Mercredi 13 décembre 2023

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Proposition de loi relative visant à favoriser le réemploi des véhicules, au service des mobilités durables et solidaires sur les territoires - Examen des amendements au texte de la commission

M. Jean-François Longeot, président. - Nous examinons les amendements de séance sur la proposition de loi visant à favoriser le réemploi des véhicules au service des mobilités durables et solidaires sur les territoires. Nous commençons par l'examen des amendements et des sous-amendements déposés par le rapporteur.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR

Article 1er

M. Jacques Fernique, rapporteur. - L'amendement n°  7 porte sur le périmètre des véhicules éligibles au dispositif que propose de créer la proposition de loi. En commission, nous avions restreint ce périmètre aux seuls véhicules essence Crit'air 3, afin de réduire le potentiel impact environnemental du dispositif. Cela étant, il paraît également opportun d'intégrer dans la liste des véhicules éligibles les véhicules ayant fait l'objet d'une opération de « rétrofit ». Je parle ici des véhicules ayant fait l'objet d'une transformation en véhicules hybrides rechargeables, des véhicules « rétrofités » au gaz de pétrole liquéfié, ou « rétrofités » en électrique. En tout état de cause, cette option sera bien plus marginalement utilisée que celle consistant à utiliser les véhicules essence Crit'air 3, mais nous pouvons espérer que le coût du « rétrofit » finisse par diminuer.

L'amendement n° 7 est adopté.

M. Jacques Fernique, rapporteur. - L'amendement n°  8 apporte une précision rédactionnelle à l'article 1er, afin de clarifier le fait que les centres de traitement des véhicules hors d'usage (centres VHU), qui peuvent être parties à la convention avec l'autorité organisatrice de la mobilité (AOM) volontaire, sont bien des centres agréés.

M. Jacques Fernique, rapporteur. - L'amendement n°  12 vise à corriger une erreur de référence.

L'amendement n° 12 est adopté.

L'amendement n° 8 est adopté.

M. Jacques Fernique, rapporteur. - L'amendement n°  9 vise à exclure explicitement les véhicules remis aux AOM du décompte du parc des collectivités utilisé pour déterminer la part de véhicules à faible et très faible émission dans le renouvellement de leur flotte. Il s'agit d'une précaution afin que le dispositif de cette proposition de loi n'augmente pas les charges des collectivités.

L'amendement n° 9 est adopté.

M. Jacques Fernique, rapporteur. - Le sous-amendement n°  10 a pour objectif d'assouplir les modalités du contrôle technique que l'amendement n°  4 rectifié ter propose de rendre obligatoire. Il s'agit d'une évolution souhaitable, sous réserve que ces modalités précises soient déterminées localement, dans le cadre de la convention entre l'AOM volontaire et les différentes parties prenantes au dispositif.

Le sous-amendement n° 10 est adopté.

Article 1 er bis

M. Jacques Fernique, rapporteur. - L'amendement n°  11 précise à l'article 1 er bis que les centres VHU sont bien des centres agréés.

L'amendement n° 11 est adopté.

Le sort des amendements du rapporteur examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

N° 

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er

M. FERNIQUE, rapporteur

7

Intégration dans la liste des véhicules éligibles des véhicules ayant fait l'objet d'une opération de rétrofit

Adopté

M. FERNIQUE, rapporteur

8

Précision rédactionnelle

Adopté

M. FERNIQUE, rapporteur

12

Correction d'une erreur de référence

Adopté

M. FERNIQUE, rapporteur

9

Exclusion des véhicules remis aux AOM en application de la proposition de loi du décompte du parc des collectivités

Adopté

M. FERNIQUE, rapporteur

10

Assouplissement des modalités du contrôle technique

Adopté

Article 1er bis

M. FERNIQUE, rapporteur

11

Précision rédactionnelle

Adopté

EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION

La commission a donné les avis suivants sur les amendements dont elle est saisie, qui sont retracés dans le tableau ci-après :

Auteur

N° 

Objet

Avis de la commission

Article 1er

Le Gouvernement

6

Véhicules éligibles au dispositif (restriction aux seuls véhicules rétrofités)

Défavorable

Mme Nathalie DELATTRE

1 rect.

Véhicules éligibles au dispositif (élargissement aux véhicules diesel Crit'air 2 et Crit'air 3)

Défavorable

Mme Nathalie DELATTRE

2 rect.

