifiant la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution - Désignation des candidats pour l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion

M. Jean-François Longeot, président. - Nous devons à présent procéder à la désignation des candidats pour faire partie de la commission mixte paritaire chargée de proposer des textes sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l'organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire et du projet de loi organique modifiant la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.

Je vous rappelle que ce projet de loi et ce projet de loi organique ont été examinés par notre commission le 31 janvier dernier et qu'ils ont été adoptés en séance publique le 13 février dernier.

Le Gouvernement ayant engagé la procédure accélérée, et même si l'Assemblée nationale n'a pas encore modifié le texte, il est très vraisemblable qu'une commission mixte paritaire sera chargée d'examiner les articles n'ayant pas fait l'objet d'un accord au terme de la première lecture.

En effet, pour votre information, 445 amendements ont été déposés sur le projet de loi et 6 amendements ont été déposés sur le projet de loi organique pour l'examen en commission à l'Assemblée nationale. Ces textes seront examinés en séance publique la semaine prochaine.

Dans cette éventualité, j'ai reçu les candidatures suivantes : MM. Pascal Martin, Patrick Chaize, Didier Mandelli, Gilbert-Luc Devinaz, Sébastien Fagnen, Mme Nadège Havet et moi-même, pour les titulaires, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Philippe Tabarot, Mme Denise Saint-Pé, MM. Franck Montaugé, Fabien Gay, Pierre Jean Rochette et Ronan Dantec, s'agissant des suppléants.

Il n'y a pas d'opposition ? Pas d'abstention ?

Il en est ainsi décidé.

Proposition de loi visant à endiguer la prolifération du frelon asiatique et préserver la filière apicole - Désignation d'un rapporteur

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, j'en viens désormais au dernier point de notre ordre du jour avant les questions diverses. Nous devons procéder à la désignation d'un rapporteur sur la proposition de loi visant à endiguer la prolifération du frelon asiatique et à préserver la filière apicole.

Cette proposition de loi, déposée le 26 février dernier par notre collègue Michel Masset et les membres du groupe RDSE, vise à doter la France d'un plan national de lutte contre le frelon asiatique, dont l'invasion occasionne des dégâts aux vergers, décime des colonies d'abeilles et génère un grand désarroi de la filière apicole, dont les pertes annuelles sont estimées à près de 20 M€.

Le frelon asiatique est l'archétype même de l'espèce exotique envahissante : arrivée en France il y a environ 20 ans, cette espèce a proliféré et est désormais présente partout en France métropolitaine. Son adaptabilité, son opportunisme et l'absence de prédateurs capables de réguler sa progression sont à l'origine de son développement exponentiel.

Chacun d'entre nous, dans son territoire, a certainement pu échanger avec des apiculteurs désemparés face à cette menace. La stratégie nationale relative aux espèces exotiques envahissantes ne répond que de façon trop partielle à cette problématique, à travers des opérations « coup de poing » qui ne permettent pas d'endiguer la progression de ce ravageur.

Afin de prévenir plus efficacement les dégâts causés par les frelons asiatiques, cette proposition de loi vise à créer un outil de lutte global et cohérent au niveau national, qui se décline en plans départementaux élaborés par les préfets, instaure une obligation de signaler les nids de frelons asiatiques et acte le principe d'une indemnisation pour les apiculteurs touchés.

En ce qui concerne le calendrier d'examen, le groupe RDSE a demandé l'inscription de cette proposition de loi dans le cadre de son espace réservé du 11 avril prochain. En conséquence, l'examen du rapport et du texte de commission devra intervenir le mercredi 3 avril, dans le cadre de la procédure dite du « gentlemen's agreement ». Le délai limite de dépôt des amendements de séance pourrait, quant à lui, être fixé au lundi 8 avril à midi.

J'ai reçu la candidature de notre collègue Jean-Yves Roux pour être rapporteur de cette proposition de loi.

Il n'y a pas d'opposition ?

Il en est ainsi décidé.

Mission d'information sur les déserts médicaux - Désignation d'un rapporteur

M. Jean-François Longeot, président. - Avant de lever la séance, il reste encore un point à l'ordre du jour.

Nous devons procéder à la désignation d'un rapporteur sur la mission d'information relative à l'accès aux soins.

Ce travail prendra la forme d'un « droit de suite » du rapport d'information que notre collègue Bruno Rojouan a présenté en mars 2022, qui a dressé le constat implacable de l'aggravation des inégalités territoriales en matière d'accès aux soins et formulé de nombreuses recommandations audacieuses pour y répondre. Cette problématique chère à la commission a déjà fait l'objet de deux missions d'information, en 2013 et en 2020, dont j'avais d'ailleurs été rapporteur. Notre commission, forte de son expertise en matière d'aménagement du territoire, a su proposer des mesures courageuses et adaptées à l'éloignement médical vécu et ressenti par les Français pour tenter de remédier au fléau des déserts médicaux. Certaines ont été intégrées au moins partiellement dans la loi, j'en veux pour preuve la création d'une quatrième année d'internat pour les médecins généralistes. Cependant, des blocages structurels persistent et la situation ne présente malheureusement pas de signe d'amélioration.

C'est donc animé du même souci d'équité territoriale en matière d'accès aux soins que notre commission remet l'ouvrage sur le métier, pour répondre à la forte attente des élus locaux et des habitants.

Je vous propose de reconduire notre collègue Bruno Rojouan, que nous savons très investi sur ce sujet, à la fonction de rapporteur.

Il n'y a pas d'opposition ?

Il en est ainsi décidé.

La réunion est close à 11 h 00.