Mercredi 24 janvier 2024

- Présidence de M. Cédric Perrin, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Danger de la prolifération des armes de petit calibre - Audition de M. Léo Jarry, enquêteur principal à l'ONG Conflict Armament Research

M. Cédric Perrin, président. - Nous accueillons aujourd'hui M. Léo Jarry, enquêteur principal à l'ONG Conflict Armament Research (CAR). Nous l'avions déjà reçu voilà deux ans, et nous avons été impressionnés par son travail.

M. Jarry, diplômé en droit international des affaires, travaille au sein de l'ONG CAR depuis 2018, après un passage au ministère de l'intérieur et une expérience dans l'industrie en Afrique et au Moyen-Orient. Au sein de CAR, il a d'abord participé aux opérations au Yémen et en Arabie saoudite, puis en Libye et au Niger, tout en soutenant les activités de l'organisation en Europe de l'Est et dans le Golfe. Il travaille actuellement sur l'armement des groupes djihadistes au Sahel, ainsi que sur les filières d'approvisionnement des groupes armés autour de la mer Rouge.

Parmi les récents rapports thématiques de son organisation, on peut citer les travaux sur l'acquisition d'équipements de vision nocturne par les talibans, sur les matériels fabriqués par la Corée du Nord, sur les composants des missiles utilisés par les drones dans le nord de la Syrie, sur la provenance des armes qui entretiennent le terrorisme autour du lac Tchad, ou encore sur les armes récupérées par les groupes armés des régions de Donetsk et Louhansk, à l'est de l'Ukraine.

Les données sur les armes sont recueillies, en grande partie, sur les théâtres d'opération d'Afrique de l'Ouest - au Sahel et dans le golfe de Guinée - d'Afrique centrale - du Soudan à la République démocratique du Congo -, et enfin de la Corne de l'Afrique. Dans ces zones, la prolifération des armes, souvent de petit calibre, est en effet l'un des principaux facteurs de transformation de conflits latents en affrontements meurtriers.

Cependant, nous sommes convenus que l'intervention de M. Jarry illustrera cette problématique au travers de trois exemples pris dans trois régions différentes. Il s'agira d'abord du cas d'un conflit interétatique, la guerre en Ukraine : seront évoqués l'approvisionnement des forces armées russes en composants électroniques et le contournement des sanctions. Sera ensuite évoqué le cas d'une guerre par proxy : la menace posée par Ansar Allah en mer Rouge et le soutien matériel iranien au mouvement yéménite. Enfin, il sera question de l'armement des groupes djihadistes au Sahel, un sujet qui a intéressé nos armées au cours des dernières années.

Cette audition est captée et retransmise en direct sur le site du Sénat.

M. Léo Jarry, enquêteur principal à l'ONG Conflict Armament Research. - L'ONG Conflict Armament Research, fondée en 2011, soutenue par l'Union européenne, a été désignée comme maître d'oeuvre de la stratégie de l'Union européenne pour lutter contre le trafic d'armes, dans la décision 2013/698/PESC du Conseil du 25 novembre 2013. Nous travaillons avec Europol, Interpol, la force navale européenne (Eunavfor) et certains organes des Nations unies. Notre objectif est de collecter des données tangibles relatives aux armes : nous ne rapportons et n'étudions que ce que nous profilons matériellement. Le trafic d'armes a toujours fait l'objet d'un fantasme, mais il peut être étudié au travers de données, à l'aide d'une méthode scientifique. Nous avons documenté plusieurs centaines de milliers d'armes et de munitions, au cours de centaines de missions dans plus de vingt-cinq pays. Il s'agit de trier, d'inventorier les matériels à profiler, afin de produire des analyses à partir d'éléments tangibles - numéro de série, type de matériel, logo de fabricant, etc. -, notamment pour retracer leur origine.

Une de nos équipes travaille en Ukraine depuis 2016. Nous avons publié une douzaine de rapports sur les systèmes d'armement saisis par les forces ukrainiennes. Cela permet d'appréhender les dynamiques et les chaînes d'approvisionnement des forces armées russes. Il me semble intéressant de mettre en regard notre travail avec la question de l'efficacité des sanctions, à l'aune des informations que nous avons récupérées sur les composants électroniques. Entre 2014, date de la première intervention russe en Ukraine, et 2022, les forces russes ont mis en place une stratégie de stockage des composants électroniques. Elles ont ainsi pu se prémunir temporairement de l'effet des sanctions prises par les Occidentaux depuis 2022. En disséquant les systèmes d'armes russes que nous avons inventoriés en Ukraine - drones, missiles, télécommunications, etc. -, nous avons pu établir qu'ils avaient été acquis avant l'intervention de 2022. Toutefois, depuis mi-2023, nous observons que les composants électroniques des systèmes d'armes russes ont été fabriqués après 2022, c'est-à-dire après la mise en oeuvre des sanctions. Cette stratégie de stockage a permis à la Russie de défendre un récit sur l'inefficacité des sanctions, mais ses forces sont maintenant de plus en plus dépendantes d'un approvisionnement présent. Par ailleurs, ces composants en très grande majorité non russes - très souvent occidentaux - sont utilisés dans différents systèmes d'arme : un même circuit intégré peut se retrouver dans les systèmes de navigation de différents types de missile. Aussi, une perturbation de ces chaînes d'approvisionnement entraînerait des conséquences importantes non seulement sur les capacités de production russes, mais également sur le maintien en condition opérationnelle (MCO). Je souligne également qu'il existe un monopole technologique occidental - si l'on inclut dans cet ensemble le Japon, Taïwan et la Corée du Sud - sur les puces et les circuits intégrés avancés, lequel est loin d'être mis en cause par les autres pays. Il s'agit donc d'une source absolument nécessaire aux forces armées russes. Ainsi, presque 100 % des composants électroniques documentés dans les drones russes et 50 % des composants électroniques documentés dans les missiles russes sont fabriqués en Occident. Les Russes ont une capacité de rétro-ingénierie et de production domestique limitée, comme le montre l'exemple du système de navigation UMPK ou Kometa, dont les composants électroniques sont exclusivement occidentaux, alors même qu'il est produit en Russie. Notons que les marquages sur les puces ont été effacés, pour que nous ne tracions pas les composants, ce qui les rendrait vulnérables.

Les utilisateurs finaux russes n'ont pas beaucoup changé, en revanche, depuis la mise en oeuvre des sanctions, plus d'une centaine d'entités privées situées en Chine, à Hong Kong, et en Europe de l'Est sont apparues, faisant office d'intermédiaires entre les entreprises fabricantes occidentales et les entreprises russes qui délivrent ce matériel aux fabricants d'armement russe. En général, les entreprises fabricantes occidentales concernées sont victimes de ce processus, elles n'en sont conscientes que dans très peu de cas. Nous n'appelons donc pas à un régime plus dur à l'égard des industriels ; il serait plus utile de mener un travail conjoint avec l'industrie afin d'identifier les différents intermédiaires. L'efficacité des sanctions s'accroît dans le temps, car les stocks de composants électroniques s'épuisent, soulignant l'importance d'une traque continue des entités intermédiaires permettant leur contournement. C'est le jeu du chat et de la souris : dès qu'une de ces entités est identifiée, elle est abandonnée, mais une autre est aussitôt créée.

Les cycles de vie de l'armement russe sont très courts. Ainsi, à partir du numéro de série d'un missile KH-01, documenté le 25 novembre 2022, on a pu déterminer sa date de production, à savoir le troisième trimestre 2022. Cela veut dire que ce missile a été produit très peu de temps avant son utilisation. Les forces armées russes fonctionnent donc avec peu de stock. Se pose également la question du soutien matériel extérieur aux forces armées russes. Nous avons récemment trouvé les restes d'un missile KN-23 ou KN-24 nord-coréen. Il est peu probable que la Russie ait demandé de l'aide à Pyongyang de gaîté de coeur, mais il est intéressant que Pyongyang ait accédé aux requêtes de Moscou et ait fourni un matériel qui fait partie de son arsenal de pointe. Nous avons repéré également un soutien matériel iranien, avec des drones Shahed (136, 131, 238) - également utilisés par les Ansar Allah en mer Rouge - et Mohajer-6, fabriqués après 2020. La plupart des composants du matériel iranien retrouvé en Ukraine ont été fabriqués après 2020, ce qui pourrait signifier que l'Iran n'a pas été préparé à soutenir matériellement la Russie. De plus, les cycles de vie des drones iraniens sont très courts. Nous avons ainsi pu documenter la longévité de la batterie d'un drone Shahed 136 retrouvé en Ukraine : sept mois ! Cela expliquerait aussi pourquoi la Russie a voulu développer ses propres drones Shahed, si j'ose dire, au travers du Geran-2. Tous ces exemples montrent les défis que doit relever l'armée russe en matière de gestion des stocks. De plus, les drones iraniens contiennent de nombreux composants occidentaux, ce qui illustre une nouvelle fois le monopole technologique occidental. En revanche, les forces iraniennes ont développé une bonne capacité de rétro-ingénierie pour les moteurs ou les gyroscopes.

Nous comparons ce que nous trouvons dans les différents théâtres d'opérations. L'un des plus importants actuellement concerne la menace du mouvement Ansar Allah en mer Rouge. Les Houthis - du nom du fondateur de ce mouvement - s'appuient sur l'arsenal yéménite et sur des capacités de production locales, notamment pour les mines et les engins explosifs improvisés. Pour autant, les fuselages de drones, par exemple, viennent d'Iran, alors que les moteurs sont acquis de façon autonome. Au titre des circuits logistiques, CAR a documenté de nombreux transferts en mer de la part des forces iraniennes, en particulier pour les composants d'engins explosifs improvisés - des précurseurs, par exemple des fertilisants, des armes et des munitions. De petits boutres, domiciliés au Yémen ou en Somalie, avec des équipages de même nationalité, se rendent dans les eaux iraniennes pour se voir transférer un certain nombre de matériels, qu'ils se chargent de transporter jusqu'au Yémen. Vient ensuite le trafic terrestre : les matériels, armes antitanks ou drones, sont dissimulés dans des convois. Divers réseaux d'affaires permettent de se procurer ces composants, notamment d'engins explosifs improvisés, ou des pièces de drones. À ce titre, nous nous sommes penchés au cours des derniers mois sur le cas des moteurs de drones ; les Houthis se sont appuyés sur le commerce international pour faire venir ce matériel jusqu'à un port de la région ; puis, cette cargaison a été dissimulée dans une seconde, transportée par voie terrestre jusqu'au Yémen. N'oublions pas qu'il existe, dans la région, une contrebande coutumière - je pense aux boutres qui opèrent entre l'Afrique de l'Est, le Golfe et l'Asie du Sud-Est -, dont les autorités locales s'accommodent assez bien. Ainsi, en 2013, sur le boutre Jihan 1, a été saisi tout un matériel, dont des composants d'engins explosifs improvisés radiocommandés en provenance d'Iran. À partir de 2017, CAR a documenté des systèmes similaires au Yémen. Nous constatons également l'existence d'une contrebande traditionnelle terrestre, notamment dans le gouvernorat du Hadramaout, région yéménite à la frontière d'Oman. Les Houthis et les Iraniens ont manifestement la volonté de diversifier leurs circuits logistiques et d'approvisionnement, lesquels, de ce fait, sont assez longs.

En matière de prospective, au Yémen, nous opérons beaucoup avec les forces navales, y compris européennes, déployées dans la région, ainsi qu'avec les entreprises opérant dans le maritime, notamment les entreprises de shipping. On nous demande à la fois une évaluation de la menace et une réflexion prospective en mer Rouge, par comparaison avec ce que l'on observe sur d'autres théâtres. Un certain nombre de corrélations ont été mises au jour, par exemple pour les ogives iraniennes. Celles-ci peuvent avoir différents effets : les unes provoqueront un souffle extrêmement puissant, les autres seront beaucoup plus pénétrantes. Cette modularité, non encore observée au Yémen, a été constatée en Ukraine. Certains drones Shahed, pour être guidés, embarquent ainsi des téléphones satellites. Aussi, il est d'ores et déjà possible de préparer une réponse à cette menace avec les opérateurs concernés.

Enfin, certains groupes terroristes opèrent sans soutien matériel extérieur, comme les groupes djihadistes au Sahel. À la fin de ce mois, nous publierons d'ailleurs trois rapports sur l'armement de ces groupes au Niger, au Mali et au Burkina Faso. Leurs armes et leurs munitions proviennent en très grande partie du détournement de stocks nationaux : ces groupes attaquent des bases et des postes de sécurité, non seulement pour s'approvisionner, mais aussi pour faire reculer l'État. En outre, ils reprennent largement des armements hérités de conflits antérieurs, comme les rébellions de Côte d'Ivoire. Une part de l'armement est certes détournée des stocks de la Jamahiriya libyenne, mais, contrairement à ce que l'on entend souvent, c'est dans des proportions mineures ; de même, la part d'armement achetée au marché noir est anecdotique. Ces armes sont plutôt employées par des individus qui sont djihadistes en soirée et bandits de grand chemin en matinée. Il convient également de souligner l'absence formelle d'éléments accréditant la thèse d'un soutien étatique extérieur aux groupes djihadistes de la région ; je précise que c'est avant tout au profit des États concernés que CAR collecte les données considérées. Nous publierons les rapports mentionnés avec le partenariat de chacun de ces États. Bref, les groupes terroristes s'appuient avant tout sur le pillage de groupes nationaux, tandis que les organisations criminelles tierces s'approvisionnent principalement sur les marchés noirs, qui les font vivre, à l'instar de particuliers, avec le développement des groupes de vigilance et d'autodéfense. Les stocks de la Jamahiriya ont bel et bien eu une grande importance entre 2011 et 2021 : ils ont inondé le Sahel et l'Afrique de l'Ouest, mais, depuis 2021, la part de munitions et d'armes fabriquées après 2011 augmente parmi les saisies ; de plus en plus d'armes ont été introduites en Libye en violation des sanctions, après les soulèvements. La menace que représentent les circuits illicites en provenance de Libye a donc été renouvelée. C'est la conséquence de l'intervention d'États étrangers, qui ont souhaité soutenir certains acteurs libyens. Je dispose de plusieurs études de cas, sur lesquelles nous pourrons revenir.

En résumé, les armes, si elles sont souvent fascinantes, sont aussi un facteur d'analyse objective : en permettant de lire les conflits de manière extrêmement précise, leur étude contribue à lutter contre la mésinformation ou la désinformation. « Mon Dieu, pourquoi faut-il que ces instruments de mort soient aussi beaux », disait, à leur propos, un poète syrien.

Mme Michelle Gréaume. - Malgré les sanctions françaises, européennes et américaines, malgré l'embargo international, les entités russes ont acquis nombre de composants et matériels non seulement nord-coréens, iraniens et libyens, mais aussi britanniques, tchèques, français, allemands, espagnols et américains - je pense notamment aux drones.

L'utilisation de matériels acquis avant la guerre contre l'Ukraine doit nous interpeller : il est grand temps d'assurer un véritable contrôle du commerce d'armes. Les élus du groupe communiste ont déposé, en 2022, une proposition de loi en ce sens ; nous suggérons notamment de créer une délégation parlementaire chargée de contrôler l'exportation des armes. Nous proposons, de même, de supprimer les licences d'exportation globale, qui sont source d'opacité. Que préconisez-vous pour éviter au maximum la prolifération des armes conventionnelles et des biens à double usage ?

M. Hugues Saury. - Il est aujourd'hui possible de fabriquer des armes légères à partir d'imprimantes 3D : la décentralisation de cette production est-elle, selon vous, une piste envisageable ?

M. Roger Karoutchi. - Au fond, CAR n'est-il pas condamné à l'amertume ? Vous constatez, de manière tout à fait pertinente, que l'Iran est à l'origine de très nombreux trafics, vers les mouvements terroristes ou encore vers la Russie ; mais, malgré votre travail, je ne vois guère de sanctions ou de mesures de rétorsion de la part de l'Union européenne.

Il y a quelques jours, Josep Borrell a réservé un accueil chaleureux au ministre iranien des affaires étrangères ; pas plus tard qu'hier, notre propre ministre des affaires étrangères a adressé de nombreux compliments à son homologue iranien. N'avez-vous pas le sentiment que, la politique étrangère étant ce qu'elle est, l'on dresse des constats sans en tirer aucune conclusion ?

M. Léo Jarry. - Madame Gréaume, une bonne partie des composants sur lesquels nous avons travaillé ont été fabriqués avant 2022, donc avant que la Russie ne se rende coupable de l'invasion de l'Ukraine et que les sanctions ne soient adoptées. Ces stocks s'épuisant petit à petit, de nouveaux circuits se constituent ; ils sont de plus en plus récents et les cycles de vie des systèmes d'armement sont de plus en plus courts. C'est bien la preuve que, même imparfaites, les sanctions fonctionnent. La Russie doit sans cesse recréer ses sources d'approvisionnement ; elle a sans doute elle-même le sentiment de mener des efforts vains. Ces ouvertures d'entreprises sont perpétuelles. Or un tel effort coûte extrêmement cher et prend beaucoup de temps. À en croire des rumeurs qui se sont propagées il y a quelques mois, la Russie pillerait divers appareils électroménagers afin de s'approvisionner en circuits électriques ; c'est tout à fait faux. Non seulement ce procédé serait techniquement inefficace - vous ne trouverez jamais de système de navigation dans votre grille-pain ! -, mais il coûterait excessivement cher, pour se fournir des composants assez peu onéreux en tant que tels. J'y insiste : les sanctions prises n'ont sans doute pas un effet absolu ou immédiat, mais, dans le détail, on observe leur efficacité croissante sur le terrain, alors même que certaines volontés politiques s'épuisent. La plupart des composants utilisés dans ces systèmes sont effectivement occidentaux ou fabriqués dans des pays alliés de l'Occident, comme Taïwan, le Japon ou la Corée du Sud. C'est aussi une chance pour nous, qui enquêtons sur ces sujets : nous pouvons travailler avec ces entreprises au traçage des intermédiaires. En général, elles sont assez promptes à nous répondre et à collaborer avec nous.

Vous m'interrogez sur la livraison de composants français dans les systèmes d'armement russes. À ce titre, nous avons documenté des composants très basiques, câbles ou connecteurs, ou, à l'inverse, très sophistiqués, destinés à équiper des systèmes thermiques. Je ne citerai pas de nom d'entreprise : en échange de leur collaboration, ces dernières obtiennent, de notre part, le respect de leur anonymat. Certains composants français fabriqués après l'invasion de l'Ukraine ont effectivement été livrés aux forces armées russes. En revanche, quand nous avons tracé ce matériel, en l'occurrence peu sophistiqué, nous avons abouti à un constat : si le fabricant français a mis un terme avec ses affaires avec un certain nombre d'entités, notamment en Chine, sa filiale chinoise a poursuivi ses affaires sur place. Cette dyarchie dans la prise de décision a pu permettre quelques livraisons à la Russie, mais toute cette politique d'affaires a été revue. Aujourd'hui, les livraisons sont effectuées par des intermédiaires, que l'on traque. Les Américains et les Européens sont en pointe sur cette question, et singulièrement les Français. À mon sens, les sanctions prises sont donc relativement efficaces, mais il faut se montrer réaliste : la sanction est un choix de compromis entre un régime répressif et un régime coercitif, y compris pour nos entreprises, sachant qu'il sera nécessaire de poursuivre des relations d'affaires dans le cadre du commerce international.

C'est dans cet équilibre qu'elles trouvent leur sens. Nous préconisons donc une coopération renforcée et facilitée entre l'industrie, les services étatiques et les organisations présentes sur le terrain : l'information doit circuler de manière beaucoup plus rapide entre les interlocuteurs. C'est le meilleur moyen d'identifier les intermédiaires et de mettre fin à leurs activités.

Monsieur Saury, au titre de nos travaux de prospective, nous nous sommes penchés sur le cas de certaines armes fabriquées à l'aide d'imprimantes 3D, dont le fameux FGC-9. Toutefois, les matériels produits par ce biais ne sont pas très efficaces ; ils ne sont pas, à ce jour, employés par des groupes terroristes, certainement pas face à des moyens étatiques. Ces imprimantes permettront-elles, demain, de produire des armes plus redoutables ? Bien qu'un peu scientiste dans l'âme, je n'en suis pas sûr : dans ce domaine, nous ne constatons pas de véritable avancée technique. Par exemple, dans le cas d'un FGC-9 imprimé en Europe, où il est très difficile de se procurer le barillet adéquat, les composants risquent fort de fondre après quelques utilisations sous l'effet de la friction et de la chaleur. Aux États-Unis, où les barillets sont plus faciles à obtenir, l'arme est plus résistante, mais le matériel finit tout de même par se révéler défectueux. À mon sens, en l'état actuel de la technologie, les armes dont il s'agit sont surtout destinées à la petite criminalité, non aux groupes terroristes.

Monsieur Karoutchi, à certains égards, nous avons le sentiment que les sanctions fonctionnent : les cycles d'approvisionnement de divers composants sont bel et bien de plus en plus courts. Un certain goulot d'étranglement apparaît. Notre action n'est sans doute pas aussi efficace que nous le voudrions, mais elle n'est pas vaine pour autant. Un certain nombre d'entités, notamment en Iran, ont été sanctionnées, y compris sur la base de la documentation de certains composants par CAR. Pour ce qui concerne notre politique étrangère en tant que telle, je ne suis évidemment pas qualifié pour vous répondre, même si nous plaidons pour le renforcement des sanctions.

M. Rachid Temal. - J'ai deux questions.

Premièrement, la Turquie joue-t-elle un rôle dans la prolifération des armes dans les conflits actuels ?

Deuxièmement, quelles propositions concrètes pourriez-vous adresser au Parlement, afin de limiter les trafics et d'entraver la dissémination de ces différentes technologies ?

Enfin, je tiens à rappeler que mon groupe est favorable à la création d'une commission d'évaluation - j'insiste sur ce terme - des ventes d'armes à l'étranger, qu'il est, me semble-t-il, plus que temps de mettre en place. Si mon groupe soutient l'industrie de défense nationale, il souhaite que le Parlement joue un rôle accru sur cette question.

M. Jean-Marc Vayssouze-Faure. - Vous nous avez expliqué que les Russes risquaient d'être confrontés à une pénurie de composants électriques, ce qui constitue un motif d'espoir pour les Ukrainiens. Néanmoins, la Chine ne sera-t-elle pas en mesure, prochainement, de produire et, donc, de fournir ces composants à la Russie ?

M. Cédric Perrin, président. - Je m'interroge sur la traçabilité des trafics d'armes : y a-t-il un risque de retrouver rapidement un certain nombre des armes qu'utilisent aujourd'hui les forces belligérantes en Ukraine dans nos banlieues ? Quelle est la nature exacte du suivi que vous opérez ?

M. Léo Jarry. - Monsieur le sénateur Temal, CAR n'occulte pas le rôle que joue la Turquie dans la dissémination des armements. Si je n'ai pas mentionné ce pays ce matin, c'est parce que j'ai privilégié une approche thématique du sujet.

M. Rachid Temal. - Dans les trois conflits que vous avez cités, vous n'y avez pas fait allusion...

M. Léo Jarry. - Nous n'avons effectivement pas observé de matériel turc sur ces théâtres d'opérations, à l'inverse de territoires comme la Libye ou la Syrie.

S'agissant des recommandations que nous pourrions adresser au Parlement, je risque, hélas, de vous décevoir : nous déplorons avant tout une dissémination de l'information, et c'est du reste pourquoi nous plaidons pour une meilleure coopération entre décideurs et industriels. Autre point de vigilance, il faudrait faire en sorte qu'en Europe les sanctions en matière de trafic d'armes soient prises plus rapidement, ce qui impliquerait d'alléger un certain nombre de procédures - pourtant légitimes. Nous constatons que les États-Unis sont plus réactifs que l'Union européenne dans ce domaine. Enfin, nous observons que certains pays européens - je pense aux Pays-Bas - sont extrêmement coopératifs et partagent largement les informations qu'ils détiennent. Pour nous, il s'agit, en quelque sorte, d'États modèles.

M. Cédric Perrin, président. - Vous avez indiqué que les entreprises seraient confrontées à des lourdeurs administratives, qui les conduiraient à s'adresser à CAR plutôt qu'aux États directement : pourriez-vous apporter quelques précisions sur ce sujet ?

M. Léo Jarry. - Lorsqu'une entreprise est en contact avec CAR, elle ne fait pas l'objet d'une enquête à proprement parler ; elle communique donc les informations qu'elle souhaite. En règle générale, les entreprises coopèrent avec nous, car cela leur facilite les choses : nous réalisons nous-mêmes le travail de synthèse que nous adressons ensuite aux autorités nationales. Certaines de ces sociétés, dont la production a été détournée au profit de forces belligérantes, les forces armées russes, par exemple, regrettent parfois que, dans le cadre de leurs échanges avec les services de l'État ou d'enquête, les procédures soient beaucoup plus longues et plus lourdes. Autre observation : l'assiette des sanctions est relativement modulable aujourd'hui. Les seules sanctions « fourre-tout » concernent les armes de destruction massive, leur emport, leur transport ou leur portage. Dès lors que certains des missiles russes utilisés actuellement sont similaires en tout point à des missiles qui sont, eux, « sanctionnables » - les Kh- 101 et Kh-102 sont ainsi identiques, si ce n'est que le second dispose d'une ogive nucléaire -, on pourrait arguer qu'ils devraient tous tomber sous le coup de sanctions. Une telle évolution serait intéressante, mais cela ferait évidemment peser une pression énorme sur les opérateurs industriels et les fabricants de composants électriques. L'essentiel, de mon point de vue, est de trouver le juste équilibre entre l'impératif des sanctions et la préservation des activités commerciales de notre industrie de défense. Pour ce qui est de nos intermédiaires en Chine, le plus important est d'être capable d'identifier les risques très en amont, ce qui suppose de mettre en place une véritable coopération entre le public et le privé, qui nous fait actuellement défaut.

M. Rachid Temal. - Existe-t-il une liste de ces intermédiaires litigieux ?

M. Léo Jarry. - Non, elle n'existe pas, même si nous avons établi nos propres listes, que nous avons d'ailleurs communiquées à l'Union européenne ; par ailleurs, les sanctions ne sont pas immédiates et certaines entités pourraient de toute façon continuer à agir en toute impunité.

Pour répondre à votre question, monsieur Vayssouze, la capacité chinoise à fabriquer des composants électriques pour la Russie - à l'exception de certains moteurs ou circuits intégrés - est limitée. Ce constat s'explique par le monopole occidental en la matière. La situation pourrait certes évoluer, à en juger par les annonces de la Chine sur la hausse de sa production de puces électroniques, mais personne ne peut le certifier.

Vous avez raison, monsieur le président, la traçabilité des trafics et l'éventuel détournement des stocks d'armes fournies à l'Ukraine constituent un défi majeur. Sur ce point, le principal risque pour nous, c'est l'éventuel « gel » du conflit : dans ce genre de situation, comme en Libye, on assiste souvent à une dispersion des armes et des munitions loin des théâtres d'opérations d'origine, car les stocks ne présentent alors plus aucun intérêt opérationnel sur un plan militaire. Cela étant, aujourd'hui, CAR n'observe aucun détournement majeur de ces armes - même si nous dépendons en la matière des informations délivrées par les autorités ukrainiennes.

M. Cédric Perrin, président. - Ma question concerne plus précisément les saisies d'armes opérées en France : font-elles l'objet d'un suivi spécifique de votre part ?

M. Léo Jarry. - Non, il n'existe pas de coopération particulière entre CAR et les services de sécurité français.

M. Cédric Perrin, président. - Cela vous semble-t-il nécessaire ?

M. Léo Jarry. - Je ne sais pas si une telle coopération est souhaitable ou possible.

M. Olivier Cigolotti. - Aujourd'hui, les stocks d'armes libyennes ne constituent plus une source d'approvisionnement pour les groupes armés terroristes qui agissent en Afrique de l'Ouest, ce qui semble logique, puisque ces stocks ont été pillés dès 2011. Avez-vous pu identifier à la fois la nature et l'origine de ces armements ?

M. Léo Jarry. - C'est une question sensible, monsieur le sénateur, car y répondre nécessiterait de pointer du doigt certains États - ce que nous ne pouvons pas faire publiquement. Nous avons constaté qu'une part croissante d'armes a été introduite en Libye après 2011. Nous en avons retracé l'origine et identifié certains des pays convoyeurs de ces matériels. Nous avons transmis les informations que nous détenions aux États concernés et aux autorités libyennes. Je suis en mesure de vous dire qu'un certain nombre de ces armes a été introduit assez récemment - en 2018 et 2019 -, que des efforts ont été réalisés pour effacer les marquages, et que ces flux d'armement se seraient taris depuis lors. Nous avons en effet repéré beaucoup moins d'armements produits très récemment : seuls quelques fusils d'assaut produits en 2020 en Chine ou en Europe de l'Est ont été identifiés, sans que les pays que je viens de citer soient responsables du détournement de ces armes vers la Libye. Pour l'essentiel, il faut malheureusement reconnaître que ces flux d'armes sont très complexes à suivre.

M. Olivier Cigolotti. - Pourriez-vous confirmer que le stock libyen est vivant ?

M. Léo Jarry. - Tout à fait, nous constatons que certains stocks d'armes libyennes ont été régénérés : on les retrouve, depuis 2021, dans un certain nombre de pays du Sahel.

M. Cédric Perrin, président. - Je vous remercie sincèrement pour cet exposé très intéressant. Il y a, selon moi, plusieurs leçons à retenir de votre audition.

Tout d'abord, nous savons désormais avec certitude que, depuis 2014, les Russes anticipent les conflits dans lesquels ils sont impliqués, et stockent du matériel en vue de passer outre les sanctions auxquelles ils sont assujettis : un tel constat doit nous conduire à réfléchir collectivement sur notre propre capacité à prévoir un certain nombre d'événements. Les débats qui ont eu lieu lors de l'examen du projet de loi relatif à la programmation militaire démontrent en tout cas que nous n'avions pas tort d'anticiper le pire.

Deuxième leçon, dans le domaine militaire, l'Occident reste supérieur sur le plan technologique. J'ai la conviction profonde que tel est le cas, parce que nous n'avons pas massivement délocalisé notre industrie de défense, à l'inverse d'autres zones de notre industrie, dans des pays tiers.

Troisième leçon : le travail que vous avez réalisé prouve que l'Iran est bien l'un des fournisseurs d'armes à la Russie. Nous affirmons publiquement que cette aide est réelle et démontrable factuellement.

La quatrième et dernière leçon à retenir tient à l'importance des sanctions, ce que nous avons nous-mêmes pu mesurer lors du déplacement de notre commission en Ukraine il y a environ un mois : nous y avons appris que le stock de matériel des forces armées russes devrait atteindre un seuil critique dès l'an prochain du fait des sanctions internationales.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Land du Bade-Wurtemberg relatif à la création d'une compagnie de gendarmerie fluviale franco-allemande sur le Rhin - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Jérôme Darras, rapporteur. - L'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Land du Bade-Wurtemberg relatif à la création d'une compagnie de gendarmerie fluviale franco-allemande sur le Rhin, signé à Strasbourg le 6 juillet 2022, s'inscrit dans le prolongement naturel d'une coopération bilatérale de plus de cent cinquante ans. Elle remonte en effet à l'Acte de Mannheim du 17 octobre 1868, qui crée la commission centrale pour la navigation du Rhin, laquelle constitue la plus ancienne organisation internationale au monde.

La Convention d'application de l'accord de Schengen, signée le 19 juin 1990, qui permet aux États parties de conclure entre eux des accords ou arrangements d'exécution, constitue le socle juridique de l'accord, lequel constitue un objet original et particulièrement remarquable à plusieurs titres.

Tout d'abord, on soulignera qu'il est conclu, côté allemand, au niveau du Land et non au niveau fédéral : en effet, la Loi fondamentale allemande désigne expressément les Länder comme les entités compétentes pour contracter ce type d'engagement.

Ensuite, la démarche qui a présidé à la genèse de la compagnie de gendarmerie fluviale franco-allemande (CG2FA) est remarquable, et à maints égards exemplaire : le projet, lancé par les acteurs de terrain eux-mêmes, a donné lieu à la mise en place, dès 2011, d'une version expérimentale de la compagnie binationale dans le cadre d'un arrangement administratif entre le commandant de la région de gendarmerie d'Alsace et le ministre de l'intérieur du Land du Bade-Wurtemberg ; le pragmatisme est demeuré le maître mot de l'organisation opérationnelle de la compagnie, et c'est le retour d'expérience des acteurs de terrain, durant plus de dix années, qui a permis la validation ou l'adaptation des modalités initiales en vue du futur accord. Cette démarche expérimentale et pragmatique est pour beaucoup dans la réussite du projet.

La compagnie fluviale commune constitue un concept tout à fait novateur, puisqu'elle est la première unité bilatérale pérenne à caractère opérationnel. La CG2FA, qui n'a pas de personnalité juridique propre, est constituée de deux contingents - l'un français, l'autre allemand -, commandés chacun par un chef de détachement qui n'a autorité que sur son propre contingent. Ainsi, les règles nationales de subordination hiérarchique et d'autorité disciplinaire de chacun des deux États demeurent pleinement applicables. Elle regroupe cinq unités, trois françaises et deux allemandes, pour un effectif de cinquante-six agents. Ces unités sont appelées à participer à des patrouilles et à des interventions communes, qui ont été progressivement généralisées sur les quelque 164 kilomètres du Rhin franco-allemand. Dans ce cadre, chacune des deux parties peut exercer des prérogatives de puissance publique sur le territoire de l'autre État, mais uniquement sous la direction et en présence d'agents territorialement compétents, et dans le respect du droit national, de sorte que la souveraineté policière de chaque partie demeure pleinement assurée sur son territoire.

Les principales missions de la CG2FA concernent la surveillance et le contrôle de la navigation fluviale, la poursuite des infractions, crimes, délits et contraventions, la réalisation de patrouilles communes terrestres, la constatation des accidents en lien avec la navigation fluviale et, plus ponctuellement, des missions de police fluviale à l'occasion d'événements particuliers. De plus, dans le domaine des recherches subaquatiques, la compagnie fluviale dispose d'une compétence reconnue, qui la conduit à être régulièrement sollicitée hors de la zone rhénane.

Le partenariat mis en place s'applique dans d'excellentes conditions. Il repose avant tout sur la qualité des relations tissées entre les personnels de part et d'autre. À cet égard, l'existence de locaux communs encourage les contacts entre les deux détachements, dans un esprit de convivialité et d'entraide qui est une réalité quotidienne sur le terrain.

Condition indispensable à la parfaite coopération entre les agents des deux États, tous les gendarmes français servant au sein de la compagnie fluviale possèdent un niveau d'allemand suffisant pour communiquer de manière fluide avec leurs homologues germaniques, et réciproquement pour les policiers allemands.

S'agissant des moyens matériels, la règle est la mutualisation : cela permet d'importantes économies en investissement comme en fonctionnement. Par exemple, un mécanicien civil allemand, en assurant la maintenance et la réparation des équipements tant français qu'allemand, représente un maillon essentiel de la coopération observée sur le terrain.

Globalement, l'effort financier est équitablement réparti. De plus, la mutualisation des moyens matériels entraîne une source d'économies significative et correspond à un montage financier efficace en vue de l'obtention de financements européens, comme cela a été le cas pour l'acquisition d'une vedette et d'un sonar dans le cadre du programme européen Interreg de coopération territoriale européenne.

Sur le terrain, les résultats sont là. En 2023, la compagne fluviale commune a à son actif - pour une cinquantaine d'agents - la constatation de 1124 infractions (contre 829 en 2018), soit 48 délits et 1076 contraventions ; elle a mené 672 patrouilles. Parmi ses actions notables : des missions de surveillance du canal jouxtant le Parlement européen de Strasbourg lors de visites officielles ; la participation de plongeurs aux recherches à la suite de la disparition de la jeune Lina ; une intervention lors d'un dramatique accident nautique à hauteur de Gerstheim.

L'accord qui vous est soumis aujourd'hui intervient ainsi au terme d'une expérimentation de plus de dix années, qui a démontré la pertinence du modèle binational et sa parfaite efficacité sur le terrain. Il a pour enjeu de pérenniser les acquis de l'arrangement administratif de 2011 et d'offrir le cadre indispensable à la sécurité juridique des actions conduites sur le territoire national de l'autre partie. En conséquence, je préconise l'adoption de ce projet de loi.

Le projet de loi est adopté, à l'unanimité, sans modification.

Projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Maurice et la convention d'extradition entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République de Maurice - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Roger Karoutchi, rapporteur - La République de Maurice a recouvré son indépendance en 1968. C'est un pays démocratique dans lequel les libertés individuelles sont garanties et la séparation des pouvoirs assurée ; il connaît des alternances régulières et les partis politiques sont structurés et exercent librement leurs activités. Son système judiciaire, qui s'inspire de la tradition civiliste et de la Common Law, est efficace. Une partie importante de son droit est dérivé des codes français : le code civil, le code pénal et le code de commerce ; en revanche, les aspects liés à la procédure découlent de la tradition du droit britannique, notamment en ce qui concerne le civil, le pénal et l'administration de la preuve. Maurice garantit les droits de l'Homme et les libertés individuelles ; la peine capitale y a été abolie en 1995 ; le respect des droits des LGBT+ est dorénavant assuré, à la suite d'une évolution jurisprudentielle.