Transmission de données à caractère personnel aux AOM

Défavorable

M. BONNEAU

3 rect. ter

Avantages fiscaux au bénéfice des concessionnaires automobiles dans le cadre de la mise en oeuvre du dispositif

Défavorable

M. BONNEAU

4 rect. ter

Inspection préalable obligatoire des véhicules

Favorable

Article 1er bis

M. BUIS

5

Intégrer à l'évaluation du dispositif l'opportunité d'y intégrer les véhicules rétrofités

Défavorable

Santé des sols et évolutions normatives relatives à l'occupation et aux usages des sols - Audition de MM. Lionel Ranjard, directeur de recherche écologie du sol - agroécologie à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), Philippe Billet, professeur agrégé de droit public à la faculté de droit - Université Jean-Moulin - Lyon 3, directeur de l'Institut de droit de l'environnement de Lyon, François Descoeur, maire d'Anglards-de-Salers, administrateur de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) et Mme Chloé Girardot-Moitié, vice-présidente Ressources, milieux naturels, biodiversité et action foncière du conseil départemental de Loire-Atlantique

M. Jean-François Longeot, président. - J'ai le plaisir d'introduire ce matin une table ronde consacrée à un sujet qui me tient à coeur, mais qui occupe encore une place trop réduite dans les débats parlementaires et nos politiques publiques : la santé des sols. Les enjeux des pollutions atmosphériques et aquatiques sont relativement bien identifiés, ainsi que leurs effets sur la santé humaine et les manières d'agir pour réduire les pressions issues des activités humaines.

On ne peut pas en dire autant des sols : ils ne font pas l'objet d'une attention citoyenne aussi forte. Ils forment pourtant un milieu aussi précieux que fragile : il faut environ un millénaire pour la formation d'un seul centimètre de sol. Il s'agit de l'un des écosystèmes de la biosphère les plus riches en organismes vivants... Trop souvent, ils sont réduits à leur potentiel agronomique et à leurs performances nutritives pour l'agriculture : il faut dire que cet axe est central dans la mesure où 95 % de nos aliments proviennent du sol. C'est la raison pour laquelle j'ai jugé utile de pouvoir élargir nos perspectives en conviant les meilleurs spécialistes scientifiques, afin qu'ils nous éclairent sur les nombreux services écosystémiques fournis par des sols fonctionnels et en bonne santé. Ils nous expliqueront aussi en quoi les sols ont la capacité de renforcer la résilience des territoires.

Je tiens sincèrement à remercier l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), dont un certain nombre de scientifiques y travaillant sont présents dans le public. Je tiens à les saluer pour la qualité de leur travail et les incomparables services scientifiques qu'ils fournissent à la société et aux politiques que nous sommes.

Pour les représenter, nous accueillons Lionel Ranjard, directeur de recherche travaillant à l'unité mixte de recherche Agroécologie de Dijon. Sur la question de la santé des sols, le vif intérêt de notre collègue Nicole Bonnefoy la conduira certainement à vous poser de nombreuses questions.

J'ai également souhaité que cette table ronde inclue une séquence juridique, avec un des meilleurs connaisseurs du droit des sols, le professeur Philippe Billet, directeur de l'Institut de droit de l'environnement de Lyon.

Son expertise contribuera à l'enrichissement des connaissances des sénateurs sur les dernières évolutions législatives et règlementaires : non seulement la manière dont ce droit s'est développé depuis l'émergence de la notion de « gestion économe de l'espace », mais également les insuffisances qu'il identifie au regard de la cohérence du droit de l'environnement. Je pense naturellement à la stratégie de réduction du rythme de l'artificialisation des sols, le fameux « Zéro artificialisation nette » (ZAN), mais aussi à la directive européenne en cours d'élaboration sur la surveillance et la résilience des sols, qui part du constat que plus de 60 % des sols européens ne sont pas en bonne santé et que cette situation ne fait qu'empirer.

Enfin, nous avons le plaisir d'accueillir Chloé Girardot-Moitié, vice-présidente ressources, milieux naturels, biodiversité et actions foncières du conseil départemental de Loire-Atlantique ainsi que, en visioconférence, François Descoeur, administrateur de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) et maire d'Anglards-de-Salers dans le Cantal, qui nous livreront leur vision, de praticiens et d'élus locaux, quant aux récentes évolutions de la loi et du règlement concernant les usages des sols.

