Mercredi 7 février 2024

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

Projet de loi relatif à l'organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire et projet de loi modifiant la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution - Examen des amendements de séance sur les articles délégués au fond

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Cet après-midi seront examinés en séance publique le projet de loi relatif à l'organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire et le projet de loi modifiant la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.

Notre commission est en charge de l'examen au fond des articles 12 et 16 à 18 du projet de loi ordinaire. Elle s'est saisie pour avis de tous les autres articles des projets de loi ordinaire et organique. Dix amendements ont été déposés sur ces articles délégués. Notre rapporteur Patrick Chaize va nous indiquer son avis sur ces amendements.

M. Patrick Chaize, rapporteur pour avis. - Je précise que vingt-cinq de mes trente-sept amendements ont été adoptés dès le stade de la commission. Je redéposerai cinq amendements à titre personnel en séance publique. Par ailleurs, le président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) a souhaité reprendre trois de mes amendements qu'il déposera en son nom. Le bilan pour notre commission reste bien sûr à concrétiser, mais il est très positif à ce stade.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DE SÉANCE

Article 12

La commission émet un avis défavorable à l'amendement de suppression n°  30, de même qu'à l'amendement de réécriture n°  32. Elle émet un avis favorable à l'amendement de précision rédactionnelle n°  94.

Article 16

La commission émet un avis défavorable à l'amendement de suppression n°  73, de même qu'à l'amendement de réécriture n°  37.

Article 17

La commission émet un avis défavorable à l'amendement de suppression n°  74.

Article 17 bis

La commission émet un avis défavorable à l'amendement de suppression n°  75.

Article 17 ter

La commission émet un avis défavorable à l'amendement de suppression n°  77.

Article 18

La commission émet un avis défavorable à l'amendement de suppression n°  78, de même qu'à l'amendement de réécriture n°  38.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - On remarquera que le Gouvernement présente des amendements sans que les rapporteurs aient pu échanger avec l'exécutif et que nous ne savons toujours pas qui sera présent au banc des ministres cet après-midi. Voilà une drôle de façon de travailler !

M. Fabien Gay. - Je regrette que, sur la première partie de ce texte, les articles 40 et 45 de la Constitution aient été appliqués à très forte dose. En conséquence, en dehors des amendements du rapporteur - nous les avons votés d'ailleurs -, nous ne pourrons pas débattre en séance publique de la question des salariés, qui est pourtant au coeur de ce projet de loi. C'est un problème.

M. Patrick Chaize, rapporteur pour avis. - S'agissant de l'article 40, c'est arrivé à d'autres sénateurs sur ce sujet... Mais son appréciation relève de la commission des finances, au stade de la séance.

Les avis de la commission sur les amendements de séance sont repris dans le tableau ci-après :

Article 12

Auteur

N° 

Objet

Avis de la commission

M. SALMON

30

Suppression de l'article 12 modifiant la base légale du Haut-commissaire à l'énergie atomique (HCEA)

Défavorable

Le Gouvernement

32

Réécriture de l'article 12 modifiant la base légale du Haut-commissaire à l'énergie atomique (HCEA)

Défavorable

M. CHAIZE

94

Amendement de précision rédactionnelle

Favorable

Article 16

M. GAY

73

Suppression de l'article 16 autorisant la dérogation à l'obligation d'allotissement pour certains projets nucléaires

Défavorable

Le Gouvernement

37

Réécriture de l'article 16 autorisant la dérogation à l'obligation d'allotissement pour certains projets nucléaires

Défavorable

Article 17

M. GAY

74

Suppression de l'article 17 autorisant la dérogation à la durée maximale des accords-cadres pour certains projets nucléaires

Défavorable

Article 17 bis

M. GAY

75

Suppression de l'article 17 bis réintroduisant un critère de crédibilité des offres pour certains projets nucléaires

Défavorable

Article 17 ter

M. GAY

77

Suppression de l'article 17 ter réintroduisant une possibilité d'avenants pour certains projets nucléaires

Défavorable

Article 18

M. GAY

78

Suppression de l'article 18 autorisant la dérogation aux règles de publicité et de mise en concurrence pour certains projets nucléaires

Défavorable

Le Gouvernement

38

Réécriture de l'article 18 autorisant la dérogation aux règles de publicité et de mise en concurrence pour certains projets nucléaires

Défavorable

Audition de M. Sébastien Windsor, président de Chambres d'agriculture France

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous accueillons aujourd'hui M. Sébastien Windsor, président depuis 2020 de Chambres d'agriculture France, que nous remercions pour sa venue au milieu d'une actualité agricole pour le moins chargée.

Monsieur Windsor, bien qu'issu du milieu agricole, vous ne vous êtes installé, en polyculture-élevage, qu'après une formation d'ingénieur et un début de carrière hors agriculture. Vous avez ensuite exercé des fonctions de représentation, syndicales au sein de la Fédération française des producteurs d'oléagineux et de protéagineux (FOP), et institutionnelles, en présidant la chambre régionale d'agriculture de Normandie, avant de devenir plus récemment premier vice-président du Conseil économique, social et environnemental (Cese).

Vous présidez un établissement public à caractère administratif qui compte 8 200 collaborateurs et qui assume des missions de service public, comme l'identification des animaux ou l'animation du programme de développement agricole et rural. Vous assurez également la représentation du monde agricole au travers des élections consulaires, les prochaines ayant lieu en 2025.

Les chambres d'agriculture sont autant de « petits parlements » du monde agricole et forestier et, plus largement, de la ruralité. Ce n'est pas pour rien que plusieurs de nos collègues y ont exercé des responsabilités, notamment électives. De ce fait, elles étaient aux premières loges de la crise que nous venons de traverser. Elles avaient même, par bien des aspects, alerté sur ce mécontentement sourd, qui a fini par éclater.

Nous ne pourrons qu'effleurer la vaste question des déterminants de cette crise, et je rappelle que Laurent Duplomb a déjà dressé, au travers de ses deux rapports sur la compétitivité et la souveraineté, un panorama assez complet des difficultés de la ferme France.

Même si les effets des derniers événements n'ont pas fini de se déployer, force est d'admettre qu'une première phase du mouvement est derrière nous. Une autre commence. Dans trois semaines s'ouvrira le salon de l'agriculture, l'occasion de prendre la température. Viendra ensuite un texte législatif, pour lequel vous avez piloté, au premier semestre 2023, les concertations régionales, organisées en trois groupes de travail : orientation-formation, installation-transmission et changement climatique. Après plusieurs reports, son calendrier pourrait bien n'être repoussé cette fois-ci que de quelques semaines, pour un examen au Sénat en mars ou en avril.

Aussi, c'est plutôt sur ce projet de loi d'orientation pour le renouvellement des générations en agriculture que nous voudrions vous entendre, avec deux premières questions.

D'abord, quel accueil le monde agricole réserve-t-il aux deux paquets d'annonces du Gouvernement, dont certaines dispositions pourraient être injectées dans un volet simplification ou compétitivité du texte à venir ?

Par ailleurs, que faut-il penser de la mise en place d'un nouveau guichet unique dénommé France services agriculture, qui serait l'une des mesures structurantes de ce texte ? Si sa création semble correspondre à une forte attente de la profession, la question de savoir s'il faut en faire un passage obligé lors de l'installation fait débat. Quelle serait, en outre, son articulation avec les chambres départementales et quelles seraient les différences fondamentales entre ce nouvel acteur et les actuels points accueil installation transmission (PAIT) ?

Restaurer la compétitivité de la ferme France et renforcer la fluidité administrative pour l'installation des jeunes agriculteurs semblent être les deux piliers d'une politique sérieuse de renouvellement des générations. L'occasion vous est donnée de répondre maintenant à ces premières questions avant deux syndicats, les Jeunes agriculteurs et la Confédération paysanne, qui seront entendus juste après vous, à 11 heures.

M. Sébastien Windsor, président de Chambres d'agriculture France. - Revenons d'abord sur les causes du mouvement agricole, parti d'Occitanie, une région dont la situation diffère légèrement, du point de vue économique, des autres régions françaises. Pour plusieurs raisons en effet, les revenus agricoles y sont parmi les plus bas. L'Occitanie est d'abord particulièrement touchée par le réchauffement climatique. Dans les Pyrénées-Orientales, il n'est ainsi tombé que 200 millimètres de pluie en un an, soit moins qu'au Qatar, et la dernière pluie significative de plus de 10 millimètres remonte à près de deux ans. Il va sans dire que dans ces conditions, l'agriculture ne peut être florissante.

Par ailleurs, cette région produit en forte quantité des fruits et légumes, pour lesquels les revalorisations ont été les plus faibles, en raison notamment de la concurrence de produits d'importation qui ne sont pas soumis aux mêmes règles. À l'inverse, les régions céréalières, dans les « zones intermédiaires » qui vont des Charentes au Grand Est, ont pu bénéficier d'une revalorisation du prix des céréales, venue compenser la baisse des rendements.

Dans les autres zones de la France, la crise agricole n'est pas liée à un problème de revenu, même si ce sujet finira sans doute par se poser. Elle n'est pas liée, en tout cas, à une question de trésorerie. Certes, la baisse des cours par rapport aux prix des intrants a créé un effet ciseau qui place les agriculteurs dans des perspectives moins favorables. Mais dans les deux tiers nord de la France, les problèmes de trésorerie ne sont pas à l'origine de la crise.

Les agriculteurs ont plutôt exprimé un ras-le-bol vis-à-vis d'une suradministration, dont ils ne comprennent pas les injonctions parfois contradictoires, qui peuvent leur être données par un traitement des sujets en silo.

Prenons l'exemple du colza. En application de la directive Nitrates, on interdit aux agriculteurs d'utiliser de l'engrais à l'automne en raison des risques de fuite, en dépit d'ailleurs des études qui contestent ce risque à faibles doses. Sauf que l'utilisation de nitrates à l'automne à petites doses est la seule façon de faire croître le colza avant qu'il ne soit mangé par les insectes, et donc d'éviter un traitement insecticide. D'un côté, on enjoint aux agriculteurs de développer des méthodes alternatives aux insecticides et, de l'autre, on leur interdit de les utiliser en raison de la réglementation Nitrates. Cela crée un climat délétère et beaucoup d'incompréhensions.

Un autre élément perturbateur pour les agriculteurs a été la politique de montée en gamme, qui a pourtant fait consensus. En raison de l'inflation et de l'augmentation des dépenses contraintes, liées au transport, aux télécommunications, le seul autre poste de dépense sur lequel les Français ont pu porter leur arbitrage a été l'alimentation. Alors que l'on demandait aux agriculteurs de monter en gamme, le budget alimentaire de nos concitoyens s'est ainsi effondré de 15 % en un an. C'est inédit : le budget alimentaire diminuait en proportion, mais pas en valeur absolue. Or les Français n'ont pas moins consommé ; ils sont descendus en gamme. Là encore, le message envoyé aux agriculteurs a été contradictoire : « Faites des efforts environnementaux et, dans le même temps, produisez moins cher. »

Concernant les annonces gouvernementales, je centrerai mon propos sur celles qui sont liées aux métiers relevant des chambres d'agriculture. Commençons par la question des produits phytosanitaires et par le conseil stratégique phytosanitaire (CSP), qui suscite l'incompréhension du monde agricole. Dans l'absolu, il est intéressant qu'un agriculteur se pose, tous les cinq ans, la question de l'utilisation de tels produits et qu'il réfléchisse aux moyens de la réduire.

Le problème réside dans les modalités, complexes, de mise en oeuvre. Au Certiphyto, qui existait déjà, qui doit être établi tous les cinq ans et auquel les agriculteurs sont formés, est donc venu s'ajouter le CSP. Or, pour obtenir un Certiphyto, il fallait déjà avoir tenu, dans les cinq années précédentes, deux conseils stratégiques séparés d'au moins deux ans. Et il faut encore tenir compte de la date de renouvellement du Certiphyto ! Bref, tout cela est bien compliqué à comprendre pour les agriculteurs.

Il est aussi compliqué d'expliquer à des agriculteurs leaders, qui se sont investis - c'est mon cas - dans des groupes de développement Dephy financés et reconnus par l'État, qu'ils doivent obtenir un nouveau certificat sans bénéficier d'aucune équivalence. Remettons le dispositif à plat et rendons-le accessible pour l'agriculteur. Loin de nous l'idée de refuser l'obstacle. Ce que nous dénonçons, c'est la complexité avec laquelle le sujet des produits phytosanitaires est traité. L'État n'a jamais accepté de nous donner les dates de renouvellement des Certiphyto qui nous permettraient d'indiquer aux agriculteurs que nous accompagnons le moment auquel ils doivent tenir ce conseil. Cette absence de communication a rendu la situation encore plus explosive.

J'insiste sur ce point, car on tend à inverser les rôles : les agriculteurs ne refusent pas l'obstacle. On ne résoudra pas ce problème par des injonctions ni par la multiplication des formations. Une formation bien faite au bon moment doit suffire. L'agriculteur ne va pas réviser sa stratégie tous les six mois.

Les zones de non-traitement sont un autre sujet d'incompréhension. L'histoire commence en 2022, quand des règles européennes imposent un certain nombre de tests sur la toxicité des nouveaux produits phytosanitaires qui sont homologués. Sur la base de ces tests scientifiques, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) donne une autorisation de mise sur le marché qui, dans certains cas, impose des distances d'éloignement par rapport au voisinage. Dans ces conditions, je ne peux pas entendre parler d'un manque de neutralité ou d'un quelconque laxisme de la part de l'Anses en matière d'homologation des produits.

Considérant que les recommandations de l'Anses n'étaient pas suffisantes, on a ajouté une distance supplémentaire : 5 mètres du voisinage pour les grandes cultures, 20 mètres pour la vigne ou l'arboriculture. Compte tenu du mitage de certaines zones urbaines et viticoles, éloigner de 20 mètres revient parfois à supprimer des parcelles. Pourquoi homologuer un produit si on redéfinit une zone dans laquelle il peut être appliqué ensuite ? Le jour même où l'on adoptait ce texte, il était par ailleurs annoncé que l'on établirait des chartes pour les limiter. Expliquez-moi la logique !

Le monde agricole est soumis à une double peine : quand l'urbanisation grignote des terres, c'est encore l'agriculteur qu'on fait reculer, alors que l'on devrait intégrer la zone de protection dans la conception du lotissement. Les aménageurs lotisseurs ne veulent pas de cette zone, car il faudrait l'entretenir, sans en faire une aire de jeux pour enfants.

Mon dernier point porte sur l'obligation de prévenir les voisins. Les tribunaux considèrent que la présence d'un gyrophare n'est pas suffisante, mais ils ne proposent pas d'alternative. Mon exploitation agricole compte 400 voisins. Comment pourrais-je tous les prévenir ? Non seulement je n'ai pas leur numéro de téléphone, mais si je les appelais tous les matins, ils en auraient vite marre !

M. Yannick Jadot. - Si vous traitez tous les matins...

M. Sébastien Windsor. - Un certain nombre de condamnations venant de l'Office français de la biodiversité (OFB) ont été par ailleurs mal comprises.

Les chambres d'agriculture ont fortement incité les agriculteurs à planter des haies. Or une nouvelle règle impose que pour toucher le bonus haies de 7 euros par hectare dans le cadre de la politique agricole commune (PAC), il faut faire certifier ladite haie par un organisme certificateur pour un coût de 1 000 euros. Voilà pourquoi seulement cinquante agriculteurs sont allés chercher la certification ! D'autres, que nous avons accompagnés, ont souhaité déplacer des haies pour les besoins de leur exploitation, avec l'intention de les replanter ailleurs. Il leur a fallu d'abord obtenir l'accord obligatoire de la direction départementale des territoires (DDT), ce qui a nécessité le déplacement d'un technicien et la remise d'un rapport d'une cinquantaine de pages pour 20 mètres de haies ! Puis l'OFB a procédé à un contrôle et dressé un procès-verbal pour destruction d'habitat. Selon les constatations du même technicien, la haie n'abritait pas de nid, mais l'OFB a considéré qu'il s'agissait d'un habitat potentiel ! Dans la Manche, douze agriculteurs sont actuellement devant le tribunal pour les mêmes raisons. Je vous assure que pour inciter les agriculteurs à continuer à planter des haies, nous sortons les rames !

Pendant longtemps, la politique agricole a fait reposer le progrès sur la contrainte et la normalisation. Une petite révolution - adaptation au changement climatique, décarbonation par la production de biomasse - se prépare et l'enjeu de l'accompagnement au changement des agriculteurs devient colossal. Or il est probablement l'oublié de la politique agricole actuelle, qui se caractérise par des aides à l'investissement et par un traitement en silo. Produits phytosanitaires, haies, nitrates, biodiversité, prédation, chacun de ces thèmes fait l'objet d'une politique spécifique, mais les chambres d'agriculture ne sont pas en mesure d'accompagner globalement un agriculteur dans ses changements de pratiques. Les agriculteurs doivent écrire leur propre projet. Il faut non pas leur donner des injonctions de changement, mais les accompagner dans cette démarche.

Vous m'interrogez sur le projet de loi d'orientation et de renouvellement des générations. Le renouvellement des générations prendra, dans les dix ans qui viennent, une ampleur énorme. Voilà une décennie, les enfants d'agriculteurs reprenaient l'installation de leurs parents. Aujourd'hui, plus de la moitié des personnes qui s'installent ne sont pas issues du milieu agricole. C'est plutôt une bonne chose, car cela amène un regard différent et produit de la mixité. Toutefois, les besoins d'accompagnement ne sont plus les mêmes. Hier, un fils d'agriculteur avait besoin d'être conseillé pour faire différemment, pour prendre en main, par exemple, la commercialisation de ses produits. À l'inverse, les non issus du monde agricole (NIMA) ont souvent réfléchi en amont à la commercialisation. Ils ont plutôt besoin d'être accompagnés sur les enjeux techniques de production, par exemple sur l'agronomie.