La France et Maurice sont proches à plusieurs titres : l'île était une colonie française de 1715 à 1810 et la langue française y est encore couramment parlée. Surtout, elle n'est qu'à 230 kilomètres de La Réunion. La France et Maurice coopèrent à l'échelle régionale au sein de la Commission de l'océan indien et de l'Association des États riverains de l'océan indien. Un accord-cadre a été signé en 2011 pour favoriser la coopération entre les deux territoires et un accord relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces a été signé en 2018.

Sur le plan humain, la communauté française à Maurice est estimée à plus de 10 000 personnes. Environ 20 000 Mauriciens sont installés en France. Enfin, les Français représentent 40 % des touristes qui se rendent à Maurice. D'un point de vue économique, la France est un partenaire important : elle est son troisième fournisseur et son deuxième client dans le cadre d'un commerce bilatéral en progression.

En matière de coopération pénale, outre le fait que nos deux États sont parties à plusieurs conventions internationales relevant des Nations Unies, la France et Maurice sont liés par un traité d'extradition datant de 1876, modifié à plusieurs reprises. Les flux concernés sont toutefois faibles et uniquement à l'initiative de la France : en dix ans, seules cinq demandes ont été adressées à Maurice. En revanche, aucune convention d'entraide judiciaire n'a été conclue, la coopération s'effectuant donc par la voie diplomatique. Or les besoins sont réels : la France a adressé depuis 2013 soixante et onze demandes d'entraides, dont quarante-neuf sont toujours en cours d'exécution. Du côté mauricien, seules onze demandes ont été adressées à la France sur cette même période. La majeure partie d'entre elles porte sur des infractions de droit commun (viols, violences conjugales, homicides), ainsi que sur des faits en lien avec la législation sur les stupéfiants, notamment le trafic de Subutex avec la Réunion. Il peut aussi s'agir d'affaires financières : blanchiment en bande organisée, abus de biens sociaux ou escroquerie. Compte tenu de la différence entre les deux systèmes juridiques, des difficultés peuvent se présenter : les délais d'exécution par Maurice dépassent régulièrement deux ans. C'est la raison pour laquelle la France a été à l'initiative de l'engagement de négociations sur une convention d'entraide judiciaire en matière pénale, à laquelle s'est ajoutée la convention d'extradition qui devait être modernisée.

Les négociations ont débuté en 2012, mais elles ont été interrompues dès 2013, à la demande du ministère de la justice, en raison de la position des autorités mauriciennes à l'égard des infractions de nature fiscales et des modalités de levée du secret bancaire en vigueur dans l'île, incompatibles avec les exigences françaises. Ce n'est qu'au début de l'année 2020 que les négociations ont repris, les autorités françaises ayant considéré que Maurice se conformait dorénavant aux standards internationaux en matière de transparence. En 2018, l'Union européenne a retiré Maurice de la liste des paradis fiscaux ; les deux textes ont donc enfin été signés à Port-Louis le 10 novembre 2022.

La convention d'entraide judiciaire en matière pénale prévoit que la France et Maurice s'engagent à s'accorder mutuellement l'entraide judiciaire la plus large possible ; elle organise les modalités de communication et de transmission des demandes entre les parties, notamment en cas d'urgence ; elle définit les modalités et délais d'exécution des demandes d'entraide ; enfin, elle offre la possibilité de recourir à toute une série de techniques modernes de coopération, dont les auditions par visioconférence. En revanche, le dispositif sur les interceptions téléphoniques n'a pas pu être intégré, l'état actuel de la législation mauricienne ne permettant pas l'utilisation de cette technique d'enquête dans le cadre de la coopération internationale.

La convention d'extradition, qui s'inspire largement de nos standards nationaux, prévoit que les deux parties s'engagent à se livrer réciproquement toute personne qui, se trouvant sur le territoire de l'une d'entre elles, est recherchée par l'autre partie.

La République de Maurice a ratifié les conventions le 19 mai 2023 ; l'Assemblée nationale a adopté le présent projet de loi le 23 novembre 2023 ; il ne reste plus qu'au Sénat à se prononcer en faveur de l'approbation de ces deux conventions, ce que je préconise, dans la mesure où celles-ci fluidifieront et accéléreront les échanges entre la France et Maurice et encourageront le recours aux techniques modernes de coopération.

Le projet de loi est adopté, à l'unanimité, sans modification.

Conformément aux orientations du rapport d'information n° 204 (2014-2015) qu'elle a adopté le 18 décembre 2014, la commission a autorisé la publication du présent rapport synthétique.

Mission d'information conjointe sur l'avenir d'ATOS - Désignation de rapporteurs

M. Cédric Perrin, président. - Il nous revient de désigner nos deux corapporteurs de la mission commune d'information, avec la commission des affaires économiques, sur l'avenir d'ATOS. J'ai reçu les candidatures de Thierry Meignen, pour le groupe LR, et de Jérôme Darras, pour le groupe SER.

Il n'y a pas d'objection ?

La commission désigne MM. Thierry Meignen et Jérôme Darras corapporteurs de la mission commune d'information, avec la commission des affaires économiques, sur l'avenir d'ATOS.

Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Canada relatif au déploiement d'agents de sûreté en vol - Désignation de rapporteurs

La commission désigne Mme Évelyne Perrot rapporteure sur le projet de loi n° 938 (2022-2023) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Canada relatif au déploiement d'agents de sûreté en vol.

La réunion est close à 11 h 15.