Mardi 5 mars 2024

- Présidence de M. Franck Montaugé, président -

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Coûts de production de l'électricité - Audition de Mme Valérie Faudon, déléguée générale de la Société française d'énergie nucléaire (SFEN), M. Olivier Houvenagel, directeur de l'économie du système électrique de RTE et M. David Marchal, directeur exécutif de l'expertise et des programmes à l'ADEME

M. Franck Montaugé, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de Mme Valérie Faudon, déléguée générale de la Société française d'énergie nucléaire (SFEN), M. Ilyas Hanine, responsable des études de la SFEN, M. Olivier Houvenagel, directeur de l'économie du système électrique de RTE, M. David Marchal, directeur exécutif de l'expertise et des programmes à l'ADEME et M. Stefan Louillat, chef du service Électricité Renouvelable et Réseaux à l'ADEME.

Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal, et notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Valérie Faudon, M. Ilyas Hanine, M. Olivier Houvenagel, M. David Marchal et M. Stefan Louillat Amine Louyat prêtent serment.

M. Franck Montaugé, président. - Le Sénat a constitué, le 18 janvier, dernier une commission d'enquête sur « la production, la consommation et le prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050 ». Nous centrons nos travaux sur le présent et l'avenir du système électrique. Est-il en capacité de faire face à la demande, d'offrir au particulier et à nos entreprises une électricité à un prix raisonnable, quelles sont ses perspectives de développement ?

Parmi les enjeux du développement de notre système électrique figure celui des coûts des différentes sources d'électricité. Évidemment, de ce coût dépend pour une très large part la compétitivité de notre industrie, comme nous l'avons vu lors de nos auditions de la semaine dernière avec les représentants des entreprises consommatrices d'électricité. De ce coût dépend aussi le prix de l'électricité délivré à nos concitoyens et l'appétit des uns et des autres pour une décarbonation, dont chacun s'accorde à dire qu'elle passera par davantage d'électrification des usages.

Pourtant, le calcul du coût de l'électricité est un exercice complexe qui ne fait pas toujours consensus. Ce qui nous intéresse, c'est d'obtenir des coûts complets nous permettant de comparer sans biais les différentes sources d'électricité. Comment calculer le coût de chaque type d'électricité ? Que faut-il y intégrer ? Comment prendre en compte le « coût système », qui représente la contribution de certaines sources d'électricité à l'équilibre général du système électrique et notamment au maintien de sa fréquence ? Comment intégrer les coûts de raccordement et quel est leur poids, sachant que, lors de l'audition relative à l'acheminement de l'électricité, des investissements colossaux (200 milliards d'euros) ont été évoqués pour renforcer les réseaux ? Comment réduire ces coûts ? Et nous pensons notamment à la piste du mode de financement dont le choix peut avoir des conséquences considérables en la matière.

Voilà quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur va vous interroger. Nous vous proposons de dérouler cette audition en quatre temps : vous présenterez successivement votre travail et vos réflexions, en 10 minutes maximum de présentation liminaire ; cela sera suivi d'un temps de questions-réponses, en particulier avec notre rapporteur, puis avec les autres membres de la commission. Vous pourrez éventuellement revenir sur les propos des autres participants. Nous pourrons terminer par une dernière batterie de questions-réponses.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Notre commission d'enquête a décidé d'organiser des tables rondes thématiques et nous consacrons celle-ci aux coûts de production de l'électricité. Nous avons pris connaissance d'un certain nombre de documents ou d'études sur le sujet et il nous semble parfois un peu difficile de s'y retrouver. Nous souhaitons donc que vous puissiez, à travers vos témoignages et vos expériences, nous aider à déterminer la bonne méthode, celle qui réunit le meilleur consensus et nous dire de quelle façon on peut arriver à trouver les bonnes fourchettes de coûts de production - je crois que ces dernières sont préférables aux estimations de prix fixes qui dépendent d'hypothèses qu'on ne maîtrise pas - en intégrant si possible tous les paramètres et notamment les coûts systèmes. Sur ce dernier point, nous aurons particulièrement besoin de l'éclairage de RTE sur l'aspect investissement dans le transport et la distribution qui se chiffre souvent en dizaines voire en centaines de milliards d'euros, on nous a parlé de 190 ou 200 milliards d'euros. Pouvez-vous nous préciser la part de ces montants liés au renforcement du réseau actuel, à l'extension des capacités de production et à la dispersion des énergies renouvelables qui est supérieure à celle du nucléaire ? Nous souhaitons être en mesure d'apprécier si ces 200 milliards sont indispensables et à quelles hypothèses de mix énergétique ils correspondent. Nous avons donc besoin que vous puissiez nous éclairer sur ces aspects financiers, économiques qui ont leur importance, ce qui ne nous empêchera pas d'aborder aussi, bien entendu, les aspects environnementaux. Notre commission attend de vous des éléments et des facteurs d'aide à la décision parce que les erreurs peuvent se payer cher dans ce domaine.

Mme Valérie Faudon, déléguée générale de la Société française d'énergie nucléaire (SFEN). - Je vais m'exprimer sur les coûts de production du nucléaire. Je voudrais d'abord présenter la Société française d'énergie nucléaire (SFEN) : nous sommes une société savante ; nous représentons non pas les industriels du nucléaire mais nos membres qui sont des personnes physiques et des experts du nucléaire. La SFEN est organisée en 15 sections techniques et je représente aujourd'hui celle qui se consacre à l'économie et à la stratégie énergétique. Nous publions depuis 2017 des travaux sur le coût du nucléaire, à partir de sources publiques, et je vous ai amené nos dernières publications avec plusieurs grosses études sur le coût du nucléaire, le financement du nouveau nucléaire et l'ensemble des projets européens ; j'ajoute qu'un article sur le coût des externalités du nucléaire est en cours de publication.

En introduction, je voudrais d'abord rappeler plusieurs chiffres importants sur les coûts du nucléaire et la contribution de ce dernier à la souveraineté ainsi qu'à la compétitivité du système électrique. En matière de souveraineté, alors qu'on vient de traverser une crise des marchés de l'énergie, un des points importants qui a déjà été mentionné lors d'autres tables rondes réside dans la prédictibilité du coût du nucléaire puisqu'il est très peu sensible au prix de l'uranium qui ne représente que 5 % du coût de production alors que le charbon représente 40 % du coût de production de l'électricité à base de charbon et que, pour le gaz, le pourcentage avoisine 70 %. Donc en cas de doublement du prix de l'uranium, les effets sur le coût de production de l'électricité nucléaire sont extrêmement faibles. J'ajoute un autre point de comparaison : alors qu'en 2022, on a dépassé les 110 milliards d'euros d'importation de gaz et de pétrole, la facture des importations d'uranium varie d'année en année entre 500 millions et 1 milliard d'euros ; on est donc au-delà d'un facteur 100 et telle est une des raisons pour lesquelles nous disons que le nucléaire contribue à la souveraineté énergétique du pays.

En termes de compétitivité, je rappelle d'abord que les trois composantes du coût de l'électricité sont sa fourniture, le réseau et les taxes. Bien que les calculs soient un peu plus difficiles à réaliser sur les dernières années en raison de la crise et des différents dispositifs gouvernementaux mis en place pour aider les consommateurs, au premier semestre 2023, on était à 0,23 euros par kWh et, pour vous donner un ordre de grandeur, c'est exactement la moitié du prix de l'électricité observé aux Pays-Bas pour les consommateurs. Je voudrais aussi rappeler - nous avons publié un article sur ce sujet - que depuis le 1er février 2024, le Gouvernement a décidé de réintroduire un niveau assez élevé de tarif d'accise sur l'électricité - en le portant au-delà de 20 euros par MWh - si bien que l'électricité bas carbone est aujourd'hui plus taxée que le gaz, ce dernier étant soumis à un prélèvement de 16 euros par MWh depuis le 1er janvier : c'est un point important qui va contre les signaux qu'on veut donner pour la transition énergétique.

Une des questions que vous nous avez posées porte sur la capacité des autorités publiques à calculer ou « challenger » les sujets relatifs au coût du nucléaire. Depuis dix ans, il y a eu énormément de tentatives de calculs de coûts et je mentionne, par exemple, au niveau parlementaire, une commission d'enquête de 2014 sur les coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire. Pour sa part, la Cour des comptes a publié plusieurs rapports sur les coûts du nucléaire en 2011 et 2014, sur les coûts du système électrique en 2021, sur les coûts de démantèlement et sur les coûts des EPR. Sur le même sujet, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a réalisé une première étude en 2020 et une seconde parue en septembre dernier. Enfin pour le programme relatif aux six EPR, l'étude d'audit du cabinet Accuracy d'octobre 2021 est la dernière en date et a été publiée sur le site du ministère de l'Écologie.

Il est effectivement très difficile de s'y retrouver dans les différentes méthodologies employées. Le calcul économique sert à informer et objectiver des décisions de politique publique mais on constate des débats sur les méthodes de calcul appliquées à une même question et même sur les données utilisées. Ces débats entre experts ou économistes sont nombreux et nous même, en tant que société savante, en connaissons dans nos sections techniques. Je vous donne un exemple de ces divergences sur le coût moyen du capital pondéré : l'étude RTE (Réseau de Transport d'Électricité) Futurs énergétiques 2050 le chiffre à 4 % pour le nucléaire contre 7 % dans l'étude de l'ADEME. Ces études sont néanmoins toutes intéressantes dans la mesure où on comprend bien leur méthodologie et les données utilisées.

Depuis dix ans, nous constatons une évolution assez importante sur les questions posées et les méthodologies employées. La commission d'enquête que j'ai évoquée s'est principalement intéressée à la prise en compte des coûts du démantèlement et de gestion des déchets. Par la suite nous avons eu plusieurs études, dont la nôtre, qui, en termes de coût, ont essayé de répondre à la question : faut-il arrêter les centrales nucléaires ou continuer à les exploiter ? Au cours d'une troisième période plus récente nous nous sommes principalement demandé s'il fallait ou non renouveler le parc nucléaire et, enfin, le sujet actuel porte sur les régulations à mettre en place pour la rémunération d'EDF. Parallèlement, les données ont évolué dans le temps et, par exemple, quand on parle aujourd'hui du nucléaire, on intègre l'EPR de Flamanville, ce qui n'était pas le cas, évidemment, il y a quelques années. Les grandes approches diffèrent également selon l'acteur considéré - EDF ou l'ensemble du système électrique, par exemple -, selon l'horizon de temps retenu - on peut s'intéresser aux coûts passés, à une année donnée ou aux coûts futurs - et selon le périmètre envisagé. Différentes méthodes sont utilisées et je vais être très rapide sur ce point. La SFEN a beaucoup utilisé les « coûts cash » dans le débat relatif à l'opportunité ou pas de fermer les centrales nucléaires, en évaluant les décaissements annuels : si le coût cash est inférieur au revenu, il est avantageux de continuer à les exploiter. Je mentionne également les approches comptables qui sont plutôt tournées vers le passé sur la base de données comptables ainsi que les approches économiques en revanche plutôt tournées vers le futur ; certaines intègrent en particulier le renouvellement des installations et d'autres pas. La Cour des comptes ou la CRE utilisent également des méthodes hybrides. Il est ainsi important de comprendre quelles méthodes sont utilisées par les différentes études et je mentionne également le « coût moyen actualisé de l'énergie » (ou LCOE Levelized Cost Of Energy) qui est en général utilisé pour des décisions d'investissement.

S'agissant du parc nucléaire existant, je souligne d'abord que la dernière étude de la CRE sur le coût du nucléaire existant intègre l'EPR Flamanville - nous ne sommes donc plus sur un parc nucléaire amorti. Ensuite, la méthode retenue par la CRE en septembre 2023 ne prend pas en compte les dépenses de renouvellement du parc nucléaire, comme le précise la synthèse de ses travaux qu'elle a publié. J'ajoute que ces calculs sont évidemment sensibles au volume de production : selon qu'on est à 360 ou à 400 TWh de production d'électricité du parc, la variation du coût est notable. Enfin, le point extrêmement important est que l'étude de la CRE s'appuie sur une base de rémunération fixe d'EDF en prenant un contrat pour différence (CFD) bidirectionnel. Or vous savez que dans le schéma choisi par le gouvernement, EDF porte le risque de marché et tel est le cas aujourd'hui puisque les prix de l'électricité sont bas. Donc, normalement, le coût moyen pondéré du capital qui aurait dû être utilisé pour prendre en compte le fait que EDF était exposé au risque de marché aurait dû être plus élevé que ce qui ressort de l'étude de la CRE.

Sur le coût du nucléaire futur, on a deux composants essentiels : le coût de construction d'un côté et le coût financier de l'autre, étant entendu qu'ils sont évidemment très liés l'un à l'autre puisqu'un retard de chantier accroit les coûts financiers en obligeant à payer des intérêts intercalaires. On attend une nouvelle évaluation de ce coût de construction - un article de presse vient d'être publié à ce sujet mais nous ne commentons que des informations accompagnées de leur méthodologie sous-jacente. Au niveau mondial, on a des études comparatives en dollars par KWh installé qui mesurent donc le coût des capacités nucléaires ; il s'agit, en particulier, des études de l'Agence pour l'énergie nucléaire (AEN) de l'OCDE. On constate que tous les réacteurs de génération 3 ont été en retard dans tous les pays et tous les modèles - Russes, Américains, Coréens ou Français - mais il y a une grosse différence entre les pays qui ont interrompu les constructions et ceux qui ont continué tout le temps à construite. Parmi ces derniers figurent les Chinois et les Coréens en premier équipement ainsi que les Russes en renouvellement. En revanche, la France, les États-Unis et la Finlande font partie des pays ayant cessé de construire pendant un certain temps.

En second lieu, je souligne l'importance des coûts financiers. L'étude de référence est celle de la Cour des comptes britannique effectuée après le chantier de Hinkley Point qui a été financé entre 9 et 10 % en coût moyen de capital pondéré, avec un coût de production de l'électricité supérieur à 100 euros par MWh. La Cour des comptes britannique a précisé que si la centrale avait été financée à 4 %, on serait plutôt aux alentours de 60 euros par MWh, ce qui illustre la très forte sensibilité du coût de production aux frais financiers. Plutôt que de faire payer le consommateur très cher, cette instance a estimé qu'un meilleur optimum social aurait consisté à diminuer le coût moyen du capital pondéré en faisant supporter au contribuable une partie du risque-projet. Dans le même sens, notre recommandation est de diminuer au maximum le coût moyen du capital pondéré de ces projets qui, comme vous le savez, se calcule en faisant la moyenne de la rémunération des fonds propres et du coût de la dette. Nous avons publié une étude qui analyse tous les schémas utilisés en Europe, en remontant à la construction du parc français, pour financer les centrales nucléaires. Cette étude détaillée porte sur la France, le Royaume-Uni, la Finlande, la Hongrie et la République tchèque, certains projets ayant déjà été soumis à la direction de la concurrence à Bruxelles. Nous formulons trois recommandations et, tout d'abord, une régulation avec un revenu garanti. Il s'agit en effet de projets très particuliers à la fois par leur taille - c'est-à-dire le montant investi - et par leur durée, avec des cash flows négatifs pendant 15 ans : cela justifie une régulation avec un revenu garanti qui est essentielle pour de tels projets capitalistiques. En second lieu, une intervention de l'État est souhaitable, sous forme de partage des risques projet - comme dans le schéma anglais retenu pour Sizewell C -, d'une garantie de la dette ou même d'un investissement direct, comme en Hongrie, avec finalement un coût moyen du capital à 3 % tandis que ce coût est d'environ 5 % à Sizewell C. La troisième recommandation est celle d'un engagement politique sur le long terme. C'est pourquoi nous avons préconisé que la décision de construire des nouveaux EPR soit inscrite dans la loi : s'agissant de projets qui vont durer au moins plus de 20 ans, il nous semble fondamental que le Parlement débatte de ce sujet et prenne une décision.

M. Olivier Houvenagel, directeur de l'économie du système électrique de RTE. - Je vais entrer directement dans le sujet qui vous intéresse aujourd'hui, à savoir comment concrètement on calcule le coût complet du système électrique dans nos études prospectives. Pour rappel, les travaux prospectifs que nous menons, qui se déclinent dans les bilans prévisionnels, les Futurs énergétiques 2050 ou encore le schéma décennal de développement du réseau (SDDR) visent avant tout à éclairer le débat public et à alimenter les décisions publiques. C'est d'ailleurs dans ces termes que cette mission est inscrite dans le contrat de service public de RTE. C'est à ce titre que nous réalisons des études détaillées sur le plan technique, environnemental, sociétal mais aussi économique avec un chiffrage systématique des coûts des scénarios pour le système électrique. Nous menons ce chiffrage depuis plusieurs années : dès 2017, le bilan prévisionnel de RTE comportait un volet économique avec une évaluation du coût des scénarios qui permettait notamment de comparer différentes options sur le mix entre énergies renouvelables et nucléaire. Même lorsqu'il existait une volonté politique de fermer des réacteurs nucléaires, nos analyses ont conclu à l'intérêt économique très clair de la prolongation des réacteurs nucléaires existants et ce résultat était robuste aux différentes configurations que nous avions prises sur ce coût de prolongation.

Ce chiffrage des coûts complets du système a ensuite été reproduit dans de nombreuses autres études sur la mobilité électrique, le réseau ou encore les Futurs énergétiques 2050. Le cadre général et commun à toutes ces études est celui de la sortie des énergies fossiles qui contribue à atteindre nos objectifs climatiques et à améliorer la souveraineté énergétique de notre pays. Du point de vue économique, cette transition revient à basculer d'un système qui dépend largement des importations de combustibles fossiles à un système où on produit en France de l'énergie - et notamment de l'électricité - décarbonée. Cette transition nécessite des investissements importants au cours des prochaines décennies mais elle permettra ensuite d'avoir un système avec des coûts opérationnels plus faibles et qui dépend beaucoup moins des prix du gaz et du pétrole. Je rappelle que la facture des importations de pétrole et de gaz en 2022 s'est élevée à plus de 100 milliards d'euros ; ce chiffre a légèrement baissé en 2023 mais les montants restent colossaux.

Je précise que nos analyses reposent sur une méthode qui est avancée, scientifique, concertée, et qui s'est affinée avec le temps. Par exemple l'analyse que nous avons menée pour réaliser les Futurs énergétiques 2050 s'est inscrite dans un vaste dispositif de concertation qui s'est étalé sur deux ans, avec une quarantaine de réunions techniques pour couvrir tous les aspects de l'étude et au moins trois réunions ont été spécifiquement dédiées à l'analyse économique. Nous avons mené une consultation publique en invitant tous les acteurs à apporter des éléments sur le cadrage et les hypothèses économiques. Enfin, nous avons constitué un conseil scientifique pluridisciplinaire composé en partie d'économistes pour vérifier le caractère scientifique de nos études. Il s'agit également d'une méthode qui correspond aux recommandations de la Cour des comptes et de l'Agence internationale de l'énergie avec qui nous avons travaillé.

Quand nous avons commencé notre étude intitulée Futurs énergétique 2050, le débat opposait le nucléaire et les énergies renouvelables. Certaines analyses raisonnaient en LCOE - à savoir en coûts complets rapportés à la production (en euros par MWh) - et montraient que ce LCOE ou coût moyen de l'énergie était désormais moins élevé pour les énergies renouvelables les plus matures que pour le nouveau nucléaire. D'autres analyses indiquaient que dans les scénarios 100 % énergies renouvelables, nous aboutissions à des coûts au moins deux fois plus élevés que dans les scénarios avec du nucléaire, en raison des besoins de flexibilité de réseau. Il était donc difficile de s'y retrouver et l'évaluation économique soulève très clairement des questions méthodologiques. Comme vous l'avez souligné dans votre introduction, ces questions sont complexes et effectivement nous y avons consacré beaucoup de temps et de discussions.

Je ne vais pas revenir sur toutes les questions méthodologiques mais plutôt insister sur quelques points importants sur lesquels vous nous avez spécifiquement interrogés pour cette audition. Premier point : il faut bien distinguer les coûts et les prix qui relèvent de notions différentes. Les prix sont des signaux économiques, essentiellement de court terme, qui varient en fonction des fluctuations du marché de l'électricité et notamment des prix du gaz. On peut faire des projections à moyen long terme dans les scénarios mais ces projections sont très sensibles aux hypothèses et ne permettent pas de bien comparer les scénarios entre eux. C'est pourquoi nous pensons que le bon indicateur pour aider à la décision publique est le coût complet du système électrique. Concrètement, pour calculer ce dernier, on empile l'ensemble des coûts permettant de produire et d'acheminer l'électricité sur l'ensemble de la durée de vie des infrastructures. On prend les coûts d'investissement - et plus précisément l'amortissement des coûts d'investissement - les coûts d'exploitation et de maintenance, les coûts de démantèlement, les coûts de l'aval du cycle dans le cas du nucléaire, etc. Le second point de méthode sur lequel je voudrais insister, c'est la nécessité d'avoir une vision système et vous l'avez également mentionné dans votre introduction. Je viens d'évoquer les analyses caricaturales qui ont été lancées dans le débat par ceux qui raisonnaient en LCOE. Il est vrai, par exemple, que s'agissant des grands parcs éoliens en mer, on observe que certains appels d'offres ont abouti ces dernières années à des coûts inférieurs à 50 euros par MWh. C'est très compétitif mais, sur le long terme, cela ne permet pas forcément de tenir compte des différences de profils de production, de services rendus au réseau ou au système ainsi que des disparités en besoins de flexibilité et de réseau par rapport à d'autres technologies. À l'inverse, d'autres analyses considèrent que pour chaque MW d'éolien et de solaire que vous ajoutez dans le système, il faut ajouter un MW de centrale à gaz en back-up. Là aussi, cela donne une vision caricaturale, puisqu'en fait, dans une vision système, on n'a pas besoin d'autant de centrales à gaz - à hauteur d'un pour un. Dans les Futurs énergétiques 2050 comme dans toutes nos autres études, nous avons souhaité dépasser cette vision un peu caricaturale en ne comparant pas des technologies deux à deux mais en ayant bien une approche système sur l'ensemble de la chaîne - production, flexibilité et réseau - y compris le réseau de distribution sur lequel nous avons travaillé avec nos collègues d'Enedis. C'est vraiment l'indicateur qui fournit la meilleure aide à la décision publique.

Dernier point de méthode : quelles hypothèses peut-on prendre pour projeter l'évolution du coût des différentes technologies ? Pour un certain nombre d'entre elles, comme les énergies renouvelables, le stockage ou les centrales thermiques, on peut s'appuyer sur différentes données de référence issues de la littérature économique, des résultats des appels d'offres ou de différentes bases de données internationales. Pour le nucléaire, c'est un peu différent : il est plus délicat de s'appuyer sur des références internationales, nous ne disposons pas des résultats d'appels d'offres et nous avons donc besoin d'une approche spécifique. Pour le nucléaire existant, nous nous basons sur les rapports de la Cour des comptes ou de la Commission de régulation de l'énergie qui ont déjà été mentionnés par Valérie Faudon, sachant que RTE ne réalise pas ses propres chiffrages. Pour le nouveau nucléaire, nous avons retenu des coûts de l'EPR 2 qui correspondaient aux informations transmises par les pouvoirs publics et qui étaient elles-mêmes issues d'audits successifs menés sur les projections de coûts d'EDF. Un point important sur le nucléaire est que, dans les deux cas - nucléaire existant et nouveau nucléaire -, nous avons intégré spécifiquement, dans l'analyse, les coûts liés à l'aval du cycle - à savoir le traitement, le recyclage du combustible usé et le stockage des déchets radioactifs - en s'appuyant sur un travail dédié avec les industriels ainsi que les opérateurs Orano et Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), notamment. Enfin, s'agissant du réseau, nous utilisons des hypothèses de coûts unitaires qui correspondent à celles que nous avons concertées et que nous utilisons pour nos études et nos projets. Bien évidemment, la projection de l'évolution des coûts des différentes technologies à long terme reste un exercice délicat qui comporte beaucoup d'incertitudes : comme vous l'avez indiqué, il faut ici plutôt raisonner avec des fourchettes. C'est pourquoi, nous menons beaucoup d'analyses de sensibilité en testant beaucoup de variantes sur les coûts des technologies pour vérifier la robustesse des résultats économiques.

Je terminerai mon propos liminaire par quelques enseignements clés de nos études récentes. Premièrement, les besoins d'investissement dans le système électrique vont clairement augmenter dans les prochaines années. Ils sont en nette hausse pour l'ensemble des composantes, le nucléaire, les énergies renouvelables, l'hydraulique, le stockage, les centrales thermiques et évidemment le réseau. Selon nos estimations, rien que pour la production et les flexibilités, il faudra investir à l'horizon 2030-2035 environ 25 à 35 milliards d'euros par an, ce qui correspond à un triplement par rapport au rythme des dernières années : sur 15 ans, cela représente des montants d'investissement qui atteignent 300 à 350 milliards d'euros pour la production et les flexibilités. Pour le réseau, l'ordre de grandeur est d'environ 100 milliards d'euros pour le réseau de transport et un montant à peu près équivalent pour le réseau de distribution. Ces chiffres peuvent faire peur mais ils peuvent aussi être trompeurs car quels que soient les choix énergétiques de la France, il faudra de toute manière investir dans le maintien, la prolongation et le renouvellement des infrastructures et donc une partie de ces sommes devront de toute manières être dépensées pour maintenir la production ainsi que l'acheminement de l'électricité sur nos réseaux.

Deuxième enseignement important : il ne faut pas regarder uniquement les milliards d'euros investis dans les prochaines années mais aussi leur amortissement sur le temps long. Ce n'est pas parce que les investissements vont tripler que le coût du système électrique va automatiquement tripler car plusieurs effets doivent être pris en compte. Le premier est qu'il faut considérer l'amortissement de ces investissements sur le temps long - qu'on appelle dans notre jargon, le « coût complet annualisé » - puisqu'on parle ici d'infrastructures ayant des durées de vie de plusieurs décennies. Deuxième effet : même si le coût du système électrique va augmenter, il faut tenir compte du fait qu'il va permettre de produire et d'acheminer plus d'électricité, contribuant ainsi à la décarbonation et à la souveraineté énergétique du pays. Je rappelle ainsi que tous ces coûts permettent in fine de substituer de l'électricité aux énergies fossiles.

Enfin, je mentionne un dernier enseignement : la comparaison des scénarios permet à long terme de dégager des orientations sur les options les plus pertinentes pour le mix électrique français. La première orientation est de prolonger au maximum les réacteurs nucléaires existants qui sont déjà en grande partie amortis, sous conditions de sûreté évidemment. La deuxième est de développer les énergies renouvelables les plus matures pour faire augmenter la production bas carbone et accompagner l'électrification. Enfin, à long terme, dans notre étude des Futurs énergétiques 2050, nous avons constaté que construire des nouveaux réacteurs nucléaires apparaissait comme une option pertinente du point de vue économique, d'autant plus si on la compare à l'installation d'énergies renouvelables coûteuses, par exemple des installations photovoltaïques sur toitures ou des parcs éoliens flottants éloignés des côtes. Ce résultat était quand même associé à certaines conditions comme celles du financement des différentes technologies, notamment du nouveau nucléaire.

En résumé, notre méthode de chiffrage est éprouvée et concertée ; de plus, toutes nos analyses sont documentées, transparentes et reposent sur une modélisation du système dans son ensemble. En outre, nous tirons des conclusions générales permettant d'orienter les choix énergétiques de la France que je viens de citer. Enfin, il subsiste toujours une discussion sur les hypothèses qui, naturellement, évoluent au fil du temps et nécessitent une réactualisation régulière de ces études.

M. David Marchal, directeur exécutif de l'expertise et des programmes à l'ADEME. - Tout d'abord, je vous rappellerai le rôle de l'ADEME qui est une agence d'État, de financement et d'expertise. Sur le sujet de l'électricité, nous avons plusieurs missions. La première est d'éclairer les décisions publiques et privées grâce à un certain nombre d'études de référence, notamment sur les impacts environnementaux des énergies et sur les coûts de production des différentes énergies renouvelables, électricité ou chaleur. Je parle ici des LCOE, puisque nous avons besoin de ces données de base sur les coûts de production pour pouvoir faire des études plus poussées, comme celles de RTE, sur le coût système. Nous réalisons des études prospectives - dont je vais vous parler - et aussi des études qui visent à mieux connaître les consommations comme celle que nous menons afin d'instrumenter des pompes à chaleur en usage réel dans des logements pour mesurer les performances réelles de ces outils qui constituent un actif incontournable de l'électrification à venir. Notre deuxième mission est d'innover et d'expérimenter et nous soutenons beaucoup de projets en matière d'énergies renouvelables ou de réseaux électriques intelligents. Juste un chiffre dans ce domaine : nous sommes opérateur pour le compte de l'État dans le cadre de France 2030 et le soutien aux énergies renouvelables, aux technologies de « Smart Grid » ou au stockage représentent 150 projets que nous avons financés ces dernières années avec 500 millions d'euros de soutien à des projets innovants avec notamment des industriels français. Notre troisième mission est d'accompagner la généralisation de la transition et, sur le sujet de l'électrification des usages, nous avons un certain nombre de dispositifs qui permettent d'accompagner l'électrification des usages à la fois sur les poids lourds électriques, les infrastructures de recharge et l'électrification de l'industrie. Voici quelques exemples à ce sujet : l'appel à projets poids lourds électriques qui a été lancé il y a à peine deux ans a rencontré un grand succès avec 230 lauréats et 1 600 poids lourds électriques qui bénéficient de soutiens publics. Sur l'appel à projets concernant les infrastructures de recharge haute puissance - notamment sur les autoroutes pour les véhicules électriques - nous avons soutenu plus de 4 000 hubs haute puissance qui vont être déployés pour rassurer les consommateurs. Depuis le plan de relance, nous sommes également opérateur de l'État pour financer la décarbonation de l'industrie. Nous soutenons à ce titre énormément de technologies - pompes à chaleur, fours à arcs électriques, recompressions mécanique de vapeur etc. - avec plus de 180 millions d'euros d'aides qui ont été octroyées. L'électrification est donc en marche et nous soutenons les innovations dans ce domaine.

Le deuxième point que je voulais aborder porte sur les études prospectives que l'ADEME a pu réaliser, ce qui rejoint les propos d'Olivier Houvenagel. Nous avons publié fin 2021 le rapport « Transition 2050 » qui visait à éclairer différents chemins conduisant à la neutralité carbone en France avec quatre scénarios qui ont été volontairement contrastés. Quand je parle de neutralité carbone, je ne parle pas seulement de l'électricité mais bien de toutes les énergies, y compris l'agriculture et la biomasse, pour vérifier comment la France peut atteindre cette neutralité et, quelque part, ces scénarios visent à alimenter la réflexion sur la stratégie nationale bas carbone que l'État est en train de mener. Dans cette étude, il y a bien évidemment un volet sur l'électricité qui résulte des hypothèses faites sur les autres segments et nous avons utilisé, autant que faire se peut, des outils de modélisation du même ordre que ceux de RTE : même si nous avons envisagé beaucoup moins de scénarios, nous avons utilisé des outils avec la même finesse et notamment une modélisation horaire du mix électrique. Dans ces scénarios, nous aboutissons à quatre niveaux de consommation d'électricité qui sont assez variés - entre 400 TWh et plus de 800 TWh en 2050 - mais qui traduisent tous une augmentation de l'électrification et une augmentation significative de la part de l'électricité dans l'approvisionnement énergétique en 2050. Les facteurs qui différencient les scénarios relèvent en grande partie de l'efficacité et de la sobriété. Par exemple, le critère de l'efficacité prend en compte le nombre ainsi que la part de véhicules électriques et, entre nos scénarios, nous passons du simple au double - de 20 millions de véhicules électriques à 40 millions en 2050.