Il faut aider les jeunes à aller plus loin dans le développement de leur projet. Les montants d'investissement nécessaires à la reprise ont augmenté eux aussi. Les projets sont plus variés que par le passé. L'accompagnement doit tenir compte à la fois des aspects économiques et phytosanitaires. Le besoin d'accompagnement face au changement climatique complique encore l'équation. La loi d'orientation en tient compte : il est nécessaire que, lors de l'installation, le jeune ait quelque peu anticipé l'impact du changement climatique sur son exploitation, car cela influera sur ses choix d'investissement.

Il faut aussi veiller à ne pas complexifier outre mesure le parcours d'installation. Je trouve intéressant qu'un jeune connaisse l'état de ses parcelles grâce à un diagnostic de la fertilité des sols, par exemple. Attention toutefois à ne pas exiger des jeunes qu'ils réalisent cinq ou six études pour un coût de 60 000 euros avant de mettre le moindre euro dans la reprise de l'exploitation.

Sur le point de savoir si ce parcours doit être obligatoire pour toucher les aides publiques, il me semble qu'il faut une incitation forte, faute de quoi personne ne le suivra. Le parcours devra en outre être pensé différemment et traiter notamment de nouveaux sujets, comme le portage du capital. Dans le modèle traditionnel de l'installation familiale, les parents, les frères et les soeurs portaient collectivement le capital, ce qui, déjà, était de moins en moins accepté par les familles. Pour des personnes qui ne sont pas issues du milieu agricole, cette dimension de portage du foncier, et plus largement du capital, est essentielle. En matière de formation également, le parcours doit être adapté et de plus en plus personnalisé. À cet égard, le projet de loi d'orientation, qui prévoit une analyse de projet quasiment individualisée, va dans le bon sens.

Enfin, ce projet de loi comporte un volet intéressant de sensibilisation du grand public et de communication sur l'attractivité des métiers agricoles. Il est envisagé notamment de rendre obligatoire pour tout jeune de primaire la visite d'une exploitation agricole. Dans la génération de mes parents, 80 % des gens avaient un parent de niveau 2 - oncle ou cousin - agriculteur. Dans la génération de mes enfants, cette proportion est passée sous les 5 %. Les enfants d'aujourd'hui découvrent l'agriculture par les livres d'images ; quand on les invite sur les exploitations, les surprises sont parfois grandes. Ces visites devront être faites de façon responsable. Il faudra se montrer transparent sur les métiers et ne pas endoctriner les enfants dans l'autre sens, mais il me semble que nous pourrons ainsi recréer du lien entre l'agriculture et la société.

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Merci pour votre intervention liminaire. Je passe la parole à mes collègues.

M. Jean-Claude Tissot. - Monsieur le président, j'ai l'impression que nous n'habitons pas le même pays. Tous les paysans que j'ai rencontrés lors des manifestations de la semaine dernière ne m'ont parlé que du revenu, encore du revenu, toujours du revenu.

M. Sébastien Windsor. - J'ai dit qu'il n'y avait pas encore de problème de trésorerie, mais qu'il y avait un sujet de revenu et que ce dernier était beaucoup plus criant dans le sud que dans le nord de la France.

M. Jean-Claude Tissot. - Ce n'est pas ce que nous avions compris.

Je voudrais vous interroger sur la filière du lait. Des tensions sont logiquement apparues avec les groupes Savencia et Lactalis autour de la question du prix d'achat. À cela s'ajoutent bien sûr des effets liés à la décapitalisation du cheptel de vaches laitières. Quelle est votre lecture de la situation et des évolutions potentielles de la filière ? Le réseau des chambres échange-t-il avec les industriels pour peser dans la négociation des prix ? Apportez-vous au moins un soutien juridique aux agriculteurs qui essaient de faire respecter les engagements des lois Égalim (lois pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous) ?

Par ailleurs, le Président de la République a récemment annoncé son souhait de mettre en place un « Égalim européen » pour s'attaquer aux centrales d'achat européennes et influer ainsi réellement sur les prix. Cette proposition vous semble-t-elle crédible ?

M. Daniel Salmon. - Vous êtes passé très brièvement sur la question du revenu, pourtant primordiale. Que pensez-vous de la répartition actuelle des aides de la PAC ? Vous n'avez pas parlé des intermédiaires, il y a pourtant des enquêtes en cours sur Lactalis. Vous l'avez dit, le panier alimentaire de la ménagère ou du ménager est en baisse, mais alors comment expliquer que les prix continuent à grimper si fortement dans les magasins ?

J'en viens aux produits phytosanitaires. J'ai organisé ce lundi un colloque avec les mutualités faisant le parallèle entre la question de l'amiante et celle des produits phytosanitaires. Selon vous, comment l'agriculteur peut-il diminuer l'usage de ces produits ? De nombreuses victimes des pesticides - agriculteurs, mères d'enfants victimes de cancers pédiatriques à Sainte-Pazanne, par exemple - étaient présentes à ce colloque. Que faire pour elles ?

Par ailleurs, on détruit encore aujourd'hui 23 000 kilomètres de haies par an. Vous parlez de les déplacer, mais une haie ne se déplace pas. Seule une compensation est envisageable, mais comment ?

Vous avez dit que le changement climatique touchait l'Occitanie, mais il touchera toute la France ! Comment lutter contre ce phénomène et comment l'agriculture prend-elle sa part dans ce combat ?

M. Bernard Buis. - Le 1er février 2023, le Sénat a adopté à l'unanimité la proposition de loi du député Julien Dive visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d'assurance les plus avantageuses. Le texte adopté par le Parlement prévoyait qu'un rapport précise, dans un délai de trois mois, les modalités de mise en oeuvre de cette réforme dans le respect des spécificités du régime d'assurance vieillesse des non-salariés agricoles et de la garantie de niveau de pension des droits acquis. Ce rapport n'a été publié que le 30 janvier dernier et les scénarios proposés feraient un certain nombre de perdants, en particulier chez les personnes percevant de petites retraites. Quel est votre regard sur ce rapport ? Avez-vous envisagé d'autres scénarios pour les retraites des non-salariés agricoles ?

M. Sébastien Windsor. - Je répète que les problèmes de trésorerie ne se posent pas encore. Nous constatons un effet ciseau : les coûts de revient sont en train de passer au-dessus des prix de vente. Je dis non pas qu'il n'y a pas de sujet, mais que les problèmes sont plus criants en Occitanie qu'ailleurs, parce que le changement climatique y est plus évident. Le changement climatique touche tout le monde, cela ne fait pas débat.

Je suis atterré de voir que la France deviendra, à ce rythme et en dépit de ses capacités agricoles, importatrice de produits laitiers en 2027. En la matière, il y a un sujet de revenu certes, mais aussi de contraintes du métier. À un moment donné, il faut permettre, dans une certaine mesure, les regroupements d'exploitations. Nous n'installerons plus, demain, des jeunes avec cinquante vaches : ils n'auront pas les moyens de se faire remplacer. En revanche, nous installerons probablement des exploitations composées de deux associés, un salarié et cent cinquante vaches. Ces modèles conservent une taille humaine. Les astreintes peuvent être partagées de manière à rendre les choses plus vivables.

Sur cette question de l'élevage, les chambres d'agriculture souhaitent organiser, avec le ministère, des débats régionaux qui aborderaient les difficultés du secteur, mais aussi ses aménités positives. Comment maximiser ces dernières et retrouver, territoire par territoire, une dynamique autour de l'élevage ? Quelles sont les catégories d'élevage à encourager ? Il s'agit de construire un consensus autour de l'élevage, qui souffre d'une image dégradée dans la population. Les enfants n'osent plus dire à l'école que leurs parents sont éleveurs ou agriculteurs.

Sur la PAC, je ne sais que vous répondre. Des arbitrages ont été discutés avec le ministère. Les lignes ont bougé, certes légèrement, car en la matière on ne peut pas prendre de grands virages sans déstabiliser l'ensemble. Un certain nombre des enjeux économiques de l'élevage ont été pris en compte. La PAC a essayé de favoriser le maintien des animaux le plus longtemps possible dans les élevages pour favoriser l'engraissement notamment, et ainsi conserver la valeur sur notre territoire. Cela va plutôt dans le bon sens.

En ce qui concerne les produits phytosanitaires, nous devons avancer sur les clauses miroirs. Cessons d'importer des produits qui ne respectent pas les mêmes règles que les nôtres. Tant que nous n'aurons pas réglé ce problème, je ne vois pas comment nous pourrons continuer à enjoindre aux agriculteurs d'améliorer leurs performances. De plus, vous savez comme moi que les règles d'étiquetage rendent parfois difficile la mise en avant de l'origine des produits, notamment dans le cadre de la restauration hors domicile. Il en résulte que, dans les supermarchés, où l'origine est indiquée, on ne trouve plus quasiment que du poulet français, tandis que 70 % des poulets consommés en restauration hors domicile sont importés. Nous mangeons tous du poulet non français, mais nous n'en avons jamais conscience. Il faut aussi que les règles des appels d'offres publics privilégient les produits locaux.

En tout état de cause, nous sommes déterminés à former et accompagner les agriculteurs sur tous ces sujets. Nous ne refusons pas l'obstacle. Nous voulons que les mêmes règles soient respectées par tous et nous souhaitons éviter de mettre les agriculteurs qui font le plus de progrès dans les situations économiques les plus difficiles.

Je peux entendre que les haies ne doivent pas être déplacées, mais la réalité des exploitations fait que l'agriculteur peut être amené à le faire.

M. Daniel Salmon. - Déplacez-vous des chênes de cent ans ?

M. Sébastien Windsor. - Non, mais imaginons que je possède un corps de ferme entouré de haies. N'est-il pas préférable, d'un point de vue environnemental, d'élargir l'entrée plutôt que d'abandonner le corps de ferme et de reconstruire un nouveau bâtiment à proximité ? Il ne s'agit pas d'arracher des kilomètres de haies, mais de pouvoir, de temps en temps, les déplacer, les replanter et compenser de façon simple. J'aimerais d'ailleurs connaître la réalité des chiffres en la matière. On parle de 22 000 kilomètres de haies arrachées, mais dans le cadre des déclarations PAC, cela fait un certain temps que nous ne pouvons plus arracher les haies. Personnellement, j'en ai même replanté.

Sur les enjeux de l'adaptation au changement climatique, les chambres d'agriculture développent un projet expérimental d'accompagnement des agriculteurs. Nous allons à leur rencontre pour rédiger avec eux leur plan d'action visant à rendre les exploitations plus résilientes et décarbonées. Nous abordons jusqu'à la question de la valorisation des crédits carbone. Cette expérimentation concerne 1 000 agriculteurs. En 2024, nous formerons 350 conseillers dans le but de proposer 10 000 accompagnements à partir de 2025, mais nous ne disposons pas pour l'heure des financements nécessaires au-delà de la phase test. Si nous allons voir les agriculteurs en 2025 pour leur proposer un accompagnement en échange d'un chèque de 1 500 euros, nous obtiendrons un succès d'estime, mais guère plus.

En ce qui concerne enfin la retraite des agriculteurs, je souhaite avant tout que nous parvenions à mettre en oeuvre la réforme au plus vite et à calculer les vingt-cinq meilleures années. Nous constatons sur le terrain des difficultés à obtenir ces chiffres. Nous sommes mobilisés sur la question. Il y a par ailleurs des trous dans la raquette, mais la priorité doit être de mettre en place cette réforme.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je précise que, sur ce sujet, une proposition de loi a été déposée par Philippe Mouiller et l'ensemble de nos collègues du groupe Les Républicains.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Les éleveurs rencontrent de très grandes difficultés. Dans le bassin allaitant en Côte-d'Or, de jeunes agriculteurs se sentent insuffisamment accompagnés, voire abandonnés, pour adapter leur exploitation aux enjeux de l'avenir. Comment renforcer encore l'accompagnement que vous leur proposez déjà ?

Par ailleurs, pourriez-vous nous dire quelques mots sur le dossier, dont je ne connais pas tous les tenants et aboutissants, du ratio de prairies permanentes sur la surface agricole utile (SAU) ?

Enfin, vous évoquiez les importations croissantes dans un contexte de surréglementation. Quelle est votre analyse sur le renversement de la logique initiale d'Égalim que met en oeuvre la dernière loi de Bruno Le Maire ? En effet, on sort d'une logique de construction du prix en amont entre le producteur, l'industriel et le distributeur, par une pression qui s'exerce des distributeurs sur l'amont de la filière pour obtenir les prix les plus bas possible. En mesurez-vous les résultats et quelles sont vos préconisations en la matière ?

M. Yannick Jadot. - Votre présentation de la crise agricole est l'inverse de ce que nous avons pu ressentir dans nos débats avec les agriculteurs. Vous avez insisté sur les normes, alors que la principale revendication de ces derniers porte structurellement sur le revenu. Il y a là peut-être un décalage entre une partie des agriculteurs et leurs représentants.

Le rapport publié en 2023 à l'Assemblée nationale par Dominique Potier et Stéphane Travert sur la séparation de la vente et du conseil des produits phytosanitaires a conclu que la loi Égalim était peu et mal appliquée. Quel est votre avis ?

Par ailleurs, vous avez parfaitement souligné l'importance d'accompagner les agriculteurs dans toutes les transitions, notamment lors de l'installation. Au fond, le problème ne vient-il pas du ciblage des aides et de leur répartition ? Tant que les aides du premier pilier seront attribuées à l'hectare, nous resterons dans cette impasse dans laquelle des jeunes reprennent des exploitations toujours plus grandes sans en avoir les moyens. Le paiement des services écosystémiques est de fait relégué au fin fond du deuxième pilier.

Enfin, un récent rapport de la chambre régionale des comptes des Pays de la Loire mettait l'accent sur les dangers et les risques de prélèvement d'eau dans cette région. Or, voilà quelques jours, la chambre d'agriculture des Pays de la Loire a demandé que l'on mette de côté toutes les études sur l'eau. N'y a-t-il pas là une contradiction ?

M. Serge Mérillou. - Les politiques agricoles des dernières décennies visaient une montée en gamme des produits français. L'intention était louable. Elle explique pourquoi de nombreuses normes environnementales et sanitaires ont été imposées à nos agriculteurs. En conséquence, le coût des produits alimentaires en France a augmenté de façon considérable. Sur le marché, les tomates marocaines ou les poulets marocains ou brésiliens prennent la place de nos propres productions.

Aujourd'hui, les catégories sociales les moins favorisées ne peuvent plus s'offrir des produits de qualité. À mon grand étonnement, cette injustice du contenu de l'assiette n'intéresse pas grand monde. Comment pensez-vous concilier nourriture de qualité et prix accessibles sans renier nos exigences sociales environnementales et sanitaires ? Au fond, est-ce possible ?

M. Sébastien Windsor. - L'élevage est le secteur agricole dans lequel la question du revenu se pose de la façon la plus persistante. Attention toutefois à ne pas opposer les agricultures. Ce problème concerne de plus en plus de zones de grande culture, notamment les zones intermédiaires. La déprise de l'élevage est telle que si nous n'agissons pas, elle se traduira en catastrophe environnementale. Je le répète : il faut reconnaître les aménités positives de l'élevage sans ajouter des contraintes, et accepter des regroupements.

Au sujet de l'accompagnement des jeunes, nous proposons - c'est prévu dans le projet de loi d'orientation - d'intégrer dans le futur parcours les enjeux de l'adaptation au changement climatique. Il s'agit d'éviter qu'un jeune s'engage dans un modèle et soit contraint de réinvestir cinq ans plus tard, faute de bon diagnostic au départ. Nous développons également les nouveaux sujets de portage du capital, dont celui du foncier. Le monde agricole a pris à l'excès l'habitude de ne pas se rémunérer. Il faut imaginer des systèmes de portage foncier, avec des taux et un pacte de sortie plafonnés. Certes, si l'on veut rémunérer le capital, il faut disposer du revenu nécessaire. Nous plaidons toutefois pour que des garanties sur dix ans permettent, grâce à des fonds publics, à des jeunes d'aller chercher plus facilement des remboursements supplémentaires. Cet accompagnement doit, enfin, être personnalisé. Il s'agit de combler les lacunes de chacun plutôt que de proposer une formation obligatoire commune à tous.

Le stage « 21 heures » qui était inclus jusqu'ici dans le parcours à l'installation comportait un défilé des organisations agricoles qu'il ne me semble pas très utile de conserver sous cette forme. En revanche, l'intérêt de ce stage était d'obliger les jeunes à échanger sur leurs projets respectifs. Le projet de loi d'orientation agricole oublie quelque peu cet aspect collectif et relationnel ; je le regrette.

Concernant le ratio de prairies, nous avons besoin de chiffres pour bien estimer la réalité des retournements d'herbage. Aujourd'hui, on calcule ce ratio à partir de la surface agricole utile (SAU) et du pourcentage de prairies dans les déclarations PAC. Or la réforme de la PAC a conduit des personnes à ne plus déclarer ce qui l'était auparavant. C'est le cas notamment des personnes âgées de 67 ans et plus ou encore, concernant ma région, des éleveurs de chevaux de Normandie : comme ils ne peuvent plus toucher les aides de la PAC, ils ne déclarent plus leurs hectares de prairies. En conséquence, le ratio s'est dégradé alors que les prairies n'ont pas été retournées.

Je reste persuadé que le retournement d'herbage pose problème sur le plan environnemental, mais, en l'absence de rentabilité économique de l'élevage, comment forcer l'agriculteur à maintenir de la prairie ? Nous devons travailler sur cette question. Dans le contexte de la décarbonation et du changement climatique, développer la prairie dans les exploitations présente un très grand intérêt et nous devons conseiller les agriculteurs en ce sens. Cela suppose toutefois un accompagnement au changement colossal. Il s'agit d'aller revoir les agriculteurs à qui nous avons conseillé il y a vingt ans de faire du maïs pour produire plus de lait et de leur demander désormais de produire moins de maïs au profit de l'herbe. Pour ce faire, je crois beaucoup plus dans la pédagogie que dans l'injonction législative. Il faut pouvoir démontrer, grâce à des références technico-économiques, qu'une exploitation avec de l'herbe conduite de telle ou telle façon est aussi rentable qu'une autre.

M. Daniel Salmon. - Eh bien, c'est la révolution !

M. Sébastien Windsor. - Sur ce sujet, il faut à tout prix éviter les mouvements de balancier : une année le retournement des prairies est autorisé, une autre il ne l'est plus. Dans mon département, cela a créé un climat délétère, certains étant incités à retourner au plus vite les prairies, de crainte qu'elles ne soient sanctuarisées ensuite.

Je ne comprends pas, d'ailleurs, le traitement des prairies temporaires de plus de cinq ans qui deviennent en quelque sorte des prairies permanentes dans les déclarations PAC. Dans un certain nombre de cas, avoir une prairie dans une rotation et la maintenir sept ans est très utile. Pour convaincre les agriculteurs de mettre des prairies dans les rotations, il faudrait pouvoir les rassurer sur le fait qu'elles ne seront pas sanctuarisées et qu'ils pourront les gérer librement. Du côté des chambres d'agriculture, nous défendrons cette position car il faut envoyer un signal positif en faveur du maintien de l'herbe.

Concernant la montée en gamme, comment demander au consommateur de faire un choix éclairé s'il n'y a pas d'étiquetage ? Je me souviens qu'un jour, à la préfecture de Rouen, nous avons trouvé du lapin d'origine chinoise. Si une étiquette avait mentionné « lapin d'origine chinoise », il aurait eu certainement moins de succès. Tout le monde était persuadé qu'il s'agissait de lapin français !

Vous me demandez comment offrir à nos concitoyens des produits de qualité à un prix abordable. Je voudrais redire d'abord que l'écart de prix entre les produits de qualité de l'agriculture française et les produits d'importation n'est pas toujours colossal. Nous avons par ailleurs un petit sujet avec la grande distribution, qui réduit sa marge sur des produits bon marché pour en faire des produits d'appel, creusant de ce fait l'écart de prix avec les produits de qualité. Toutefois, ne nous faisons pas d'illusions : nous ne pouvons pas demander aux agriculteurs de monter en gamme sans payer plus cher les produits. La montée en gamme a nécessairement un coût. La question est de savoir si l'accompagnement doit être public ou pas.

Sur la répartition des aides PAC, les aides publiques ne suffiront pas, à elles seules, à faire monter les agriculteurs en gamme. Il faut créer les conditions de marché qui rendront la situation viable économiquement. Dire qu'il est préférable en ce moment de stopper les conversions en bio dans le secteur laitier afin de rééquilibrer le marché ne me pose pas de problème. Poussons d'abord le consommateur à consommer bio ; lorsque la consommation suivra, nous relancerons les conversions.

J'en viens enfin à la question de l'eau dans les Pays de la Loire. Il y a une différence entre une eau prélevée dans une nappe phréatique profonde et une eau prélevée dans une rivière en période de crue. Le niveau de détail attendu dans les études hydrologie, milieux, usages, climat (HMUC) est selon moi trop élevé. Pourquoi mesurer les niveaux d'eau dans des cours qui s'assèchent déjà l'été lorsque les agriculteurs sont prêts à s'engager à ne pas y prélever d'eau pendant cette période ? Par ailleurs, les études sont systématiquement attaquées devant le tribunal administratif, leur contenu n'ayant pas été défini réglementairement. Il faut simplifier les choses et commencer par définir précisément le périmètre de ces études, qui peut varier selon les spécificités des territoires. Cela pourrait être le rôle du préfet.

M. Patrick Chauvet. - Nous venons de constater que beaucoup de nos concitoyens découvraient les revendications légitimes des agriculteurs. Mais la compassion ne suffira pas. Comment structurer les réponses et imposer une obligation de résultat ?

Vous avez évoqué la filière laitière et le seuil des effectifs d'élevage. En Normandie, on perd des élevages laitiers, je l'ai dit la semaine dernière lors de l'audition du président de la FNSEA. Les jeunes installés aspirent légitimement à une vie sociale. Je citerai l'exemple de trois jeunes agriculteurs à qui l'entreprise qui collecte le lait a demandé de produire 150 000 litres de plus. Ils dépassent désormais les 150 vaches laitières et sont sur le point d'abandonner, car ils doivent faire face à des dépenses insurmontables. Je souhaitais mettre en lumière ces contradictions.

Par ailleurs, s'il y a de toute évidence un sujet sur l'Europe, penchons-nous d'abord sur ce qui se passe en France. Comment repositionner le ministère de l'agriculture ? Comment aider le ministre, quel qu'il soit, à mener à bien sa mission ? Nous avons tous en tête des exemples d'injonctions contradictoires de la part des différentes agences. L'État a une obligation de coordination. C'est de cette absence de structuration que la souffrance est partie, parce qu'elle se concrétise sur le terrain. La pire des choses serait d'en rester là. Il faut apporter des réponses sur ces questions de l'après-revendications.

M. Sebastien Pla. - Crise géopolitique, aléas climatiques sévères, baisse de la consommation, concurrence déloyale, inflation, attaques régulières des lobbyistes antialcool et lois Évin, effondrement du marché bio, empilement des règles et des normes ou encore usines à gaz réglementaires : la filière viticole cumule, à elle seule, l'ensemble des menaces qui pèsent sur l'agriculture de notre pays. Aujourd'hui, il faut être inconscient ou insouciant pour se lancer dans ce type de culture. Preuve en est que les projets d'installation s'effondrent. Pour la première fois de l'histoire, le département de l'Aude n'a compté l'année dernière aucune installation de jeune agriculteur. Au moment où l'on se parle, le point accueil installation transmission (PAIT) fait état de deux projets en cours. L'heure est grave. Ce fleuron de l'agriculture est en danger. Le secteur apporte pourtant de la valeur ajoutée. Il contribue à hauteur de 17 milliards d'euros de chiffre d'affaires à la balance commerciale française, qui affiche 163 milliards d'euros de déficit tous secteurs confondus. Ce n'est pas neutre.

Face à ce constat, quel jugement portez-vous sur les mesures de soutien à la filière viticole annoncées par le ministre de l'agriculture la semaine dernière ? Comment voyez-vous l'avenir de cette filière d'excellence ?

M. Henri Cabanel. - Je reviens sur la question du revenu et sur le fait que nous aurions mal interprété vos propos. Cela ne m'étonne qu'à moitié. Déjà en 2021, lorsque nous avions rendu notre rapport sur le mal-être des agriculteurs, le syndicat majoritaire ne partageait pas le point de vue selon lequel le revenu était au coeur du problème. C'est pourtant ce que nous avions constaté dans tous les départements que nous avions visités. À cet égard, que pensez-vous des paiements pour services environnementaux (PSE) dans les territoires ? Ne pensez-vous pas que les chambres d'agriculture devraient inciter à la diversification des cultures pour permettre aux exploitations d'être plus résilientes ?

Avant de créer le nouveau service France services agriculture, ne faut-il pas concentrer nos efforts sur la simplification ? En viticulture, pour planter ou arracher des vignes, il faut non seulement informer le casier viticole informatisé, mais aussi FranceAgriMer ou encore renseigner un dossier PAC. Cela fait beaucoup ! Enfin, compte tenu des nouvelles responsabilités que va leur confier la loi d'orientation agricole, pensez-vous qu'il faille demander des moyens supplémentaires pour les chambres d'agriculture ?

M. Sébastien Windsor. - Sur la question de la séparation entre le conseil et la vente, je ne saurai vous répondre sur les suites du rapport Potier-Travert et son éventuelle traduction dans une proposition de loi. Ce rapport plaidait clairement en tout cas pour que le conseil stratégique phytosanitaire soit confié aux chambres. Une chose est sûre : il faut mobiliser tous les acteurs du territoire, y compris les coopératives. Certes, il doit y avoir des limites au rôle de chacun, mais je pense qu'il existe un consensus au sein du monde agricole sur les orientations de ce rapport.

En réponse à la question de Patrick Chauvet, nous étudions actuellement, au-delà des annonces du Premier ministre, toutes les mesures de simplification qui pourraient être prises. Si près de la moitié d'entre elles nécessitent des modifications à l'échelle européenne, l'autre moitié - conseil stratégique phytosanitaire (CSP), zones de non-traitement (ZNT), zones humides, haies - relève de la loi française. Peu de mesures sont d'application locale sous l'autorité du préfet. Les chambres d'agriculture tentent de maintenir une saine pression pour faire aboutir rapidement ces chantiers.

La cohérence entre les politiques des agences et les politiques publiques est absolument vitale. Certaines contradictions sont incompréhensibles sur le terrain. En Seine-Maritime par exemple, l'érosion est un problème majeur. Il s'agit d'éviter l'engouffrement de l'eau dans les bétoires et de créer des zones d'infiltration naturelle. Dans ce territoire pourtant, l'agence de l'eau refuse d'accompagner les mesures qui ne sont pas des mesures de réduction de l'usage des produits phytosanitaires.

Concernant les paiements pour services environnementaux (PSE), je répète que les chambres ont poussé un certain nombre de mesures de transition. Je ne crois pas en un service environnemental qui viendrait compenser dans la durée la perte de revenu. Telles qu'elles ont été écrites, les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) sont des compensations qui renforcent la dépendance des agriculteurs à l'égard des aides. Le jour où elles s'arrêtent, c'est compliqué. Nous l'avons vu à l'occasion de la dernière réforme de la PAC : dans un certain nombre de zones, les éleveurs qui avaient signé une MAEC nous disaient « si je ne la renouvelle pas, je suis mort », quand ceux qui n'en avaient pas signé demandaient que l'on trouve une enveloppe pour développer les MAEC.

Pour notre part, nous avions poussé au développement de MAEC de transition qui seraient gérées à l'échelle non plus nationale mais régionale. L'idée était d'accompagner l'agriculteur dans la prise de risque que constitue le changement de ses pratiques. Malheureusement, nous n'étions pas parvenus à inscrire cette proposition dans le cadre réglementaire européen, qui n'autorise les versements qu'en cas de perte de revenu. Dans notre esprit, cette carotte financière devait aider l'agriculteur à améliorer son empreinte environnementale sans renforcer sa dépendance aux aides. Nous croyons toujours dans cette idée, mais il faudra forcer le verrou européen pour la faire avancer.

Je remercie le Sénat pour le soutien unanime apporté à l'augmentation du budget des chambres d'agriculture. Je ne pense pas que pour aider les agriculteurs dans la transition, baisser les moyens d'accompagnement soit la solution.

En ce qui concerne la filière viticole, je peux au moins saluer les mesures d'urgence qui étaient nécessaires. Dans un certain nombre de zones, il faudra prendre des mesures plus structurelles. Le sujet de l'arrachage, notamment, doit être mis sur la table. Les nouvelles technologies peuvent aussi amener des solutions, notamment en matière phytosanitaire, par la mise au point par exemple de variétés plus résistantes. Je crois fortement dans la filière viticole, qui façonne les paysages français et crée de la valeur. Nous devons aider la viticulture à franchir cette phase difficile. Cela ne se fera pas sans moyens publics, il n'y a pas de débat là-dessus.

Mme Amel Gacquerre. - De nombreux rapports alertent sur le risque de pénurie d'eau et sur le stress hydrique. En 2023, le rapport de la mission sénatoriale sur la gestion durable de l'eau avait pointé une baisse des ressources en eau de 14 % en trente ans. La sécheresse de l'été 2023 et, à l'inverse, les inondations récentes ont encore démontré la menace du réchauffement climatique. Comment envisagez-vous le risque hydrique pour l'année 2024 ? Quel est votre accompagnement sur ce point ? L'enjeu est-il selon vous suffisamment considéré par l'État ?

M. Daniel Gremillet. - La mise en oeuvre d'Égalim patine, car les indicateurs tardent à arriver. Que peuvent faire les chambres d'agriculture pour obtenir des indicateurs plus dynamiques ? Les indicateurs qui auraient dû permettre une augmentation des prix ont baissé.

Je serai plus prudent que vous sur l'élevage. Le regroupement n'est pas la seule solution. Plus vous vous regroupez, plus la tentation de quitter l'élevage est grande. Une piste à creuser serait peut-être celle de salariés communs à plusieurs exploitations individuelles.

Concernant les écarts de prix, quelles actions concrètes pensez-vous mettre en oeuvre ? Au mois de décembre dernier, dans une même entreprise et avec les mêmes règles du jeu, l'écart de prix atteignait 100 euros pour 1 000 litres.

Je partage vos propos sur l'herbe, son intérêt écologique, les réglementations qui s'y appliquent. De tout temps, les paysans ont été des bâtisseurs. Les terrains en terrasse, les talus avec des roches ne sont pas le fruit d'une opération du Saint-Esprit. Il est temps de redonner notre confiance aux paysans aménageurs dans les territoires.

M. Yves Bleunven. - Sur le renouvellement des générations, je suis d'accord avec vous. Il faut travailler plus en amont sur la sensibilisation des jeunes. Connaissez-vous l'association L'Outil en main, mise en place il y a une trentaine d'années par les métiers de l'artisanat pour sensibiliser les enfants de 9 ans à 12 ans sur les métiers manuels ? Je vous invite à la découvrir : 250 ateliers fonctionnent tous les mercredis en France. Dans le Morbihan, nous travaillons avec les chambres d'agriculture à cette question de la sensibilisation des jeunes.

Après 2031, les obligations liées à l'objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN) en matière de consommation d'espaces naturels, agricoles ou forestiers (Enaf) pour les bâtiments d'élevage ou les serres s'imposeront à tous, collectivités comme agriculteurs. Au vu du grand nombre de bâtiments d'élevage en déshérence que compte la Bretagne, une foncière économique pourrait être formée, en lien avec la chambre d'agriculture, la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer), les 59 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) bretons et la région, afin de renaturer ces friches agricoles, négocier des mesures compensatoires et constituer des droits à construire sur certaines zones d'activité ou exploitations. La consommation de foncier sera en effet un enjeu majeur, pour vous les agriculteurs comme pour nous les collectivités.

Que pensez-vous par ailleurs des importations massives d'engrais russes par des circuits compliqués, qui ont été multipliées par 5 ces derniers mois, et qui nous obligent à fermer des usines de fabrication d'engrais azotés, par exemple à Montoir-de-Bretagne ?

M. Sébastien Windsor. - Nous accompagnons la totalité des organismes uniques de gestion collective (OUGC) pour la gestion collective de l'eau.

Nous travaillons aussi avec les agriculteurs pour économiser la quantité d'eau utilisée à l'hectare par la modernisation des installations et les changements de pratiques. Des progrès colossaux ont été réalisés dans ce domaine. Ainsi, un agriculteur à qui je rendais visite dans la région Sud utilise pour ses tomates 100 fois moins d'eau à l'hectare que son grand-père.

Notre troisième axe d'intervention a trait à la création de réserves. Nos efforts échouent sur ce point, sauf dans les zones dotées d'un fort historique d'irrigation. En région Sud, l'acceptabilité de la gestion collective de l'eau est réelle. Dans d'autres régions, ce n'est pas le cas. Il est essentiel de surveiller le rechargement des nappes phréatiques profondes et d'utiliser l'eau à bon escient. En revanche, s'interdire de prélever de l'eau sur des ruisseaux en crue pose problème. Dans certaines zones, nous aboutissons à des impasses. Or l'agriculture ne peut se faire sans eau.

Concernant Égalim, le premier rôle des chambres est de suivre des indicateurs sur les enjeux de souveraineté. La demande de hausse des prix était jusqu'à présent davantage portée par le syndicalisme agricole. La question de savoir si les chambres peuvent jouer un rôle sur ce point mérite toutefois d'être posée. Il faut en tout cas un organisme neutre. L'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM), créé par l'État, gagnerait à être réformé.

Mon propos sur le regroupement des exploitations a été un peu caricatural. La question du revenu n'en est pas moins importante, tout comme celle de la pénibilité et des contraintes, que l'on accepte mieux avec un revenu correct. Nous continuons à accompagner les agriculteurs sur de nombreux sujets, notamment celui du portage salarial dans les groupements d'employeurs.

J'en viens à Lactalis. Nous n'avons pas le droit de nous immiscer dans les relations commerciales, mais nous pouvons soutenir la création d'organisations de producteurs. La cellule économique des chambres d'agriculture leur fournit des éléments sur l'évolution des coûts de revient ou des volumes de production pour les aider dans leurs négociations.

Nous connaissons l'initiative L'Outil en Main. Nous avons également discuté avec les chambres de commerce et d'industrie (CCI) qui ont fait un travail remarquable, notamment en matière de communication. Nous faisons aussi l'inventaire de ce qui se fait dans le monde agricole. J'étais hier soir en discussion avec la direction générale de l'enseignement supérieur et de la recherche (DGER) du ministère de l'agriculture pour voir comment nous pourrions nous appuyer sur les initiatives locales afin de généraliser l'accueil de jeunes dans des formations primaires au sein d'exploitations agricoles.

La constitution d'un fonds de portage relatif au ZAN reste un sujet majeur. Je crois aussi en l'utilisation de fonds de compensation pour soutenir des projets. Actuellement, les aménageurs qui prélèvent du foncier agricole sont tenus de payer une certaine somme pour compenser la perte d'activité économique induite par ce prélèvement. Or, en l'absence de sanctions, de nombreux aménageurs ne s'acquittent pas de cette obligation. Prévoir des sanctions serait utile, pour que la loi s'applique.

Par ailleurs, certains aménageurs aimeraient bien gérer la question de la compensation agricole seuls ou uniquement avec les collectivités locales. Nous souhaitons que les chambres restent impliquées sur cette question - avec les collectivités locales, bien sûr. Il serait judicieux de manière générale de clarifier le cadre de la gestion des fonds de compensation. Nous sommes prêts à en discuter avec vous.

Mme Sophie Primas. - Les agriculteurs regrettent souvent que la commande publique ne suive pas les obligations de la loi Égalim. Or les collectivités locales, pourtant très mobilisées sur ce sujet, se heurtent au manque de structuration des filières. S'il est assez simple d'organiser des commandes de repas pour des écoles de campagne qui distribuent 25 repas par jour, il en va autrement en région parisienne, où l'on sert des millions de repas par an dans un secteur peu agricole. Comment les chambres pourraient-elles intervenir sur ce point ?

M. Frédéric Buval. - L'agriculture ultramarine est confrontée à de nombreux défis. La question du revenu agricole est cruciale, l'adaptation aux nouvelles réglementations environnementales et sociales est un enjeu majeur. L'éloignement et l'insularité constituent des contraintes supplémentaires pour les agriculteurs ultramarins, qu'il faut donc accompagner. Or les chambres d'agriculture d'outre-mer, du fait de leur mode de financement, ne peuvent répondre seules à tous les problèmes. Comment mieux prendre en compte les difficultés des agriculteurs et des chambres d'agriculture en outre-mer ?

M. Christian Redon-Sarrazy. - La question énergétique - agrivoltaïsme, méthanisation - a été peu évoquée dans la période tumultueuse que nous venons de traverser. La pression sur le foncier compromet les installations, et on promeut par ailleurs l'autonomie alimentaire. Quelle est la position des chambres sur ce point ? Dans mon territoire, la Haute-Vienne, la chambre d'agriculture soutient sans retenue tous les projets de développement d'agrivoltaïsme comme de méthanisation. Or cela semble assez contradictoire avec les échanges que nous avons eus ces dernières semaines.

M. Sébastien Windsor. - Il existe des filières très organisées, notamment en agriculture biologique. Le marché de Rungis présente une offre de produits locaux significative. En revanche, des difficultés logistiques se présentent, notamment pour le dernier kilomètre, particulièrement coûteux. Nous devons en outre mobiliser les acteurs de la logistique - par exemple, Pomona - pour qu'ils proposent conjointement des produits locaux, des produits sous signe de qualité et d'autres produits. Une pression réciproque doit s'exercer, du monde agricole sur ces acheteurs et de ces derniers sur le monde agricole. La situation est parfois particulièrement complexe pour les petites communes. Un agriculteur situé à 20 kilomètres ne livrera pas des yaourts pour 25 repas, compte tenu du coût logistique de l'opération.

La seule solution est de mutualiser les outils, notamment de distribution. Quelques tentatives de création de plateformes logistiques n'ont pas abouti, car elles n'étaient destinées qu'aux produits locaux. Les mutualisations sont nécessaires : les collectivités pourraient tâcher de faire pression en ce sens. Il faut aussi mettre la pression sur les grands acteurs de l'achat, les lycées par exemple. Nous nous efforçons de le faire avec les régions.

On ne peut m'accuser de n'avoir rien fait pour les outre-mer depuis mon arrivée à la présidence de Chambres d'agriculture France. Ainsi, la hausse de 7,1 % de la taxe additionnelle à la taxe sur le foncier non bâti (TATFNB) que vous avez votée n'a pas été répartie linéairement sur les chambres, contre l'avis de nombre d'entre elles. Presque toutes les chambres d'outre-mer verront leur impôt augmenter de 15 % dès 2025, quand d'autres le verront augmenter de 5 %. De plus, j'ai fait voter une enveloppe de solidarité de près de 2 millions d'euros, alimentée par les autres chambres, pour financer la montée en compétences des chambres ultramarines en matière d'outils numériques. Enfin, la cellule d'accompagnement des chambres d'outre-mer de l'Apca est désormais dotée de quatre équivalents temps plein (ETP), contre un tiers d'ETP précédemment. Les chambres ultramarines doivent faire le même travail que les autres chambres. Il est vrai toutefois que des oppositions de filières se produisent parfois dans les outre-mer et que les chambres ont du mal à trouver leur place dans ce contexte.

J'en viens à l'énergie. Aucune décarbonation ne sera possible sans demander à l'agriculture d'assumer une partie de la production de l'énergie. Il faut donc trouver des équilibres, car ce changement ne peut se faire au détriment de la production alimentaire. L'enjeu est donc de savoir comment accompagner l'agriculture vers une hausse de sa production en continuant à améliorer son empreinte environnementale.

Développer la méthanisation des effluents d'élevage est un sujet majeur. Toutefois, il ne faut pas monter au-delà de 15 % de cultures dédiées pour faire tourner des méthaniseurs. De plus, des contrôles sont nécessaires pour éviter des abus. Il faudrait également aller plus loin dans la différenciation des tarifs, pour développer la petite méthanisation. Par exemple, dans le centre de la France, il faudrait installer de petits méthaniseurs à proximité directe des exploitations pour valoriser les effluents d'élevage. Or cela ne pourra se faire si les tarifs de rachat demeurent identiques, car ils bénéficient d'abord aux grands méthaniseurs. Les chambres soutiennent donc la méthanisation à capitaux agricoles, non les modèles de grands méthaniseurs. Des aides publiques sont nécessaires, sur l'investissement ou les tarifs de rachat, pour développer la petite méthanisation. La Bretagne présente des exemples intéressants dans ce domaine : au travers des procédés Nénufar, plusieurs élevages sont ainsi chauffés à l'aide des gaz qu'ils émettent.

Les panneaux photovoltaïques au sol ne sont acceptables que sur des terres improductives, et non simplement délaissées. Quant à l'agrivoltaïsme, les expérimentations doivent être poursuivies. Aucun projet ne doit être développé si son impact sur les cultures est inconnu ou non maîtrisé, et les projets ne doivent être menés à bien que si la perte de production induite est inférieure à 10 %. Charge enfin à l'intelligence locale de faire le tri entre les projets « alibis » et les autres. Nous défendons un développement raisonné, mesuré et modéré de l'agrivoltaïsme, impliquant une production maximale inférieure à 5 mégawattheures par agriculteur et à 200 mégawattheures par département en 2025. Un système de sanctions doit en outre s'appliquer si la production d'électricité prend le pas sur la production agricole.

M. Christian Redon-Sarrazy. - Un taux de couverture de 40 % est pourtant autorisé désormais.

M. Sébastien Windsor. - Il s'agit d'un maximum. Notre règle, et celle qui s'applique en commission de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF), implique une perte de production inférieure à 10 %, attestée par des essais. Cette doctrine doit être partagée, dans chaque département, avec les collectivités et les préfets pour déterminer l'acceptabilité des projets. Il n'est donc pas question d'ouvrir le taux de couverture à 40 % partout. À partir des projets expérimentaux et des références disponibles, l'Agence de la transition écologique (Ademe) doit fournir des tableaux indiquant quel type d'agrivoltaïsme serait susceptible, s'il est déployé à hauteur de 40 %, de générer plus de 10 % de perte de production agricole.

M. Franck Menonville. - Comment analysez-vous la mise en veille du plan Écophyto ? Quelle initiative les chambres souhaitent-elles prendre, sachant qu'elles ont un rôle potentiellement central à jouer sur ce point ? La réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires ne se décrète pas, elle se construit par la promotion de solutions et d'innovations. Comment faire des propositions construites à ce sujet ?

Quelle est votre analyse du guichet unique France Services agriculture ? Quel rôle les chambres pourraient-elles y tenir ?

M. Rémi Cardon. - Que pensez-vous du plafonnement des marges de la grande distribution, sachant que les chambres ont pour objectif de contribuer à l'amélioration de la performance économique, sociale et environnementale des exploitations agricoles ? Enfin, un alignement des prix s'observe entre la production agricole et les marges brutes. Faut-il s'en préoccuper ?

Mme Evelyne Corbière Naminzo. - Vous disiez que la trésorerie n'était pas un problème. Or c'est l'une des raisons principales de la mobilisation des agriculteurs à La Réunion. L'un d'eux, éleveur de poulets, m'a dit qu'une fois ses poulets passés à l'abattoir et mis en vente en grande surface, ils ne lui étaient plus accessibles, car trop chers. Il ne lui reste donc plus qu'à se rabattre sur les poulets de dégagement de l'Union européenne !

Par ailleurs, le changement climatique affecte lourdement les outre-mer - comme en a témoigné récemment le passage du cyclone Belal, dont nous avons pu constater les dégâts à La Réunion. Quel accompagnement pourrions-nous imaginer pour les agriculteurs ultramarins sachant que la trajectoire des cyclones a dévié, nous plaçant sur leur route, et que l'intensité des phénomènes climatiques s'accentue ?

Enfin, quelles propositions pourriez-vous faire en faveur de la recherche ? Le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) est performant. Les agriculteurs participent de façon très volontaire à l'amélioration de la connaissance et à la recherche, mais ils n'en voient pas les retombées sur leurs productions. Au contraire, nos connaissances sont exportées à l'étranger, dont nous subissons par ailleurs la concurrence déloyale.

M. Laurent Duplomb. - Un commerçant que j'ai rencontré récemment m'expliquait que, pour obtenir 900 euros de revenu, il lui fallait atteindre un chiffre d'affaires de 130 000 euros. Or, selon le réseau d'information comptable agricole (Rica), sur les 390 000 exploitations françaises, 125 000 produisent un chiffre d'affaires annuel inférieur à 25 000 euros. Dans ces conditions, comment les agriculteurs pourraient-ils ne pas se plaindre de leur revenu ? N'avons-nous pas installé, de façon dogmatique, trop d'agriculteurs dénués de tout projet économique ?

M. Franck Montaugé. - Je regrette votre position sur les PSE et la valorisation des aménités positives de l'agriculture.

Vous avez dit votre attachement au fonctionnement libéral des marchés agricoles. Quelles pistes de régulation pourrions-nous envisager pour certaines productions qui emportent avec elles l'avenir de pans entiers du territoire national ? Je pense notamment à la polyculture-élevage en Occitanie, qui se développe sur des terres agronomiquement défavorisées.

L'implication des établissements publics fonciers régionaux en lien avec les Safer pour faciliter le portage du foncier d'installation est-elle pour vous une piste de travail ? Je la crois intéressante.

M. Sébastien Windsor. - Le plan Écophyto et le dispositif Dephy ont été conçus pour fonctionner avec des fermes-pilotes, dans un cadre collectif. Si cette première phase a fonctionné, la méthode ne peut être généralisée à tous les agriculteurs. Un accompagnement individuel est souvent nécessaire. L'approche doit être globale : on ne convaincra pas un agriculteur de réduire l'utilisation des produits phytosanitaires si on ne travaille pas la question de son revenu et de la pénibilité de son travail. Il faut l'aider dans l'écriture de son projet et l'accompagner dans sa mise en oeuvre. Or cet accompagnement global n'est plus financé.

Nous souhaitons continuer à travailler avec le Gouvernement sur le contenu d'Écophyto. Il ne faut pas renoncer à réduire l'utilisation des produits phytosanitaires, mais traiter le sujet différemment. Le dispositif Phytosignal, par exemple, n'a pas été perçu comme étant de nature à réduire l'utilisation des produits phytosanitaires.

Nous sommes plutôt satisfaits d'être le guichet d'accueil dans le cadre de France Services agriculture. Le sujet de l'accompagnement des cédants est un peu nouveau pour nous. Nous aurions besoin que la Mutualité sociale agricole (MSA) nous communique la liste des cédants au moins cinq ans avant le départ, pour que nous puissions préparer avec eux la cession dans de bonnes conditions, en particulier quand elle se fait dans un cadre non familial. À cet égard, je confirme que nous avons besoin des établissements publics fonciers (EPF) et de la Safer pour mettre en place des plans de portage du foncier, qui ne comprendraient toutefois pas nécessairement des baux environnementaux.

Au sujet de la marge des distributeurs, je ne suis pas un chantre du libéralisme, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. J'ai simplement dit que le marché devait accompagner le mouvement pour permettre la rémunération des acteurs. Je suis tout de même favorable à une sorte de régulation. En tout cas, le partage de la valeur ne se fera pas sans un minimum de soutien et de régulation. C'est l'esprit des lois Égalim et des contrôles associés.

M. Franck Montaugé. - Égalim n'est qu'une partie du sujet.

M. Rémi Cardon. - Que proposez-vous ?

M. Sébastien Windsor. - Je redis qu'une forme de régulation me paraît nécessaire, je n'ai pas d'états d'âme là-dessus. Il faut faire en sorte que lorsque la grande distribution se fait imposer ses marges par Coca-Cola, elle ne les rattrape pas sur le monde agricole. Les produits haut de gamme, en circuit court ou les petits volumes ne doivent pas être ceux qui font systématiquement les frais de l'histoire.

J'étais à La Réunion la semaine dernière et j'y ai rencontré des représentants de la filière poulet. J'entends ce que vous dites sur le prix, mais vous ne pourrez pas attendre d'un agriculteur réunionnais, compte tenu de ses contraintes - alimentation importée, outils de moindre dimensionnement - qu'il propose ses poulets au prix des poulets de dégagement de l'Union européenne ou d'ailleurs. La question est donc celle des barrières tarifaires à mettre en place pour réguler ces distorsions de concurrence.

Je ne sais pas bien comment répondre à M. Duplomb sur le revenu des agriculteurs. Une chose est sûre : la tendance, avec le basculement des aides à l'installation aux régions, est à un risque de baisse du niveau d'exigence quant à la viabilité des exploitations. On voit parfois des jeunes s'installer avec comme plan de travailler soixante-dix heures par semaine en vue d'obtenir un Smic. Ils ne tiendront pas longtemps ! Nous devons donc nous montrer plus exigeants au moment de l'attribution des aides à l'installation. Le parcours prévu au sein de France Services agriculture doit contribuer à faire ce diagnostic de viabilité des projets. Avec le réseau Initiative France et Guillaume Pepy, nous travaillons sur des fonds d'amorçage. À cette occasion, nous avons visité des exploitations en Seine-et-Marne. La première personne que nous avons rencontrée était une éleveuse de moutons passionnée par son travail. Elle nous a confié ne pas tirer de revenus de son activité, vivre chez ses parents et espérer obtenir un Smic d'ici à cinq ans ! Voilà l'exemple d'un projet qui n'aurait pas dû être subventionné. Il ne fallait pas inciter la personne à renoncer, mais l'aider à rendre son projet viable.

Pour revenir sur la question de la séparation conseil-vente, il est capital que les élus des chambres qui sont acteurs dans la coopération ou, comme moi, impliqués dans une entreprise de travaux agricoles pour mutualiser les travaux avec leurs voisins, puissent être représentés au bureau de ces chambres. Il faut pouvoir emmener ces acteurs aussi dans une politique de réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires. Nous aurons besoin de vous sur cette question avant les élections consulaires en 2025.

Enfin, pour permettre la modernisation de l'identification de l'élevage sur laquelle nous avons travaillé avec le sénateur Duplomb - le bouclage électronique, par exemple, permettra de limiter la paperasse -, il faudra veiller au sort du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole (Ddadue) déjà adopté au Sénat. En effet, les établissements d'élevage sont dans une forme de vide juridique, leur accréditation étant parfois liée aux chambres, mais pas toujours. Nous devons embarquer toute la filière sur ce sujet. Nous y travaillons et serons à votre disposition pour répondre à vos questions.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie pour ces réponses précises.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Arnaud Gaillot, président des Jeunes Agriculteurs et Mme Véronique Marchesseau, secrétaire générale de la Confédération paysanne

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui Monsieur Arnaud Gaillot et Madame Véronique Marchesseau. Monsieur Arnaud Gaillot, vous êtes producteur de comté et de morbier, installé dans le Doubs, en polyculture-élevage. Après en avoir été le secrétaire général de 2019 à 2022, vous êtes depuis cette date, président du syndicat des Jeunes Agriculteurs. Madame Véronique Marchesseau, vous êtes éleveuse en vaches allaitantes dans le Morbihan ainsi que secrétaire générale et secrétaire nationale de la Confédération paysanne.

C'est donc un attelage qui ne va pas certes de soi mais une configuration qui a le mérite de permettre une écoute et un dialogue avec toutes les sensibilités, après l'audition, la semaine dernière du président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et, à l'instant même, du président de Chambres d'agriculture France.

Je tiens quand même à préciser que nous avions également proposé à la Coordination rurale d'être représentée ce matin, mais que cette organisation a décliné notre invitation. Malheureusement l'agenda de la commission ne permettait pas de recevoir de plus petits syndicats, comme par exemple le Mouvement de défense des exploitants familiaux (MODEF), que cependant nous n'oublions pas. Après ce cycle, nous aurons entendu trois organisations qui représentent les trois quarts des voix aux élections consulaires - si la Coordination rurale avait accepté notre invitation, cela aurait fait 98 %.

Monsieur le Président, Madame la Secrétaire générale, j'imagine que vous voudrez revenir en quelques mots sur la crise agricole que nous venons de traverser. Je rappelle à toutes fins utiles, les différences qui vous caractérisent a priori. Les Jeunes Agriculteurs ont participé directement aux négociations, qui ont conduit aux deux paquets d'annonces du Premier ministre, axés avant tout sur l'allègement de la pression normative, y compris en matière environnementale, pour lever les contraintes pesant sur la production. Les Jeunes Agriculteurs ont appelé, avec la FNSEA, à mettre fin au mouvement. Quant à la Confédération paysanne, elle a également été entendue par le gouvernement, mais tendait à proposer un autre récit de la crise, que nous venons de traverser, davantage explicable selon elle par la problématique des revenus agricoles trop faibles et trop inégaux. Différence de taille, la Confédération appelle toujours à poursuivre le mouvement de protestation.

Pour nuancer cette opposition schématique, j'ajouterai que les Jeunes Agriculteurs ont également beaucoup insisté ces derniers jours sur le nécessaire respect des lois dites Egalim, afin d'assurer un juste prix de la matière première agricole. La Confédération paysanne n'est pas en reste pour dénoncer les tracasseries administratives de la Politique agricole commune (PAC), difficiles à assumer, en particulier pour les plus petites exploitations. Un autre point commun qui vous réunit est l'attention que vous portez l'une et l'autre, au défi du renouvellement des générations, à l'heure où un agriculteur sur deux atteindra l'âge de la retraite d'ici à 2030. Entre installation et agrandissement, il me semble que vos deux organisations placent le curseur plutôt du côté de l'installation.

En conséquence, plutôt qu'une audition rétrospective sur les raisons de la colère, qui ne vous empêchera pas bien sûr d'y revenir, nous souhaitons vous auditionner dans la perspective des prochaines étapes, et notamment législatives. Aussi, nous aimerions vous entendre sur les 11 articles de l'avant-projet de la loi d'orientation, sur le renouvellement des générations en agriculture. Pouvez-vous nous donner votre avis en particulier sur quelques mesures structurantes de ce texte, à savoir : la question foncière et l'outil des groupements fonciers agricoles d'investissement (GFAI), le nouveau guichet unique de l'installation et de la transmission « France Services Agriculture » et le diagnostic modulaire de l'exploitation lors de l'installation ou de la reprise d'une exploitation, jugé trop peu structurant pour les uns ou au contraire porteur de contraintes nouvelles pour les autres ?

Enfin, jusqu'où devrait-on, selon vous, ouvrir le champ du projet de loi à venir ? Le Premier ministre a parlé de l'ajout d'un volet simplification et/ou compétitivité. Je rappelle que le Sénat, avec la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France de notre collègue Laurent Duplomb, rapportée par notre collègue Sophie Primas, dispose d'ores et déjà d'un éventail de propositions dans lesquelles le gouvernement ne s'est d'ailleurs pas privé de puiser pour ces annonces récentes. Il me semble que vous seriez tous les deux d'avis d'ouvrir davantage ce texte mais que les dispositions supplémentaires sont celles sur lesquelles vos vues seraient potentiellement les plus divergentes.

Je rappelle que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat. Je vous laisse la parole, Madame la secrétaire générale, et ensuite Monsieur le président.

Mme Véronique Marchesseau, secrétaire générale de la Confédération paysanne. - Je vais commencer par évoquer la crise agricole que l'on vient de vivre ces dernières semaines. Elle vient de loin. Elle ne nous a pas du tout surpris. Le malaise agricole est profond et bien connu. Depuis longtemps, le nombre de fermes diminue, le nombre de paysannes, paysans, agriculteurs et agricultrices est en chute libre. Les suicides sont nombreux dans notre profession. Cette crise traduit le profond malaise qui existe dans notre profession et qui s'est exprimé en raison des contraintes administratives, de l'abandon de la détaxation du gazole non-routier (GNR) et des problèmes climatiques.

Mais le problème est plus profond encore ; il est surtout lié à notre revenu. C'est pourquoi, depuis le début, nous avons insisté sur la nécessité de traiter le problème de revenu. On fait vivre tout un écosystème, au sens économique, au-dessus de nous et en dessous de nous, que ce soit en aval ou en amont, qui vit grâce à notre travail et qui n'a donc pas du tout intérêt à ce que ce système évolue puisqu'il en bénéficie largement. Or, c'est nous qui sommes la variable d'ajustement. C'est pourquoi des paysans, des paysannes, des agriculteurs et des agricultrices arrêtent leur métier, et des fermes disparaissent.

Il s'agit donc réellement d'une crise profonde qui est due à l'absence de revenus et à l'absence de perspectives. L'ensemble des solutions annoncées par le premier ministre, M. Gabriel Attal, constituent des mesures de court terme, certes nécessaires pour une partie d'entre elles. En effet, certaines mesures d'urgence liées au problème sanitaire, ou aux problèmes climatiques, devaient être prises. Toutefois, on ne discerne pas dans ces annonces de vision à long terme ou de changements structurels. Elles ne portent pas sur la question de notre revenu.

Nous demandons depuis le début que soit traitée la question du prix, et qu'il soit inscrit dans la loi que nos produits agricoles ne peuvent pas être achetés en dessous de nos prix de revient. Ce prix devrait tenir compte à la fois de nos coûts de production mais aussi de notre revenu et, dans notre revenu, de notre protection sociale. Nous n'avons toujours pas cette garantie. Les lois Egalim successives n'offrent pas cette assurance, d'autant plus qu'elles ne sont pas très bien appliquées.

Nous réclamons aussi une protection par rapport à la concurrence déloyale. C'est pourquoi nous plaidons pour l'arrêt des accords de libre-échange, tout du moins pour la sortie de l'agriculture des accords de libre-échange, qui la mettent en compétition avec les agricultures européennes et du monde entier, menaçant nos fermes et notre revenu.

Pour l'ensemble de ces raisons, nous n'avons pas mis fin à la mobilisation. Des confédérés sont aujourd'hui mobilisés à Châlons-en-Champagne. Nous poursuivons donc cette mobilisation tant que nous ne recevrons pas l'assurance, d'une part, de ne plus vendre nos produits en dessous de nos coûts de revient et d'autre part, d'être protégé de la concurrence du commerce international qui est extrêmement délétère pour notre agriculture, en engageant la sortie de l'agriculture des accords de libre-échange. C'était donc très rapidement le contexte actuel. Je reviendrai sur la suite après.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Comme vous le voulez ; ou vous pouvez nous présenter ce que vous attendez du futur projet de loi ?

Mme Véronique Marchesseau, secrétaire générale. - En ce qui concerne le projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles, je ne vous cache pas que nous avons été extrêmement déçus. Nous avions des propositions, comme tous les syndicats agricoles, concernant la définition du contenu du projet, qui devait être très ambitieux. Dès le départ, on prônait la nécessité de s'attaquer à la question du revenu qui est, pour nous, un préalable. En effet, on ne peut pas avoir d'installations agricoles maintenir des fermes si la question du revenu n'est pas prise en compte. Or, aujourd'hui le projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles ne le fait pas ; il est crucial qu'il y revienne. Je reviendrai sur les propositions que nous avons portées, peut-être plus tard à l'occasion des questions.

M. Arnaud Gaillot, président des Jeunes Agriculteurs. - Madame la Présidente, chers sénateurs, membre de la commission affaires économiques, je souhaiterais rapidement revenir sur les mobilisations, dont vous avez en partie rendu compte pour saluer la mobilisation de l'ensemble du réseau des Jeunes agriculteurs. Contrairement à d'autres, nous sommes entrés dans l'action depuis le mois d'octobre, nous n'avons pas attendu pour alerter sur le malaise agricole, notamment avec les panneaux à l'envers, et nous n'avons pas eu la tentation de déstabiliser le pays ou de semer des troubles irrévocables. Il est temps d'entendre et de comprendre nos revendications avec plus de 500 actions, et plus de 40 000 agriculteurs mobilisés. Nous pouvons également être fiers du réseau des Jeunes Agriculteurs pour le déroulement d'une grande partie des actions, dans le respect des biens et des personnes, même si on a pu relever des débordements à certains endroits. Le mot d'ordre de notre mobilisation est assez clair : respecter les biens et les personnes, ainsi que les lois de la République, et que chacun assume ses responsabilités.

La remobilisation de notre agriculture passera avant tout par un changement de logiciel. Cela comprend un grand nombre de sujets, mais il faut surtout que nos échanges avec vous, élus, soient suivis d'actes sur le terrain et dans les territoires. Nous ressentons, en effet, une déconnexion. Nous avons le sentiment d'avoir toujours plus d'obligations, sans aucun contrôle de ce qui rentre chez nous et de devoir toujours faire mieux, au sein même de l'Europe, avec des normes qui ne sont pas forcément respectées dans les autres pays européens.

Au-delà de ce constat, un autre véritable problème est le mal-être agricole qui pèse chez beaucoup, avec ce sentiment d'être toujours le responsable : le responsable du mal-être des animaux, le responsable de la destruction de l'environnement, et finalement le responsable de tous les maux de la planète à l'heure actuelle. Peut-être sommes-nous devenus la cible idéale parce que nous ne sommes plus que 400 000 et que nous sommes moins importants que d'autres.

Enfin, bien entendu, un des autres problèmes importants est celui du revenu et de la nécessité de l'application pleine et entière des lois Egalim. Certes, de notre côté, nous devons peut-être progresser sur la contractualisation mais on a bien noté que les négociations commerciales sont compliquées. Je pense que tout le monde se lève le matin pour gagner de l'argent. Ce qui est problématique, c'est quand certaines personnes s'enrichissent sur le dos des autres, parce qu'ils ne leur rendent pas la juste valeur de ce qui leur est dû. Cela doit changer.

Comment y parviendra-t-on ? On a besoin de repositionner l'agriculture, qu'elle soit française ou même européenne, dans un monde où tout évolue vite. Quel type d'agriculture veut-on dans notre pays, et comment ? Vous avez souligné notre participation aux négociations avec le gouvernement, notamment sur les sujets du « mois de la simplification ». Les contraintes sont nombreuses et la suradministration constante. On vous demande, par exemple, de conserver pendant cinq ans les baux d'enlèvement, attestant que la coopérative est venue chercher les animaux chez vous. Finalement, tout est effacé quelques années plus tard car ils sont écrits au crayon. J'en passe et des meilleures. Un gros travail doit être effectué en lien avec les préfets. Je pense qu'il est en cours.

En ce qui concerne les aides d'urgence, sans toutes les citer, que ce soit pour la maladie hémorragique épizootique (MHE) ou les versements de la PAC, il n'est pas normal que certains éleveurs n'aient toujours pas perçu les aides pour la grippe aviaire et la tuberculose bovine. On constate à l'inverse que lorsque nous devons de l'argent à l'État, nous ne bénéficions pas de délai. Ce n'est pas normal.

Quant aux mesures en faveur de l'origine France, nous avions obtenu, à l'époque, une obligation d'étiquetage de l'origine qui avait été annulé par la Cour de justice de l'Union européenne. Nous observons de nouveau une dérive avec le « Made in France » qui fait l'objet de trop nombreuses fraudes et contournements, laissant croire que le produit est d'origine française alors qu'il ne l'est pas.

Un autre sujet de préoccupation sont les mesures relatives à la compétitivité, et notamment le dispositif TO-DE (travailleurs occasionnels-demandeurs d'emploi), pour les travailleurs saisonniers. Nos amis viticulteurs et des filières arboriculture et maraîchage, sont en souffrance. C'est donc un point non négligeable pour eux.

Enfin, il y a bien sûr toutes les mesures de sur-transposition. Nous avons été beaucoup attaqués sur le plan Écophyto, les Jeunes Agriculteurs peut-être un peu moins que la FNSEA. Pourquoi avoir demandé l'arrêt de ce plan ? Après l'échec du plan Écophyto, du plan Écophyto II, un plan Écophyto 2030, avec exactement les mêmes dispositions, conduira au même résultat. Quand on cuisine, si on reprend la même recette et que tout le monde a trouvé la soupe mauvaise, il ne faut pas recommencer sinon on finira exactement pareil. La solution consiste donc à trouver un logiciel qui nous permette d'élaborer une stratégie claire et nette pour les phytosanitaires, avec une trajectoire que personne ne pourra contester, et précisant comment garantir des niveaux de production tout en préservant notre environnement, qui est soumis à des contraintes par l'augmentation de la population et par les nouvelles technologies. Il faut donc retrouver de l'intelligence, et mettre en avant les efforts réalisés par l'agriculture. En effet, la mise en oeuvre actuelle du plan Écophyto ne récompense jamais les efforts agricoles. Quoi que nous fassions, nous serons toujours considérés comme mauvais. Sur ce point, nous avons le sentiment d'avoir été entendus, mais le travail doit être lancé pour que les actions aboutissent.

Enfin, ce qui importe pour les Jeunes Agriculteurs, ce sont les engagements pour progresser sur la question de l'installation et de la transmission, avec notamment le rehaussement du budget de l'Accompagnement à l'Installation-Transmission en Agriculture (AITA), dont l'enveloppe a été portée à 20 millions au lieu de 13 millions d'euros, les mesures fiscales et sociales qui ont été annoncées et surtout un calendrier pour travailler d'ici le prochain projet de loi de finances (PLF) pour aller encore plus loin en matière de transmission et de lutte contre la hausse des taux. Les taux actuels pénalisent grandement les reprises d'exploitations agricoles en ce moment.

Désormais, le travail à faire est devant nous. C'est pourquoi, nous avons appelé à suspendre une forme de mobilisation, les blocages, sans arrêter celle-ci. Nous avons appelé notre réseau à retravailler, comme nous le faisons tous les jours en tant que responsables syndicaux au niveau national, mais aussi dans les régions et les départements, avec les services de l'État, et toutes les personnes qui auront envie de travailler à la mise en oeuvre du changement de logiciel que nous avons obtenu en matière de simplification, d'Egalim, et d'installation-transmission.

Bien entendu, le calendrier sera d'abord marqué fin février par le rendez-vous du salon de l'agriculture, date à laquelle de premiers actes, une prise de conscience et une volonté de changement doivent se manifester. Ensuite, d'ici juin au plus tard, nous attendons les preuves concrètes démontrant que nous repartons sur de nouvelles bases, avec bien sûr les élections européennes au mois de juin, qui seront un marqueur. Nous serons présents à ce rendez-vous.

En ce qui concerne le projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles, nous serons vigilants à ce que soit conservé l'objectif de cette loi, ainsi que nous l'avons rappelé pendant les négociations, tout en profitant de ce projet pour y intégrer des mesures de simplification, des dispositions sur les normes environnementales, etc. Cela nous paraît judicieux parce qu'un vecteur législatif est nécessaire pour certaines des mesures demandées par les agriculteurs. Vous avez fait référence à la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France. Certes, mais il ne faut pas que le projet de loi soit reporté à Noël. Le calendrier doit être respecté. Un grand nombre de dispositions sont déjà prêtes.

Il faut simplement que les personnes concernées se mettent rapidement autour d'une table pour finaliser le texte. Toutes les mesures attendues n'étaient pas prévues dans le projet de loi et, en effet, il a changé de nom : il ne s'appelle plus projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles, mais projet de loi pour le renouvellement des générations en agriculture, parce qu'il comporte un volet important relatif à la promotion des métiers agricoles dans les écoles, à l'attractivité des métiers et à la communication sur ces derniers auprès du plus grand nombre. Une disposition prévoit que tous les écoliers se rendent dans des fermes. Il est important de reconnecter la nouvelle génération avec l'agriculture. Lorsque les jeunes visitent des fermes, ils en parlent le soir avec les parents. Cela crée du dialogue. Le projet de loi contient également des mesures sur l'installation et la formation.

Vous avez mentionné le guichet unique. C'est un sujet que nous avions abordé dans notre rapport d'orientation en 2020 : il n'est plus possible que des personnes ignorent où effectuer leurs démarches d'installation et peinent autant à trouver les réponses. Un guichet unique permettra de clairement identifier ce lieu. Quant au débat sur l'organisme portant ce guichet unique, rappelons que les chambres d'agriculture, quoique décriées par certains, représentent un outil institutionnel, sous tutelle de l'État, et représentant le monde agricole par le suffrage universel, qui est le principe démocratique de notre pays. Qui de plus neutre actuellement dans le monde agricole, que les chambres d'agriculture ? À moins que l'on veuille remettre en cause le système démocratique de notre pays - mais je n'ai pas l'impression que ce soit le cas.

Quelques points nous inquiètent dans le projet de loi et notamment, le diagnostic sur les sols agricoles, sur lequel nous avons alerté le Premier ministre. J'ai le sentiment qu'il a entendu notre inquiétude et que ce sera retiré, pour plusieurs raisons. Premièrement, l'Europe en débat actuellement : il ne semble donc pas opportun que la France élabore un cadre avant même de savoir ce que l'Europe fera. Deuxièmement, on ne nous a pas vraiment expliqué la finalité d'un tel dispositif. Eu égard au sentiment de méfiance entre le monde agricole et une partie de la classe politique, ou au moins de ses institutions, nous préférons rester prudents. Ce que nous avions proposé, c'était plutôt un diagnostic généraliste qui permette de réaliser une étude de l'exploitation afin de déterminer sa durabilité. Il porterait tant sur la rentabilité économique ou le potentiel de filière que sur l'adaptation au changement climatique, en identifiant comment la ferme est positionnée pour se prémunir des effets de ce changement, en fonction des aléas et du type de cultures, afin qu'on puisse conseiller le jeune agriculteur au moment de son installation. Il est bien sûr question de conseil et non de prescriptions parce que la liberté d'entreprendre est également en jeu. Il s'agit de conseiller afin que la personne ait tous les éléments à sa disposition au moment où elle s'installe.

Le conseil renvoie aussi à la nécessité de renforcer la formation. La formation scolaire existe. Même si on ne peut pas tout demander à l'école, il faut développer les possibilités de formation continue. De nombreux corps de métiers permettent aux personnes de se former tout au long de leur carrière, que ce soit pour la montée en compétence sur leur poste, ou pour l'acquisition de compétences personnelles. Il ne faut pas se le cacher, on est trop encore faible dans le monde agricole, en ce domaine. La formation continue doit être davantage encouragée  : qui peut prétendre tout savoir jusqu'à la fin de sa vie ? On apprend tous les jours. Il faut donc qu'on puisse en permanence amener nos agriculteurs et nos agricultrices à se remettre en cause, à se poser des questions et à s'enrichir des dernières évolutions.

En ce qui concerne le sujet du foncier, je ne vous cacherai pas que chez les Jeunes Agriculteurs, nous l'appréhendons plutôt avec réticence. On entend parler du renouvellement des générations, par l'installation, sans parler de foncier. Or, pourquoi ouvrir la boîte de Pandore sur le foncier, sans en avoir identifié les vrais leviers, sans avoir pu mettre tous les acteurs autour d'une table pour en discuter ? Chacun y voit son intérêt personnel et peut avoir plus à perdre qu'à gagner si on ouvre vraiment tout ce dossier. J'attire votre attention sur notre système agricole français qui repose en grande partie - pour ma part, c'est le cas - sur le fermage et la mise à bail. Peu d'agriculteurs sont propriétaires de leur terre, notamment en élevage, dans des fermes de taille moyenne ou dans des zones à forte valeur ajoutée. Beaucoup sont en fermage. Ce dernier a l'avantage de permettre aux jeunes qui ne sont pas issus de familles agricoles ou de familles aisées, de reprendre une exploitation sans disposer d'une mise de fonds. Cela ne signifie pas qu'il faille s'interdire de rendre le fermage plus attractif et volontaire ou de mettre en place des outils de portage, si l'on veut éviter l'acquisition de notre sol par des acteurs étrangers. Il faut anticiper et réfléchir à une façon intelligente de le faire.

Ce qui manque aussi et qui est absent, ce sont les mesures sur la transmission. Nous avions rédigé un livre blanc sur la transmission présentant un grand nombre de propositions qui restent certes à l'heure actuelle généralistes. Il faudrait maintenant rentrer précisément dans la mécanique des dispositifs. Pour cela, le ministère de l'économie à Bercy doit travailler avec nous pour nous faire des propositions. Je veux bien entendre dire que nos idées ne sont pas les bonnes, mais à un moment donné, il faut nous proposer quelque chose. On ne peut pas s'indigner que des citoyens chinois viennent acheter des vignobles parce que ceux-ci ne peuvent pas être repris par les enfants des générations qui les ont construits. On peut faire de grands discours mais ce serait bien qu'il y ait les actes. On a besoin de mesures de transmission fortes. Il faut le voir comme de l'investissement. Même si c'est une dépense nette à l'instant t, c'est surtout un investissement pour l'avenir en permettant de conserver un patrimoine national, des outils de production sur notre sol et une souveraineté alimentaire dans notre pays. Le mot souveraineté est en train de prendre tout son sens dans les crises que l'on traverse, le conflit en Ukraine nous rappelant à quel point la fragilité apparaît vite. Beaucoup de nos concitoyens ont oublié qu'au moment de la pandémie de Covid-19, où tout était fermé ou arrêté, les rayons des supermarchés n'ont jamais été vides. C'est bien la preuve que la France est une puissance agricole qu'il faut conserver.

En conséquence, je tiens à vous dire que vous nous trouverez à vos côtés pour travailler, comme nous l'avons toujours fait dans le cadre des réflexions que nous menons avec vous, sur ce projet de loi, sur ce Pacte, ou encore sur les futures mesures de simplification. Nous aurons aussi besoin de votre soutien. En effet, la philosophie de notre syndicat apolitique est de travailler avec l'ensemble des acteurs. Alors que certains nous considèrent comme proches du pouvoir, vous me permettrez la petite boutade de dire que finalement, je ne sais plus si nous sommes de droite, de gauche ou du centre, au regard de nos 60 ans d'existence. Finalement, je ne sais pas de quel bord nous sommes.

En conclusion, j'insisterai sur le fait que les jeunes croient en ce métier et en la souveraineté alimentaire. On le voit dans nos lycées agricoles, qui sont remplis. Je pense qu'il faut juste redonner confiance à cette jeunesse agricole, redonner l'envie de devenir agriculteur. Il faut, à l'instar du rêve américain ou du rêve australien, pouvoir se dire qu'avec quelques idées, quelques sous en poche, tout est possible. La France a des chercheurs et des entreprises d'excellence, elle a des produits de qualité. Il ne faut pas laisser croire qu'il n'y a pas d'avenir, et que la seule solution c'est la récession.

Mme Véronique Marchesseau, secrétaire générale. - Je vais vous présenter nos propositions pour ce projet de loi d'orientation puisque je m'étais arrêtée à l'analyse de la situation actuelle. Sur l'orientation et la formation, nous sommes en faveur d'un large soutien à l'enseignement agricole. Si beaucoup de propositions ont été faites pour créer de nouvelles formations qui ne sont peut-être pas nécessaires, nous pensons qu'il faut donner plus de moyens à celles qui existent déjà. Il convient de conserver le rôle d'expérimentateur des pépinières d'entreprise pour permettre aux nouveaux publics, dépourvus de liens familiaux ou de proximité avec le milieu agricole, de se tester avant de se lancer dans ce métier.

Concernant l'installation et la transmission, l'installation est pour nous primordiale. Nous préconisons d'avoir au moins un million de paysannes et de paysans pour pouvoir répondre aux enjeux de l'alimentation ainsi qu'aux enjeux environnementaux et climatiques, très prégnants aujourd'hui. Pour favoriser de nombreuses installations, nous pensons comme les Jeunes Agriculteurs, que le foncier représente la pierre angulaire de toute politique en ce sens. Comme mon collègue, nous défendons très fermement la préservation du droit du fermage, grâce auquel on compte encore aujourd'hui des fermes familiales et à taille humaine. C'est pourquoi il faut vraiment protéger cet outil et également conserver les SAFER (Sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural), renforcer leurs actions et faire évoluer la gouvernance.

Le fermage et les Safer ont permis de conserver l'agriculture, en évitant une évolution vers une dimension trop industrielle, même si elle en prend le chemin. Nous proposons donc de préserver les terres agricoles, de répartir le foncier, par ces outils de régulation que sont la Safer et le fermage, de travailler à la restructuration et à la division des exploitations surcapitalisées qui ne sont plus transmissibles, d'encadrer les montages sociétaires et d'interdire le travail à façon intégral qui participe à la financiarisation de l'agriculture.

L'accès à l'eau et le partage de la ressource en eau constituent un point à travailler très sérieusement.

J'ai déjà mentionné l'introduction d'un droit au revenu. Nous demandons aussi un renforcement de notre protection sociale et des aides au logement. Le droit au remplacement a été amélioré dans le dernier projet de loi de finances mais pourrait être aussi renforcé pour bénéficier à d'autres productions qu'aux seuls éleveurs, quitte à y mettre peut-être un plafond de revenus. En tout état de cause, de nombreux exploitants autres que dans les fermes d'élevage ont aujourd'hui besoin de prendre des congés, soit pour se reposer, comme tout un chacun, soit pour se former.

Parmi les autres préconisations, nous proposons un accompagnement à toutes les étapes de l'installation et surtout en tenant compte de la diversité des profils. Dans le projet de loi qui nous est présenté, figure un guichet unique qui serait porté par les chambres d'agriculture. Pourquoi pas, si nous avons la garantie que tous les parcours pourront être accompagnés et surtout si une révision de la gouvernance des chambres est opérée. Celle-ci aujourd'hui ne laisse aucune place aux syndicats minoritaires dont la Confédération paysanne fait partie. Nous pesons donc très peu sur les politiques qui sont accompagnées par les chambres d'agriculture. Nous demandons donc une révision de cette gouvernance pour une reconnaissance des personnes qui ont voté pour nous, dans la répartition des sièges, et celle des financements, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. D'accord pour le guichet unique, mais avec une révision de la gouvernance des chambres. La crise ne vient pas de nulle part. Ce sont les politiques publiques qui nous ont menés là et elles ont été accompagnées par une fraction du syndicalisme seulement, majoritaire certes.

Vous avez mentionné la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France, dont certains points figurent dans les annonces du Premier ministre. Nous ne nous sommes pas réjouis de ces annonces. L'agroécologie a été abandonnée dans le projet de loi, mais a été aussi sacrifiée dans les annonces de M. Gabriel Attal. L'objet de la colère a été, en fait, détourné vers l'environnement pour la calmer. Or la colère qui s'est exprimée n'était pas contre les normes, mais contre le fait de ne pas pouvoir vivre de son métier. On ne peut pas opposer agriculture et environnement. C'est dramatique pour l'avenir de l'agriculture. Nous sommes les premières victimes quand les pesticides sont utilisés, quand la biodiversité s'éteint, quand l'eau n'est plus gardée dans les sols. C'est notre production qui en pâtit en premier. Il faut vraiment qu'on parvienne à concilier environnement et agriculture. C'est une question de pérennité de cette dernière et de survie de l'humanité.

Je vais revenir sur d'autres points du projet de loi. En ce qui concerne le diagnostic modulaire, il existe aujourd'hui déjà un grand nombre de diagnostics dans beaucoup de réseaux qui permettent aux agriculteurs et agricultrices, quel que soit le stade de leur vie professionnelle, de faire des bilans. Il faut en tenir compte pour accompagner l'installation et la transmission. On n'est pas obligé de tout réinventer. Il existe aujourd'hui des dispositifs très efficaces.

Les diverses moutures précédentes du plan Écophyto, abandonné à la demande du syndicalisme majoritaire lors de cette crise, n'avaient pas fait leurs preuves. Il revenait aux chambres d'agriculture de les mettre en oeuvre. Elles ne l'ont peut-être pas fait de façon à ce que ce soit efficace, car je peux vous assurer qu'il existe depuis longtemps, des pratiques mises en oeuvre dans de nombreuses fermes, qui permettent une diminution avérée des pesticides, voire permettent de s'en passer. On devrait déployer massivement ces pratiques pour faire évoluer l'agriculture. Nous n'avons pas à nous opposer les uns aux autres. Il n'y a pas d'un côté l'agriculture biologique, et de l'autre, l'agriculture conventionnelle. Nous devons tous ensemble utiliser les pratiques qui peuvent être favorables à tous, comme celles utilisées pour l'agriculture biologique. Il existe donc une nécessité d'accompagner le déploiement de ces pratiques ainsi que la recherche pour les faire évoluer dans un sens favorable aux attentes citoyennes et aux urgences du moment.

Enfin, outre les groupes de travail, qui ont été constitués dans le cadre de la préparation du projet de loi, nous proposons qu'il y en ait un qui explore la question de la sécurité sociale de l'alimentation pour répondre aux besoins de la souveraineté alimentaire, du maintien d'une agriculture paysanne avec de nombreux paysans et paysannes ainsi qu'à la nécessité d'une alimentation de qualité et choisie pour tous nos concitoyens et concitoyennes.

M. Daniel Laurent. - Nous avons un rôle important à jouer tous ensemble, ici, au Sénat, depuis longtemps, celui de maintenir notre agriculture compétitive, mais également de préparer l'avenir et l'installation des jeunes. L'agriculture ne pourra progresser sans jeunes qui y sont intéressés, encouragés et aidés.

L'un et l'autre, vous avez évoqué les principaux freins à la transmission agricole. Ils sont au nombre de deux, l'accès au foncier agricole, et au financement qui impacte la capacité des jeunes agriculteurs à s'installer. Je souhaiterais que vous précisiez un peu vos demandes sur ces deux points ainsi que l'agriculture biologique, que vous venez d'évoquer Madame la secrétaire générale. Cette agriculture représente un pourcentage intéressant d'installés mais qui connait de grandes difficultés actuellement. Enfin, je pense qu'il est important, comme vous l'avez évoqué Monsieur le président, de montrer aux jeunes l'impact du changement climatique, l'agriculture étant en pleine transition.

M. Jean-Claude Tissot. - Je vous remercie, Madame la présidente, pour l'organisation de cette rencontre avec des syndicats minoritaires. Madame la secrétaire générale, Monsieur le président, merci pour vos propos liminaires. Je salue la diversité de vos visions respectives.

Je souhaiterais échanger sur un sujet qui n'a finalement pas été tellement abordé lors de cette crise agricole, celui de la concurrence entre les productions agricoles et énergétiques. Je pense bien sûr notamment à l'agrivoltaïsme dont un projet de décret est en cours de consultation, pour lequel on évoque des taux de couverture pouvant aller jusqu'à 40 % des terres agricoles. Je sais que les Jeunes Agriculteurs ont déjà exprimé leurs craintes vis-à-vis de l'agrivoltaïsme et que la Confédération paysanne a souvent rappelé son opposition s'agissant des terres agricoles. Quelle lecture faites-vous de ce décret ? Cette surenchère énergétique, alors que les installations sur les toits seraient suffisantes, ne participe-t-elle pas à une transformation délétère du métier de paysan, et ne risque-t-elle pas de perturber le statut du fermage, voire le faire disparaître ? Quel est votre avis ?

Enfin, j'aimerais connaître vos positions sur les évolutions éventuelles des aides de la PAC. En cas d'élargissement de l'Union Européenne à l'Ukraine, une réforme de la PAC sera évidemment indispensable. Selon vous, quelles seraient alors les modifications à apporter sur l'attribution des aides de la PAC ? Que pensez-vous de la mise en place d'un plafond à partir d'un certain nombre d'hectares, avec le risque de manipulations sociétaires, pour être sous le plafond, ou alors, une surprime sur les premiers hectares ?

M. Philippe Grosvalet. - Madame la présidente, Madame la secrétaire générale, Monsieur le président, la Loire-Atlantique, ma circonscription sénatoriale, est un des rares départements où la Confédération paysanne a présidé la chambre d'agriculture, pendant de nombreuses années. Ma question portera sur le bio, non pas évidemment pour l'opposer au conventionnel, ce qui n'est jamais constructif, mais pour rappeler que dans ce département, 20 % des exploitations - et non de la production - sont engagées en bio. C'est dire si ce modèle, ce label, a permis un développement vertueux de l'agriculture, dans un département qui est classé deuxième en surface d'eau en France, mais où 99 % des masses d'eau sont en mauvais état. Il est donc vertueux pour l'environnement, pour la santé, pour les agriculteurs eux-mêmes et surtout, et c'est là ma question, pour le revenu. On a assisté, après la crise du lait, à de nombreuses conversions en bio qui ont été financées par les pouvoirs publics, soutenues par les collectivités locales, c'était le cas lorsque je présidais ce département. Ces exploitations converties en bio sont aujourd'hui en difficulté. On assiste même à des déconversions. Quelles propositions formulez-vous pour relancer la filière bio quand, à l'instant, le président de Chambres d'agriculture France, s'en remettait essentiellement au marché.

Mme Véronique Marchesseau, secrétaire générale. - Pour répondre à votre question sur les transmissions, nous proposons de créer une fiscalité incitative, car les fermes peinent aujourd'hui à se transmettre en raison de la faiblesse du montant des retraites des agriculteurs. Ces derniers, une fois retraités, ne peuvent pas brader, c'est le moins que l'on puisse dire, leurs fermes parce qu'une fois la ferme transmise, ils n'ont pas d'autres moyens de subsistance. Aussi, pour inciter les agriculteurs à transmettre leurs fermes, il faut soutenir la transmission, revaloriser les retraites agricoles et plafonner les aides de la PAC à l'âge légal de la retraite. En effet, un grand nombre d'agriculteurs préfèrent garder leurs terres parce qu'ils perçoivent plus d'aides de la PAC que de retraite, ce qui ne facilite absolument pas la transmission.

En ce qui concerne la réforme de la PAC, ce que nous proposons depuis longtemps, c'est que l'on arrête de financer la PAC à l'hectare, mais que ce soit un financement à l'actif, pour favoriser le nombre de fermes et éviter une concentration des subventions dans les plus grandes fermes. Nous demandons donc une aide de la PAC à l'actif et pas particulièrement le plafonnement du nombre d'hectares ou une surprime pour les premiers hectares puisqu'on a observé avec ce système la création de nombreux montages sociétaires de contournements, permettant de percevoir plusieurs fois cette aide.

Sur le photovoltaïque, vous connaissez notre position. Il existe suffisamment d'endroits où installer des panneaux photovoltaïques, sans s'attaquer directement aux terres agricoles qui doivent rester le support de l'alimentation. Si la productivité va tendre à diminuer en raison des conditions climatiques, on n'a surtout pas intérêt à sacrifier des terres agricoles pour la production d'énergie. Les panneaux photovoltaïques, c'est donc sur les toits et pas sur les sols.

Concernant la méthanisation, on a pu en constater les dérives. Les animaux ne sortent plus, ce qui va complètement à l'encontre des enjeux du bien-être animal et des enjeux de l'environnement. Je rappelle que si les prairies disparaissent, c'est parce que les animaux ne pâturent plus. Et si les animaux ne pâturent plus c'est parce qu'ils demeurent en stabulation toute la journée. C'est donc contre-productif pour ces enjeux.

Quant à l'agriculture biologique, elle est effectivement aujourd'hui en crise parce que les nombreuses conversions n'ont pas évolué parallèlement au marché. Cela étant dit, une volonté publique forte pourrait accompagner le bio, si on estime que cette forme d'agriculture répond à l'ensemble des enjeux contemporains. On constate qu'il existe peu de productions agricoles aujourd'hui qui ne soient pas accompagnées par les politiques publiques et qui s'en sortent uniquement grâce au marché. C'est une illusion totale de croire le contraire. Quand il y a une crise du porc pour quelques milliers d'agriculteurs, on peut débloquer 270 millions d'euros, quand il y a une crise du bio pour quelques dizaines de milliers d'agriculteurs, on débloque 50 millions d'euros. Il y a donc deux poids deux mesures dans l'accompagnement des systèmes. C'est une vraie question. Je pense que faire passer ce cap difficile à l'agriculture biologique, relève de la volonté politique.

M. Arnaud Gaillot, président. - Concernant la question des retraites, oui, il faut un complément de retraite. Ceci dit, le sujet de la retraite agricole est très compliqué en raison du système existant. Comment équilibre-t-on un tel système ? Il y a aussi la question des 25 meilleures années, qui est sur la table, notamment pour les conjointes-collaboratrices. Il faut trouver une solution car, à l'heure actuelle, le problème n'est pas résolu. Nous voulons que cela puisse évoluer et que l'on trouve une porte de sortie.

Sur le foncier, les financements et les questions de portage, il faut voir notamment comment on peut disposer d'outils qui accompagnent le jeune agriculteur dans la reprise, ou le moins jeune, parce qu'il n'y aura pas que des jeunes qui s'installeront, compte tenu de l'ambition de remplacer les 50 % d'agriculteurs qui vont partir à la retraite. C'est déjà 200 000 personnes. Il faut donc un outil qui accompagne ces repreneurs, sans faire de la spéculation foncière, sans imposer de contraintes sur la liberté d'entreprendre des jeunes en conditionnant leur installation à un type d'agriculture ou un autre. Il faut rester aussi prudent sur ces sujets. Mais il faut que l'on soit au rendez-vous peut-être avec des fonds nationaux, car une garantie de l'État est nécessaire. Il ne faut pas qu'on laisse la résolution de ce problème uniquement à des capitaux extérieurs, même s'il en faudra, parce qu'on ne peut pas tout demander à l'État. Cependant, l'État doit être présent pour garantir la sécurité du foncier et ne pas laisser les fermes à des capitaux étrangers qui demain posséderaient le foncier français.

En ce qui concerne l'impact du changement climatique, nous avions l'ambition de faire figurer dans le Pacte - plutôt que dans la loi - une modélisation de la Ferme France de demain, en intégrant les prévisions relatives au changement climatique dans l'état actuel de nos connaissances, mais aussi les tendances sociétales et les besoins de marché. Dans l'idéal, nous serions en capacité de renseigner les jeunes agriculteurs qui veulent se lancer dans un type d'agriculture particulier, sur la région la plus propice à cette agriculture, que ce soit la leur ou une autre. Cela commence à se faire.

Pourquoi renseigner ainsi les jeunes agriculteurs ? Pour notre syndicat, remplacer 200 000 agriculteurs d'ici à 2030, n'est pas un inconvénient, comme certains le voient mais une opportunité. Un grand nombre de jeunes hommes et femmes viendront sans être issus du milieu agricole. Ces personnes n'arriveront pas - et ce n'est pas péjoratif de le dire - avec des idées préconçues car elles n'ont pas toujours connu ce système, contrairement à ceux pour qui le système est ancré en eux parce qu'ils en sont issus, l'ont vécu avec leurs parents, ou l'ont appris. En effet, en changer certains paramètres est très difficile si cela oblige ces personnes à admettre que potentiellement il faudrait abandonner l'élevage, tel type de culture céréalière ou tel type de maraîchage, qu'elles ont toujours connu ou mis des années à construire. C'est très compliqué. En revanche, une nouvelle génération qui n'a pas forcément ces mêmes attaches, les mêmes sensibilités, les mêmes patrimoines, peut parvenir à faire évoluer le système. Je pense qu'il faut qu'on saisisse la balle au bond. Il faut donc que l'on rentre plus avant dans les stratégies de filière, et répondre à la question du positionnement de la ferme France, en prenant en compte tout ce que l'on connaît et les besoins.

La question de l'eau et du stockage est primordiale. Ceci dit, chacun a un point de vue et refaire ici le débat serait réducteur. Toutefois, sans eau, il n'y a pas de vie, je pense que nous sommes tous d'accord pour le dire. La véritable question porte sur les méthodes à employer. Il n'y a pas de modèle unique qui s'adapterait au territoire français dans son ensemble. Selon les zones où la ferme est située, la solution résidera peut-être dans un barrage, une réserve ou du puisement. Je ne prétends pas connaître le bon dispositif. En revanche, ce qu'il faut demander collectivement, ce sont des concertations territoriales sur une gestion de l'eau et sur son stockage.

À titre d'exemple, les simulations révèlent que si lors de l'épisode climatique de l'automne dernier dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et notamment dans le département des Hautes-Alpes, on avait stocké l'eau qui a transité dans la Durance pendant quatre jours, on aurait obtenu l'équivalent d'un an d'irrigation pour la région. Au-delà de l'irrigation, c'est surtout l'eau du robinet qui est en jeu, car dans ma région, l'Alsace, avec des sols calcaires, cela n'aurait pas de sens de stocker de l'eau pour irriguer des prairies, même si on en rêverait.

Néanmoins, une question va se poser, celle de pouvoir abreuver les vaches, et avant d'abreuver les vaches, celle d'alimenter en eau les êtres humains, qui ont peut-être oublié qu'en tant que tels, ils ont besoin d'eau. Si on veut stocker de l'eau, la première cause est peut-être celle de pouvoir boire l'eau du robinet demain. L'eau constitue donc un véritable enjeu. Je prendrai rapidement l'exemple des rivières dynamiques, sur mon territoire. On se plaint qu'elles sont polluées, mais c'est le manque d'eau en été qui augmente la concentration des teneurs en polluants, en raison de la baisse des volumes d'eau et qui entraine la mort des poissons par manque de courant. Dans le même temps, les agences de l'eau financent, dans le cadre d'une directive européenne, le démontage des barrages pour redonner libre cours à nos cours d'eau. Je pense qu'on marche vraiment sur la tête, parce que si les anciens ont construit ces barrages, c'est qu'il y avait une bonne raison. Il faut qu'on retrouve ce bon sens.

Je reviens à la question de la concurrence entre agriculture et production d'énergie photovoltaïque qui fait beaucoup débat parmi les jeunes agriculteurs. Le point d'atterrissage que nous avons trouvé nous semble être un compromis - dont il serait certes présomptueux de vous dire qu'il est idéal - d'une part entre les territoires, et d'autre part, entre les envies des uns et des autres. Oui, il faut en installer le maximum sur les toits, mais il faut que cela soit faisable. Les délais de raccordement d'une installation photovoltaïque sur un toit ne sont pas normaux. Il faut donc stimuler ceux qui s'occupent des réseaux pour être en capacité de raccorder dans des délais raisonnables.

En ce qui concerne l'agrivoltaïsme, il n'est pas question d'installer des panneaux en plein champ comme cela peut se faire. C'est une aberration. Cependant, il ne faut pas se fermer au potentiel de l'agrivoltaïsme pour l'accompagnement au changement climatique. Je pense à l'irrigation des cultures maraîchères qui font l'objet de tests, notamment le pilotage d'irrigation sous le photovoltaïque. C'est intéressant. Ce qui est regrettable, en revanche, c'est l'absence de réponse à nos alertes, dès 2019, sur le besoin d'encadrement de ces différentes techniques pour en éviter les risques et les dérives. Tout l'enjeu est d'investir dans la recherche car on l'a trop souvent délaissée au profit de ces nouveaux dispositifs. Certes, on ne peut pas être contre le photovoltaïque si on veut atteindre nos objectifs de développement des énergies renouvelables. Cependant, il faut être en capacité de le faire intelligemment, l'encadrer pour ne pas faire tout et n'importe quoi. Certaines installations peuvent être réalisées chez moi mais pas en Ille-et-Vilaine ou dans le Sud-Ouest parce que les paysages et la société y sont différents. Cela étant, à un moment donné, on ne peut pas affirmer qu'il faut sortir des carburants fossiles et en même temps qu'il ne faut pas d'éoliennes et de panneaux photovoltaïques. Vous me direz alors comment faire rouler une voiture électrique. Il y a le nucléaire, mais avec le retard pris, il va falloir trouver d'autres solutions.

Je suis convaincu que ces nouvelles formes d'énergie constituent des opportunités et que l'agriculture y a sa part à prendre. Toutefois ces nouvelles formes doivent être encadrées. Je suis favorable aux méthaniseurs, même s'il existe des choses aberrantes. Stigmatiser la méthanisation serait une erreur stratégique. Je prends souvent l'exemple des conducteurs qui font des excès de vitesse sur les routes : cela ne signifie pas que tous les conducteurs sont des forcenés ; il faut faire attention à la généralisation. Pour autant, il faut encadrer la méthanisation. Nous avons une carte à jouer, car on l'oublie parfois, l'agriculture a toujours produit de l'énergie. À l'époque, les agriculteurs produisaient de l'avoine pour les chevaux qui tractaient les charrues. Aujourd'hui on utilise des biocarburants dans les tracteurs. Les Jeunes Agriculteurs s'interrogent depuis longtemps sur les modalités d'investissement dans cette transition. La question du GNR est éruptive, mais elle constitue fondamentalement un faux sujet. Elle représente certes une masse, parce que les exploitations sont tendues financièrement. Toutefois, la vraie question est de savoir comment on accompagne la transition, comment on développe ces nouvelles formes d'énergie qui constituent de véritables opportunités.

Le sujet fondamental que nous portons à travers le Pacte, et au-delà de la modélisation du changement climatique, est la vision de ce que doit être notre pays demain. Quelle sont les parts de production alimentaire ou de production d'énergie dans notre agriculture ? Est-ce 100 % alimentaire ? Si tel était le cas, cela conduirait à faire des choix et potentiellement revenir en arrière sur certaines règles, notamment pour être concurrentiel sur des marchés à l'exportation. Compte tenu des règles actuelles, je ne vois pas comment on peut l'être face à des agriculteurs brésiliens, ukrainiens ou russes.

Concernant l'Ukraine et la répartition des aides de la PAC, il faut commencer le dialogue, mais on sait tous que l'adhésion n'est pas prévue pour demain, parce que on ne peut faire entrer un pays en guerre. En revanche, il faut des règles car l'agriculture ukrainienne n'obéit pas aux normes imposées à l'agriculture française, ou même européenne, comme l'atteste l'exemple des poulets. Quand vous voyez le nombre de poulets élevés dans un bâtiment ukrainien, on est loin des règles françaises.

Sur les aides PAC, il faut certes toujours les faire évoluer. Sur ce point, notre syndicat a obtenu que l'agriculteur demandant ses droits à la retraite ne puisse plus prétendre aux aides PAC après une limite d'âge. Il faut donc poursuivre ce travail d'évolution des aides mais il conviendra également de réfléchir sur les modalités d'accompagnement de la politique choisie par la PAC. L'erreur qui a été faite et qui est aussi une cause de la crise actuelle, est le virage pris, dans les années 2000, par la PAC, qui ne constituait plus forcément un accompagnement à la production et un véritable stabilisateur de prix, mais un accompagnement des agriculteurs vers des mesures environnementales. Le seul dommage dans cette stratégie est d'avoir oublié que pour que cela fonctionne, il faut que les prix soient au rendez-vous des produits payés aux agriculteurs. Or, en réalité, on a une déconnexion. Il faut donc poser le sujet de la PAC sur la table. C'est un bel outil qui maintient - il ne faut pas l'oublier - un accès à l'alimentation aux ménages les plus modestes. Sans la PAC, les prix de l'alimentation exploseraient, et nous ferions face à de vrais problèmes d'accès à l'alimentation.

Pour finir, sur la question du bio, je suis convaincu et je l'ai toujours dit : il est regrettable que le secteur du bio ait été construit à coups de politique générale, de campagnes politiques par les régions, et de subventions publiques d'installation, sans se soucier finalement de savoir si ce marché était porteur ou non. À l'heure actuelle, on constate que certains agriculteurs ont choisi de cultiver du bio, non pas pour des raisons financières, mais par conviction, et c'est tant mieux. Il est nécessaire de leur apporter une réponse concrète pour les conserver dans la filière qui est la leur, qu'ils aiment et qu'ils portent. C'est pour cela qu'il faut réaliser une véritable analyse du marché. Attention néanmoins, à la tentation de certains de proposer de ne faire que du bio pour résoudre le problème français. La France a une richesse, sa diversité. Si demain on était uniforme dans ce pays, je crois qu'on s'embêterait beaucoup. Les différentes niches comme le bio, ou le comté dans ma région, sont nécessaires car elles stimulent l'activité et crée de la concurrence. Si on veut aussi garder des producteurs de cultures conventionnelles, ceux-ci doivent être payés correctement. J'ajouterai que si j'utilise le mot « niche », ce n'est pas péjoratif. J'appelle le comté une niche alors que c'est la plus grosse AOP de France qui représente 60 000 tonnes, tout comme le bio représente 20 % des exploitations de France. La niche renvoie à une notion d'ancrage au territoire. Elle répond à des besoins sur un marché et à des attentes d'un territoire.

Je vais vous le dire très clairement, il faut que l'on sorte des postures politiques des uns et des autres pour faire face aux réalités de terrain. Certaines personnes n'ont pas les moyens d'aller vers le bio, et quoique vous fassiez, ils n'iront jamais, sauf si on remet à plat nos dépenses de logement, de transport et plus largement notre mode de vie. Personnellement, j'appelle de tous mes voeux qu'on entre le plus vite possible dans la planification écologique afin de placer chacun devant ses responsabilités. Il faut avoir le courage d'annoncer que changer de modèle n'est pas si simple et que cela remettrait en cause de façon générale le mode de vie de la population entière.

M. Patrick Chauvet. - Merci, Madame la secrétaire générale et Monsieur le président de votre présence. Je voudrais confirmer auprès du représentant des Jeunes Agriculteurs l'importance de l'enjeu que constitue la jeunesse pour agriculture et vous remercier pour votre message, « on marche sur la tête ». Nos concitoyens l'ont entendu et y ont été sensibles parce que celui-ci allait sans doute au-delà de la problématique agricole.

Je reviens très vite sur l'agrivoltaïsme parce que je me souviens qu'au moment du développement des énergies renouvelables, vous y étiez, l'un et l'autre, très opposés. Vous aviez en partie raison, puisque les premiers exemples sont des contre-exemples, tel que le « mouton alibi ». Ceci étant, on découvre maintenant, peut-être avec un peu plus de subtilité, que pour certaines productions notamment déficitaires, telles que l'arboriculture ou la production de fleurs, un problème de souveraineté existe. Parallèlement, la souveraineté en matière de production énergétique est également fragilisée. L'agrivoltaïsme, dans ce cas-là, peut représenter une chance en apportant un complément de revenu et un renforcement de la souveraineté. Je suis plutôt rassuré de vous entendre évoquer la réflexion sur ses effets bénéfiques économiques, sociaux et environnementaux pour certaines productions.

M. Jean-Marc Boyer. - On parle beaucoup du renouvellement des générations et de l'installation des jeunes. Or, je suis étonné qu'on ne parle pas du tout de l'enseignement agricole, parce que c'est l'enseignement qui conduit ces jeunes à l'installation. Il y a une trentaine d'années, 80 % des jeunes qui étaient en enseignement agricole, étaient des fils d'agriculteurs et se destinaient à l'agriculture. Ce taux est passé aujourd'hui à 20 %. Cela pose donc le problème de l'orientation et de l'information des jeunes, en particulier dans les collèges. En outre, j'ai pu constater le verdissement des filières dans l'enseignement agricole ces 20 dernières années, à travers les baccalauréats pro et les brevets de technicien supérieur environnement en particulier, qui ont formé des générations au bio, au sauvetage de la planète, à la sauvegarde de l'environnement et de la biodiversité. Ce verdissement a participé à l'échec de l'installation des jeunes, ou à celui de leur exploitation. Quelles sont vos propositions pour retrouver cette attractivité et favoriser l'installation des jeunes en agriculture, pour toutes les agricultures ?

M. Daniel Salmon. - Madame la présidente, Monsieur le président, Madame la secrétaire générale, lorsqu'on rencontre l'ensemble des acteurs, tous disent que les agriculteurs doivent vivre de leur production. Cela est bien normal. Simplement, comment fait-on pour supprimer la concurrence déloyale entre les agriculteurs qui, par leurs pratiques, présentent des externalités positives et ceux avec externalités négatives, dont les coûts sont pris en charge par la collectivité ? Je fais référence à la potabilisation de l'eau, aux questions de santé, dont celle des épidémies de cancer qui sont devant nous, voire déjà bien présentes.