Le Sénat s'est beaucoup investi pour que la logique arithmétique et descendante du ZAN ne se fasse pas contre les territoires, mais par et avec les élus, grâce à des outils dédiés, du pragmatisme et de l'espoir ; je pense notamment à la garantie rurale d'un hectare par commune. Aujourd'hui que les décrets ont été publiés et que les règles ont été stabilisées, quelle est votre vision pour réussir la réduction du rythme de l'artificialisation des sols, tout en développant les projets qui répondent aux attentes des habitants et satisfont aux objectifs de la transition écologique, dans une logique vertueuse et sans opposer les territoires ?

Je sais que c'est une équation complexe, qui nécessitera beaucoup d'intelligence territoriale et de créativité des élus locaux. Le Sénat constituera d'ailleurs prochainement un groupe de suivi du ZAN pour rester à l'écoute des territoires, de leurs besoins et de leurs difficultés, au sein duquel notre commission prendra toute sa place.

Mes chers collègues, avant de laisser la parole aux intervenants et aux sénateurs pour la série de questions et de réponses, je vous rappelle que vous êtes tous invités, à l'issue de la table ronde, à vous rendre dans le jardin du Luxembourg à la rencontre de scientifiques de l'Inrae chargés de faire des prélèvements dans les sols. Ces échanges permettront de prolonger, sur le terrain, ce que vous entendrez au cours de la table ronde. C'est dire à quel point notre commission n'est pas hors sol !

M. Lionel Ranjard, directeur de recherche écologie du sol - agroécologie à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement. - Je vous remercie de votre invitation à venir présenter les enjeux de la biodiversité du sol. La biodiversité du sol est relativement invisible ; il me paraît en conséquence important de pouvoir l'illustrer. Je commencerai par les services fournis par le sol. Le sol est une des matrices environnementales les plus stratégiques qui soit, car il fournit trois types de services écosystémiques fondamentaux : des services de fourniture ou d'approvisionnement, des services de régulation et des services culturels et récréatifs. Si l'on considère le sol comme support de la production alimentaire, 95 % des aliments viennent du sol, ce pourcentage s'élevant même à 99 % pour la pêche côtière. Le sol, bien sûr, est le support de nos constructions et le fondement de nos infrastructures. Il est aussi un réservoir et même un puits de carbone très important. C'est un des acteurs de la régulation du climat ainsi que de la qualité de l'eau et des flux hydriques. Mais le sol est également un énorme réservoir de biodiversité, c'est un habitat pour des organismes vivants multiples et variés. Enfin, le sol constitue le support de nos paysages et garantit leur qualité environnementale et récréative. Une grande diversité d'organismes est présente au niveau du sol, et c'est grâce à cette richesse en termes de biodiversité que le sol remplit ses services écosystémiques. On note une grande diversité de taille avec des organismes très petits, comme les bactéries et les champignons, qui constituent le champ principal de mes recherches car je suis spécialisé en écologie microbienne. Après, on passe à la faune avec des tailles un peu supérieures, des nématodes et des collemboles. L'espèce « star » des organismes du sol sont les vers de terre et puis il y a la plante, qui par ses racines, fait partie des organismes du sol, ainsi que les mammifères fouisseurs. On trouve une grande diversité de tailles, de formes, de ressources génétiques et de potentialités fonctionnelles. On peut dénombrer plusieurs milliards de bactéries par gramme de sol, au sein desquelles plusieurs millions d'espèces peuvent se retrouver. Si on observe les vers de terre, on en trouve plusieurs tonnes par hectare et d'un point de vue général, on peut atteindre jusqu'à 10 000 espèces animales par mètre carré de sol. Ce sont les chiffres moyens pour les sols naturels mais que l'on peut également trouver dans certains sols agricoles. Le chiffre a d'ailleurs été revisité il y a quelques semaines. Jusqu'à récemment, on estimait que 25 à 30 % de la biodiversité de notre planète se trouvait dans les sols. Dernièrement, une étude internationale a montré a réévalué cette donnée en concluant que 59 % de la biodiversité totale de notre planète se trouve au niveau du sol. Depuis une quinzaine d'années, l'Inrae s'est beaucoup investi pour trouver des preuves expérimentales à l'intérêt de cette biodiversité. Bien sûr, cette biodiversité constitue un patrimoine biologique en soi, mais elle doit aussi représenter un patrimoine fonctionnel. Nous avons ainsi démontré qu'une baisse de 30 % de la diversité microbienne - je parle uniquement des micro-organismes, bactéries et champignons, au niveau d'un sol - entraîne une baisse de 40 % de la minéralisation de la matière organique, c'est-à-dire la capacité d'un sol à transformer la matière organique en matière minérale, en d'autres termes sa fertilité naturelle. