Mercredi 28 février 2024

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Proposition de loi relative au financement des entreprises de l'industrie de défense française - Examen du rapport et du texte de commission

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons ce matin le rapport de Dominique de Legge sur la proposition de loi relative au financement des entreprises de l'industrie de défense française, déposée par M. Allizard et plusieurs de ses collègues. Je salue la présence parmi nous de l'auteur de la proposition de loi et du président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, qui est également rapporteur pour avis de ce texte, M. Cédric Perrin.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Voilà quelques mois, nous approuvions la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030 (LPM). Nous avions alors longuement débattu de la nécessité de soutenir les entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD). Le ministre des armées, M. Sébastien Lecornu, avait notamment parlé de la nécessité de donner de la visibilité à notre BITD, de la protéger et de la promouvoir. Il avait également exprimé son soutien aux dispositions proposées par la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat pour développer des mécanismes visant à mieux financer ces entreprises, en particulier les petites et moyennes entreprises.

La Haute Assemblée s'était pleinement saisie de ce sujet : elle avait pu s'appuyer sur les importants travaux menés par nos collègues Pascal Allizard, que je salue, Gisèle Jourda et Yannick Vaugrenard. Nos collègues députés s'étaient également penchés sur le financement de l'industrie de défense et sur l'économie de guerre.

La proposition de loi que nous examinons ce matin s'inscrit dans ce contexte : elle prévoit, à l'article 1er, de flécher une partie des encours du livret A et du livret de développement durable et solidaire (LDDS) non centralisés auprès de la Caisse des dépôts et consignations vers le financement des entreprises de l'industrie de défense française. L'article 2 porte une demande de rapport d'évaluation.

Ce n'est pas la première fois que le Sénat est amené à examiner ces deux dispositions. Elles ont été adoptées à deux reprises par notre assemblée, dans le cadre de la loi de programmation militaire et de la loi de finances pour 2024. C'est grâce à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées que ce sujet avait été introduit dans la LPM, et le Gouvernement avait ensuite repris la disposition dans la loi de finances pour 2024, dans le texte sur lequel il avait engagé sa responsabilité en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution. Toutefois, le Conseil constitutionnel a par deux fois censuré cette disposition, pour des raisons de forme, puisqu'il avait considéré qu'il s'agissait dans le premier cas d'un cavalier législatif et dans le second d'un cavalier budgétaire. Cette difficulté sera levée avec un véhicule législatif propre.

Quel est l'objectif des auteurs de la proposition de loi ? Il est simple : apporter une première réponse aux difficultés de financement des entreprises de l'industrie de défense française. Ces entreprises sont en effet confrontées à des problèmes de financement, à la fois communs à l'ensemble des entreprises, tous secteurs économiques confondus, et spécifiques au secteur de la défense.

Quels sont les besoins de financement des entreprises de la BITD ? J'en distinguerai trois.

Le premier est l'accès au crédit, au financement bancaire, qui est essentiel pour la gestion par les entreprises de leur trésorerie, de leurs stocks et pour la modernisation de leurs chaînes de production. Sur ce point, les acteurs entendus en audition se sont accordés pour dire que les choses vont mieux - ou, disons, moins mal - depuis deux ans, le début de la guerre en Ukraine ayant marqué un vrai changement de paradigme.

Lorsque le dossier d'une entreprise de la défense est refusé par sa banque, c'est généralement pour une raison qui n'est pas liée à son secteur d'activité. Une entreprise fragile financièrement aura du mal à accéder au crédit, quelle que soit la nature de son activité. Pour autant, les entreprises de la défense se sont trop longtemps heurtées à des obstacles qui leur sont propres et continuent à y faire face : les établissements bancaires craignent pour leur image, s'inquiètent des exigences de conformité renforcées pour ces entreprises ou refusent de s'engager dans des contrats export, par définition plus complexes.

Des efforts ont été entrepris ces deux dernières années pour rapprocher l'industrie de défense et le monde bancaire. Les industriels ont souligné le rôle majeur joué par le réseau des « référents défense » au sein des grands établissements bancaires, en lien avec la direction générale de l'armement. Certaines banques ont en outre assoupli leur doctrine d'intervention dans le secteur de la défense.

Les difficultés liées au crédit bancaire, si elles ne sont pas totalement réglées, commencent donc à évoluer dans un sens favorable.

Le deuxième enjeu pour les entreprises de la BITD est l'accompagnement à l'export. Il y a quelques motifs de satisfaction. Plusieurs outils ont été mis en place par la puissance publique pour accompagner les entreprises, par l'intermédiaire de garanties et d'assurances. Ces dispositifs sont gérés au nom et pour le compte de l'État par Bpifrance Assurance Export. S'ils sont ouverts à l'ensemble des entreprises, ils bénéficient plus particulièrement aux entreprises de la défense. Le secteur militaire représente 40 % des encours de crédits export garantis, qui s'élevaient à 65 milliards d'euros à la fin de l'année 2022.

Le troisième enjeu, et le plus pressant aujourd'hui, ce sont les fonds propres. Cette difficulté est encore loin d'être réglée et affecte de manière disproportionnée les entreprises de la BITD. Le capital investissement est quasiment inexistant dans le secteur de la défense en France et en Europe.

Il n'existe en France que deux fonds d'investissement privés, dont un centré sur le seul secteur de l'aéronautique. Deux fonds publics, là encore gérés par Bpifrance, ont été créés au cours des dernières années pour remédier à cette lacune du marché privé : Definvest, pour sécuriser le capital d'entreprises d'intérêt stratégique, et le Fonds innovation défense, pour soutenir en fonds propres les entreprises innovantes porteuses de technologies duales. Les montants mobilisés sont toutefois encore trop faibles au regard des besoins exprimés par les entreprises.

Comment expliquer cette faiblesse ? Il y a d'abord une incompréhension autour de la réglementation applicable en matière de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Alors qu'aucune réglementation française ou européenne n'exclut la défense, les fonds d'investissement se sont auto-exclus.

Ensuite, le signal envoyé par les institutions européennes est particulièrement négatif : le Fonds européen d'investissement de la Banque européenne d'investissement (BEI) interdit de financer les munitions, les armes ainsi que les équipements ou infrastructures militaires ou policiers. Surtout, il impose ces exclusions aux fonds d'investissement qui participent à ses tours de table. Par ailleurs, même si la France a obtenu la mise en place d'un mécanisme de fonds propres dans le domaine de la défense, ce mécanisme est réservé aux seules entreprises dont moins de 50 % du chiffre d'affaires est lié à la défense. Enfin, la France se heurte aux réticences de certains de ses partenaires européens pour aller plus loin, l'Allemagne notamment.

Or, faute d'un volume d'investissements suffisant, les entreprises de la BITD n'ont d'autre choix que de renoncer à leurs projets ou de se tourner vers des financements extra-européens.

Dans ce contexte, que comporte la présente proposition de loi ?

L'article 1er prévoit de flécher une partie des encours non centralisés du livret A et du LDDS vers les entreprises de l'industrie de la défense française. Je le souligne, il s'agit des encours non centralisés ; les encours centralisés auprès de la Caisse des dépôts et consignations pour le financement du logement social ne sont absolument pas concernés par le dispositif.

Aujourd'hui, les établissements sont soumis à des obligations strictes quant à l'utilisation des encours non centralisés. Au moins 80 % de ces encours doivent être utilisés par les établissements pour financer les PME, 10 % pour le financement de projets contribuant à la transition énergétique ou à la réduction de l'empreinte climatique et 5 % pour le financement des entreprises de l'économie sociale et solidaire (ESS).

Certes, le dispositif de fléchage proposé à l'article 1er de la proposition de loi soulève plusieurs interrogations. L'objectif d'utiliser 80 % des encours non centralisés au profit du financement des PME concerne par définition aussi les entreprises de la défense. De plus, du fait de la fongibilité des dépôts, cette cible est aujourd'hui largement dépassée, le ratio atteignant plus de 300 % à la fin de l'année 2022. Il n'est donc pas certain qu'un nouveau fléchage se traduise par des financements supplémentaires pour les entreprises de la défense, et en tout cas pas pour celles qui sont financièrement fragiles. Enfin, un tel dispositif ne concerne pas les fonds propres des entreprises.

Toutefois, la disposition paraît extrêmement utile, dans la mesure où elle permet d'envoyer un premier signal aux acteurs financiers : « premier », car des travaux sont aujourd'hui en cours pour réfléchir à de nouveaux dispositifs de soutien aux entreprises de la BITD ; et un « signal », parce qu'il est important que nous envoyions un signal clair et franc en faveur du soutien à ces entreprises.

Je vous proposerai donc d'adopter l'article 1er, sous réserve de mon amendement de réécriture COM-5. Cette réécriture permettrait de garantir que les cibles de financement allouées à la transition énergétique et aux entreprises de l'économie sociale et solidaire ne soient pas remises en cause. Le fléchage vers les entreprises de la BITD - expression préférée à celle d'« entreprises de l'industrie de défense française » - constituerait ainsi une « sous-poche » ou un sous-ensemble au sein de l'objectif de financement des PME.

J'ai longuement hésité entre cette proposition et celle qui consiste à créer un produit d'épargne spécifique consacré au secteur de la défense, finalement écartée. Le produit dédié présente deux avantages : il permet aux épargnants de se prononcer explicitement en faveur du financement de la défense et il peut apporter une réponse en fonds propres. Le fléchage d'une partie des encours non centralisés du livret A et du LDDS constitue toutefois une solution d'attente plus opérationnelle que la création d'un produit dédié, qui se heurterait à plusieurs obstacles. D'une part, les acteurs que j'ai entendus s'accordent à dire qu'un produit spécifique ne récolterait que peu de fonds et qu'il ne serait que peu commercialisé. D'autre part, les épargnants français sont marqués par leur préférence pour des livrets d'épargne réglementée, avec un taux de rémunération garanti et une grande disponibilité des fonds. Or un produit d'épargne défense ne répondrait pas à ces deux critères, alors que le livret A et le LDDS, si.

La base de collecte sera donc plus large, surtout que la modification du fléchage des encours du livret A et du LDDS ne paraît pas de nature à modifier significativement les comportements des épargnants, qui privilégient ces deux livrets pour leur niveau de rémunération. Surtout, faire participer l'ensemble des épargnants au financement de la BITD relève d'un enjeu de souveraineté. Si le pourcentage de la sous-poche était fixé, par exemple, à 5 %, cela représenterait en moyenne 103 euros par épargnant.

L'article 2 prévoit que le Gouvernement remet au Parlement, avant le 31 décembre 2026, un rapport évaluant le dispositif prévu à l'article 1er de la proposition de loi et que, à défaut de résultat probant, il étudie l'opportunité de créer un produit d'épargne dédié au financement des entreprises de la BITD.

