Mardi 16 janvier 2024

-Présidence de M. François-Noël Buffet, président-

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir en France - Examen du rapport pour avis

M. François-Noël Buffet, président. - Nous sommes réunis ce matin pour l'examen du rapport pour avis d'Elsa Schalck sur la proposition de loi portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir en France.

Mme Elsa Schalck, rapporteure pour avis. - La proposition de loi que nous examinons a été déposée en décembre 2022 par les députés Aurore Bergé, Laurent Marcangeli, Fadila Khattabi et plusieurs de leurs collègues pour faire écho à une promesse du Président de la République, qui avait annoncé en 2018 une grande loi pour répondre aux défis du vieillissement. Ses auteurs l'ont conçue comme « une première pierre » destinée à être largement enrichie au fil des travaux en cours menés par le Conseil national de la refondation (CNR) ou encore les États généraux des maltraitances. Ils ont été parfaitement entendus puisque son volume a quadruplé devant l'Assemblée nationale passant de 15 à 65 articles !

Ainsi, sont apparues par voie d'amendements, sans étude d'impact ni concertation avec les professionnels concernés, diverses dispositions sur la protection juridique des majeurs, dont la commission est saisie pour avis avec une délégation au fond.

La méthode employée ne me paraît pas à la hauteur des enjeux de la protection juridique des majeurs. C'est d'autant plus regrettable que de nombreux travaux ont été menés sous l'égide de la Chancellerie et des ministères sociaux. Ils invitent tous à une réflexion beaucoup plus globale. On peut d'autant plus s'étonner d'une telle approche partielle et précipitée que le Gouvernement a annoncé - par la voix d'Élisabeth Borne, alors Première ministre - l'adoption d'une loi de programmation sur l'autonomie et le grand âge avant la fin de l'année 2024.

Cette question de méthode justifie, selon moi, une suppression pure et simple de ces articles, à l'exception de l'article 5 decies, qui concerne la publicité des mandats de protection future, mesure attendue depuis plus de huit ans...

Ce contexte étant rappelé, je vous propose d'examiner les articles dont la commission est saisie, en commençant par les articles 5 et 5 bis A pour lesquels nous sommes dans le cadre d'un avis simple.

L'article 5 tend à ajouter une définition des missions des mandataires judiciaires à la protection des majeurs (MJPM) dans le code de l'action sociale et des familles. Je n'ai pas d'objection à cet ajout, qui répond à une attente de la profession, en quête d'une meilleure visibilité.

Je vous proposerai deux amendements pour mieux définir les principes régissant leur action par renvoi à l'article 415 du code civil et pour supprimer la référence à une charte éthique définie par arrêté ministériel. La profession des MJPM s'est déjà dotée de « repères éthiques ». Dans ces conditions, il semble inutile de prévoir une énième charte arrêtée par le ministre, et ce d'autant que les MJPM ne sont pas structurés autour d'un ordre professionnel disposant d'un pouvoir disciplinaire.

Je vous inviterai également à supprimer la disposition créant des obligations de signalement spécifiquement mises à la charge des MJPM afin de conserver les obligations de droit commun, qui semblent suffisantes.

L'article 5 bis A concerne le mécanisme d'incapacité et de contrôle des antécédents judiciaires des personnes exerçant des fonctions - permanentes ou occasionnelles - dans les établissements, services ou lieux de vie et d'accueil du secteur social et médico-social.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi Taquet du 7 février 2022, ce contrôle des antécédents judiciaires est assuré, au moment du recrutement puis en cours d'exercice, par la délivrance du bulletin n° 2, dit « B2 », du casier judiciaire, et par l'accès aux informations contenues dans le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijais).

La disposition proposée étendrait le champ des professionnels concernés par les interdictions d'exercice aux services de gardes d'enfants ou d'assistance aux personnes âgées et handicapées, y compris auprès d'employeurs particuliers, et autoriserait l'accès au Fijais pour procéder à des vérifications concernant des activités ou professions impliquant un contact avec des majeurs vulnérables, et non plus seulement avec des mineurs.

Il faut être conscient que ces dispositions vont augmenter le nombre de personnes pouvant faire l'objet de contrôle des antécédents judiciaires et d'une consultation du Fijais, tout en changeant la nature de ce fichier, qui a été conçu pour la protection des mineurs.

Toutefois, il me semble que l'objectif de protection de personnes en état de vulnérabilité du fait de leur âge ou de leur handicap peut justifier ces mesures, et que l'atteinte à la liberté d'entreprendre et au respect de la vie privée resterait proportionnée.

L'article 5 bis A donnerait également une base légale à la création d'un système d'information automatisant la consultation du B2 et du Fijais, et permettant de délivrer à la personne concernée un document attestant qu'il n'existe pas d'inscription entraînant une incapacité professionnelle.

Enfin, cet article prévoit la possibilité pour tout responsable d'établissement de prononcer une mesure de suspension temporaire d'activité ou d'agrément jusqu'à la décision définitive de la juridiction compétente en cas d'inscription au Fijais pour une condamnation non définitive ou en raison d'une mise en examen.

J'ai déposé un amendement pour clarifier les conditions dans lesquelles le directeur d'établissement peut être informé d'une condamnation non définitive ou d'une mise en examen. La formulation actuelle me semble ambiguë, car elle laisse penser que l'information lui serait directement accessible, ce qui semble problématique s'il s'agit de structures privées. En l'état, je suggère plutôt de se référer aux transmissions d'informations par le parquet déjà prévues par le code de procédure pénale afin d'éviter une information tous azimuts.

Enfin, afin de restreindre le recours aux mesures de suspension provisoire aux cas les plus nécessaires, il me semble souhaitable d'imposer une analyse in concreto établissant l'existence de risques pour la santé ou la sécurité des mineurs ou majeurs en situation de vulnérabilité avec lesquels la personne est en contact.

Je vous précise que les amendements que j'ai déposés sur ces deux articles ont été rédigés en concertation avec nos collègues Jocelyne Guidez et Jean Sol, rapporteurs de la commission des affaires sociales.

S'agissant des articles du titre II bis dont la commission est saisie avec délégation au fond, les professionnels que j'ai auditionnés ont critiqué assez unanimement les retouches ponctuelles apportées, qu'ils ont qualifiées d'« émiettement législatif », de « logique de silos » ou encore de « fausses bonnes idées ».

J'ai donc fait le choix de vous proposer de supprimer l'ensemble des articles additionnels 5 quater à 5 nonies, d'autant que leur rédaction n'est pas aboutie. Preuve en est le nombre d'amendements « remords » déposés par le groupe RDPI.

J'ai fait échapper à la suppression un seul article : l'article 5 decies, qui a pour objet de créer d'ici à la fin de l'année 2026 un registre général de toutes les mesures de protection juridique, regroupant les mesures judiciaires - sauvegarde de justice, curatelle, tutelle, habilitation familiale - et les mandats de protection future.

Ce registre est nécessaire pour assurer le respect du principe de subsidiarité et pour appliquer les dispositions du code de procédure pénale relatives aux personnes sous tutelle ou curatelle. Il est aussi indispensable en vue du futur règlement européen relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des mesures et la coopération en matière de protection des adultes qui prévoit un partage de ces informations pour régler les situations transfrontalières.

Toutefois, l'article 5 decies procéderait également à l'abrogation de l'article 477-1 du code civil, créé par la loi du 28 décembre 2015, qui prévoit la publicité des mandats de protection future par une inscription sur un registre spécial dont les modalités et l'accès sont réglés par décret en Conseil d'État. Ce registre n'a toujours pas été créé faute de décret d'application et le manque de publicité freine considérablement le recours à cet outil de protection juridique qui laisse la place à la volonté et mériterait à ce titre d'être développé.

Une abrogation de l'article 477-1 priverait d'effet une décision du 27 septembre 2023 du Conseil d'État, qui enjoint au Gouvernement de prendre ce décret dans un délai de six mois, sous peine d'une astreinte de 200 euros par jour de retard. Je note que l'amendement COM-97 du groupe RDPI revient opportunément sur cette abrogation.

Pour ma part, je vous propose de modifier la rédaction de cet article afin de maintenir le registre prévu pour les mandats de protection future et de conserver le bénéfice de l'injonction sous astreinte prononcée par le Conseil d'État, ce qui devrait permettre une publication au cours du premier semestre 2024, mais aussi de créer un registre dématérialisé centralisant les informations des mesures judiciaires et les mandats de protection future en cours d'exécution, afin de permettre un partage d'informations, qui est souhaité par les professionnels depuis de nombreuses années.

Je vous proposerai enfin de prévoir une date d'entrée en vigueur plus rapprochée, en 2025, contre 2026 dans le texte, et ce, à l'opposé du groupe RDPI, qui souhaite un allongement à 2028. Il faut avancer, et avancer concrètement.

M. Pierre-Alain Roiron. - Je remercie la rapporteure de la clarté de ses propos. La commission des lois est saisie pour avis et au fond sur six articles. Cette proposition de loi a connu une large expansion lors de son passage à l'Assemblée nationale.

Cette évolution a permis d'intégrer des mesures essentielles visant à améliorer la qualité de vie des personnes en situation de dépendance et à combattre la maltraitance. Nous saluons notamment la création des services publics territoriaux de l'autonomie dans chaque département, la généralisation de la démarche Integrated Care for Older People (Icope) pour le dépistage précoce des fragilités ou la création d'un groupement territorial social et médico-social afin de généraliser les démarches de coopération entre les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et les services de soins infirmiers à domicile (Ssiad).

Néanmoins, ce texte ne répond pas aux défis majeurs auxquels les professionnels de santé doivent répondre. Elle laisse notamment en suspens des questions cruciales telles que la simplification de la gouvernance et les modalités de tarification des Ehpad. Le problème du reste à charge pour les familles persiste et les besoins d'investissement en formation demeurent insuffisants.

Force est de constater qu'en dépit de bonnes intentions le texte demeure à l'état préliminaire dans de nombreux domaines majeurs.

Pour ce qui concerne le titre II bis « Renforcer l'autonomie des adultes vulnérables en favorisant l'application du principe de subsidiarité », dans l'ensemble, les articles semblent aller dans le bon sens, avec la désignation par le juge des tutelles d'un curateur ou tuteur de remplacement au décès de la personne initialement désignée, la réforme du mandat de protection future ou l'élargissement de la liste des personnes habilitées à assister ou à représenter un adulte vulnérable.

Néanmoins, la suppression de l'article 5 decies après l'abrogation de l'article 477-1 du code civil appelle notre vigilance : de nombreuses associations telles que la Fédération internationale des associations des personnes âgées (Fiapa) redoutent les conséquences de la fusion des deux registres. C'est la raison de notre avis réservé.

Mme Elsa Schalck, rapporteure pour avis. - Une grande partie de vos observations relève du champ de la commission des affaires sociales. Nous maintenons l'idée d'une distinction entre les deux registres - spécial et général - pour éviter les difficultés que vous exprimez et mettre le Gouvernement face à cette responsabilité.

M. François-Noël Buffet, président. - Concernant le périmètre de l'article 45 de la Constitution, je vous propose de considérer que ce périmètre comprend les dispositions relatives aux missions des mandataires judiciaires à la protection des majeurs.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES POUR AVIS

Article 5

Mme Elsa Schalck, rapporteure pour avis. - L'amendement COM-100 vise à définir les principes régissant l'action des mandataires judiciaires à la protection des majeurs par renvoi au code civil et à supprimer la référence à une charte éthique définie par arrêté ministériel.

L'amendement COM-100 est adopté.

Mme Elsa Schalck, rapporteure pour avis. - L'amendement COM-101 tend à supprimer les obligations de signalement spécifiques.

L'amendement COM-101 est adopté.

Article 5 bis A (nouveau)

L'amendement de clarification COM-102 est adopté.

Mme Elsa Schalck, rapporteure pour avis. - L'amendement COM-103 vise à encadrer la suspension provisoire en cas de condamnation non définitive ou de mise en examen.

L'amendement COM-103 est adopté.

L'amendement de clarification COM-104 est adopté.

EXAMEN DES ARTICLES DÉLÉGUÉS AU FOND

Article 5 quater (nouveau) (délégué)

L'amendement de suppression COM-105 est adopté. En conséquence, les amendements COM-99 et COM-93 deviennent sans objet.

La commission propose à la commission des affaires sociales de supprimer l'article 5 quater.

Article additionnel après l'article 5 quater (nouveau) (délégué)

Mme Elsa Schalck, rapporteure pour avis. - L'amendement COM-17 concerne la désignation d'un mandataire judiciaire à la protection des majeurs suppléant en cas d'empêchement. Cet amendement est l'illustration du caractère parcellaire des mesures proposées en matière de protection juridique des majeurs. Avis défavorable par cohérence avec ma position.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-17.

La commission propose à la commission des affaires sociales de ne pas adopter l'amendement COM-17 portant article additionnel.

Article 5 quinquies (nouveau) (délégué)

L'amendement de suppression COM-106 est adopté. En conséquence, l'amendement COM-94 devient sans objet.

La commission propose à la commission des affaires sociales de supprimer l'article 5 quinquies.

Article additionnel après l'article 5 quinquies (nouveau) (délégué)

Mme Elsa Schalck, rapporteure pour avis. - L'amendement COM-72 concerne la création d'une déclaration de volonté en vue de protection future. Je comprends l'intention de Mme Jacquemet, qui souhaite une meilleure prise en compte de la volonté des personnes. Il me semble préférable, avant de créer ce nouveau dispositif, de consolider le mandat de protection future et d'en assurer l'effectivité par la mise en place du registre spécial. Par cohérence avec ma position sur le titre II bis, je ne souhaite pas introduire de dispositions nouvelles relatives aux mesures de protection juridique des majeurs. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement COM-72.

La commission propose à la commission des affaires sociales de ne pas adopter l'amendement COM-72 portant article additionnel.

Article 5 sexies (nouveau) (délégué)

L'amendement de suppression COM-107 est adopté. En conséquence, les amendements COM-95 et COM-132 rectifié deviennent sans objet.

La commission propose à la commission des affaires sociales de supprimer l'article 5 sexies.

Article 5 octies (nouveau) (délégué)

L'amendement de suppression COM-108 est adopté.

La commission propose à la commission des affaires sociales de supprimer l'article 5 octies.

Article 5 nonies (nouveau) (délégué)

L'amendement de suppression COM-109 est adopté. En conséquence, l'amendement COM-96 devient sans objet.

La commission propose à la commission des affaires sociales de supprimer l'article 5 nonies.

Article 5 decies (nouveau) (délégué)

Mme Elsa Schalck, rapporteure pour avis. - L'amendement COM-110 porte création d'un registre général des mesures de protection juridique en cours d'exécution tout en maintenant le registre spécial de mandats de protection future. Il modifie la date de publication du décret afin d'accélérer la procédure.

M. François-Noël Buffet, président. - Nous ne pouvons effectivement pas attendre plus longtemps la mise en oeuvre de ce dispositif positif que nous appelons de nos voeux depuis des années...

L'amendement COM-110 est adopté. En conséquence, les amendements COM-97 et COM-133 rectifié deviennent sans objet.

La commission propose à la commission des affaires sociales d'adopter l'article 5 decies ainsi modifié.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des articles délégués, sous réserve de l'adoption de ses amendements.

Le sort des amendements sur les articles pour lesquels la commission bénéficie d'une délégation au fond examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 5 quater (nouveau)

Mme SCHALCK, rapporteure pour avis

COM-105

Amendement de suppression

Adopté

Mme AESCHLIMANN

COM-99

Présence obligatoire de l'avocat aux côtés de la personne à l'égard de laquelle il est envisagé d'ordonner une mesure de protection

Satisfait
ou sans objet

Mme NADILLE

COM-93

Possibilité de substitution d'un mandataire judiciaire à la protection des majeurs (MJPM) en cas d'indisponibilité temporaire

Satisfait
ou sans objet

Article additionnel après l'article 5 quater (nouveau)

Mme DESEYNE

COM-17

Désignation d'un mandataire judiciaire à la protection des majeurs (MJPM) suppléant en cas d'empêchement

Rejeté

Article 5 quinquies (nouveau)

Mme SCHALCK, rapporteure pour avis

COM-106

Amendement de suppression

Adopté

Mme NADILLE

COM-94

Amendement rédactionnel

Satisfait
ou sans objet

Article additionnel après l'article 5 quinquies (nouveau)

Mme JACQUEMET

COM-72

Création d'une déclaration de volonté en vue de protection future

Rejeté

Article 5 sexies (nouveau)

Mme SCHALCK, rapporteure pour avis

COM-107

Amendement de suppression

Adopté

Mme NADILLE

COM-95

Modification du régime de l'habilitation familiale

Satisfait
ou sans objet

Mme Maryse CARRÈRE

COM-132 rect.

Suppression de l'élargissement de l'habilitation familiale aux parents ou alliés

Satisfait
ou sans objet

Article 5 octies (nouveau)

Mme SCHALCK, rapporteure pour avis

COM-108

Amendement de suppression

Adopté

Article 5 nonies (nouveau)

Mme SCHALCK, rapporteure pour avis

COM-109

Amendement de suppression

Adopté

Mme NADILLE

COM-96

Responsabilité de l'État en cas de faute du juge des tutelles, du directeur des services de greffe judiciaires et du greffier 

Satisfait
ou sans objet

Article 5 decies (nouveau)

Mme SCHALCK, rapporteure pour avis

COM-110

Création d'un registre général des mesures de protection juridique en cours d'exécution

Adopté

Mme NADILLE

COM-97

Maintien de l'article 477-1 du code civil et report de l'entrée en vigueur du registre général à 2028

Satisfait
ou sans objet

Mme Maryse CARRÈRE

COM-133 rect.

Précision quant au contenu du registre général des mesures de protection juridique

Satisfait
ou sans objet

La commission a également adopté les amendements suivants du rapporteur :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 5

Mme SCHALCK, rapporteure pour avis

COM-100

Définition des principes par renvoi au code civil et suppression de la fixation de la charte éthique par arrêté ministériel

Adopté

Mme SCHALCK, rapporteure pour avis

COM-101

Suppression des obligations de signalement spécifiques

Adopté

Article 5 bis A

Mme SCHALCK, rapporteure pour avis

COM-102

Amendement de clarification

Adopté

Mme SCHALCK, rapporteure pour avis

COM-103

Encadrement de la suspension provisoire en cas de condamnation non définitive ou de mise en examen

Adopté

Mme SCHALCK, rapporteure pour avis

COM-104

Amendement de clarification

Adopté

La réunion suspendue à 10 h 55, est reprise à 14 h 30.

Mission d'information sur les émeutes survenues à compter du 27 juin 2023 - Audition de représentants des réseaux sociaux X (ex-Twitter), Meta (Facebook, Instagram et WhatsApp), TikTok et Snapchat(ne sera pas publié)

Cette audition s'est déroulée à huis clos. Le compte rendu ne sera pas publié.

La réunion, suspendue à 15 h 40, est reprise à 16 h 00.

Mission d'information sur les émeutes survenues à compter du 27 juin 2023 - Audition de MM. Fabien Jobard, Marwan Mohammed et Sébastien Roché, sociologues

M. François-Noël Buffet, président. - La mission d'information mise en place par la commission des lois, dotée de pouvoirs d'enquête, a pour objectif d'analyser les émeutes de l'été 2023. Notre travail porte sur les fonctions régaliennes que sont la sécurité et la justice, mais nous souhaitons élargir notre compréhension des événements et, le cas échéant, aboutir à des propositions législatives ou réglementaires à partir des constats que nous dressons.

C'est la raison pour laquelle nous recevons aujourd'hui Sebastian Roché, docteur en science politique, directeur de recherches au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et enseignant à Sciences Po Grenoble, Fabien Jobard, docteur en science politique, directeur de recherches au CNRS et Marwan Mohammed, docteur en sociologie, chargé de recherche au CNRS.

M. Sebastian Roché, politiste. - Mon travail de recherches m'a conduit à étudier les émeutes de 2005, au sujet desquelles j'ai produit un rapport, avec un administrateur de l'Insee et un gendarme détaché. Aujourd'hui, j'ai choisi un angle restreint pour ma présentation : le rôle de la police dans le déclenchement des émeutes et dans leur résorption.

La France est, avec la Grande-Bretagne, le pays d'Europe qui a connu le plus d'émeutes. Elle est également la seule à connaître des émeutes nationales, qui échappent au périmètre d'une commune. Avec les États-Unis, ces pays sont les trois pays occidentaux à connaître des émeutes, bien que leurs modèles de société soient très différents. Ainsi, ce sont les pratiques, les situations d'interaction, et non pas les modèles, qui engendrent ces événements. Il existe deux grands mécanismes de déclenchement. Le premier est direct, causé par des brutalités policières ou par un décès au cours d'une opération de police, qui produit un choc moral important, avec une identification au profil de la personne tuée. On est particulièrement affecté si l'on connaît personnellement cette personne ou si l'on appartient au même groupe socio-professionnel ou ethnique qu'elle. Le second grand mécanisme est indirect : il s'agit d'une accumulation de frustrations, strain en anglais, qui engendre une diminution de la confiance dans la police, laquelle devient elle-même un facteur de déclenchement, en perdant l'autorité morale qui devrait lui permettre de freiner les émeutes.

Qu'est-ce qu'une émeute ? Les événements nationaux de 2005 ou de 2023 en France, voire de 1992 à Los Angeles, sont parfaitement repérables, mais il existe des phénomènes d'intensité moindre. J'avais proposé de définir une émeute par la concentration suffisante, dans le temps et l'espace, de destructions et de dégradations. Ainsi les émeutes, comme les marées, sont des phénomènes de type continu, les destructions et les dégradations étant permanentes. En recensant sur des graphiques le nombre de véhicules brûlés par jour dans différents départements, on retrouve le même cycle temporel : un cycle court de cinq à sept jours, probablement lié à la fatigue des émeutiers. Ce phénomène d'épuisement se retrouve dans tous les pays. En ce qui concerne les émeutes de 2005, les données ont été analysées par des chercheurs canadiens. On peut observer que les mesures exceptionnelles prises par le gouvernement de l'époque, notamment l'état d'urgence, n'ont pas eu d'effet sur la dynamique temporelle. En revanche, ces émeutes ont entraîné une augmentation durable de la délinquance, produisant des effets de long terme sur la sécurité des citoyens.

S'agissant du déclenchement des grandes émeutes, il est toujours associé aux brutalités policières ou à des actions de police agressives. Une telle régularité indique un lien de causalité : les brutalités policières sont un déclencheur, lié à la fonction symbolique de la police dans la société. Quelle que soit son ampleur, le fait que la police tue quelqu'un qui n'est pas armé et dont le prénom évoque une origine étrangère est propice au démarrage d'une émeute. La situation en France au cours des trente dernières années le démontre empiriquement. Cela nous permet de comprendre qu'il existe des variables structurelles au plan socio-économique, mais aussi au plan institutionnel, c'est-à-dire liées au fonctionnement normal des institutions.

J'en viens au second mécanisme de déclenchement des émeutes, à savoir le phénomène de frustration. Celui-ci est souvent lié aux contrôles d'identité répétitifs et discriminatoires.

En 2016, nous avons mené une enquête dans les Bouches-du-Rhône. Nous avons observé que, dès 12 ans, les contrôles d'identité sont particulièrement ciblés sur les minorités, dans les zones du ressort de la police et non pas de la gendarmerie. Ces contrôles sont de nature à accroitre les tensions et à créer un climat inflammable. L'affaire Théo s'est produite au moment où était réalisée une grande enquête sociale européenne. Il a été possible de comparer l'opinion de la population les jours ayant précédé l'affaire avec leur opinion les jours suivants, et nous avons constaté que, dans la population générale, ce type d'événement réduit la confiance en la police. Ce phénomène de décrue de la confiance est encore plus fort au sein des minorités, c'est-à-dire dans les groupes qui s'identifient avec la personne qui a été gravement blessée.