M. Franck Montaugé, président. - Je ne veux pas perturber votre présentation, mais nous souhaitons nous centrer sur les coûts.

M. David Marchal. - Oui, mais en réalité ces niveaux de consommation d'électricité ont un impact significatif sur les coûts, et c'est là que je voulais en venir puisque selon le niveau de consommation d'électricité, le parc de production qui est en face ne sera pas le même et donc les coûts de production ne seront pas les mêmes. C'est en cela que la réflexion sur les coûts de l'électricité est intimement liée au niveau de la demande d'électricité qui lui-même s'intègre dans le cadre plus large du mix énergétique. Le niveau de demande d'électricité dépend des hypothèses qui sont faites par ailleurs sur les autres énergies comme la biomasse et tout ceci est donc extrêmement interdépendant. D'où l'intérêt des scénarios réalisés par l'ADEME qui éclairent ces sujets. Je souligne également que la question de la sobriété des usages - y compris en équipements - a un impact sur la consommation d'électricité mais aussi sur les besoins en matériaux : par exemple la fabrication de 40 millions de véhicules électriques implique un doublement de la quantité de cuivre utilisée et cela constitue un des facteurs de dépendance aux importations de matériaux.

Alors sur la question du coût de l'électricité, nous sommes, exactement comme RTE, favorables à l'utilisation d'une méthode de coûts complets de l'électricité et nous y avons recours dans nos études. Comme je le disais, il est nécessaire de faire d'autres travaux pour préciser la LCOE et connaître les CAPEX (Capital Expenditure) ainsi que les OPEX (Operating Expenditure) (NB les dépenses d'investissement et de fonctionnement) de chaque technologie mais, effectivement, la bonne métrique est celle du coût complet de l'électricité. Il nous semble délicat de pouvoir attribuer à chaque énergie la part des coûts système qui lui revient : par exemple, un actif de flexibilité qui va permettre une intégration plus facile de l'éolien en mer ou du photovoltaïque est difficilement attribuable à l'une ou l'autre de ces technologies renouvelables. Dans les approches en coût système, on modélise l'intégralité du système électrique et on en estime les coûts totaux du système : tel est le bon indicateur pour comparer des scénarios.

Dans nos travaux, nous avons mis en avant deux messages importants. Le premier est que le scénario le moins cher en termes de coûts de production est celui qui prévoit un niveau de demande assez peu élevé de 550 TWh : c'est notre scénario 2 qui incorpore une sobriété importante et permet d'atteindre les coûts de production les plus faibles de nos quatre scénarios. Cela s'explique par le fait qu'un niveau modéré de consommation d'électricité peut être assuré par les moyens de production les moins chers et aujourd'hui les plus matures, notamment les énergies renouvelables terrestres ainsi que le nucléaire existant. Au-delà, avec des niveaux de consommation d'électricité plus élevés - comme dans notre scénario 3 qui envisage 650 TWh - notre conclusion, qui rejoint celle d'Olivier Houvenagel, est que les niveaux de coût système pour une option incorporant de nouveaux EPR ou une option avec de l'éolien offshore flottant - qui reste aujourd'hui une technologie non mature - sont à peu près équivalents, avec un léger avantage pour l'option EPR2. Cela dépend du WACC (Weighted Average Cost of Capital ou coût du capital) mais ces deux options aboutissent à un niveau à peu près identique de coûts de production. Au-delà de 650 TWh de consommation, notre conclusion est que l'on n'a pas d'autre choix que d'activer toutes les technologies avec les surcoûts associés.

Toutefois, il est important de consacrer du temps à expliquer que ces études doivent être relativisées car elles reposent sur des hypothèses qui datent de fin 2021 ; or nous savons qu'il y a eu beaucoup d'évolutions depuis cette période. Ces évolutions vont dans les deux sens, avec d'éventuelles augmentations des capacités de production d'électricité nucléaire mais également d'énergies renouvelables. Pour ces dernières, nous constatons dans les appels d'offres de la CRE une augmentation importante des prix à la fois sur le photovoltaïque et sur l'éolien alors que, dans le même temps, les modules asiatiques à bas coût inondent le marché français et européen à moins de 10 centimes d'euros par watt-crête. Tout ceci est encore assez difficile à expliquer et il est vraisemblable que les coûts de financement jouent un rôle important.

Je souhaite conclure mon intervention en abordant un facteur important de limitation des coûts : l'électrification qui est nécessaire pour atteindre la neutralité carbone doit être efficace et flexible et je pense qu'il est extrêmement important de garder ces deux points en tête. S'agissant de l'efficacité de l'électrification, je vais vous donner deux exemples relatifs au bâtiment avec les pompes à chaleur et la rénovation. Une pompe à chaleur a un rendement qui est bien plus élevé si elle fournit une chaleur à basse température. Or pour pouvoir chauffer un bâtiment avec des émetteurs à basse température, il faut que ce bâtiment soit rénové. L'enjeu est donc de déployer des pompes à chaleur de façon préférentielle dans des bâtiments qui auront été rénovés. Il est donc également important de promouvoir une rénovation performante et je pourrai éventuellement détailler ce point. En second lieu, l'électrification doit être flexible. On a aujourd'hui un déploiement massif dans les différentes prévisions des véhicules électriques. Les rapports de RTE prévoient 18 millions de véhicules électriques en 2035. Par ailleurs, nous disposerons de 65 GW de photovoltaïque en 2035 et nous voyons bien qu'il faudrait faire coïncider le plus possible la recharge des véhicules électriques avec la production solaire : ces 65 GW de puissance installée représentent plus que le parc électronucléaire actuel et donc quand tous ces panneaux fonctionnent ensemble, cela se traduira par des puissances très importantes en 2035. Il est donc indispensable que, sans plus tarder, soient déployées massivement les technologies de flexibilité de la demande pour pouvoir favoriser cette adéquation et limiter la hausse des prix.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - M. Marchal, je voudrais vous interroger sur quelque chose qui m'a un peu surpris. Vous validez, si j'ai bien compris votre propos, les coûts de production de RTE, peut-être avec une réserve sur les coûts système ; intuitivement, nous avons tendance à penser que les coûts de transport et de distribution ne sont pas les mêmes selon que l'on a un système de production assez centralisé - comme on l'avait jusqu'à présent avec les centrales nucléaires - ou un système très décentralisé avec des sources de production disséminées. En vous écoutant, nous pourrions penser que votre clé de répartition aboutit à considérer que si le nucléaire produit 60 % de l'électricité, alors on lui impute 60 % des coûts systèmes, ou alors je n'ai pas bien compris ce que vous avez voulu dire. Pouvez-vous préciser ce point en nous disant si les calculs faits par RTE vous conviennent ?

M. David Marchal. - Quand on a comparé en 2022 les conclusions des études RTE avec les études ADEME, nous nous sommes rendus compte qu'il y avait une convergence très importante sur la plupart des résultats alors même que l'on utilise des modèles ou des outils distincts et des hypothèses parfois différentes. Je pense qu'il est important de souligner que ces résultats sont robustes puisque l'on arrive globalement aux mêmes résultats. Je m'inscris donc complètement en accord avec les conclusions de RTE : les hypothèses qui peuvent être différentes portent notamment sur le WACC - les coûts de financement - avec effectivement beaucoup d'incertitudes sur ce sujet. Nous avions retenu par défaut des hypothèses différentes et des analyses de sensibilité ont été faites...

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Vous aviez envisagé des coûts plus élevés ?

M. David Marchal. - Nous avions supposé que pour un actif dont la durée de vie est supérieure à 60 ans, comme le nucléaire, l'incertitude sur l'avenir est plus importante - sans même parler du fait que ce soit l'État qui investisse ou pas - et donc le WACC qui reflète cette incertitude et ce risque pris par les investisseurs devait être plus important. Cependant, même avec l'hypothèse par défaut que nous avions prise, nous aboutissions à des coûts de production et des coûts système des mix électriques très proches entre une option incorporant le nouveau nucléaire et une option sans. Je vais repréciser mon propos sur les coûts système : dans les études de l'ADEME comme dans celles de RTE, nous qualifions de coût complet du système électrique, un empilement des coûts à la fois de production, de réseau, de flexibilité, de stockage, d'importation, etc. En outre, les outils de modélisation qui sont utilisés reposent sur une répartition géographique des moyens de production - l'ADEME avait conçu divers scénarios, les uns avec du photovoltaïque décentralisé et d'autres, au contraire, qui envisageaient du photovoltaïque plus centralisé, de l'éolien terrestre, de l'éolien offshore, du nucléaire ici ou là, etc. - et nos outils prennent en compte la taille des « tuyaux » nécessaires pour faire passer cette électricité à chaque heure de l'année. Les coûts du réseau de transport sont donc ici bien évalués à ce titre. Les coûts du réseau de distribution sont également pris en compte sous la forme d'abaques, et donc quand je parle de coût système, il s'agit bien d'une notion de coût de l'intégralité du système électrique rapporté au MWh. L'ADEME n'affecte pas ces coûts à une énergie donnée : nous calculons le coût complet du MWh produit dans le système électrique dans tel ou tel scénario.

Par ailleurs, pour comparer nos scénarios, nous avons évalué le coût complet des trajectoires : une méthode consiste à calculer en 2050 quel sera le coût complet de l'électricité, mais nous pouvons aussi évaluer - quelque part, c'est ce qui a été fait quand on parle de 200 milliards de renforcement des réseaux - la somme des coûts nécessaires entre 2020 et 2050, pour les différents scénarios. C'est une approche différente mais qui, là aussi, prend bien en compte l'intégralité des coûts.

Mme Christine Lavarde. - Ma question s'adresse à l'ADEME et à RTE. En vous entendant, j'ai eu l'impression que vous nous parliez souvent du coût des unités de production ; or, en fonction de celles que l'on choisit, les coûts du réseau peuvent être différenciés. Prenez-vous bien en considération ce facteur, et comment le grand public peut-il être informé de cet enjeu ? Même si le consommateur va certes, en fin de compte, payer un coût complet, celui-ci se répartira différemment entre la part abonnement et la part fourniture. Comment peut-on être mieux éclairé pour comparer le coût pour le réseau d'une production décentralisée issue de petites unités versus une production très centralisée avec des centrales nucléaires qui, bien entendu, nécessite des moyens de transport adaptés.

Mme Martine Berthet. - J'aimerais revenir sur la notion de flexibilité évoquée par M. Marchal et son influence sur les coûts. En effet, on peut imaginer qu'à certains moments de l'année il y aura plus de production d'énergie renouvelable solaire ou éolienne : qu'en sera-t-il alors de l'énergie résiduelle d'origine nucléaire ? Quel impact aura cette énergie que l'on peut qualifier en quelque sorte de « négative » au niveau de la consommation ? Peut-on la valoriser à un moment ou à un autre ?

M. Daniel Salmon. - M. Maréchal, je pense que vous avez soulevé un point important : le coût dépend du niveau futur de la consommation d'électricité. À cet égard, vos estimations varient à l'intérieur d'une très large fourchette qui va de 400 à 800 TWh et donc du simple au double. Cela correspond pour vous à des choix de société et à des stratégies différentes. Je m'interroge sur le niveau de réindustrialisation que vous prenez en compte dans vos scenarios minimalistes car nous sommes attentifs à cette réindustrialisation qui joue un rôle important pour préserver notre souveraineté.

M. David Marchal. - S'agissant des coûts de production selon la localisation des unités de production, nous avons fait des analyses qui évaluent la différence entre des scénarios où les énergies renouvelables sont très décentralisées et d'autres où elles le sont moins. Ce qui ressort de ces analyses est certes que cette caractéristique décentralisée joue un rôle important, mais qu'il convient également de prendre en compte la localisation des centres de consommation. Le fait de rapprocher les unités de production des grands centres de consommation - autour de la métropole de Lyon ou de Marseille, par exemple - permet d'abaisser les coûts de réseau. Néanmoins, d'après mes souvenirs, on est quand même sur des niveaux de second ordre par rapport au coût global de l'électricité.

Par ailleurs, différents types de flexibilités peuvent être activées. Je mentionne ici la recharge intelligente des véhicules électriques, c'est-à-dire, autant que possible, celle qui est effectuée au meilleur moment, quand les prix de l'électricité sur les marchés de gros sont faibles et quand la production ou photovoltaïque est abondante. Il faudrait mettre en place des signaux incitatifs permettant à tout un chacun d'activer leur consommation dans ces périodes favorables. La même logique s'applique aux électrolyseurs industriels qui pourraient, par contre, être éteints quand les prix de l'électricité sont trop élevés. L'« énergie négative » dont vous parlez correspond au surplus d'énergie qui à certaines périodes, conduirait à des prix négatifs sur les marchés de gros. Ces derniers permettent d'envoyer des signaux économiques pour inciter les gens à consommer dans ces moments-là. S'il n'y a pas assez de consommation flexible en France, on exporte et s'il n'y a pas non plus de débouchés à l'exportation, il faudra écrêter. Je précise que l'on dispose aujourd'hui de modèles de raccordement alternatifs pour les énergies renouvelables dans lesquels on incite les producteurs à dimensionner leur raccordement un peu en dessous de leur puissance maximale pour réduire les coûts d'accès au réseau en acceptant de perdre un peu d'énergie dans les moments de production les plus intenses mais cela correspond à un optimum pour le système.

Enfin, notre scénario dans lequel la demande d'électricité et d'énergie est la plus faible est effectivement un scénario de forte sobriété structurelle. Encore plus que la question de la réindustrialisation, ce qui compte est surtout le niveau de production puisqu'on a fait l'effort de modéliser des niveaux de production cohérents avec les niveaux de demandes : je parle ici de la demande en béton, en acier, en aluminium ou en engrais. Notre scénario 1, qui est le plus sobre, prévoit moins de véhicules sur les routes, un ralentissement de la construction neuve au profit d'un effort de rénovation massif et une meilleure utilisation des bâtiments existants. Ce scénario de sobriété envisage également beaucoup d'agriculture biologique et moins d'engrais. Les niveaux de production pris en compte aboutissent à une diminution de 38 % du tonnage de gros matériaux pour ces industries énergivores. Effectivement, cela réduit la demande mais cela ne veut pas dire que l'on désindustrialise puisque l'on peut avoir des niveaux de production de ces usines qui couvrent une part accrue de la consommation intérieure, ce qui revient à diminuer les importations en acier ou en aluminium, par exemple.

M. Olivier Houvenagel. -Notre vision système consiste à comparer des scénarios que nous construisons avec différentes hypothèses. Ainsi, nous avons trois scénarios de consommation - de sobriété, de référence et de réindustrialisation profonde - et six scénarios de mix électrique avec plus ou moins d'énergies renouvelables ou de nucléaire. En les combinant, nous arrivons à un total de 18 scénarios et, sur cette base, nous regardons combien il faut de flexibilité ou de stockage pour assurer la sécurité d'approvisionnement et combien il faut de réseau de transport ou de distribution. Nous avons chiffré l'ensemble de ces coûts pour ces 18 scénarios et restitué ces résultats dans notre rapport complet des Futurs énergétiques 2050 qui inclut différents volets, notamment celui consacré au réseau qui présente le détail des coûts. La question de savoir comment ces éléments se répercutent dans les factures d'électricité nécessite de prendre en compte plusieurs facteurs et, en particulier, la discussion d'ordre tarifaire qui est engagée avec le régulateur ; cela dépend de la façon dont on répercute les coûts sur les différents utilisateurs du réseau et les différents niveaux de tension. En tous cas, je souligne que les coûts de réseau sont bien documentés dans nos scénarios prospectifs.

S'agissant des résultats de nos analyses, nous constatons qu'à l'horizon 2050, les coûts de flexibilité et réseau sont plus importants dans les scénarios comportant plus d'énergies renouvelables. La différence est suffisamment significative pour créer un écart entre le coût des scénarios incluant du nouveau nucléaire et le coût des scénarios qui vont vers 100 % d'énergies renouvelables. Cela rejoint un peu les conclusions de l'ADEME, à ceci près que l'écart de coût est un peu plus important dans notre estimation, notamment parce que l'on utilise des paramètres différents sur le coût de financement et aussi parce que notre évaluation du besoin de flexibilité et de réseau est sans doute un peu plus importante dans les scénarios 100 % renouvelables. Au final, nous arrivons bien à la conclusion qu'une partie de la différence de coût entre les scénarios 100 % renouvelables et les scénarios du nouveau nucléaire s'explique par les besoins de flexibilité et de réseau. Il est cependant vrai que l'on évalue ces coûts systèmes à l'échelle de scénarios complets et qu'il est compliqué d'en attribuer une part à chacune des énergies. Par exemple, nous réalisons des investissements réseau dans la zone de Dunkerque qui est en ce moment assez active. Or, ces investissements sont destinés à la fois à accueillir le nouveau nucléaire - les futurs EPR 2 de Gravelines - à faciliter la décarbonation et la réindustrialisation avec tous les sites qui viennent s'installer, y compris l'éolien en mer. Ainsi, nous essayons au maximum de mutualiser les infrastructures et le fait de calculer quel coût doit être attribué à tel ou tel enjeu reste un exercice délicat. Telle est la raison pour laquelle nous préférons vraiment chiffrer des scénarios complets.

Mme Valérie Faudon. - Nous estimons que l'étude de RTE constitue une référence même au niveau international, puisque la France est le premier pays à avoir fait cet exercice et celui-ci est présenté à l'international - en particulier à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) - comme un modèle. Avant l'étude RTE, il y a eu des travaux de l'AIEA et de l'agence de l'énergie nucléaire de l'OCDE qui ont essayé d'attribuer des coûts système à certaines technologies, avec, en effet, l'idée que les coûts de réseau et de flexibilité augmentent en fonction de la pénétration des énergies renouvelables non pilotables dans le réseau. Un consensus se dégage sur ce point et, en tous cas, je pense que c'est un intéressant sujet d'étude dont les économistes de l'énergie vont pouvoir s'emparer.

M. Daniel Gremillet. - Je m'associe à la question de Daniel Salmon sur le niveau de réindustrialisation intégré dans vos différents scénarios. Peut-être est-ce « le chat qui se mord la queue » mais le niveau de réindustrialisation va énormément dépendre de la capacité de fournir une énergie à un prix donné et cette bataille n'est pas seulement française ou européenne mais avant tout internationale. Je prolonge cette interrogation car elle est vraiment stratégique pour notre pays et on sait que le niveau de réindustrialisation participera aussi à l'atteinte de la neutralité carbone ; d'ailleurs les propos sur l'agriculture que j'ai entendus m'amènent à vous rappeler que l'assiette des Français ne cesse de se vider et que l'impact carbone est de plus en plus important.

Ma deuxième question porte sur le niveau d'investissement : nous savons tous que la hantise en économie, ce sont les frais fixes. Pour compresser ces derniers et avoir un prix de l'énergie accessible pour nos concitoyens, nos collectivités ainsi que notre économie, la meilleure solution est d'avoir des moyens de production qui fonctionnent à leur maximum. Avez-vous, dans l'ensemble des scénarios de l'ADEME et RTE que vous avez évoqués, bien optimisé la capacité à produire par rapport à un investissement donné ? À l'instant t, il convient, en effet, de garantir aux investisseurs qui auront besoin d'énergie électrique décarbonée que cette énergie pourra effectivement être produite. Je rappelle que la compression des frais fixes est fondamentale pour les industriels : plus ils produisent à un instant donné et plus ils diminuent leurs charges fixes, améliorant ainsi leur compétitivité. Cet enjeu de productivité est vraiment systémique et souhaite savoir s'il est pris en compte et comment.

Mme Denise Saint-Pé. - M. Marchal, j'ai bien perçu que l'ADEME et RTE ont des approches et tirent des conclusions assez similaires à l'égard d'un système basé sur une production maximale d'énergie nucléaire. Sur le prix du nucléaire, il me semble que Mme Faudon n'est pas tout à fait sur la même ligne : tout dépend, de ce que l'on incorpore dans le prix du nucléaire et par exemple du débat sur l'inclusion des arriérés ou pas.

M. Marchal, dans l'hypothèse d'une production nucléaire maximale et du développement des énergies renouvelables, vous avez, pour ces dernières, mentionné les plus matures en parlant du photovoltaïque et de l'éolien flottant en mer qui ont enregistré beaucoup de progrès et des baisses de coûts. Cependant, vous ne nous avez parlé à aucun moment de la méthanisation qui produit du gaz vert. Or, je considère que l'on ne doit pas se priver des moyens ou gisements de production qui existent sur certains territoires en France et dont l'exploitation permettrait notamment de faire des économies de transport d'énergie. Donc, très simplement, M. Marchal, quelle est votre position sur le développement du gaz vert en France ? Y êtes-vous hostile ? Je perçois, en effet, que beaucoup de personnes le sont à l'égard du développement de cette énergie qui est quand même présente sur la plupart de nos territoires.

M. Victorin Lurel. - Je vais situer mon propos du côté de l'offre, des capacités d'effacement et des économies d'énergie. Vous avez évoqué, Mme Faudon, les différentes méthodes d'évaluation des coûts de production - la méthode des coûts cash, l'approche comptable, l'approche économique, la méthode hybride ainsi que la méthode LCOE. S'agissant des calculs de coûts moyens pondérés, vous avez indiqué qu'une rémunération du capital située entre 9 et 10 % aboutit à un coût de sortie d'à peu près 100 euros du MWh. M. Houvenagel a ajouté que pour répondre à la demande d'énergie il faudrait, sur les 15 prochaines années, investir de 300 à 350 milliards d'euros dans les installations nucléaires, d'énergies renouvelables et autres. Je n'ai pas bien compris s'il faut ajouter à ces sommes les coûts de transport et de distribution que vous avez par ailleurs évoqués ? Cela étant, ces montants d'investissement sont énormes et vous calculez, à partir de cet « empilement », un coût complet annualisé. À travers ce schéma, je souhaite vous demander comment il serait possible de faire payer le coût réel de l'électricité en pratiquant une politique de vérité des prix dans les années qui viennent - disons 2030, 2035, 2040 et 2050 ? Sans vous demander de préciser vos paramètres d'actualisation et de cours futurs, comment un Gouvernement ou une institution peut-elle mettre en oeuvre une politique de vérité des prix en tenant compte des réformes annoncées par l'Europe, des mesures que le Gouvernement s'apprête à prendre, des coûts de production que nous étudions aujourd'hui et des tarifs réglementés de vente, étant entendu que j'exclue ici la problématique des marchés de gros. Il est vrai que ma question comporte une dimension politique car il revient aux gouvernements, selon leur sensibilité, de subventionner certains tarifs. Dans vos scénarios, quel est le coût moyen de l'électricité en sortie de production sachant que j'exclus ici la marge bénéficiaire ? Sur la base des nombreuses études que vous avez réalisées, quel serait, au moment où nous parlons, le coût de production de l'électricité, tous empilements confondus, qui devrait servir de référence de prix pour les particuliers, les petites entreprises, et les collectivités et donc de base de calcul de tarifs réglementés ?

M. David Marchal. - Tout d'abord, il y a effectivement une grosse incertitude sur le niveau nécessaire d'importations d'hydrogène : on constate d'ailleurs, à travers la concertation menée par RTE, que les acteurs, au fur et à mesure du temps, formulent des demandes un peu différentes sur les niveaux de production en France d'électrocarburants. Dans ce domaine, le rôle des scénarios de l'ADEME ou de RTE est d'explorer les possibles car nous n'avons pas de boule de cristal et il n'est pas facile de prévoir quelle quantité d'électrocarburants produite en France, y compris l'hydrogène, sera compétitive, versus des productions réalisées à proximité en Europe et importées par pipeline. Nous étudions ces questions en ce moment.

Mme Saint-Pé a évoqué la maximisation de la production de nucléaire historique : effectivement, les conclusions des travaux d'optimisation des systèmes électriques montrent que, sur la base des hypothèses retenues fin 2021, cette solution est pertinente par rapport aux autres énergies, sous réserve de sûreté effectivement. Aujourd'hui, les scénarios de RTE dans son dernier bilan prévisionnel prévoient une prolongation de 100 % du nucléaire historique. C'est donc une hypothèse importante mais il faut aussi avoir en tête l'étude de la CRE de septembre 2023 qui réévalue à la hausse les coûts du nucléaire historique et nous n'avons pas encore pu prendre en compte ce paramètre dans nos travaux.

Enfin, je souligne que nous intégrons le biogaz dans nos scénarios de transition à l'horizon 2050 et je précise que la production de biométhane pour alimenter le réseau de gaz se situe à une centaine de TWh. Je fais ici le lien avec notre système électrique puisque les centrales à gaz permettent de produire en cas de pointe et, dans la modélisation complète du système, nous nous assurons que l'on puisse avoir un bouclage alimenté quasiment à 100 % par des renouvelables. L'ADEME est donc favorable au développement du biométhane et de la chaleur renouvelable et prend en compte ces installations dans ses scénarios, c'est bien pris en compte.

M. Olivier Houvenagel. - Le niveau de réindustrialisation est un paramètre important dans nos scénarios. Quand nous avons commencé, en 2019-2020, l'étude Futurs énergétique 2050, ce thème commençait à émerger dans notre concertation et nous avons pris le parti de construire des scénarios dédiés à la réindustrialisation dans lesquels nous faisions réaugmenter la part de l'industrie manufacturière dans le PIB en France puis nous observions les conséquences de ces évolutions à la fois sur le besoin de production d'électricité et sur la réduction de l'empreinte carbone. Nous avons ainsi constaté les externalités positives associées à ce type de trajectoire ; je précise que notre trajectoire de réindustrialisation profonde faisait remonter la part de l'industrie manufacturée dans le PIB de 10 % à 12-13 % à long terme.

Votre question sur l'optimisation de notre capacité à produire porte également sur un aspect très important de nos travaux de mise au point de nos scénarios. Il faut en effet dimensionner la répartition entre les différentes filières pour que l'ensemble soit cohérent sur le plan économique. C'est d'ailleurs un des inconvénients des raisonnements en termes de LCOE : cette méthode conduit à prendre en compte le coût complet des moyens de production, de le diviser par le volume de TWh générés chaque année et d'en tirer un coût moyen en euros par MWh. Sauf que si, par exemple, nous installions uniquement du solaire qui produit toujours aux mêmes heures, il faudrait en écrêter une partie car la production électrique deviendrait très excédentaire par rapport à la demande à certains moments : il faut tenir compte de ce paramétrage dans le calcul économique. D'un autre côté, si nous faisons du tout-nucléaire mais qu'à un moment donné celui-ci ne produit plus assez, son coût par MWh va augmenter. Donc c'est bien ce que l'on essaie de faire dans le dimensionnement des scénarios, qui est une forme de rationalité économique dans la façon dont nous les construisons.

En réponse à la question de M. Lurel sur le chiffrage des montants d'investissement, je précise qu'il s'agit bien, sur les 15 prochaines années, de 300 à 350 milliards d'euros qui recouvrent uniquement la production et ce qu'on appelle les flexibilités auxquels on doit d'abord ajouter environ 100 milliards d'euros pour le réseau de transport. Les études étant encore en cours, les chiffres que je mentionne ici sont des ordres de grandeur. De plus, environ 100 milliards d'euros pour le réseau de distribution sont également prévus selon les annonces d'ENEDIS. Je précise à nouveau qu'il ne faut pas se tromper sur la signification de ces chiffres puisqu'une partie importante de ces investissements doivent financer la prolongation, le maintien et le renouvellement des infrastructures, que ce soit dans le nucléaire - avec le grand carénage - ou le réseau. Par ailleurs ces investissements visent vraiment à désensibiliser à long terme notre pays aux importations de pétrole et de gaz. C'est aussi une plus-value pour notre système énergétique français à long terme. Il est donc prévu d'investir beaucoup pendant une certaine période mais ensuite de bénéficier de coûts opérationnels plus faibles et qui ne dépendront pas du prix du gaz et du pétrole.

La question de savoir comment ces coûts de l'électricité se répercutent dans les fractures des consommateurs relève du domaine de la régulation qui dépasse la mission du RTE car nous nous limitons à éclairer l'évolution des coûts de l'électricité à travers différents types de scénarios prospectifs.

Mme Valérie Faudon. - Pour nous, la fourniture d'électricité, en particulier par le parc nucléaire, est vraiment un facteur clé pour la réindustrialisation du pays à deux niveaux, à la fois pour les besoins en électricité de l'industrie et aussi parce que le nucléaire est la troisième filière industrielle et participe donc elle-même à la réindustrialisation du pays par le biais de ses 3 000 entreprises qui travaillent pour de nombreux secteurs ainsi que pour remettre à niveau nos installations nucléaire.

Je fais observer qu'un certain nombre d'industriels ont aujourd'hui besoin d'une fourniture d'électricité à 100 % et avec des critères de qualité très poussés : un certain nombre de processus industriels ne peuvent pas se permettre de s'interrompre et passent des contrats de fourniture d'électricité extrêmement précis. Je pense évidemment à Aluminium Dunkerque sur le site de Gravelines et je crois qu'un verrier est implanté à proximité ; or un verrier ne peut pas arrêter son four sans quoi il le perd. Il est donc extrêmement important de pouvoir satisfaire les critères d'exigence en fourniture d'électricité de certaines industries. Je mentionne également que le nucléaire est bien entendu moins cher quand il fonctionne tout le temps mais, comme vous le savez, tel n'est pas le cas : en effet, le nucléaire français baisse sa production la nuit pour s'adapter à la consommation et pratique aussi le « suivi de charge » (ou « modulation », également pour s'adapter à la consommation).

David Marchal ayant évoqué la flexibilité qui peut être apportée par les électrolyseurs, j'ajoute que ces derniers ont aussi aujourd'hui des impératifs de compétitivité très importants en matière de vaporeformage et j'ai entendu RTE dire, dans une autre réunion, qu'actuellement tous les projets d'électrolyse demandent dans un premier temps une fourniture d'électricité 24 heures sur 24 pour amortir leurs investissements.

Je voulais préciser à M. Lurel que les chiffres que j'ai cités font référence au projet Hinkley Point en Angleterre dont la particularité est de bénéficier d'une garantie de rémunération uniquement à travers un contrat pour différence tandis que tous les risques du projet sont portés par l'industriel, c'est-à-dire le consortium EDF-CGN. La conclusion de la Cour des comptes à ce sujet est qu'il ne faut pas rééditer une telle méthode de financement car la priorité est d'abaisser au maximum le taux de rémunération du capital afin que le prix de l'électricité soit le plus bas possible pour le consommateur. C'est pourquoi le schéma qui est actuellement retenu pour les deux prochains EPR de Sizewell C prévoit non seulement une garantie de rémunération à terme mais aussi une rémunération pendant la construction et une limitation du risque pris par l'industriel avec plusieurs niveaux d'assurance dans lesquels c'est le consommateur ou l'État anglais qui assument le risque. S'y ajoute un investissement direct de l'État anglais dans le projet. À titre de comparaison, EDF porte actuellement les coûts de développement du projet EPR 2 sur son bilan tandis qu'en Angleterre, c'est l'État anglais qui paye EDF pour développer le projet Sizewell C. Ce sont des méthodes de financement que l'on observe dans d'autres pays. Nous avons préconisé de prendre la même rémunération du capital pour les différentes technologies - soit 4 % dans l'étude de RTE - à l'occasion de la consultation qu'RTE a faite à ce sujet. Notre position se fonde sur le fait qu'à ce jour on ne connaît pas le schéma de financement des prochains EPR 2 et il manque en particulier deux paramètres. Le premier chiffre qui a été donné à l'époque par l'État après les différents audits qui ont été réalisés par RTE est de presque 52 milliards d'euros avec un coût du capital à 4 % qui correspondait à 60 euros par MWh. On attend aujourd'hui la nouvelle évaluation du coût de construction qui, d'après l'audition d'EDF, n'est pas encore finalisée. D'autre part, nous ne connaissons évidemment pas le schéma financier du prochain programme ni quelle sera la rémunération du capital.

Je voudrais signaler, au sujet de l'étude de RTE, un point important que nous n'avons pas abordé. En effet, la comparaison des six trajectoires réalisées par cette étude comporte deux volets : l'un est consacré au coût total du système et l'autre porte sur le risque. Je souligne que ce dernier est fondamental car dans les scénarios 100 % renouvelables, le risque est celui d'un rythme de déploiement trop lent de ces énergies renouvelables auquel s'ajoute un risque de disponibilité insuffisante à grande échelle des technologies de flexibilité. Ce facteur est d'autant plus pertinent qu'aujourd'hui on voit que les turbines à hydrogène bas carbone - retenues à un niveau assez élevé dans le scenario RTE - connaissent des retards de développement et, par exemple, l'Allemagne remet à plus tard la construction de ses centrales à hydrogène propre. S'agissant du nucléaire, le risque portait sur la capacité de la filière à construire des réacteurs à un rythme élevé. Je pense donc que le choix de miser sur les deux « chevaux » à la fois permet d'avoir un système électrique plus résilient, d'autant que nous pensons que les stratégies de nos voisins sont risquées. Le fait que la France, au milieu de voisins dont les stratégies sont incertaines, puisse avoir un système électrique résilient, s'appuyant sur le renouvellement du parc nucléaire et sur le développement des renouvelables, non seulement nous protège mais permet aussi d'aider nos voisins qui comptent probablement sur nous puisqu'aujourd'hui ils importent beaucoup de nucléaire français.

En réponse à Madame Saint-Pé, plusieurs méthodes sont utilisées par différents organismes pour calculer le coût du nucléaire mais je pense que RTE a retenu celle de la Cour des comptes - et Olivier Houvenagel va nous dire si c'est bien le cas.

M. Olivier Houvenagel. - Il y a effectivement plusieurs méthodes qui visent des objectifs différents. Pour l'aide à la décision publique, il faut prendre en compte tous les coûts selon une approche économique et c'est ce que recommande la Cour des comptes. Quand vous faites un schéma de régulation, il faut plutôt préférer une approche comptable qui permet d'assurer une rémunération des investissements. Il y a des différences assez subtiles entre ces méthodes qui ne sont pas très éloignées mais qui diffèrent du point de vue de l'amortissement des investissements. En tout cas, nous utilisons des méthodes économiques ou dites hybrides pour nos études prospectives qui visent à éclairer la décision publique.

M. Franck Montaugé, président. - Madame Faudon, vous semblez avoir indiqué que l'État porterait le risque de marché concernant le nouveau nucléaire et j'allais vous demander si vous aviez des informations particulières à propos de la relation entre l'État et EDF concernant le financement du nouveau nucléaire - mais ce n'est peut-être pas ça qu'il fallait comprendre.

Mme Valérie Faudon. - Plus exactement, nous avons recommandé, pour baisser le coût moyen pondéré du capital, de prendre une décision sur le long terme par voie législative, de garantir la rémunération de long terme - avec un CFD, puisque cet outil est retenu au niveau européen - et de partager le risque projet. À cet égard, je vous ai exposé le modèle de partage du risque retenu pour le projet Sizewell C, mais il y en a d'autres.

M. Franck Montaugé. - La base d'actifs régulés fait partie des hypothèses ?

Mme Valérie Faudon. - Exactement : c'est, selon l'expression anglaise, ce RAB (regulatory asset base) que je vous ai décrit et qui comporte une rémunération pendant la construction. Mais il y en a d'autres. Si je prends par exemple...

M. Franck Montaugé. - À votre connaissance, il n'y a encore rien d'arrêté sur ce point ? On attendait de savoir quel serait le modèle de gestation.

Mme Valérie Faudon. - À ma connaissance, non, et c'est pourquoi j'ai précisé que l'on attendait de savoir quel serait le modèle retenu.

M. Franck Montaugé. - Il y a quelques jours, une décision au plus haut niveau de l'État a été prise concernant la prolongation et la modernisation de l'aval du cycle du combustible. Je voudrais savoir si, par exemple dans l'étude RTE, ce sujet a été anticipé ? Que représente-t-il en termes de coût ?

Dans le même ordre d'idée, en matière de flexibilité, comment notre commission d'enquête peut-elle prendre en compte la problématique de la maturation des technologies de stockage ? Nous avons évoqué l'hydrogène, plus ou moins carboné, et c'est un sujet extrêmement important qui aura un impact sur les coûts et les prix.

Ma dernière question relève peut-être encore de la science-fiction mais mérite tout de même d'être posée. Nous allons vers un modèle de production énergétique complètement décarboné. Aujourd'hui, c'est le gaz qui donne le ton en matière de formation du prix puisque les pics de consommations sont marginalement satisfaits par des centrales au gaz. Comment imaginez-vous le fonctionnement du système sans faire appel aux ressources fossiles pour dicter le prix du marché ? Corrélativement, il me semble que, dans cette situation, la question des coûts prend encore plus d'importance : comment ces derniers seront-ils pris en compte pour fixer les prix plus directement que ce n'est le cas aujourd'hui à partir du système de l'ordre de mérite et du coût marginal de la centrale qui tourne au gaz ?

M. Olivier Houvenagel. - Nous avions fait un travail spécifique pour intégrer les coûts relatifs à la prolongation et la modernisation des infrastructures de l'aval du cycle. Les opérateurs et les industriels, comme Orano et l'Andra, nous ont communiqué leurs évaluations au moment où nous avons réalisé les Futurs énergétiques 2050. Nous avons donc pris en compte des hypothèses de coûts dans plusieurs domaines : le réinvestissement dans les infrastructures d'entreposage du combustible usé, le traitement-recyclage dans l'usine de la Hague et les coûts de renouvellement de l'infrastructure de production du Mox, à savoir l'usine Melox. Nous avions également intégré des évaluations pour le stockage des déchets radioactifs et en particulier des déchets de haute activité (HA) ou de moyenne activité vie longue de moyenne activité à vie longue (MAVL), avec le projet Cigéo qui représente l'essentiel de ces coûts de stockage.

Je vous donne quelques ordres de grandeur en euros par MWh en précisant au préalable que le montant varie selon les scénarios car une partie des coûts sont fixes et l'amortissement diffère selon le développement de ces infrastructures correspondant au niveau plus ou moins élevé de recours au nucléaire. Ceci dit, dans notre rapport sur les Futurs énergétiques 2050, les infrastructures de traitement et de recyclage des combustibles usés représentent entre 3 et 7 euros par MWh. La partie stockage, quant à elle, représentait environ 2 euros par MWh, sachant qu'en raison des nombreuses incertitudes sur les coûts de stockage géologique des déchets radioactifs, nous avions pris des hypothèses de prix prudentes et, sur la base de nos échanges avec l'Andra, nous avions ajusté le coût par rapport à l'évaluation fournie par Cigéo.

La réponse à la question de savoir comment nous pouvons anticiper l'évolution des technologies de stockage n'est pas simple car, à l'horizon de 10, 20 ou 30 ans, il peut y avoir des ruptures technologiques que nous n'avons pas anticipées. Pour nous, la bonne façon de faire une étude prospective reste de s'appuyer sur les informations les plus robustes à date et donc de partir de ce que nous connaissons à l'instant t des technologies de stockage et de l'évolution projetée de leurs coûts. En suivant cette méthode, nous tenons compte, par exemple, du fait que les coûts des batteries vont certainement baisser grâce aux progrès technologiques et aux effets d'échelle. Demain nous produirons beaucoup plus de batteries que par le passé, non seulement pour le système électrique mais aussi pour les voitures, et cela va se traduire dans le coût unitaire des batteries. Cependant, nous ne sommes pas à l'abri de ne pas avoir anticipé des ruptures technologiques inopinées dans le stockage.

Enfin, la façon dont le modèle de production énergétique doit se traduire dans le fonctionnement du marché fait l'objet de nombreux travaux de recherche et il m'est difficile d'apporter une réponse définitive sur ce point. En tout état de cause, il est clair que la formation du prix risque d'évoluer sur les marchés de l'électricité et nous prévoyons qu'à moyen terme - à l'horizon de 10 ou15 ans -, les centrales à gaz continueront a priori d'être ce que l'on appelle « marginales » et donc de former le prix pendant environ 75 % du temps sur le système électrique français. Même si elles représentent une part de plus en plus faible de la production d'électricité, tel est l'ordre de grandeur que l'on obtient car on aura encore très souvent besoin de centrales thermiques pour boucler l'équilibre offre-demande à l'horizon 2030-2035 sur le système électrique européen. Le recours aux centrales à gaz restera donc un élément déterminant pour le marché de l'électricité.

M. Franck Montaugé. - Peut-on imaginer des sources de gaz nationales et souveraines, c'est-à-dire autres que du gaz naturel ? RTE et les acteurs qui réfléchissent à ces questions l'ont-ils envisagé ?

M. Olivier Houvenagel. - Absolument. Nos scénarios intègrent le fait que demain, la production d'électricité par les centrales à gaz devra s'appuyer sur des gaz bas carbone ou gaz verts issus de la méthanisation - comme le préconise Mme Saint-Pé - ou par de l'hydrogène, qui serait lui-même produit à partir d'électricité mais que nous pourrions stocker et réutiliser dans des centrales pour gérer les pointes. Ce cycle est coûteux car produire de l'hydrogène pour le rebrûler ensuite dans des centrales thermiques est un processus à rendement faible. Pour autant, cela reste un des seuls moyens de stocker de l'énergie sur de longues périodes. Dans nos analyses, nous modélisons en détail tous les aléas météorologiques et l'aléa majeur est celui de la fameuse période froide sans vent qui peut durer plusieurs jours, voire même s'étaler sur plusieurs semaines. Pour gérer ce type d'événement dimensionnant, le stockage par batterie ou la flexibilité de la demande peuvent permettre de tenir quelques heures avec un mix énergétique équilibré mais cela ne suffira pas dans les scénarios avec beaucoup d'énergies renouvelables. Il faudra donc nécessairement recourir à des centrales thermiques utilisant de l'hydrogène ou des gaz verts - c'est en tout cas aujourd'hui la seule solution envisageable.

M. Franck Montaugé, président. - Le petit nucléaire pourrait-il répondre à ce cas de figure ?

M. Olivier Houvenagel. - Nous ne disposons pas pour l'instant de références de coût très précises, mais il me semble - sous le contrôle de Valérie Faudon - que les SMR ont des coûts fixes très importants et des coûts opérationnels très faibles. Ces petits réacteurs sont différents des EPR2 mais leur modèle économique reste assez proche, avec des coûts d'investissement élevés et des coûts de fonctionnement très réduits ; ce sont donc plutôt des infrastructures qui ont vocation à être utilisées pour des facteurs de charge importants et pas du tout pour répondre à des besoins ponctuels de passage des pointes. C'est pourquoi les scénarios prévoient nécessairement, en plus du nucléaire, une partie de moyens pilotables sous forme d'hydraulique, de stockage par batterie mais aussi de centrales thermiques utilisant des gaz verts, notamment dans les scénarios à forte proportion d'énergies renouvelables.

Mme Valérie Faudon. - Je sais que nous venons de vivre un moment difficile avec des prix du gaz très élevés mais je rappelle que le prix « spot » ne couvre pas toute la consommation. Quand nous les interrogeons, nos parties prenantes nous disent qu'elles sont attachées au marché de l'électricité pour la fixation des prix à court terme et pour le bon fonctionnement du système électrique européen. L'Agence de coopération des régulateurs de l'énergie (ACER) va dans le même sens en indiquant que ce marché assure la sécurité d'approvisionnement européenne y compris pendant les crises.

En revanche, le problème est que ce système n'est bon ni pour le consommateur, puisqu'il ne peut pas bénéficier de la prédictibilité des coûts du nucléaire, ni pour l'investisseur qui ne dispose pas de visibilité sur son prix de vente. Une étude que la Sfen a réalisée avec le cabinet Compass Lexecon en 2020 montrait que la croissance des renouvelables dans le mix énergétique augmentera la fréquence de prix bas et de prix hauts, comme en témoigne la forme en « L » de la courbe monotone qui se situe très souvent bien au-dessus et au-dessous des prix moyens de l'électricité. Il est donc très difficile de construire des modèles économiques à partir de telles données et c'est pourquoi la SFEN a soutenu le système européen de généralisation des CFD, même si nous comprenons qu'il est difficile de les mettre en oeuvre en France pour des raisons tenant aux enjeux traités par l'Autorité de la concurrence. Il faut également savoir que la position de la France vis-à-vis du nucléaire limite l'accès à un certain nombre de méthodes : j'illustre cette affirmation en citant le cas de la Hongrie qui finance intégralement ses projets de réacteur nucléaire avec de l'argent de l'État, ce qui a amené la Commission européenne à demander une séparation de l'entreprise en deux. Un certain nombre de sujets de ce type compliquent la modélisation du secteur de production d'électricité.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Je souhaite bien comprendre la distinction entre les méthodes de calcul. J'ai le sentiment que M. Houvenagel nous invite à retenir celle du coût complet économique mais pouvez-vous nous préciser la différence entre la méthode des coûts complets et le LCOE ? Quelles composantes du coût complet ne sont pas prises en compte dans la LCOE ? Comme vous l'avez indiqué, le coût complet intègre les coûts de démantèlement mais ces derniers sont-ils systématiquement provisionnés et combien représentent-ils ? J'imagine qu'ils doivent être provisionnés quelque part et que tel est bien le cas pour le nucléaire mais ces coûts de démantèlement sont-ils également provisionnés pour l'éolien, et qui s'en assure ? De quelle façon la différence de durée de vie entre ces installations et de montant d'investissement initial est-elle prise en compte dans les coûts complets ?

S'agissant du nucléaire, Mme Faudon a précisé que nous prenions aujourd'hui en compte l'impact de Flamanville dans le coût du nucléaire historique. Quel est l'impact de cette inclusion ? Le coût complet du nucléaire historique qui se situait aux alentours de 42 euros va-t-il, par exemple, passer à 50 euros en tenant compte de Flamanville ? En outre, quel serait l'impact, sur le nucléaire historique, de la prolongation jusqu'à 80 ans des installations ? Le grand carénage dont le montant est à peu près connu aujourd'hui permet de dépasser le cap des 40 ans. En admettant que l'on passe de 40 à 60 euros par MWh avec le grand carénage, faudra-t-il refaire un deuxième grand carénage pour prolonger les centrales de 60 à 80 ans ou pourra-t-on limiter les investissements de sécurisation en prenant en compte les travaux déjà réalisés sur le premier grand carénage ? Avez-vous déjà simulé ces montants pour nous indiquer quel serait le coût du nucléaire historique avec une prolongation jusqu'à 60 ou 80 ans ?

M. Franck Montaugé. - Quelle est, finalement, la doctrine en matière de taux d'actualisation ? Suivant les auteurs, les trajectoires varient parfois dans des proportions non négligeables dès lors que l'on allonge les durées, et ce sujet est important.

M. Olivier Houvenagel. - C'est l'occasion de réexpliquer les approches en coûts complets (LCOE). Elles consistent à prendre les coûts d'investissement d'une capacité de production ainsi que ses coûts valables de production ; on les amortit sur la durée de vie de l'installation en estimant la production d'électricité de cette dernière et on calcule ainsi un coût en euros par MWh. Ce calcul prend donc bien en compte la production d'électricité obtenue sur l'ensemble de la durée de vie de l'installation ; je précise qu'il faut faire ici une hypothèse sur le niveau de production mais en réalité la quantité d'énergie qui sera réellement produite dépendra de ce qui va être utile au système électrique, de son équilibre global et donc de son facteur de charge. Cet élément n'est pas pris en compte dans le LCOE. C'est la raison pour laquelle nous faisons des simulations détaillées de l'équilibre entre offre et demande dans chaque scénario, ce qui permet in fine de savoir combien va produire chacune des technologies en fonction des besoins du système.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Si j'ai bien compris, ce facteur de charge vous permet éventuellement de prendre en compte la modulation du parc nucléaire : plutôt que d'estimer que le parc nucléaire va produire à 100 % de ses capacités, vous considérez que celui-ci, par exemple, ne va produire de l'électricité qu'à 70 % de son potentiel car tel est le besoin réel ?

M. Olivier Houvenagel. - Telle est effectivement la logique qui s'applique aussi bien au nucléaire qu'aux autres installations de production d'électricité.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Je citais le cas du nucléaire car le facteur de charge me semble plus connu pour les autres formes d'énergie. L'éolien ou le solaire, étant prioritaires sur le réseau, retient-on leur facteur de charge à un niveau maximal ?

M. Olivier Houvenagel. - Il n'y a pas spécifiquement de priorité technique sur le réseau. En réalité, l'équilibre offre-demande se réalise sur la base d'un ordre de préséance économique : le marché classe les énergies dans l'ordre des coûts variables croissants et on sélectionne les moyens les moins coûteux en premier. Les énergies renouvelables ayant un coût variable qui est nul la plupart du temps, on les utilise donc souvent au maximum mais dans certains cas, ces énergies renouvelables peuvent être excédentaires par rapport à la demande et on les écrête à certains moments. Par conséquent, dans les scénarios de long terme, les énergies renouvelables ne produisent pas toujours à leur maximum parce qu'il y a des moments où l'on a trop d'éolien et trop de photovoltaïques dans le système. Ce n'est d'ailleurs pas un problème technique car on sait les écrêter, les moduler et les unités de production le font même naturellement aujourd'hui pour une partie d'entre elles. La difficulté n'est donc pas technique mais il faut tenir compte dans l'analyse économique du fait que les différents moyens de production ne fonctionneront pas nécessairement en permanence au maximum de leur capacité. C'est vrai pour les énergies renouvelables, les centrales nucléaires et plus encore pour les centrales à gaz qui sont souvent là pour faire l'appoint et dont les facteurs de charge dépendent des besoins générés par l'équilibre entre offre et demande d'électricité. Il s'agit là d'une des vraies différences par rapport au LCOE car on est obligé de prendre une hypothèse a priori sur le facteur de charge en supposant que le panneau photovoltaïque ou la centrale nucléaire va fonctionner pendant un certain pourcentage de temps.

D'autres facteurs ne sont pas pris en compte par les LCOE : cette méthode a un périmètre d'analyse limité et ne considère que l'électricité produite par un panneau solaire, une éolienne ou une centrale nucléaire sans prendre en compte les besoins de stockage et de réseaux associés. Telle est la raison pour laquelle notre analyse des coûts complets des scénarios intègre non seulement le coût des technologies de production mais aussi le coût du stockage, de la flexibilité et du réseau.

Par ailleurs, la durée de vie des installations est prise en compte dans nos études à travers ce que nous appelons l'amortissement ou l'annualisation des investissements. Pour un investissement destiné à construire une centrale nucléaire qui va durer 60 ans, le coût retenu pour une année donnée correspond à l'amortissement et donc à une fraction de la somme totale relative à l'ensemble de la durée de vie de l'installation. C'est d'ailleurs là qu'intervient la question du coût du capital car, pour calculer cet amortissement, on intègre le coût de financement et donc le coût du capital.

Je fais ici le lien avec le coût moyen pondéré du capital, ce qui me donne l'occasion de vous restituer les débats intervenus à ce sujet lors de l'élaboration de notre étude Futurs énergétiques 2050. La question de savoir quel coût du capital retenir pour chacune des technologies nous a beaucoup occupé dans la concertation et dans nos discussions avec le Conseil scientifique ; là aussi, il est difficile d'en tirer une doctrine définitive. Je précise d'abord que nous avons pris comme référence le coût du capital hors inflation que l'on appelle « coût du capital réel », ce qui permet de projeter les scénarios dans le long terme. Ensuite, nous nous sommes demandé quel était le niveau ainsi que les différences de coût du capital entre les diverses technologies et notre débat n'a pas été pas totalement conclusif sur ce point. En effet, le coût du capital dépend de la structure de financement des acteurs qui peuvent avoir recours à de la dette ou financer leurs investissements sur fonds propres ; cela amène à s'interroger plus en détail sur les coûts de financement spécifiques de chacune des entreprises qui investissent dans des installations de production ; or ce coût dépend de la perception du risque par les acteurs, de la régulation et des possibilités d'accès à des dispositifs de soutien. Il était donc difficile de projeter toutes ces conditions de structure de financement et de régulation à long terme pour en tirer une sorte de relation bijective avec le coût du capital correspondant. Pour surmonter ces difficultés, nous avons retenu le même coût du capital réel pour toutes les technologies, à hauteur de 4 %, et nous avons élaboré des variantes à 1 % ainsi qu'à 7 %.

En examinant les résultats que produisaient une différenciation du coût du capital, par exemple entre le nouveau nucléaire et les énergies renouvelables, nous avons constaté qu'il s'agissait d'un des facteurs les plus dimensionnants dans le coût complet du système électrique. Valérie Faudon a mentionné le coût du nouveau nucléaire et, sur la base des hypothèses utilisées pour les Futurs énergétiques 2050, avec un coût du capital à 4 %, on atteignait 60 à 70 euros MWh en coûts complets rapporté à la production ; en portant le coût du capital à 7 % on dépasse les 100 euros par MWh. Ce calcul vous donne une idée de l'impact sur les coûts du système électrique de ces trois points d'écart de coût de financement. C'est d'ailleurs vrai aussi dans une moindre mesure pour le réseau et pour les énergies renouvelables.

M. Victorin Lurel. - Mme Faudon nous a indiqué qu'Hinkley Point a été financé entre 9 et 10 % de coût moyen de capital pondéré, ce qui donne un coût de production de l'électricité supérieur à 100 euros par MWh tandis que les calculs que vous mentionnez aboutissent au même prix avec un coût du capital de 7 %.

M. Olivier Houvenagel. - J'ai cité ces chiffres - avec un coût du capital à 4 %, nous atteignons 70 euros du MWh et à 7 % on dépasse les 100 euros - de mémoire et les données précises figurent dans notre rapport de 2021, avec des hypothèses qui ont pu évoluer depuis.

M. Franck Montaugé. - Il y a deux concepts différents avec, d'un côté le coût du capital ainsi que les intérêts et, de l'autre, l'inflation et la façon dont on actualise les calculs. Ce sont deux notions différentes qui n'ont pas de lien univoque et, en tous cas, ne se recoupent pas totalement.

M. Olivier Houvenagel. - Ces notions sont cependant reliées. On utilise souvent la notion de taux d'actualisation socio-économique en matière d'investissements publics et d'infrastructures pour évaluer leur rentabilité du point de vue de la collectivité. Pour l'évaluation du coût complet du système électrique, nous avons utilisé le coût du capital. Autrement dit, pour faire l'actualisation, nous remplaçons le taux d'actualisation par le coût du capital, ce dernier étant réellement porté par les acteurs du système électrique. Je rappelle que l'on cherche à évaluer combien coûte toute la production d'électricité et son acheminement par les réseaux qui est porté par les acteurs. C'est dans ce calcul que l'on intègre le coût du capital qui remplace le taux d'actualisation lorsqu'on analyse des investissements publics.

M. Franck Montaugé. - C'est encore plus compliqué, me semble-t-il, si on rajoute la notion de risque technologique, politique ou autres dans les calculs. Comment intégrez-vous ces facteurs de risque ?

M. Olivier Houvenagel. - En théorie, le coût du capital dépend de la perception du risque par les investisseurs. Dans notre concertation et nos discussions avec le Conseil scientifique, nous nous sommes demandés si le nucléaire était un investissement plus risqué - ce qui justifierait de lui attribuer un coût du capital plus important - que les autres installations en particulier d'énergies renouvelables. L'ADEME a choisi d'attribuer au nucléaire un coût du capital supérieur à celui des énergies renouvelables. Nous n'avons pas fait le même choix car les débats organisés par RTE n'ont pas été conclusifs et n'ont pas procuré de références consolidées sur le coût du capital à prendre en compte pour chaque technologie. Nous avons donc réalisé différentes variantes avec d'abord un coût du capital à 4 % pour toutes les technologies, et ensuite avec un coût du capital à 7 % pour le nucléaire ou l'ensemble des installations.

Mme Valérie Faudon. - Je voulais préciser qu'actuellement nous ne savons pas si l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) acceptera que le parc soit prolongé au-delà de 60 ans. Aux Etats-Unis, six à huit réacteurs ont déjà été autorisés à fonctionner 80 ans mais, en France, l'ASN ne s'est pas prononcée : à ce stade, elle a parlé des conditions de conformité et d'adaptation au changement climatique qu'elle exigerait de l'exploitant pour le passage au-delà de 60 ans. Nous sommes donc loin de pouvoir évaluer le coût des travaux que l'ASN demanderait à l'exploitant si elle autorisait une prolongation au-delà de 60 ans.

Par ailleurs, nous disposons aujourd'hui du LCOE de Flamanville 3 calculé par la Cour des comptes : de mémoire, il avoisine 120 euros du MWh selon des calculs effectués, je crois, en 2021. Nous ne disposons pas de l'étude réalisée par la Cour des comptes ou par la CRE sur le LCOE du parc actuel, ce qui empêche d'établir des comparaisons. La Cour des comptes a cependant chiffré le coût comptable à 40 euros et le coût économique complet à 60 euros. Nous restons donc malheureusement dans le schéma d'incertitude que j'ai mentionné dans mon exposé liminaire.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Les coûts de 40 à 60 euros du MWh évalués par la Cour des comptes correspondent-ils au parc nucléaire hors Flamanville ?

Mme Valérie Faudon. - Oui.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Donc vous n'avez pas fait d'étude qui intègre Flamanville à ce coût historique pour en examiner l'impact global, car si le coût de 110 euros ne porte que sur 5 % de la production nucléaire, l'effet sera très limité ...

Mme Valérie Faudon. - En l'occurrence, Flamanville produira 10 TWh, soit sensiblement moins que 5 % de la production d'électricité nucléaire totale. Je voulais également vous préciser que la seule étude que nous ayons faite dans ce domaine porte sur les coûts cash du nucléaire. Nous ne faisons pas d'autres études de coûts car nous n'avons pas la capacité de les faire, faute de disposer des données requises. La CRE et la Cour des comptes travaillent avec EDF qui leur fournit des données qui sont publiques ou pas, tandis que la SFEN ne peut s'appuyer que sur des données publiques.

M. Olivier Houvenagel. - Juste une précision sur les investissements dans le grand carénage : ils sont intégrés dans notre chiffrage mais ces investissements destinés à prolonger la vie des réacteurs nucléaires sont, dans les faits, en cours et sont notamment réalisés au moment des visites décennales qui ont lieu même en cas de prolongation au-delà de 40 ans. Ainsi, il y aura de nouvelles visites décennales quand l'âge des installations atteindra 50 ans, ce qui donnera lieu à de nouveaux travaux. Ces derniers sont également pris en compte dans les 300 à 350 milliards d'euros investis dans la production et les flexibilités que j'ai mentionnés auparavant : le grand carénage pour la prolongation des réacteurs y donc est intégré.

M. Daniel Salmon. - Nous venons d'apprendre que le coût des futurs EPR 2 a augmenté de 30 % et nous constatons donc aujourd'hui qu'il y a beaucoup d'interrogations sur le coût de ce nouveau nucléaire. Nous voyons déjà bien que l'on passe allègrement de 40 à 60 euros sur le nucléaire historique et, pour le futur nucléaire, nous avons un changement brusque de 30 %. Comment faites-vous pour intégrer de pareilles fluctuations pour faire vos estimations, étant entendu que nous avons tous ici un peu de mal à cerner le coût de ce futur nucléaire ?

Mme Valérie Faudon. - La SFEN ne va pas commenter l'information publiée hier et issue d'une fuite de presse car nous ne disposons pas d'étude précise. Lors de son audition ici même, M. Xavier Ursat a indiqué, au nom d'EDF, que l'évaluation était toujours en cours et qu'il attendait des précisions de deux ordres : la première sur les contrats avec les fournisseurs et la seconde sur le calendrier qui est un facteur extrêmement important du coût des chantiers. Il a également rappelé que l'augmentation du prix des matières premières avait un fort effet de renchérissement et ce phénomène s'observe dans tous les secteurs.

Ayant récemment analysé le marché anglais, je mentionne les annonces relatives au retard du chantier d'Hinkley Point ; la même semaine, le Gouvernement anglais a confirmé qu'il augmentait son investissement direct dans Sizewell C parce que, dans la situation actuelle, tous les investissements dans des unités de production d'énergie augmentent et le Royaume-Uni doit en particulier retirer l'un de ses appels d'offres en matière d'éolien offshore - aucune entreprise n'ayant candidaté pour le dernier en date. La situation est la même aux Etats-Unis, qui subit une augmentation des prix des matières premières et de tous les moyens de production. C'est désolant, mais tel est le constat.

M. Olivier Houvenagel. - Il est effectivement difficile de se prononcer sur une évaluation récente figurant dans un article de presse et, quand on fait des évaluations, on essaye d'avoir le détail des chiffres cités pour savoir s'ils tiennent compte, par exemple, du coût d'investissement ou des intérêts intercalaires, etc. Nos analyses anticipent de telles évolutions ; c'est pourquoi j'avais insisté sur l'importance des analyses de sensibilité et des fourchettes prudentes que nous présentons. Nous multiplions ces analyses de sensibilité - en envisageant d'éventuels surcoûts du nucléaire, des énergies renouvelables ou des gaz verts - justement pour dégager des résultats suffisamment robustes pour ne pas être trop affectés par des réévaluations dont on sait qu'elles vont intervenir. Ces variations peuvent se produire dans les deux sens mais sont plus souvent haussières que baissières et nous prenons ce phénomène en compte.

Dans les Futurs énergétiques 2050, nous avions réalisé une analyse de sensibilité dans laquelle nous avions envisagé l'hypothèse selon laquelle tous les nouveaux réacteurs nucléaires auraient le même coût que l'EPR de Flamanville : le résultat était un rapprochement du coût des scénarios comportant du nouveau nucléaire et des scénarios 100 % énergie renouvelable ; cependant leurs chertés respectives ne s'était pas inversée. Il faut également prendre en compte les paramètres qui ont évolué à la hausse au cours des dernières années pour la construction d'unités d'énergies renouvelables et pour le renouvellement du réseau.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - J'ai posé une question sur les provisions pour le démantèlement et j'aurais aimé avoir la réponse.

Mme Valérie Faudon. - Les provisions pour démantèlement sont publiées tous les ans dans les résultats d'EDF ; ce sont des provisions avec des actifs dédiés que l'on retrouve également dans les comptes d'Orano et j'ajoute que ces provisions sont auditées.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Qu'en est-il pour les autres moyens de production d'énergie ?

M. Olivier Houvenagel. - Les provisions pour démantèlement dans le nucléaire sont bien prises en compte dans nos chiffrages. Nous considérons que le coût d'investissement inclut la provision constituée dès le départ en prévision du démantèlement. On reproduit la même démarche pour les autres technologies et cela a une certaine importance pour l'éolien terrestre, où les provisions pour démantèlement doivent être obligatoirement constituées au moment de l'investissement et du développement du parc. Nous pourrons vous fournir les chiffres très précis qui figurent également dans nos documents publics. La méthode retenue pour incorporer les provisions pour démantèlement est homogène entre toutes les technologies de production d'électricité.

Mme Valérie Faudon. - Pour EDF, les provisions pour démantèlement ont représenté 32,5 milliards d'euros fin 2021.

Mme Martine Berthet. - Je voudrais revenir sur la question du stockage par le biais d'hydrogène ou par batterie. Vous avez semblé indiquer que ces procédés ont plutôt pour effet d'augmenter le coût de l'électricité que de le baisser. Est-ce que c'est bien cela ?

M. Olivier Houvenagel. - Oui. Le stockage d'électricité sert à garantir l'adéquation entre production et consommation à tout moment. Quand on stocke l'électricité pour la restituer, il faut tenir compte du coût d'investissement dans l'infrastructure de stockage - par batterie ou hydrogène. Produire de l'hydrogène, le stocker et le restituer a un impact significatif sur le coût des scénarios comportant beaucoup d'énergies renouvelables, et pas seulement dans les scénarios à 100 % d'énergie renouvelable. De plus, dans tous les scénarios avec beaucoup d'énergie renouvelable, nous aurons besoin du stockage de longue durée que j'ai évoqué précédemment pour couvrir les périodes longues pendant lesquelles on ne peut pas produire d'énergie renouvelable. C'est pour couvrir ce besoin que nous devons développer des infrastructures de gaz décarboné sous forme d'hydrogène ou de méthane de synthèse. Le stockage de ce gaz et les centrales thermiques qui l'utilisent représentent des montants significatifs. À défaut de recourir à un tel stockage, nous nous exposerions à de nombreuses coupures d'électricité et nous dimensionnons donc nos scénarios de manière à ce qu'ils apportent tous le même niveau de sécurité d'approvisionnement. Dans les scénarios où les besoins en stockage et en centrales thermiques sont importants, les coûts afférents augmentent.

M. Franck Montaugé, président. - Comment les coûts échoués notamment relatifs aux énergies fossiles dont l'utilisation est amenée à disparaître sont-ils pris en compte dans les coûts globaux du système à venir, s'ils le sont ?

M. Olivier Houvenagel. - Les coûts échoués, de manière générale, - et pas seulement pour les énergies fossiles - ne sont pas intégrés dans l'indicateur qui permet d'orienter les décisions publiques car ce sont des investissements qui sont déjà passés et sur lesquels nous ne pouvons pas revenir. Les scénarios à l'horizon 2050 intègrent tous les coûts futurs mais pas les coûts échoués.

M. Franck Montaugé, président. - Ces coûts échoués vont tout de même représenter des sommes importantes pour les entreprises concernées, me semble-t-il, surtout celles qui produisent des énergies fossiles carbonées. La question se pose de savoir comment, si elles ne vont pas au bout de l'amortissement de leurs investissements, les choses vont être gérées du point de vue de l'intérêt général du pays et peut-être aussi de la solidarité nationale - je ne sais pas si c'est le mot qui convient ici - mais comment tout cela va-t-il être pris en compte ?

M. Olivier Houvenagel. - L'impact économique de la transition énergétique sur l'ensemble des acteurs est une question importante. Cependant, dans la théorie économique, quand on compare des scénarios futurs portant sur des choix publics, on a tendance à ne prendre en compte que les coûts futurs sans revenir sur les coûts passés. Nous pouvons effectivement voir apparaitre des questions de régulation financière ou de modèles économiques spécifiques portant sur des actifs qui ne sont pas totalement amortis. Cependant, nous sortons ici un peu du cadre de nos analyses. Il n'est pas question de nier l'importance de ce sujet mais l'exercice de comparaison des différents scénarios de mix électrique futurs se cantonne à l'analyse des dépenses futures.

M. Victorin Lurel. - Mme Faudon, vous avez rappelé que nous attendions la décision de l'ASN relative à la prolongation des centrales nucléaires de 40 à 60 ans. Or les études de fluence neutronique et de vieillissement des cuves montrent que celles-ci ont été calculées et calibrées pour durer 40 ans. Tout le monde parle de la prolongation des réacteurs à 60 ans mais on n'a jamais répondu à cette interrogation. Compte tenu des visites décennales et des vérifications périodiques qui sont réalisées, l'ASN a-t-elle aujourd'hui les moyens de dire que nous pouvons passer à 60 ans ? Les investissements nécessaires qui vont peser sur les coûts de production ont-ils été pris en compte ?

Par ailleurs, j'entends toutes sortes de scénarios sur les différentes méthodes permettant de calculer un prix de revient. Pouvez-vous nous fournir, pour que notre commission d'enquête puisse, le cas échéant, l'inclure dans son rapport, un comparatif des différentes méthodes de calcul des coûts de production et, sur cette base, les politiques que nous sommes pourront jouer leur rôle car, pour le moment, j'avoue que les incertitudes demeurent. L'ensemble des prévisions, des simulations et des scenarios que vous avez mentionnés pourraient-ils nous être communiqués sous forme de tableau ou de document comparatif afin de pouvoir visualiser les composantes du prix de revient, notamment les provisions évoquées par le rapporteur, les coûts échoués et aussi le cas qui n'a pas été évoqué dans lequel il y aurait un risque nucléaire majeur. Je suppose que c'est alors probablement l'État qui jouerait le rôle d'assureur en dernier ressort dans une telle éventualité et que celle-ci n'est pas prise en compte dans les coûts de production. Notre commission peut-elle être destinataire des divers éléments que je viens de mentionner ?

Mme Valérie Faudon. - Je vais d'abord répondre à votre deuxième question. La première partie du document de la SFEN que nous avons transmis à la commission d'enquête fait précisément l'inventaire de toutes les modalités de calcul du coût du nucléaire et j'ajoute que le rapport de la Cour des comptes sur le coût du système électrique a fait le même exercice.

Par ailleurs, je rappelle que l'ASN délivre ses autorisations seulement pour une durée de 10 ans. Pour l'instant, elle a donné un avis générique pour la prolongation de 40 à 50 ans et, de plus, elle émet un avis par réacteur. Elle a déjà indiqué que les deux enjeux principaux pour passer de 50 ans à 60 ans sont, d'une part, la conformité - ce qui inclut les caractéristiques des cuves - et, d'autre part, l'adaptation au changement climatique. Il faut savoir que les travaux accomplis ont été énormes à 40 ans et donc il n'y a pas vraiment de place pour rajouter des systèmes de sûreté supplémentaire.

S'agissant de votre remarque technique, vous savez que les deux composants d'une centrale nucléaire qui ne peuvent pas être changés sont la cuve et l'enceinte. Les cuves sont suivies très attentivement. Depuis qu'elles ont démarré, des témoins ont étés placés au fond des cuves et, à chaque visite décennale, on récupère un de ces témoins pour analyser l'état de l'acier et réaliser des tests. À ma connaissance - la SFEN a réalisé un travail sur ce point l'année dernière qu'il faudrait que je le relise - EDF n'avait pas mentionné un seul cas de cuve qui pourrait susciter une inquiétude et donc, sur ce sujet, EDF semble confiant. Cependant des études doivent être faites pour permettre à l'ASN de formuler non seulement un avis générique sur l'ensemble du parc mais aussi des avis unité par unité.

M. Daniel Gremillet. - Ma question s'adresse à RTE. Dans les stockages de déchets radioactifs évoqués pour la prise en compte des coûts, le stockage de Bure qui a évolué puisqu'il est aujourd'hui réversible a-t-il intégré dans l'étude ou pas ?

M. Olivier Houvenagel. - Oui. La partie stockage des déchets radioactifs haute activité (HA) et moyenne activité à vie longue moyenne activité à vie longue (MA-VL) a bien été intégrée dans le chiffrage. Nous avons échangé des informations avec l'Andra pour essayer de bien en dimensionner le coût, celui-ci étant variable selon que les différents scénarios comportent plus ou moins de nucléaire. Ainsi, dans les scénarios qui prévoient une sortie rapide du nucléaire, beaucoup de combustibles usés deviendraient tout de suite des déchets non recyclables et qui sont donc amenés à être stockés sous forme géologique. Dans d'autres scénarios, la relance du nucléaire accroit le volume de déchets à long terme. Nous avons intégré ces différentes trajectoires qui permettent de situer le coût du stockage de ces déchets à environ 2 euros par MWh que j'ai mentionnés.

M. Daniel Gremillet. - Comment prenez-vous en compte la possibilité de réutiliser le combustible dans les prochaines générations de réacteurs ?

M. Olivier Houvenagel. - La possibilité de réutilisation et de recyclage du combustible usé dans des réacteurs de quatrième génération soulève une incertitude. Il y a des variantes : si vous pouvez réutiliser une partie du combustible usé, vous avez besoin de stocker moins de déchets radioactifs à long terme, ce qui permet peut-être de minimiser les coûts du stockage de déchets radioactifs. Pour autant, compte tenu des ordres de grandeur, nous avons retenu par prudence le montant de 2 euros par MWh et, au final, ces chiffres sont relativement limités par rapport aux incertitudes sur d'autres composantes. Je rappelle par exemple que le coût de financement peut faire augmenter le coût de l'électricité de 70 euros à plus de 100 euros par MWh.

Je saisis l'occasion pour rappeler que toutes nos analyses sont documentées et que tous les chiffres figurent dans le volet économique de notre rapport Futurs énergétiques 2050, avec toute la décomposition afférente à chacune des technologies, les hypothèses retenues et comment cela se traduit dans les investissements ainsi que dans les coûts de revient calculés pour chacun des 18 scénarios que nous avons étudiés.

La réunion est close à 17h45.

Mercredi 6 mars 2024

- Présidence de M. Franck Montaugé, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

L'éolien terrestre et en mer - Audition de MM. Joseph Fonio, président de RWE Renouvelables France, Pierre Peysson, directeur éolien en mer de RWE Renouvelables France, Michel Gioria, délégué général de France Renouvelables, et Jules Nyssen, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER)

M. Franck MONTAUGÉ, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête en accueillant : M. Joseph Fonio, président de RWE Renouvelables France, M. Pierre Peysson, directeur éolien en mer, RWE Renouvelables France, M. Michel Gioria, délégué général de France Renouvelables et M. Jules Nyssen, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER).

Au nom de la commission d'enquête, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Je me dois de vous faire prêter serment en vertu des règles qui régissent les commissions d'enquête parlementaires. Avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal, et notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Les auditionnés prêtent serment.

M. Franck MONTAUGÉ, président. - Le Sénat a constitué, le 18 janvier dernier, une commission d'enquête sur « la production, la consommation et le prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050 ». Les travaux de la commission sont centrés sur le présent et l'avenir du système électrique, avec une question centrale : ce système électrique est-il, sera-t-il en capacité de faire face à la demande, d'offrir aux particuliers et à nos entreprises une électricité à un prix raisonnable ? Quelles sont ses perspectives de développement ?

Le 10 février 2022, à Belfort, le Président de la République française a formulé l'objectif d'un déploiement massif de l'éolien en mer, avec 40 GW répartis en cinquante parcs en 2050. Pour l'éolien terrestre, l'objectif annoncé est de doubler les capacités d'ici 2050, ce qui correspondrait à une capacité installée d'environ 37,6 GW. Ces chiffres sont considérables. Si tout le monde ou presque est favorable aux énergies renouvelables, celles d'entre elles qui sont intermittentes, dont l'éolien, suscitent un certain nombre de questions, légitimes a priori : Comment intégrer efficacement cette électricité au système électrique compte tenu de son intermittence et, en particulier, comment compenser, à la baisse comme à la hausse, le caractère aléatoire, en tout cas non pilotable de leur production ? Quelle est aujourd'hui la contribution de l'éolien à l'équilibre général du système électrique, et notamment au maintien de sa fréquence ? À une époque pas si lointaine, les experts estimaient que 30 % d'électricité intermittente était une limite maximale à ne pas dépasser. Est-ce toujours d'actualité et qu'en pensez-vous ? Depuis plusieurs années, on nous annonce une baisse rapide des coûts de l'éolien. Pourtant, l'État continue de soutenir la filière de façon considérable. Quand cette filière sera-t-elle suffisamment mature pour se passer de ce soutien, par exemple en ce qui concerne la gratuité du raccordement de l'éolien en mer ou les bénéfices du système de complément de rémunération ? Que sait-on aujourd'hui du coût de maintenance de l'éolien en mer ? Enfin, comment réduire ces coûts liés à l'éolien, aussi bien en ce qui concerne la construction que l'installation ou le raccordement ?

Je passe la parole à M. le rapporteur.

M. Vincent DELAHAYE, rapporteur. - Merci, M. le Président. Nous poursuivons effectivement nos auditions et tables rondes « techniques », sur un sujet que nous avons besoin d'appréhender sous de multiples dimensions. Nous abordons aujourd'hui les énergies renouvelables, après avoir assez longuement évoqué le nucléaire depuis le début de nos auditions.

Nous avons besoin de vos éclairages, notamment au regard de ce qui nous est dit depuis quelque temps déjà : les énergies renouvelables sont très bien mais intermittentes et non pilotables, ce qui représente deux défauts de taille, lorsqu'on cherche à assurer un service d'électricité continu capable en particulier de couvrir les pointes. Nous sommes donc face à ce qui apparaît comme une contradiction : vouloir développer les énergies renouvelables tout en se demandant si elles répondent réellement à nos besoins de fond.

Nous cherchons également à connaître les coûts de production du renouvelable (éolien ou photovoltaïque), la durée de vie des installations, leur provenance, leur bilan carbone complet, y compris jusqu'à leur démantèlement.

Quel coût complet de production estimez-vous avoir à ce jour ? Pourrait-on, dès lors, envisager d'avoir des prix garantis qui soient les mêmes pour toute la filière de production d'électricité ?

M. Jules NYSSEN, Président du Syndicat des énergies renouvelables (SER). - Nous représentons, au Syndicat des énergies renouvelables, toutes les filières d'énergies renouvelables, électriques et non électriques. Je voudrais commencer par rappeler devant votre commission trois faits que chacun connaît mais dont nous devons examiner ensemble les conséquences qui doivent en être tirées. Le premier est le réchauffement climatique, dont personne de rationnel ne nie qu'il est lié à l'action humaine et aux émissions de gaz à effet de serre. Ce constat a donné lieu à l'Accord de Paris et à l'objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050. C'est sur cette base que les travaux prospectifs, notamment de Réseau de transport d'électricité (RTE), ont été réalisés. Il ne s'agit pas d'une prévision mais d'une projection de trajectoire pour atteindre une cible. Ce n'est pas une tendance naturelle. Que signifie une société décarbonée en 2050 et quels sont les scénarios pour y parvenir ?

En deuxième lieu, les émissions de gaz à effet de serre sont liées à ce que l'on produit sur notre territoire mais aussi à ce que l'on importe. En conséquence, réindustrialiser notre pays est une façon de contribuer à l'effort global de décarbonation, au-delà des autres avantages que cette politique peut procurer.

En troisième lieu, notre consommation finale d'énergie repose encore à 60 % sur des énergies fossiles, dont quasiment aucune n'est produite sur notre sol. L'enjeu est donc aussi de réduire notre dépendance à ces combustibles fossiles, ce qui revient à réduire notre dépendance géopolitique. Cela contribue aussi à la résilience des prix et à limiter les dégâts pouvant être causés à la biodiversité et à l'environnement par les dispositifs d'extraction de ces énergies.

Vous avez auditionné Thomas Veyrenc, qui a eu l'occasion d'exposer devant vous sa vision des choses et qui vous a présenté les Futurs énergétiques 2050. Il faut rappeler que ce document ne constitue pas une prévision fondée sur l'extrapolation des tendances passées : ce sont des scénarios alternatifs devant permettre d'atteindre un objectif. Trois messages généraux se dégagent de cette projection.

Premièrement, il faut baisser la consommation d'énergie, ce qui peut paraître contradictoire avec l'objectif de croissance économique. En fait, il n'y a pas nécessairement de contradiction mais il faut travailler à l'articulation de ces deux objectifs. Deuxièmement, il faut électrifier les usages de façon massive. Enfin, il faut produire des énergies renouvelables non électriques. Je n'insisterai pas trop sur ce dernier aspect aujourd'hui mais je voulais le mentionner, car on ne pourra pas tout faire avec l'électricité.

L'élément important est de baisser la consommation et de produire plus d'électricité. Cela veut dire, d'une certaine façon, consommer moins mais produire davantage sur le sol français, si l'on parvient à maîtriser cette production localement.

Cette transformation, consommer moins, produire plus d'électricité, doit venir de la demande : quoi que l'on produise, s'il n'y a pas de demande, nous serons confrontés à une difficulté en termes de signal-prix. Or la tendance ne va pas conduire naturellement la consommation à se transformer. Il faut une action volontariste pour inciter nos concitoyens, les entreprises et l'ensemble des acteurs de la société à électrifier les usages, à consommer moins, à réaliser des efforts d'efficacité, éventuellement de sobriété. C'est la raison pour laquelle nous avons besoin de points d'appui en termes d'action publique. Nous militons fortement, au Syndicat des énergies renouvelables, pour que cette transformation puisse s'opérer dans le cadre d'un dispositif législatif qui confirmerait la cible de décarbonation en 2050 et fixe quelques grandes lignes, tout en ayant conscience qu'on apprendra en marchant et que des ajustements seront à opérer en cours de route. Il importe au moins que l'on sache où l'on va.

Ce que j'ai exposé a commencé à trouver une forme de traduction à l'échelle nationale et européenne. À l'échelle nationale, c'est la Stratégie française « énergie-climat », définie à l'horizon 2035, prévoyant une baisse de 28 % de la consommation d'énergie et une croissance de la consommation d'électricité de 43 %. Elle fixe, par ailleurs, une augmentation encore plus forte de la mobilisation des bioénergies.

L'Union européenne n'a pas une ambition différente. Elle énonce, dans le cadre de la directive sur les énergies renouvelables, que l'Union européenne doit assurer 42,5 % de sa consommation finale d'énergie à partir de ressources renouvelables. Si je prends les chiffres présentés par le Gouvernement dans le cadre de la Stratégie française énergie-climat, j'arrive exactement aux mêmes grandeurs. Cette directive ne fixe absolument pas le mix énergétique de chaque État membre. C'est une forme de traduction des objectifs à atteindre collectivement pour décarboner notre économie.

Ces chiffres mis sur la table par le Gouvernement conduisent à faire passer, d'ici 2035, la consommation d'électricité de 460 TWh environ à 660 TWh. Pour y parvenir, nous avons la chance de disposer d'un parc nucléaire. Celui-ci a produit près de 400 TWh lors des bonnes années. Nous avons connu, en 2022, une très mauvaise année pour les raisons que chacun connaît. Nous sommes remontés à 320 TWh l'an dernier et l'objectif du Gouvernement ayant servi de base aux prévisions est une production d'environ 360 TWh. Il faut donc 300 TWh provenant d'autres sources. Environ 110 TWh proviennent aujourd'hui de sources renouvelables (l'hydroélectricité et les énergies renouvelables électriques). Ce chiffre doit augmenter pour arriver à 300 TWh, ce qui représente un quasi-triplement de la production d'électricité venant des énergies renouvelables d'ici 2035, sans que l'on puisse compter sur le parc nucléaire durant cette période - ce qui ne veut pas dire qu'il ne faille pas le renforcer ni augmenter la durée de vie des réacteurs.

Où sont nos marges de manoeuvre, si elles ne se situent pas dans le nucléaire ? Elles résident peut-être dans l'hydroélectricité. Force est cependant de constater, malgré l'attention que tout le monde porte à ce secteur, que la grosse hydroélectricité est contrainte par les questions juridiques que l'on connaît et que la petite hydroélectricité est très importante dans les projets de territoire, mais ne suffira pas à répondre aux enjeux au regard du volume global produit par cette source. Il reste le solaire et l'éolien terrestre, deux technologies qui sont maîtrisées, compétitives, à des degrés divers, en fonction de leurs conditions d'installation (particulièrement pour le solaire). C'est aujourd'hui la seule manière de répondre à l'augmentation prévisionnelle de la demande d'électricité.

Pour y parvenir, il y a des contraintes. Elles ne sont pas de nature industrielle. Elles sont pour partie réglementaires et s'entendent surtout en termes d'acceptabilité. Se dégager de la dépendance vis-à-vis des pays dont nous importons de l'énergie a, en effet, une contrepartie : nous devons la produire chez nous et les équipements de production sont visibles. Ils sont implantés dans les campagnes, ils ont un impact sur les paysages. Tout cela ne va pas de soi. Cela nécessite de la pédagogie. C'est là que le rôle des élus locaux nous paraît fondamental. La loi d'accélération des énergies renouvelables prévoit, à l'initiative de votre Assemblée, le dispositif des zones d'accélération, dont on regrette qu'il ne fasse pas l'objet, ces derniers temps, d'un soutien politique très fort, malgré la bonne volonté des élus qui souhaitent le mettre en place. Ce dispositif vise à faire en sorte que les élus reprennent la main sur ce développement, qu'ils intègrent les projets d'énergies renouvelables dans les stratégies territoriales et qu'ils en soient les acteurs, plutôt que de le découvrir a posteriori.

Je terminerai en soulignant que tout ceci ne vaut que si la demande d'électricité augmente. Si ce n'est pas le cas, nous aurons raté quelque chose : pour atteindre l'objectif de décarbonation et offrir à notre industrie de l'énergie décarbonée à un prix compétitif, seule l'électricité le permettra. Certes, le prix du gaz est aujourd'hui relativement peu élevé. Les signaux-prix envoyés par les marchés ne poussent pas spontanément à accélérer la transition. Un effort d'efficacité énergétique, sur un processus industriel, est amorti beaucoup plus vite qu'une transition du gaz ou du charbon vers l'électricité. Mais ce n'est pas parce que telle est la réalité du moment que ce sera aussi la réalité de demain. C'est la raison pour laquelle on ne peut parler de production ni de développement des énergies renouvelables sans avoir en tête l'action qu'il faut conduire sur la réorganisation de la demande pour atteindre l'objectif de décarbonation.

Les enjeux sont connus : préserver le plus possible le climat, permettre aux entreprises de se développer pour réussir la réindustrialisation de notre pays, protéger nos concitoyens d'une variabilité des prix de l'énergie, liée principalement à la nature importée de ces énergies et à notre dépendance à cet égard, en particulier vis-à-vis des pays producteurs de pétrole.

Sur ce dernier point, je rappelle qu'en 2022, la facture énergétique a représenté 116 milliards d'euros dans notre balance commerciale, ce qui est considérable.

Nous avons besoin d'une loi de programmation sur l'énergie. Elle devait être adoptée, au titre de la loi « climat et résilience », avant juillet 2023. Il faut s'y engager sans tarder, car l'ampleur de ces transformations et des obstacles à franchir nécessite un peu de consensus et de la visibilité.

M. Franck MONTAUGÉ, président. - Je passe la parole à M. Gioria.

M. Michel GIORIA, délégué général de France Renouvelables. - Merci M. le Président. Nous avons préparé quelques diapositives pour guider cette intervention. Je vous propose de dresser rapidement la carte d'identité de l'éolien en France, sur terre et en mer. L'éolien en France représente aujourd'hui 21 GW installés, répartis sur le territoire national. Environ la moitié des installations se trouve dans deux régions, Grand-Est et les Hauts-de-France. Nous assistons à un mouvement vers l'ouest et à des développements nouveaux vers la façade atlantique, notamment en Bretagne, en Pays de la Loire, en Normandie et dans une certaine mesure en Occitanie et en Centre-Val de Loire.

Du côté de la production, l'année 2023 a été remarquable, avec 50,7 TWh de production d'électricité. L'éolien constitue ainsi la deuxième filière de production renouvelable derrière l'hydraulique, qui représente aujourd'hui 58 TWh. En 2022, nous étions à environ 38 ou 39 TWh. Ces chiffres et la progression qu'ils indiquent ancrent la filière en termes de fiabilité et de contribution au système électrique.

La filière représente 28 200 emplois, dont environ 7 000 emplois pour l'offshore et 21 000 emplois dans l'éolien terrestre. Quatre des douze installations situées en Europe, produisant des composants d'éoliennes en mer, se trouvent sur le territoire national. C'est une vraie réussite, issue d'une politique de soutien structurée, entamée au début des années 2010. Il faut s'en féliciter et savoir faire vivre cette politique.

Il est très peu question des centres de maintenance mais il en existe une centaine sur le territoire, notamment dans les territoires ruraux. Nous rencontrons régulièrement des maires qui nous disent que ces centres de maintenance ont permis de stabiliser de jeunes foyers sur le territoire, de faire vivre des commerces et des activités ou de faire en sorte que les petits-enfants restent près des grands-parents, etc. Il y a de très beaux récits de vie et de territoire autour de ces centres de maintenance. Il faut également noter un nombre important de centres de formation, du CAP au niveau bac+5, puisque derrière tous ces emplois existent des compétences et des parcours professionnels. Ce sont aussi des dispositifs qu'il faut continuer de faire vivre.

M. Franck MONTAUGÉ, président. - Que veut dire « pourvoyeurs de données environnementales » (diapositive n°4) ?

M. Michel GIORIA. - Nos installations sont classées ICPE. Nous avons, dès lors, une obligation de suivi de l'impact environnemental de nos installations, ce qui se fait notamment au travers de recensements. C'est le cas en particulier pour la biodiversité : nous sommes l'un des principaux pourvoyeurs de données en la matière, ce qui est important pour le développement des connaissances et de la science.

La « PPE 2 » (programmation pluriannuelle de l'énergie) définit une trajectoire projetée à l'écran. En bleu (diapositive n°5) est représenté le rythme annuel. Si l'on prolonge le rythme actuel jusqu'en 2028, nous devrions être à 30,4 GW. Si l'on suit l'objectif de la PPE actuelle, nous devrions être à 34 GW. Nous évoquions tout à l'heure la Stratégie française « énergie-climat ». Les premiers travaux mis en consultation publique jusqu'au 22 décembre fixent un niveau de 30 GW à 35 GW à l'horizon 2030 et 40 à 45 GW à l'horizon 2035 (et non 2050 comme indiqué sur la diapositive).

Du côté de l'offshore, nous sommes essentiellement dans la mise en oeuvre des projets qui ont été sélectionnés en 2011 et 2014. Nous sommes très heureux que ces parcs (Saint-Nazaire et Saint-Brieuc) aient démarré. Puis viendront progressivement ceux de Fécamp, Dieppe-Le Tréport, etc. Il est à noter que nous aurons un « trou » de mise en service entre 2027-2028 et 2031 puisqu'aucun nouveau parc ne sera raccordé durant ces trois années. C'est la traduction de quelques hésitations passées et il est important que l'on puisse sécuriser ces trajectoires de développement pour donner la plus grande visibilité possible aux industriels.

L'objectif actuel de production de l'éolien offshore, à l'horizon 2035, est de 18 GW (objectif fixé dans le cadre du Pacte éolien en mer entre la filière et l'État en mars 2021). Nous insistons beaucoup sur cet objectif intermédiaire. On a souvent l'habitude, en France, de prendre des objectifs à l'horizon 2050. Néanmoins, si l'on ne suit pas les trajectoires régulièrement, il sera trop tard de s'en alarmer à la veille de 2050 : cela ne fonctionne pas, quelle que soit la filière, du point de vue industriel. Il est important d'avoir de la régularité dans le développement. C'est la raison pour laquelle l'objectif intermédiaire de 2035 est à nos yeux essentiel.

Du côté des coûts de production, sans entrer dans les coûts complets à ce stade, la tendance est à la baisse pour l'éolien terrestre. On passe de 88 à 53 euros HT par mégawattheure environ, avec une distinction entre les coûts d'investissement et les coûts d'exploitation et de maintenance. Comme pour toutes les filières, la crise du covid, celle de la logistique et la guerre en Ukraine, sans oublier la hausse des taux d'intérêt - notre secteur se finançant en partie par la dette, comme pour la quasi-totalité des investissements de production dans le domaine de l'électricité -), ont un impact sur le coût des projets. Il est d'autant plus important d'envoyer des signaux économiques permettant de différencier les coûts d'emprunt selon que les projets concernent des énergies décarbonées ou non, c'est-à-dire les énergies fossiles, de façon à maintenir une trajectoire d'investissements et la compétitivité de la filière.

M. Vincent DELAHAYE, rapporteur. - Ces coûts d'investissement intègrent-ils les coûts système ?

M. Michel GIORIA. - Non. Pour faire simple, selon l'ordre de grandeur établi par l'Agence internationale de l'énergie, un euro investi dans des moyens de production implique en contrepartie un investissement d'un euro dans le réseau. Cela varie selon les pays pour deux raisons. Dans d'assez nombreux pays, ce qui n'est pas le cas de la France, l'électrification des usages est beaucoup moins importante. En France, on a fortement développé le chauffage électrique, ce qui a permis de disposer d'un réseau bien maillé et de faire diminuer les coûts de réseau.

Par ailleurs, d'autres pays, notamment certains de nos voisins, sont arrivés à un niveau de saturation de leur réseau qui renforce encore les coûts de réseau. La France n'est pas dans ce cas. Cela nous montre qu'il est capital de conserver une capacité de planification et d'anticipation. Il existe un vrai savoir-faire français dans le développement du réseau, autour des questions de planification. Il faut mobiliser ce savoir-faire pour optimiser le coût de développement.

Vous voyez ensuite (diapositive n°9) les coûts de l'offshore de 2015 à 2022, hors réseau. Un exemple est fourni concernant le coût du réseau à Dunkerque, qui est l'avant-dernier projet attribué. Nous sommes à environ 44 euros le mégawattheure, avec un coût du raccordement de 10 euros par mégawattheure. On tutoie ainsi 54 ou 55 euros par mégawattheure, ce qui reste extrêmement compétitif aujourd'hui par rapport à toutes les filières décarbonées qui existent, même si l'on prend en compte le coût du raccordement.

En ce qui concerne l'éolien posé, la tendance à la décroissance des coûts est nette. Ce sont des parcs que l'on sait construire, qui sont opérés ailleurs en Europe et désormais en France, après les premières têtes de série qui ont été développées, notamment à Saint-Nazaire. Il faut s'intéresser aux coûts du premier appel d'offres sortant, le fameux AO5-Bretagne Sud dont nous attendons tous l'arrivée, afin de disposer d'une première référence.

La diapositive n°10 présente des fourchettes de coûts issues de différents scénarios (Agence internationale de l'énergie, Agence internationale des énergies renouvelables, Agence de la transition écologique (ADEME), RTE). Une tendance baissière se dessine nettement pour l'ensemble de ces fourchettes. Nous avons des fourchettes de prix validées par des projets concrets, ce qui est également important. Elles se rapportent à des technologies de production décarbonée qui sont parmi les plus compétitives.

Sur le plan environnemental, nos installations sont ICPE (« installations classées pour l'environnement »). Le bilan carbone se situe à environ 11 grammes de CO2. On considère qu'une énergie est décarbonée si l'on est en dessous de 40 grammes de CO2 par kilowattheure. Avec ce niveau de 11 grammes, nous sommes donc bien positionnés. Il faut aussi avoir à l'esprit la démarche « éviter, réduire, compenser », appuyée, en amont des projets, sur des études environnementales, de manière à connaître les impacts des installations à venir, faire évoluer les conceptions du parc pour éviter le plus possible ces impacts, mettre en oeuvre des mesures de réduction et de compensation.

Parmi les mesures de réduction figure le bridage. À titre d'exemple, concernant les parcs éoliens terrestres, pour éviter que les oiseaux ne soient pris dans les pales au moment des récoltes, des accords sont passés avec les producteurs pour que, pendant les périodes de moisson, les éoliennes soient à l'arrêt, afin d'éliminer cet impact environnemental.

Du côté du raccordement, nous avons un outil puissant, les S3REnR (schémas régionaux de raccordement des énergies renouvelables au réseau), pilotés par la délégation régionale de RTE. Vous voyez (diapositive n° 12) le taux de saturation de ces schémas par région. En vert figurent les régions dans lesquelles la marge est encore importante. En orange, il va falloir préparer la révision du schéma. En rouge figurent les régions pour lesquelles il faut accélérer cette révision et préparer la suite. Les coûts de raccordement sont répartis par quotes-parts en euros par mégawatt. Vous voyez la ventilation de ces coûts par région à ce jour. Selon la situation du réseau et la dynamique de projet, les coûts sont variables et assumés aujourd'hui par les producteurs.

La question industrielle est essentielle. La France n'est pas seule au monde. L'ensemble des pays développés (États-Unis, Chine, Japon, Corée du Sud, etc.) a engagé un mouvement très fort vers les énergies renouvelables, notamment pour soutenir les industries associées à ces énergies. Cela apparaît très clairement dans l'Inflation Reduction Act (IRA) aux États-Unis mais aussi en Chine, qui s'appuie sur un système planifié. Nous avons donc des compétiteurs très forts qui émergent. Si l'on ne veut pas substituer une tutelle asiatique sur les énergies renouvelables à la dépendance aux énergies fossiles, il est essentiel de ne pas refaire l'erreur qui a été faite pour le photovoltaïque, c'est-à-dire abandonner le soutien à notre industrie : l'expérience montre qu'il est extrêmement difficile de réanimer une industrie que l'Europe a perdue.

S'agissant des chaînes d'approvisionnement, la France dispose d'atouts partout où vous voyez de petits drapeaux sur la diapositive n° 14.

Enfin, les mécanismes de soutien des énergies renouvelables sont des amortisseurs sociaux. Nous l'avons vu durant la crise puisqu'ils ont permis de financer le bouclier tarifaire. Si d'autres énergies décarbonées font appel ou souhaitent mettre en place ce type de mécanisme, c'est aussi parce qu'ils sécurisent les investissements, autre objectif essentiel.

M. Franck MONTAUGÉ, président. - Je donne la parole à M. Fonio.

M. Joseph FONIO, président de RWE Renouvelables France. - M. le Président, M. le rapporteur, mesdames et messieurs les sénatrices et sénateurs, merci pour votre invitation. RWE n'étant pas encore très connu sur le marché français, il me paraît utile de situer rapidement notre société.

Nous sommes un énergéticien privé : nous construisons, exploitons et, le moment venu, démantelons des centrales électriques. Le groupe a 125 ans d'existence et compte environ 20 000 employés à travers le monde. Nous sommes l'un des plus grands producteurs d'électricité, notamment en Allemagne et au Royaume-Uni, où nous sommes le premier producteur. Nous sommes également un très gros producteur d'énergies renouvelables, en particulier d'énergie éolienne. RWE est notamment le quatrième plus gros producteur d'électricité de source éolienne et solaire aux États-Unis et en Europe. RWE est également le deuxième plus gros exploitant au monde de parcs éoliens en mer.

RWE est un groupe énergétique engagé dans sa propre transition énergétique : il a pris un engagement de sortie totale du charbon d'ici 2030 au plus tard et un engagement de neutralité carbone en 2040, porté essentiellement par le développement des énergies renouvelables. C'est un changement que nous avons largement mis en oeuvre puisqu'au cours des dix dernières années, le groupe a réduit de 60 % ses émissions de CO2, non pas en cédant ses activités carbonées, mais en réduisant l'exploitation des centrales ou en les fermant.

Aujourd'hui, RWE exploite 47 GW à travers le monde. C'est l'équivalent de 30 % de la consommation nationale d'électricité de la France aujourd'hui. Cette capacité doit être accrue, à l'horizon 2030, pour atteindre 65 GW, avec 14 GW d'éolien terrestre, 11 GW d'éolien en mer, 15 GW de solaire. Les 25 GW restants proviendront des flexibilités, notamment le stockage par batterie, le gaz et l'hydrogène, lequel devant bien sûr être produit par des capacités décarbonées.

Tout ceci représente des investissements colossaux. Le groupe RWE a investi ces deux dernières années 20 milliards d'euros dans ces nouvelles capacités. Il a pris l'engagement d'investir 55 milliards d'euros, entre 2024 et 2030, pour mettre en oeuvre ce plan. En France, RWE est un nouveau venu : nous sommes entrés sur le marché fin 2020 via le rachat d'un portefeuille de développement de projets éoliens terrestres. Nous n'avions alors que 60 salariés. Nous en avons aujourd'hui 250 et nous continuons de recruter fortement sur le territoire. Notre agenda est exclusivement tourné vers les énergies renouvelables (éolien terrestre, éolien en mer, solaire, stockage).

Nos capacités d'exploitation en France sont encore relativement modestes, avec 185 MW d'éolien terrestre, puisque nous venons d'arriver sur le marché. Nous faisons déjà partie, néanmoins, des sociétés les plus actives dans le développement des projets éoliens. Nous sommes notamment sur le podium des sociétés qui se voient accorder le plus grand nombre de permis au cours des trois dernières années, pour des parcs éoliens terrestres et parmi les trois principaux lauréats des appels d'offres pour les compléments de rémunération alloués par la Commission de régulation de l'énergie (CRE).

Nous visons une capacité de 1 GW d'éolien terrestre en service d'ici la fin de la décennie et un volume équivalent pour le photovoltaïque. Nous nous positionnons sur tous les appels d'offres de l'éolien en mer, dont nous sommes le deuxième acteur mondial. Nous espérons bien que ce développement passera aussi par la France.

L'ampleur de nos objectifs nous oblige à nous doter d'une vision « marché » et à analyser tous les facteurs de succès ou de tension pour le développement des énergies renouvelables et pour la transition énergétique. Nous avons adopté, en France, le statut de société à mission, qui nous permet de développer les axes suivants : le soutien de l'industrie - de nombreux industriels français souhaitent opérer leur transition vers les énergies renouvelables et soutenir l'innovation -, le partage de valeurs locales, qui est fondamental pour l'intégration locale des projets, le partage de savoirs, en créant de nombreux emplois et en formant aux métiers des énergies renouvelables, ainsi que la concertation et la co-construction avec les acteurs locaux pour le co-développement des projets et l'excellence environnementale.

Nous venons ici apporter le témoignage industriel, terre à terre, d'un acteur international à même de porter un regard comparatif sur différents marchés, puisque nous sommes présents sur l'essentiel des marchés européens.

Dans l'éolien terrestre, une question prépondérante est celle de l'acceptation à l'échelon local. L'identification des zones d'accélération, telle que définie dans la loi d'accélération des énergies renouvelables, démarre très timidement. Pour les élus locaux de petites communes rurales, ce mécanisme est très difficile à prendre en main et j'aimerais avoir l'occasion d'expliquer la façon dont cela fonctionne sur le terrain. Pour accompagner les élus et pour qu'ils puissent porter ces projets et pour favoriser le partage de valeur local, un certain nombre d'outils et de pratiques fonctionnent très bien.

Un autre sujet est celui des contraintes liées aux radars militaires, qui sont présentes sur 70 % du territoire en France. Il existe aujourd'hui des solutions de radars militaires de compensation auxquelles nous travaillons.

Les procédures de développement sont très longues en France. Nous ne parlons pas seulement des délais d'instruction mais aussi des contentieux, qui prennent des années, car les tribunaux sont engorgés. En outre, malgré le travail remarquable d'Enedis et de RTE, il existe encore des zones blanches dans lesquelles les raccordements mettent parfois plus de cinq à sept ans à se mettre en place. Cela concourt, dans les zones à plus fort potentiel de développement, à ralentir l'installation et des acteurs comme nous sont contraints de financer les nouveaux postes électriques afin d'accélérer leur déploiement.

Nous disposons en tout cas d'un très fort potentiel, notamment grâce aux progrès de la technologie. Michel Gioria mentionnait les améliorations du point de vue du coût de production mais il faut également noter que les éoliennes sont de plus en plus puissantes et efficaces. Ainsi, pour passer de 21 GW, qui correspond à la puissance installée aujourd'hui, à 40 GW, comme le prévoit la Stratégie française « énergie-climat », nous n'aurions besoin, selon toutes les projections, que de 12 000 éoliennes au total, alors qu'il en existe déjà 9 500. Alors que ces dernières années, on a installé 500 nouvelles éoliennes par an en France, il suffirait donc d'en installer 200 nouvelles chaque année pour atteindre cet objectif.

M. Franck MONTAUGÉ, président. - Je rappelle que l'objectif principal de ces auditions porte sur les coûts de production et les prix. Je donne la parole à M. Peysson.

M. Pierre PEYSSON. - RWE a en service 19 parcs éoliens en mer. Nous sommes numéro deux mondial. Nous avons donc accumulé une grande expérience depuis vingt ans. Nous avons également 19 parcs en développement, dont deux sont en construction. Nous sommes présents dans différents pays et les régulations mises en place par ceux-ci diffèrent selon les cas. Il y a de bons, et de moins bons exemples. Nous avons un certain nombre de propositions qui permettraient certainement d'améliorer le cadre de développement de nos projets en France. Nous sommes totalement neutres du point de vue technologique : nous travaillons à la fois sur l'éolien en mer « posé »,où les fondations touchent le sol, et sur l'éolien flottant, pour lequel nous avons investi dans deux démonstrateurs, en Norvège et en Espagne.

En France, nous sommes partis de zéro il y a trois ans. Nous avons monté une équipe de 50 personnes. Le groupe compte aujourd'hui 2 000 personnes et nous nous positionnons sur l'ensemble des appels d'offres en cours, qui représentent une capacité d'environ 6 GW.

Nous avons une équipe de développement importante, car, au-delà des appels d'offres, il y a des fondamentaux : un bon projet est un projet de territoire. Il y a de nombreux échanges avec les territoires afin de s'assurer que nous ne rencontrons pas de difficultés dans la mise en oeuvre des projets.

Cela fait dix-sept ans que je suis présent dans le secteur de l'éolien en France. J'ai participé à l'ensemble des appels d'offres et j'ai pu constater la manière dont les lois ont été mises en oeuvre. Nous avons un système très robuste, avec un complément de rémunération symétrique indexé, ce qui me paraît un cadre extrêmement intéressant pour permettre aux opérateurs d'assumer leurs risques sur des durées longues.

Une visibilité est donnée à l'horizon 2050, avec un point de passage intermédiaire en 2035. Cela n'existait pas il y a quelques années ; c'est aussi un élément très précieux.

Ce qui manque un peu, de mon point de vue, c'est l'aspect opérationnel de la réalisation de ces objectifs. Nous allons bientôt discuter de la programmation pluriannuelle de l'énergie. S'agissant de la réforme des cahiers des charges, nous constatons aussi de fortes différences en termes de compétitivité entre les prix attribués aux projets offshore en France et en Europe, pour les mêmes technologies. Nous nous interrogeons quant à ce décalage.

M. Vincent DELAHAYE, rapporteur. - Je vais rebondir sur ce que vous venez de dire. Il est vrai qu'il est un peu surprenant d'observer une tendance baissière en France et une tendance haussière en Europe. Pensez-vous, M. Nyssen, qu'une coopération européenne s'enclenche dans ce domaine ? A-t-elle déjà eu lieu ? Il existe des projets dans différents pays mais on n'a pas le sentiment qu'il existe une réelle coopération en la matière. L'Europe énonce un certain nombre d'objectifs et de contraintes mais travaille-t-elle à la construction d'une filière européenne, plutôt que la juxtaposition de filières nationales ? Je suis assez surpris de constater que les politiques européennes sont souvent assez limitées en la matière.

Nous sommes effectivement intéressés avant tout par les prix, même si la santé de vos entreprises et vos projets d'investissement constituent évidemment des sujets importants. Notre préoccupation centrale est la capacité du pays à disposer d'un système électrique qui fonctionne et qui ne soit pas trop tendu, car on a le sentiment aujourd'hui qu'il est assez tendu. Un autre enjeu est de maintenir un taux très élevé de décarbonation du système.

Nous cherchons également à en connaître les coûts. Vous dites qu'il y a un système robuste en France, avec des prix garantis. On voyait, parmi les données que vous avez projetées, un coût de 53 euros par mégawattheure pour l'éolien terrestre et 44 euros par mégawattheure pour l'éolien en mer. L'éolien coûterait donc moins cher en mer que sur terre, ce qui m'interpelle un peu. Vous avez également mentionné un coût de raccordement de 10 euros par mégawattheure, alors que la carte de l'éolien terrestre présente des coûts de raccordement nettement supérieurs. L'éolien en mer paraît donc beaucoup moins cher que l'éolien terrestre. Le confirmez-vous ? L'éolien en mer donne également lieu à des protestations mais je voudrais pour l'instant me situer sur le seul plan des coûts.

M. Franck MONTAUGÉ, président. - Je n'ai pas compris vos tableaux présentant différentes courbes mettant en évidence des écarts très importants. Un éclairage complémentaire sur ce point serait donc bienvenu.

M. Jules NYSSEN. - Je vais vous répondre à propos de la dynamique européenne. L'Union européenne a été bâtie sur une logique de marché et d'ouverture à la concurrence. Transformer cet ADN est compliqué. Contraint et forcé, dans une certaine mesure, on s'est rendu compte des fragilités du tissu industriel européen à travers les crises que nous avons traversées. Cela a suscité un certain nombre d'évolutions. Dans le domaine des industries stratégiques, qui sont nombreuses autour de l'énergie, un mouvement s'est enclenché, un peu en réaction à l'Inflation Reduction Act américain, avec la proposition de règlement européen sur l'industrie « zéro émission nette » (NZIA). Ce règlement est quasiment adopté, puisque le vote du Parlement européen semble acquis et devrait intervenir avant les élections européennes. Ce dispositif pose des règles du jeu un peu différentes, permettant notamment d'appliquer dans les mécanismes de soutien public, dont les appels d'offres, des critères dits de résilience, qui garantissent que nous ne soyons pas dépendants, pour la construction de nos systèmes énergétiques, de pays qui détiendraient plus de 50 % de l'offre mondiale et pourraient ainsi jouer un jeu disproportionné. Cela ne s'appelle pas du protectionnisme. On prend le problème à l'envers, me semble-t-il. Ce règlement, s'il est un peu décevant du point de vue de son ambition globale, autorise chaque État membre de l'Union européenne à mettre en oeuvre des dispositions plus dures que les dispositions minimales qu'il prévoit.

S'agissant de l'éolien, il existe une industrie européenne. Dans l'éolien en mer, elle est même en grande partie française, puisque quatre des douze usines existant en Europe se situent sur le sol français. La question est de savoir comment nous la protégeons d'une concurrence déloyale qui est essentiellement le fait de concurrents chinois. Ceux-ci bénéficient, en effet, de mécanismes de financement de leur production peu transparents, qui leur permettent de soumettre des offres contre lesquelles les industriels européens ne peuvent pas lutter. Le règlement NZIA devrait permettre de construire un certain nombre d'outils de protection. La présidente de la Commission européenne a mis en avant un plan d'action pour défendre l'industrie éolienne, ce qui semble traduire une véritable prise de conscience.

Au-delà de l'industrie elle-même, l'enjeu porte aussi sur les composants qu'elle utilise, de façon à s'assurer que l'ensemble de la chaîne de valeur est résiliente. Le marché étant porteur, le potentiel existe de manière indiscutable pour offrir un développement à ces entreprises. La dynamique européenne existe donc bel et bien, mais il incombe à chaque État membre de la mettre en oeuvre de façon volontariste.

M. Michel GIORIA. - Effectivement, un mouvement européen s'est amorcé. Il est important qu'il soit complété sur une dimension essentielle qui a trait aux volumes. Aujourd'hui, les objectifs européens prévoient d'installer, par exemple, 30 GW d'éolien terrestre par an sur le territoire européen. L'an dernier, nous en avons installé 16 GW, contre 15 GW l'année précédente. Certes, on progresse mais il faut donner de la visibilité sur les volumes à l'ensemble des industriels européens. Lorsqu'on accepte ou qu'on refuse un projet, cela a des conséquences sur l'industrie européenne. Aujourd'hui, ce n'est pas envisagé ainsi. Un service déconcentré de l'État chargé des services ICPE et des questions de motorisation ne fait pas actuellement le lien entre l'acte d'autorisation et la conséquence industrielle de son choix. Ce sont des éléments qu'il faut réussir à rapprocher. De ce point de vue, le rapatriement de l'énergie à Bercy constitue un élément essentiel. Il faut maintenant que, dans l'impulsion donnée au niveau français, le lien soit fait, au sein des services déconcentrés de l'État, entre la politique industrielle définie et les autorisations de projets. Cela permettra aussi la rationalisation du type d'éoliennes produites, étant entendu que plus vous rationalisez une chaîne de production, plus la santé financière de l'industrie sera optimisée.

M. Jules NYSSEN. - Joseph Fonio évoquait tout à l'heure les contraintes. Nous sommes soumis à des contraintes de distance au sol plus importantes que chez nos voisins et on ne peut pas monter aussi haut. C'est un peu comme si les oiseaux volaient plus haut et les avions plus bas ! Cela limite le diamètre des rotors et la puissance des turbines. Bientôt, il n'y aura plus que des éoliennes chinoises dans le catalogue des producteurs. La réglementation qui s'impose aujourd'hui à l'éolien terrestre nuit au développement de l'industrie européenne, car nous sommes le seul pays qui maintient des contraintes de cette nature.

M. Michel GIORIA. - Ce point est effectivement essentiel. En ce qui concerne les coûts de l'offshore, nous sommes dans une tendance baissière. Les premiers parcs actuellement en cours de construction, sélectionnés en 2011 et 2014, ont fait l'objet d'une renégociation tarifaire en 2018, avec un tarif qui tourne aujourd'hui autour de 150 euros par mégawattheure. Ces parcs seront construits jusqu'en 2026.

Le parc de Dunkerque, sélectionné en 2019, a été choisi avec un tarif de 44 euros par mégawattheure. Trois facteurs expliquent cette chute de 150 à 44 euros par mégawattheure. Le premier est la taille des éoliennes. Nous avons à Saint-Nazaire des éoliennes de 6 MW. L'installation qui sera construite à Dunkerque tournera autour de 15 MW, soit une multiplication par plus de deux de la puissance de l'éolienne, ce qui contribue à l'optimisation du prix.

Le deuxième facteur est un effet d'apprentissage du point de vue de l'organisation des chantiers, de la logistique à terre (au sein des ports), du coût de location des bateaux et de la formation de salariés. Cela permet également d'obtenir un coût beaucoup moins élevé.

Enfin, un pari a été fait et a réussi : le prix de 150 euros était adossé à un engagement de sécurisation des sites de production sur le territoire national et cela a été fait. Les usines de Saint-Nazaire, du Havre et de Cherbourg ont été sécurisées. C'était une filière naissante en 2011. En 2014, un accord a été passé pour construire des têtes de série et, grâce à elles, sécuriser une base industrielle française. Ce fut visionnaire. Il me paraît très important de le rappeler. Rien n'est acquis du point de vue industriel. Nous le savons par l'expérience d'autres filières industrielles. Il faut savoir faire vivre et grandir ces acquis.

M. Franck MONTAUGÉ, président. - Pouvez-vous préciser la notion de sécurisation que vous évoquez ? Que recouvre ce terme pour vous ?

M. Michel GIORIA. - Il s'agit de donner de la visibilité sur les volumes pour que les commandes arrivent.

M. Vincent DELAHAYE, rapporteur. - Comment fait-on pour garantir les commandes ?

M. Michel GIORIA. - Pour l'éolien en mer, c'est l'État qui a la main : c'est lui qui passe les appels d'offres et organise la planification en mer. Entre 2028 et 2031, aucun parc ne sera construit. Les usines qui se trouvent sur le territoire national vont donc devoir fonctionner, durant ces trois années, avec l'export. C'est un beau défi industriel. Cela veut dire que les entreprises qui ont fait le pari de la maison France doivent faire un pari de compétitivité. Certaines d'entre elles exporteront vers les États-Unis, d'autres au Royaume-Uni et d'autres encore vers des parcs européens.

M. Vincent DELAHAYE, rapporteur. - Quel délai sépare la prise de décision de la construction et la mise en service d'une installation d'éolien en mer ? Quel est le délai pour l'éolien terrestre ?

M. Michel GIORIA. - Pour l'offshore, cette durée est aujourd'hui de onze ans. L'objectif est de revenir à six ou sept ans. La loi d'accélération des énergies renouvelables et l'exercice de planification en mer qui est en cours doivent y contribuer. En ce qui concerne le terrestre, nous sommes autour de sept ans, alors que la moyenne européenne se situe à quatre ans. Là aussi, la loi d'accélération des énergies renouvelables doit permettre de faire évoluer les choses, notamment dans le cadre des zones d'accélération que Jules Nyssen évoquait, et en favorisant l'anticipation des investissements.

M. Joseph FONIO. - Pierre Peysson et moi souhaiterions apporter un éclairage concret sur ces aspects. On ne peut pas dissocier l'aspect économique de l'aspect technologique. Le premier facteur permettant la baisse des courbes de prix est l'augmentation des puissances et des volumes de production.

Aujourd'hui, la puissance moyenne d'une éolienne terrestre, en France, selon des données internes, est inférieure à 5 000 watts. Dans les pays voisins (Italie, Pays-Bas, Pologne, Espagne, Royaume-Uni, Allemagne, etc.), nous sommes plutôt dans une tranche de 6 000 à 7 000 watts. Ce sont des technologies plus modernes et plus productrices. Les parcs éoliens sont aussi plus petits en France.

M. Franck MONTAUGÉ, président. - Quel est le lien entre ces éléments et les caractéristiques du vent dans les régions considérées ? Je suppose que la taille des éoliennes tient également compte des couloirs de vent. Tous les territoires ne sont pas équivalents et il faut comparer des choses comparables.

M. Joseph FONIO. - Une éolienne plus puissante a de plus grandes pales, ce qui permet de mieux capter le vent dans des zones moins ventées. Une éolienne qui capte bien le vent dans des zones peu ventées fonctionnera d'autant mieux dans des zones très ventées. C'est la raison pour laquelle Michel Gioria et moi disions qu'il y a une assez faible corrélation entre la taille des éoliennes installées et les caractéristiques des couloirs de vent. D'une manière générale, la technologie évolue, depuis vingt ans, vers des installations plus puissantes et plus efficaces et cette évolution se poursuit. Je pourrai vous transmettre les chiffres. Il existe un réel décalage entre la France et les pays voisins du point de vue de la puissance des éoliennes installées, en raison de la longueur de la procédure des développements et de la taille unitaire des projets. Il existe donc une marge de progrès. Il suffirait de raccourcir ces procédures pour pouvoir capter les bénéfices de ces progrès technologiques.

M. Didier MANDELLI. - Vous avez évoqué à plusieurs reprises la loi d'accélération des énergies renouvelables, dont j'étais rapporteur pour la commission « développement durable » du Sénat. Je ne vais pas revenir sur les questions de planification ni sur les zones d'accélération. Ma question portera essentiellement sur la fiscalité des énergies renouvelables. Nous avions décidé, dans le cadre de l'examen du texte, de ne pas aborder les questions de fiscalité, sans concertation préalable avec les élus locaux. Lorsqu'on parle d'imposition forfaitaire des entreprises de réseaux (IFER) et de répartition, le sujet est tout de même assez sensible. Je ne reviendrai pas non plus sur l'éolien terrestre. En ce qui concerne l'offshore, il existe aujourd'hui une clé de répartition, pour la zone inférieure aux douze miles nautiques, entre les collectivités locales, la pêche, la biodiversité, via l'Office français de la biodiversité (OFB) et la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM).

Ma question porte sur ce qui sera, demain, « prioritairement installé », selon le texte, dans la zone économique exclusive. Pour l'heure, la répartition du produit de la fiscalité - qui n'existe pas encore- n'est pas prévue, même si le ministre Berville a déjà fait des annonces, ainsi que le Président de la République, quant à des centaines de millions d'euros d'ores et déjà accordés aux uns ou aux autres, notamment aux pécheurs, sans aucune base juridique ni financière, puisque les fonds n'existent pas.

Quelle est la part de la fiscalité à venir et de celle existante, pour l'éolien offshore, dans le coût final de l'électricité pour le consommateur, en termes de coût du mégawatt ? Je rappelle que la taxe éolienne est de quasiment 20 000 euros par mégawatt. Pour un parc comme celui de Saint-Nazaire, cela représente environ 10 millions d'euros. Quel est l'impact final sur le coût du mégawatt ? Pour un coût de 150 euros par mégawattheure, cela représente sans doute peu. Si l'on est à 40, ce n'est pas la même proportion. RWE a des parcs dans de nombreux pays. Pouvez-vous nous dire si, dans d'autres pays, la fiscalité est de même niveau ?

M. Daniel SALMON. - On dit toujours qu'il ne faut pas opposer le nucléaire et le renouvelable mais nous parlons de coûts. Vous avez présenté des coûts inscrits dans une tendance baissière et déjà nettement inférieurs à ceux du nucléaire, d'autant plus qu'ils viennent de croître de 30 % sans crier garde, et ce n'est qu'un début !.

Évidemment, à la différence du nucléaire, le mégawattheure produit par les énergies renouvelables n'est pas franchement pilotable. On doit donc y intégrer les questions de stockage et de flexibilité. Lorsqu'on a fait ces calculs, à combien estimez-vous le prix global d'un mégawattheure éolien, terrestre ou offshore ?

M. Nyssen, vous avez écrit récemment qu'on avait, en France, « l'énergie renouvelable honteuse ». Pouvez-vous préciser cette analyse ?

Mme Denise SAINT-PÉ. - J'avoue que je suis un peu perdue sur la question des coûts. De plus, je n'avais pas intégré la nécessité de tenir compte du coût du développement industriel, ce qui représente pour moi une nébuleuse. Ma question sera donc simple. Sur les trois paramètres que sont les coûts, la performance, et l'acceptabilité sociale, j'aimerais votre analyse, à chacun, pour l'éolien terrestre, l'éolien en mer posé et l'éolien en mer flottant.

M. Jules NYSSEN. - J'ai effectivement dit que nous avions, en France, « l'énergie renouvelable honteuse ». J'ai tenu ce propos après que l'on ait découvert l'avant-projet de loi sur la souveraineté énergétique et son article 1, qui a disparu. Il était en contradiction totale avec la Stratégie française « énergie-climat » en faisant reposer l'ensemble de la transition énergétique, y compris la consommation, sur le nucléaire. Comme je l'ai dit tout à l'heure, le parc nucléaire est important. C'est un atout français qui nous confère un avantage par rapport à d'autres pays qui n'en disposent pas mais il ne suffira pas à résoudre les questions que j'ai rappelées tout à l'heure. Tel était le sens de ce propos. Le texte du projet de loi me semblait traduire une difficulté à assumer le développement raisonnable et nécessaire des énergies renouvelables au regard de l'équilibre à atteindre. Aujourd'hui, le titre I a disparu mais nous sommes toujours en manque d'un discours politique réaffirmant des éléments qui semblent par ailleurs faire consensus, y compris chez les différents experts que vous avez certainement eu l'occasion d'auditionner ici.

En ce qui concerne les coûts, je voudrais tout de même réagir à ce qu'a dit Mme Saint-Pé. Évidemment, l'acceptabilité sociale demeure un problème. Tout dépend néanmoins des avantages que l'on met dans la balance : au-delà des coûts, il faut considérer le service collectif. Nous avons besoin de faire de la pédagogique à ce sujet. Demandez à l'un de nos concitoyens s'il est d'accord pour qu'une éolienne soit installée en face de chez lui. La réponse, à 99 %, sera non. S'il y a une perception collective du caractère indispensable de la production de cette éolienne pour l'équilibre global du système, peut-être la réponse sera-t-elle « oui, mais ». Il est difficile de faire cet exercice, car l'impact individuel est disproportionné par rapport à la perception du bénéfice collectif. Ce ne sont pas des éléments qui sont monétisés.

S'agissant de l'éolien terrestre, il me semble que nous sommes face à des éléments tout à fait compétitifs. Une discussion a eu lieu récemment entre EDF et l'État français pour discuter des niveaux de prix d'électricité à partir desquels EDF pourrait être écrêtée au titre de la contribution universelle, de façon à opérer une redistribution vers un certain nombre de consommateurs. L'écrêtement débuterait autour de 78 euros. Les coûts présentés se situent parfaitement dans cette norme et correspondent aux coûts du marché à terme de l'électricité. Il n'y a donc rien d'extraordinaire et nous sommes dans une situation de production tout à fait compétitive à l'échelle de la plaque européenne.

Pour l'éolien terrestre, comme pour le solaire d'ailleurs, les installateurs et le coût de production intègrent le coût de raccordement. Lorsqu'on vient se connecter au réseau, l'on paie une quote-part au titre du S3REnR. L'autre partie est payée par le Tarif d'Utilisation du Réseau Public d'Électricité (TURPE), c'est-à-dire par l'usager. Mais chaque producteur d'énergie renouvelable paie cette quote-part qui est incluse dans le prix.

M. Vincent DELAHAYE, rapporteur. - Le TURPE est-il intégré dans vos coûts de production ? Vous dites qu'il est payé par le consommateur mais c'est tout de même un coût. Je trouverais gênant de ne pas en tenir compte.

M. Jules NYSSEN. - On peut en tenir compte mais on ne peut pas l'intégrer dans le coût de production et le prix de rachat de l'électricité produite par une éolienne ou un panneau solaire.

M. Vincent DELAHAYE, rapporteur. - Cela se discute.

M. Jules NYSSEN. - Le raisonnement vaut aussi pour les électrons qui sortent du parc nucléaire. Cela vaut pour tout système de production. Pour ce qui est spécifiquement de l'impact réseau, un élément nouveau sur le réseau génère le paiement d'une quote-part , donc un financement nouveau. Une consultation est en cours sur ces questions. Peut-être conduira-t-elle à réviser tout cela. Une discussion a lieu de toute façon en permanence quant au volume de la quote-part que les gens acceptent de payer à l'échelle de chaque région. C'est un exercice assez décentralisé.

En ce qui concerne l'éolien en mer, une discussion a effectivement lieu sur le produit de la taxe. Si l'électricité produite par les installations éoliennes en mer n'est rachetée que par des mécanismes de soutien de type CfD, nous serons un peu dans un jeu à somme nulle : augmenter la fiscalité d'un côté se retrouvera dans le prix de l'autre côté.

Si l'on autorise les producteurs à vendre une partie de la production par l'intermédiaire de contrats bilatéraux (PPA), le montant de la taxe joue sur la compétitivité de l'électricité produite. C'est la raison pour laquelle nous avons, à plusieurs reprises, attiré l'attention de nos interlocuteurs sur l'écart de taxation pour l'éolien en mer, par rapport à qui est pratiqué pour l'éolien terrestre. Cela représente une ressource qui n'existe pas aujourd'hui mais dont on sait qu'elle existera demain. Face à cela, des besoins peuvent être couverts (sécurité maritime, investissement dans les ports, restructuration et régénération de la pêche...). Il y a aussi des problèmes juridiques, car le produit d'une taxe est de l'argent public. Si celui-ci est redistribué vers des activités économiques, cela peut être considéré comme une aide d'État par la Commission européenne. Ces sujets sont en discussion. Je crois qu'il existait un certain consensus pour ne pas ouvrir ce sujet trop tôt sous l'angle de la loi de finances afin de se donner le temps de la réflexion quant à la répartition et aux formes que pourrait prendre cette contribution, compte tenu des enjeux que je viens d'indiquer.

M. Franck MONTAUGÉ, président. - Vous en appelez, si je comprends bien, à une PPE, voire à une Stratégie française « énergie-climat » actualisée : aujourd'hui, avec ces deux outils, nous n'avons rien de définitif. Nous n'avons même pas pu en discuter au Parlement. Cela impacte fortement la question de la planification, dont vous avez évoqué des répercussions industrielles négatives et non négligeables.

M. Jules NYSSEN. - Tous les acteurs raisonnables du monde de l'énergie, y compris ceux de la filière du nucléaire, ont besoin de cette planification afin de savoir vers quels grands équilibres on se dirige pour demain. Ce que nous avons souligné pour l'éolien en mer, en termes de logique industrielle, vaut aussi pour le nucléaire. Qu'est-ce qui garantit que les investissements considérables que nous nous apprêtons à faire dans les nouvelles centrales ont un sens, s'il n'y a pas une stratégie qui définit une trajectoire à terme ? C'est un problème du temps long.

La commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la perte de souveraineté énergétique de la France - qui n'a sans doute jamais vraiment existé -, tirant les enseignements de plusieurs décennies de politique énergétique, a souligné la nécessité d'agir dans la transparence et de planifier. Il nous paraît essentiel que le Parlement s'empare de cet enjeu. Nous avons besoin d'une loi qui fixe de grandes perspectives. Il en découlera une PPE, laquelle constitue un acte réglementaire qui doit être la traduction de la loi. Pour l'heure, la PPE s'arrête en 2028. Cela fait déjà deux ans que nous devrions avoir une nouvelle programmation de cinq ans. 2028, c'est demain matin. Or il n'y a plus d'appels d'offres qui peuvent être passés au-delà de cette période.

M. Michel GIORIA. - Vous mettez le doigt, monsieur le président, sur un élément essentiel, le lien entre politique industrielle et planification. Tout échec de planification, en termes de visibilité, aboutit à des accidents industriels. Il n'y a pas de secret. C'est valable pour toutes les composantes du système électrique, la production, les réseaux, ou la consommation. Lorsqu'on dit aux industriels de l'automobile qu'il faut basculer vers l'électrique, les enjeux sont les mêmes. La Chine nous le rappelle brutalement. La Chine planifie extrêmement bien et cela donne la réussite industrielle que l'on connaît. La Stratégie français « énergie-climat », qui a été mise en consultation jusqu'au 22 décembre 2023, constitue une bonne base de travail. Il faut maintenant la traduire et la sécuriser afin que l'ensemble des acteurs du système électrique notamment puissent s'en servir comme référence pour les investissements.

Comme le montrent d'autres exemples de politiques publiques, le défi de l'acceptabilité est remporté lorsqu'on s'appuie sur un récit de politique publique solide. Ce récit existe : on développe les énergies décarbonées, notamment l'éolien terrestre et en mer, pour organiser la réduction programmée de la consommation d'énergies fossiles de la France. Celles-ci représentent encore 60 % de la consommation d'énergie dans notre pays, soit 116 milliards d'euros. Il me semble important d'avoir, dans le dispositif de pilotage de la politique énergétique, un observatoire de la réduction progressive de la consommation d'énergies fossiles du pays. Si l'on parvient à créer ce lien fort, dans l'esprit de chacun de nos concitoyens, la manière dont on regardera un panneau solaire, une centrale nucléaire, une éolienne, un transformateur ou un barrage hydraulique, sera complètement différente. Je rapatrie la consommation d'énergie sur le territoire national et je suis fier de produire l'électricité dont j'ai besoin. Il faut ancrer cela dans le récit de politique publique. La guerre en Ukraine nous rappelle malheureusement le drame de notre dépendance aux énergies fossiles. Cela me paraît essentiel, y compris dans le débat autour de la Stratégie française « énergie-climat ».

M. Franck MONTAUGÉ, président. - J'appelle cela le grand récit mobilisateur dont notre pays et sa population ont besoin. Je ne comprends pas, à cet égard, l'annonce du Premier ministre, Gabriel Attal, qui vient de s'asseoir sur la planification écologique mise en place par son prédécesseur, Elisabeth Borne, avec pour cheville ouvrière M. Pellion, qui avait réalisé un excellent travail. Cela me paraît contradictoire avec la nécessité d'un grand récit que vous soulignez.

M. Michel GIORIA. - Faites de cette commission d'enquête le lieu où l'on rappelle cela. C'est déterminant.

Je reviens à la question des coûts. Vous voyez à droite (diapositive n°12) la carte de France présentant les quotes-parts par mégawatt. Lorsque vous êtes un producteur d'énergies renouvelables, et notamment un producteur d'éolien terrestre, lorsque vous raccordez un projet au réseau, vous devez payer ces montants (20 euros par mégawatt en Bretagne, 75 euros par mégawatt dans les Hauts-de-France, etc.). Ces montants sont inclus dans le prix que vous proposez dans le cadre de la réponse aux appels d'offres. Ce coût varie en fonction de la dynamique de projets sur le territoire et des investissements nécessaires au renforcement du réseau. Ces paramètres sont cadrés par les S3REnR (schémas régionaux de raccordement des énergies renouvelables au réseau), pilotés par RTE et révisés environ tous les cinq ans. La loi d'accélération des énergies renouvelables a ouvert un horizon de planification à quinze ans afin d'anticiper les études et les investissements, ce qui est essentiel.

M. Vincent DELAHAYE, rapporteur. - Quelle est la source de ces cartes ?

M. Michel GIORIA. - Elles sont établies par RTE.

En ce qui concerne l'éolien en mer, la situation est un peu différente, puisque seul RTE tire le réseau. Il existe un enjeu majeur de réussite de l'exercice de planification dans la mesure où celui-ci doit constituer un moyen d'optimiser la visibilité des investissements sur le réseau. Si l'on décide de créer un parc ici, puis, trois ans plus tard, un autre à côté, sans visibilité, RTE va devoir multiplier les raccordements d'une façon qui n'est pas optimale. Si vous prévoyez d'emblée dans un horizon de dix ans la création de deux parcs, cela permet de rationaliser les raccordements par RTE, avec le bon dimensionnement, en optimisant les coûts.

Je reviens aux graphiques sur lesquels vous souhaitiez avoir des précisions (diapositive n°10). Vous voyez à gauche les courbes pour l'éolien terrestre, au milieu celles de l'éolien en mer posé et à droite celles de l'éolien en mer flottant. Nous avons volontairement pris l'ensemble des travaux français et internationaux pour élaborer des fourchettes. Il y a trois éléments à retenir de ce travail. En premier lieu, la filière la moins mature aujourd'hui est celle de l'éolien en mer flottant. Le nombre de parcs existant au plan mondial est encore réduit. Le plus gros parc, dans ce domaine, représente environ 100 MW. Saint-Nazaire représente 500 MW et un parc éolien en mer posé avoisine 1 000 MW. Il s'agit donc, pour l'instant, en ce qui concerne l'éolien en mer flottant, de démonstrateurs précommerciaux qui génèrent des coûts plus élevés. Il est critique de donner de la visibilité à cette filière afin de permettre la décroissance des coûts.

L'éolien en mer posé et l'éolien terrestre sont dans des fourchettes de compétitivité assez proches. Récemment, dans l'éolien en mer posé, de très bonnes réponses aux appels d'offres ont pu être soumises. J'attire cependant votre attention sur un point de vigilance. Le coût d'un projet a des conséquences sur les choix industriels qui sont faits. Je pense que nous devons ouvrir un vrai débat : faut-il rechercher le coût du projet le plus faible, 44, 40, 38 euros par mégawattheure...- ? Un projet qui tournerait autour de 55 ou 60 euros par mégawattheure, avec une sécurisation des chaînes d'approvisionnement française et européenne, ne serait-il pas préférable ? Je pense que si l'oncle, la tante, le petit frère et la petite soeur travaillent dans les énergies renouvelables, l'acceptabilité sociale, sur le territoire, n'en sera que meilleure. Il faut trouver un équilibre dans cette discussion sur les coûts, en cherchant à les abaisser tout en préservant les chaînes d'approvisionnement françaises et européennes. C'est ce contrat social qu'il faut construire.

M. Vincent DELAHAYE, rapporteur. - Quelle proportion de la valeur ajoutée vient de Chine actuellement ? On produit en France et en Europe mais on le fait probablement à partir de matériaux qui viennent de Chine.

J'aimerais aussi des précisions sur le potentiel de l'éolien terrestre. Nous avons déjà 9 000 éoliennes. Quel potentiel de développement avons-nous ? Supposons que nous voulions faire le maximum. N'est-ce pas dans les mêmes régions qu'il faudrait implanter les nouvelles éoliennes, compte tenu notamment des couloirs de vent ? Si tel est le cas, le problème de l'acceptabilité n'en sera-t-il pas accru ?

M. Pierre PEYSSON. - Vous évoquiez, M. Mandelli, la fiscalité et le montant de 20 000 euros le mégawatt. Cela représente 5 à 6 euros le mégawatt, selon les sites. Plus on produit et plus la taxe sera faible. Dans le cas d'un parc qui produit une électricité à 50 euros le mégawattheure, cela représente tout de même 10 %. C'est beaucoup plus important que ce qu'on observe dans les autres pays où nous sommes présents. Maintenant va se poser la question de l'utilisation du produit de cette taxe, notamment pour les parcs qui se trouvent en zone économique exclusive. Une contribution a été écrite sur la possibilité de création de nouveaux parcs à l'avenir. 24 localisations, qui se trouvent toutes en zone économique exclusive, ont été identifiées à l'issue d'un travail conjoint avec les syndicats.

L'objectif de 18 GW en 2035 représente 360 millions d'euros par an de taxes. Avec la répartition actuelle, cela représentera, pour la pêche professionnelle, 126 millions d'euros par an. Initialement, l'idée de la taxe sur le domaine public maritime était de compenser une atteinte visuelle, d'où la répartition décidée entre les communes littorales (50 %), la pêche, la préservation de l'environnement et les moyens de sécurité maritimes. Je pense qu'une double réflexion sera à mener, et d'abord sur le niveau de la taxe. On ne peut demander à un coureur de courir toujours aussi vite s'il se voit appliquer une taxe sept fois plus importante que celle qui s'applique au nucléaire en euros par mégawatt. Se pose aussi la question de la répartition du produit de la taxe, pour éviter la création de rentes. Nous pensons que cette taxe peut néanmoins répondre à des enjeux, notamment celui de la décarbonation de la flotte de pêche ou la nécessité de nouveaux moyens pour assurer la sécurité maritime dans le cadre du développement de l'éolien en mer.

En ce qui concerne le coût complet du renouvelable, je note que, dans certains pays d'Europe, lorsque les appels d'offres sont lancés, il ne s'agit pas seulement de produire de l'électricité, il s'agit aussi de la produire au bon moment. Actuellement, le principe des appels d'offres est de produire de l'électricité que l'on injecte sans contraintes. Nous avons remporté, aux Pays-Bas, un projet dans la zone de Hollandse Kust West, où il ne s'agissait pas seulement de produire de l'électricité puisque des critères étaient définis pour cadrer l'intégration au système électrique. Cela conduit à des améliorations technologiques proposées par les porteurs de projet tels que RWE telles que le développement d'électrolyseurs, de systèmes de batteries, etc. On peut aussi développer des complémentarités entre la production éolienne et le solaire flottant : nous sommes en train de tester un dispositif de 5 MW selon cette approche. Ces innovations peuvent augmenter la capacité à piloter l'adéquation entre l'offre et la demande, ce qui permettrait sans doute de donner un coup d'accélérateur à l'offre européenne.

Pour l'éolien en mer posé, un rapport public de WindEurope sur les derniers appels d'offres attribués en Europe fait apparaître deux principales zones de développement, la première en Normandie, pour des capacités d'environ 1 GW, et la seconde, en Irlande, développée quelques mois plus tard, qui représente 3 GW d'éolien en mer posé. La zone irlandaise est moins profonde, plus ventée et sort à 86 euros du mégawatt. Cela confirme l'existence d'un vrai décalage entre les prix proposés par les opérateurs, en fonction des régulations mises en oeuvre, pour des projets extrêmement similaires.

Le coût de l'éolien en mer posé se situe à environ 2 ou 3 millions d'euros par mégawatt. Les coûts sont en train d'augmenter du fait de l'inflation. Pour le flottant, il faut comparer ce qui est comparable. Un premier appel d'offres va être publié et portera sur 250 MW. On ne peut comparer ce niveau de capacité avec des installations de 1 GW, car il existe des effets d'échelle. On peut cependant imaginer qu'il existe un facteur deux entre l'éolien en mer posé et l'éolien en mer flottant. Au vu de la longueur de nos côtes et de l'espace disponible qui existe dans notre pays (400 000 kilomètres carrés d'espace maritime), la France dispose d'un très grand potentiel. 45 GW représentent 2,5 %. La difficulté de la concertation consiste à trouver ces 2,5 % qui ne sont pas des zones de coactivité. Au moins 50 %, à terme sera flottant, car plus on s'éloigne, plus les profondeurs sont importantes. Il existe donc un enjeu réel de développement de l'éolien en mer flottant. Les ports l'attendent. De nombreux investissements sont mis en avant par de grands ports maritimes qui souhaitent capter de la valeur. Les délais sont longs entre l'attribution des appels d'offres et la mise en service des projets. Plus les prix sont bas, plus on contraint nos industriels, jusqu'au point où des projets sont annulés. Cela s'est déjà produit dans d'autres pays. Il existe donc un enjeu de préservation de l'industrie européenne.

Dans nos trois derniers parcs, il y a 90 % de contenus européens. Les seules fois où nous avons fait appel à des composants non européens, notamment en Chine, c'est parce qu'il n'y avait pas de capacités industrielles suffisantes, en 2025, pour répondre à notre offre. Si l'on ne protège pas l'industrie européenne, elle risque de décroître. La filière représente déjà 7 500 emplois en France. Ils seront 20 000 en 2035. Des usines ont été construites. Il faut les alimenter. Nous avons donc besoin d'un juste équilibre entre la compétitivité des projets et les retombées économiques et industrielles qui doivent aller de pair avec l'acceptation territoriale.

M. Joseph FONIO. - Un élément doit aussi être pris en compte dans ce panorama, la très forte croissance des contrats de PPA, c'est-à-dire des contrats de gré à gré : des acheteurs, fortement échaudés par la séquence d'il y a quelques mois, marquée par l'envolée des prix de l'électricité, vont demander à se fournir directement en électricité. Ils ont aussi besoin, pour sécuriser leurs marchés futurs, de montrer qu'ils approvisionnent toute leur chaîne de production avec de l'électricité neutre en carbone, donc idéalement de l'électricité renouvelable. Nous sommes en discussion avec ce type d'acteur, et même des collectivités souhaitant entrer dans ce type de contrat. Cela montre de manière objective que la question du coût est majoritairement derrière nous. On a entendu dernièrement Arcelor Mittal affirmer qu'il souhaitait sécuriser sa transition vers des fours électriques. Certains acteurs délocalisent des facteurs de production de France vers d'autres pays - par exemple, Safran vers les États-Unis- au motif qu'ils auront là-bas une énergie décarbonée et abondante, dont ils craignent de manquer en France au regard du développement de leurs activités.

La séquence des boulangers, l'an dernier, n'est pas si lointaine. De nombreux consommateurs d'électricité se tournent vers nous. 25 % des projets photovoltaïques et près de 10 % des nouveaux projets éoliens se financent sur la base de ces contrats de gré à gré, sans les compléments de rémunération. Certes, il existe des situations différentes, selon les régimes de vent des projets et suivant la distance aux côtes pour l'éolien en mer flottant. Néanmoins, avec la tendance baissière du coût des projets, l'enjeu du coût n'est plus du tout le même. Le rapport de RTE confirmait, à travers ses calculs, que ces questions étaient majoritairement derrière nous. La ministre Pannier-Runacher parlait d'ailleurs d'un « mur énergétique ». Lorsque des comparaisons sont mises en avant entre l'éolien en mer, l'éolien terrestre et d'autres technologies, j'entends, de manière sous-jacente, une question quant à la possibilité de « faire notre marché » et de choisir parmi ces technologies. Les projets d'éolien terrestre sont disponibles immédiatement. Ils sont très simples à déployer technologiquement et les taux de financement sont parmi les plus faibles grâce à cette simplicité.

M. Vincent DELAHAYE, rapporteur. - Quand vous dites « immédiatement », cela veut dire cinq ans.

M. Joseph FONIO. - Des projets qui ont été développés il y a quelques années sont prêts à être mis en service dans les mois à venir.

M. Vincent DELAHAYE, rapporteur. - Vous ne m'avez pas répondu quant à la part de la valeur ajoutée chinoise. Qu'en est-il pour vos produits ?

M. Pierre PEYSSON. - Comme je l'ai indiqué, en ce qui concerne l'offshore, sur nos trois derniers projets, 90 % des composants viennent d'Europe. 10 % d'entre eux viennent de Chine. Pour la fabrication de fondations, il existe une difficulté du point de vue de la capacité industrielle à produire, car les carnets de commandes explosent. En offshore, on est à peu près à 3 ou 4 GW par an. L'objectif fixé en 2030 est de 25 GW par an. Aurons-nous suffisamment de capacités industrielles ? Un certain nombre d'associations, notamment WindEurope, ont alerté les pouvoirs publics quant à la nécessité de multiplier par deux les capacités de fabrication d'éoliennes et par quatre les capacités de fabrication de fondations posées. Je ne vous donne même pas le chiffre pour l'éolien flottant, car nous en sommes au tout début de son développement. Les bateaux d'installation exigent aussi de gros investissements.

M. Vincent DELAHAYE, rapporteur. - Qu'en est-il pour le terrestre ?

M. Michel GIORIA. - Pour le terrestre, selon les turbiniers et les lignes de production, on est entre 50 % et 70 % de contenus européens. Un point est essentiel, notamment depuis la crise du covid et la guerre en Ukraine. Si l'on veut encourager le rapatriement des 30 % à 50 % de lignes de production qui se trouvent aujourd'hui hors d'Europe, il est primordial de donner de la visibilité sur les volumes pour être attractif.

Je vous soumets une autre proposition. Il existe une forte volonté politique de relocalisation de certaines activités et d'attraction d'investissements étrangers. Nous appelons de nos voeux un « Choose France » dédié aux énergies renouvelables. Nous devons envoyer un signal fort, montrant que la France est un territoire accueillant pour les investissements dans les énergies renouvelables.

M. Vincent DELAHAYE, rapporteur. - Le soutien à la filière par des prix garantis représentant un effort très important du point de vue de l'argent public, la question nous est régulièrement posée et elle est importante. Faut-il des prix garantis qui soient identiques pour tous et à quel niveau les fixeriez-vous ? Si le niveau de 70 euros évoqué à propos des discussions entre EDF et le Gouvernement était entériné, vous permettrait-il d'avoir la visibilité dont vous avez besoin pour mener à bien vos projets ?

M. Michel GIORIA. - Les trois dernières années nous disent que nous sommes malheureusement entrés dans un monde marqué par des chocs économiques et extérieurs, notamment géopolitiques. Ces chocs se traduisent par des évolutions brutales des taux d'intérêt, du fret et du coût de certaines matières premières, dont l'acier. Il est important que, quelle que soit la filière, le contrat donnant un cadre d'investissement soit indexé.

M. Vincent DELAHAYE, rapporteur. - Il faut qu'il soit révisable.

M. Michel GIORIA. - Indexé.

M. Vincent DELAHAYE, rapporteur. - Je pense qu'il doit être révisable, c'est-à-dire que l'on puisse se remettre autour de la table. Le fait que ce soit un engagement de long terme révisable fera déjà une grande différence avec une logique comme celle qui a encadré l'ARENH, fixé une fois pour toutes. Le prix fixé doit pouvoir évoluer, peut-être à la hausse comme à la baisse, d'ailleurs. Il peut y avoir un certain nombre de critères qui permettent de réévaluer la situation.

M. Michel GIORIA. - Les critères de révision et le fait déclencheur de la révision doivent aussi être connus dès le début. Ceci vaut pour l'ensemble des investissements dont le système électrique a besoin.

M. Franck MONTAUGÉ, président. - La remarque du rapporteur est évidemment importante mais je voudrais comprendre votre propos initial. Vous parlez d'indexation. De quel type d'indexation s'agirait-il ?

M. Michel GIORIA. - Le prix moyen d'une éolienne terrestre, avant 2021, était de 2,4 à 2,5 millions d'euros. Ce prix avoisine aujourd'hui 3,2 millions d'euros, car les prix de l'acier ont considérablement augmenté. Le même phénomène a touché tous les secteurs fortement consommateurs d'acier, dont l'automobile et le nucléaire. Il faut parvenir à sécuriser ces éléments dans la manière dont on structure les contrats. Malheureusement, nous sommes entrés dans une décennie au cours de laquelle les chocs semblent se succéder. Le cadre d'investissement qui va guider la transition énergétique doit s'adapter à cette réalité, faute de quoi ces investissements ne se feront pas ou seront retardés, ce qui conforterait notre dépendance aux énergies fossiles.

M. Joseph FONIO. - J'insiste sur l'importance de la visibilité de nos politiques en matière d'énergies. J'ai travaillé durant plus de quinze ans chez un turbinier qui produisait des éoliennes. Aujourd'hui, il existe des usines de production d'éoliennes en Espagne et en Allemagne. Le problème ne réside pas dans le coût de la main-d'oeuvre européenne. Nous nous sommes souvent demandé si l'on aurait en France une activité de production. Le turbinier Enercon a monté timidement une usine à Tours. Il a retiré ce projet, faute de visibilité des volumes sur le marché français. Les projets industriels ont besoin de se rembourser sur le long terme.

M. Franck MONTAUGÉ, président. - C'est évidemment fondamental.

M. Jules NYSSEN. - Le système appliqué en France à travers les appels d'offres et ce qu'on appelle les « contrats pour différence » a démontré sa pertinence : c'est un peu le modèle type qui a été retenu à l'échelle européenne dans le cadre de la réforme du marché de l'électricité. Il sécurise la trajectoire future. Il est très amortisseur. Il empêche de réaliser des surprofits lorsque les prix de l'électricité sont élevés et empêche les pertes lorsque le prix chute. C'est un élément fortement régulateur. Ce faisant, il diminue le coût des projets en supprimant le coût de la prise de risque. Dans l'éolien offshore, un certain nombre d'acteurs, dans des pays voisins, ont renoncé, faute d'un système équivalent au nôtre de ce point de vue. Il y a parfois des renégociations bilatérales mais elles se déroulent rarement dans une logique d'optimisation.

Le soutien public était essentiel au lancement de la filière ainsi que pour lui donner une forme de maturité. Cela fait deux années pleines que la contribution du secteur de l'éolien terrestre au budget de l'État est bien supérieure aux aides publiques qu'il reçoit. Il est important de le rappeler. Sur la base des dernières prévisions de la Commission de régulation de l'énergie, réalisées en septembre 2023, qu'il faudrait revoir pour tenir compte de l'évolution des prix du marché, on arriverait, en 2024, à une contribution nette de l'État au secteur de l'éolien terrestre, sur vingt ans, de 2,3 milliards d'euros. Ce n'est pas beaucoup au regard d'une filière qui représente déjà plus de 8,5 % de la fourniture de nos besoins en électricité. Depuis deux ans, le montant reversé au titre des contrats pour différence est supérieur aux aides reçues.

Les réseaux ont besoin d'investissements. Il faut les entretenir, car ils sont parfois vieillissants. Il faut bien sûr aussi investir pour raccorder de nouveaux équipements de production d'électricité. C'est le cas pour les énergies renouvelables mais aussi pour le nucléaire, car si l'on ajoute des réacteurs dans des centrales existantes, il n'est pas sûr que les câbles partant de ces centrales soient suffisamment solides pour sortir les électrons qui seront produits. Or cet élément est rarement évoqué. Il faut également investir pour tenir compte de la consommation. Il existe dans le sud de la France un projet de nouvelle ligne à haute tension, à Fos-sur-Mer. Elle doit alimenter les industriels en électricité.

Quant à la flexibilité, il est vrai que c'est l'argument que l'on invoque en permanence. Outre le fait que les différents systèmes alternatifs d'énergies renouvelables sont parfois complémentaires entre eux, il existe un système historique de gestion de la flexibilité, à savoir l'hydroélectricité. De tout temps, on a eu à faire face à la variabilité de la demande. Face à cela, le parc nucléaire n'est pas aussi pilotable qu'on le dit, car il n'est pas si facile de faire varier rapidement et de façon massive la production d'une centrale. On sait gérer cette variabilité. C'est la raison pour laquelle on a développé des radiateurs électriques, des chauffe-eau électriques, des systèmes jour/nuit et des tarifs qui ont donné à notre pays une réelle expertise en la matière. Outre l'hydroélectricité, le stockage sur batteries commence à se développer et on peut supposer que le développement du véhicule électrique va accélérer ces progrès. Il y a l'hydrogène. Il y a les interconnexions entre les pays européens, dont Thomas Veyrenc a rappelé devant votre commission à quel point elles avaient bien fonctionné, au bénéfice de la France, durant la crise de 2022. Il y a enfin tout ce qui peut être fait pour le pilotage de la demande, sans que cela n'induise nécessairement des contraintes ou des restrictions de consommation, qu'il s'agisse des particuliers ou des industriels. Tout ceci contribue à la flexibilité d'un système dans lequel tout bouge, la production d'un côté, la demande de l'autre.

M. Franck MONTAUGÉ, président. - Avez-vous des contributions en termes d'investissements spécifiques de votre secteur à la flexibilité ? On parle de batteries, d'hydrogène, etc. Avez-vous des investissements dans ce domaine ?

M. Jules NYSSEN. - Nous avons, au sein de notre syndicat, des énergéticiens qui investissent dans des dispositifs de stockage, directement couplés à une installation de production ou raccordés au réseau indépendamment d'un système de production.

M. Joseph FONIO. - Comme je le disais, RWE ne produit pas que de l'éolien et du solaire. Nous avons, dans un certain nombre de pays, à commencer par l'Allemagne, les États-Unis, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, développé de gros projets de stockage par batterie. En France, ce n'est pas un marché clé, car les besoins en flexibilité sur le réseau restent très modestes. On parle de manière très théorique du fait qu'une éolienne, considérée isolément, varie. C'est une évidence, de même que les panneaux solaires ne produisent pas la nuit. Néanmoins, à l'échelle d'un système électrique global, les besoins restent assez modestes en France, par rapport à ce qu'on observe chez nos voisins. RTE l'a montré de manière quantifiée dans un rapport. Il ne faut donc pas s'inquiéter outre mesure. J'entendais parler de seuils de pénétration des énergies renouvelables. Bien entendu, le gestionnaire de réseau a cette préoccupation, car c'est son métier premier. Il faut faire confiance au marché pour être rationnel. S'il y avait des gains à réaliser en achetant de l'électricité lorsqu'il y en a trop et en la revendant lorsqu'il n'y en a pas assez, soyez sûrs que RWE le ferait. Nous l'avons fait sur les marchés où cela a du sens. Aujourd'hui, en France, il n'y a pas d'urgence.

M. Franck MONTAUGÉ, président. - Cela dit, l'étude de RTE indique, si je l'ai comprise, que plus la proportion d'énergies renouvelables produites est grande, plus les besoins de flexibilité sont importants.

M. Joseph FONIO. - Absolument.

M. Franck MONTAUGÉ, président. - C'est ce qui a conduit à ma question.

M. Michel GIORIA. - Vous parlez de la planification et de la Stratégie française « énergie-climat ». Vous évoquez également la mise à jour du bilan 2030-2035, par rapport à ce qui était imaginé dans le document 2050. On avance tout de cinq ans, notamment du point de vue de l'électrification des usages. Le sujet de la flexibilité est dimensionné a minima à 6 GW dans le rapport de RTE. Il nous paraît essentiel que des objectifs clairs soient définis dans la future PPE quant aux composantes de la flexibilité qu'il faudra atteindre en termes de stockage, de flexibilité de la demande, de vehicle to grid, etc. Il existe différentes solutions technologiques. Il faut établir des liens entre les choix qui seront faits dans la PPE et les retombées industrielles afin que ces bouquets de flexibilité émergent en accompagnement de la PPE, pourvu qu'existe, comme dans toute activité industrielle, le cadre économique incitant à la réalisation de ces projets.

Nous n'avons pas répondu à votre question sur le potentiel de l'éolien terrestre. La carte projetée (diapositive n°3) montre que 50 % du parc sont installés dans deux régions, les Hauts-de-France et le Grand-Est. Cette situation n'est pas inéluctable. Elle doit évoluer, car toute situation de concentration d'infrastructures peut susciter des rejets. On retrouve une situation similaire dans d'autres filières comme le solaire. Il y a trois voies pour faire évoluer cette situation.

La première passe par un exercice de planification dans le cadre des zones d'accélération. Les zones d'accélération mises en place par la loi d'accélération des énergies renouvelables doivent permettre de rééquilibrer cette situation. Dès lors que, dans une région française où il y a peu d'installations éoliennes, on refuse une zone d'accélération malgré l'existence d'un vrai potentiel, c'est un projet supplémentaire qu'on prévoit dans les Hauts-de-France ou dans le Grand-Est. Il faut donc réussir à élaborer, dans le travail réalisé avec les élus locaux, une sorte de répartition du « fardeau ».

M. Vincent DELAHAYE, rapporteur. - Selon vous, la répartition que montre cette carte est liée principalement à l'acceptabilité sociale, à la densité des territoires, qui peut empêcher le développement de certains projets, ou au vent et aux conditions météorologiques d'une façon générale ? Je suppose que certaines zones du territoire sont beaucoup plus propices que d'autres à l'implantation d'éoliennes.

M. Joseph FONIO. - Nous avons au quotidien des équipes qui effectuent ces analyses afin de trouver les emplacements de développement des projets. En 2024, la qualité du gisement éolien est très minoritaire. Si vous dessinez une carte des espaces qui se prêtent bien à l'accueil d'éoliennes, à savoir loin des maisons et des espaces à sensibilité environnementale, et hors des contraintes techniques, vous allez retrouver une carte qui se superpose presque parfaitement à celle des implantations actuelles des éoliennes. Celles-ci sont aujourd'hui installées principalement dans de grandes plaines agricoles, très loin des habitations, où les densités d'habitats et de monuments historiques notamment sont très faibles. Nous nous posions, mes équipes et moi-même, la question du vent de façon importante il y a quelques années. C'est de moins en moins le cas, car la technologie a permis de faire des progrès.

Vous aurez même une production plus importante et une meilleure rentabilité en installant une grande éolienne dans des zones de faible vent qu'en installant une petite éolienne dans un lieu bien venté du Pas-de-Calais, par exemple. C'est un enseignement très positif, car cela signifie qu'on pourrait installer des éoliennes partout sur le territoire.

Mais il y a aussi la réalité de ceux qui implantent les éoliennes sur le territoire, qui rencontrent les élus municipaux, les agriculteurs, etc. Il existe le besoin d'un récit national. Si l'on postule que l'électricité est disponible et que nous n'avons pas besoin de nouveaux moyens de production d'électricité, la discussion sera délicate, car ce ne sont pas des objets d'ornement du paysage. Les zones d'accélération portées par les élus peinent à se mettre en place lorsque l'intérêt national est peu compris et que le partage de valeur local, notamment à l'échelle de la commune et des individus, est peu visible. Il existe, par exemple, en certains endroits, des offres d'électricité à un prix réduit pour les riverains, ce qui est un levier très puissant. Si on ne dispose pas de tels éléments, l'équation est difficile à résoudre.

Il se trouve que c'est presque toujours dans les grandes plaines agricoles que les équipes sont le mieux reçues, le plateau beauceron, la Champagne berrichonne, la Champagne crayeuse, le plateau picard... Ce sont des endroits où l'on peut installer les éoliennes le plus loin des contraintes que j'évoquais. Rappelons tout de même que 70 % du territoire est grevé par des contraintes de type « radar militaire ». Cela retire beaucoup de flexibilité. Nous menons un travail, dans un esprit de très bonne coopération, avec les services militaires, pour définir des emplacements où l'on pourrait installer des radars de compensation qui permettraient d'alléger ces contraintes de manière très importante. Cela contribuerait à améliorer la répartition des installations sur le territoire. Aujourd'hui, de grandes plaines sont dépourvues d'éoliennes alors qu'elles pourraient tout à fait en accueillir.

M. Didier MANDELLI. - La carte me paraît en réalité très confuse, dans la mesure où les légendes qui figurent à droite ne correspondent pas aux couleurs du fond de carte. Il serait plus judicieux d'avoir trois fonds de carte neutres présentant le nombre de parcs par région, les puissances raccordées et la production.

M. Michel GIORIA. - Le texte qui apparaît à droite n'est pas une légende mais vous avez tout à fait raison : le chiffre de 50,7 TWh correspond à la production nationale et non à celle des Hauts-de-France.

Il est essentiel qu'au sein des comités régionaux de l'énergie qui vont continuer de se réunir, et notamment où les questions liées aux zones d'accélération seront traitées, des discussions structurées aient lieu pour bâtir des compromis locaux autour de l'ouverture de certaines zones aux énergies renouvelables et des conditions qui peuvent le permettre, en tenant compte de l'histoire locale et des compromis politiques locaux. Ces instances doivent permettre de « fabriquer » le consensus local.

M. Franck MONTAUGÉ, président. - Ce travail sera certainement conduit de manière plus adéquate au niveau des départements. Les comités régionaux se trouvent à un niveau déjà un peu plus éloigné.

M. Pierre PEYSSON. - La question des moyens de production dont nous disposerons en 2035 va se poser. Je rappelle que pour l'éolien en mer, on a raté tous les objectifs successivement fixés, à commencer par celui de 6 GW en 2020. Puis on a différé l'échéance à 2030. On s'est donné dix ans de plus mais, de nouveau, cet objectif ne va pas être atteint. Nous sommes aujourd'hui au pied du mur. Nous devons atteindre l'objectif de 18 GW, qui représente à peu près 75 TWh devant provenir, en 2035, de l'éolien en mer. À l'horizon 2050, le niveau de 45 GW représentera 25 % à 30 % de la production. Or nous sommes dans une industrie où le rôle de l'État est central : les appels d'offres sont lancés par l'État, qui choisit également les sites. Les appels d'offres durent trois ans. C'est du jamais vu en Europe. À cela s'ajoutent des inquiétudes quant à la manière dont les appels d'offres sont organisés. Il en résulte des discussions sur les cahiers des charges, avec des efforts pour rééquilibrer les conditions et éviter la course vers les prix les plus bas qui risque de détruire de l'emploi, ce qui inquiète beaucoup les industriels.

Nous sommes, en cette année 2024, à un moment charnière. Un débat public est en cours. Des propositions ont été faites. Si l'on rate le rendez-vous qui nous sépare du 1er semestre 2025, nous n'atteindrons pas les objectifs. RWE n'est pas le seul à le dire : d'autres acteurs tiennent le même discours. Les discussions que nous avons avec le réseau de transport d'électricité vont également en ce sens, car après les appels d'offres, s'ouvre le temps de développement. On dit souvent que l'on prend beaucoup de temps. Ce n'est pas forcément le cas après les appels d'offres. Dans l'organisation de nos projets, les permis sont obtenus après les appels d'offres. On a voté un certain nombre de lois (loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP), loi pour un État au service d'une société de confiance (ESOC). L'une de ces lois énonce que l'État peut réaliser des études préalables pour accélérer la mise en oeuvre des projets et les « dérisquer ». Les études préalables sont-elles livrées à l'issue des appels d'offres ? Un appel d'offres dure trois ans, une étude sur l'environnement doit durer deux ans. On pourrait imaginer que nous disposions de ces études. En réalité, ce n'est pas le cas. Cela induit un temps de développement et une latence dans la décision qui sont fortement préjudiciables. Cela crée de très fortes inquiétudes dans la chaîne d'approvisionnement.

M. Franck MONTAUGÉ, président. - La loi récemment votée relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables se rapproche de ce que vous appelez de vos voeux, afin de réduire les délais de développement.

L'étude RTE pointait un risque très fort et un facteur de complexité considérable, compte tenu du facteur multiplicateur requis par les énergies sur lesquelles vous travaillez. Je pense qu'il faut en tirer les bonnes conclusions, ce qui va dans le sens de ce que vous venez d'indiquer.

M. Daniel SALMON. - Je pense que nous sommes dans un pays où n'existe pas la volonté politique d'atteindre les objectifs. Je dirais même pire : il existe la volonté politique de ne pas les atteindre. On essaie même de ne plus fixer d'objectifs pour être tranquille. Je crois vraiment que nous sommes dans cette réalité-là.

J'aimerais faire un point sur les progressions du productible pour l'éolien terrestre et l'éolien en mer. Quelles sont les progressions en termes de productible ? Des innovations permettent de disposer d'éoliennes qui ne sont plus basées sur un vent nominal le plus favorable pour avoir une production maximale : il semble qu'on dispose désormais d'éoliennes qui auront une production beaucoup plus stable, sachant profiter du moindre courant d'air pour produire à des moments où les autres éoliennes produisent peu, ce qui se traduit par une meilleure valorisation du mégawattheure. Pouvez-vous nous donner quelques informations à ce sujet ?

M. Joseph FONIO. - Le sujet est très documenté. Le secret, derrière ces évolutions, réside d'abord dans le fait d'avoir des pales plus grandes. Celles-ci prennent mieux le vent. La réalité est très documentée sur de nombreux sites, notamment le site internet de l'IRENA (International Renewable Energy Agency). Celui-ci met en évidence une forte corrélation : plus les éoliennes ont été mises en service récemment, plus leur facteur de charge est élevé. Celles de 2015 ont un facteur de charge plus élevé que celles de 2012 et il en est de même de celles de 2020 par rapport à celles de 2015. Un mégawatt installé produira plus de mégawattheures avec les éoliennes de 2020 qu'avec celles de 2015. On pouvait s'inquiéter de constater l'inverse, car on a d'abord installé les éoliennes dans les endroits les plus ventés mais il s'avère qu'à puissance installée égale, les nouvelles éoliennes produisent davantage, tout simplement parce que la technologie est plus efficace.

M. Franck MONTAUGÉ, président. - Je me suis livré à un petit calcul en vous écoutant. À partir de ces données, on arrive à un facteur de charge de 27,5 %. Est-ce bien cela ?

M. Michel GIORIA. - C'est effectivement le cas pour l'éolien terrestre. Pour l'éolien en mer, il avoisine plutôt 50 %.

M. Franck MONTAUGÉ, président. - Ce facteur de charge progresse à la faveur de l'évolution des technologies, d'après ce que vous avez indiqué. Avez-vous une idée du facteur de charge qui pourrait être atteint à l'horizon 2035 ou 2050 ?

M. Pierre PEYSSON. - Je peux témoigner de l'expérience de nos 19 parcs actuellement en opération, qui se trouvent, pour une bonne partie, au Royaume-Uni. Ce sont des éoliennes de taille assez réduite, de l'ordre de quelques mégawatts. Les éoliennes de dernière génération font plus de 10 mégawatts et nous aurons bientôt des éoliennes de 20 mégawatts.

Sur les sites identiques, nous gagnons déjà quelques pour cent lors du remplacement d'éoliennes par des éoliennes plus récentes, qui sont beaucoup plus performantes. Pour l'offshore, on est effectivement à un facteur de charge de 50 %. Le rapport de WindEurope indique les facteurs de charge pour l'éolien offshore et l'éolien terrestre. On voit que le facteur de charge est toujours en augmentation. Il faut aussi examiner à quel moment l'on produit. Il n'y a pas si longtemps, on se demandait si nous aurions suffisamment d'électricité l'hiver, car c'est là que nous avons des pics de consommation. C'est plutôt bien ; c'est là, en effet, que l'éolien produit beaucoup. Les courbes de production de tous nos parcs le montrent clairement. On a beaucoup plus de vent l'hiver et une éolienne ne fonctionne pas seulement selon le facteur de charge. Le facteur de charge représente sa capacité à produire à pleine puissance. Mais les éoliennes fonctionnent 90 % du temps, voire davantage, et produisent plus en hiver qu'en été.

La carte des nouveaux sites montre, dans le flottant notamment, que certains d'entre eux vont être mis en service dans des zones extrêmement ventées. Je pense à la Méditerranée. Celle-ci constitue l'un des meilleurs gisements pour faire de l'éolien en mer. Les vents y sont extrêmement forts et les taux de charge seront encore plus élevés, car les parcs se situeront dans des zones plus profondes qui étaient auparavant inexploitables technologiquement.

M. Franck MONTAUGÉ, président. - Le changement climatique affecte-t-il ce paramètre ?

M. Pierre PEYSSON. - Je n'ai pas d'éléments à partager mais il existe probablement des données à ce sujet. Le facteur de charge augmente entre 2018 et 2023, avec des variations d'une année à l'autre. Sont-elles liées au changement climatique ? Le débat est ouvert.

M. Joseph FONIO. - Pour bénéficier du progrès technologique, il faut des temps de développement plus courts : si la procédure dure dix ans, cela veut dire que l'on installe en 2024 la technologie de 2014.

M. Michel GIORIA. - Il faut également réussir le repowering, car une partie des parcs vont arriver en fin de vie. Il faut se servir de l'arrivée de ces parcs en fin de vie pour les renouveler par des parcs plus puissants. Cela permettra notamment de faire, dans certaines régions, ce qu'on appelle du « moins et mieux », c'est-à-dire moins de mâts et plus de puissance.

M. Jules NYSSEN. - Tout est dit. J'espère que cette audition vous aura convaincus que parmi toutes les ressources énergétiques dont nous disposons, on ne peut pas se passer de l'éolien terrestre et en mer.

M. Franck MONTAUGÉ, président. - Nous en étions convaincus. Merci beaucoup pour vos contributions.

La réunion est close à 18 h 30.

Jeudi 7 mars 2024

- Présidence de M. Franck Montaugé, président -

La réunion est ouverte à 14 h 30.

L'énergie solaire - Audition de M. Guillaume Decaen, directeur du développement France de Neoen, Mme Carlotta Gentile Latino, directrice des activités terrestres France d'EDF Renouvelables, et M. Antoine Nogier, membre du conseil d'administration d'Enerplan et président de la société Sun'R

M. Franck Montaugé, président. - Au nom de la commission d'enquête, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.

Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête avec l'audition de M. Guillaume Decaen, directeur du développement France de Neoen, Mme Carlotta Gentile Latino, directrice des activités terrestres France d'EDF Renouvelables et de M. David Greau, délégué général d'Enerplan.

Avant de vous donner la parole, il m'appartient de vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal, et notamment de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Les auditionnés prêtent serment.

Le Sénat a constitué, le 18 janvier dernier, une commission d'enquête sur « la production, la consommation et le prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050. »

Nous centrons nos travaux sur le présent et l'avenir du système électrique. Est-il en capacité de faire face à la demande, d'offrir au particulier et à nos entreprises une électricité à un prix raisonnable, quelles sont ses perspectives de développement ?

Le 10 février 2022, à Belfort, le Président de la République a formulé l'objectif d'un déploiement massif de solaire d'ici 2050, avec la multiplication par près de 10 de la puissance installée pour dépasser 100 gigawatts, le chef de l'État précisait « en veillant à un juste équilibre entre les installations en toiture et celles au sol.

Ce chiffre est tout à fait considérable. Si tout le monde ou presque est favorable aux énergies renouvelables, celles d'entre elles qui sont intermittentes, dont le solaire, suscitent néanmoins un certain nombre de questions légitimes. Comment intégrer efficacement cette électricité au système électrique, compte tenu de son intermittence et, en particulier, comment compenser, à la baisse comme à la hausse, le caractère aléatoire - en tout cas non pilotable - de leur production ? Quelle est aujourd'hui la contribution du solaire à l'équilibre général du système électrique, et notamment au maintien de sa fréquence ? À une époque pas si lointaine les experts estimaient que 30 % d'électricité intermittente était une limite maximale à ne pas dépasser. Qu'en pensez-vous ? Depuis plusieurs années, on nous annonce une baisse rapide des coûts du solaire, comme de l'éolien. Pourtant, l'État continue de soutenir la filière de manière considérable. Quand cette filière sera-t-elle suffisamment mature pour se passer de ce soutien ? Aujourd'hui, 90 % des panneaux solaires proviennent de Chine, ce qui pose un triple problème : de souveraineté énergétique d'abord, mais aussi de balance commerciale. Au-delà, les modes de production en Chine aboutissent à un bilan carbone du solaire de 40 à 55 grammes de CO2 par kW produit (ADEME), loin derrière l'éolien (7 grammes) ou le nucléaire (entre 4 et 6 grammes). Comment remédier à cette situation ? Pour l'instant, le solaire bénéficie d'une relative acceptabilité par les populations tant qu'il s'agit de panneaux discrets sur un toit, mais quelle est votre évaluation en termes, d'une part, d'acceptabilité sociale, et d'autre part, en termes d'emprise au sol et de conflit d'usages pour atteindre les objectifs de Belfort ? Autrement dit, comment trouver les 100 à 200 000 hectares nécessaires sans empiéter sur les terres agricoles et défigurer le paysage ?

Voici quelques thèmes sur lesquels notre rapporteur M. Vincent Delahaye va vous interroger.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. -Je partage les interrogations de notre président. Notre préoccupation est de faire un tour d'horizon de toutes les sources de production d'électricité, principalement décarbonée. Nous cherchons à regarder l'équilibre général du système et surtout, à faire en sorte que la production et la consommation suivent des courbes parallèles. Il s'agit, en effet, d'avoir le moins de risque de délestage possible et de limiter le risque de coupure à terme.

Le solaire est une énergie renouvelable mais non pilotable, qui, pour l'instant, présente un handicap majeur lié aux difficultés de stockage de l'électricité.

Nous aimerions vous entendre sur vos attentes et vos espoirs quant au développement de la filière, voire sur vos inquiétudes éventuelles, ainsi que sur le coût de production de cette filière. Quelle fourchette de coût de production vous semble pertinente ? Quel bilan tirez-vous du dispositif de prix garanti et de soutien de l'État ? Pourrons-nous un jour sortir de ce système ? Il est vrai que l'acceptabilité est bonne sur les petits solaires mais que sur les grandes surfaces, le sujet est plus compliqué. Nous savons qu'en Gironde, Engie avait un projet de 800 hectares, ce qui est assez conséquent. Un tel projet est plus difficile à faire accepter même si l'on peut avoir un récit sur le sujet.

Mme Carlotta Gentile Latino, directrice des activités terrestres France d'EDF Renouvelables. - Mesdames et Messieurs les sénateurs, merci de votre invitation pour évoquer les enjeux du solaire, énergie qui est de plus en plus importante pour le Groupe EDF que je représente aujourd'hui, pour la France et pour la transition énergétique, et qui constitue le défi du siècle. L'impératif est non seulement climatique, mais également de résilience et de souveraineté. L'enjeu de la stratégie française pour l'Energie et le Climat est de sortir des 60 % d'énergies fossiles qui composent notre mix énergétique aujourd'hui.

Pour cela, nous aurons besoin à la fois de sobriété énergétique, d'efficacité énergétique et d'électricité décarbonée. 60 %, c'est beaucoup. Si nous voulons sincèrement en sortir, nous ne pourrons nous priver d'aucune de ces solutions. Nous n'avons pas le luxe du choix. Il est donc inutile d'opposer le nucléaire au renouvelable, l'éolien au solaire, les toitures solaires aux centrales solaires au sol.

Le Groupe EDF, que je représente, porte une très forte ambition dans le domaine du solaire à travers principalement deux filiales, l'une sur le solaire distribué et l'autre sur le solaire au sol. Ainsi, EDF ENR est le premier acteur sur le marché des toitures de maisons individuelles, avec 22 % de parts de marché. L'entreprise est en forte croissance ces dernières années, avec notamment l'offre « Mon soleil et moi ».

Pour sa part EDF Renouvelables, qui développe des projets au sol, fait aujourd'hui partie des leaders du marché, comme l'illustre notre première place aux appels d'offres de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) sur la période 2020-2023. Nous exploitons aujourd'hui plus de 100 parcs solaires pour une puissance de 800 megawatts.

Comme vous le savez, le marché du solaire se trouve en très forte croissance avec une répartition sensiblement constante entre le sol (55 %), et les toitures (45 %), aussi bien en stock qu'en flux.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Vous avez indiqué 800 MW. Quand cela a-t-il commencé ? Est-ce que cela progresse fortement ?

Mme Carlotta Gentile Latino. - Nous avons commencé depuis le démarrage. Nos premières installations solaires datent de 2012. Ensuite, nous avons connu le moratoire sur le solaire. Depuis 2017, nous avons lancé le Plan solaire, qui marque la très forte ambition du Groupe EDF de devenir le leader en matière de solaire en France, avec 30 % de parts de marché. À partir de ce lancement, compte tenu du temps nécessaire pour recruter les équipes, structurer et développer les projets et obtenir les permis, EDF Renouvelables a connu une très forte croissance en solaire au sol, à partir de 2020.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Excusez-moi mais j'interromps votre propos liminaire. En combien de temps pouvez-vous mettre en place un parc solaire, entre le moment où vous vous intéressez à un terrain et le moment où le parc est prêt ?

Mme Carlotta Gentile Latino. - Nous avons à peu près six mois de prospection, un minimum d'un an d'études environnementales - car nous suivons tout le cycle de la biodiversité -, plus le temps d'instruction qui était d'un an et qui peut désormais parfois atteindre un an et demi à deux ans. Nous arrivons donc à trois ans. Dès lors que le projet obtient son permis et qu'il ne fait pas l'objet de recours administratif, nous sommes prêts pour démarrer la construction, qui peut aussi durer un an. J'ai indiqué un planning idéal mais cela peut être plus long en fonction du nombre d'études menées et de recours déposés.

Malgré cette accélération récente, nous observons que le marché français est en décalage par rapport au reste du monde, et notamment par rapport à nos voisins européens. Les énergies renouvelables électriques, notamment le solaire, sont devenues des solutions compétitives, a fortiori dans le cas des grands parcs solaires et éoliens, terrestres et maritimes, dont vous avez discuté hier.

Le développement d'une part de renouvelables beaucoup plus importante qu'aujourd'hui n'est donc pas uniquement une nécessité industrielle et climatique, il est également « pertinent et nécessaire » - pour reprendre les termes de RTE - sur le plan économique. Afin d'accompagner le développement du solaire et des renouvelables en général, il n'y a pas de secret. Les quatre conditions de succès sont évidentes. En premier lieu, il est nécessaire que des signaux de long terme positifs soient envoyés aux filières concernées pour que les acteurs entreprennent les investissements nécessaires en les adaptant au contexte économique et géopolitique. Je ne vous apprends rien : développer l'industrie, c'est penser le temps long.

Par ailleurs, il est très important pour le solaire que l'espace nécessaire au développement de ces énergies soit disponible et en quantité suffisante. La raréfaction du foncier peut créer des tensions qui n'ont pas lieu d'être, surtout si elle est créée artificiellement par la réglementation.

Je reviens sur le point que vous évoquiez. Il est nécessaire que les autorisations soient accordées en quantité suffisante et dans des délais satisfaisants.

Enfin - j'ai apprécié l'expression que vous avez utilisée hier du « grand récit mobilisateur » - il convient que les enjeux de toutes les énergies soient continuellement expliqués pour sortir de la caricature. Comme pour toute filière industrielle, il faut expliquer les enjeux du solaire. L'aménagement du territoire se construit à différents niveaux : les collectivités, les riverains, les services de l'État, les associations et le monde agricole.

En définitive, il convient de concilier la bonne acceptation locale des énergies renouvelables et l'atteinte des objectifs nationaux au bon rythme. C'est l'un des enjeux primordiaux de la prochaine Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) 2028-2033, dans laquelle le solaire devrait prendre une place plus importante.

Bien sûr, la loi d'accélération de production des énergies renouvelables (LCEI) introduit plusieurs avancées, avec des obligations de solarisation de certains bâtiments, tout en facilitant l'autoconsommation. C'est un progrès, même si nous savons que les toitures ne suffiront pas et qu'elles sont plus onéreuses que les centrales au sol.

Je tiens à rappeler que les centrales solaires au sol permettent de fournir de grandes capacités à des prix compétitifs. Il est indispensable de conserver un cadre propice, en particulier pour les sites dégradés ou ne présentant pas de potentiel agricole, jusqu'ici éligibles aux appels d'offres de l'État. Ces projets à l'empreinte environnementale maîtrisée n'artificialisent pas les sols. Bien mieux, ils permettent de préserver, voire de recréer des zones propices au développement de la biodiversité.

Enfin, l'émergence de l'agrivoltaïsme, qui a désormais une définition dans la loi grâce à l'initiative du Sénat, offre des perspectives prometteuses « gagnantes-gagnantes » avec le monde agricole. Nous saluons la concertation autour du décret d'application de la loi d'accélération des renouvelables, qui doit bientôt paraître. Cette concertation a permis de créer, avec le monde agricole, un cadre propice au déploiement de cette nouvelle filière. Il conviendra de permettre l'émergence de projets de toute taille, en fonction des besoins locaux et de la compétitivité globale de la filière solaire.

En matière de production de panneaux solaires en France et en Europe, EDF Renouvelables est propriétaire de Photowatt, qui emploie 170 personnes pour produire des panneaux photovoltaïques, mais qui a subi, comme toute la filière européenne, la concurrence chinoise durant cette décennie passée. Si les autorités européennes et françaises veulent faire émerger une filière des équipements solaires, du silicium jusqu'au panneau, c'est possible, à la condition d'en assumer le coût économique et d'y allouer les moyens budgétaires requis. Les États-Unis et les Pays-Bas le font de manière assumée pour des raisons de résilience et de souveraineté.

En Europe, et en France en particulier, nous observons que les projets de gigafactories sont en cours, ce qui suppose d'avoir le cadre propice, à savoir l'accélération des autorisations d'installation, le développement des filières de formation et la stabilité des mécanismes de soutien. L'Union européenne s'est dotée d'un instrument en début d'année, le règlement « Net Zero Industrial Act », qui doit favoriser l'émergence de panneaux solaires fabriqués en Europe et en France, au travers des appels d'offres publics. S'il est bien dimensionné, cet instrument peut être bénéfique. Il conviendra seulement de veiller à ce qu'il ne crée pas de freins supplémentaires pour les projets.

Je terminerai en rappelant mon propos introductif dans l'espoir de guider l'action de cette commission d'enquête. Le solaire, et les énergies renouvelables de manière plus large, participent à l'électrification et ainsi, à la décarbonation du mix énergétique, tout en garantissant la compétitivité de notre électricité. C'est donc un enjeu de réduction de notre dépendance énergétique, un paramètre pour la réindustrialisation et la résilience de notre pays, et un moyen de lutter contre le changement climatique.

M. Guillaume Decaen, directeur du développement France Neoen. - Neoen a été créée en 2008. Nous sommes une société française et l'un des principaux producteurs indépendants d'énergie exclusivement renouvelable. Nous développons des projets dans le domaine du solaire, de l'éolien terrestre, mais aussi du stockage. Nous essayons au maximum de produire une énergie locale et compétitive, en plus d'être verte.

Les capacités de construction de Neoen atteignent 8 gigawatts (GW) dans le monde, dont 1,6 GW en France. Neoen, présente sur quatre continents, compte 450 salariés. Dans nos réalisations les plus marquantes, nous comptons le plus grand parc solaire en France, à Cestas, en Gironde de 300 mégawatts (MW). Nous avons, en outre, construit une très grande centrale éolienne en Finlande de 400 MW, ainsi que la centrale la plus compétitive au monde au Mexique, de 375 MW, avec un prix de vente d'électricité inférieur à 20 dollars du mégawatt/heure. Nous avons aussi construit les deux plus grandes centrales de stockage du monde, qui sont basées en Australie : la Hansel Power Reserve, d'une capacité de 150 mégawatts (193 mégawatts/heure soit plus d'une heure de réserve), et la Victorian Big Battery, mise en service l'an passé de 300 mégawatts et de 450 mégawatts/heure.

Nous sommes cotés sur le second marché depuis 2018. Au sein de Neoen, j'ai la charge du développement France depuis quatre ans. Avant cela, je me suis occupé pendant quatre ans des achats chez Neoen pour tous les projets dans le monde en matière de panneaux solaires, d'éolien et de stockage.

M. David Greau, délégué général Enerplan. - Enerplan est le syndicat des professionnels de l'énergie solaire dans son ensemble, à savoir à la fois le solaire thermique et le solaire photovoltaïque, sur toutes les échelles, de la plus petite sur bâtiment aux très grandes installations au sol. Le solaire est un enjeu désormais stratégique. Je pense que nous avons passé un cap dans les vieilles oppositions du passé, où les énergies étaient opposées les unes aux autres. Nous avons besoin de toutes les électricités décarbonées et de tous les vecteurs, qui ont des temporalités différentes de déploiement. Aujourd'hui, au sein des électricités décarbonées, les renouvelables se développent le plus rapidement. Parmi celles-ci, le temps de développement du solaire est le plus rapide, notamment sur des petits objets. Cette adaptabilité représente la force du solaire.

Vous avez parlé à plusieurs reprises d'intermittence : je préfère parler de variabilité et de prévisibilité. Avec le solaire, nous savons prévoir au jour le jour ou à la semaine ce qui sortira des actifs solaires. Cette prévisibilité représente d'ailleurs l'une des exigences posées aux exploitants de parcs par les gestionnaires de réseaux. Par conséquent, cette énergie ne fonctionne, certes, pas en permanence mais est prévisible dans ses apports au réseau. Vous avez rappelé, Monsieur le président, les objectifs posés à Belfort par le Président de la République pour le solaire. J'observe que le discours est intervenu en février 2022, quelque temps avant le déclenchement de la guerre en Ukraine. Depuis lors, la donne géopolitique a changé. De plus, la crise énergétique et l'envol des prix de l'énergie l'an passé nous ont amenés à plusieurs considérations. La première d'entre elles est de considérer qu'il faudrait sans doute avancer les objectifs de Belfort. Les travaux de RTE, d'ailleurs, démontrent qu'il est fait en sorte que l'objectif de 100 GW soit plus ou moins avancé de quinze ans pour être atteint en 2035 et non en 2050.

Le deuxième enjeu est industriel. L'incertitude géopolitique, la dépendance existant aujourd'hui vis-à-vis de certains pays sont apparues, non plus comme une bataille perdue, mais comme une opportunité. Des projets de giga factories se développent aujourd'hui en France à la faveur du Net Zero Industry Act (NZIA). Ces projets, qui sont des projets stratégiques, se traduisent par la construction de deux usines sur le territoire français qui produiront chacune 5 GW de modules tous les ans, et qui s'additionneront aux producteurs actuels (produisant environ 1 GW par an). Nous aurons donc une capacité de production sur le territoire français qui dépassera largement ce qu'on installe.

Pour revenir sur les capacités installées annuellement, nous avons longtemps été sous la barre du gigawatt annuel dans le solaire. Ce gigawatt annuel a été dépassé pour la première fois il y a deux ans puisque nous sommes montés au-delà de 2 GW. L'an dernier, nous avons installé 3,2 GW, ce qui représente un record pour la France mais aussi, un étiage. Ces 3 GW ne sont pas suffisants. Ainsi les Pays-Bas, qui est un pays plus petit et moins ensoleillé que la France, ont installé 4 GW l'an dernier.

Enerplan demande que les objectifs, qui seront fixés dans la future PPE, amènent à des développements annuels a minima de 7 GW, qui est le plafond proposé dans la stratégie française « Energie-Climat ». Nous pensons que ce plafond peut être dépassé. Lors de la concertation de l'an dernier, un volume annuel entre 5,5 et 7 GW a été proposé. Du point de vue des professionnels de l'énergie solaire, nous pensons que l'objectif de 7 à 10 GW est atteignable. Je rappelle que RTE, dans son bilan prévisionnel, considère cette cible comme souhaitable. Nous avons donc besoin de ces textes de la PPE, notamment pour donner de la visibilité aux acteurs industriels qui engageront des fonds.

La visibilité donnée par le NZIA n'est pas de l'autarcie. En effet, ce texte - sous réserve de son vote en avril par le Parlement européen -, pose la nécessité d'avoir sur le territoire européen la capacité de production de 40 % de nos installations. Dans les soutiens publics, nous devons nous assurer a minima que 30 % iront sur des modules qui satisfont des « critères de résilience »,selon la novlangue européenne, pour ne pas dépendre d'un seul pays fournisseur.

Pour revenir sur les enjeux de long terme et répondre dès à présent à la question de savoir combien de temps encore le mécanisme de soutien public sera nécessaire, je rappelle que ce mécanisme de soutien, notamment par les appels d'offres, est un mécanisme de complément de rémunération (contrat pour différence). En d'autres termes, on garantit un tarif strictement symétrique au futur producteur. Globalement, le producteur touchera, à tout moment, pour le mégawatt/heure la somme qu'il a proposée, ni plus ni moins. Par conséquent, les sommes que le producteur aurait obtenues sur les marchés bénéficieront in fine à l'État. C'est ce qui s'est produit pendant la crise énergétique, où l'État a récupéré de l'argent sur la production renouvelable grâce aux prix de marché qui se sont envolés. En revanche, si le prix de marché est inférieur, pour ne pas grever la rentabilité de cet investissement très capitalistique, l'État garantit que le prix sera complété à hauteur de la différence pour atteindre le prix lauréat.

Le mécanisme de complément de rémunération est donc un mécanisme d'assurance ou de réassurance pour que le producteur engage les fonds en CAPEX au-delà de 20 ans. Au-delà de cette durée, le soutien public cesse pour les centrales solaires.

M. Franck Montaugé, président. - Avez-vous une idée du solde de ces aides à ce jour ?

M. David Greau. - Je ne peux pas vous l'indiquer immédiatement. Nous étions presque arrivés au remboursement des sommes engagées par l'État en soutien à la filière au moment du pic de la crise des prix sur les marchés de l'électricité. Dans le domaine de l'éolien, toutes les sommes avancées ont été remboursées. Dans le domaine du solaire, le processus a été plus long. La variabilité provient de cette fluctuation des marchés de l'électricité.

Pour conclure, un autre aspect du solaire est sa grande adaptabilité en termes de puissance installée. De plus, le solaire peut être installé sur des territoires à double usage, comme cela a été voté dans la loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables (loi APER) et déjà, dans la loi Climat-Résilience. Ainsi, il est demandé à des bâtiments neufs ou existants d'être solarisés. Il est également demandé aux parkings d'être solarisés et d'apporter de l'ombre aux véhicules qui stationneront. C'est le cas également de l'agrivoltaïsme, dont l'objectif n'est pas de prendre des terres agricoles pour y faire de la culture énergétique, mais bien de concilier deux usages : un usage agricole et un usage de production énergétique. Tel est le sens du texte introduit au Sénat, de la loi APER et du projet de décret élaboré par les ministères en charge de l'agriculture et de l'énergie.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Ma question visait à savoir si, à un moment donné, les énergies renouvelables peuvent se passer du soutien de l'État. La réponse est en lien avec vos fourchettes de coûts de production, que vous ne nous avez pas communiquées, et dont j'imagine qu'elles dépendent de la taille des installations. Il serait intéressant pour nous de connaître ces éléments.

J'aimerais aussi vous entendre aussi sur les capacités de stockage, qui existent déjà pour les petites installations en batteries. Sont-elles déjà présentes sur les grandes installations ? Quels progrès sentez-vous dans l'évolution des batteries et du stockage de l'énergie, sachant que l'une des critiques faites à l'énergie solaire est de de ne pas être totalement intermittente et de ne pas être disponible aux saisons où les besoins sont les plus grands ?

Par ailleurs, vous avez évoqué les pays étrangers. Notre dépendance à la Chine en matière de panneaux solaires est très critiquée. Avez-vous réussi à vous en exonérer ? Quel est le bilan carbone complet de la production d'électricité solaire ?

M. David Greau. - Je commencerai par répondre au dernier point sur le bilan carbone. Dans le coût d'investissement global d'une centrale solaire, 25 à 30 % est lié aux modules. On a donc tendance à se focaliser sur le module mais les autres composants sont nombreux dans une centrale solaire. Pour autant, je n'élude pas la question. Nos projets de giga factory en France se développent. Nous avions travaillé avec la précédente équipe gouvernementale sur la mise en place d'un « pacte solaire » entre développeurs et industriels qui produisent sur le territoire français, dans l'objectif d'obtenir des engagements des développeurs envers les industriels pour leur donner de la visibilité. Tout ne se fera pas du jour au lendemain. Je confirme notre très grande dépendance aux modules chinois et asiatiques. La Chine a, en effet, su mobiliser 50 milliards de dollars, il y a quinze ans, pour lancer une industrie de masse, qui était surcapacitaire et qui a continué à progresser. Aujourd'hui, cette industrie alimente la quasi-totalité des installations dans le monde, à l'exception des Etats-Unis, qui ont fermé leurs frontières, et de l'Inde, qui a restreint ses importations.

Pour revenir sur le bilan carbone, les politiques de soutien, notamment des grandes installations, imposent aux modules un plafond carbone. Par conséquent, tout est tracé dans la composition du panneau solaire, qui doit être certifié pour être éligible au soutien public. Un tel soutien est donc un moyen d'orienter le marché vers des modules plus verts. Néanmoins, nous savons que cette mesure, qui était destinée à l'origine à favoriser les panneaux européens, profite aussi aux industriels qui utilisent des panneaux chinois puisque les industriels chinois savent aussi concevoir des panneaux bas-carbone.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Avez-vous un chiffre à communiquer sur le bilan carbone ?

M. David Greau. - Le chiffre que je peux vous communiquer, de manière certaine, est celui du plafond carbone des modules (ne pas avoir mis en oeuvre plus de 550 kg de CO2 par kilowatt/crête), inscrit dans les cahiers des charges des appels d'offres. Le plafond se situe en moyenne entre 400 et 450 kW/crête, étant précisé que la question est posée à l'industrie européenne.

M. Daniel Salmon. - Il est nécessaire de comparer ce qui est comparable. De ce fait, on demande en général les émissions de CO2 par kWh. Vous évoquez le kW/crête.

M. David Greau. - Le bilan carbone se situe autour de 11 grammes de CO2 par kW/h

M. Franck Montaugé, président. - Lorsque vous évoquez les aides publiques, de quoi parlez-vous ? Est-ce que vous évoquez les contrats pour différence ?

M. David Greau. - Aujourd'hui selon la puissance qu'on installe, il existe deux types d'aides publiques. La première est l'aide en guichet, accordée automatiquement, sous réserve de satisfaire à certaines conditions, et valable pour les installations sur bâtiments jusqu'à 500 kW/crête installée. Au-delà et pour les installations au sol, la procédure est celle des appels d'offres. Le guichet ouvert est aujourd'hui entre 100 et 116 euros/MWh.

M. Franck Montaugé, président. - Combien représente l'aide publique pour tout le parc actuel ?

M. David Greau. - Le soutien public en guichet représente un tiers des installations de l'an dernier. Une bonne partie de la puissance installée est de l'autoconsommation, ce qui signifie que tous les mégawatt/heure produits ne sont pas soutenus par la puissance publique puisque ils sont consommés sur site.

M. Franck Montaugé, président. - Ma question est simple : quel est le montant global de l'aide de l'État ? Nous avons besoin de ce chiffre. Si vous ne pouvez pas répondre dans l'immédiat, nous vous remercions de nous le communiquer ultérieurement car il s'agit d'une donnée importante.

M. David Greau. - Je vous communiquerai le chiffre du ministère.

Dans la procédure compétitive applicable au-delà de 500 kW/crête, les volumes sont alloués par la puissance publique. Par conséquent, les développeurs proposent des projets qui doivent être conformes au cahier des charges, notamment sur le bilan carbone et le prix plafond éliminatoire. Un classement est établi entre les développeurs, dont la part la plus grande porte sur le prix de l'installation. L'ensemble du processus est encadré par la directive européenne sur les aides d'État.

En définitive, la maîtrise des dépenses telle que contrôlée par les finances publiques provient du fait qu'il s'agisse d'un complément de rémunération publique sur le delta éventuel entre le prix garanti et le prix de marché. De plus, les volumes sont alloués par la puissance publique à chaque session d'appel d'offres.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - C'est donc ce complément de garantie dont vous indiquiez tout à l'heure qu'il était quasiment remboursé. En revanche, les aides d'origine ne sont pas remboursées. Ce sont deux choses différentes.

M. David Greau. - Il y a, en effet, deux choses différentes, mais nous étions quasiment parvenus au remboursement de la totalité des aides consenties. Je vous apporterai ultérieurement davantage d'éléments chiffrés.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Nous les demanderons aussi de notre côté au ministère. Je vous remercie de répondre également à mes premières questions car vous avez commencé par les dernières.

M. David Greau. - Le contrat pour différence est déjà le dispositif en vigueur dans les appels d'offres. Je ne vois donc pas la différence que vous établissez, hormis le fait que vous semblez rechercher un prix unique pour l'ensemble des énergies décarbonées, si j'ai bien compris votre demande. Aujourd'hui, je suis incapable de vous donner un chiffre car le niveau serait nécessairement celui de la moyenne mais pas d'une mise en compétition des projets. De ce fait, si un prix unique était garanti pour tous les vecteurs carbonés de production d'électricité, cela impliquerait une sortie de cette logique d'appels d'offres compétitifs. L'écueil d'une proposition de prix unique serait par conséquent de ne pas privilégier le vecteur le plus compétitif. Cela étant, nous constatons qu'actuellement dans le domaine du solaire, les appels d'offres portent, d'une part, sur les bâtiments et, d'autre part, sur le sol. Il est évident qu'au-delà de l'effet d'échelle de taille, les coûts d'une installation au sol et d'une installation sur bâtiments ou sur ombrière sont très différents, les seconds étant beaucoup plus élevés.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Vous indiquez qu'il existe une différence entre les installations fixées sur les toits ou les ombrières et le sol. Je comprends bien, mais pouvez-vous nous donner une fourchette afin de nous éviter de parler dans le vide ?

M. David Greau. - Les coûts sont publics puisqu'ils sont constatés à chaque appel d'offres par la Commission de régulation de l'énergie (CRE), qui instruit les dossiers. Les coûts, tels qu'issus des résultats publiés hier ou avant-hier de la dernière session d'appel d'offres au sol, se situent entre 82 et 83 euros/MWh. Pour les installations sur bâtiments, nous ne disposons pas des résultats de la dernière souscription aux appels d'offres, réalisée en décembre 2023. Généralement, les coûts avoisinent 100 euros/MWh.

Mme Carlotta Gentile Latino. - Pour revenir sur le contrat pour différence, notamment le prix de 92 euros/MWh pour les installations au sol - qui est une donnée publique - je confirme qu'il s'agit de mises en concurrence systématiques, organisées par l'État, par vagues dans l'année, avec un prix plafond (non connu) et une concurrence parfaite. Tous les projets sont classés par prix et les plus chers ne sont pas retenus. Par conséquent, le signal prix est très transparent et d'ailleurs bien documenté par la CRE.

Sur le prix unique, tant pour le solaire que pour toutes les énergies, nous étions au plus bas en juillet 2021 à 55 euros/MWh, et au plus haut l'année suivante, à 82,2 euros/MWh. Nous ne pourrions pas imaginer de définir un prix unique sur des installations qui ont vocation à durer pendant trente ans.

Concernant le soutien, nous avons évoqué le mécanisme du contrat pour différence, qui s'applique dans de nombreux pays, toujours dans des cadres de compétition et pas uniquement dans le domaine des énergies renouvelables. Le sujet important, l'an dernier, était celui du déplafonnement du seuil de remboursement, avec une forte pression de la part de Bercy. Ceci signifie qu'au vu de la conjoncture économique, nous donnons plus que ce que nous avons reçu sur des installations récentes.

Par ailleurs, pour nuancer cette idée de subventions permanentes, nous signons de plus en plus de Power Purchase Agreements (PPA) avec des entreprises industrielles privées, dont la vocation n'est pas de financer la production d'électricité. Pour garantir un accès à une électricité compétitive sur le long terme, ces entreprises privées signent des contrats sur une durée d'une vingtaine d'années. Ce marché est en très forte croissance en France, ce qui témoigne bien de la compétitivité des énergies renouvelables. Certes, nous ne sommes pas naïfs et reconnaissons que le marché des Corporate PPAs a explosé dans une conjoncture économique particulière, dans laquelle de nombreuses entreprises se trouvaient en grande difficulté. Pour notre part, nous avons signé pour environ 600 MW de Corporate PPAs dans le solaire avec des entreprises industrielles.

M. Franck Montaugé, président. - Vous contractualisez sur la puissance ?

Mme Carlotta Gentile Latino. - Nous contractualisons as produced, c'est-à-dire sur la production telle qu'issue de la centrale, que le client intègre avec son fournisseur dans sa consommation globale.

M. Franck Montaugé, président. - Il s'agit donc de MWh. Vous parliez de 600 MW.

Mme Carlotta Gentile Latino. - Dans le domaine du solaire, les MW et les MWh sont très proches.

Sur le sujet du bilan carbone, l'ADEME est la référence car ses données sont vérifiées. De plus, les bilans carbone changent beaucoup selon les projets. Je reconnais que le bilan carbone du solaire est beaucoup plus élevé que celui de l'éolien et du nucléaire, mais n'oublions pas que le bilan carbone d'une installation photovoltaïque est positif, ce qui contribue à la lutte contre les émissions de carbone.

Sur le stockage, il est important d'élargir le sujet de la variabilité/prévisibilité aux moyens de flexibilité et de stockage. En effet, la problématique se situe au moment de la production et de la demande, mais il convient de souligner que l'un des moyens principaux de la flexibilité est le décalage de la demande, comme nous l'apprend RTE dans ses scénarios 2050.

Par conséquent, dans un système complexe comportant du solaire et de l'éolien, nous développons des moyens de flexibilité, c'est-à-dire le décalage de la demande, l'hydro et le stockage. Il ne faut donc pas se concentrer uniquement sur la cloche solaire et les nécessités de stockage. En d'autres termes, tous les moyens de flexibilité doivent être appréhendés dans le cadre du système, comme l'a bien expliqué Réseau de transport d'électricité (RTE). Ce faisant, les sujets de coûts qui vous préoccupent doivent aussi être analysés à la maille du système.

M. Guillaume Decaen. - Je peux apporter des précisions sur la vision de Neoen concernant les batteries de stockage, puisque nous avons installés de très grandes unités de stockage en Australie en 2017. C'était l'été et le réseau avait subi quelques incidents en raison de la chaleur. Le solaire ne suffisait pas à combler la demande de rafraîchissement des températures, ce qui a conduit le gouvernement de South Australia à lancer un appel d'offres pour mettre en place des capacités de stockage et réguler la fréquence sur le réseau. Nous avons donc mis en place la première centrale de stockage. Contrairement à la France qui est interconnectée, l'Australie est une île non interconnectée qui subit directement les gros impacts de la production de solaire. Il existe donc une grande variabilité des prix de marché en Australie, avec souvent des prix négatifs. Dans ce type de marché, les centrales de stockage de grande capacité peuvent voir le jour. Au contraire, en France, le réseau est bien interconnecté et les prix de l'électricité descendent rarement à des niveaux négatifs.

Dans ces conditions, l'équation économique n'est pas présente en France pour développer des centrales de stockage de grande capacité. En d'autres termes, il n'existe pas d'écart suffisamment important entre prix bas et prix haut pour justifier l'installation d'une batterie et la mettre en service sur le réseau. Avec ce même raisonnement, les installations de batteries se développent en Australie et en Angleterre. Si nous parvenons à créer des conditions de marché satisfaisantes, je pense qu'il ne sera pas nécessaire d'installer de stockage par batterie en France.

S'agissant des coûts de production du solaire, j'indiquerai que les coûts du module représentaient 55 % quand nous avons construit l'installation photovoltaïque de Cestas, en 2015. Aujourd'hui, cette proportion est plutôt de 20 à 25 % pour les toitures et d'environ 25 % pour les installations au sol. Parallèlement, les coûts de raccordement ont fortement augmenté car les centrales sont de plus en plus éloignées des points stratégiques du réseau. De ce fait, à l'heure actuelle, les coûts de raccordement sont supérieurs à ceux des panneaux solaires.

Par ailleurs, la raison pour laquelle le prix du solaire est passé de 55 euros/MWh à 82 euros/MWh, lors du dernier appel d'offres, réside certainement dans la hausse du coût du financement. Aujourd'hui, les taux d'intérêt avoisinent 4 à 5 % et se répercutent dans les coûts des infrastructures. C'est pourquoi la CRE a bien réfléchi aux appels d'offres et a mis en place une formule d'indexation en fonction des taux d'intérêt en vigueur à la date de la construction de la centrale. Cette indexation a déjà joué ses effets puisque le prix a déjà baissé de 3 à 4 euros. Le calcul est réalisé à la date de la construction, au moment où la centrale est financée, donc un an avant la mise en service. Même si c'est modeste, cela représente une baisse de 5 %. Il n'existe donc pas de surprofit sur le marché.

Sur les panneaux chinois, nous sommes bien sûr très favorables à la construction de giga factories en France. Aujourd'hui, la Chine produit 360 GW de capacités de modules, dont la moitié est absorbée sur le marché chinois. L'important dans la technologie du panneau solaire est d'investir dans la recherche et développement (R&D) pour gagner en efficacité. De ce fait, lorsque des usines sont capables de produire autant de gigawatts, elles peuvent investir bien davantage en R&D qu'une usine basée en France, même subventionnée, qui produit 5 GW. C'est un point d'alerte que je voulais émettre car nous ne faisons pas la course avec les mêmes volumes.

M. Daniel Salmon. - J'ai des chiffres qui vont de 25 grammes/kWh si le panneau est produit en Europe contre 45 grammes/kWh s'il est produit en Chine, le tout comparé à 800 grammes/kWh si c'est du charbon. Ce sont les ratios dont je dispose.

Effectivement, l'industrie du solaire photovoltaïque se développe de manière exponentielle dans le monde. Vous contredirez ou confirmerez mes chiffres. Nous avons dû installer 415 GW de puissance dans le monde l'an dernier. C'est 30 % de plus que l'année précédente et on estime que, d'ici 2030, nous pourrions atteindre 1 000 GW installés. Par rapport au nucléaire, les capacités d'installation sont donc énormes, avec sans doute des baisses de coûts à la clé. Vous constatez que les Pays-Bas installent 4 GW alors que nous ne réussissons pas à dépasser 3 GW. Nous avons du mal à trouver la rentabilité en France. Je pense que la volonté politique fait défaut alors que dans les années 70, nous étions des précurseurs en France sur le photovoltaïque comme sur le solaire thermique.

Vous avez indiqué que vous pariiez plus sur la flexibilité que sur le stockage, en l'absence de modèle économique pertinent pour développer le stockage. Où en est-on plus précisément sur le stockage car vous avez laissé entendre que ce n'était pas la priorité ? Pourtant spontanément, nous avons tendance à considérer que la production diurne devrait nous servir aussi dans la journée.

Mme Denise Saint-Pé. - Sur la problématique du stockage, de la recherche et développement et la flexibilité, vous avez largement répondu. Je souhaiterais savoir en revanche si la recherche a avancé en France sur la fin de vie des panneaux photovoltaïques. C'est un questionnement important.

Enfin, il est important que vous sachiez comment se passe la vraie vie sur les territoires. En tant que sénatrice des Pyrénées-Atlantiques, je suis saisie régulièrement par des agriculteurs qui indiquent qu'EDF a des retards de six à huit mois dans le paiement de la rente électrique. Parallèlement, ces mêmes agriculteurs sont confrontés à des échéances financières pressantes, ce qui les met en grande difficulté financière. Il ne faudrait pas que ce capital-confiance instauré avec le monde agricole se perde.

M. Didier Mandelli. - Pour gagner du temps, je répondrai à la question sur le recyclage car un éco-organisme dénommé Soren existe depuis quelque temps. Au moins trois unités en France collectent et traitent les panneaux, qui sont recyclés à hauteur de 97 à 98 % aujourd'hui. J'ai eu la chance d'assister à une première mondiale il y a quelques années, organisée près d'Aix-en-Provence par Veolia. Sur ce volet, il n'y a donc plus de question.

En revanche, j'aurai trois questions. Je précise que j'étais rapporteur de la loi d'accélération de la production des énergies renouvelables, et que nous avions intégré dans nos priorités l'autoconsommation, les PPAs et un certain nombre d'autres sujets. Quelle est aujourd'hui la part d'autoconsommation sur les projets, non seulement pour les particuliers mais également pour les entreprises qui utilisent leurs toits ? Je pense aux entrepôts logistiques et autres. Quelle est la part des PPAs dans la production globale ? Quelle est la part de fiscalité dans le prix de sortie ? Effectivement, il existe des aides d'État pour aider à produire mais il y a aussi une fiscalité locale. Il y a peut-être un équilibre à trouver sur ces deux volets.

M. David Greau. - Je remercie le sénateur Mandelli pour sa réponse. L'éco-organisme Soren fonctionne particulièrement bien puisqu'il a collecté 4 000 tonnes de panneaux solaires en 2022. Il s'inscrit aussi dans une démarche de réemploi.

Le sujet des agriculteurs concerne sans doute un retard de contractualisation. EDF Obligation d'achat exerce la mission d'achat pour le compte de l'État, et a donc parfois des délais anormalement longs. Nous remontons régulièrement ce sujet.

Mme Carlotta Gentile Latino. - Nous avons bien conscience de cette réalité. Nous recherchons actuellement les moyens d'en sortir et nous vous apporterons une réponse écrite.

M. David Greau. - Il faut aussi préciser que nous avons un double mécanisme d'achat obligé pour le compte de l'État, avec un acteur unique et monopolistique, ce qui n'est pas le cas dans tous les pays européens. Ce mécanisme deviendra de plus en plus problématique au fur et à mesure de l'augmentation du nombre de contrats. L'an passé, Enedis a raccordé plus de 200 000 installations, ce qui représente le double de l'année précédente. L'engorgement à venir nécessitera sans doute d'automatiser les choses et de les simplifier pour toutes les parties. Nous devons continuer d'y travailler avec Enedis et EDF Obligation d'achat.

M. Mandelli, la part d'autoconsommation représente environ un tiers du volume raccordé, soit 1,2 GW sur les 3,2 GW raccordés avec ou sans surplus et ce, sur toutes les tailles de projets du domaine Enedis. Ces projets sont, en effet, beaucoup portés par les particuliers et les entreprises, mais aussi par des collectivités territoriales. C'est donc une garantie des tarifs pour le long terme d'une partie de la consommation mais pas de son intégralité car l'autoconsommation ne représente qu'une partie des besoins électriques, soit environ un tiers du volume global. L'autoconsommation est en très forte hausse.

Enfin, la fiscalité n'est pas le seul sujet. Une bonne idée, ayant émergé au Sénat à l'occasion de la loi d'accélération, est celle du partage de la valeur, qui a été mis en place pour faire contribuer les futurs producteurs à la vie du territoire. De notre point de vue, c'est déjà le rôle de l'Imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau (IFER). Finalement, le partage de la valeur vient en complément de l'IFER, en étant une contribution unique au moment du lancement du projet. J'attire votre attention sur le fait que du point de vue des collectivités territoriales, ces ressources nouvelles qui leur sont affectées, notamment l'IFER, ne se traduisent pas par des baisses globales de leur dotation de fonctionnement. D'ailleurs, l'IFER n'est pas dans le discours commercial des développeurs.

M. Franck Montaugé, président. - Sur le terrain, l'IFER est évoqué.

M. David Greau. - L'an passé, une meilleure ventilation de l'IFER n'a pas pu être mise en place dans la loi de finances. J'espère que cela aboutira à un moment ou un autre.

Mme Carlotta Gentile Latino. - Sur la part de Corporate PPA et l'impact de la fiscalité sur le prix de sortie, il faut garder à l'esprit que ce marché est, certes, en forte croissance en France, mais qu'il est encore émergent. Il est donc prématuré de parler de parts de PPA car elles concernent des installations qui seront mises en service plus tard. Il est sûr que l'intérêt envers les PPAs est destiné à croître.

M. Franck Montaugé, président. - Quelle est la part des PPAs en cours par rapport au volume d'investissements réalisés ?

Mme Carlotta Gentile Latino. - A mon échelle, mes investissements portent sur la construction de parcs. Dans la mesure où cette activité passe par une forme de contractualisation avec l'acheteur, l'attention des industriels s'est matérialisée sur ces 600 MW de Corporate PPAs sur un total de 2,5 GW environ. Les prochains investissements d'EDF Renouvelables porteront sur 100 MW. Il faudra donc envisager la part de PPAs dans la durée.

Sur le sujet de la fiscalité, les dépenses d'opérations de nos infrastructures (OPEX) représentent 25 000 euros /MW par an, dont un quart est constitué de taxes. L'impact sur le LCEI est donc de 40 % soit 8 euros/MWh en taxes. Ce sont des ordres de grandeur moyens pour un projet.

M. Guillaume Decaen. - Je n'ai pas de réponse pour décaler l'utilisation de la production de la cloche solaire. Vous parliez de vingt-quatre heures mais je pense qu'il est préférable de décaler de douze heures. Effectivement, la cloche solaire a un impact, notamment sur le marché français lorsqu'en Espagne les grandes centrales se mettent à produire des électrons en très grande quantité. C'est à ce moment que les prix deviennent négatifs. L'écart entre le prix négatif et le prix positif doit être suffisant pour justifier un investissement dans une batterie. En l'occurrence pour décaler de douze heures, il faudrait une batterie d'une profondeur de quatre heures de stockage, ce qui représente un investissement colossal. Aujourd'hui, nous n'avons pas encore trouvé l'équilibre économique sur le marché européen. Si les prix sont négatifs à midi, il s'agira peut-être d'envisager d'opérer des changements d'usages. La réflexion de RTE, en cas de prix négatifs, consiste plutôt à inviter les producteurs à découpler les centrales pour ne pas trop engorger le réseau. Cela reviendra moins cher que d'acheter des batteries de 4 heures de stockage et de surinvestir.

M. Franck Montaugé, président. - Vous indiquez que le prix pour une batterie de 4 heures de stockage serait exorbitant. Pouvez-vous nous indiquer des ordres de grandeur ?

M. Guillaume Decaen. - Je vous enverrai le prix d'une batterie 1 heure, 2 heures et 4 heures.

M. Daniel Salmon. - Sur le déphasage, il existe des technologies à sels fondus qui permettent de produire de l'électricité avec un décalage, puisque les sels sont fondus dans la journée avec du solaire thermique. La nuit, ces sels fondus sont utilisés pour produire de l'électricité. Cette technologie existe en Espagne. Avez-vous des informations à ce sujet ?

M. Guillaume Decaen. - Je ne connais pas cette technologie.

M. David Greau. - Nous avons clairement des enjeux de stockage sur la chaleur comme l'électricité. La question de la cloche solaire est aussi anticipée en autoconsommation. Nous constatons donc que les installations ne sont pas destinées à maximiser la production des panneaux solaires mais plutôt leur plage d'utilisation à un instant T. Il s'agit, en effet, de lisser la cloche solaire sans recourir à du stockage.

Comme rappelé hier dans l'audition sur l'éolien, aucun objectif de stockage n'a été donné pour la métropole. Dans les territoires d'outremer, qui sont des zones non interconnectées (ZNI), des appels d'offres de stockage solaire ou de stockage pur ont été lancés. En métropole, la possibilité a été introduite dans la loi mais en l'absence d'objectifs, l'État ne peut y recourir.

Enfin, il existe, dans les entreprises, une forme de PPAs qui ne dit pas son nom : c'est l'autoconsommation. Finalement, une part de PPA peut exister dans d'autres technologies de production de renouvelables, notamment l'éolien, qui transitent par le réseau en raison des contraintes d'éloignement des bâtiments. Cela fausse donc quelques peu les chiffres sur les PPAs solaires.

Mme Carlotta Gentile Latino. - Concernant la flexibilité, le scénario 2050 de RTE inclut tous les moyens : la flexibilité de la demande, les batteries non stationnaires pour les véhicules (vehicule to grid) et les batteries stationnaires qui font l'objet de la discussion. Il ne faut pas oublier que les batteries pour les véhicules sont des solutions de stockage.

RTE est le plus à même de décrire, de manière crédible, l'équilibre entre les différents moyens de production dans les différents scénarios. Dans le scénario incluant une part de nouveau nucléaire, donc en ligne avec les Futurs énergétiques, le premier moyen de flexibilité est la flexibilité de la demande qui varie entre 13 et 15 GW. Les batteries stationnaires varient entre 1 et 9 GW. Le vehicule to grid représente environ 2 GW. En définitive, le bouquet de flexibilité s'analyse vraiment à la maille d'un scénario et non à la maille d'un stockage versus le solaire.

M. Franck Montaugé, président. - Nous avons constaté hier que l'éolien représentait un facteur de charge global de l'ordre de 26 %. Quel est le facteur de charge pour le photovoltaïque ?

Par ailleurs, vous avez appelé à une clarification de la stratégie française « Energie-Climat », et notamment de la PPE, qui a des conséquences sur la filière industrielle. C'est un enjeu de souveraineté fondamental. Nous ne connaissons toujours pas cette stratégie et cette PPE. Pour le photovoltaïque, nous sommes dans un rapport de un à trois, selon l'hypothèse de mix énergétique retenue. Nous sommes à un facteur multiplicatif de sept si l'on retient le scénario N03 de RTE (50 % de nucléaire et 50 % d'énergies renouvelables). Dans l'hypothèse où la part de renouvelables est la plus importante, le facteur multiplicatif atteint vingt-deux. Vous travaillez aujourd'hui indépendamment de ce cadre, qui est ancien, alors qu'il aurait dû être actualisé en 2023. Il est tout de même gênant de ne pas savoir dans quel cadre on se situe. Je voudrais donc connaître votre sentiment à ce sujet.

Corrélativement à cette question du volume très important de photovoltaïque à installer sur le terrain, j'observe, dans mon territoire du Gers, que les choses sont encore un peu confuses, et pas nécessairement de votre fait en tant qu'installateurs. Pourriez-vous nous donner votre sentiment et nous indiquer ce que vous attendez de la planification territoriale pour optimiser vos propres processus industriels d'installation ?

Mme Carlotta Gentile Latino. - Le facteur de charge représente environ 15 %, en incluant les améliorations technologiques continues.

Sur la clarification de la stratégie, c'était effectivement mon propos initial car une planification est indispensable. Il appartient donc aux pouvoirs publics de décider. Nous continuerons de contribuer en portant nos ambitions de décarbonation du mix.

Pouvez-vous préciser votre question sur les scénarios de multiplication sur le solaire ?

M. Franck Montaugé, président. - Il existe un volume considérable d'installations à accomplir dans un laps de temps à l'horizon 2050. Or, comme nous ne connaissons toujours pas le scénario retenu, nous nous posons des questions.

Mme Carlotta Gentile Latino. - Nous avons des pipelines importants de portefeuilles de projets. Je pense que tel est également le cas de Neoen. L'agri-photovoltaïque représentera un axe de développement important compte tenu de la surface disponible. Je rappelle que l'objectif de 140 GW de planification énergétique à 2050 représente 1 % de la surface agricole. De ce fait, la place ne manque pas. Je ne me prononcerai pas sur le scénario à retenir entre le multiplicateur par sept et le multiplicateur par vingt-deux. Les enjeux de la filière sont clairs et il est attendu des filières industrielles qu'elles produisent les panneaux solaires.

M. Franck Montaugé, président. - Vous indiquez donc que notre industrie est capable de fournir ? Sur quelle hypothèse ?

Mme Carlotta Gentile Latino. - La France représente 1 % des capacités photovoltaïques installées dans le monde.

M. Franck Montaugé, président. - Nous n'avons pas parlé de la dimension ressources humaines relative à cette filière. Je pense que nous ne sommes pas prêts.

Mme Carlotta Gentile Latino. - C'est, en effet, un point fondamental de la réindustrialisation, qui implique des décisions à venir sur la formation des techniciens et ingénieurs.

M. Franck Montaugé, président. - Y a-t-il une démarche comparable à celle adoptée par la filière nucléaire ?

M. David Greau. - L'enjeu de formation est en effet fondamental, mais il n'existe pas aujourd'hui de grand plan de formation comparable à celui lancé par les entreprises de réseaux ou par les entreprises du nucléaire. Nous en aurons besoin dans les énergies renouvelables de manière générale, et pas uniquement dans le domaine du solaire. Il est essentiel de former des professionnels destinés à travailler dans le photovoltaïque, mais aussi que les métiers de base du technicien et du couvreur intègrent des compétences photovoltaïques.

M. Franck Montaugé, président. - Où en est-on pour le moment ?

M. David Greau. - Nous n'en sommes pas encore là.

M. Franck Montaugé, président. - Travaillez-vous avec l'ensemble des entreprises concernées ou avec l'État sur ce sujet de la formation ? Quelle est la démarche collective esquissée pour être efficace le plus rapidement possible ?

M. David Greau. - Nous travaillons essentiellement avec les régions, qui sont compétentes pour la formation professionnelle.

Mme Carlotta Gentile Latino. - Sur le terrain, la concertation est l'ADN de notre développement. Il ne s'agit pas uniquement d'information des riverains mais de co-construction d'un projet de territoire avec les parties prenantes, qu'elles soient pour ou contre le projet. En cela, le récit que nous portons est important. Sur le terrain, il me semble que la nature des oppositions que nous rencontrions, il y a quelques années, a totalement changé. Précédemment, les panneaux photovoltaïques n'étaient pas bien perçus. Aujourd'hui, le riverain constate que les emplois sont locaux et non délocalisables et que la production est visible, contrairement aux fossiles que nous importons. Le changement de mentalités est en marche pour davantage de résilience, de souveraineté énergétique et de compétitivité des prix. Il nous appartient aussi d'accompagner ces changements de mentalités. Ensuite, notre travail est de bien porter et développer les projets. Je ne prétends pas qu'il n'existe plus aucune opposition mais nous accompagnons les projets, souvent de façon satisfaisante, quand les concertations sont bien menées.

M. Daniel Salmon. - Dans la valeur d'un parc solaire, quelle est la part concernée par les modules photovoltaïques ? La valeur sur le terrain est, en effet, liée à du travail imputable aux territoires, ce qu'on omet souvent.

M. Guillaume Decaen. - Dans une installation au sol, il y a du terrassement réalisé par des entreprises françaises. Il y a également des structures, en évitant, le plus souvent possible, de rajouter du béton au sol. La structure métallique est assemblée en France, même si l'acier ne provient pas toujours de France. Nous essayons qu'il soit européen. Ensuite, les travaux de câblage - des modules aux onduleurs - doivent être menés alors que les Chinois ont pris la majorité du marché des onduleurs avec Huawei. Précédemment, les Espagnols et les Allemands fournissaient des onduleurs, mais la situation est de plus en plus difficile pour eux. En France, nous avions Schneider. Après les onduleurs, le câblage doit fournir du courant alternatif pour aller jusqu'au transformateur. A une certaine époque, les transformateurs étaient produits à Maizières-Lès-Metz chez Schneider, qui a décidé d'abandonner ce marché. C'est aussi une forte valeur à relocaliser en France, car elle représente 20 % du prix du module. Enfin, il y a le coût de raccordement d'Enedis et RTE qui, eux aussi, ont des besoins en câblage et en transformateurs.

Mme Carlotta Gentile Latino. - En 2018, la valeur ajoutée française pour le solaire avait été estimée entre 40 à 50 % par la Cour des comptes. Avec la baisse des prix des modules, cette valeur a tendance à augmenter. Je pense que c'est un bon chiffre à retenir pour éviter de croire que le solaire serait à 100 % chinois.

M. Franck Montaugé, président. - Merci beaucoup pour ces échanges intéressants et importants.

La réunion est close à 16 h 30