Cette évaluation me semble primordiale, elle doit permettre tant d'avoir une idée objective des besoins de financement des entreprises de la BITD que d'aborder l'ensemble des problématiques auxquelles elles peuvent être confrontées. Pour cette raison, je vous propose de compléter la demande de rapport en y incluant une réflexion sur l'opportunité, pour Bpifrance et la Caisse des dépôts et consignations, de développer les instruments existants ou de nouveaux instruments en fonds propres. Il pourrait également être opportun de disposer d'un bilan des dispositifs de soutien à l'export, pour savoir s'ils sont suffisants.

Enfin, au regard de l'importance de la réglementation européenne sur les critères ESG et de son impact sur les entreprises de la défense, le Gouvernement devra présenter les actions qu'il a menées pour que le financement de la défense soit davantage pris en compte, y compris au sein de la BEI. Le commissaire européen au marché intérieur, M. Thierry Breton a déclaré le 18 janvier dernier, lors d'une audition au Sénat, qu'il fallait faire monter en cadence les entreprises de la défense et les cofinancer pour les aider à adapter leur modèle économique. L'Europe doit passer de la parole aux actes.

Mon amendement COM-7 prévoit également d'avancer la date de remise du rapport d'un an. Il est nécessaire de disposer au plus tôt de ces éléments d'évaluation.

Enfin, je vous proposerai d'adopter un amendement COM-6 portant article additionnel, afin d'expliciter les missions de Bpifrance au profit des entreprises de la base industrielle et technologique de défense. Comme j'ai eu l'occasion de le dire, Bpifrance gère aujourd'hui de très nombreux dispositifs de soutien, dont certains sont spécifiquement dédiés aux entreprises de la défense.

Je vous proposerai ainsi de modifier l'ordonnance du 29 juin 2005 qui détermine les missions de Bpifrance en tant qu'opérateur du soutien public au financement des entreprises et de l'innovation. Près de vingt ans après la publication de cette ordonnance, le contexte géopolitique a profondément évolué. Alors que la LPM a acté la mobilisation des leviers de l'économie de guerre, les acteurs institutionnels, au premier rang desquels Bpifrance, doivent être pleinement mobilisés pour répondre aux besoins de financement des entreprises de la BITD.

M. Pascal Allizard, auteur de la proposition de loi. - Je vous remercie de votre invitation.

Je serai bref, parce que Dominique de Legge a parfaitement résumé la situation et la proposition de loi. Nous travaillons sur ce sujet depuis quatre ans ; ce n'est pas une lubie.

La situation de départ était extrêmement bloquée, avec un déni quasi généralisé : au ministère des armées, notamment à la direction générale de l'armement (DGA), à Bercy, à la Caisse des dépôts et consignations. Nous avons vu néanmoins les choses évoluer depuis lors. Au ministère des armées, y compris à la DGA, la prise de conscience a eu lieu. En revanche, pour ce qui concerne Bercy, si les choses bougent à la direction générale des entreprises, ce n'est pas le cas à la direction générale du Trésor.

Nous parlons de problèmes de financement non pas d'entreprises qui ont des difficultés bilantielles, mais d'entreprises intervenant dans le secteur de la défense auxquelles on refuse des financements parce qu'elles travaillent dans ce secteur. C'est un problème, surtout depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. Il faut apporter une solution aux entreprises, ce que vise à faire cette proposition de loi, qui reprend une disposition par deux fois censurées par le Conseil constitutionnel, pour des raisons formelles.

M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis et président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. - Ce sujet nous intéresse depuis longtemps en effet et a pris de l'ampleur avec la guerre en Ukraine.

Nous pensions que le déclenchement de ce conflit favoriserait une prise de conscience des banques de la nécessité de financer davantage de notre secteur de la défense, mais il n'en est rien.

Cette question concerne particulièrement la compliance et les règles de conformité. Il y a de fait une forme d'auto-exclusion des fonds d'investissement, qui vont au-delà des contraintes de la réglementation européenne. Il y a un véritable déni de la Fédération bancaire française et des banques en général, qui considèrent que cela ne concerne que quelques cas, ce qui est évidemment faux. Nous pouvons le dire, pour avoir rencontré beaucoup d'entreprises de la défense. La BITD compte aujourd'hui en France 4 000 PME et entreprises de taille intermédiaire (ETI) et 200 000 emplois directs ; or nombre d'entre elles rencontrent des difficultés à se financer. Nous avons récemment entendu une entreprise fournissant les munitions des commandos de la marine, qui a recueilli 5 refus de financement sur les 6 banques contactées pour étendre son bâtiment, la seule raison donnée - verbalement et non par écrit - étant qu'elle intervenait dans le domaine de l'armement. Nous ne disposons que d'un refus écrit, d'AXA Banque, adressé au Coges (Commissariat général des expositions et salons du GICAT, le Groupement des industries de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres), au motif que l'activité de cette entreprise n'est pas en conformité avec l'éthique d'AXA Banque.

Nous sommes heureux d'avancer sur ce sujet. Après deux censures du Conseil constitutionnel, nous avons enfin un véhicule adapté.

Je remercie Dominique de Legge, qui nous a associés à l'élaboration d'un texte satisfaisant tout le monde. Au-delà du texte, il faut faire passer un message aux banques pour financer ce que certains appellent l'économie de guerre.

M. Pascal Allizard. - Je souhaite enfin appeler l'attention de votre commission sur le fait que certaines entreprises de ce secteur commencent également à nous signaler des refus d'assurance pour les mêmes raisons. Il va falloir s'y intéresser...

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je salue l'initiative de Pascal Allizard et la qualité du travail fourni, sur un sujet qui peinait à être pris en considération il y a quatre ans. L'actualité a mis ce sujet sur le devant de la scène. Je remercie le rapporteur Dominique de Legge, qui pose des jalons pour favoriser le financement de ces entreprises et l'encadrer. Je le remercie également d'avoir appelé notre attention sur ce sujet majeur. Nous devons ouvrir les yeux sur le contexte international. La France ne peut pas soutenir l'effort de guerre de l'Ukraine tout en achetant ailleurs du matériel ou des munitions que nous n'aurions pu produire faute d'avoir soutenu notre BITD. Nous avons un rang à tenir. Cette proposition de loi arrive au bon moment.

M. Marc Laménie. - Combien d'emplois directs et indirects les entreprises de la défense représentent-elles et quelle est leur répartition sur le territoire ?

Par ailleurs, quelle est la part de l'exportation dans le chiffre d'affaires de ces entreprises ?

M. Cédric Perrin. - J'ai donné les chiffres de 200 000 emplois directs et de 4 000 PME et ETI, mais il y a beaucoup d'emplois indirects, de sous-traitants de rang 1, 2 ou 3. Au total, on estime qu'il y a à peu près 400 000 emplois concernés par les sujets de défense.

La répartition géographique est le fruit de l'histoire, les entreprises de la défense ont été progressivement éloignées de la frontière allemande. Ainsi, ces entreprises sont plutôt localisées dans le centre de la France ou dans le Sud-Ouest, même si la sous-traitance irrigue l'ensemble du territoire national. Bref, il y a beaucoup d'emplois, au point de rejoindre à cet égard le secteur de l'automobile.

Dans la balance commerciale, ce secteur est en excèdent d'environ une dizaine de milliards d'euros.

M. Thierry Cozic. - Je salue le travail de notre collègue Pascal Allizard, dont la proposition de loi cerne bien les difficultés rencontrées par les entreprises du secteur de la défense pour se financer.

Toutefois, le livret A a deux missions prioritaires : financer le logement social et financer la transition écologique. S'éloigner de ces deux priorités aggravera la crise sociale et les problèmes de logement de notre pays - je rappelle que quatre millions de nos concitoyens sont considérés comme mal logés - sans parler de la condamnation de l'État pour inaction climatique. Dans la période actuelle, le financement du logement et de la transition écologique n'est-il pas plus prioritaire aux yeux de nos concitoyens ?

En outre, je le rappelle, la LPM prévoit une enveloppe globale de plus de 400 milliards d'euros, soit quasiment un doublement du budget annuel de la défense en 2030 par rapport à 2019. Nos concitoyens consentent donc déjà des efforts importants.

Néanmoins, la défense étant fondamentale dans un monde confronté à des tensions géopolitiques permanentes, nous proposons au travers d'un amendement de créer un livret d'épargne défense souveraineté, dont chaque Français pourrait se saisir. C'est une proposition d'équilibre qui nous semble plus démocratique et éthique tout en restant réaliste.

Nous réservons notre vote sur la proposition de loi en fonction du sort de cet amendement.

M. Thomas Dossus. - Je m'inscris dans la lignée des propos de Thierry Cozic, en soulignant l'arnaque que constitue ce dispositif, puisqu'il s'agit de pirater l'épargne populaire des Français. On va financer, par une partie de leur épargne réglementée, ce qu'ils n'avaient pas prévu de financer. Il y a donc tromperie sur la marchandise, pour contourner les réticences et critères d'éthique des banques et des épargnants, qui veulent financer le logement social et le développement durable. Parmi les 17 objectifs de développement durable, aucun ne concerne l'armement.

En outre, le contexte ukrainien est tel que, justement, les entreprises de défense ont moins de difficultés à se financer aujourd'hui. Les « marchands de canons » tireront donc profit de ce contexte.

Enfin, vous parlez d'économie de guerre ; prévoit-on donc de mettre fin au dispositif de fléchage si le contexte change?

Mme Nathalie Goulet. - Je remercie l'auteur et le rapporteur de cette proposition de loi, que je soutiens. Le texte apporte une première réponse à des enjeux cruciaux : la souveraineté, la faiblesse des dispositifs européens et les influences étrangères. Il convient donc de renforcer nos entreprises de défense. Les banques me semblent moins regardantes à l'égard de la fraude et de l'arbitrage des dividendes qu'avec nos entreprises de défense... Je le regrette.

Il existe des sources variées de financement des entreprises, qui répondent à différents besoins. Par conséquent, quels dispositifs supplémentaires pourrions-nous envisager pour ramener les banques à la raison, compte tenu du peu d'égards pour l'éthique qu'elles ont quand il s'agit, par exemple, de lutter contre la fraude ?

M. Arnaud Bazin. - En tant que représentant du Sénat auprès de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations, je ne participerai pas au vote, même s'il n'y a pas concurrence entre les fonds centralisés à la Caisse et le dispositif prévu.

M. Pascal Savoldelli. - À titre personnel, je suis extrêmement mal à l'aise face à cette proposition. On nous dit qu'il ne faut pas parler d'économie de guerre, mais c'est posé comme axe essentiel. Or qui dit « économie de guerre » dit « économie de défense », ce qui exige des recettes fiscales affectées. Il faut avoir du courage politique. Ce n'est pas par l'épargne des Français que l'on finance l'économie de guerre. Il faut assumer politiquement ce choix et affecter des recettes fiscales. La proposition de loi ne va pas dans ce sens.

En outre, les difficultés de financement des très petites entreprises (TPE) et des PME ne nous empêchent pas d'être le troisième exportateur mondial d'armement, d'autant que, pour nombre d'entre elles, la défense ne représente qu'une partie de leur activité.

Nous n'engageons pas de véritable débat politique sur la question. Je ne participerai donc pas au vote. Cette question est sérieuse, elle exige plus d'honnêteté politique.

M. Éric Bocquet. - Nous venons d'adopter la LPM, qui affecte 400 milliards d'euros à la défense, et on n'a pas réfléchi à cette question du financement des entreprises de ce secteur ? C'est hallucinant ! Nous passons de 32,4 milliards d'euros affectés à la défense en 2017 à 47,2 milliards en 2024 et 67,4 milliards en 2030 ; n'est-ce pas suffisant ?

En outre, il faut tenir compte du contexte mondial. Depuis 2000, l'industrie de l'armement a explosé dans le monde et, dans notre pays seulement, le nombre d'entreprises dans ce secteur est passé de 2 222 au début des années 2000 à 16 963 aujourd'hui. Cela intéresse tout de même du monde, c'est une industrie à haute valeur ajoutée. Et nous exportons pour 27 milliards d'euros d'armement en 2022 ; nous jouons dans la cour des grands. Il y a des tensions fortes, des guerres, et nous ferions comme si tout cela n'existait pas ? Il faut plutôt envoyer un message d'apaisement.

Enfin, on parle d'exigences de moralité des banques, mais l'investissement dans l'armement garantit un rendement élevé. Je m'étonne donc de leur frilosité...

M. Michel Canévet. - Merci d'avoir appelé notre attention sur les difficultés de nos entreprises à accéder au financement bancaire. C'est paradoxal pour un secteur d'excellence qui est, en outre, crucial pour notre souveraineté.

Ma question porte sur le mode de financement retenu. L'épargne collectée via le livret A est affectée à différentes cibles. Pourquoi ne pas avoir choisi un autre support, comme l'assurance vie ou le plan d'épargne retraite, qui peuvent mobiliser de l'épargne à long terme ? Pour répondre à notre collègue Pascal Savoldelli, à partir du moment où il y a de l'épargne disponible pour financer ces entreprises, il ne me semble pas nécessaire de lever l'impôt et de prévoir des recettes affectées. Ou alors, pourquoi n'avoir pas permis à Bpifrance de constituer un fonds dédié, comme elle l'a fait dans d'autres domaines ?

Mme Christine Lavarde. - Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2024, j'avais défendu une position défavorable à l'article relatif au financement des entreprises de défense par les encours du livret A et du LDDS, mais, aujourd'hui, je suis favorable au dispositif proposé au travers de l'amendement COM-5 de Dominique de Legge. J'aurais en effet été gênée que le financement de la BITD empiète sur le financement du logement social et de l'ESS, alors qu'il existe une enveloppe destinée aux PME.

En revanche, je ne comprends pas pourquoi le cadre actuel - l'enveloppe de 80 % des fonds non centralisés qui est destinée au financement des PME - ne permet pas déjà le financement des entreprises de la défense. Ce cadre plus précis permettra-t-il aux banques de remplir leurs obligations de conformité ? Je n'en suis pas certaine. Comment donc assurer le financement des entreprises de défense ?

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Monsieur Laménie, le président et rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a répondu à vos questions.

Monsieur Cozic, avec la rédaction que je propose au travers de mon amendement COM-5, il n'est nullement question de logement social. Je le rappelle, 59,5 % des encours du livret A et du LDDS sont consacrés au financement du logement social, les fonds étant centralisés à la Caisse des dépôts et consignations. Nous ne parlons pas de cela. Nous parlons des 40,5 % qui ne sont pas centralisés auprès de la Caisse et qui ne financent donc pas le logement social. Ces 40,5 % sont orientés vers trois affectations : une enveloppe représentant au moins 80 % finance les PME, au moins10 % pour le financement de la transition écologique et au moins 5 % pour l'ESS.

Dans la rédaction retenue par les auteurs de la proposition de loi, on crée une quatrième catégorie, ce qui impliquerait de diminuer potentiellement les fonds affectés à la transition écologique et à l'ESS. Cela ne me paraît pas souhaitable. C'est pourquoi je vous propose, au travers d'un amendement, de créer, au sein des 80 % consacrés aux PME, un ciblage particulier en faveur des entreprises de défense. Cela permet de ne pas toucher au financement de la transition écologique et de l'ESS, sachant que les auteurs de la proposition de loi souhaitent cibler les PME. Nous voulons donc simplement réserver une part du ciblage des PME, dans les 80 %, aux entreprises de la BITD.

M. Thomas Dossus parle de piratage de l'épargne, de tromperie sur la marchandise pour financer n'importe quoi. La question du financement de la défense mérite peut-être une approche plus nuancée ou plus équilibrée. Je n'ai hélas rien à répondre à ces propos, sauf à considérer qu'il n'existe pas de problème de financement de l'industrie de défense ou à penser qu'il ne faut pas financer cette industrie ou que le contexte géopolitique ne soulève aucune question.

Madame Goulet, vous évoquez des dispositifs supplémentaires. C'est le sens de mon amendement COM-7, qui tend à préciser la demande de rapport adressée au Gouvernement. Cette proposition de loi met le sujet sur la table, en faisant une proposition concrète, même si celle-ci n'est sans doute pas la plus efficiente. Simplement, cela permet d'avancer et de fixer une date butoir, tout en tenant compte des déclarations de Thierry Breton, qui a mentionné la somme de 200 milliards d'euros au niveau européen pour financer l'industrie de défense.

Messieurs Savoldelli et Bocquet, vous vous demandez si ces industries ne devraient pas être financées dans le cadre de la LPM. Cette loi finance une augmentation de nos capacités - plus de canons, de chars, d'avions, de munitions, etc. -, mais, pour produire plus, les entreprises doivent investir et moderniser leurs chaînes de production. C'est cette question qui est posée : comment le système de financement de l'industrie de la défense peut-il recourir à l'emprunt bancaire ?

Michel Canévet évoque l'hypothèse d'un nouveau fonds propre par Bpifrance; j'ai longuement hésité à cet égard, indépendamment de la contrainte imposée par l'article 40 de la Constitution. J'ai également longuement hésité sur la question du produit d'épargne dédié. Toutefois, cette réponse ne me paraîtrait pas opérante, car il devrait s'agir d'investissements de cinq ans au minimum, avec un blocage des sommes. Or ce n'est pas ce que recherchent les épargnants, qui veulent une épargne liquide, sans risque et avec un rendement garanti, ce que ne permettrait pas un produit dédié. En outre, il y aurait une collecte moindre et le produit ne serait peut-être pas assez commercialisé. Pour autant, j'évoque tout de même cette possibilité dans la demande de rapport au Gouvernement, afin d'expertiser cette hypothèse.

Madame Lavarde, c'est effectivement bien au travers de l'enveloppe de 80 % que l'économie de défense doit être financée. Aujourd'hui, rien n'empêche qu'une partie de cette enveloppe soit utilisée au profit d'entreprises de la BITD, mais rien n'empêche non plus qu'elles en soient exclues. Nous voulons garantir une part minimale au profit de ces entreprises et nous demandons au Gouvernement d'en déterminer l'ampleur.

M. Claude Raynal, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, le rapporteur propose de considérer comme relevant du périmètre indicatif de cette proposition de loi les dispositions visant à faciliter le financement de leurs activités par les entreprises de l'industrie de défense française, quelle que soit la forme de ce financement, et les dispositions visant à évaluer les besoins et les contraintes de financement des entreprises de l'industrie de défense française ainsi que les dispositifs mis en place pour y répondre.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Je me suis prononcé précédemment sur l'amendement COM-4, qui crée un livret d'épargne dédié au secteur de la défense. Avis défavorable, au profit de mon amendement.

M. Pascal Savoldelli. - Je rappelle qu'Éric Bocquet et moi ne participerons à aucun vote sur cette proposition de loi.

L'amendement COM-4 n'est pas adopté.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - J'ai présenté lors de mon propos liminaire mon amendement COM-5 ; il s'agit de clarifier le dispositif afin que le financement des entreprises de la BITD constitue une sous-poche au sein de l'objectif de financement des PME par les encours non centralisés du livret A et du LDDS.

L'amendement COM-5 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 1er

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Mon amendement COM-6 vise à compléter l'ordonnance du 29 juin 2005 relative à la Banque publique d'investissement, afin d'expliciter les missions de Bpifrance au profit des entreprises de la BITD.

L'amendement COM-6 est adopté et devient article additionnel.

Article 2

L'amendement COM-2 n'est pas adopté.

M. Dominique de Legge, rapporteur. - Mon amendement COM-7 précise le contenu du rapport demandé au Gouvernement.

L'amendement COM-7 est adopté. En conséquence, l'amendement COM-3 devient sans objet.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

TABLEAU DES SORTS

Proposition de loi relative au financement des entreprises de l'industrie de défense française

Article 1er

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. TEMAL

4 rect.

Création d'un livret d'épargne souveraineté

Rejeté

M. de LEGGE, rapporteur

5

Précisions sur les modalités de fléchage des encours non centralisés du livret A et du livret de développement durable et solidaire au profit de la base industrielle et technologique de défense

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 1er

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. de LEGGE, rapporteur

6

Explicitation des missions de Bpifrance au service des entreprises de la base industrielle et technologique de défense

Adopté

Article 2

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. TEMAL

2

Suppression de l'article 2 (rapport d'évaluation)

Rejeté

M. de LEGGE, rapporteur

7

Avancée d'un an de la date de remise du rapport d'évaluation et compléments sur son contenu

Adopté

M. TEMAL

3

Obligation, dans le rapport, de prévoir une évaluation de l'opportunité de créer un produit d'épargne dédié au secteur de la défense

Satisfait ou sans objet

Actualisation du programme de contrôle de la commission

M. Claude Raynal, président. - Nous avons adopté le 17 janvier dernier le programme de contrôle de la commission pour l'année 2024. Pour ce qui concerne les travaux commandés à la Cour des comptes, nous avions demandé quatre enquêtes, mais une cinquième, relative aux associations intervenant au titre de la politique d'immigration et d'intégration, était encore en cours de définition. Les échanges entre notre rapporteur spécial, Mme Marie-Carole Ciuntu, et la Cour ont finalement permis de déterminer le périmètre et les conditions de restitution de cette enquête. Je vous propose donc de l'inscrire dans notre programme sous l'intitulé suivant : « Les missions, le financement et le contrôle des associations intervenant au titre de la politique d'immigration et d'intégration ».

J'en profite pour acter formellement la désignation des membres de chacune des missions d'information internes à la commission et désormais toutes constituées :

- Mission sur le financement du ZAN (« zéro artificialisation nette ») : Grégory Blanc, Jean-Baptiste Blanc, Florence Blatrix Contat, Éric Bocquet, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Raphaël Daubet, Bernard Delcros, Frédérique Espagnac, Jean-Raymond Hugonet, Jean-François Husson, Éric Jeansannetas, Christine Lavarde, Hervé Maurey, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel et Laurent Somon ; les rapporteurs en sont MM. Jean-Baptiste Blanc et Hervé Maurey ;

- Mission sur les problèmes assurantiels rencontrés par les collectivités territoriales : Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Isabelle Briquet, Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Rémi Féraud, Nathalie Goulet, Jean-François Husson, Christian Klinger, Christine Lavarde, Vanina Paoli-Gagin, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, Ghislaine Senée et Laurent Somon ; le rapporteur en est Jean-François Husson ;

- Comparaison européenne des dispositifs fiscaux et des aides aux entreprises : Éric Bocquet, Thierry Cozic, Raphaël Daubet, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Jean-François Husson, Christian Klinger, Vanina Paoli-Gagin, Georges Patient et moi-même.

La commission adopte le programme de contrôle ainsi modifié.

La réunion est close à 10 heures.

La réunion est ouverte à 10 heures.

Mise en oeuvre du plan « France 2030 » - Audition de M. Bruno Bonnell, secrétaire général pour l'investissement

M. Claude Raynal, président. - Nous recevons ce matin M. Bruno Bonnell, secrétaire général pour l'investissement, pour évoquer la mise en oeuvre du plan France 2030.

Nous sommes d'autant plus heureux de vous recevoir, monsieur le secrétaire général, que c'est la première fois que notre commission a l'occasion de vous auditionner depuis votre nomination, en janvier 2022. Ayant été vous-même député jusqu'à cette date, vous connaissez le prix que nous attachons à ces auditions qui nous permettent d'exercer de manière éclairée notre fonction de législation et de contrôle.

Placé à la tête d'un service administratif directement rattaché au Premier ministre - le secrétariat général pour l'investissement (SGPI) -, vous êtes chargé de la coordination interministérielle et de la mise en oeuvre du plan France 2030, lancé par le Président de la République le 12 octobre 2021.

D'un montant particulièrement important - 54 milliards d'euros sur l'ensemble de la période -, ce plan est le successeur des différents volets du programme d'investissements d'avenir (PIA), qui avait été créé en 2010 dans le double contexte de la crise économique et financière de 2008 et de la volonté du Parlement de sanctuariser les dépenses publiques de long terme.

La finalité du plan France 2030, à savoir le redressement de notre croissance potentielle et l'accélération de la transition écologique de notre appareil productif, reprend les objectifs assignés en son temps au programme d'investissements d'avenir. Vous y avez ajouté deux objectifs transversaux : d'une part orienter 50 % des dépenses vers la décarbonation de l'économie et d'autre part orienter 50% des dépenses vers des acteurs émergents, notamment des start-ups et des PME.

Vous nous direz quelles leçons le SGPI a tirées de son expérience de mise en oeuvre des PIA depuis 2010 et quels ajustements vous avez opérés, aussi bien au niveau du secrétariat général que des quatre opérateurs chargés de la mise en oeuvre opérationnelle des crédits.

L'autre nouveauté du plan France 2030 consiste en sa structuration entre dix-sept objectifs et leviers concrets, qui correspondent à de grands défis comme la décarbonation de nos sites industriels, la qualité de notre alimentation, la sécurisation de l'accès aux matières premières, la production annuelle de 2 millions de véhicules électriques en France ou encore l'exploration des fonds marins.

Plus de deux ans après son lancement par le Président de la République, nous constatons que les aides du plan ont été attribuées à hauteur de 46 % et versées aux bénéficiaires finaux à hauteur de 9 %. Ce niveau d'avancement agrégé masque des disparités entre les dix-sept objectifs et leviers. Vous nous préciserez l'état des lieux du déploiement du plan, qui est en phase d'accélération.

Sans aller plus loin, pour ne pas empiéter sur votre présentation, je vous cède maintenant la parole, monsieur le secrétaire général. Vous pourrez ensuite répondre aux questions des rapporteurs spéciaux et du rapporteur général ainsi qu'à ceux de nos collègues qui souhaiteraient vous interroger.

Je rappelle que cette audition est retransmise sur le site internet du Sénat.

M. Bruno Bonnell, secrétaire général pour l'investissement. - Merci, monsieur le président. Je tiens à saluer le rapporteur général ainsi que les rapporteurs spéciaux Thomas Dossus et Laurent Somon, avec lesquels un travail très constructif a été mené.

Sur les 54 milliards d'euros dont le plan est doté, 29,7 milliards d'euros ont été engagés, dont 11 milliards d'euros la première année et près de 18,5 milliards d'euros la deuxième année. Tous les territoires ont été concernés : 60 % des crédits de ce plan ont été engagés en dehors de l'Île-de-France et 60 % l'ont été sur des PME, TPE et ETI. C'était l'un des objectifs qui nous avaient été assignés : trouver, au travers des appels à projets, des pépites sur tout le territoire et de toutes les tailles.

Cette dynamique d'innovation a été un succès. Sur de très nombreux territoires, parfois inattendus, le plan France 2030 a su trouver des entreprises qui n'avaient pas été repérées afin d'en accélérer le développement.

Les territoires se sont mobilisés dans leur ensemble : une véritable dynamique s'est installée dans les régions, les départements, les intercommunalités et les communes pour profiter des expériences de terrain, effectuer une première sélection de dossiers, mener des réflexions sur les mécanismes de soutien aux porteurs de projets. Nous avons réussi le pari de lier intervention de l'État et maillage territorial, y compris dans les outre-mer.

Nous avons aussi considérablement simplifié les procédures pour rendre le plan France 2030 le plus accessible possible. Nous avons ainsi mis en place dans certains cas des présélections, qui permettent aux personnes qui nous sollicitent de savoir très rapidement s'ils sont éligibles ou non à ce dispositif.

Les grands objectifs définis par le Président de la République font l'objet d'appels à projets génériques dans les différentes catégories que vous avez mentionnées, monsieur le président. Lesdits appels sont instruits par nos quatre opérateurs : Bpifrance, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), l'Agence nationale de la recherche (ANR) - pour ce qui concerne tous les projets de recherche - et la Caisse des dépôts et consignations - essentiellement au travers de la Banque des territoires. L'action des opérateurs sur le terrain, qui instruisent les dossiers avec une maille fine, nous permet de prendre une certaine distance par rapport à la prise de décision.

Nous gérons toute la chaîne d'innovation, de la recherche fondamentale jusqu'à la première usine. Nous accompagnons des entreprises, des centres de recherche, des consortiums à la fois sur des idées qui sont très en avance et dans des domaines très pointus comme les ordinateurs quantiques, par exemple, ou l'exploration des fonds marins.

Il s'agit véritablement d'une chaîne complète, articulée autour de cinq pôles : Santé - le SGPI supervise l'Agence de l'innovation en santé -, Transition éco-énergie -  à savoir tout ce qui concerne les énergies renouvelables, le petit nucléaire, mais également la décarbonation de l'industrie et de l'agriculture -, Connaissance - pôle qui regroupe la recherche et les supports à l'enseignement au travers du plan Compétences et métiers d'avenir, doté de 2 milliards d'euros -, Souveraineté numérique - tout ce qui concerne la souveraineté numérique, la cybersécurité et l'intelligence artificielle - et Nouvelles frontières - pôle plus exploratoire, qui regroupe notamment l'espace, les fonds marins ou le quantique.

Le SGPI s'appuie sur des conseillers - environ 70 personnes -, sur les relais des opérateurs et sur les relais territoriaux. Dans chaque département, on trouve ainsi un sous-préfet référent de France 2030 et, dans chaque région, un préfet référent à l'investissement auprès des présidents de région.

Le plan France 2030 comporte enfin un volet « régionalisé », doté de 500 millions d'euros complétés par 500 millions d'euros d'abondement des régions. Un montant très significatif peut ainsi être alloué aux besoins spécifiques d'innovation locale. Il s'agit d'une sorte de voie alternative très performante pour les sociétés régionales ayant des ambitions en termes d'innovation.

Le comité de surveillance des investissements d'avenir - qui est en quelque sorte mon conseil d'administration interne, composé tout à la fois de parlementaires et de représentants de la société civile - a fait réaliser une étude d'impact des mesures prises dans le cadre de France 2030 : d'ici à 2030, le PIB s'apprécierait de 40 milliards à 80 milliards d'euros supplémentaires chaque année grâce à l'activité spécifiquement soutenue par France 2030 ; le nombre d'emplois créés grâce à notre action pourrait être compris entre 300 000 et 600 000, cet écart s'expliquant par le pari sur le soutien de l'investissement privé. Aujourd'hui pour 1 euro public de France 2030, nous avons 1,5 à 1,7 euro d'investissement privé ; nous visons 2 euros.

Il est très important que nous mobilisions l'investissement privé. Nous rentrons dans une phase de soutien important à l'industrialisation, secteur dans lequel l'effet de levier est considérablement plus important, allant parfois jusqu'à 4. C'est la raison pour laquelle nous sommes relativement optimistes sur cet objectif moyen de 2 pour 1.

Dernière conclusion de cette étude, une compensation s'opèrerait au profit de l'État via les recettes de TVA, les charges sociales, et divers impôts ou de taxes. Ce « retour » sur les 54 milliards est estimé à 2028.

Cette étude du comité de surveillance va être complétée par un rapport de France Stratégie, qui devrait être publié l'année prochaine afin d'affiner ces chiffres. Toujours est-il que cette étude illustre bel et bien cette dynamique.

Je peux témoigner du réveil de l'innovation dans notre pays. Nous le constatons au nombre de dossiers qui nous sont présentés. Nous sommes extrêmement sélectifs : d'un dossier sur trois l'année dernière, nous n'en retenons actuellement plus qu'un sur quatre. Le niveau d'excellence s'élève encore et nous demandons aux jurys de se montrer particulièrement précis sur les objectifs à atteindre. Nous commençons à voir des résultats concrets : des usines se construisent, des brevets sont déposés... J'y insiste, cette dynamique est bien réelle.

Je veux aussi souligner que tous les territoires sont irrigués. L'un de nos objectifs est de fabriquer vingt biomédicaments d'ici à 2030, c'est-à-dire des médicaments conçus non pas à partir de la chimie, mais du vivant - bactéries, enzymes, ferments... Contre toute attente, l'un de nos principaux investissements dans ce domaine se situe dans le Cantal : la société Biose, à Aurillac. Ce que je veux montrer au travers de cet exemple, c'est que les performances de certains territoires n'avaient jusqu'alors pas été forcément identifiées.

Pour des raisons géographiques, les Hauts-de-France et le Grand Est abritent la plupart des gigafactories de batteries électriques. Toutefois, ces gros arbres ne doivent pas masquer la forêt des 3 500 lauréats à date du plan France 2030, qui sont répartis sur tout le territoire, y compris dans les outre-mer.

Nous tenons bien évidemment compte du contexte global. Vous avez tous entendu le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique annoncer qu'il fallait dorénavant gérer les budgets publics sous une contrainte accrue. C'est la raison pour laquelle j'ai lancé une procédure de suivi très rigoureuse des projets, qui sont soumis à conventionnement. Ce travail de suivi vise à montrer que l'État veut bien prendre des risques sur des technologies avancées, à condition que les entreprises que nous soutenons soient au rendez-vous des résultats qu'elles se proposent initialement d'atteindre dans la convention.

M. Thomas Dossus, rapporteur spécial de la mission « Investir pour la France de 2030 ». - Je poserai une première question au nom de mon collègue Laurent Somon, corapporteur spécial des crédits de la mission.

Le plan France 2030 est un exemple concret de politique publique dont le succès est corrélé à notre capacité à agir au plus vite au service de ses bénéficiaires. Les porteurs de projets concernés évoluent par nature dans des secteurs innovants. Plus que d'autres, ils dépendent donc de notre capacité à rapidement identifier leurs besoins et traiter leurs demandes. Le Président de la République ne disait pas autre chose lorsqu'il affirmait, lors du lancement du plan : « Je veux des crédits vite ».

Certains bénéficiaires du plan ont témoigné d'une charge administrative très lourde pour une entreprise naissante. Le seul fait que des entreprises plus importantes soient obligées de payer des cabinets spécialisés ou de créer des postes dédiés à la préparation des dossiers de candidature aux aides publiques soulève des questions sur l'efficacité de la gestion des deniers publics.

En outre, la complexité des procédures du plan France 2030 est expressément citée dans les 80 propositions contre la complexité administrative, publiées le mois dernier par la Confédération des PME.

Quelles actions concrètes le SGPI et les opérateurs du plan entendent-ils mener pour simplifier les dossiers de procédure et condenser les délais d'instruction ? Êtes-vous capable d'évaluer votre démarche de simplification ? Avez-vous atteint en 2023 votre objectif de 28% de dossiers instruits en moins de cinq mois par les opérateurs ?

Que pensez-vous de la proposition de raccourcir la procédure d'instruction en créant une phase de pré-dépôt, à l'instar d'autres subventions, ce qui permettrait d'identifier en amont les porteurs de projets éligibles ?

Pour ma part, j'aimerais vous interroger sur la nature des projets financés, en particulier sur la manière dont vous vous assurez que les crédits du plan ne viennent pas se substituer à des crédits budgétaires ministériels.

En effet, comme le soulignait le rapport Juppé-Rocard à l'origine des PIA, les investissements stratégiques doivent être étanches par rapport au reste du budget. Ce critère, que l'on désigne techniquement comme le principe de non-substitution des crédits, ne saurait être réduit à une question simplement budgétaire. Il recouvre en réalité une question essentiellement politique, qui concerne la légitimité même du plan.

De notre point de vue de parlementaire, nous pouvons accepter que des actions exceptionnelles soient sanctuarisées et bénéficient d'un cadre extrabudgétaire, qui limite notre intervention annuelle dans le vote des crédits. En revanche, il est essentiel de nous assurer que le plan France 2030 ne devienne pas une voie de contournement de la procédure parlementaire afin de financer des actions courantes des ministères sans passer par un vote annuel du Parlement.

Cette question de méthode a été soulevée de longue date, notamment par le comité de surveillance des investissements d'avenir dans ses deux rapports de 2019 et de 2023. Dans ce dernier, le comité estime que 18% des aides du plan présentent un risque de substituabilité élevé.

Envisagez-vous d'engager une revue de portefeuille des actions financées par le plan France 2030 pour réintégrer au budget ministériel, et donc à la procédure budgétaire conventionnelle, les actions présentant un risque de substituabilité élevé ? Que pensez-vous de la création d'une procédure de saisine du comité de surveillance en cas de doute sur le respect du principe de non-substitution par l'un des projets ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Voilà moins d'un an, la Première ministre de l'époque, Élizabeth Borne, présentait le « baromètre des résultats de l'action publique ». Derrière ce nom assez volontariste, le Gouvernement entendait rendre compte des actions entreprises par l'exécutif dans soixante politiques dites prioritaires.

Par conséquent, vous avez élaboré une batterie d'indicateurs qui doivent permettre de suivre en détail la progression du plan. Toutefois, je regrette que l'annexe générale au projet de loi de finances consacrée au plan France 2030 n'intègre pas une actualisation de ces indicateurs pour nous permettre de mesurer précisément les effets concrets du plan.

Sur les vingt-quatre indicateurs que vous avez conçus, le seul qui soit rendu public concerne le montant des aides attribuées. Le citoyen est en mesure de savoir combien nous avons dépensé, mais on l'informe peu sur les conséquences de ces dépenses...

J'aimerais à mon tour évoquer le principe de non-substitution des crédits. Le Président de la République a choisi de mettre en place le plan France 2030 pour aller plus vite, pour éviter la suradministration... Or les dernières données dont nous disposons sont à cet égard préoccupantes. Ne s'agit-il pas d'éviter l'évaluation et le contrôle de la dépense publique par le Parlement ? Manifestement, nous ne sommes pas gagnants...

Le plan France 2030 prévoit une enveloppe substantielle d'investissements - 2,7 milliards d'euros - dans le secteur alimentaire. Cependant, comme pour les autres actions, on constate une tentation d'utiliser les crédits du plan France 2030 pour compenser des réductions de dépenses sur des lignes budgétaires conventionnelles. L'utilisation récente du plan France 2030 pour financer le plan « Fruits et légumes » du Gouvernement est à cet égard symptomatique.

Que pensez-vous de cette situation ? S'agit-il de dépenses correctement fléchées au regard des objectifs initiaux du plan ? À l'évidence, cela pose un problème de sincérité budgétaire et de respect des engagements du Gouvernement.

M. Claude Raynal, président. - Le plan France 2030 prend la suite des PIA. Sur les volets successifs du PIA, nous avons eu accès a posteriori à des indicateurs chiffrés sur les dépenses engagées. Je trouve cependant que nous manquons d'une évaluation qualitative de ces PIA. Au tout début de ma vie professionnelle, j'ai été dans ce monde de l'innovation, et je suis toujours à la recherche de résultats qualitatifs. Dépenser de l'argent, c'est une chose ; savoir si cette dépense a permis de faire évoluer les secteurs concernés de manière visible en est une autre. Or cet élément clef de lecture manque ici.

Le sujet n'est pas de dépenser, mais d'être attentif aux bons projets. Dans le secteur de l'innovation, il faut accepter les chutes, les échecs pour de multiples raisons - évolution des technologies, concurrence internationale, etc.

Toutefois, nous devrions analyser ce qui s'est fait sur les PIA à l'aune de cette vision qualitative, que j'appelle de mes voeux, de manière à mettre au point une méthode de lecture de la réussite - ou de la réussite moyenne - de France 2030. Nous avons besoin de ce type d'outils.

Vous avez souligné que la consommation des crédits par secteur est variable, ce qui est somme toute logique. Il se trouve que je suis un passionné de politique spatiale. Or il me semble que ce secteur est un peu en retard à cet égard pour la consommation des crédits du plan France 2030. Dans des domaines aussi spécifiques, la question de l'équilibre entre start-ups et grands groupes en termes d'innovation est peut-être à ajuster. La compétition spatiale est extrêmement lourde ; nos concurrents sont américains, chinois, russes... Pourriez-vous nous dire un mot de l'action de France 2030 en soutien de la politique spatiale ?

M. Bruno Bonnell, secrétaire général pour l'investissement. - En ce qui concerne la simplification des procédures, nous avons porté les délais d'instruction des dossiers à six mois. Il s'agit d'un bon équilibre : la bonne gestion des deniers publics suppose une étude attentive des experts.

J'ai été chef d'entreprise durant quarante ans. Tout au long de ma carrière, j'ai eu la chance de ne jamais devoir demander de l'argent public. Pour autant, j'ai un sens aigu de l'urgence, notamment dans le secteur de l'innovation. Mais si je comprends cette urgence, nous avons aussi un devoir de tri, de sélection. Les délais sont trop longs ? Nous les avons quasiment divisés par trois depuis mon arrivée !

Sur la simplification des procédures en elles-mêmes, nous nous appuyons sur des relais territoriaux pour développer l'ingénierie locale, notamment au travers des CCI et des centres économiques de région. Avec Renaud Muselier, par exemple, nous avons mis en place un service chargé d'évaluer l'éligibilité des demandes. Cette expérimentation de « pré-dépôt » mériterait d'être étendue.

Je rappelle que France 2030 ne fait pas de capacitaire : nous n'augmentons pas les capacités de production, nous ne finançons pas de bâtiments ni d'infrastructures, contrairement à ce qui s'est fait dans le cadre de France Relance. Nous nous efforçons de trouver des solutions d'ingénierie les plus proches possible du terrain, ce qui fonctionne bien dans la plupart des cas.

Dans la mesure où nous distribuons des sommes faramineuses, s'élevant parfois à plusieurs dizaines de millions d'euros, il est de mon devoir de faire respecter une procédure de contrôle minimum.

Les opérateurs ont quelques réticences avec la procédure de pré-dépôt que j'évoquais à l'instant, parce qu'ils ont l'impression de faire deux fois le même travail. Nous avons mis en place un système CRM qui permet d'identifier chaque entreprise candidate et de permettre à celle-ci de savoir dans quelle phase de la procédure elle se trouve.

Par ailleurs, lorsqu'un dossier est refusé, nous expliquons au candidat les raisons de ce refus, libre à lui ensuite de représenter une nouvelle demande en tenant compte de nos remarques.

Monsieur Dossus, la question de la substitution de nos crédits à ceux des ministères est mon cauchemar quotidien. France Relance avait été pensé pour préserver l'outil industriel et productif français après l'épreuve de la covid. France 2030, au contraire, doit pousser les entrepreneurs vers l'innovation. Je ne vous cacherai pas que nous avons des débats quotidiens sur certaines demandes ministérielles, auxquelles nous opposons très souvent une fin de non-recevoir pour ne pas tomber sous le coup des substitutions.

Nous avons procédé à une reprogrammation des crédits du plan. Les quelques informations parcellaires qui ont été diffusées sur un « recalibrage » de France 2030 sont fausses. En accumulant les annonces ministérielles censées être soutenues par France 2030, nous étions en excédent de 8 milliards d'euros. J'aurais dû financer 62 milliards d'euros de projets avec une dotation de 54 milliards... Nous avons dû procéder à un « nettoyage » pour focaliser notre action sur les objectifs visés par le Président de la République et éviter tout effet de bord. Les 18 % que vous évoquez, monsieur Dossus, ont été relevés par le comité de surveillance des investissements d'avenir avant que nous ne procédions à ce nettoyage. Nous avons précisément travaillé sur cette question.

Il y a deux manières d'aborder le plan « Fruits et légumes », monsieur Husson. Soit l'on considère qu'il s'agit d'une substitution budgétaire visant à calmer la colère des maraîchers, qui sont dans une situation dramatique ; soit l'on considère, et c'est notre position, que ce plan de 100 millions d'euros est spécifiquement orienté vers la transformation des exploitations. Il s'agit, par exemple, de financer de nouveaux types de serres, la robotisation... Ce plan est tourné vers l'innovation pour faciliter la transformation de l'activité en question. Je reconnais que cette opération, qui a un caractère exceptionnel, peut être diversement interprétée. Il faut trouver le bon équilibre entre réponse d'urgence à une profession en grande difficulté et perspectives de transformation.

Monsieur le président, vous m'avez demandé de dresser un bilan des programmes d'investissements d'avenir. Ce que je peux vous dire, c'est que les initiatives d'excellence (Idex) destinées aux universités, les moyens alloués aux centres hospitaliers universitaires (CHU) en vue de favoriser une recherche de pointe en France, les crédits alloués au développement de la fibre sont autant de décisions à mettre au crédit des premiers PIA.

Au-delà des chiffres, il faut certainement davantage communiquer sur le sujet et expliquer que, si l'État n'avait pas lancé ces programmes, le profond mouvement de transformation du pays que nous constatons ne serait pas engagé. Désormais, la France est sur le podium, parfois même sur la première marche, dans de nombreux secteurs d'innovation.

Enfin, puisque vous l'avez évoqué, permettez-moi de vous dire que je partage votre passion pour l'espace, un domaine en plein bouleversement puisque, dans les vingt ans à venir, on construira dans l'espace. Il y aura probablement deux ou trois stations orbitales, publiques ou privées, autour de notre planète.

La France doit rester une puissance spatiale de premier plan : c'est un enjeu à la fois géopolitique et stratégique, tant dans le domaine de la défense qu'en matière civile. Nous consacrons aujourd'hui 1 milliard d'euros à cette problématique, pour créer une véritable dynamique et encourager le New Space, c'est-à-dire les nouveaux acteurs du secteur.

À cet égard, j'ai été très surpris de constater qu'une quinzaine de start-ups avaient répondu à l'appel à projet spatial pour le développement de microlanceurs, lancé dans le cadre de France 2030. On peut raisonnablement penser que, parmi ces quinze sociétés, se trouve l'une des entreprises spatiales de référence d'ici à quinze ans.

Pour autant, nous ne devons pas commettre la même erreur que dans le domaine nucléaire : il ne faut pas abandonner toutes les compétences accumulées par les grands groupes.

Aussi, notre stratégie doit être duale : soutenir les petites sociétés, les encourager à se regrouper si besoin, tout en continuant à accorder notre aide aux grandes entreprises, lesquelles disposent de connaissances historiques qu'il ne faut surtout pas négliger.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Monsieur le secrétaire général, pourriez-vous répondre à ma question sur les indicateurs ?

M. Bruno Bonnell. - Je reconnais bien volontiers que nous avons eu besoin d'un peu de temps pour mettre en place ces indicateurs.

Cela étant, je peux vous en citer au moins un : l'indicateur consistant à consacrer 50 % de nos dépenses à la décarbonation de l'économie. Je vous informe que 48 % de nos crédits y sont alloués. Nous ne sommes donc pas très loin du but, d'autant que des projets très importants sont en cours, comme celui d'ArcelorMittal, qui investit massivement pour décarboner son site de Dunkerque.

Je le redis, nous avions besoin d'un peu de recul pour développer efficacement les projets que nous soutenons et être en mesure de livrer des données tangibles - et pas seulement prospectives.

Quoi qu'il en soit, monsieur le rapporteur général, je m'engage à vous communiquer tous ces indicateurs de manière très précise, et ce d'autant plus qu'ils sont très bons pour ce qui nous concerne.

Mme Vanina Paoli-Gagin. - En tant que corapporteur de la mission « Recherche et enseignement supérieur », je tiens évidemment à souligner l'importance du financement de l'innovation, laquelle est indispensable pour préparer l'avenir de notre pays. Je salue l'action du plan France 2030, a fortiori parce que, comme tous les autres élus des territoires, j'observe que les choses bougent.

Pour autant, je m'interroge sur les modes de financement innovants. France 2030 a peut-être tort de continuer de se tourner vers des modèles d'entreprise très classiques. Nous avons certainement des leçons à tirer du récent basculement de siècle.

J'étudie tous les écosystèmes d'innovation et de création d'entreprises depuis une trentaine d'années en France, en Asie et aux États-Unis ; je constate que notre pays manque d'audace, d'autant que nous comptons de nombreuses petites start-ups très performantes dans des secteurs de niche qui, hélas, ne parviennent pas à passer un certain cap de chiffre d'affaires.

Je suis persuadée qu'il serait utile de créer des plateformes ou des fonds de build-up, ces entreprises très prometteuses, pour assurer l'émergence de mini-champions dans des domaines technologiques ou de métiers très spécifiques. Nous ne bénéficions pas, comme en Allemagne, d'un véritable Mittelstand, le nombre d'entreprises de taille intermédiaire n'est pas suffisant : ce n'est pas, hélas, dans la culture de notre pays. Il est grand temps de penser autrement.

Dans la même veine, ne serait-il pas souhaitable d'étendre le périmètre de l'appel à projets « Première usine » ? Une première usine sur un territoire donné doit pouvoir travailler pour tout le monde, devenir une sorte de fab lab, de tiers-lieu, qui permet de mutualiser les moyens de production disponibles entre les différents acteurs.

Les indicateurs que vous avez mis en place nous permettront-ils de regagner du terrain et d'atteindre - enfin ! - les fameux objectifs de Lisbonne ?

Pour terminer, permettez-moi de poser deux questions au nom de M. Jean-François Rapin, corapporteur des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur.

Le plan France 2030 prévoit une enveloppe de 5,7 milliards d'euros spécifiquement dédiée à l'écosystème de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, notamment pour financer les fameux programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR). Le secrétariat général pour l'investissement a-t-il engagé une réflexion pour tenter de préciser de manière très fine les périmètres d'intervention respectifs du plan France 2030 et du ministère de la recherche ? Nous avons en effet besoin de lisibilité sur les relais de financement à long terme des programmes qui sont appelés à être prolongés au-delà de France 2030.

Enfin, eu égard au délai particulièrement long - dix-neuf mois - qu'a nécessité le lancement de ces fameux PEPR exploratoires par l'Agence nationale de la recherche, quelles réformes mettez-vous en oeuvre pour vous assurer que cet opérateur dispose des capacités suffisantes pour garantir un suivi plus réactif et opérationnel de ces programmes ?

M. Antoine Lefèvre. - Le rapport remis par le comité de surveillance des investissements d'avenir à la Première ministre le 30 juin dernier faisait état de données particulièrement enthousiasmantes sur l'avancement des chantiers d'investissement du programme France 2030.

Il évoquait notamment le rythme soutenu de décarbonation de l'industrie productrice d'intrants avec, en 2025, une diminution de 1,7 mégatonne des émissions de CO2 par rapport à celles de 2022, et un objectif final de 6 mégatonnes d'émissions de gaz carbonique en moins en 2030 par rapport à 2022.

Pourtant, notre industrie est particulièrement dépendante des intrants, notamment dans le secteur agricole : ainsi, environ 80 % des engrais utilisés en France sont achetés à des pays comme les États-Unis, l'Égypte, la Russie ou le Qatar ; nous dépendons largement de pays producteurs d'énergies fossiles, encore nécessaires à la fabrication de certains engrais minéraux.

Dans quelles proportions les investissements de France 2030 sont-ils fléchés vers le développement, en quantité suffisante, d'intrants domestiques décarbonés, et ce pour limiter notre dépendance vis-à-vis de l'extérieur ?

M. Jean-Baptiste Blanc. - Monsieur le secrétaire général, dans le cadre du plan France 2030, prenez-vous en considération la question foncière ? Vous n'êtes pas sans savoir que la problématique du « zéro artificialisation nette » nous préoccupe beaucoup, ici, au Sénat.

M. Stéphane Sautarel. - Je tiens tout d'abord à témoigner de la bonne territorialisation du programme, qui tient, en tout cas dans mon département, le Cantal, à deux facteurs : d'un côté, des services de l'État, en particulier les préfets, très engagés dans la démarche engagée via France 2030, qui accompagnent et prolongent votre action ; de l'autre, la bonne conciliation du plan et du programme « Territoires d'industrie ». Je tiens tout particulièrement à saluer le travail des chargés de mission, qui contribuent au pilotage des projets sur le terrain.

En m'appuyant sur l'exemple que vous avez cité, monsieur le secrétaire général, celui de l'entreprise Biose à Aurillac, je peux aussi témoigner du fait que les initiatives de France 2030 sont accessibles et globalement adaptées.

Enfin, je veux insister sur le troisième objectif clef de France 2030, celui de la décarbonation de notre industrie : ce dispositif doit s'adresser aux PME et pas seulement aux grandes entreprises, en particulier dans le secteur agroalimentaire, si l'on veut atteindre nos objectifs en matière de souveraineté alimentaire et, plus particulièrement, le sixième objectif du plan, à savoir l'investissement dans une alimentation saine, durable et traçable.

Ce volet est primordial pour nos territoires, nos entreprises et notre pays, bien qu'il ne vienne pas spontanément à l'esprit quand il est question d'innovation. Au-delà des moyens financiers, j'insisterai pour ma part sur les besoins en matière de formation, un secteur dans lequel des améliorations sont encore possibles - à ce titre, les relations entre les promoteurs de France 2030 et les régions sont essentielles -, et sur la question foncière, véritable angle mort de nos politiques.

Mme Nathalie Goulet. - Hasard du calendrier, nous vous auditionnons après avoir étudié la question du financement des entreprises de l'industrie de défense française.

Puisqu'il a été question de coordination tout à l'heure, vous nous avez parlé de France Stratégie, mais vous n'avez pas dit un mot du commissariat au plan : qu'en est-il exactement de l'implication de cette structure dans le plan France 2030 ?

Par ailleurs, quelles actions menez-vous pour associer le système bancaire au plan France 2030 ? Entretenez-vous des liens spécifiques avec les établissements bancaires ?

Enfin, quid des coupes budgétaires que le Gouvernement a récemment annoncées ? Ces restrictions auront-elles un effet sur votre action ?

M. Michel Canévet. - Dans le cadre de la mise en oeuvre du plan France 2030, seuls 50 % des crédits sont mobilisés, dont seulement un peu moins de 10 % sont effectivement décaissés. À quoi cela tient-il ? Êtes-vous confronté à des difficultés de financement ?

Ma deuxième question porte sur la nature des investissements pris en compte. Dans le cadre des précédents PIA, on a pu observer qu'un certain nombre de projets, qui n'avaient pourtant, à notre sens, rien à voir avec des investissements réellement d'avenir - je pense à la rénovation du Grand Palais à Paris -, avaient été financés par ce biais. Pour ce qui concerne France 2030, a-t-on la certitude que l'ensemble des actions engagées apporteront une valeur ajoutée à notre pays ?

Ma troisième question a trait au financement des entreprises : assurez-vous une veille de ces sociétés, pour éviter qu'elles ne passent sous pavillon étranger ?

Ma dernière question concerne les fonds sous-marins, un sujet qui me préoccupe au plus haut point. La mise en oeuvre particulièrement laborieuse des projets dans ce domaine tient-elle à la position quelque peu attentiste de notre pays sur la question de l'exploration des fonds ? Ou cela s'explique-t-il tout simplement par l'absence de projets innovants ?

M. Vincent Capo-Canellas. - Monsieur le secrétaire général, France 2030 investit pour accélérer le développement de l'avion bas-carbone. Quelles mesures avez-vous prises pour travailler sereinement avec la filière aéronautique et tenter d'atteindre cet objectif ambitieux, en évitant toute substitution de crédits ?

La filière aérienne est d'ores et déjà engagée dans une démarche de décarbonation de son industrie. Pourriez-vous préciser la nature de vos relations avec le Conseil pour la recherche aéronautique civile (Corac), lequel s'appuie sur des modes de financement traditionnels, de droit commun, dont l'horizon est peut-être plus proche que celui des crédits alloués dans le cadre du plan France 2030 ?

Par ailleurs, France 2030 - et c'est heureux ! - vise à financer la production et la distribution d'hydrogène. Il faut sans doute soutenir l'investissement dans ce domaine, mais il faut surtout faire en sorte que les marchés arrivent à maturité : sans client solvable, à quoi bon investir ? Dans ce domaine, comment coordonnez-vous votre action avec celle de l'Ademe ?

M. Raphaël Daubet. Si je salue également la dynamique qui est lancée, j'identifie trois freins.

Tout d'abord, comme plusieurs de nos collègues l'ont relevé, une simplification administrative est nécessaire. La lourdeur des procédures et le manque d'agilité empêchent la mutation industrielle du pays.

Je rejoins MM. Jean-Baptiste Blanc et Stéphane Sautarel sur l'aménagement du foncier économique : il est trop compliqué d'obtenir des autorisations d'urbanisme.

De plus, depuis la fin des ateliers relais qui existaient pour les collectivités, il est difficile pour une intercommunalité de faire construire de l'immobilier d'entreprise.

Ensuite, le partenariat avec les collectivités doit être renforcé. Le plan ne réussira pas sans une interaction suffisante entre l'État et les collectivités pour faire converger l'effort et prendre en compte les filières et les territoires.

Vous avez évoqué la régionalisation, qui reste à mon sens une strate quelque peu stratosphérique. Quid des intercommunalités, qui ont un rôle croissant dans la relocalisation du développement économique ? Seront-elles réellement associées et, le cas échéant, comment ?

Enfin, nous faisons face à un problème de logement. Les chefs d'entreprise déplorent le manque de main-d'oeuvre et la difficulté de la loger. Sans relance de notre politique du logement, la réindustrialisation de notre pays ne pourra pas advenir.

M. Didier Rambaud. Je suis, avec Vincent Éblé, rapporteur spécial de la mission « Culture ». Le 20 mars, la Cour des comptes rendra un rapport dont les conclusions devraient être très sévères sur la façon dont les crédits de France 2030 ont été ventilés dans ce secteur spécifique.

La culture est un domaine vaste et diffus. Quel regard portez-vous sur les investissements d'avenir en la matière ? Le ministère de la culture sera-t-il de nouveau chef de file dans le pilotage de ces investissements culturels ?

Par ailleurs, je suis, comme vous, un Rhône-Alpin et je me préoccupe donc du sort des stations de ski, en particulier de moyenne montagne. Des projets seront-ils fléchés dans le cadre de France 2030 pour favoriser la reconversion économique de ces stations ?

Mme Florence Blatrix Contat. On ne peut que saluer la volonté de développer l'innovation, qui est un facteur de compétitivité essentiel en vue de notre réindustrialisation.

La souveraineté numérique, vous l'avez indiqué, est essentielle dans les domaines de l'intelligence artificielle et de la cybersécurité, ainsi que pour développer un internet moins consommateur d'énergie. Il convient donc de soutenir l'émergence des pépites dans le secteur, mais aussi d'assurer une présence de l'État à leur côté dans la durée.

En effet, des cas récents posent question : des données de santé ont été confiées à Microsoft, et EDF a délégué une partie de la gestion de son système d'information à Amazon.

Comment échapper à une forme d'injonction contradictoire ? Comment faire en sorte que les entreprises que nous aurons soutenues dans le cadre de France 2030 évitent cet écueil et atteignent une taille critique ?

Par ailleurs, où en sommes-nous sur les promesses de créations d'emplois ? Quelle sera la typologie des futurs emplois en termes de qualification ?

M. Bruno Bonnell, secrétaire général pour l'investissement. - J'affronte une rafale de questions mais j'en suis ravi, car cela montre l'intérêt que vous portez au plan France 2030, qui est - c'est fondamental - systémique.

Vous avez raison de parler du foncier, du logement, de l'emploi, mais il ne faut pas oublier la formation, qui constitue l'une des pierres angulaires de France 2030, au travers notamment du dispositif Compétences et métiers d'avenir. Nous entendons former des bataillons de femmes et d'hommes pour exercer les métiers d'avenir dans les secteurs que nous avons évoqués - hydrogène, nouvel aérien, espace, fonds marins... -, mais également reformer des personnes exerçant des métiers voués à reculer, par exemple autour du moteur thermique.

Madame Paoli-Gagin, vous appelez à des financements plus audacieux. Pour vous donner un exemple de notre manière d'aborder le problème, je citerai le programme French Tech 2030, qui récompense les 125 lauréats des lauréats, c'est-à-dire la crème de la crème. Pour identifier ces futurs champions de la croissance, nous nous sommes fondés non seulement sur leurs fonds propres, mais aussi sur leur chiffre d'affaires et leur dette, afin d'évaluer leur capacité à financer leur développement.

C'est une approche nouvelle qui montre bien que nous tentons de raisonner différemment, en modifiant la règle pour anticiper la pérennité future d'une jeune entreprise.

En ce qui concerne « Première usine », il s'agit avant tout d'une entreprise qui décide de construire une usine. Si celle-ci veut mutualiser localement ses moyens, j'y suis favorable, mais ce n'est pas à nous de lui imposer. Nous devons laisser aux entrepreneurs la liberté d'inventer leur usine du futur sans leur mettre de freins.

Pour vous répondre sur la recherche, lorsque nous lançons des PEPR exploratoires, nous lançons des ballons-sondes très loin, à très long terme, par exemple sur le codage de l'ADN ou sur l'évolution des médicaments. Il convient donc de prendre notre temps. Imaginez : lorsque nous avons lancé ce plan voilà deux ans, ChatGPT n'existait pas. En deux ans, le paysage de l'intelligence artificielle a été bouleversé.

Aussi, je trouve préférable de disposer de PEPR exploratoires à mèche longue plutôt que d'engager, de manière précipitée, des crédits trop importants dans des technologies nouvelles, au risque de céder à un effet de mode et d'épuiser notre capacité d'investissement.

Monsieur Lefèvre, tout le pari de la transformation agricole est de sortir de notre dépendance aux intrants carbonés, qui dégradent considérablement l'environnement. Nous affectons 2 milliards d'euros à cet effet, qui se répartissent dans trois domaines.

Le premier, c'est la recherche sur les produits phytosanitaires, au travers notamment du plan Écophyto, pour trouver des substituts aux intrants. Nous avons déjà de beaux exemples de réussite, comme l'entreprise Elicit Plant, qui propose des solutions pour remédier au stress hydrique dans les productions céréalières, ou encore Agriodor, qui met au point des systèmes fondés sur les phéromones pour éloigner les insectes des cultures de betteraves. De nombreuses jeunes entreprises françaises travaillent pour apporter des substituts aux intrants.

Le deuxième, c'est le soutien aux agriculteurs, par des combinatoires, pour qu'ils réalisent cette transition. Nous avons par exemple annoncé hier, au salon de l'agriculture, une aide à destination d'une grande coopérative agricole, Vivescia. L'objectif est que l'amont soit plus vertueux et que l'aval soit moins affecté par le prix de cette vertu - car des agriculteurs se montrant vertueux ne trouvent pas d'acheteurs à cause de prix trop élevés. Nous voulons faire tampon pour récompenser l'audace de ce pari de la vertu.

Le troisième, vous l'avez évoqué, c'est le foncier. Une réflexion est en cours sur les transmissions agricoles avancées et des annonces seront faites dans les prochaines semaines.

Madame Goulet, nous travaillons évidemment avec le Haut-Commissariat au plan et France Stratégie pour dessiner des perspectives et tracer les grandes tendances de demain - c'est l'exercice le plus compliqué. Au sein du SGPI, une cellule de veille interagit avec ces services et avec des services de renseignement économique à portée internationale. Nous essayons de mener un dialogue le plus fructueux possible pour ne pas nous fourvoyer sur la temporalité des technologies - j'aborderai l'hydrogène dans un instant.

L'innovation, c'est comme le surf : si vous laissez passer la vague, il ne se passe rien ; si vous partez avant la vague, vous la prenez sur la figure ; si vous partez sur la vague, vous avez gagné. Nous sommes les surfeurs de l'innovation et nous devons nous garder d'une forme de rigidité idéologique, en nous laissant la possibilité de déplacer les curseurs si nécessaire.

Ainsi, les informations du Haut-Commissariat au plan et des services économiques de l'État ainsi que celles que nous recueillons à l'international nous permettent de nous forger des convictions. C'est pourquoi le SGPI compte soixante-dix salariés : nous ne nous contentons pas de faire de la distribution budgétaire à des opérateurs, nos experts ont un rôle d'appréciation.

En ce qui concerne les établissements bancaires, je crie à l'alerte rouge. Les banques ne jouent pas assez le jeu, je le dis aussi sèchement que je le pense. Les grandes difficultés que rencontrent les petites entreprises découlent non pas d'un manque de soutien de l'État, mais d'une forme d'inexplicable réserve de la part des banques. Nous devons déverrouiller le système bancaire. Qu'on ne m'explique pas qu'il s'agit de bonne gestion : c'est un travail collectif. Comme au rugby, chacun doit jouer le jeu.

D'une part, nous devons réveiller le secteur privé pour qu'il apporte son soutien économique au côté des financements publics. Bruno Le Maire pousse en ce sens, et nous le faisons également sur chaque dossier avec Bpifrance.

D'autre part, nous devons réveiller le secteur bancaire pour qu'il apporte également son soutien. Prenons l'exemple de Verkor.

M. Didier Rambaud. - Dans l'Isère !

M. Bruno Bonnell, secrétaire général pour l'investissement. - Tout à fait. Il s'agit d'une très belle opération, que nous avons accompagnée au travers des plans successifs, depuis le centre de recherche où ils ont élaboré leurs nouvelles batteries jusqu'à la construction d'une gigafactory dans le nord de la France. Parmi les 2 milliards d'euros de soutien dont ils bénéficient, France 2030 apporte une subvention de 600 millions d'euros et 60 millions d'euros de fonds propres, au côté de 800 millions de capitaux privés et de 650 millions de crédits bancaires, pour construire une usine qui durera cinquante ans. Voilà qui est vertueux ! Nous avons exercé un effet de levier très positif sur l'opération globale.

Nous ne sommes pas concernés par les coupes budgétaires. Notre budget a été sanctuarisé. À date...

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Il n'y a plus de date, elle a changé il y a dix jours !

M. Bruno Bonnell, secrétaire général pour l'investissement. - À l'heure où je vous parle, nous ne sommes pas touchés, et nous n'avons eu aucune information sur le fait que nous pourrions l'être.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous non plus...

M. Bruno Bonnell, secrétaire général pour l'investissement. - Monsieur Canévet, le décaissement est un sujet important : nous lançons des projets qui doivent arriver à maturité au bout de plusieurs années. Attendez-vous donc à ce qu'il y ait davantage de décaissement au fil des ans, lorsque les projets décolleront. Je serai très vigilant sur le respect des engagements pris par les entreprises dans les conventions. Il ne s'agit pas d'un chèque en blanc, nous ferons preuve d'une bienveillance rigoureuse : un industriel peut accuser un retard de quelques semaines, mais pas de quelques années.

Faut-il soutenir les industries culturelles et créatives ? Nous avons assisté à une présentation de la stratégie d'innovation de la Corée du Sud pour les vingt prochaines années. Le pilier de leur innovation est d'imposer la culture coréenne à l'échelle mondiale. L'État coréen investit donc pour promouvoir la K-pop, les mangas, les films ou les romans coréens, pour développer les soft skills de la nation. Ce n'est pas idiot : ils créent des standards et peuvent développer une machine de guerre en matière de production culturelle.

Les industries culturelles et créatives participent de l'exception française, au côté de la francophonie et de notre histoire culturelle. Cela étant dit, je ne m'engagerai pas sur la rénovation du Grand Palais, que je n'ai pas décidée.

La question pourrait également se poser pour les Compétences et métiers d'avenir : France 2030 a-t-elle vocation à soutenir cet appel à manifestation d'intérêt ? Mais si nous ne disposons pas de travailleurs formés pour faire tourner les futures usines que nous finançons, nous nous prendrons un mur ! Nous allons former plus de 1 million de personnes aux métiers d'avenir d'ici à 2030. Il s'agit d'une vraie révolution.

On crée des lycées agricoles enseignant les nouvelles méthodes d'agriculture, des écoles nationales de la batterie, de l'hydrogène ou encore du nucléaire ; à ce titre, avec la région Normandie, nous sommes en train de fabriquer une véritable machine de guerre, afin de former les plus de 50 000 personnes dont l'industrie du nucléaire aura besoin demain.

En matière d'innovation, gardons-nous des approches purement productivistes. Il faut évidemment chercher la valeur ajoutée, mais il faut aussi prendre en compte un certain nombre de nuances.

De même, il faut éviter de financer de jeunes pousses qui, sitôt grandies, deviendront américaines ou chinoises. Nous nous efforçons de trouver une méthode, mais c'est très compliqué légalement, car on ne peut écrire dans un contrat que tels ou tels crédits devront être remboursés si l'entreprise est vendue, à telle ou telle échéance, à un propriétaire étranger. Il faut procéder de manière plus subtile, notamment via des formes de financement originales.

Pour ce qui concerne les fonds marins, nous ne sommes pas du tout attentistes. Simplement, le chef de l'État a fixé la ligne rouge en indiquant que, sous sa présidence, on ferait de l'exploration et non de l'exploitation. Nous menons donc de nombreuses campagnes d'exploration ; la plupart des crédits dédiés aux fonds marins financent d'ailleurs des missions d'exploration assez complexes, par exemple au Vanuatu, pour déployer des câbles sous-marins intelligents, équipés de capteurs permettant d'obtenir un certain nombre de données scientifiques. Il est évident que je ne peux m'exprimer publiquement sur l'ensemble des enjeux, puisque nous soutenons un certain nombre de technologies duales, en lien avec la direction générale de l'armement (DGA) et l'Agence de l'innovation de défense (AID).

En matière de transport aérien, je tiens à insister sur une bonne nouvelle : le premier vol habité d'un avion à hydrogène a eu lieu hier, et cet avion est français. Il a été conçu par Beyond Aero avec l'aide du plan France 2030. Nous travaillons en lien étroit avec le Conseil pour la recherche aéronautique civile afin d'éviter le grand risque de la substitution budgétaire. Dans le domaine de l'aviation, la France dispose d'une organisation particulièrement solide. C'est sans doute le secteur où l'on identifie le plus facilement la chaîne d'investissement. J'ajoute que l'équilibre est bon entre les petites entreprises et les plus grandes.

Je le confirme, il ne s'agit pas d'un avion décarboné, mais d'un avion bas-carbone. Pour ce qui concerne les carburants de synthèse, ou e-fuels, des solutions existent sans doute, mais elles exigent encore des investissements massifs. En outre, à l'horizon 2030, les avions électriques et à hydrogène restent de petit gabarit. Sans doute irons-nous un jour vers un avion totalement décarboné, mais, pour l'heure, l'objectif est de réduire les émissions de carbone.

En matière de foncier, nous travaillons avec les territoires. Nous nous efforçons d'implanter les usines, non sur des friches, mais sur des sites existants. Nous tentons aussi de les installer - c'est ce qui se fait dans certains pays du Nord - dans des immeubles de bureau, que le développement du télétravail rend moins nécessaires.

Pour ce qui concerne le logement, vous prêchez un converti. La construction d'un réacteur EPR mobilisera 7 000 à 8 000 personnes sur site pendant sept à dix ans. La mise au point du prototype est très compliquée, je ne le nie pas ; mais je suis convaincu que nous nous acheminons vers une solution et que nous allons fabriquer ces nouvelles centrales nucléaires en série. De même, les gigafactories implantées à Dunkerque ont créé un besoin d'environ 12 000 logements. Nous avons donc lancé un plan massif de construction.

Nous sommes bel et bien face à une transformation du territoire et les intercommunalités doivent se saisir de chantiers que l'on aurait qualifiés en d'autres temps de « grands travaux ». Les territoires doivent absolument être associés à ces réflexions, qui sont de nature globale : Jean Castex, qui m'a nommé secrétaire général pour l'investissement, n'avait de cesse de le répéter.

À ce jour, j'ai visité quarante-deux départements. Je ne cesse de sillonner le pays et je vois bien que les villes moyennes font face à des tensions considérables en matière de logement. Cela étant, faut-il lancer un grand projet pour créer un nouveau marché du logement, ou bien créer des logements en partant du principe que de grands projets permettront de les remplir ? C'est un peu la poule et l'oeuf, et je ne suis pas ministre du logement...

Au sujet des stations de ski, j'insiste sur les dispositions du plan Innov Eau, notamment pour ce qui concerne les retenues collinaires. La problématique de l'eau en France va devenir très sérieuse, notamment en moyenne montagne ou encore dans le sud-ouest. Le plan Innov Eau doit permettre l'émergence d'un certain nombre d'idées, qu'il s'agisse de la filtration de l'eau de mer ou de la réutilisation de l'eau pour des usages agricoles.

Enfin, en matière de souveraineté numérique, nous n'allons pas nous mentir : quand on est au milieu du peloton, c'est très difficile de faire une échappée. Or, qu'il s'agisse du cloud ou de la 5G, nous sommes au milieu du peloton. La stratégie est donc plutôt d'identifier les entreprises présentes en tête de peloton et de les pousser pour qu'elles réussissent ; dans le cyber comme dans l'intelligence artificielle, ces acteurs sont très nombreux. Il faut mettre l'accent sur ces domaines et, ce faisant, passer d'une France « sous perf » à une France « sur-perf » : d'une France sous perfusion à une France sur-performante. Je mets à part les enjeux de défense, dont je ne puis évidemment pas parler ici.

M. Claude Raynal, président. - Vous avez été parlementaire et vous savez combien les membres des deux assemblées sont sensibles aux enjeux que représentent les investissements d'avenir. Vous venez de nous présenter un premier bilan d'étape du plan France 2030, après deux ans d'action ; êtes-vous d'ores et déjà en train de préparer le plan suivant ?

M. Bruno Bonnell, secrétaire général pour l'investissement. - Compte tenu des contraintes financières actuelles, il est difficile de demander une rallonge budgétaire dans l'immédiat. Notre manière de contribuer au futur plan, c'est, à ce jour, de mener un travail de veille technologique dans quelques domaines où la France ne peut pas manquer le rendez-vous, car elle dispose de véritables atouts. Je vais vous citer quelques exemples.

Le premier, c'est le secteur spatial. La France doit absolument rester dans la course, sachant que, même si l'Agence spatiale européenne (ESA) est aujourd'hui en difficulté, la problématique des lanceurs se déploiera à l'échelle du continent européen tout entier.

Le deuxième exemple, ce sont les ferments du futur. Vendredi prochain, je dois précisément lancer un important programme de recherche en la matière.

À cet égard, nous sommes en train de changer d'ère. Depuis la révolution industrielle, notre vie quotidienne est fondée sur la chimie du carbone. Je suis moi-même ingénieur chimiste de formation, spécialisé dans les polymères, et, quand je faisais mes études, le monde tournait autour du carbone. Or le XXIe siècle sera, lui, fondé sur les sciences de la vie.

Voilà pourquoi j'insiste sur la bioproduction d'engrais, de médicaments ou encore d'alicaments, à même d'améliorer la santé des personnes âgées ou des bébés. Nos grands-parents et arrière-grands-parents disaient : « Prends un bon steak de cheval et ça ira mieux. » Demain, nous aurons recours à ces substituts, offerts par la bioproduction.

Ce nouveau champ de recherche durera plusieurs décennies, peut-être même plusieurs siècles. À ce titre, nous recueillons tout un savoir auprès des acteurs du terrain, agriculteurs, chercheurs et représentants des entreprises, et nous traçons de grandes orientations pour que la France ne manque pas tel ou tel virage essentiel. La discussion budgétaire viendra ensuite, mais elle n'est pas pour demain, et je ne suis évidemment pas en mesure de vous donner les calibrages financiers.

Le troisième et dernier exemple, c'est l'intelligence artificielle. Notre pays dispose de formations de très grande qualité. Il est notamment fort de ses élites scientifiques, qui lui permettent de faire beaucoup plus et beaucoup mieux dans ce domaine.

Voilà ce que je pouvais vous dire quant à l'avenir. Cela étant, nous sommes des bâtisseurs de cathédrales, et les bâtisseurs des cathédrales ne voient jamais la fin de leur oeuvre...

M. Claude Raynal, président. - Ce sera, justement, le mot de la fin !

La réunion est close à 11 h 45.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.