Selon le modèle flash point - ou modèle éclair - proposé par un collègue britannique, il convient de combiner différents événements pour comprendre le déclenchement des émeutes, en distinguant, d'un côté, les événements liés à la marginalisation socio-politique des individus ou des territoires et, d'un autre côté, des tactiques policières agressives, sous le gouvernement de Margaret Thatcher, dans les années quatre-vingt ou de Nicolas Sarkozy, plus récemment. Je le précise, le phénomène est double : ce n'est pas la même chose d'être blanc ou noir et d'habiter un quartier où il y a beaucoup de blancs ou de noirs ou de pauvres.

Je pense que ce modèle s'applique pour les émeutes de 2023, pour lesquelles nous ne disposons pas encore de toutes les données.

M. Fabien Jobard, politiste. - J'ai travaillé sur les questions policières de manière quantitative et qualitative, notamment en participant à des équipages de police dans des zones urbaines de la grande périphérie parisienne. J'ai aussi pris part à ce qu'on appelle des observations participantes du côté de jeunes de la grande banlieue parisienne qui se disaient victimes de brutalité et d'abus d'autorité de la part de la police. S'agissant de la temporalité des émeutes et des cycles émeutiers, j'insiste sur le fait que, en 2005, il y avait eu deux déclencheurs au cours d'un même cycle d'événements : la mort de deux mineurs dans un transformateur électrique et le lancer d'une grenade lacrymogène dans un lieu de prière à Clichy-sous-Bois. Ce deuxième événement avait constitué le flash point de la diffusion nationale des émeutes. En 2023, nous avons assisté à un déclenchement simultané d'événements violents dans un plus grand nombre de villes, qui ont eu lieu dans un plus grand nombre de régions, quelques heures seulement après la diffusion d'une vidéo.

Au chapitre de la comparaison entre les émeutes de 2005 et celles de 2023, un deuxième point mérite d'être rappelé. Sebastian Roché et moi-même sommes tous deux docteurs en sciences politiques ; en tant que tels, nous sommes attentifs à ce qui se joue sur la scène politique. En l'espèce, les réactions politiques, notamment gouvernementales, auxquelles on a assisté dans les heures qui ont suivi les événements ont été radicalement différentes en 2005 et en 2023. Nicolas Sarkozy et un certain nombre de ses conseillers n'ont pas du tout joué l'apaisement après la mort des deux enfants en 2005 : le politique n'a pas eu à coeur de tempérer, même si d'autres membres du Gouvernement, à l'époque, défendaient une autre ligne, à commencer par Azouz Begag, ministre délégué à la promotion de l'égalité des chances. En 2023, au contraire, l'unanimité s'est faite, au sein de la représentation parlementaire comme au Gouvernement, pour condamner le geste policier. Or cela n'a eu aucun effet sur les comportements observés. On mesure ainsi à quel point une certaine fraction de la jeunesse est particulièrement sensible aux actions des forces de l'ordre - police nationale, gendarmerie, police municipale - et ne l'est pas du tout à ce qui est dit par les représentants politiques. Ce phénomène signe la distance considérable qui sépare ces deux mondes.

J'en viens à un troisième point, relatif à la géographie européenne des émeutes. Sebastian Roché a évoqué les émeutes de dimension nationale, qui se diffusent dans plusieurs communes simultanément. Or les pays ouest-européens qui ont été touchés par des phénomènes émeutiers ces vingt dernières années ont été la France, le Royaume-Uni, la Belgique et les Pays-Bas, autrement dit des pays postcoloniaux, dont une partie de la population est issue des anciennes colonies. Une exception à cela : la Suède connaît des phénomènes émeutiers depuis une quinzaine d'années et n'a pas eu de territoires coloniaux. Cette dimension du problème contribue à la politisation et à la radicalité de l'expression politique des jeunes dont nous parlons dans ces pays.

En quatrième lieu, j'insisterai sur le fait que nous ne disposons que de très peu de recherches sur les émeutes de 2023. Lors d'une précédente table ronde, Antoine Jardin vous a apporté quelques éléments quantitatifs, mais ceux-ci sont encore fragiles. La variable à expliquer, l'émeute, n'est pas donnée : ce n'est pas une variable du même type que la température extérieure, par exemple, telle que la mesure Météo-France. Ce qui constitue une émeute quelque part ne l'est pas forcément ailleurs. Dans certaines communes de Seine-Saint-Denis, on peut très facilement dissimuler des feux de poubelle ou de véhicules. Dans une ville du Loiret, on le peut beaucoup plus difficilement, parce qu'il y a un intérêt à faire valoir qu'une ville est à l'écart des zones d'intervention des brigades territoriales de gendarmerie ou que le commissariat y manque d'effectifs. La presse régionale est de toute façon attentive à des phénomènes qui apparaissent dans ce genre d'endroits comme exceptionnels. En tout état de cause, la géographie des émeutes reste relativement incertaine, même si l'on sait qu'elles ont touché en priorité les villes de plus de 50 000 habitants, qui pour la plupart comprennent sur leur territoire des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), donc des quartiers pauvres, puisque le zonage QPV repose désormais sur des critères qui ont trait exclusivement au revenu.

J'en reviens à l'enjeu de l'identification des populations qui ont pris part aux émeutes. Qui sont les émeutiers ? Il s'agit généralement des populations jeunes, masculines et urbaines. Nous avons quelques sources d'information qui permettent d'affiner l'analyse. Le rapport réalisé conjointement par l'inspection générale de l'administration (IGA) et par l'inspection générale de la justice (IGJ) a néanmoins l'immense défaut de ne porter que sur les personnes qui ont été interpellées. Il existe un delta, une distorsion, entre la composition de la population interpellée et la composition de la population émeutière : on peut raisonnablement supposer que, dans les moyens qu'ils mettent en oeuvre, les participants les plus actifs aux émeutes anticipent le risque d'être interpellé, ce que fait beaucoup moins aisément le pillard opportuniste. J'ai toutefois retenu deux données majeures dans les dossiers dépouillés par l'IGJ : la part très importante de majeurs non diplômés, c'est-à-dire sortis du système scolaire sans diplôme - 30 %, un taux deux fois supérieur à celui que l'on observe en population générale -, et la proportion très importante également - 40 % - au sein de la population interpellée et diplômée, de titulaires de diplômes inférieurs au baccalauréat, certificat d'aptitude professionnelle (CAP), brevet d'études professionnelles (BEP), brevet des collèges. Il s'agit donc de populations qui sont, de ce point de vue, à la marge de notre société. Si l'on en croit les premières analyses exploratoires menées pour décrire le profil des émeutiers, celles que l'on doit notamment à Hugues Lagrange, il semble que les variables sociales, diplôme et catégorie de revenu, l'emportent sur les variables migratoires : la proportion d'immigrés sur un territoire ne semble pas corrélée avec la variable dichotomique relative à la survenue ou non d'une émeute sur le même territoire. Ces résultats sont fragiles et mériteraient d'être approfondis, mais il est clair qu'en l'espèce nous touchons à des questions qui ne peuvent être saisies que par la statistique.

Ces résultats m'amènent à la question des contrôles d'identité. Posons quelques repères temporels : la société française se saisit du problème de l'insécurité à la fin des années 1970, il y a donc plus de deux générations : le rapport Peyrefitte, Réponses à la violence, en 1977, précède la loi du 2 février 1981 renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, dite Sécurité et liberté, qui consacre les contrôles d'identité ; en 1983 a lieu la marche pour l'égalité, entreprise par les enfants de l'immigration. Nous avons donc en France une histoire longue d'au moins quarante-cinq ans de problèmes urbains liés aux rapports d'une certaine jeunesse avec la police. Or, au fil du temps, cette jeunesse, sans être repérable par la statistique officielle, commence à faire corps, à former un groupe social. J'ai moi-même mené une enquête sur les contrôles d'identité à Paris, en cinq lieux différents : j'avais fait suivre des policiers sans qu'ils s'en rendent compte pour collecter les variables qui caractérisent les personnes contrôlées. Nous nous étions rendu compte que, dans les lieux où les personnes blanches sont minoritaires, elles sont sous-contrôlées par rapport à leur part dans la population disponible. Dans les lieux où elles sont très majoritaires, elles sont également sous-contrôlées. Autrement dit, la probabilité d'être contrôlé ne dépend pas du tout de la composition de la population disponible : elle dépend de la couleur de peau des individus. La couleur de peau n'est cependant pas le seul critère associé au contrôle : il faut y ajouter l'âge, le sexe et l'accoutrement vestimentaire. Quand vous cumulez les quatre variables que sont « jeune », « homme », « non-blanc » et « habillé de manière typiquement jeune » - jogging, baskets, casquette ou capuche -, vous avez un risque d'être contrôlé qui est démesuré. Lorsque pendant quarante-cinq ans un acte de la puissance publique, en l'occurrence des forces de l'ordre, s'adresse systématiquement aux mêmes populations, et que de surcroît ces populations - par les émeutes, par le rap, par tout un ensemble de pratiques - décrivent ces phénomènes et ce qu'elles perçoivent comme une non-réponse à ces phénomènes, alors un sentiment d'appartenance finit par se créer : une population invisible dans la statistique publique va prendre une réalité substantielle. C'est cette population de jeunes urbains surexposés à la tension policière qui est au coeur des émeutes.

Je veux également appeler votre attention sur la réponse des pouvoirs publics dans les mois qui ont suivi l'émeute, qui m'apparaît tout à fait singulière. Lorsqu'il y a eu une grande vague d'émeutes urbaines aux États-Unis au milieu des années 1960, le président Lyndon Johnson a réuni une commission dite Kerner, du nom de son président, qui a conclu que les émeutes étaient dues, dans l'écrasante majorité des cas, à l'abus de force par les policiers, conclusion confirmée par la commission Katzenbach. Le président Lyndon Johnson a considéré que l'organisation policière était un problème. Des centaines de millions de dollars ont été consacrés aux universités et aux centres de recherche pour travailler à l'amélioration de la police, et des approches du type problem-solving policing et community policing, ce que l'on appelle chez nous des programmes de « police de proximité », ont prospéré. On a tenté de réformer la police ; quant à savoir si l'on a réussi ou échoué, c'est une autre question. En tout cas, les actions policières ont fait l'objet, à l'époque, d'une politique publique : elles ont été considérées comme un problème public.

A contrario, dans la réaction du gouvernement français telle qu'elle s'est exprimée à la fin du mois de septembre et au début du mois d'octobre 2023, la police n'est plus à l'agenda, pas même l'article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure, dont on pourrait estimer, sous réserve de ce qu'en diront les juges, qu'il a pu jouer un rôle déclencheur du tir policier. La politique de la ville, les structures parentales, l'école et l'autorité ont été mises à l'index ; mais la police quant à elle, a disparu de l'agenda. D'une certaine manière, c'est logique : puisque l'émeute a été la réponse majeure apportée à l'événement, la police a bien sûr été restaurée dans son rôle de rétablissement de l'ordre, ce qui a rendu d'autant plus difficile la critique de la police par le politique. Mais voilà qui renforce le sentiment, au sein de cette population particulière, que décidément les pouvoirs publics ne traitent pas la question qui la concerne et l'a conduite dans les rues lors de l'été 2023.

J'en viens à un dernier point, en commençant par rappeler que, contrairement à « destruction », à « dégradation », à « trafic de stupéfiants » ou à « atteinte à l'intégrité physique », « émeute » n'est pas une qualification pénale : sous ce terme, nous décrivons nombre de réalités différentes. Il est clair qu'ont coexisté deux modus operandi successifs : d'abord les affrontements contre l'autorité, dirigés contre les symboles de l'État, ensuite les pillages. Mais, à comparer les bâtiments publics respectivement pris pour cible en 2005 et en 2023, il apparaît, sous réserve d'une analyse plus fine, que les écoles et les bibliothèques ont été épargnées en 2023 : cette fois, les cibles se sont concentrées, de manière beaucoup plus violente et mieux équipée - des mortiers avaient été stockés en prévision du 14 juillet, phénomène bien connu en Alsace, mais aussi en Allemagne -, sur les bâtiments de police nationale, de gendarmerie et de police municipale.

C'est pourquoi je ne suis pas d'accord avec l'appréciation, que l'on trouve dans le rapport IGA-IGJ, selon laquelle la mort de Nahel Merzouk n'aurait qu'un poids modeste dans les motivations des émeutiers, conclusion tirée des procès-verbaux d'interrogatoire de police : les cibles des émeutiers nous renseignent suffisamment sur leurs motivations. Il faut bien admettre en effet que le rapport à la politique d'une fraction de la population française - urbaine, masculine, principalement issue des populations coloniales - est d'abord un rapport à la police et aux abus policiers. Cette question du rapport entre police et société est une des questions essentielles à traiter si l'on veut limiter la survenue de ce type d'événements à l'avenir.

M. Marwan Mohammed, sociologue. - En arrivant au Sénat, j'ai traversé la rue Monsieur-le-Prince, celle où fut assassiné Malik Oussekine. Après sa mort, de grandes manifestations, pour la plupart conventionnelles, avaient été organisées pour dénoncer les violences et les brutalités qui avaient abouti à ce décès. C'était dans les années 1980 ; nous sommes dans les années 2020, et nous nous demandons, dans le cadre de la présente mission d'information, ce qui a pu conduire au niveau d'intensité inédit observé à la fin du mois de juin. L'une des réponses est à trouver, précisément, dans le destin tragique de Malik Oussekine. Il y a deux points communs entre la mort de Malik Oussekine et celle de Nahel Merzouk : le profil racial - et non social : le premier était étudiant - de la victime ; le fait qu'elle a été tuée par un policier. J'ai moi aussi constaté que la réponse gouvernementale aux émeutes de juin, très rapide, n'avait mentionné d'aucune manière l'idée d'une éventuelle réforme de la police. Une simple réflexion sur les façons de faire qui sont les siennes dans notre pays n'a pas même été envisagée.

Je suis chargé de recherche au CNRS et au Centre Maurice Halbwachs. Je travaille essentiellement sur la rue et son fonctionnement, et plus particulièrement sur les sujets des bandes de jeunes, du trafic de stupéfiants, du grand banditisme. J'ai été amené à observer des personnes impliquées dans les émeutes de 2005, époque où je rédigeais ma thèse de doctorat. Je suis retourné sur le terrain après ce qui s'est passé en 2023, et j'ai interrogé deux types d'acteurs : tous les acteurs de l'éducation populaire, de l'intervention sociale, de la jeunesse, de la médiation et de la prévention spécialisée, c'est-à-dire tous les acteurs de terrain qui sont en proximité quotidienne avec la fraction de jeunes qui s'est engagée dans les émeutes de la fin juin ; mais également, à travers eux et via des contacts personnels, certains de ces jeunes, engagés dans un certain nombre de villes de l'Île-de-France uniquement. Cette construction de données et de connaissances est extrêmement précaire, mais ces réflexions provisoires se fondent sur une présence et sur une proximité de très long terme avec la fraction de la population dont nous parlons. De fait, la temporalité politique dans laquelle s'inscrit cette mission d'information n'est pas la temporalité scientifique, notamment dès lors que l'on s'engage dans une approche plus qualitative, voire ethnographique, pour accumuler des données. Mon propos portera surtout sur la question des émeutiers eux-mêmes et sur les rationalités qu'on leur prête dans le discours public. Il ne vous aura pas échappé que l'on plaque sur ceux que nous appelons « les émeutiers » une forme de rationalité, par inférence, en regardant les cibles, les dégradations, etc. Ce sont moins des « sujets parlés », c'est-à-dire des personnes auxquelles on va tendre le micro pour essayer de comprendre comment elles vivent ces émeutes. Il est intéressant d'observer que les rivalités qui peuvent exister entre bandes et entre quartiers sur certains territoires ont été mises entre parenthèses pendant les émeutes, avec des accords tacites entre jeunes de différents territoires pour arrêter momentanément de se faire la guerre et se concentrer sur l'affrontement avec les forces de l'ordre ou avec des représentants de l'État.

De mes recherches, mais également de la lecture d'un certain nombre de travaux, je tire le constat suivant : le fonctionnement des émeutes repose sur quatre types de rationalité, que l'on retrouve dans les motifs d'engagement. Les émeutes sont des phénomènes hybrides.

La première rationalité, qui semble absolument essentielle - celle dont parlent Sebastian Roché et Fabien Jobard -, est la dynamique de révolte. Ces phénomènes sont d'abord alimentés par une dynamique de révolte, de choc moral, d'indignation, qui repose sur un sentiment d'injustice. Je souscris aux propos de Sebastian Roché sur leurs motivations et leurs logiques de démarrage : le sentiment de révolte est la locomotive de ces émeutes. Nous n'avons jamais vu d'émeutes nationales débuter par autre chose, en tout cas pour ce qui est de ce public. Il n'est pas irrationnel - c'est au contraire tout à fait normal - que des jeunes issus des minorités ou de l'immigration se sentent le plus concernés par le contentieux politique, puisque ce sont eux qui ont le plus d'interactions avec la police : ils sont les plus exposés à des formes de contrôles d'identité répétés, de brutalité, de tutoiement, etc. Cependant, j'aimerais que l'on ne réduise pas ce sentiment d'injustice à la question des interactions avec la police. Quand on leur tend le micro, ces jeunes parlent des interactions avec la police, mais celles-ci ne sont en quelque sorte que le déclencheur d'un sentiment d'indignation, de gêne, d'injustice, qui se nourrit plus globalement du climat politique, des discours publics tenus à leur égard et à l'égard de leurs parents et, parfois, du traitement que certaines institutions réservent à leurs proches.

La deuxième logique de l'engagement dans ces mobilisations, qui n'est pas contradictoire avec la première, est une dimension ludique : la révolte, la colère, l'indignation n'empêchent pas de rendre l'exercice ludique et de l'alimenter par des formes d'excitation, de compétition honorifique, d'adrénaline, de recherche d'un sentiment d'exister. Cela est amplifié par ce que permettent les outils numériques aujourd'hui. Il est frappant que ces outils permettent de diffuser des agissements, de les rendre viraux et d'accéder à des formes de gratification importantes, tout en manifestant sa colère. J'ai été frappé par la multiplication, notamment sur les réseaux sociaux Snapchat ou TikTok, mais aussi sur d'autres vecteurs numériques, de fausses vidéos. Durant cette période, nombre de jeunes ont repris sur internet des vidéos spectaculaires, montrant des tireurs d'élite, des bazookas, des armes de guerre lourdes, et y ont accolé le nom de leur quartier ou de leur ville. Une vérification permettait de se rendre compte que ces vidéos avaient été tournées pendant la guerre civile en Syrie ou encore en Amérique latine. Cette démarche montre bien à quel point la compétition honorifique s'est greffée aux événements.

La troisième rationalité est économique, les événements ayant ouvert des possibilités de consommation. Outre les biens de consommation les plus recherchés, valorisables immédiatement, comme les téléphones, les parfums ou les vêtements, les pillages ont également concerné le lait, les couches, les pâtes ou le riz, ce qui dit quelque chose du niveau de vie de leurs auteurs. La question sociale est indissociable de ces événements. Comment interpréter le fait que certaines personnes aient profité du pillage du Lidl du coin pour récupérer des biens de consommation courants ? La rationalité économique a également pu pousser des personnes, pour d'autres raisons, à scier des caméras de vidéosurveillance. Je rappelle, par ailleurs, que, en 2005, la police judiciaire ou la direction départementale de la sécurité publique de Lille avait estimé que les arnaques aux assurances concernaient à peu près un tiers des véhicules brûlés. On associe des véhicules brûlés aux manifestations de colère, alors que certaines personnes profitent de l'émeute pour chercher à récupérer une prime...

Enfin, la quatrième rationalité de ces événements est le règlement de contentieux. Il me semble qu'il n'y a jamais eu autant d'élus, de maires, de représentants du pouvoir économique local, y compris des figures du travail social, qui ont été attaqués localement qu'à la fin juin - il faudra le vérifier. Il y a une rationalité dans les institutions qui ont été visées et celles qui ne l'ont pas été, dans les commerces qui ont été brûlés et ceux qui ont été préservés. Elle n'est pas permanente, mais il s'agit d'un point important, quand on adopte une approche ethnographique, pour comprendre les mécanismes observables.

La mise en avant de ces quatre rationalités et du caractère très hybride des engagements ne doit pas occulter le fait que la dynamique de révolte en demeure bien la locomotive. Si les opportunités qui s'ouvrent dès lors qu'une émeute se nationalise et perdure pendant plusieurs jours peuvent conduire à des comportements opportunistes, elles ne sont pas les motivations principales des révoltes.

Pour conclure, je reviendrai sur la question que j'ai soulevée en introduction. L'intensité que l'on a observée fin juin renvoie, selon moi, à une forme de surenchère. Cette intensité est en soi un message politique. J'ai comparé les données publiées par le ministère de l'intérieur en 2005 et en 2023. Il y a eu dix fois plus de bâtiments publics endommagés en 2023 qu'en 2005. Il y a eu davantage de véhicules incendiés. Il y a eu quatre fois plus de policiers et de gendarmes mobilisés. Il y a eu quatre fois plus de policiers et de gendarmes blessés. Nous n'avons pas fini d'étudier cette intensité, ce niveau de violence, cette détermination dans la confrontation et toutes les innovations tactiques que nous avons pu observer sur le terrain. Dans certaines villes, les personnes qui ont participé aux évènements étaient très bien organisées, et parfois encadrées. Je sais qu'un revendeur de contrebande de mortiers d'artifice a offert son stock à des jeunes d'une autre ville, parce qu'il partageait leur colère. Il nous faudra du temps pour creuser davantage ces questions. Quoi qu'il en soit, il me semble absolument essentiel que la question des manières de faire et des pratiques policières soit remise au coeur de l'agenda politique.

M. Jérôme Durain. - Je préside, en ce moment, une commission d'enquête sénatoriale sur le narcotrafic. Au sujet des émeutes, la question du narcotrafic a été invoquée dans tous les sens, et parfois de manière contradictoire : tantôt les trafiquants auraient poussé aux émeutes, tantôt ils les auraient arrêtées... Disposez-vous d'éléments d'analyse sur ce sujet ?

Mme Corinne Narassiguin. - Nous avons entendu, lors d'autres auditions, que les personnes interpellées mentionnaient très peu la mort de Nahel, sauf peut-être en Île-de-France, ce qui laisse à penser qu'il n'y a pas nécessairement de revendication politique très construite. Cependant, vous évoquez une colère et un sentiment d'injustice nourris depuis longtemps, même s'ils ne sont pas verbalisés, donc une motivation politique assez forte.

Les éléments déclencheurs des émeutes à la suite de la mort de Nahel présentent une particularité : l'existence d'une vidéo, qui a pu amplifier ce sentiment d'une institution policière prête à couvrir un abus de pouvoir. Pensez-vous que cet élément puisse expliquer les événements, quand les décès d'autres jeunes - y compris issus de minorités - tués à la suite de refus d'obtempérer n'ont pas été suivis d'incidents d'une telle ampleur ?

Messieurs Roché et Jobard, vous avez aussi travaillé sur la question du rapport à la police et des méthodes délibérées des forces de maintien de l'ordre, qui privilégient aujourd'hui la confrontation avec les manifestants. Si la population désocialisée des jeunes des quartiers s'est construite dans un rapport de confrontation avec la police, on nous a dit, au cours d'autres auditions, que la carte des émeutes, en particulier en dehors de l'Île-de-France, recoupait assez nettement la carte des manifestations des « gilets jaunes ». De fait, on a vu aussi, chez une partie de ces derniers, un rapport extrêmement confrontationnel et violent avec la police, certains s'étant rendus à Paris avec des armes et une volonté de s'opposer à la police. Au-delà des discriminations spécifiques et des inégalités persistantes dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, ne faut-il pas, plus généralement, interroger la politique de maintien de l'ordre, qui incite à un rapport de confrontation avec la police plutôt qu'à un rapport de désescalade ?

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Si l'on part du principe que les violences policières sont systématiques dans notre pays et que celles-ci sont la seule explication aux événements que nous avons vécus, nous risquons de ne pas avancer. Des violences, il y en a partout ! Aujourd'hui, des élus sont attaqués, des enseignants sont menacés et toute forme d'autorité dans notre pays est contestée. Pour avoir vécu, en tant qu'élue, les émeutes de 2005 et celles de 2023, je peux dire que les causes, les événements et les conséquences ne sont pas les mêmes. Les mortiers ont commencé à être utilisés dans notre pays il y a quelques années. C'est un outil d'une violence effrayante, que l'on ne connaissait pas jusque-là. La police est menacée de mort !

Je veux évoquer certains sujets qu'aucun d'entre vous n'a encore abordés.

Il s'agit, d'abord, de l'âge des émeutiers, qui soulève la question du rôle et de la place des parents. Des enfants ont cassé, volé, pillé dans leur propre cité, mais pas ailleurs. Ils ont brûlé les écoles, les bibliothèques, de leur quartier. Quand ils les ont vus agir ainsi, leurs parents auraient peut-être dû jouer un rôle plus important.

Il s'agit, ensuite, d'un fait nouveau au sein de notre population, que nous sommes un certain nombre d'élus à avoir relevé : les habitants des quartiers qui ont subi les violences et les émeutes ne supportent plus cette situation, et ils le disent.

Ces deux phénomènes doivent être analysés par les sociologues. Les habitants qui se sont terrés chez eux en espérant que leur voiture ne soit pas brûlée en ont assez parce que les émeutes donnent une image très négative de leur quartier, dans lequel certains d'entre eux vivent calmement. Une autre catégorie de la population dit - et c'est la première fois que je l'entends - qu'elle ne supporte plus de payer pour ceux qui cassent. Notre pays risque d'être encore davantage clivé. Les Français qui, jusqu'à présent, payaient par solidarité avec ceux qui ont moins ne veulent aujourd'hui plus donner.

Mme Audrey Linkenheld. -Corinne Narassiguin a évoqué la question que je souhaitais poser sur la superposition de la cartographie des « gilets jaunes » avec celle des émeutes de juin, et sur le profil - il me semble que c'est le terme que vous avez utilisé - de ces jeunes qui sont trop souvent contrôlés par la police. Pendant ces évènements, j'étais première adjointe à la mairie de Lille et, à ce titre, je me suis rendue sur le terrain les soirs des 27, 28 et 29 juin pour comprendre ce qui se passait dans cette ville de 230 000 habitants, dont six quartiers sur dix sont des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Il n'est pas nouveau d'entendre certains de leurs habitants dire qu'ils n'ont pas envie qu'on touche à leurs équipements, à leurs écoles : nous l'avions déjà entendu en 2005. En ce qui concerne Lille, la différence entre 2005 et 2023, c'est que la rénovation urbaine est passée par là : du point de vue urbain et en termes de bâti, ces quartiers vivent mieux.

Pendant les émeutes, j'ai vu différents types de personnes : il n'y avait pas que des jeunes, certaines avaient des revendications et d'autres non. Un certain nombre d'entre elles ont été arrêtées : elles ne venaient pas toutes des quartiers dans lesquels ont brûlé une école et une mairie de quartier récemment rénovées ainsi qu'un hôtel de police municipale qui venait d'ouvrir.

J'aborde les choses avec beaucoup d'humilité et de modestie. Après avoir eu des échanges sur le sujet, après avoir suivi un certain nombre d'auditions, je n'ai pas encore d'enseignement particulier à en tirer. Je tenais à le dire, car le sujet est suffisamment grave et sensible pour que nous n'en tirions pas des conclusions parfois un peu hâtives.

M. François-Noël Buffet, président. - D'où l'intérêt de notre mission !

M. Éric Kerrouche. - Je ne crois pas qu'essayer d'apporter des explications sociologiques revienne forcément à trouver des excuses : il s'agit de mettre en exergue ce qui explique les difficultés de notre pays, qui sont notamment reflétées par ces émeutes.

Vous avez fait le parallèle avec Malik Oussekine : à quarante ans d'écart, on se rend compte que notre pays a toujours un problème avec sa diversité, pour le dire de manière relativement pudique - cela s'est traduit en filigrane dans le texte sur l'immigration qui vient d'être voté.

Je souhaite vous interroger sur la corrélation entre des situations socio-économiques difficiles et les émeutes, au-delà de l'origine sociale ou ethnique des personnes concernées.

Afin d'identifier ce qui peut être amélioré dans notre police, pourriez-vous nous faire part d'expériences menées à l'étranger qui ont été concluantes ? Chercher des pistes d'amélioration ne revient pas à dire que la police est fondamentalement mauvaise. La question est celle de l'orientation donnée à l'utilisation de la force publique : est-elle meilleure ailleurs ?

Dernière question, qui relève d'une curiosité sociologique : pourriez-vous nous faire part de la trajectoire de ceux qui ont été concernés par les émeutes de 2005 ? Se sont-ils intégrés, sont-ils redevenus des citoyens français comme les autres ? Était-ce un moment ou une carrière ?

M. Guy Benarroche. - En premier lieu, pour les personnes concernées, le rapport avec la politique, c'est d'abord le rapport avec la police. Comme nous l'avons vu lors de la discussion de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) en 2023, se pose le problème du contrôle au faciès. Il est facile de dire que cela existe depuis longtemps et que ce n'est pas si grave ; en réalité, cette question revient en permanence. Je suis sénateur des Bouches-du-Rhône : le contrôle au faciès dans les rues de Marseille, y compris pendant la période du port obligatoire du masque, a été particulièrement ressenti et pratiqué. Il ne faut donc pas évacuer ce problème qui est encore bien présent. Comme l'a dit Éric Kerrouche, des solutions doivent être trouvées, car il faut modifier la relation qu'ont ces personnes avec la police, relation à l'aune de laquelle ils jugent la politique de notre société.

En second lieu, j'aborderai le lien avec la colonisation des personnes qui se trouvent au centre des émeutes. Celles-ci sont les enfants ou les petits-enfants de gens issus de territoires qui étaient des colonies françaises. Des études ont-elles établi un lien entre les générations qui ont suivi la décolonisation et les phénomènes de délinquance, en particulier les émeutes qui se produisent depuis quelques années ?

M. François-Noël Buffet, président. - Si la mort de Nahel Merzouk a déclenché le processus, le rapport de l'inspection générale de la justice et de l'inspection générale de l'administration, qui porte sur les personnes interpellées, montre que les événements qui ont suivi n'avaient plus de lien avec cette cause originelle. Avez-vous pu appréhender cela ?

M. Sebastian Roché. - En 2005 comme en 2023, les territoires qui se sont enflammés correspondent aux quartiers les plus défavorisés, et l'étincelle a été un homicide policier. On retrouve ces deux éléments structurels dans la plupart des pays concernés par les émeutes « techniques » - différentes des émeutes politiques, comme en Grèce en 2008, qui peuvent avoir d'autres motivations, ou des émeutes de la faim comme en Argentine. Les territoires concernés sont pauvres et exposés à des pratiques policières agressives, que certains pays ont renoncé à mettre en oeuvre, comme l'Allemagne, qui a une tout autre approche des quartiers défavorisés.

On constate une succession de phénomènes : un incident provoque un rassemblement qui entraîne des confrontations, lesquelles produisent une sorte de soulèvement auquel différents groupes, dont certains sont opportunistes, se mêlent. L'histoire de la sociologie des émeutes depuis les années 1960 a montré l'hétérogénéité fondamentale des foules concernées, tant dans les modes de participation - certains jettent des cocktails incendiaires sur la police, d'autres pillent, etc. - que dans leur composition. Pour autant, des formes de lien existent, comme on le constate au travers des caractéristiques structurales des zones particulièrement touchées.

J'en viens à la question, à laquelle je n'ai pas de réponse, sur la correspondance entre la géographie des « gilets jaunes » et celle des émeutes. Si l'on parle de géographie départementale, les émeutes de 2023 n'ont pas touché les départements de la diagonale du vide. Il existe peut-être des points de ressemblance, mais je ne suis pas persuadé que ce soit vraiment le cas. Si l'on faisait une géographie communale, et même infra-communale, des émeutes, on obtiendrait un résultat complètement différent : les segments de ville qui se sont mobilisés ne sont plus les mêmes.

M. Fabien Jobard. - J'ai identifié quatre éléments déclencheurs des émeutes : le tir, la vidéo du tir, l'interprétation du son de cette vidéo - avec l'idée qui se répand selon laquelle le policier aurait proféré des menaces avant de tirer et le tir n'aurait donc été ni nécessaire ni conforme au droit - et la communication policière qui a suivi. Sur ce dernier point, l'institution policière me semble être défaillante : c'est un syndicat de police - Unité SGP Police-Force ouvrière - qui a communiqué en premier sur le tir, indiquant qu'un jeune avait tenté de rouler sur un policier et avait été tué, et non le procureur, le directeur départemental de la sécurité publique des Hauts-de-Seine ou le commissaire de Nanterre. La personne qui a diffusé la vidéo a expliqué l'avoir fait en réaction à ce qu'elle a perçu comme une fausse information. Pourquoi, en zone gendarmerie, quand il se produit un drame de ce type, les gendarmes eux-mêmes communiquent-ils en premier, directement, alors qu'en zone police, ce sont les syndicats qui le font ? Cela avait déjà été le cas en août 2021, lors de la mort de Souheil après un tir de la police. Une communication des pouvoirs publics serait pourtant moins affirmative, elle appellerait à la patience. Monsieur Kerrouche, vous nous interrogiez sur les meilleures manières de faire : en voilà une.

Madame Eustache-Brinio, vous indiquez que les populations ne veulent pas payer et qu'elles n'en peuvent plus, c'est vrai, mais c'était pareil en 2005. L'angoisse de voir son véhicule brûler alors qu'on en dépend pour aller travailler était déjà présente alors. Pour autant, un sentiment n'en évacue pas un autre : certains de ceux qui affirment aujourd'hui leur exaspération étaient peut-être eux-mêmes émeutiers vingt ans auparavant. Ils sont exaspérés, parce qu'ils constatent que la même mécanique qu'en 2005 est à l'oeuvre : une action policière, ce qu'ils identifient - à tort cette fois-ci - comme une mauvaise réponse des pouvoirs publics, auxquels s'ajoutent un sentiment d'abandon, d'injustice et une révolte des jeunes. « Je n'en peux plus » n'est pas un sentiment exclusif d'autres prises de position.

Les enquêtes de victimation dans les territoires où se recrutent les populations émeutières montrent que les habitants les plus pauvres du Val-de-Marne et de Seine-Saint-Denis se distinguent par trois caractères : le niveau d'atteinte et de délinquance le plus élevé, une très forte demande de police, mais également une très forte insatisfaction vis-à-vis de la police. Il ne s'agit donc pas d'une sécession envers l'autorité, il y a bien une demande d'État, mais une demande d'une meilleure police, d'un autre service public de sécurité. La demande de police la plus élevée en Île-de-France provient des territoires qui ont été touchés par les émeutes en premier. Il n'est pas trop tard pour ajuster l'offre à la demande ; il est trop tard quand il n'y a plus de demande, comme c'était le cas dans certaines villes des États-Unis au milieu du XIXe siècle. Alors, en effet, il s'agissait bien de sécession.

S'agissant du rôle de la colonisation et de la situation postcoloniale, tout cela fait référence à des éléments anciens qui ne font pas sens pour les policiers en exercice actuellement en Île-de-France. Madame la sénatrice Eutache-Brinio, vous avez raison, les violences ne sont pas seulement le fait de la police, mais la France présente une singularité, avec le Royaume-Uni : la décolonisation, à l'issue d'une guerre longue et violente qui s'est aussi déroulée sur notre sol, a été suivie du rapatriement de populations très diverses en provenance des pays concernés, dont on a confié la gestion aux forces de l'ordre qui avaient exercé en Afrique du Nord. De ce point de vue, la carrière de Maurice Papon est éclairante : chef de la police dans le Constantinois, il est ensuite devenu préfet de police de Paris. Il y a là une continuité postcoloniale qui ne cesse pas en 1962.

La France a, par ailleurs, choisi un modèle de développement fondé sur le tertiaire et a connu une désindustrialisation massive depuis les années 1970. Lorsque je faisais un stage ouvrier à Aulnay-sous-Bois en 1990, la ville accueillait encore 3 500 ouvriers, il n'y en a plus un seul aujourd'hui. Or les populations affectées par ce phénomène sont les populations masculines sorties du système scolaire sans qualification. La dynamique mise en place se résume donc comme suit : la police gère des populations nord-africaines dans un contexte de guerre coloniale jusqu'en 1962, puis l'installation de commissariats dans des zones gendarmerie en train de s'urbaniser. Ces commissariats sont confiés à des commissaires formés à la préfecture de police ou en Afrique du Nord, qui se retrouvent à gérer des populations oisives sans qualification. Pour l'institution policière comme pour le reste de la société, il y a là une forme de continuité depuis les années 1960, qui relève d'une trajectoire politique et économique. De ce point de vue, les violences policières ne sont en effet qu'une métonymie de l'histoire de ces quartiers.

M. Marwan Mohammed. - Je voudrais revenir sur le trafic de drogue et ses cadres locaux. Pour fonctionner correctement, ce système a besoin d'ordre, car il s'agit de garantir la sécurité de la clientèle. Or les émeutes ne permettent pas cela. Ces acteurs déclenchent ponctuellement des coups de pression pour affirmer un pouvoir, mais cela se produit en dehors du cadre des émeutes. D'un autre côté, ce secteur a beaucoup à perdre en termes de statut et de légitimité locale en s'opposant à une dynamique de colère collective ou d'émeutes. Il me semble, de ce point de vue, que l'on amplifie de manière fantasmée le pouvoir des trafiquants. En outre, certains d'entre eux comprennent et partagent les motifs de la colère. Il peut arriver qu'ils négocient éventuellement la sécurité d'un point de deal, mais guère plus.

Sur la notion d'autorité, il me semble que les rapports entre ces populations et la police indiquent au contraire que la parole de l'État est prise au sérieux, et qu'elle n'est pas rejetée comme elle le serait dans un discours anarchiste. L'autorité policière en tant que telle n'est pas remise en question, ce qui l'est, et massivement, ce sont ses pratiques. Il en va de même s'agissant des enseignants et des autres agents de l'État. La grande majorité des parents des classes populaires respectent les enseignants, sont attachés à leurs écoles et poussent leurs enfants à réussir. Il faut cesser de construire l'image d'une population qui serait hostile à l'école, ce n'est pas conforme à la réalité. En revanche, pour une partie des jeunes, l'école a été un lieu de souffrance. À ce titre, des formes de déviance scolaire, de transgression, d'opposition à l'institution se font jour, qui sont liées au rapport à l'institution d'une petite fraction des adolescents, mais absolument pas de leurs parents de manière générale.

En outre, nous nous demandions précédemment ce qui faisait que les émeutes cessaient après avoir atteint un pic dans les premiers jours. Certes, la lassitude joue un rôle. Pour autant, il faut relever également que des acteurs se mobilisent : des parents, qui gardent leurs enfants à la maison ou organisent des patrouilles jusque tard le soir, mais aussi des travailleurs sociaux, des éducateurs, des animateurs. J'en ai interrogés beaucoup : ils ont attendu quelques jours pour laisser s'exprimer cette colère, car ils la partageaient, même s'ils condamnent les dégradations. Comme parents, ils la font remonter au maire, qui est leur interlocuteur principal, mais qui n'a pas de pouvoirs sur la police nationale. Les travailleurs sociaux aussi l'on relayée auprès du préfet, des élus, parfois des ministres de passage. Des associations, des collectifs de victimes, des organisations de défense des droits humains, des institutions publiques ont fait de même. Que font les gouvernements successifs de cette parole ? La même histoire se reproduit toujours, avec les mêmes effets et les mêmes conséquences. En 2005, nous avons tous les trois écrit sur les émeutes, nous n'écrivons rien de très différent aujourd'hui.

Enfin, vous affirmez que les jeunes « brûlent leur quartier », mais ce n'est pas toujours le cas : on constate beaucoup de mobilité, sur laquelle repose le déploiement de ces violences. Celles-ci sont le fait de jeunes locaux, mais aussi de jeunes provenant d'autres territoires, notamment en Île-de-France. Les données sur le profil des émeutiers déférés, que l'on tire du rapport de l'IGA et de l'IGJ, concernent surtout les amateurs qui se sont fait attraper sur le fait. Les personnes les plus organisées sont identifiées beaucoup plus tard et se font arrêter petit à petit. Ainsi, l'étude de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) démontre que la grande majorité des mineurs déférés entre fin juin et début juillet n'ont pas d'antécédents judiciaires ni d'expérience en la matière. Il s'agit d'un public qui a participé pour de nombreuses raisons, mais qui n'a pas d'expérience de ces mobilisations.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La séance est close à 17 h 50.

Mercredi 17 janvier 2024

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -

La réunion est ouverte à 10 heures.

Proposition de nomination de Mme Marie-Laure Denis par le Président de la République aux fonctions de présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés - Communication

M. François-Noël Buffet, président. - En application de l'article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique et de la loi du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, nous allons procéder ce matin à l'audition de Marie-Laure Denis, que le Président de la République envisage de renouveler aux fonctions de présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil).

Afin d'évaluer cette candidature, il me revient, préalablement à l'audition, de vous rendre compte de l'action de Marie-Laure Denis au cours du mandat qu'elle vient d'achever.

Pour la Cnil, les cinq dernières années ont été profondément marquées par l'entrée en vigueur du règlement général sur la protection des données (RGPD). Sans surprise, celle-ci a constitué le premier défi auquel a été confrontée Marie-Laure Denis et a orienté ses débuts de présidente, en inscrivant les missions répressives de la commission dans ses axes prioritaires de travail.

La Cnil a été créée pour protéger les données informatiques personnelles des citoyens transmises à l'État. Avec l'avènement du RGPD, qui harmonise la protection de tous les usages des données personnelles dans l'Union européenne et renforce la responsabilisation des entreprises, sa mission première a été considérablement élargie, ses pouvoirs de sanction renforcés et de nouveaux droits consacrés. Ce changement de paradigme en matière de protection des données a engendré, entre 2017 et 2019, une augmentation de plus de 60 % du nombre de plaintes reçues par la Cnil et a conduit au triplement des mises en demeure sur les années ayant suivi.

Pour faire face à l'augmentation considérable de ses activités de contrôle et de sanction, les procédures répressives ont été adaptées. Le législateur a simplifié, en 2022, la procédure de sanction pour les infractions les moins graves et étendu les prérogatives du président de la Cnil pour rappeler aux obligations légales.

Dans la continuité des présidences précédentes, la Cnil a consolidé sa position d'institution de défense des libertés fondamentales, son ADN orientant naturellement ses missions vers le contrôle et la sanction des manquements au cadre réglementaire.

J'observerais, toutefois, que face à la prééminence du volet répressif, Marie-Laure Denis a su, dans un second temps, renouveler les méthodes de travail de la Cnil, afin de mieux prendre en compte les exigences d'accompagnement des différents organismes dans la protection des données.

Dès 2021, la Cnil a eu recours à une approche par la concertation pour l'élaboration de règles sur le consentement aux cookies, en échangeant pendant plusieurs mois avec les acteurs du secteur avant d'adopter des mesures de droit souple visant à leur mise en conformité. Cette initiative louable lui a permis de procéder à une régulation qui prend en compte les réalités opérationnelles, économiques et techniques d'un secteur - une méthode que la présidente a reproduite pour la mise en conformité des applications mobiles.

La Cnil entend ainsi intégrer les dimensions économiques dans ses actions et accompagner davantage les entreprises à fort potentiel de développement économique et numérique.

C'est pourquoi elle s'attache à ce que les entreprises intègrent dès leur conception les principes de protection des données personnelles ; elle adopte ainsi une approche plus proactive, pour assurer une régulation protectrice au plus près des usages.

C'est là un des buts des « bacs à sable » lancés dans les secteurs de la santé et de l'éducation, qui ont permis, au cours de trois éditions, d'accompagner une quinzaine de projets innovants, et ce dès leur conception. Cela marque une évolution certaine au regard des propos tenus en 2019 par Marie-Laure Denis, lors de son audition devant notre commission, qui expliquait alors que « la Cnil est davantage chargée de l'encadrement des technologies que des technologies elles-mêmes ».

Je tiens également à souligner les efforts déployés par la Cnil pour informer les citoyens de leurs droits. Riche en ressources pédagogiques, son site internet reçoit aujourd'hui plus de 11 millions de visites par an, contre 5 millions en 2017. La Cnil diversifie également ses supports. Vous avez peut-être entendu, comme 16 millions d'auditeurs, ses spots radio sur les réseaux sociaux et les objets connectés. Dans la lignée de la présidence précédente, elle s'est particulièrement impliquée auprès des plus jeunes, qui font depuis 2022 l'objet de campagnes de sensibilisation par tranche d'âge. Avec le ministère de l'éducation nationale, des actions ponctuelles sont menées, par exemple, pour former les élèves à l'usage du numérique.

Se lançant dans une mission plus novatrice encore, Marie-Laure Denis a souhaité étendre le périmètre d'action de l'institution, en investissant le champ de l'intelligence artificielle.

La Cnil s'est ainsi dotée d'un service de l'intelligence artificielle, qui a publié des fiches pratiques détaillant, par exemple, les modalités de constitution des bases de données pour l'apprentissage des systèmes d'intelligence artificielle. S'employant à développer une expertise sur le sujet, la Cnil paraît toutefois encore manquer de moyens et de recul pour exercer une véritable mission de contrôle sur ces nouvelles technologies.

Au-delà de sa mission de gendarme des données personnelles, nous n'avons pas manqué de constater que la Cnil s'est imposée comme un interlocuteur privilégié du Parlement pour les travaux législatifs ou de contrôle. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 92 auditions parlementaires et 427 avis rendus sur des projets de texte entre 2019 et 2022.

La gestion de la crise sanitaire, en particulier, a mis la Cnil au centre de l'évaluation des dispositifs numériques déployés. Dans ce contexte, la Commission a été auditionnée à 12 reprises par le Parlement et a rendu 31 avis.

Sa collaboration avec le Sénat s'est matérialisée par l'intégration des avis de la Cnil dans l'élaboration de lois sensibles. L'examen de la loi du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés en est un exemple parmi d'autres. La commission des lois, consciente des enjeux de protection des libertés publiques, a sollicité l'avis de la Cnil, recourant ainsi une toute première fois à la faculté de saisir l'autorité de textes liés à la protection ou au traitement des données personnelles.

La Cnil a présenté une approche équilibrée, appelant à la conciliation entre l'efficacité de l'action de la police et la sauvegarde des libertés publiques. Notre commission des lois a, à la lumière de ces constats, intégré des dispositifs encadrant l'utilisation des drones et la diffusion d'images des forces de l'ordre pour assurer leur conformité aux principes de protection des données personnelles et de la vie privée.

Il est toutefois important de souligner que, bien que la Cnil enrichisse incontestablement le débat parlementaire, notre législation en la matière ne saurait dépendre exclusivement de ses avis. Les divergences que nous pouvons avoir, en particulier concernant la reconnaissance biométrique dans l'espace public, mettent en lumière l'interprétation parfois restrictive que la Commission peut adopter sur les principes fondamentaux de la protection des données. Il est bon, à ce sujet, de rappeler les paroles de son ancien président, Jacques Fauvet, en 1988, affirmant que le législateur a conçu l'action de la Cnil de sorte de ne pas entraver le développement des technologies de l'information, mais de les rendre plus crédibles et plus efficaces, en veillant à ce qu'elles soient au service de chaque citoyen. Notre approche en la matière n'a pas changé !