Certains laissent aussi entendre que l'agriculture bio serait portée à bout de bras par les aides publiques. Je pense qu'il va falloir un jour s'interroger sur les voies et moyens pour avoir un modèle qui préserve notre environnement demain, à l'heure où presque toutes les eaux de surface sont polluées, même les eaux minérales. Je souhaiterais entendre la réponse des Jeunes Agriculteurs.

M. Daniel Gremillet. - Madame la présidente, ma première question s'adresse aux deux organisations. Comment fait-on pour améliorer l'indicateur Egalim ? En effet, les travaux du Sénat montrent qu'on est en décalage complet avec la réalité.

Ma deuxième question concerne surtout le président des Jeunes Agriculteurs. Si j'ai bien compris, votre syndicat est effectivement favorable au guichet unique. Cela signifie que la politique d'installation historique menée par les Jeunes Agriculteurs évoluerait d'une manière importante.

Ma troisième question concerne le financement de l'agriculture. Le Sénat a voté à l'unanimité le rétablissement des prêts bonifiés en faveur des jeunes agriculteurs, pour répondre à la question du financement de leur accessibilité à l'installation. Qu'en pensez-vous ?

Enfin, serait-il judicieux aujourd'hui de redonner des perspectives à une installation progressive en agriculture qui permettrait à de plus nombreux jeunes d'entrer dans le métier et à des cédants de pouvoir partir tranquillement, c'est-à-dire avec un meilleur tuilage, tel qu'on l'avait mis en place il y a déjà bien longtemps ?

M. Frédéric Buval. - Madame la présidente, Madame la secrétaire générale, Monsieur le président. Je souhaite vous interroger sur les jeunes agriculteurs en Outre-mer. L'agriculture ultramarine est un secteur important en termes d'emplois qui mérite une attention particulière, notamment pour faciliter l'installation des jeunes. En mobilisant les moyens nécessaires et en adaptant les politiques publiques aux spécificités de ces territoires, nous pouvons relever les défis et garantir un avenir durable à l'agriculture ultramarine.

Pour répondre à ces défis, les agriculteurs ultramarins ont besoin d'un accompagnement spécifique. Ce dernier peut prendre plusieurs formes. Tout d'abord, un soutien financier avec des aides financières qui peuvent être mises en place pour aider les agriculteurs à investir, à se moderniser et à faire face aux aléas climatiques. Ensuite, un appui technique avec des services de conseil et d'accompagnement techniques, proposés aux agriculteurs pour les aider à améliorer leurs pratiques et à s'adapter aux nouvelles réglementations. Enfin, la promotion des produits ultramarins sur les marchés locaux et hexagonaux. En conclusion, quels sont, selon vous, les leviers qui sont à disposition des jeunes agriculteurs en Outre-mer, sur ces trois formes d'accompagnement ? Je vous remercie.

Mme Véronique Marchesseau, secrétaire générale. - Vous nous interrogez sur l'énergie. Ce qui nous inquiète aujourd'hui, c'est qu'on nous pousse à tirer des revenus de l'énergie pour compenser la faiblesse de nos revenus agricoles. C'est vraiment ne pas s'attaquer au problème des revenus que mon syndicat pointe dans cette crise. La concurrence avec l'énergie est pour nous problématique. Elle crée également un autre risque, celui de la financiarisation de l'agriculture, c'est-à-dire à la présence d'acteurs non issus du milieu agricole qui rentrent dans ce processus d'installation en lien avec la production d'énergie. Cela provoque une augmentation du coût du foncier. C'est donc globalement très contestable. Hormis quelques cas marginaux pour lesquels s'orienter vers un développement de la production d'énergie dans les fermes présente des avantages, d'une façon générale adopter une telle stratégie représente plutôt un danger pour la production agricole.

Concernant les installations alternatives qui seraient plus vouées à l'échec que les installations en conventionnelle, il faudrait me fournir les chiffres le justifiant. Il n'est absolument pas prouvé que les personnes qui s'installent dans des fermes qui ne sont pas en agriculture conventionnelle, soient aujourd'hui plus en situation d'échec que celles qui s'installent sur des fermes classiques.

Vous avez mentionné les externalités positives et négatives des différents modes d'agriculture, je ne peux qu'acquiescer. Effectivement, l'État ne veut pas soutenir particulièrement l'agriculture biologique, mais aide l'agriculture conventionnelle d'une autre façon en prenant en charge sur le plan social, les externalités négatives. Il y a là, peut-être quelque chose à revoir.

Par ailleurs, je souhaitais justement vous poser une question, Monsieur Arnaud Gaillot. Vous avez dit que le bio doit s'en sortir avec le marché. Pourquoi pas le porc industriel ou le vin quand ils sont en crise ? Dans ce cas, il convient de laisser toutes les productions faire face toutes seules aux conditions du marché.

En réponse à votre question sur les lois Egalim, on ne peut qu'exiger une amélioration puisque, actuellement, la négociation des prix à l'intérieur du processus Egalim est en défaveur du maillon de la production. En effet, les transformateurs et la grande distribution nous obligent à adopter leurs indicateurs, ou à tout le moins, à pondérer les nôtres parce que ceux-ci ne seraient pas corrects. Ils nous obligent donc, à ne pas utiliser nos indicateurs qui prennent en compte notre production. Ce rapport de force en notre défaveur conduit à ce que la loi Egalim ne permette pas de nous rémunérer au-delà de nos coûts de production agricole.

M. Arnaud Gaillot, président. - Vous nous interrogez, sur l'agrivoltaïsme, qui pose une véritable question sur la répartition de la valeur. Comment faire ? Une réflexion est en cours. Je n'ai pas la solution sur l'encadrement de la répartition de la valeur. En revanche, nous avions souligné, il y a quelques années, dans un rapport sur les questions d'énergie, les erreurs à ne pas commettre dans le domaine de l'énergie, afin de ne pas répéter celles commises en matière alimentaire. Je ne prétends pas avoir la solution mais la répartition de la valeur demeure un véritable sujet car on ne pourra pas installer l'agrivoltaïsme sur l'ensemble du territoire. En conséquence, son implantation doit bénéficier à l'ensemble du monde agricole, avec potentiellement des compensations ou d'autres bénéfices.

Sur le sujet de l'enseignement agricole, il doit être renforcé, notamment dans ses volets « gestion » et « économie ». La question de l'évolution du bachelor se pose également. Il est, en effet, pertinent d'enseigner l'agroécologie et le changement climatique, qui répondent aux attentes sociétales. En fait, le danger serait de n'enseigner qu'une seule forme d'agriculture. On doit donc être en capacité d'enseigner à nos élèves tout ce qui existe, tout ce à quoi ils vont devoir faire face pour les amener à faire leur choix.

Vous nous interrogez sur la concurrence déloyale, les potentielles épidémies de cancer et la pollution. Les Jeunes Agriculteurs plaident pour une agriculture qui permettent de garantir une souveraineté alimentaire, qu'elle soit française, européenne, mondiale, tout en préservant l'environnement dans lequel nos fermes sont exploitées. C'est pourquoi nous proposons d'aller plus loin dans l'investissement dans l'innovation et dans la recherche en particulier génétique, pour faire face aux évolutions de la filière et garantir finalement un niveau de production agricole. En effet personne ne peut se réjouir de la destruction de notre outil de production. Nous n'aurions alors plus rien à transmettre car au-delà de nourrir la population, la vocation et la fierté des agriculteurs sont de transmettre leur outil de production, si ce n'est à leurs enfants, à quelqu'un d'autre.

Nous sommes convaincus qu'il n'existe pas un modèle unique qui permettra d'y répondre. En revanche, l'investissement collectif dans la recherche est crucial car il a produit de bons résultats. Ainsi, nous sommes potentiellement favorables aux nouvelles techniques génomiques (NTG). J'insiste sur « potentiellement » car il faut que la recherche se poursuive pour réduire l'utilisation de produits phytopharmaceutiques. Il ne faut pas risquer de produire des récoltes impropres à la consommation. C'est arrivé. On ne peut pas se le permettre en France ou en Europe. La France en a les capacités avec ses entreprises semencières et ses chercheurs. On doit donner les moyens à ces derniers en leur fixant les trajectoires afin qu'ils déterminent comment progresser pour tendre vers le moins d'impact possible sur l'environnement. Déclarer qu'on aura « zéro impact » est présomptueux car la vie humaine a un impact sur l'environnement qu'elle le veuille ou non. Le fait qu'on vive sur cette terre génère un impact. Cependant, il faut faire en sorte de le limiter au maximum et de garantir la préservation de nos terres. Ceci étant dit, ce qui me gêne, ainsi que je l'ai évoqué dans mes propos liminaires, c'est le discours généraliste selon lequel la clé de cette préservation de la planète résiderait uniquement dans les activités du monde agricole. Nous n'y parviendrons que si on agit tous ensemble, tous secteurs confondus. Il ne faut pas que l'on fasse porter cette responsabilité sur l'agriculture, seule.

Vous avez abordé la question de l'amélioration de l'indicateur Egalim, cela fait un certain temps que nous était promise une mission flash sur un bilan de ce qui fonctionne ou non. Les interprofessions dans les différentes filières ont également leur rôle à jouer. Nous sommes tous conscients que face à ce problème, certains adoptent des postures. À un moment donné, il faudra mettre un coup de pied dans la fourmilière et sortir de ces postures pour que ces institutions fonctionnent vraiment et que tous les acteurs autour de la table se mettent d'accord. On connait tous les chiffres. On dispose de suffisamment de données dans ce pays pour être capable de savoir combien coûte un litre de lait à produire, un kilo de viande. On doit être en capacité d'utiliser ces indicateurs. Je nuancerai mon propos avec une contrainte malgré tout, celle issue des réglementations, qu'elles soient européennes ou mondiales sur le commerce. On ne peut pas faire tout et n'importe quoi, en termes de sanctuarisation des prix. Il convient donc également de déterminer ce qui doit être modifié au niveau européen pour permettre une juste rémunération des agriculteurs.

En réponse à votre question sur le guichet unique, les jeunes Agriculteurs ont porté ce projet. Ce guichet va changer notre façon de fonctionner parce que les Jeunes Agriculteurs ont toujours été reconnus comme des acteurs de l'installation. Cependant nous sommes conscients que nous ne sommes pas les seuls. Une grande partie des 12 000 installations passent aussi par d'autres organismes. Il faut donc aussi respecter les autres acteurs qui agissent sur le terrain pour l'installation. Créer un guichet unique qui réunisse l'ensemble des acteurs de l'installation ne peut conduire à exiger que cela soit l'un d'entre eux, qui le gèrerait plus qu'un autre. Il faudra donc déterminer les modalités d'articulations des différents intervenants dans l'installation. Pour ces raisons, ce guichet unique est une bonne chose.

En ce qui concerne le rétablissement des prêts bonifiés, nous l'avons promu, vous l'avez voté. Maintenant, il faut que l'on regarde comment le mettre en oeuvre. Un montant de 2 milliards d'euros de prêts garantis par l'État est prévu dans le Pacte. Certaines banques ont commencé à donner des signes indiquant qu'elles étaient prêtes à y travailler. Le sujet doit être traité assez rapidement, tout en ne provoquant pas une inflation du prix de la reprise, si toutefois on parvient à trouver une bonification sur les prêts.

Vous avez fait référence à l'installation progressive, nous y sommes favorables. Je ne l'ai pas souligné, mais la question du droit à l'essai, notamment dans les Groupements agricoles d'exploitation en commun (GAEC) représente une déception à la lecture du projet de loi. Il faut regarder comment le mettre en place pour que les jeunes tentent cette expérience. Le statut du GAEC est certes technique. Si un associé met un terme à l'expérience, chacun revient à sa situation initiale. Il faut pouvoir examiner le GAEC, sans altérer sa nature qui constitue une exception française ainsi qu'un dispositif plutôt utile pour lutter contre la pénibilité de travail et dégager du temps libre. Il convient peut-être de s'interroger aussi sur ses aménagements pour répondre à de nouvelles envies, en permettant qu'un jeune entre progressivement dans la structure, et prenne le temps de faire cette expérience parce qu'une année, pour l'avoir vécu, c'est très court. Vous avez en réalité un mois d'essai, en prenant en compte les démarches nécessaires pour être installé au bout d'un an. Cette période pourrait donc être rallongée, sous réserve de conditions, pour éviter un salariat déguisé sous le faux prétexte d'une installation. Ce dispositif doit donc être relancé et amélioré.

Pour répondre à votre question sur l'agriculture ultramarine, celle-ci est marquée par plusieurs spécificités. Elle est plus affectée que nous par le changement climatique et subit le ravage des insectes. Si je prends 30 secondes, je souhaiterais évoquer le cas de l'île de la Réunion où je me suis rendu il y a quelques mois. Certains tendent à considérer que les agriculteurs devraient cultiver moins de canne et se diversifier. À la limite, cela peut s'entendre. La problématique, c'est qu'en discutant avec des maraîchers, ceux-ci vous disent que le maraîchage en plein champ va devenir potentiellement compliqué à la Réunion, après le retrait des molécules servant à lutter contre les invasions d'insectes qui ravagent les cultures. Les agriculteurs utilisent alors la lutte raisonnée qui a ses limites car ils ne peuvent faire face à une grosse attaque. Il faut donc imaginer comment les accompagner. Si on veut qu'ils diversifient leurs cultures de manière robuste et pérenne, il faut être en capacité de leur fournir des moyens de lutte contre les différents aléas et les changements climatiques qui sont peut-être plus violents que ce que nous percevons sur la métropole.

En ce qui concerne les structurations de filières ultramarines, il y a matière à évolution. Examinons comment transmettre les expériences qui fonctionnent en métropole à nos collègues dans les départements ultramarins pour les aider à se structurer. J'en ai fait part auprès du Premier ministre. Certains départements ultramarins demandent à bénéficier d'Indications géographiques protégées (IGP). Je pense à l'ananas ou à d'autres. Cela fait bientôt six ans qu'ils sont en attente d'une IGP. Cela prend trop de temps. Il faut aller bien plus vite. J'espère que sur ce point, les mobilisations récentes vont permettre d'accélérer le traitement de ce dossier pour promouvoir les produits des Outre-mer. On doit tout de même regarder la spécificité du marché parce que les produits ultramarins sont considérés comme étant un peu hors Europe. Je ne peux pas le comprendre. Il conviendrait, au niveau européen, de mieux les intégrer dans le marché, de ne pas les considérer à part pour les aider à lutter contre la concurrence déloyale qui est assez impressionnante. Je fais référence à l'ail produit en Inde ou à la vanille de Madagascar. Les agriculteurs ultramarins sont percutés violemment par cette concurrence car ils opèrent sur un marché un peu différent du nôtre en métropole. Il est nécessaire de revoir le cadre législatif européen afin de mieux les intégrer dans le marché européen.

En ce qui concerne les jeunes agriculteurs ultramarins, nous plaidons pour un renforcement de l'accompagnement. Quant à la question du stockage de l'eau, on a pu observer à Mayotte que la situation était assez catastrophique. Un plan fort est nécessaire. À ce stade, je pense qu'il faut un ministre dédié à la gestion des Outre-mer, à temps plein. Je vous le dis honnêtement comme je le pense car il faut aller dans les Outre-mer pour comprendre leur fonctionnement. Si on s'imagine gérer l'Outre-mer comme on gère la métropole, on se trompe complètement. Et ce n'est pas leur faire offense de dire cela mais, en fait, de comprendre leur spécificité et leurs particularités. J'ai séjourné 10 jours à la Réunion, en prenant le temps d'aller voir toutes les filières et de discuter avec elles. On comprend que la situation n'est pas simple. Mais il y a un grand nombre d'actions à entreprendre, si on cesse de penser que l'on va gérer ces départements comme on gère la métropole, ou en les laissant de côté. De belles opportunités sont à saisir. Il y a une vraie richesse. La jeunesse ultramarine est motivée.

Enfin, en réponse à la question qui m'a été posée par la Confédération paysanne sur le marché du bio, les termes utilisés ne sont pas exactement ceux que j'ai prononcés. J'ai dit que l'on a été trop vite sur la montée en puissance des personnes qui produisaient du bio et qu'on a peut-être provoqué un décalage de marché. Je ne suis donc pas en train de remettre en cause les aides qui existent. En fin d'année, un montant de 90 millions d'euros a été prévu auquel s'ajoutent les 50 millions d'euros qui viennent d'être annoncés. Cela commence à faire une enveloppe importante même si cela est sûrement trop peu. Ce n'est pas leur faire injure que de considérer qu'à un moment donné, on a surchargé un marché trop rapidement. Je suis le premier à le regretter parce que le syndicat des Jeunes Agriculteurs compte des adhérents qui se sont installés en bio non par opportunité de marché, mais en raison de leur conviction. Or ce sont ceux-là qui ont été abandonnés, ce qui est dramatique. Il faut les aider à se structurer pour réussir.

Depuis 2012, année de mon engagement chez les Jeunes Agriculteurs, j'ai dû expliquer à certains qu'au lieu de passer leur temps à nous combattre et à nous accuser d'être contre le bio, ils feraient mieux de structurer leur marché, sans quoi ils vivraient une crise sans précédent, mettant en difficultés beaucoup de jeunes. Ce que je regrette, c'est peut-être d'avoir eu raison.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci, Monsieur le président et Madame la secrétaire générale, de nous avoir consacré autant de temps et d'avoir répondu précisément à l'ensemble de nos questions. Nous vous souhaitons bon courage pour continuer cette mobilisation, car nous avons compris que vous restez plus que jamais mobilisés. Sachez qu'ici au Sénat, nous serons toujours très ouverts et très à l'écoute de toutes les questions touchant à l'agriculture. Merci beaucoup.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12h45.