Au regard de ce bilan, il me semble que nous pouvons accueillir favorablement la proposition du président de la République de reconduire Marie-Laure Denis dans ses fonctions à la tête de la Cnil. Mme Denis a incontestablement contribué à adapter l'autorité qu'elle a dirigée aux défis de notre temps. Il reste des étapes à franchir : l'entrée en application du paquet législatif européen relatif aux services numériques n'est pas un moindre défi à relever !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je ne me prononcerai évidemment pas sur cette proposition - il est d'usage de ne le faire que par un vote secret -, mais je tiens à saluer l'implication de nos collègues Sylvie Robert et Loïc Hervé auprès de la Cnil. Nous avons là, me semble-t-il, deux représentants de très grande qualité.

Audition de Mme Marie-Laure Denis, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions de présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés

M. François-Noël Buffet, président. - Nous accueillons  Marie-Laure Denis, proposée par le Président de la République pour être reconduite dans ses fonctions de présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil).

Conformément à l'article 13 de la Constitution, je vous rappelle que le Président de la République ne pourrait pas procéder à la nomination de Marie-Laure Denis si les votes négatifs au sein de notre commission et de la commission des lois de l'Assemblée nationale représentaient au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions.

Le vote aura lieu à la suite de notre audition, qui est publique et ouverte au public. Nous procéderons immédiatement après au dépouillement en même temps que nos collègues députés. Les délégations de vote ne sont pas autorisées, conformément à l'article 1er de l'ordonnance du 7 novembre 1958.

Madame la présidente, j'ai présenté aux membres de la commission, avant de vous recevoir, des éléments sur votre action à la tête de la Cnil durant ces cinq dernières années.

Votre premier mandat a pris place à un moment charnière pour la Cnil, qui a dû répondre aux défis posés par l'entrée en vigueur en 2018 du règlement général sur la protection des données (RGPD). La Cnil doit désormais faire face à l'entrée en application progressive du paquet législatif européen relatif aux services numériques (Data Governance Act, Data Act, Digital Markets Act, Digital Services Act) et trouver sa place dans ce nouvel écosystème, tandis que le recours croissant aux technologies de l'intelligence artificielle (IA) dans la vie quotidienne vient questionner les schémas d'analyse de l'utilisation des données. L'enjeu est extrêmement important.

Vous pourrez nous préciser brièvement, dans un propos liminaire, la manière dont vous appréhendez ces différents défis et le bilan que vous tirez de votre premier mandat.

Avant de vous passer la parole, je souhaite d'ores et déjà vous poser quelques questions sur l'activité et le fonctionnement de la Cnil. La première portera sur les perspectives générales d'évolution de ses missions.

Tout comme les autres autorités européennes de protection des données, la Cnil exerce quatre missions fondamentales : informer, accompagner la mise en conformité des organismes, contribuer à l'innovation, et enfin, contrôler et sanctionner. Cependant, les priorités peuvent varier d'une autorité à l'autre. Comment envisagez-vous l'équilibre entre ces différentes missions au cours des cinq prochaines années et quels seront les objectifs prioritaires de la Cnil pendant cette période ?

Je souhaite, dans un deuxième temps, m'attarder sur les enjeux de coordination. Les sujets traités par la Cnil se diversifient à l'aune du développement des nouvelles technologies et des régulations européennes. Ses missions s'élargissent et interagissent avec celles d'autres autorités.

À l'échelle nationale, la création d'un service dédié à l'intelligence artificielle au sein de la Cnil, bien que pertinente, pourrait dépasser son périmètre initial en touchant à des enjeux industriels. Il en va de même de sa nouvelle mission d'analyse économique de la donnée. Comment envisagez-vous la coordination avec les autres autorités pour traiter ces sujets complexes ?

À l'échelle européenne, la procédure du guichet unique du RGPD désigne très souvent comme autorité compétente l'autorité de protection des données de l'Irlande, pays qui accueille la vaste majorité des grandes plateformes numériques. Quel regard portez-vous sur ce mécanisme de guichet unique ? Comment analysez-vous la coordination avec l'autorité irlandaise ? Les décisions du Comité européen de la protection des données (CEPD) sont-elles de nature à faire évoluer sa jurisprudence ?

À cet égard, votre prédécesseur, Isabelle Falque-Pierrotin, a considérablement renforcé l'influence de la Cnil à l'échelle européenne en présidant le G29 - devenu depuis le Comité européen de la protection des données. Par quels moyens pensez-vous pouvoir consolider cette influence française et quelle est l'implication actuelle de la Cnil dans les travaux de coordination européenne ?

J'aborderai, en dernier lieu, les questions tenant à la gestion interne de l'institution. Avec un collège composé de 18 commissaires - je salue, notamment, nos collègues Loïc Hervé et Sylvie Robert -, la Cnil se distingue par sa taille par rapport à d'autres autorités administratives indépendantes, qui comptent souvent moins de dix membres. Comment assurez-vous l'efficacité de la prise de décision au sein d'un collège aussi important ? Est-il nécessaire d'engager des réformes dans l'organisation et le fonctionnement de la Cnil ?

Dans un contexte d'élargissement continu de ses missions, les moyens actuels de la Cnil vous semblent-ils adéquats ? Comment la Cnil a-t-elle l'intention d'assurer l'attractivité de ses postes, surtout techniques, face à la concurrence féroce du secteur privé ?

Toujours sur la question de l'adéquation des moyens de l'institution, nos préoccupations portent sur le délai moyen de traitement des saisines par la Cnil, atteignant sept mois en 2022. Quelles stratégies prévoyez-vous de mettre en place pour réduire ce délai et fluidifier le traitement des plaintes ?

Je conclus en évoquant les appels des associations de protection des droits fondamentaux à une plus grande transparence dans les prises de décision de la Commission. C'est une question de principe, mais que pensez-vous de ces demandes ? Comment la Cnil pourrait-elle améliorer sa communication tout en préservant son rôle de régulateur, qui se doit de tenir compte des intérêts des organismes et entreprises accompagnés ?

Mme Marie-Laure Denis, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions de présidente de la Cnil. - Je suis très honorée de pouvoir, dans le cadre de cette audition, vous présenter le bilan des cinq années pendant lesquelles j'ai exercé les fonctions de présidente de la Cnil, ainsi que la manière dont j'aborderais mon second mandat si l'occasion m'était donnée de poursuivre mon engagement.

À titre liminaire, je veux remercier les membres du collège de la Cnil et ses agents qui, au quotidien, font preuve d'une grande implication pour fournir un service public de qualité. Le bilan que je vais présenter est aussi naturellement le leur.

Je souhaite tout d'abord rappeler que la Cnil est une autorité administrative indépendante dont le champ d'intervention couvre tous les secteurs d'activité. C'est probablement l'une des raisons pour lesquelles ses représentants ont été auditionnés par le Parlement plus de 120 fois depuis 2019, dont 55 fois par le Sénat.

Mon mandat a eu la particularité de coïncider avec au moins trois événements majeurs, inédits depuis la création de l'institution. Le premier est l'entrée en vigueur du règlement général sur la protection des données, quelques mois après le début de mon mandat, dans un contexte de numérisation accélérée de la société. En pratique, cela s'est traduit par deux changements importants : une nouvelle donne juridique pour les entreprises, nécessitant une action de pédagogie du régulateur, et une augmentation massive des plaintes adressées à la Cnil, puisque leur nombre a doublé depuis 2018 pour atteindre un pic de 16 000 plaintes en 2023.

Le deuxième événement, c'est bien évidemment la crise sanitaire liée à la covid-19. Durant cette période, des questions nouvelles ont surgi en matière d'utilisation des données personnelles, qui ont nécessité une mobilisation sans précédent de la Cnil pour conseiller les pouvoirs publics, pour accompagner la recherche médicale et pour contrôler le respect des droits des personnes. Sur ce seul sujet, la Cnil a rendu dans des délais records 31 avis sur des projets de texte, répondu à 12 auditions parlementaires, transmis puis publié 5 rapports d'évaluation pour le Parlement, délivré 169 autorisations de recherche, dont les deux tiers en moins d'une semaine et procédé à 53 contrôles.

Enfin, dans un registre très différent, le troisième fait notable de ces cinq dernières années est l'accroissement de l'exposition aux risques cyber, qui concerne principalement les petites et moyennes entreprises, les collectivités territoriales et les établissements hospitaliers. Les attaques cyber peuvent être évitées ou atténuées en appliquant des mesures de sécurité relativement simples. C'est pourquoi la Cnil a accentué ses efforts d'accompagnement et de contrôle. Chaque année, parmi d'autres actions, elle édite un guide de sécurité qu'elle rend largement accessible aux professionnels. En outre, elle évalue le niveau de sécurisation des données personnelles lors de chaque contrôle qu'elle exerce.

J'en viens à présent aux trois principaux objectifs qui ont guidé l'action de la Cnil au cours de ces cinq dernières années. Le premier concerne la protection effective des données personnelles des Français. Pour faire face au nombre grandissant de saisines, la Cnil a profondément modifié son fonctionnement - il s'agit là d'un élément de réponse à l'une des questions que vous m'avez posées, monsieur le président. Cette stratégie a porté ses fruits puisque nous avons traité en 2022 et en 2023, pour la première fois depuis plus de dix ans, davantage de plaintes que nous n'en avons reçues. La plupart d'entre elles ont d'ailleurs été résolues par des actions de conciliation qui ont abouti à une mise en conformité. Seule une minorité a justifié des mesures répressives.

Les chiffres illustrent cette dynamique. Chaque année, 16 000 plaintes sont analysées, 300 contrôles sont déclenchés et nous avons triplé en cinq ans le nombre de mises en demeure et de sanctions pour totaliser, en 2023, 168 mises en demeure et 42 sanctions.

Dans la logique du RGPD, le montant des amendes prononcées s'est élevé depuis 2019 à plus d'un demi-milliard d'euros, soit 594 millions d'euros très exactement. Avant cette date, la plus grosse sanction prononcée par la Cnil était de l'ordre de quelques centaines de milliers d'euros.

Le deuxième objectif de la Cnil a été d'accompagner les administrations et les entreprises pour leur apporter de la sécurité juridique. La protection de la vie privée ne doit pas être vécue comme un frein à l'innovation numérique, ni avoir pour effet de la ralentir sans raison objective. Par conséquent, la Cnil a renforcé ses offres d'accompagnement et a produit de nombreux instruments qui relèvent de ce qu'on appelle le « droit souple ». Ainsi, depuis 2019, le collège de la Cnil a adopté près de 500 avis sur des projets de textes, qu'il s'agisse de lois ou de règlements. Ces avis ont le plus souvent été rendus publics, ce qui répond à votre question sur la transparence, monsieur le président.

À cela s'ajoutent l'adoption ou la mise à jour d'une cinquantaine d'outils de droit souple, qu'il s'agisse de recommandations, de référentiels ou de guides, ainsi que le lancement d'un cours en ligne, suivi par plus de 170 000 personnes, qui comportait un module très prisé sur les collectivités territoriales.

Nous recevons chaque année plus de 1 500 demandes de la part des conseils d'entreprises et des fédérations professionnelles et nous nous sommes fixés pour objectif de répondre dans un délai n'excédant pas six mois.

Cette forme d'accompagnement est utile, mais ne suffit pas. C'est pourquoi j'ai créé deux programmes supplémentaires pour accompagner en continu, pendant environ six mois, certains projets innovants d'entreprise ou d'administration. Le premier est ce que l'on appelle un « bac à sable », c'est-à-dire une sélection de projets correspondant à un thème annuel pour lesquels nous aidons un organisme à construire pas à pas sa conformité au RGPD. Chaque année, une dizaine d'organismes bénéficie de ce programme et l'édition en cours est consacrée aux usages de l'intelligence artificielle dans les services publics.

Le deuxième programme, non thématique, a été récemment lancé. Il s'agit de permettre à des entreprises, qui ont le potentiel de devenir des acteurs majeurs de l'innovation numérique et qui candidatent auprès de nous, d'être conseillées par les équipes de la Cnil pendant six mois sur la bonne prise en compte des enjeux de vie privée dans leur système d'information. Nous intervenons donc le plus en amont possible.

Parallèlement, j'ai voulu lancer une nouvelle méthode de régulation qui pourra produire des effets à grande échelle sur des sujets concernant le quotidien numérique des Français. Nous l'avons appliquée notamment à notre action sur les traceurs publicitaires. Afin d'obtenir la modification des interfaces de la majorité des grands sites, de manière à ce que dès le premier écran il soit aussi facile de refuser ces traceurs que de les accepter, nous avons procédé en trois temps.

Nous avons tout d'abord lancé une phase de dialogue avec les organismes et les publics concernés pour clarifier les règles, car c'est là le rôle essentiel du régulateur. Puis, est venue la phase d'accompagnement. Enfin, nous sommes passés aux campagnes de vérification et nous avons pris des mesures correctrices, lorsque cela s'est révélé nécessaire.

Cette méthode a porté ses fruits et nous l'utilisons de nouveau dans le travail que nous avons lancé pour mieux protéger les données sensibles exploitées par les applications de nos téléphones portables, dont je rappelle qu'ils sont le premier vecteur d'accès au numérique.

Enfin, le troisième grand objectif de la Cnil a été de chercher fort naturellement à mieux appréhender les écosystèmes qu'elle régule pour apporter des réponses adaptées aux nouveaux enjeux numériques.

Pour cela, j'ai pris l'initiative de créer trois services et vous en avez déjà cité deux, monsieur le président. Tout d'abord, il nous fallait un service d'intelligence artificielle pour renforcer notre expertise sur ce sujet, pour évaluer les risques que ces systèmes font peser sur la vie privée et pour préparer l'entrée en application du futur règlement européen sur l'intelligence artificielle. Ensuite, notre laboratoire d'innovation numérique analyse les tendances émergentes et mène des expérimentations. Enfin, une mission économique est désormais chargée d'étudier les modèles d'affaires liés à l'utilisation des données personnelles et de mesurer l'impact économique des choix de régulation.

Ainsi, durant ces cinq dernières années, la Cnil s'est continuellement transformée pour répondre, ou tenter de répondre, aux attentes du public. Je crois pouvoir dire qu'elle représente une boussole exigeante, mais pragmatique, pour protéger la vie privée de nos concitoyens. Néanmoins, je suis aussi consciente que, dans un environnement mouvant, traversé par l'émergence des nouvelles technologies et soumis notamment à la révolution de l'intelligence artificielle, la seule consolidation des actions entreprises ne saurait suffire à répondre aux enjeux.

Aussi, je consacrerai le second temps de mon intervention à tracer les grandes lignes de mon ambition pour un second mandat, si vous décidez qu'il en sera ainsi. Pour aller à l'essentiel, je me focaliserai sur trois grands défis que la Cnil devra relever à moyen terme.

Le premier d'entre eux sera de concilier le développement de l'intelligence artificielle et la protection des données personnelles. J'emploie le mot « défi » à dessein. En effet, alors que le RGPD vise la minimisation des données, l'IA nécessite des quantités gigantesques de données. Alors que le RGPD vise à opérer un tri entre les données sensibles et celles qui ne le sont pas, l'IA exploite toutes les données. Le RGPD donne le droit d'accéder à ses données personnelles, de les faire modifier ou effacer. Comment procéder parmi les 175 milliards de paramètres codés par ChatGPT et je parle d'une version antérieure à celle qui est aujourd'hui à l'oeuvre ?

Pourtant, nous devons pouvoir, nous aussi, en France et en Europe, développer et maîtriser ces nouvelles technologies. Ma conviction, c'est qu'il existe des réponses à toutes ces questions. Quand les moteurs de recherche sont apparus, le droit à la protection des données personnelles a été adapté pour garantir un équilibre entre le bénéfice que cette innovation apportait aux individus et la protection des droits des personnes qui définit nos sociétés européennes. Nous n'avons pas banni les moteurs de recherche, bien évidemment, mais l'Europe a inventé le droit à l'oubli pour en compenser les effets indésirables. La Cnil continue de jouer un rôle majeur pour faire respecter cet équilibre.

C'est à un défi du même ordre, mais bien plus complexe encore, que nous sommes confrontés avec l'intelligence artificielle. J'estime que c'est le rôle de la Cnil de veiller à ne pas freiner l'éventuel développement d'un ChatGPT français tout en protégeant ses utilisateurs. Pour cela, il faut indiquer aux acteurs comment ils peuvent développer ce type de modèle en se conformant au RGPD et en exploitant ses marges d'interprétation.

En effet, l'intelligence artificielle présente indubitablement des risques. Il faut donc prendre des précautions en amont et garantir certains droits en aval. J'ai souhaité que la Cnil lance un plan sur l'intelligence artificielle, en mai dernier. Nous avons déjà commencé à accompagner certaines entreprises et administrations sur le sujet et, d'ici à l'été prochain, nous publierons un ensemble de recommandations pour expliquer comment appliquer les dispositions du RGPD en matière d'intelligence artificielle. Les premières sont déjà parues et doivent même être adoptées demain par le collège de la Cnil. Ces travaux se poursuivent de manière soutenue en tenant compte naturellement du cadre réglementaire européen.

Le deuxième défi rejoint les fondements originels de la Cnil : proposer un équilibre entre liberté et sécurité. Plus que jamais, la Cnil doit éclairer les choix des pouvoirs publics dans l'usage des technologies à des fins régaliennes, avec pour aiguillon les mots de Paul Valéry : « Si l'État est fort, il nous écrase ; si l'État est faible, nous périssons. » Les avis rendus au Gouvernement et au Parlement et le contrôle des capacités de surveillance de l'État sont donc une dimension essentielle de l'activité de la Cnil. Le dialogue avec les pouvoirs publics doit permettre de garantir un usage efficace et pertinent pour la protection de la vie privée de ces technologies et ainsi de renforcer la confiance des citoyens dans les institutions. La sécurité intérieure est un enjeu majeur, de plus en plus influencé par l'offre technologique, qu'il s'agisse des drones, de l'intelligence artificielle ou du cas particulier des caméras dites « augmentées » ou « intelligentes ».

À cet égard, l'expérimentation en cours sur les caméras augmentées pour les jeux Olympiques me semble exemplaire. La Cnil accompagne des entreprises pour vérifier que les moyens de surveillance utilisés dans ce contexte très particulier sont proportionnés et que les solutions expérimentées le seront dans le respect du droit des personnes.

Je remercie d'ailleurs la commission des lois du Sénat d'avoir introduit dans la loi l'accompagnement par la Cnil des fournisseurs de caméras augmentées afin que les conditions d'un déploiement efficace et respectueux de la vie privée soient dès le départ assurées.

La Cnil entend plus généralement contribuer au bon déroulement des jeux Olympiques en accompagnant les pouvoirs publics dans leur souci légitime d'assurer leur sécurité. Mais son rôle consiste aussi à veiller à ce que les enjeux de protection de la vie privée soient bien pris en compte. Je pense notamment à la collecte des données personnelles pour l'accès à des périmètres sécurisés.

Le troisième défi, sans doute le plus urgent et le plus complexe, touche à la protection des enfants et des adolescents dans leurs interactions avec le numérique. La délégation aux droits des femmes et la commission d'enquête sur l'utilisation du réseau social TikTok se sont saisies de cet enjeu et le Sénat en a aussi débattu lors de l'examen du projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique (SREN). Les effets indésirables du numérique sur les enfants et les adolescents justifient une très grande vigilance. Celle-ci passe par un accompagnement volontariste des mineurs et de leurs parents dans leurs usages numériques et par une protection efficace de leurs données.

En pratique, pour renforcer la protection des enfants en ligne, la Cnil doit d'abord continuer à produire des contenus pédagogiques, comme elle l'a fait récemment pour les 8-10 ans, et élargir les publics visés. Ensuite, elle doit accompagner les organismes pour qu'ils prennent en compte les spécificités des jeunes publics, notamment en déployant des mentions d'information adaptées à l'exercice de leurs droits. Je pense tout particulièrement au droit à l'effacement des données. Enfin, la Cnil doit renforcer ses contrôles, en particulier sur le respect de l'obligation d'exiger un contrôle parental pour l'inscription des mineurs de moins de 15 ans sur les réseaux sociaux.

En conclusion, je veux souligner que la Cnil veille à ce que le numérique soit bien au service de chaque citoyen, comme le prévoit l'article 1er de la loi Informatique et libertés. Cette position se reflète dans la promotion du RGPD comme vecteur de confiance, le respect de la vie privée conditionnant le développement de l'innovation numérique dans un cadre respectueux des droits et des libertés fondamentaux. Cela doit se traduire par une plus grande capacité de projection de la Cnil sur l'ensemble du territoire, y compris outre-mer. Les cinq manifestations d'ampleur que nous avons organisées en 2023 à Lyon, à Marseille, à Reims, à Rennes et à Toulouse ont confirmé que les professionnels, les élus et les particuliers tirent parti d'un contact direct avec la Cnil, qui, elle-même, s'enrichit de ces interactions. La Cnil peut d'ailleurs compter sur le soutien de l'Association des maires de France, de Départements de France et de Régions de France, avec qui j'ai noué des partenariats. C'est donc en combinant pédagogie, proximité et contrôle que la Cnil pourra activement contribuer à ce que chaque individu bénéficie d'une innovation respectueuse de ses droits.

Telle est la belle ambition qui m'anime, partagée par les membres du collège et les agents de la Cnil.

M. Jérôme Durain. - Merci, madame la présidente, de la clarté de votre propos et du souci d'équilibre que vous témoignez dans les ambitions que vous avez pour la Cnil. J'ai pleinement confiance en elle pour réguler les usages autorisés ou non qui lui sont soumis. Ses moyens budgétaires ont certes augmenté ces dernières années, mais ils ne sont pas infinis, au regard de ses missions. Certaines entités publiques ou privées ne déclarent pas systématiquement des usages qui sont à la frontière de ce qui est autorisé ou non. En 2023, on a ainsi appris l'utilisation supposée par des services de police de technologies de reconnaissance faciale. La Cnil a alors diligenté une procédure de contrôle. Quelles conclusions en a-t-elle tirées ? Plus largement, quels sont les moyens supplémentaires qui lui permettraient de disposer de capacités de contrôle plus larges ?

M. François-Noël Buffet, président. - Je précise que MM. Durain et Daubresse, avec notre ancien collègue Arnaud de Belenet, ont commis un rapport sur la question de la reconnaissance biométrique.

Mme Marie Mercier. - Je vous félicite de votre volonté de faire aboutir les choses et de votre professionnalisme.

Je reviens sur la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, qui interdit l'accès des mineurs aux sites pornographiques. Or ceux-ci usent très habilement de tous les moyens pour la contourner. En outre, ce texte se trouve télescopé par le projet de loi SREN. Ainsi, la députée Perrine Goulet, en octobre 2023, a fait adopter un amendement contre l'avis du Gouvernement pour protéger les enfants des jeux numériques, en calquant le dispositif sur celui qui était prôné par le ministre Barrot dans le projet de loi SREN, à savoir le contrôle de l'âge au moyen d'un référentiel. Or le ministre a expliqué, pour s'opposer à cet amendement, que ce dispositif ne tenait pas et était inopérant, alors même que, je le répète, c'est celui qu'il a défendu dans son projet de loi.

Quel est votre avis sur ce référentiel censé protéger les enfants de contenus qui ne sont pas adaptés à leur âge ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Merci, madame la présidente, de votre intervention et bravo pour vos travaux, dans lesquels nos collègues Sylvie Robert et Loïc Hervé se sont beaucoup investis.

Je prolonge la question de Jérôme Durain au sujet de la procédure de contrôle que vous avez lancée en direction du ministère de l'intérieur, faisant preuve, encore une fois, d'une réelle réactivité, lorsqu'a été révélée l'utilisation par un grand nombre de services de police d'un logiciel de vidéosurveillance, BriefCam, qui avait une fonction reconnaissance faciale. Quel résultat a donné ce contrôle, si tant est qu'il est terminé ? Quel en est le champ temporel ? Lors de nos auditions sur la mise en oeuvre de règles légales de sécurisation des jeux Olympiques, un haut fonctionnaire de la police nationale nous a informés que consigne avait été donnée de ne plus utiliser ce logiciel au motif qu'une enquête à son sujet était en cours, tout en vantant les vertus de cette expérimentation, qui avait dû, selon lui, faire l'objet d'une déclaration auprès de la Cnil. Je veux juste m'assurer que votre contrôle porte également sur des faits antérieurs, ce fonctionnaire ayant reconnu que ce logiciel était utilisé dans le cadre de la reconnaissance faciale.

Mme Audrey Linkenheld. - Je vous félicite à mon tour pour les travaux de la Cnil et vous remercie de la clarté de votre propos liminaire.

Vous avez évoqué votre collaboration avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) : à cet égard, quel regard portez-vous sur la manière dont les collectivités locales appréhendent aujourd'hui, à travers la question des données personnelles et du RGPD, la cybermalveillance, dont elles sont elles aussi victimes ? Avez-vous des propositions à formuler en la matière ?

M. Hussein Bourgi. - Madame la présidente, merci beaucoup pour votre exposé, pour le travail accompli par vous et vos équipes.

Ma question porte sur les délais de réponse de la Cnil, à partir de deux cas concrets.

J'ai saisi celle-ci à deux reprises : une première fois pour signaler le détournement d'un fichier associatif dans le cadre d'une campagne électorale - vous m'avez répondu dans des délais assez brefs - ; une seconde fois au sujet de la possible constitution, dans une région académique, d'un fichier d'élèves en raison de leur religion - là, à part un accusé de réception, je n'ai pas reçu de réponse sur le fond.

D'une manière générale, répondez-vous systématiquement sur le fond aux requêtes qui vous sont soumises ? Compte tenu du nombre toujours plus important de ces requêtes, estimez-vous disposer des moyens nécessaires pour les traiter dans les temps ? En effet, on a pu constater certains retards...

M. François-Noël Buffet, président. - Je rappelle à nos collègues que nous auditionnons aujourd'hui Mme Marie-Laure Denis en tant que candidate aux fonctions de présidente de la Cnil, non pour lui poser des questions de fond !

Mme Audrey Linkenheld. - Nous saisissons l'occasion !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Cela prouve que le sujet nous intéresse !

Mme Marie-Laure Denis. - Ces questions traduisent le vif intérêt que vous portez aux problématiques traitées par la Cnil.

S'agissant des perspectives générales d'évolution de nos missions, nous faisons aujourd'hui beaucoup d'accompagnement. Nous traitons toutes les plaintes et faisons en sorte de prendre des mesures ayant valeur d'exemplarité et servant à diffuser des bonnes pratiques. En matière d'information, nous mettons beaucoup de contenus utiles à disposition des professionnels et des particuliers sur notre site, qui est consulté près de 12 millions de fois par an, contre 8 millions il y a cinq ans.

Nous faisons oeuvre de pédagogie à l'égard des mineurs et de leurs parents et menons des actions d'éducation au numérique. Pour autant, nous devons renforcer nos actions d'information, raison pour laquelle, alors que nous n'avons pas de services déconcentrés, nous essayons de plus en plus de nous projeter sur le terrain pour toucher des publics auxquels nous n'avons pas accès autrement.

Il m'a été demandé si notre action concernant l'intelligence artificielle ne risquait pas de « tangenter » les intérêts industriels. Précisément, notre action consiste à tirer tous les bénéfices potentiels de cette innovation - des gains de productivité, une médecine plus personnalisée, plus préventive - tout en parant les risques importants induits par une telle technologie, qui peut comporter des biais et des erreurs. Tout traitement de données devant avoir une finalité, nous demandons, quand nous sommes sollicités, quel type de système est utilisé - visionnage par ordinateur ? dans quel but ? pour détecter des objets ? des voitures ? des panneaux de signalisation ? des piétons. Cela n'empêche pas l'innovation ni les industriels de travailler.

Quand un laboratoire pharmaceutique mène des recherches sur le cancer de la prostate, il doit pouvoir disposer d'un échantillonnage de population suffisamment ample pour en tirer un certain nombre d'enseignements. En revanche, quand on s'aperçoit que cet échantillonnage comporte des femmes, on peut se poser des questions sur la pertinence des données recueillies...

Minimisation des données, finalité : voilà notamment ce sur quoi veille la Cnil en matière d'intelligence artificielle et ce qui nous guide dans nos actions d'accompagnement renforcé. Ainsi, nous accompagnons Hugging Face, une société créée par des Français qui fait de l'IA open source, pour que les enjeux de protection de vie privée soient intégrés en amont.

Entre accompagnement et production d'une doctrine pour décliner des principes du RGPD relativement généraux et souples, nous devrons nous coordonner avec nos homologues européens, dans le cadre du règlement sur l'intelligence artificielle.

Les actions de régulation de la Cnil ont un impact économique. Je vous renvoie à ce que nous avons fait en matière de profilage publicitaire. Les actions que nous avons menées sur les traceurs publicitaires ont naturellement une influence sur l'écosystème de la publicité. Nous devons comprendre que les modèles d'affaires des très grands acteurs du numérique reposent sur les données.

De même, les voitures autonomes « aspirent » des données personnelles très sensibles comme la géolocalisation, et nous devons savoir avec qui elles sont partagées. Nous devons avoir les moyens de nos ambitions pour réguler au plus près et de façon juste.

Récemment, nous avons organisé un colloque avec l'Autorité de la concurrence intitulé « Protection des données et concurrence : une ambition commune », parce que nous partageons un certain nombre de problématiques. La Cnil peut saisir l'Autorité - et inversement - pour traiter certains cas, par exemple ceux qui ont trait à la publicité sur les applications mobiles, qui doit être régulée tout comme l'ont été les traceurs publicitaires, car les enjeux liés à la de protection des données sont très importants compte tenu des données sensibles auxquelles ont accès les applications de nos téléphones portables - coordonnées des contacts, photos, vidéos, etc. Il faut, là aussi, arriver à décoder cet écosystème. C'est pourquoi j'ai sollicité l'avis de l'Autorité de la concurrence sur les préconisations que nous allons formuler pour réguler le secteur des applications mobiles au regard des enjeux économiques et des enjeux de concurrence.

Monsieur le président, vous m'avez ensuite interrogée sur l'Europe.

La Cnil est probablement l'une des autorités administratives indépendantes ayant la réglementation la plus intégrée au sein du comité européen de la protection des données, qui a succédé au G29, mais dispose de compétences bien plus grandes. On l'observe non tant pour la production de la doctrine, même si depuis cinq ans le CEPD a émis plus de 50 recommandations et lignes directrices, qu'au titre du traitement transfrontalier, et en coopération, des plaintes et dossiers, qui, lui, est nouveau.

Comme vous l'avez souligné, les autorités ont désormais le lead en la matière. Très concrètement, la Cnil irlandaise est compétente pour prononcer des sanctions contre la quasi-totalité des Gafam, à l'exception d'Amazon, implantée au Luxembourg ; Uber est quant à lui aux Pays-Bas.

Il a certes fallu un peu de temps aux acteurs du comité européen pour apprendre à travailler ensemble, à examiner toutes les plaintes formulées, et c'est bien normal ; mais plus de 60 000 dossiers ont été traités et le montant des amendes prononcées par l'ensemble des Cnil européennes depuis cinq ans dépasse 4 milliards d'euros. On ne peut pas dire que ce dispositif ne fonctionne pas. On dispose d'ailleurs, notamment en France, de capacités d'injonction permettant de modifier concrètement un certain nombre de pratiques.

On pourrait croire que les acteurs du numérique sont, en quelque sorte, en mesure d'acheter leur non-conformité en gagnant du temps. Mais la Cnil irlandaise a tout de même prononcé une amende de 1,2 milliard d'euros contre Meta, du fait de l'action des autres Cnil, notamment de la Cnil française, qui est très impliquée sur tous ces sujets. Non seulement celle-ci transmet des plaintes, mais il lui est arrivé, faute de sanctions prises par la Cnil irlandaise, qui avait peut-être ses propres préoccupations et contraintes, d'actionner les mécanismes contraignants dont elle dispose.

À leur demande, je rencontre assez régulièrement un certain nombre des représentants des Gafam lorsqu'ils viennent à Paris ; à mon sens, ils ont compris que la régulation européenne était à l'oeuvre et que la Cnil française jouait un rôle important dans ce domaine.

Vous m'interrogez sur la composition du collège de la Cnil : il comprend 18 membres, dont 4 parlementaires - 2 sénateurs et 2 députés. Je ne puis que saluer la qualité des interventions de Sylvie Robert et Loïc Hervé. Ce collège est effectivement beaucoup plus large que celui des autres autorités administratives indépendantes, mais ses membres ne sont pas présents à temps plein. Cette composition assure une grande diversité de points de vue, nécessaire du fait de la variété des missions de la Cnil, lesquelles touchent à la fois à l'éthique et à un certain nombre d'enjeux juridiques, économiques et technologiques. La richesse du collège a donc toute son importance et je n'ai pas l'impression que l'efficacité des prises de décision s'en trouve amoindrie.

L'essentiel de l'activité du collège se concentre sur les avis rendus sur les projets de loi et de décret ; or bon nombre d'autres sujets mériteraient d'être traités dans ce cadre.

Selon moi, une éventuelle réforme de la composition du collège n'aurait de sens que si la Cnil recevait de nouvelles compétences, notamment au sujet de l'intelligence artificielle. Nous devrions dès lors, me semble-t-il, nous attacher des compétences plus particulières. En tout état de cause, cette décision appartient au législateur.

Pour ce qui concerne les moyens, nous avons accompli beaucoup d'efforts pour rendre les parcours professionnels plus attractifs au sein de la Cnil, étant donné la concurrence qui se fait jour désormais, notamment pour les informaticiens, les ingénieurs et même les juristes : il existe maintenant divers postes de délégués à la protection des données ou de responsables des données dans les entreprises et les administrations. Nous disposons d'un groupe de travail sur les parcours professionnels et nous nous efforçons, autant que possible, de mieux rémunérer nos agents, dont je salue la grande implication. Les pouvoirs publics ont globalement soutenu les augmentations d'effectifs et de moyens budgétaires proposées par la Cnil, même si nous restons beaucoup plus petits et donc, peut-être, plus productifs que certains de nos homologues, dont les effectifs sont parfois le triple des nôtres pour des compétences similaires.

Enfin, vous évoquez le délai moyen de traitement des dossiers. Pour traiter 16 000 plaintes au lieu de 8 000, il a fallu mener d'intenses efforts de réorganisation. Nous avons notamment scindé un service en deux et externalisé les réponses aux plaintes posant le moins de problèmes, comme les demandes d'accès ; de plus, grâce au législateur, nous avons créé une procédure de sanction simplifiée nous permettant d'aller plus vite pour indiquer aux responsables de traitement de données les manquements posant les plus graves problèmes et leur esquisser des pistes de solution.

Monsieur Bourgi, je me réjouis que la première de vos saisines ait reçu une réponse rapide. Je vois très bien à quoi vous faites allusion au sujet de la seconde. À mon sens, le délai de traitement de ce dossier est moins dû aux moyens de la Cnil qu'à nos interactions avec le responsable de traitement. Ces délais sont effectivement un peu trop longs, mais vous aurez une réponse, je puis m'y engager.

L'amélioration de la communication est bel et bien un enjeu essentiel. Ainsi, quand nous faisons des « bacs à sable », nous procédons systématiquement à la restitution sur internet des bonnes pratiques dégagées, pour qu'elles bénéficient à l'ensemble des entreprises ou des administrations concernées. Nous recevons 600 sollicitations médiatiques par an : à l'évidence, il existe un véritable appétit des médias et des personnes sur ces sujets. Nous ne cherchons pas à faire le buzz, mais à être efficaces et à remplir notre mission aussi bien que possible.

M. Durain et Mme de La Gontrie m'ont interrogée sur la possibilité, pour le ministère de l'intérieur ou les collectivités territoriales, de recourir à la reconnaissance faciale. À cet égard, des informations sont effectivement parues dans la presse le 14 novembre dernier. Dès le lendemain, j'ai diligenté une enquête. Nous avons adressé un questionnaire extrêmement fourni au ministère de l'intérieur, qui a lui-même diligenté une enquête interne confiée à l'inspection générale de l'administration (IGA), et nous espérons obtenir des réponses d'ici à la fin du mois de février prochain. Dès lors, nous verrons dans quelle mesure nous diligenterons des contrôles sur place ; il s'agit de les cibler et de les identifier au mieux.

Ces questions de vidéo algorithmique ont fait l'objet d'une thématique prioritaire de contrôle en 2023 ; à ce titre, nous sommes en train de contrôler 7 collectivités territoriales.

Ce logiciel, dont le nom n'a pas été cité, appartient à une société israélienne qui a elle-même été rachetée par une société japonaise ; ce n'est pas parce qu'on utilise cet outil que l'on a systématiquement recours à la reconnaissance faciale. On peut l'employer pour le suivi des personnes ou la lecture automatisée des plaques d'immatriculation (Lapi). Il faut non seulement acheter la licence, mais activer cette fonctionnalité.

Madame de La Gontrie, voici la question précise que j'ai posée au service des contrôles de la Cnil : concrètement, si l'on mène un tel contrôle, verra-t-on si cette fonctionnalité a été activée à un moment ou un autre ? On m'a répondu oui, sauf dans une hypothèse dont je préfère ne pas parler lors d'une audition publique. On m'a assuré que l'on pourrait mener des contrôles tout à fait efficaces.

Madame Mercier, vous m'interrogez sur le contrôle de l'âge pour l'accès aux sites pornographiques. Vous connaissez les chiffres mieux que moi : des millions d'enfants ont, par ce biais, leur première expérience de la sexualité, ce qui n'est pas sans conséquence.

Sur ce sujet, des tensions se font bel et bien jour entre la protection de la vie privée et la volonté de mieux protéger nos enfants. Le fait est qu'aucun pays au monde n'a créé de fichier regroupant les cartes d'identité des personnes consultant des sites pornographiques, afin de prouver que les intéressés ont plus de 18 ans. Cela étant, nous devons nous retrousser les manches pour trouver des solutions ; telle est la volonté de la Cnil et de son collège. Alors même que ce n'est pas son ADN, elle a sans tarder insisté sur deux moyens d'agir, qui ne sont sans doute pas parfaits, mais que l'on peut mettre en oeuvre tout de suite pour freiner l'arrivée des plus jeunes sur les sites pornographiques.

Le premier, c'est l'utilisation de la carte bancaire, sans transaction ou pour un montant de 1 euro, avec le recours à un tiers de confiance. S'y ajoutent, du reste, une série d'enjeux « cyber », qu'il s'agisse d'hameçonnage ou d'usurpation d'identité. Quand on a 16 ou 17 ans, on peut accéder à une carte bancaire ; c'est quand même plus compliqué quand on en a 12 ou 13.

Le second, c'est l'estimation de l'âge par reconnaissance du visage, que propose notamment une société anglaise. Je précise que ce n'est pas de la reconnaissance faciale. Ce système permet de distinguer un enfant de 14 ans d'un jeune adulte de 19.

Si elle avait campé sur ses positions, la Cnil se serait contentée d'invoquer la protection de la vie privée, mais elle a tenu à formuler ces deux pistes immédiates, reprises d'ailleurs par Mme la secrétaire d'État chargée de l'enfance.

Quant au référentiel que vous citez, et qui doit être soumis à la Cnil en vertu du projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), avec qui nous avons engagé de nombreux travaux et qui réunit son collège ce matin même, est en train de l'adopter. Nous lui avons déjà adressé un certain nombre de messages. Sauf erreur de ma part, ce référentiel sera ensuite mis en consultation publique et adressé à la Cnil pour que son collège émette un avis officiel.

En mars dernier, le Gouvernement a lancé une expérimentation sur ce sujet. Un certain nombre d'acteurs viennent à notre rencontre et nous assurent qu'ils y participent. Nous les accompagnons autant que possible, mais l'Arcom reste la première chargée de ce dossier.

Enfin, nous sommes pleinement conscients des enjeux de données auxquels les collectivités territoriales sont confrontées. Nous faisons beaucoup d'accompagnement à ce titre et le module du cours en ligne de la Cnil dédié aux collectivités territoriales a été consulté 40 000 fois. Nous disposons d'un service de délégués à la protection des données chargés plus particulièrement des collectivités.

Mme Audrey Linkenheld. - Mais les collectivités sont-elles actives en la matière ?

Mme Marie-Laure Denis. - Régions, départements et grandes intercommunalités ont nommé des délégués à la protection des données ; j'ai dû formuler, en la matière, une vingtaine de mises en demeure publique pour des communes de plus de 20 000 habitants. Seules 58 % des communes ont désigné un délégué à la protection des données. C'est naturellement compliqué pour les plus petites d'entre elles, même si elles peuvent opter pour la mutualisation.

M. François-Noël Buffet, président. - Je vous remercie de la qualité et la précision de vos réponses.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.

Vote sur la proposition de nomination par le Président de la République de Mme Marie-Laure Denis aux fonctions de présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés

M. François-Noël Buffet, président. - Nous avons achevé l'audition de Mme Marie-Laure Denis, candidate proposée par le Président de la République pour exercer les fonctions de présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés.

Nous allons maintenant procéder au vote sur cette proposition.

Le vote se déroulera à bulletin secret, comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. En application de l'article 1er de l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote, les délégations de vote ne sont pas autorisées.

Je vous rappelle que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.

Il est procédé au vote.

Dépouillement sur la proposition de nomination par le Président de la République de Mme Marie-Laure Denis aux fonctions de présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés

La commission procède au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de Mme Marie-Laure Denis aux fonctions de présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés.

M. François-Noël Buffet, président. - Voici le résultat du scrutin, qui sera agrégé à celui de la commission des lois de l'Assemblée nationale :

Nombre de votants : 34

Bulletins blancs : 1

Nombre de suffrages exprimés : 33

Pour : 31

Contre : 2

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

Proposition de loi créant une dérogation à la participation minimale pour la maîtrise d'ouvrage pour les communes rurales - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne M. Hussein Bourgi rapporteur sur la proposition de loi n° 4 (2023-2024) créant une dérogation à la participation minimale pour la maîtrise d'ouvrage pour les communes rurales présentée par M. Dany Wattebled, Mme Marie-Claude Lermytte et plusieurs de leurs collègues.

Proposition de loi visant à garantir la confidentialité des consultations juridiques rédigées par un juriste d'entreprise - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne Mme Dominique Vérien rapporteure sur la proposition de loi n° 126 (2023-2024) visant à garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d'entreprise présentée par M. Louis Vogel et plusieurs de ses collègues.

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne Mme Françoise Gatel rapporteur sur la proposition de loi n° 160 (2023-2024) visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels.

Proposition de loi relative au renforcement de la sûreté dans les transports - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne Mme Nadine Bellurot rapporteure sur la proposition de loi n° 235 (2023-2024) relative au renforcement de la sûreté dans les transports présentée par M. Philippe Tabarot.

Proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste - Examen du rapport et du texte de la commission

M. François-Noël Buffet, président. - Nous passons à l'examen du rapport sur la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Monsieur le président, puis-je intervenir au préalable sur la transmission aux membres de notre commission, hier, des observations que vous-même et les deux rapporteurs - Muriel Jourda et Philippe Bonnecarrère - avez adressées au Conseil constitutionnel à la suite des quatre recours déposés sur le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration ? Nos collègues ont sans doute lu avec intérêt la somme de 22 pages qui a été élaborée. Pour ma part, je m'étonne de cette démarche, prise de votre propre initiative, même si je la sais possible. En outre, je ne suis pas certaine que vous ayez mentionné le fait que, dans le cadre des travaux de notre commission, certaines dispositions finalement reprises avaient initialement fait l'objet d'une irrecevabilité « à titre indicatif ». Nous savons que la question de l'application de l'article 45 s'est posée avec acuité ! Je ne pense pas qu'écrire au Conseil constitutionnel pour soutenir de manière véhémente la constitutionnalité de dispositions dont vous savez, pour une partie d'entre elles, qu'elles ne le sont pas soit une démarche opportune, au regard notamment de vos éminentes fonctions de président de la commission des lois du Sénat. J'aurais aimé que vous vous placiez au-dessus de cela, d'autant que la presse a présenté cette contribution comme l'avis de notre commission, alors même que nous n'en avons jamais délibéré.

M. Philippe Bonnecarrère. - Je me permets de réagir à cette intervention, qui mérite notre attention. Pas plus que les rapporteurs dudit texte, le président Buffet, ne s'est permis de s'exprimer au nom de la commission des lois ; nous n'avons jamais prétendu que celle-ci était engagée par cette contribution, qui n'est signée es qualités que par le président Buffet et les rapporteurs du projet de loi, Muriel Jourda et moi-même.

Par ailleurs, il nous semble depuis assez longtemps que monde politique et monde judiciaire, à force d'avoir intériorisé le principe de séparation des pouvoirs, ne se parlent plus vraiment, que leur relation est empreinte de défiance, ce qui est préjudiciable à la démocratie. C'est pourquoi, d'ailleurs, nous avons encouragé « le dialogue, plutôt que le duel » dans un rapport d'information de votre serviteur déposé le 29 mars 2022.

Enfin, le parcours de ce texte est tout à fait atypique : une partie de l'opinion publique et du monde politique appelle à ce que le Conseil constitutionnel devienne une chambre d'appel du Parlement ; une autre espère qu'une large censure de sa part démontrera la nécessité de changer la Constitution. Ce sont tout de même des sujets lourds, d'où notre décision de prendre nos responsabilités, en adressant une contribution au Conseil constitutionnel. Même si je comprends vos observations, madame de La Gontrie, cette démarche n'est pas de nature à vexer quiconque.

M. François-Noël Buffet, président. - Nous avons effectivement la possibilité de déposer une contribution devant le Conseil constitutionnel et, compte tenu des circonstances générales et des débats sur ce texte, il nous a paru utile de le faire. Dès lors que le Président de la République et, dans une moindre mesure, la présidente de l'Assemblée nationale ont saisi le Conseil constitutionnel, notre apport contribue également à alimenter la réflexion et permettre au débat contradictoire de se développer pleinement. Nous avions d'ailleurs évoqué cette démarche lors de la réunion du bureau de la commission le 20 décembre dernier. Cela étant, madame de La Gontrie, je dois vous remercier d'avoir attiré mon attention sur l'utilité de communiquer auprès des commissaires sur le sujet.

Je rappelle également que la commission a certes voté le périmètre d'application de l'article 45 mais également la recevabilité de certains amendements au regard de cet article. Laissons donc le Conseil constitutionnel travailler ! Il me semble vraiment essentiel, indépendamment de ce que l'on pense du texte concerné, de laisser fonctionner le système institutionnel.

Je vous propose maintenant d'en venir au rapport de ce jour.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Nous examinons aujourd'hui la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste, déposée par les présidents François-Noël Buffet, Bruno Retailleau et Hervé Marseille le 12 décembre dernier, à la suite des tragiques attentats d'Arras et de Bir-Hakeim.

Cette proposition de loi, assez technique, se présente comme un cheminement le long d'une ligne de crête avec, d'un côté, les objectifs visés par les auteurs et, de l'autre, les impératifs constitutionnels.

Elle vise à combler plusieurs lacunes de la législation pénale en vigueur et à octroyer aux pouvoirs publics les moyens judiciaires et administratifs indispensables à une lutte antiterroriste efficace, autant de sujets que nous avons déjà eu l'occasion d'aborder au sein de notre commission au cours des dernières années, lors de l'examen de textes dont j'ai été rapporteur. Elle reprend certaines dispositions déjà votées par le Sénat n'ayant pas été retenues en commission mixte paritaire et tient également compte du contexte nouveau en matière de menace terroriste.

Tout en approuvant fortement les objectifs du texte, je propose à la commission 20 amendements pour, d'une part, garantir la sécurité juridique et l'opérationnalité des dispositifs et, d'autre part, compléter la proposition de loi par des mesures attendues par les acteurs judiciaires et administratifs de la lutte contre le terrorisme.

Le diagnostic est implacable. La menace terroriste a profondément évolué depuis les attentats du Bataclan. Dans les années 2015 et 2016, elle venait principalement de l'extérieur, avec des modalités d'action très caractéristiques ; au cours des prochaines années, elle sera plutôt endogène et nous devrons affronter d'autres types d'actions.

Les enjeux sont donc au nombre de trois.

Premièrement, nous devons réfléchir à la prise en charge à l'issue de leur peine des condamnés terroristes.

Lors de son audition, le procureur de la République antiterroriste m'a affirmé que cette problématique des sortants de détention était aujourd'hui d'une acuité renouvelée pour deux raisons cumulatives : leur nombre, estimé à 70 pour les deux prochaines années, ce qui éclaire l'ampleur de l'enjeu, notamment à la veille des jeux Olympiques et Paralympiques et, surtout, leur profil, dès lors que figurent parmi ces personnes des profils suscitant une grande inquiétude des services de renseignement, puisqu'elles ont été condamnées, en moyenne, à des peines significativement plus lourdes que les détenus libérés au cours des dernières années.

Nicolas Lerner, ancien directeur général de la sécurité intérieure (DGSI) et récemment nommé à la tête de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), a d'ailleurs rappelé dans la presse que « sur les douze attentats que la France a connus depuis fin 2018, sept auteurs présentaient des troubles soit psychiatriques, [...] soit psychologiques ».

Deuxièmement, il faut relever le caractère plus imprévisible des attaques terroristes, qui sont désormais le plus souvent perpétrées par des « loups solitaires » ne s'étant jamais rendus sur des zones de combats, ne bénéficiant pas de l'appui de réseaux djihadistes organisés, mais qui se sont radicalisés essentiellement sur les réseaux sociaux et ont recours à des armes blanches vendues librement.

Cette évolution de la menace endogène inquiète particulièrement nos services secrets. Ainsi, Nicolas. Lerner m'a indiqué que, malgré l'investissement des services, ces individus restent à la merci d'un passage à l'acte soudain, soit au terme d'un comportement dissimulateur, soit du fait d'une décompensation, sans qu'il y ait forcément de signes avant-coureurs, et parfois désorganisé.

Troisièmement, la radicalisation croissante de mineurs, parfois particulièrement jeunes, s'opère désormais directement sur le territoire national.

On observe en 2023 une nette augmentation des mineurs impliqués pour des faits de terrorisme, 14 mineurs ayant été mis en examen pour de tels faits dont 4 âgés de moins de 16 ans. La direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) a affirmé pour sa part observer des profils de mineurs plus jeunes, avec des projets d'attentats assez aboutis.

Les auditions que j'ai menées ont confirmé le constat établi par les auteurs de la proposition de loi : pour faire face à ce défi de taille, les outils à disposition des pouvoirs publics, qu'ils soient administratifs ou judiciaires, sont incomplets ou inadaptés. Dans le contexte, ce texte est donc tout à fait pertinent.

De façon générale, l'arsenal pénal actuel a été profondément modifié entre 2014 et 2016 pour tenir compte de deux manifestations de la menace terroriste qui ne semblent plus être les plus importantes aujourd'hui, à savoir le retour de ressortissants ou résidents français s'étant rendus sur zone et la commission d'actes terroristes par des « filières » djihadistes.

De façon analogue, l'ensemble des mesures applicables aux mineurs visent à prendre en charge ceux qui reviennent sur le sol national après avoir été emmenés ou être nés dans une zone de conflits. Elles ont donc essentiellement une vocation d'assistance éducative, alors que le profil des mineurs a nettement évolué.

Sur le plan administratif, si les instruments de prévention et d'investigation en matière de lutte antiterroriste ont progressivement été renforcés, puis améliorés, ils sont insuffisants. À titre d'exemple, les condamnés terroristes font aujourd'hui tous l'objet d'une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance (Micas) à leur sortie de détention. Comme vous le savez, la tentative du ministère de l'intérieur d'accroître la durée de ce dispositif a été censurée par le Conseil constitutionnel, l'amplitude maximale étant toujours de 12 mois.

Je vois une autre limite au suivi administratif : réduit à l'exercice d'une surveillance, il n'offre aucune possibilité de suivi médical, psychiatrique ou d'accompagnement à la réinsertion. Tous les acteurs que j'ai entendus ont insisté sur ce point : il faut travailler sur la réinsertion et le suivi des troubles psychiatriques dont souffrent certains pour prévenir la récidive.

Or - et c'est là toute la difficulté à laquelle nous sommes confrontés - l'autorité judiciaire n'apparaît pas mieux outillée que l'autorité administrative pour traiter les condamnés terroristes sortant de détention.

Dans la pratique, les « sorties sèches » sont rares, mais les différentes mesures de suivi ou de surveillance existantes souffrent de nombreuses lacunes. Sans entrer dans le détail, je citerai la mesure de sûreté judiciaire que nous avons votée voilà près de deux ans. Ses résultats sont très peu probants : elle n'a été mise en oeuvre qu'à une seule reprise, en raison de la difficulté à caractériser le critère de dangerosité exigé par la loi.

Le présent texte n'entend pas bouleverser les équilibres construits en matière de lutte contre le terrorisme au cours des trente dernières années. Son objectif principal est de consolider cet édifice juridique et de remédier aux lacunes judiciaires et administratives que je viens d'évoquer.

Il propose la création de trois nouvelles mesures de sûreté applicables aux condamnés pour terrorisme, afin de renforcer leur surveillance à leur sortie de détention : une mesure de suivi et de surveillance judiciaire déjà votée par le Sénat, l'ouverture de la rétention de sûreté en raison de troubles psychiatriques graves aux criminels terroristes et la création d'une nouvelle forme de rétention de sûreté réservée aux condamnés terroristes encore engagés dans une idéologie radicale à l'issue de leur peine, indépendamment de critères psychiatriques.

Prenant acte de l'implication croissante de mineurs, y compris de moins de 16 ans, dans des projets parfois très aboutis à caractère terroriste, les auteurs de la proposition de loi prévoient par ailleurs plusieurs évolutions de l'arsenal pénal applicable en cas de commission d'actes de terrorisme par des mineurs.

Le texte ambitionne également d'adapter l'arsenal pénal aux nouveaux modes opératoires des terroristes, en réintroduisant un délit de recel d'apologie du terrorisme, en créant des circonstances aggravantes à ce délit et en introduisant des peines complémentaires de bannissement numérique et d'interdiction de paraître dans les transports en commun pour les condamnés terroristes.

Enfin, une série de dispositions visent à permettre à l'administration d'agir en urgence, selon des procédures adaptées et simplifiées, pour prévenir des dérives susceptibles de mener à des actes terroristes. Ainsi, il est proposé de simplifier l'acquisition de produits licites et illicites par des agents infiltrés dans le cadre d'enquêtes conduites sous pseudonyme ; d'introduire une interdiction de paraître dans les transports en commun dans le cadre du régime des Micas ; de moderniser les critères permettant la dissolution administrative des associations et groupements de fait ; de faciliter la levée des protections contre l'éloignement dont bénéficient certaines catégories d'étrangers aux liens particuliers avec la France.

Il est nécessaire, comme je viens de le dire, d'apporter certains correctifs aux dispositions pénales et administratives antiterroristes, notamment au moment où notre pays s'apprête à accueillir, pendant près de deux mois et sur plusieurs sites, les jeux Olympiques et Paralympiques, avec des outils qui, au regard d'autres pays comme le Royaume-Uni, paraissent très limités.

Les dispositions contenues dans ce texte me semblent particulièrement bienvenues car elles apportent des réponses proportionnées et pragmatiques face à une menace de haute intensité. C'est pourquoi, mes chers collègues, je vous propose d'en approuver l'économie générale.

Je vous propose notamment d'adopter sans modification les articles 9, 10, 12, 15 et 16, qui reprennent pour l'essentiel des mesures déjà votées par notre assemblée.

Inversement, les articles 5 et 13 me semblent, soit satisfait en l'état du droit, soit porteurs d'effets de bords trop importants. À ce titre, je vous propose leur suppression.

Sur le reste, j'ai cherché un équilibre entre efficacité et garantie des droits et libertés constitutionnels, ce souci étant partagé par l'ensemble des acteurs auditionnés. Je vous propose donc 18 amendements, visant plusieurs objectifs : s'assurer du caractère opérationnel des mesures ; apporter toutes les garanties nécessaires pour respecter la stricte proportionnalité des mesures et éviter leur censure par le Conseil constitutionnel ; compléter le texte par des propositions émanant directement des observations des acteurs judiciaires et administratifs impliqués dans la lutte contre le terrorisme.

S'agissant des mesures judiciaires de sûreté, je vous propose trois principales modifications.

Compte tenu du bilan non concluant du déploiement de la mesure de prévention de la récidive terroriste, il m'est apparu indispensable d'en améliorer l'opérationnalité et de trouver des critères moins exigeants que ceux qui existent dans la version actuelle de la loi, en visant une probabilité « élevée » - plutôt que « très élevée » - de récidive et une adhésion « avérée » - plutôt que « persistante » - à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme.

De manière à garantir la proportionnalité et ne pas fragiliser le dispositif des Micas, je suggère de contrebalancer cet élargissement par l'ajout de plusieurs garanties : le renforcement du volet de réinsertion et d'accompagnement de la mesure, en permettant aux juges d'application des peines de prononcer une injonction de soins pour certains profils, d'une part, et, de l'autre, l'exclusion des trois mesures de surveillance particulièrement attentatoires aux libertés individuelles que sont l'interdiction de paraître en certains lieux, l'obligation d'établir son domicile en un lieu donné et l'interdiction de port d'une arme.

De même, afin d'assurer l'opérationnalité et la sécurité juridique des mesures de rétention de sûreté, je vous propose de limiter le champ de ces mesures aux seuls condamnés pour des crimes à caractère terroriste à des peines supérieures à quinze ans d'emprisonnement et de prévoir une prise en charge adaptée aux profils radicalisés.

Sur le volet administratif, je vous propose tout d'abord de maintenir le caractère obligatoire d'une autorisation judiciaire préalable pour l'ensemble des opérations d'achat effectuées par des enquêteurs sous pseudonyme, tout en aménageant les modalités de sa délivrance pour une plus grande efficacité.

Par ailleurs, un amendement vise à substituer à l'interdiction de paraître dans les transports en commun dans le cadre de la Micas, une interdiction de paraître autonome, moins attentatoire aux libertés individuelles, mais aux critères de prononcé plus souples. Vous aurez l'occasion de revenir sur la question des transports en commun dans le cadre de l'examen de la proposition de loi de notre collègue Philippe Tabarot.

Enfin, en matière de dissolution administrative des associations et des groupements de fait, je présente une disposition permettant de consacrer au niveau législatif la définition de la « provocation » énoncée par le Conseil d'État dans sa jurisprudence récente.

En matière pénale, je vous propose un amendement réécrivant l'infraction visant à réprimer la détention de contenus apologétiques, tout en veillant à la constitutionnalité de la mesure.

Pour terminer, je vous propose plusieurs mesures additionnelles en réponse à des demandes très pragmatiques formulées par les acteurs auditionnés.

La première vise à conférer un caractère suspensif au recours en appel formulé par le ministère de l'intérieur à l'encontre d'une décision d'annulation du renouvellement d'une Micas.

La deuxième vise à harmoniser les voies de recours contre les décisions d'autorisation de saisie et d'exploitation des données dans le cadre des visites domiciliaires.

La troisième vise à accroître la durée de rétention administrative applicable aux étrangers condamnés pour des infractions terroristes, y compris pour des faits d'apologie du terrorisme ou de provocation à des actes de terrorisme.

La quatrième vise à intégrer au délit d'apologie du terrorisme la diffusion de contenu apologétique sur les réseaux privés de communication lorsque son ampleur ou l'absence de communauté d'intérêts entre les destinataires permettent de l'assimiler à de l'apologie publique.

La cinquième vise à renforcer les informations communiquées sur la prise en charge d'une personne radicalisée hospitalisée sans son consentement aux préfets du lieu d'hospitalisation et du lieu domicile.

La sixième vise à introduire une obligation d'information du procureur de la République en cas de demande de changement de nom d'une personne condamnée pour des crimes à caractère terroriste.

La septième vise à prévoir l'information obligatoire de l'autorité académique et du chef d'établissement d'une mise en examen ou condamnation pour une infraction terroriste - y compris l'apologie - d'une personne scolarisée ou ayant vocation à être scolarisée dans un établissement scolaire, public ou privé.

La huitième vise à ajouter la notion d'inconduite notoire comme motif de retrait d'un sursis probatoire et d'un suivi socio-judiciaire.

La neuvième vise à instituer la commission d'une nouvelle infraction comme motif de révocation d'une mesure de surveillance judiciaire ou d'un suivi socio-judiciaire.

Face au défi du terrorisme, la commission des lois du Sénat a toujours fait preuve de responsabilité. Dès 2014, nous avons pris l'initiative de plusieurs évolutions législatives, bien plus équilibrées que celles qui émanaient de l'Assemblée nationale et ayant considérablement renforcé notre arsenal pénal antiterroriste, dans le strict respect des libertés individuelles.

Ce même état d'esprit doit aujourd'hui nous guider et nous amener à, collectivement, approuver ce texte, sous réserve des amendements proposés.

M. Francis Szpiner. - M. le rapporteur peut-il préciser la nature du dispositif relatif à la notion d'inconduite notoire ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Effectivement, cette formulation ne passera pas le barrage du Conseil constitutionnel car elle ne garantit pas la lisibilité de la loi. Il faut une définition qui tienne la route !

Mme Corinne Narassiguin. - D'une manière générale, cette proposition de loi soulève des difficultés en matière de conformité à la Constitution et d'efficacité. Hormis la volonté d'améliorer le suivi des personnes atteintes de graves troubles psychiatriques, elle présente le plus souvent des mesures attentatoires aux libertés individuelles, sachant qu'il existe déjà un arsenal législatif conséquent en la matière. Nous avons donc, au sein du groupe SER, de larges inquiétudes sur ce texte et des doutes sur son utilité. En outre, si l'objectif de garantir la sécurité en vue des jeux Olympiques et Paralympiques peut paraître louable, le risque de voir ces mesures exceptionnelles perdurer est problématique. Enfin, il conviendrait selon nous, en particulier pour les mineurs, de privilégier les mesures de déradicalisation, plus que de répression.

M. Jérôme Durain. - L'intention des auteurs de la proposition de loi est clairement de consolider un dispositif législatif, sur lequel nous revenons d'ailleurs très souvent.

J'entends les préoccupations exprimées par le rapporteur et sa volonté de concilier caractère opérationnel et respect du principe de proportionnalité pour éviter la censure du Conseil constitutionnel. Cela étant, nous ne sommes pas totalement convaincus... Il s'agit avant tout d'une tentative de recyclage de mesures déjà déclarées inconstitutionnelles, avec des dispositions dépassant le seul cadre de la lutte contre le terrorisme, s'apparentant à de la justice prédictive ou reposant sur des notions effectivement à définir, comme l'inconduite notoire.

Le texte est d'une relative ampleur, avec un nombre élevé d'amendements, ce qui traduit aussi une forme d'imprécision de la rédaction. Cela, sans compter la présence d'articles figurant déjà dans la loi sur l'immigration actuellement soumise à l'avis du Conseil constitutionnel. Dernier point, ces dispositions auraient été plus solidement étudiées si elles avaient trouvé leur place dans un texte proposé par le Gouvernement, pourquoi pas dans un texte relatif aux jeux Olympiques et Paralympiques.

M. François-Noël Buffet, président. - Pour prendre l'exemple des Micas, la dernière fois que nous avons eu à connaître de ce sujet, nous avons attiré l'attention du Gouvernement sur la nécessité de recourir à des mesures judiciaires pour sécuriser le dispositif. Le Gouvernement, n'ayant pas souhaité retenir notre proposition, a légitimement été sanctionné par le Conseil constitutionnel, ce qui a conforté la position du Sénat.

Mme Agnès Canayer. - Je souhaite apporter mon soutien au texte proposé et aux amendements du rapporteur. Dans le cadre de la mission que nous menons avec Marie-Pierre de La Gontrie, nous avons effectivement entendu les mêmes constats sur la sécurisation des jeux Olympiques et Paralympiques et le niveau des menaces, dont la première est terroriste. Tous les acteurs de la sécurité soulignent qu'il manque des outils, notamment pour le suivi des personnes radicalisées et condamnées pour terrorisme. Ce texte me semble donc répondre de manière pragmatique à une attente forte.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Comme indiqué dans l'objet de l'amendement COM-2, le procureur national antiterroriste m'a signalé qu'en l'état du droit, un individu pouvait parfaitement respecter « facialement » les obligations imposées dans le cadre d'un sursis probatoire ou d'un suivi socio-judiciaire, tout en adoptant un comportement qui, sans constituer une infraction pénale ou une violation stricto sensu de ces obligations, faisait obstacle à sa réinsertion. Il m'a suggéré, pour la rédaction, de m'inspirer des dispositions existantes en matière de semi-liberté, détention à domicile sous surveillance électronique mobile ou libération conditionnelle, ce que j'ai fait dans mon amendement visant à introduire la notion d'inconduite notoire. Je me rallierai évidemment aux éventuelles propositions faisant évoluer utilement la rédaction d'ici la séance.

M. Francis Szpiner. - Une personne fait ou ne fait pas ! En d'autres termes, il est impossible de s'appuyer sur une notion d'inconduite notoire. Indépendamment du problème constitutionnel, trente magistrats interrogés sur l'attitude d'une personne au regard de cette notion donneraient trente décisions différentes, ce qui conduit automatiquement à de l'arbitraire.

Par ailleurs, je suis globalement favorable à cette proposition de loi et j'estime qu'il est pertinent d'impliquer les juges dans notre processus décisionnel. Cela étant, quand le parquet demande que son recours soit suspensif, je ne vois pas ce qui justifie, dans l'architecture de la procédure pénale, que cette possibilité soit retenue pour l'appel d'une des parties, mais pas pour celui de l'autre. Face au terrorisme, nous devons maintenir l'État de droit. C'est notre force ; c'est notre capital moral. Avec tout le respect que je porte à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ou au parquet national antiterroriste, ils ne peuvent pas écrire la loi à notre place !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Nous parlons, je le rappelle, d'un motif de retrait d'un sursis probatoire ou d'un suivi socio-judiciaire.

M. Francis Szpiner. - Ce n'est pas rien : c'est renvoyer la personne en prison !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'appel concerné est en outre un appel interjeté par le ministère de l'intérieur dans le cadre d'une décision d'annulation, par le tribunal administratif, d'une mesure de renouvellement d'une Micas, dans un délai réduit à 72 heures. La disposition me paraît donc pertinente et équilibrée.

Par ailleurs, Je comprends les réactions de nos collègues du groupe SER. J'ai indiqué dès le début de mon intervention que nous suivions une ligne de crête : tous les acteurs, y compris les magistrats, estiment qu'il faut prendre des mesures, mais il y a un réel enjeu technique à le faire.

S'agissant de la proportionnalité, j'ai repris toutes les décisions du Conseil constitutionnel, qui présentent systématiquement les motifs d'inconstitutionnalité et indiquent sous quelles conditions une mesure retoquée pourrait être considérée comme constitutionnelle. C'est à partir de ces indications que j'ai tenté de proposer d'autres rédactions.

Nous essayons donc de trouver une voie, dans un contexte où la menace change radicalement et où nous abordons l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques avec des outils administratifs et judiciaires qui, de l'avis général, sont inadaptés, incomplets ou obsolètes.

Dans le cadre du débat en séance, je serai à l'écoute de toute proposition permettant d'améliorer la rédaction, mais je soutiens ce texte dans son économie générale.

M. François-Noël Buffet, président. - Une précision concernant la procédure d'appel à caractère suspensif : il est incontestable que cette mesure est une entrave à la liberté, mais le délai donné au président de la juridiction administrative pour rendre sa décision est de 72 heures, étant rappelé que la procédure demeure contradictoire.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Encore heureux !

M. François-Noël Buffet, président. - Je ne voudrais pas qu'on laisse entendre que la procédure mise en place empêcherait une personne de se défendre, l'objectif étant uniquement de maintenir une personne potentiellement dangereuse à la disposition de l'administration pendant ce très bref délai accordé à la justice pour statuer.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Les membres du groupe SER sont évidemment préoccupés par la lutte contre le terrorisme. Nous sommes vigilants et volontaires dans ce domaine, en particulier en matière d'accompagnement de la sortie des personnes condamnées pour ce motif. Je suggère donc, déjà, de ne pas nous intenter d'éventuels procès d'intention.

Cela étant, et je rejoins Francis Szpiner sur ce point, il faut veiller à l'équilibre des dispositifs : il ne faut basculer ni dans l'arbitraire ni dans la justice prédictive, et il ne faut pas faire n'importe quoi sous prétexte d'une inquiétude et d'un besoin véritables. Il me semble, à cet égard, qu'Agnès Canayer force un peu le trait s'agissant de l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques puisque seule la DGSI nous a transmis ce message : on ne nous a pas non plus suppliées pour avoir des dispositions supplémentaires !

Enfin, monsieur le rapporteur, il ne me semble pas avoir entendu de réponse à l'observation formulée par Jérôme Durain. Vous avez repris deux articles figurant dans le texte sur l'immigration... Anticipez-vous une censure de ces dispositions ?

C'est donc bien le respect de l'État de droit qui guidera notre positionnement sur la présente proposition de loi.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'expertise est forte au sein de cette commission et je respecte l'ensemble des positions défendues. Mais chacun essaie de trouver le chemin pertinent pour faire avancer les dossiers. Respecter l'État de droit et trouver un juste équilibre est une préoccupation partagée par tous. Enfin, s'agissant des articles identiques à ceux de la loi sur l'immigration, je vous rappelle que le texte que nous examinons aujourd'hui a été déposé le 12 décembre, soit bien avant l'issue que nous lui connaissons aujourd'hui !

M. François-Noël Buffet, président. - Nous partageons effectivement tous cet état d'esprit et, nous sommes preneurs de toute proposition nous permettant d'améliorer la notion d'inconduite notoire, dès lors que l'objectif de lutte contre le terrorisme et de garantie de la sécurité de nos concitoyens est bien partagé.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la conférence des présidents, il nous revient d'arrêter le périmètre indicatif du projet de loi. Je vous propose, mes chers collègues, d'indiquer que ce périmètre comprend les dispositions relatives aux moyens judiciaires et administratifs de lutte contre le terrorisme.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-1 tire les conséquences du bilan non concluant du déploiement de la mesure de prévention de la récidive terroriste près de deux ans après son vote au Parlement.

Trois leviers sont mis en oeuvre pour adapter la notion de dangerosité : l'abaissement du critère à un risque élevé de récidive ; la mention d'une adhésion avérée à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme, plutôt qu'une adhésion persistante ; l'introduction d'un critère alternatif pour caractériser la particulière dangerosité, en ajoutant le fait de souffrir de troubles graves de la personnalité.

L'amendement tend également à élargir l'application de la mesure aux personnes condamnées à des peines supérieures à trois ans, non plus en cas de récidive, mais dès réitération d'infractions à caractère terroriste, afin de faciliter le prononcé de la mesure de réinsertion.

Il vise à compléter les obligations susceptibles d'être prononcées dans le cadre de la mesure de sûreté créée par la proposition de loi, à la lumière des difficultés rencontrées par les juges d'application des peines. On renforce l'accompagnement médical et psychiatrique, essentiel à la prévention de la récidive, ainsi que les obligations de déclaration ou d'autorisation des condamnés dans ce cadre.

On supprime également du contenu de la proposition de loi certaines mesures, telles que l'interdiction du port d'arme, l'interdiction de paraitre en certains lieux ou d'établir sa résidence dans un lieu donné.

Enfin, dans le souci d'assurer la pleine opérationnalité de la mesure, l'amendement vise à allonger le délai d'évaluation du condamné quant à l'éligibilité d'une telle mesure de trois à six mois.

M. Francis Szpiner. - La notion de réitération est complexe sur le plan juridique. On se situe en réalité à un moment où une personne condamnée en récidive se trouve à nouveau poursuivie, mais pas encore condamnée. Ne faut-il pas plutôt écrire : « en cas de nouvelles poursuites » ?

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Cette notion a été codifiée en 2013.

M. Francis Szpiner. - Je mets néanmoins quiconque au défi d'expliquer à quoi elle correspond au regard des principes généraux du droit.

M. François-Noël Buffet, président. - La notion de « réitération », contrairement à celle de « récidive », n'impose pas qu'une condamnation pénale soit intervenue. Une personne poursuivie pour une infraction peut en commettre une nouvelle en cours de procédure, sans être encore condamnée pour la première. Nous pouvons toutefois regarder si nous trouvons une meilleure rédaction d'ici à l'examen du texte en séance.

L'amendement COM-1 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 1er

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - S'agissant de l'amendement COM-2, je vous renvoie au débat que nous venons d'avoir sur la notion d'inconduite notoire. Je suis ouvert à toute amélioration de la rédaction.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Avant même de savoir comment on pourrait l'écrire, je voudrais bien savoir de quoi on parle ! Il ne nous revient pas de vous proposer une rédaction. Laissez la formule et nous saisirons le Conseil constitutionnel...

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Je le rappelle, nous visons des personnes qui, en apparence, respectent le cadre, mais dont on a la preuve qu'elles diffusent par derrière du contenu à caractère terroriste ou consultent des sites djihadistes.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Nous voterons contre cet amendement.

L'amendement COM-2 est adopté et devient article additionnel.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-3 a pour objet d'instituer la commission d'une nouvelle infraction comme motif de révocation d'une mesure de surveillance judiciaire ou d'un suivi socio-judiciaire. Il est proposé d'aligner le régime existant sur le régime applicable à la révocation des mesures de semi-liberté, détention à domicile sous surveillance électronique mobile ou libération conditionnelle.

L'amendement COM-3 est adopté et devient article additionnel.

Article 2

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-4 vise à restreindre l'application de la mesure de rétention de sûreté en l'absence de troubles psychiatriques aux personnes condamnées à des peines supérieures à quinze ans d'emprisonnement, ou dix ans en cas de récidive, pour les seuls crimes terroristes.

L'amendement COM-4 est adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 3

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Outre une correction d'erreur matérielle, l'amendement COM-5, par cohérence avec l'élévation de la durée de placement en détention provisoire des mineurs de moins de seize ans, tend à relever également la durée maximale pour les mineurs de plus de seize ans.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Cette élévation de la durée maximale de placement en détention provisoire s'applique bien en matière criminelle pour les mineurs ?

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Je vous le confirme.

L'amendement COM-5 est adopté.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 4

L'amendement de clarification COM-6 est adopté.

L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 5

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Le dispositif expérimental permettant au juge des enfants, si la protection de l'enfant l'exige, de prononcer de manière cumulative son placement auprès du service départemental de l'aide sociale à l'enfance et de la protection judiciaire de la jeunesse a déjà été pérennisé. L'amendement COM-7 vise donc à supprimer cet article superfétatoire.

L'amendement COM-7 est adopté.

L'article 5 est supprimé.

Article 6

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Afin de tirer les conséquences d'une censure par le Conseil constitutionnel, l'amendement COM-8 a pour objet de maintenir le caractère obligatoire d'une autorisation judiciaire préalable pour l'ensemble des opérations d'achat ou de transmission effectuées sous pseudonyme, tout en assouplissant la procédure lorsque les produits sont licites.

L'amendement COM-8 est adopté.

L'article 6 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 7

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-11 vise à substituer à la rédaction de la proposition de loi, superfétatoire, visant à introduire un régime d'interdiction de paraître dans les transports en commun dans le cadre des Micas, une nouvelle mesure administrative autonome d'interdiction de paraître pour les grands évènements. Cela nous paraît plus équilibré.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Dans la rédaction proposée, où figure précisément la mention d'une limitation aux grands événements ?

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Il est fait mention d'« une interdiction de paraître dans un ou plusieurs lieux déterminés dans lesquels se tient un événement exposé, par son ampleur ou ses circonstances particulières, à un risque de menace grave ou terroriste ». C'est une rédaction que nous avions déjà retenue dans de précédents textes concernant les jeux Olympiques et Paralympiques.

L'amendement COM-11 est adopté.

L'article 7 est ainsi rédigé.

Après l'article 7

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-12 concerne le caractère suspensif de l'appel interjeté par le ministère de l'intérieur à l'encontre d'un jugement d'annulation. Nous avons déjà débattu du sujet.

L'amendement COM-12 est adopté et devient article additionnel.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-9 vise à corriger une malfaçon de la loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement, dite « PATR », en prévoyant explicitement une voie de recours à l'encontre de la décision du juge des libertés et de la détention du refus d'exploitation de documents et données saisies dans le cadre d'une visite domiciliaire.

L'amendement COM-9 est adopté et devient article additionnel.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-10 tend à renforcer les informations communiquées quant à la prise en charge d'une personne radicalisée hospitalisée sans son consentement aux préfets du lieu d'hospitalisation et du lieu de domicile.

Il paraît effectivement indispensable de permettre au préfet du lieu d'hospitalisation, d'une part, d'informer les autres préfets et services de renseignement de la levée d'une mesure d'hospitalisation et, d'autre part, d'être informé des évolutions de la prise en charge de la personne.

L'amendement COM-10 est adopté et devient article additionnel.

Article 8

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-13 a un double objet, dont le premier est de consacrer au niveau législatif la définition de « provocation » justifiant la dissolution d'une association ou d'un groupement de fait. Comme je l'ai expliqué précédemment, nous reprenons in extenso la jurisprudence du Conseil d'État. Deuxièmement, il crée un régime de dévolution des biens des associations dissoutes.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Pour nous, cet amendement n'entre pas dans le périmètre de l'article 45 : il ne s'inscrit pas dans la lutte antiterroriste.

M. Francis Szpiner. - Le sujet est bien au coeur de la lutte antiterroriste. Il n'y a qu'à voir le nombre d'associations finançant le terrorisme !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ma remarque concerne la rédaction de l'amendement. Si l'objectif est celui-là, il faut l'écrire.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Le régime de dissolution administrative des associations ou groupements de fait est l'objet même de l'article 8.

L'amendement COM-13 est adopté.

L'article 8 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Articles 9 et 10

Les articles 9 et 10 sont adoptés sans modification.

Après l'article 10

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Au sujet de l'amendement COM-14, je rappelle à Marie-Pierre de La Gontrie que le texte initial de la proposition de loi a été déposé en décembre, avant même l'adoption de la motion de rejet sur le projet de loi sur l'immigration à l'Assemblée nationale. Celui-ci était donc loin d'être voté.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Cela ne vous empêchait en rien de déposer, parmi vos amendements, un amendement de suppression des articles votés dans le cadre du projet de loi sur l'immigration.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Nous aurions tenu compte de la décision du Conseil constitutionnel si elle était déjà rendue. Cela ne se fera que dans quelques jours et nous pouvons toujours intervenir le cas échéant sur la présente proposition de loi dans la suite de la navette.

Nous proposons ici une extension de la possibilité de prolonger jusqu'à 210 jours la rétention administrative d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'expulsion édictée en raison d'une provocation directe à des actes de terrorismes ou de leur apologie pénalement constatée. Ce faisant, nous reprenons un amendement adopté par nos collègues députés dans le cadre de l'examen du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, mais n'ayant pas pu être retenu du fait de l'application de la règle de l'entonnoir.

L'amendement COM-14 est adopté et devient article additionnel.

Article 11

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-15 vise à corriger les effets de la censure par le Conseil constitutionnel du délit de recel d'apologie du terrorisme, qui est une création jurisprudentielle. Nous proposons d'en restreindre le champ d'application par deux moyens : l'instauration d'un critère de gravité particulièrement restreint et l'introduction, à la différence du délit de recel d'apologie, d'un élément intentionnel dans la caractérisation de ce nouveau délit.

L'amendement COM-15 est adopté.

L'article 11 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 11

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Comme dans d'autres domaines, nous proposons avec l'amendement COM-16 que l'on puisse, en fonction de critères précis, assimiler un groupe sur un réseau privé à un groupe sur un réseau public pour caractériser le délit d'apologie du terrorisme.

L'amendement COM-16 est adopté et devient article additionnel.

Article 12

L'article 12 est adopté sans modification.

Article 13

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Le procureur national antiterroriste nous indique que la mesure présentée à l'article 13 risque d'entraîner des effets de bord dommageables, conduisant à un résultat opposé à l'objectif visé. D'où l'amendement COM-17 de suppression.

L'amendement COM-17 est adopté.

L'article 13 est supprimé.

Article 14

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Le projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique en étant encore au stade de la CMP, nous reprenons, à travers l'amendement COM-18, les dispositions qu'il contient en matière de bannissement numérique.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Comme précédemment, nous observons que cet amendement n'entre pas dans le périmètre de l'article 45.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - Seules les infractions terroristes commises en ligne sont concernées.

M. François-Noël Buffet, président. - Gardons en tête que le présent texte porte uniquement sur la lutte contre le terrorisme. Rien d'autre !

L'amendement COM-18 est adopté.

L'article 14 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 15

L'article 15 est adopté sans modification.

Après l'article 15

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-19 vise à empêcher le dévoiement de la procédure simplifiée de changement de nom par des condamnés terroristes.

L'amendement COM-19 est adopté et devient article additionnel.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. - L'amendement COM-20 concerne les mineurs radicalisés mis en cause pour des faits de terrorisme sur le sol national. Sur le modèle des dispositions existantes pour les crimes ou délits à caractère sexuels, il prévoit l'information obligatoire de l'autorité académique et du chef d'établissement d'une mise en examen ou d'une condamnation.

L'amendement COM-20 est adopté et devient article additionnel.

Article 16

L'article 16 est adopté sans modification.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er

M. DAUBRESSE, rapporteur

1

Création d'une mesure de sûreté aux critères de prononcés et aux obligations adaptés aux profils des condamnés terroristes 

Adopté

Article(s) additionnel(s) après l'article 1er

M. DAUBRESSE, rapporteur

2

Introduire la notion « d'inconduite notoire » comme motif de révocation d'un sursis probatoire et d'un suivi socio-judiciaire

Adopté

M. DAUBRESSE, rapporteur

3

Ajouter dans les motifs de révocation de la surveillance judiciaire et du suivi socio-judiciaire la commission d'une nouvelle infraction 

Adopté

Article 2

M. DAUBRESSE, rapporteur

4

Encadrement du champ d'application de la rétention de sûreté et clarification des finalités de la mesure

Adopté

Article 3

M. DAUBRESSE, rapporteur

5

Articulation des mesures de sûreté pré-sentencielle des mineurs en moins de seize ans et de plus de seize ans

Adopté

Article 4

M. DAUBRESSE, rapporteur

6

Clarification rédactionnelle

Adopté

Article 5

M. DAUBRESSE, rapporteur

7

Suppression d'article

Adopté

Article 6

M. DAUBRESSE, rapporteur

8

Réintroduction d'une autorisation a priori pour acquérir tout produit par les enquêteurs sous pseudonyme, associée à une possibilité d'obtenir une autorisation par catégorie de produit d'une durée de 48 heures 

Adopté

Article 7

M. DAUBRESSE, rapporteur

11

Introduction d'une nouvelle mesure administrative, autonome et autoportée, d'interdiction de paraitre pour les grands évènements

Adopté

Article(s) additionnel(s) après l'article 7

M. DAUBRESSE, rapporteur

12

Introduction du caractère suspensif de l'appel interjeté par le ministère de l'intérieur à l'encontre du jugement d'annulation du renouvellement d'une Micas

Adopté

M. DAUBRESSE, rapporteur

9

Harmonisation des voies de recours existantes contre les décisions de saisie et d'exploitation des données dans le cadre d'une visite domiciliaire

Adopté

M. DAUBRESSE, rapporteur

10

Renforcer les informations communiquées quant à la prise en charge d'une personne radicalisée hospitalisée sans son consentement aux préfets du lieu d'hospitalisation et du lieu domicile

Adopté

Article 8

M. DAUBRESSE, rapporteur

13

Consolidation de la définition de la "provocation" comme motif de dissolution d'un groupement ou d'une association et institution d'un régime de dévolution des biens des associations ayant fait l'objet d'une dissolution

Adopté

Article(s) additionnel(s) après l'article 10

M. DAUBRESSE, rapporteur

14

Prolongation jusqu'à 210 jours la rétention administrative d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'expulsion édictée en raison d'une provocation directe à des actes de terrorismes ou de leur apologie

Adopté

Article 11

M. DAUBRESSE, rapporteur

15

Restriction du champ d'application du nouveau délit de détention de contenus exhibant des crimes terroristes

Adopté

Article(s) additionnel(s) après l'article 11

M. DAUBRESSE, rapporteur

16

Étendre le délit d'apologie du terrorisme à la diffusion de contenu sur les réseaux privés

Adopté

Article 13

M. DAUBRESSE, rapporteur

17

Suppression d'article

Adopté

Article 14

M. DAUBRESSE, rapporteur

18

Harmonisation de la rédaction avec celle du projet de loi dit "SREN"

Adopté

Article(s) additionnel(s) après l'article 15

M. DAUBRESSE, rapporteur

19

Rendre obligatoire l'information du procureur de la république en cas de demande par un condamné à un crime terroriste de changement de nom

Adopté

M. DAUBRESSE, rapporteur

20

Introduction d'une information obligatoire de l'autorité académique et du chef d'établissement en cas de mise en examen ou condamnation pour des faits de terrorisme

Adopté

La réunion suspendue à 11 h 25, est reprise à 11 h 30.

Proposition de nomination de Mme Marie-Laure Denis par le Président de la République aux fonctions de présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés - Communication (sera publié ultérieurement)

Le compte rendu sera publié ultérieurement.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de Mme Marie-Laure Denis, candidate proposée par le Président de la République aux fonctions de présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés(sera publié ultérieurement)

Le compte rendu sera publié ultérieurement.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

Vote sur la proposition de nomination par le Président de la République de Mme Marie-Laure Denis aux fonctions de présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés(sera publié ultérieurement)

Le compte rendu sera publié ultérieurement.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

Dépouillement sur la proposition de nomination par le Président de la République de Mme Marie-Laure Denis aux fonctions de présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés(sera publié ultérieurement)

Le compte rendu sera publié ultérieurement.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion suspendue à 12 h 35, est reprise à 14 h 05.

- Présidence de M. Christophe-André Frassa, vice-président -

Proposition de loi tendant à améliorer la lisibilité du droit applicable aux collectivités locales - Procédure de législation en commission - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Christophe-André Frassa, président. - Nous examinons, selon la procédure de législation en commission, la proposition de loi tendant à améliorer la lisibilité du droit applicable aux collectivités locales.

M. Vincent Delahaye, auteur de la proposition de loi. - Il s'agit de la troisième proposition de loi dite Balai, c'est-à-dire issue du bureau d'abrogation des lois anciennes et inutiles. Nous avions entamé le travail de ce bureau par les textes historiques, en deux phases - de 1800 à 1940 puis de 1940 à 1980 -, et nous passons maintenant aux textes sectoriels, ici concernant les collectivités territoriales. Nous n'avons pas seulement cherché à supprimer des textes obsolètes, mais aussi à codifier certaines dispositions et à consacrer certaines jurisprudences. Nous y avons beaucoup travaillé, comme d'ailleurs le Conseil d'État. Ce dernier nous a ouvert les yeux sur un certain nombre de points, notamment sur les difficultés que pourrait emporter la codification, et donc la généralisation, de jurisprudences concernant des cas spécifiques, ce qui nous a conduits à y renoncer.

Nous devons maintenant réfléchir à la manière de sécuriser ce processus : si je partage les remarques du Conseil d'État comme les amendements de la rapporteure, il me semble que nous avons atteint les limites du travail tel que nous souhaitions le mener. Peut-être devrions-nous revenir sur l'historique, en nous penchant dans le détail sur les textes dont une ou deux dispositions peuvent être encore pertinentes ? Nous pourrions également travailler de manière thématique en nous attachant aux sujets abordés par de nouveaux projets de loi. Ainsi, nous attendons un texte sur le logement, qui pourrait être l'occasion d'entamer un tel processus.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - Nous voici réunis, pour la troisième fois depuis 2019, pour examiner un texte issu des travaux du bureau d'abrogation des lois anciennes et inutiles, créé en janvier 2018 par le Bureau du Sénat.

Lors de l'examen de la première loi « Balai », en 2019, que je rapportais déjà, j'avais fait le triste constat de l'actualité du propos de Montaigne, déplorant dans ses Essais, en 1580, que nous ayons « en France plus de lois que le reste du monde ensemble et plus qu'il n'en faudrait à régler tous les mondes d'Épicure ».

Depuis lors, la quantité de normes que les Français doivent appliquer est, malgré l'opiniâtreté de notre collègue Vincent Delahaye et le soutien constant de notre commission, toujours croissante. En 2023, d'après le décompte du secrétariat général du Gouvernement, 347 017 articles étaient en vigueur, appartenant pour un quart au domaine législatif et aux trois quarts au domaine réglementaire, soit 27 000 de plus que lors de la présentation de mon rapport sur la loi Balai I, en 2019, il y a pourtant moins de cinq ans.

Or la complexité de notre droit égare souvent les administrés et bride parfois les initiatives des acteurs économiques et des collectivités territoriales. Le Conseil constitutionnel a reconnu l'importance de cet enjeu en élevant au rang constitutionnel les principes d'intelligibilité, de clarté et d'accessibilité de la loi.

Cosignée par quatre-vingt-dix collègues, dont je fais partie, issus de cinq des groupes politiques représentés au Sénat, la proposition de loi de notre collègue Vincent Delahaye est l'une des traductions de la volonté du Sénat d'oeuvrer en faveur de la qualité du droit. Elle est, à ce titre, dans la continuité des deux précédentes lois « Balai », promulguées respectivement en 2019 et en 2022 à la suite d'initiatives sénatoriales. Elles répondaient à une logique chronologique : la loi Balai I a procédé à l'abrogation de quarante-huit lois jugées obsolètes adoptées entre 1819 et 1940, tandis que la loi Balai II a abrogé 115 lois adoptées entre 1941 et 1980.

Bien que s'inscrivant dans la même démarche et poursuivant le même objectif de lisibilité et de clarté du droit que les deux précédentes, la présente proposition de loi Balai III en diffère par sa logique sectorielle et par l'ampleur du spectre des modifications qu'elle tend à apporter au droit en vigueur. Elle cible le droit des collectivités territoriales et l'étendue chronologique des modifications apportées au droit en vigueur est large : elle débute en 1942, et touche à des articles parfois très récents, comme les articles 55 et 58 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (Agec).

Ce texte se démarque aussi par l'ampleur et la nature des modifications qu'il apporte au droit en vigueur. Il comporte dix-neuf articles, et son seul article 15 abroge soixante-huit lois ou articles de loi encore en vigueur et jugés obsolètes. De plus, alors que les lois Balai I et II n'ont procédé qu'à l'abrogation de lois obsolètes, la présente proposition de loi a également pour objet de codifier des articles figurant actuellement dans des lois ordinaires - articles 1er à 12 - ; d'abroger des articles du code général des collectivités territoriales - article 13 - ; et de procéder à des corrections de mentions erronées ou devenues obsolètes au sein d'articles de loi ou de codes encore en vigueur - articles 14, 16 et 17 à 19.

Au total, telle que déposée, cette proposition de loi visait à actualiser ou supprimer plus de 150 articles issus de vingt codes différents, auxquels s'ajoutent les 68 lois précitées.

Je ne reviendrai pas sur les effets néfastes d'un droit trop complexe, peu lisible, sédimenté, voire contradictoire : de très nombreux rapports, dont celui que j'ai produit en 2019, ont sonné l'alerte sur la nécessité de veiller à l'articulation des dispositifs nouveaux avec les précédents. À ce titre, je formule le voeu que la démarche que porte ce texte soit systématisée : lors de chaque texte, à chaque création d'une norme, nous devons avoir le réflexe de chercher à identifier s'il ne convient pas, en parallèle, d'abroger une norme antérieure qui serait de facto rendue caduque par la nouvelle.

Le risque présenté par une telle opération Balai est cependant d'abroger par erreur un texte d'apparence obsolète, mais qui constituerait toujours, en réalité, le fondement légal d'un acte ou d'une situation actuels. Rupture dans le paiement d'une pension, nullité d'un acte, mise en oeuvre de la responsabilité de l'État du fait des lois, adoption d'une loi de validation, etc., les conséquences d'une abrogation accidentelle peuvent être particulièrement lourdes et préjudiciables. C'est la raison pour laquelle je me suis astreinte à la plus grande rigueur et à la plus grande prudence lors de l'examen des mesures d'abrogation suggérées par cette proposition de loi, le doute sur les conséquences juridiques concrètes me conduisant toujours à vous inviter à renoncer à l'abrogation d'un texte.

Pour rappel, suivant cette position, lors de l'examen de la loi Balai II, nous avions supprimé approximativement un tiers des abrogations proposées dans le texte initial, aboutissant à l'abrogation de 115 lois, au lieu de 160. Pour déterminer notre position sur le présent texte, je vous propose de maintenir la même ligne directrice, considérant que le bénéfice d'une abrogation en termes de lisibilité du droit est inférieur à l'instabilité juridique que celle-ci pourrait emporter en cas de doute quant à la persistance de ses effets. En outre, j'ai estimé que ce texte ne devait procéder qu'à droit constant : les modifications de fond nécessitent un débat dédié qui ne peut avoir lieu dans le cadre d'un texte ayant pour objet principal de supprimer des dispositions désuètes ou de corriger des références obsolètes ou erronées. Je précise, par ailleurs, par souci de transparence, que j'ai conduit mes travaux sur la base de l'avis que le Conseil d'État a rendu sur la proposition de loi initiale, et en étroite collaboration avec les administrations centrales concernées, afin d'aboutir à un texte qui, j'en forme le voeu, évitera tout effet indésirable et atteindra pleinement son objectif d'amélioration du droit applicable aux collectivités territoriales.

Suivant la position ainsi énoncée, je vous proposerai dans quelques minutes l'adoption de quarante-trois amendements.

Ces amendements, qui tendent tous à oeuvrer à droit constant, sont de trois natures.

Une partie d'entre eux visent à compléter la démarche engagée par les auteurs de la proposition de loi, en ajoutant de nouvelles abrogations de dispositions caduques ou en procédant à de nouvelles corrections de références erronées. Conformément au périmètre que je viens de présenter, toutes ces dispositions concernent bien uniquement le droit applicable aux collectivités territoriales.

Certains d'entre eux sont issus de l'identification de coordinations manquantes ou de difficultés légistiques qui résultent des modifications et abrogations apportées par la proposition de loi. Il serait en effet fort déplorable qu'un texte d'amélioration du droit introduise par inadvertance de nouvelles inexactitudes !

Enfin, une part significative des amendements que je vous propose vise à revenir sur des abrogations, codifications ou corrections présentes dans la proposition de loi initiale, dès lors que celles-ci sont apparues déjà satisfaites, que le caractère obsolète du dispositif n'était pas suffisamment évident ou que la codification proposée risquait d'envoyer un signal contraire à l'intention initiale de simplification et de clarté du droit.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. - Le 16 mars 2023, j'ai signé, avec le président Gérard Larcher et la présidente de la délégation aux collectivités territoriales, Françoise Gatel, une charte pour la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales. De ce point de vue, ce texte, issu de l'énorme travail de Vincent Delahaye et de la ténacité de la rapporteure Nathalie Delattre, va dans le bon sens.

Madame la rapporteure, vous n'avez pas repris l'ensemble des suggestions du Conseil d'État, mais nous sommes en accord avec la totalité de celles que vous avez reprises. J'ai donc le plaisir d'émettre un avis favorable à l'adoption de ce texte, en saluant sa cohérence avec les engagements pris, l'oeuvre immense que représente la simplification législative et la qualité du dialogue entre nous sur ce sujet.

Mme Audrey Linkenheld. - Nous avons procédé à une analyse de ce texte et nous partageons les remarques qui viennent d'être faites. Nous avons déposé quelques amendements, rejoignant ceux de la rapporteure ou reprenant des préconisations de l'avis du Conseil d'État qui n'avaient pas été suivies par l'auteur de la proposition de loi ou par la rapporteure. Nous soutenons ce travail de simplification, que les collectivités territoriales attendent sinon avec impatience, du moins avec intérêt.

M. Christophe-André Frassa, président. - Il me revient, avant d'examiner les amendements, de vous indiquer le périmètre de la proposition de loi pour l'application des irrecevabilités prévues par l'article 45 de la Constitution. Je vous propose de considérer que celui-ci inclut les dispositions relatives à la codification de dispositifs législatifs concernant le droit des collectivités territoriales ; à l'abrogation de dispositions concernant le droit des collectivités territoriales et pouvant être considérées comme obsolètes ; à la suppression, la correction ou l'actualisation de références erronées ou abrogées au sein d'articles de code ou d'articles de loi.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES SELON LA PROCÉDURE DE LÉGISLATION EN COMMISSION

Titre Ier : Codification de dispositions relatives aux collectivités locales 

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-16 vise à modifier l'intitulé du titre Ier pour remplacer l'expression « collectivités locales » par la dénomination constitutionnelle « collectivités territoriales ».

M. Christophe Béchu, ministre. - Je le dis d'emblée : le Gouvernement est favorable à l'ensemble des amendements déposés par la rapporteure.

L'amendement COM-16 est adopté.

L'intitulé du titre Ier est ainsi modifié.

Chapitre Ier : Dispositions relatives à l'organisation et au fonctionnement des collectivités locales et à leurs relations avec l'État

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-17 vise également à remplacer « locales » par « territoriales » dans l'intitulé de ce chapitre.

L'amendement COM-17, accepté par le Gouvernement, est adopté.

L'intitulé du chapitre Ier est ainsi modifié.

Article 1er

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-20 vise à actualiser la référence au « versement transport » en remplaçant cette expression par « versement mobilité ».

L'amendement COM-20, accepté par le Gouvernement, est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

L'article 2 est adopté sans modification.

Article 3

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - Les amendements identiques COM-37 et COM-42 visent à supprimer l'article 3, le Conseil d'État et la direction générale des collectivités locales (DGCL) considérant que la codification qu'il contient est trop complexe.

Mme Audrey Linkenheld. - En outre, il manque un élément dans la rédaction de l'article.

Les amendements identiques COM-37 et COM-42, acceptés par le Gouvernement, sont adoptés.

L'article 3 est supprimé.

Article 4

L'article 4 est adopté sans modification.

Article 5

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-21 vise à supprimer cet article, dont les dispositions ont été jugées dénuées de portée législative, voire contraires à la Constitution, par le Conseil d'État.

L'amendement COM-21, accepté par le Gouvernement, est adopté.

L'article 5 est supprimé.

Article 6

L'article 6 est adopté sans modification.

Article 7

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-22 rectifié tend à modifier la codification à laquelle procède l'article 7 sur deux points. D'une part, il prend en compte le fait que la codification proposée concernant l'éligibilité des communes de Nouvelle-Calédonie à la dotation pour les titres sécurisés a déjà été réalisée par la loi de finances pour 2024 ; d'autre part, il codifie l'éligibilité des circonscriptions territoriales de Wallis-et-Futuna au sein du code général des collectivités territoriales plutôt que dans la loi de 1961 portant statut des îles de Wallis et Futuna.

L'amendement COM-22 rectifié, accepté par le Gouvernement, est adopté.

L'article 7 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 8

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-1 vise à supprimer cet article, parce que l'article 58 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite loi Agec, qu'il tend à codifier, est identifié par les acteurs de la commande publique comme tel et qu'un travail important de communication et de formation a été mené ces dernières années autour des obligations qu'il porte. Son déplacement, et donc sa renumérotation, risque ainsi de perturber ce résultat. Par ailleurs, son déplacement au sein du code général de la propriété des personnes publiques ou au sein du code de la commande publique a fait l'objet de fortes réserves de la part du Conseil d'État comme de la direction des affaires juridiques du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

L'amendement COM-1, accepté par le Gouvernement, est adopté.

L'article 8 est supprimé.

Chapitre II : Dispositions relatives aux contrats des collectivités locales

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-18 vise à remplacer « locales » par « territoriales » dans l'intitulé du chapitre II.

L'amendement COM-18, accepté par le Gouvernement, est adopté.

L'intitulé du chapitre II est ainsi modifié.

Article 9

L'article 9 est adopté sans modification.

Article 10

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-2 vise à supprimer l'article 10, en cohérence avec la suppression de l'article 8, les deux articles codifiant des dispositions de la loi Agec.

L'amendement COM-2, accepté par le Gouvernement, est adopté.

L'article 10 est supprimé.

Chapitre III : Dispositions relatives aux sociétés auxquelles participent les collectivités locales

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-57 vise à remplacer « locales » par « territoriales » dans l'intitulé du chapitre III.

L'amendement COM-57, accepté par le Gouvernement, est adopté.

L'intitulé du chapitre III est ainsi modifié.

Article 11

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-3 est rédactionnel.

L'amendement COM-3, accepté par le Gouvernement, est adopté.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - Je suis favorable aux amendements COM-53, COM-55 et COM-56, qui s'inscrivent dans la démarche de correction des erreurs de référencement que porte la présente proposition de loi. Ils visent à intégrer les sociétés publiques locales, créées en 2010, et les sociétés d'économie mixte à opération unique, créées en 2014, parmi les dispositifs qui régissent de façon générale les sociétés d'économie mixte locales. Leur non-intégration actuelle semble davantage résulter d'une inadvertance du législateur que d'une volonté de les en exclure.

M. Christophe Béchu, ministre. - L'avis du Gouvernement est favorable sur les amendements COM-53 et COM-55 ; je m'en remets à la sagesse de la commission sur l'amendement COM-56.

Mme Audrey Linkenheld. - Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain considère que ces amendements tendent à opérer des modifications de fond et n'entrent donc pas dans le périmètre de la loi. Nous voterons contre.

Les amendements COM-53, COM-55 et COM-56 sont adoptés.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'avis est défavorable, en revanche, sur l'amendement COM-54, dont l'adoption aurait pour conséquence d'étendre le champ de compétence des sociétés publiques locales. En effet, « l'harmonisation » qui y est proposée n'oeuvre pas à droit constant et, contrairement aux trois amendements précédents, ne corrige aucune erreur. Il n'a donc pas sa place dans ce texte.

M. Christophe Béchu, ministre. - Le Gouvernement partage l'avis de la rapporteure.

L'amendement COM-54 n'est pas adopté.

L'article 11 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 12

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-35 tend à supprimer l'article 12, lequel procède à la codification d'un dispositif obsolète.

L'amendement COM-35, accepté par le Gouvernement, est adopté.

L'article 12 est supprimé.

Titre II : Abrogation et suppression de dispositions relatives aux collectivités locales devenues obsolètes

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-58 vise à remplacer « locales » par « territoriales » dans l'intitulé du titre II.

L'amendement COM-58, accepté par le Gouvernement, est adopté.

L'intitulé du titre II est ainsi modifié.

Article 13

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-4 vise à supprimer quatre références qui ont déjà été abrogées au cours des derniers mois.

L'amendement COM-43, présenté par nos collègues du groupe SER, me semble moins complet, n'en supprimant que deux. Je demande donc le retrait de cet amendement au profit de l'amendement COM-4.

M. Christophe Béchu, ministre. - Je souscris à l'appréciation de la rapporteure et je demande le retrait de l'amendement COM-43.

L'amendement COM-4, accepté par le Gouvernement, est adopté. En conséquence, l'amendement COM-43 devient sans objet.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-34 tend à abroger sept articles ou parties d'articles du code général des collectivités territoriales, dont le caractère obsolète ne présente aucun doute.

L'amendement COM-34, accepté par le Gouvernement, est adopté.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-5 vise à abroger une mesure ponctuelle qui ne produit plus aucun effet juridique aujourd'hui.

L'amendement COM-5, accepté par le Gouvernement, est adopté.

Mme Audrey Linkenheld. - L'amendement COM-44 vise à opérer une correction légistique.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - La modification proposée est toutefois erronée : conformément aux conventions légistiques, les alinéas qui apparaissent sur Légifrance comme abrogés ne sont pas comptabilisés dans le décompte des alinéas.

Mme Audrey Linkenheld. - Je retire donc cet amendement.

L'amendement COM-44 est retiré.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-6 tend à procéder à une coordination spécifique à Mayotte, qui résulte des abrogations portées par cet article.

L'amendement COM-6, accepté par le Gouvernement, est adopté.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-7 a pour objet de maintenir l'avis du Gouvernement de Polynésie française et du conseil d'administration du service d'incendie et de secours sur le règlement opérationnel organisant le commandement des opérations de secours en Polynésie française, dans le cas où le haut-commissaire de la République le mettrait à jour.

L'amendement COM-7, accepté par le Gouvernement, est adopté.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-8 rectifié procède à une coordination légistique rendue nécessaire par la suppression du troisième alinéa de l'article L. 3334-4 du code général des collectivités territoriales.

L'amendement COM-8 rectifié, accepté par le Gouvernement, est adopté.

L'article 13 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 14

L'article 14 est adopté sans modification.

Article 15

Mme Audrey Linkenheld. - L'amendement COM-45 vise à corriger une erreur : il nous est proposé d'abroger une loi qui l'a déjà été par la loi du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - Merci de votre vigilance ! Le Conseil d'État indique que l'abrogation de lois déjà abrogées ne pose aucune difficulté, mais une nouvelle abrogation de cette loi ne paraît en effet pas nécessaire. Avis favorable.

M. Christophe Béchu, ministre. - Même avis.

L'amendement COM-45 est adopté.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-33 rectifié tend à écarter l'abrogation de certaines dispositions législatives dont le caractère obsolète n'est pas certain.

Mme Audrey Linkenheld. - L'amendement COM-46 vise à supprimer l'abrogation de l'article 50 de la loi du 6 janvier 1986 adaptant la législation sanitaire et sociale aux transferts de compétences en matière d'aide sociale et de santé, lequel ne nous semble pas obsolète. Les collectivités ne l'ont, certes, jamais utilisé, mais elles pourraient encore souhaiter le faire. Nous proposons donc de le maintenir.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - Je suis tout à fait d'accord avec cette affirmation et c'est pour cette raison que j'ai écarté l'abrogation de l'article 50 dans l'amendement COM-33 rectifié que je viens de vous présenter. Par ailleurs, j'ai également écarté l'abrogation des articles 68, 75 et 79, conformément aux préconisations du Conseil d'État.

En revanche, les autres articles de la loi de 1986 sont tous obsolètes et peuvent être abrogés sans difficulté.

L'avis est donc défavorable sur les amendements COM-46 et COM-51.

M. Christophe Béchu, ministre. - Même avis.

L'amendement COM-33 rectifié, accepté par le Gouvernement, est adopté. En conséquence, les amendements COM-46 et COM-51 deviennent sans objet.

Mme Audrey Linkenheld. - L'amendement COM-47 vise, par cohérence, à abroger l'article 113 de la loi Deferre, qui paraît manifestement obsolète.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - Cet article est effectivement obsolète : il fait référence à des dispositions abrogées du code général des impôts et mentionne les établissements publics régionaux, qui n'existent plus. Il peut donc être abrogé sans difficulté. Avis favorable.

M. Christophe Béchu, ministre. - Le Gouvernement partage l'avis de la rapporteure.

L'amendement COM-47 est adopté.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-32 rectifié vise à abroger des dispositions législatives codifiées par la présente proposition de loi.

L'amendement COM-32 rectifié, accepté par le Gouvernement, est adopté.

Les amendements COM-48, COM-49 et COM-50 sont déclarés irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution.

L'article 15 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 16

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-38 tend à supprimer l'article 16, qui procède à des mesures de coordination. Celles-ci ne sont plus nécessaires compte tenu des amendements adoptés à l'article 15.

L'amendement COM-38, accepté par le Gouvernement, est adopté.

L'article 16 est supprimé.

Article 17

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-39 vise à supprimer le 1° de l'article 17, car cet alinéa prévoyait de supprimer une phrase dont le caractère obsolète n'est pas avéré.

L'amendement COM-39, accepté par le Gouvernement, est adopté.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-23 vise à corriger un renvoi.

L'amendement COM-23, accepté par le Gouvernement, est adopté.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-30 vise à supprimer plusieurs alinéas procédant à des corrections de renvois qui ont, entretemps, été effectuées par la direction de l'information légale et administrative (Dila).

L'amendement COM-30, accepté par le Gouvernement, est adopté.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-24 vise à apporter une actualisation terminologique.

L'amendement COM-24, accepté par le Gouvernement, est adopté.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-26 tend à supprimer un alinéa, qui comportait une modification jugée inopportune par le Conseil d'État et risquant de porter atteinte à la sécurité juridique du texte.

L'amendement COM-26, accepté par le Gouvernement, est adopté.

L'amendement de coordination rédactionnelle COM-29 rectifié, accepté par le Gouvernement, est adopté.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-27 vise également à supprimer un alinéa de l'article 17. Le Conseil d'État a jugé que la modification proposée était susceptible de porter atteinte à la lisibilité des règles applicables et pourrait avoir des conséquences juridiques difficiles à anticiper.

L'amendement COM-27, accepté par le Gouvernement, est adopté, de même que l'amendement COM-28.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - Comme je le mentionnais précédemment, j'ai saisi la Dila pour qu'elle fasse apparaître sur Légifrance des corrections déjà mises en oeuvre par le législateur. Il s'est avéré que certaines corrections étaient incomplètes par rapport à celles qui figuraient dans la proposition de loi. L'amendement COM-31 rectifié vise donc à modifier plusieurs alinéas de l'article 17 afin de prendre en compte ces corrections partielles.

L'amendement COM-31 rectifié, accepté par le Gouvernement, est adopté.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-25 vise à apporter une correction légistique. Quant à l'amendement COM-40 rectifié, il tend à abroger des articles devenus obsolètes.

Les amendements COM-25 et COM-40 rectifié, acceptés par le Gouvernement, sont adoptés.

L'article 17 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 18

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-9 rectifié vise à mettre en oeuvre une partie des préconisations formulées par le Conseil d'État concernant l'article 18 dans son avis du 25 mai 2023. Il a principalement pour effet de corriger des références imprécises ou erronées, ou de maintenir en vigueur des dispositions dont le caractère obsolète n'est pas avéré.

L'amendement COM-9 rectifié, accepté par le Gouvernement, est adopté.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-41 a pour objet de mettre en oeuvre les remarques que m'a transmises la direction générale des outre-mer (DGOM). Il a principalement pour effet de supprimer certaines actualisations qui étaient prévues par l'article 18, et qui ne prenaient pas en compte certaines spécificités du droit des outre-mer, notamment la répartition des compétences. Ainsi, bien que certaines actualisations proposées par les auteurs de la proposition de loi apparaissent pertinentes, elles empiètent sur un domaine de compétence transféré à ces collectivités; il n'appartient donc pas au législateur national de procéder à la correction.

L'amendement COM-41, accepté par le Gouvernement, est adopté.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-10 vise à actualiser l'article L. 341-4-1 du code de la construction, à la suite des modifications apportées par la Dila, en réponse aux remarques formulées par le Conseil d'État.

L'amendement COM-10, accepté par le Gouvernement, est adopté.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-11 vise à apporter des corrections légistiques et rédactionnelles.

L'amendement COM-11, accepté par le Gouvernement, est adopté.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-12 vise à supprimer de l'article 18 des corrections déjà effectuées par la Dila.

L'amendement COM-12, accepté par le Gouvernement, est adopté.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-13 rectifie des renvois imprécis ou erronés.

L'amendement COM-13, accepté par le Gouvernement, est adopté.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-36 prend en compte la possibilité, pour l'État, de conclure des marchés de partenariat pour le compte des établissements publics de santé.

L'amendement COM-36, accepté par le Gouvernement, est adopté.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-14 complète la démarche initiée par les auteurs de la proposition de loi, en actualisant deux articles du code de la commande publique.

L'amendement COM-14, accepté par le Gouvernement, est adopté.

L'article 18 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 19

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - L'amendement COM-19 vise à corriger des renvois imprécis ou erronés.

L'amendement COM-19, accepté par le Gouvernement, est adopté.

L'article 19 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Intitulé de la proposition de loi

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - Les amendements identiques COM-15 et COM-52 visent à changer l'intitulé du texte pour mentionner les collectivités « territoriales », en tenant compte des remarques formulées par le Conseil d'État.

Les amendements identiques COM-15 et COM-52, acceptés par le Gouvernement, sont adoptés.

L'intitulé du projet de loi est ainsi modifié.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

TITRE Ier : Codification de dispositions relatives aux collectivités locales

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

16

Changement de l'intitulé pour mentionner les collectivités "territoriales" 

Adopté

Chapitre Ier : Dispositions relatives à l'organisation et au fonctionnement des collectivités locales et à leurs relations avec l'État

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

17

Changement de l'intitulé pour mentionner les collectivités "territoriales"

Adopté

Article 1er

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

20

Actualisation terminologique

Adopté

Article 3

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

37

Suppression de l'article

Adopté

Mme LINKENHELD

42

Suppression de l'article

Adopté

Article 5

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

21

Suppression de l'article

Adopté

Article 7

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

22 rect.

Modification d'une codification

Adopté

Article 8

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

1

Suppression de l'article

Adopté

Chapitre II : Dispositions relatives aux contrats des collectivités locales

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

18

Changement de l'intitulé pour mentionner les collectivités "territoriales" 

Adopté

Article 10

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

2

Suppression de l'article

Adopté

Chapitre III : Dispositions relatives aux sociétés auxquelles participent les collectivités locales

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

57

Changement de l'intitulé pour mentionner les collectivités "territoriales" 

Adopté

Article 11

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

3

Modification rédactionnelle et suppression de la codification de l'article 17 de la loi n° 2002-1

Adopté

M. MARSEILLE

53

Harmonisation du régime juridique encadrant les sociétés d'économie mixte locales, les sociétés publiques locales et les sociétés d'économie mixte à opération unique 

Adopté

M. MARSEILLE

55

Harmonisation du régime juridique encadrant les sociétés d'économie mixte locales, les sociétés publiques locales et les sociétés d'économie mixte à opération unique 

Adopté

M. MARSEILLE

56

Harmonisation du régime juridique encadrant les sociétés d'économie mixte locales, les sociétés publiques locales et les sociétés d'économie mixte à opération unique

Adopté

M. MARSEILLE

54

Extension des compétences des sociétés publiques locales

Rejeté

Article 12

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

35

Suppression d'un article codifiant un dispositif obsolète

Adopté

TITRE II : Abrogation et suppression de dispositions relatives aux collectivités locales devenues obsolètes

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

58

Changement de l'intitulé pour mentionner les collectivités "territoriales" 

Adopté

Article 13

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

4

Suppression de plusieurs références ayant déjà été abrogées

Adopté

Mme LINKENHELD

43

Suppression de plusieurs références ayant déjà été abrogées

Satisfait ou sans objet

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

34

Abrogation de sept dispositifs supplémentaires

Adopté

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

5

Abrogation d'un dispositif obsolète

Adopté

Mme LINKENHELD

44

Correction légistique

Retiré

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

6

Coordination outre-mer

Adopté

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

7

Maintien de l'avis du Gouvernement de Polynésie française sur le règlement opérationnel organisant le commandement des opérations de secours en Polynésie française

Adopté

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

8 rect.

Coordination légistique

Adopté

Article 15

Mme LINKENHELD

45

Suppression de l'abrogation de la loi de 1942 relative au régime des stations classées

Adopté

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

33 rect.

Suppression de l'abrogation de certaines dispositions législatives

Adopté

Mme LINKENHELD

46

Suppression de l'abrogation de la loi de 1986 adaptant la législation sanitaire et sociale aux transferts de compétences en matière d'aide sociale et de santé

Satisfait ou sans objet

Mme LINKENHELD

51

Suppression de l'abrogation de dispositions législatives relatives aux outre-mer

Satisfait ou sans objet

Mme LINKENHELD

47

Abrogation de l'article 113 de la "loi Defferre" de 1983 

Adopté

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

32 rect.

Abrogations de dispositions législatives codifiées par la proposition de loi

Adopté

Mme LINKENHELD

48

Abrogation de dispositions législatives obsolètes

Irrecevable au titre de l'article 45
de la Constitution

Mme LINKENHELD

49

Abrogation de dispositions législatives obsolètes

Irrecevable au titre de l'article 45
de la Constitution

Mme LINKENHELD

50

Abrogation de dispositions législatives obsolètes

Irrecevable au titre de l'article 45
de la Constitution

Article 16

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

38

Suppression de mesures de coordination

Adopté

Article 17

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

39

Suppression d'un alinéa

Adopté

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

23

Correction d'un renvoi

Adopté

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

30

Prise en compte de corrections de renvois réalisées par la DILA

Adopté

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

24

Actualisation terminologique

Adopté

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

26

Suppression d'un alinéa

Adopté

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

29 rect.

Correction rédactionnelle

Adopté

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

27

Suppression d'un alinéa

Adopté

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

28

Suppression de plusieurs alinéas

Adopté

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

31 rect.

Prise en compte de corrections de renvois partiellement effectuées par la DILA

Adopté

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

25

Correction légistique

Adopté

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

40 rect.

Abrogation d'articles devenus obsolètes

Adopté

Article 18

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

9 rect.

Mise en oeuvre des préconisations du Conseil d'État 

Adopté

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

41

Mise en oeuvre des remarques formulées par la DGOM

Adopté

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

10

Actualisation de l'article L. 312-4-1 du code de la construction et de l'habitation

Adopté

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

11

Corrections légistiques et rédactionnelles.

Adopté

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

12

Suppression des corrections déjà effectuées par la DILA

Adopté

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

13

Corrections de renvois imprécis ou erronés

Adopté

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

36

Prise en compte de la possibilité, pour l'État, de conclure des marchés de partenariat pour le compte des établissements publics de santé

Adopté

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

14

Correction d'une erreur et d'une référence obsolète au sein du code de la commande publique 

Adopté

Article 19

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

19

Correction de renvois imprécis ou erronés

Adopté

Intitulé de la proposition de loi

Mme Nathalie DELATTRE, rapporteure

15

Changement de l'intitulé pour mentionner les collectivités "territoriales".

Adopté

Mme LINKENHELD

52

Changement de l'intitulé pour mentionner les collectivités "territoriales".

Adopté

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 14 h 55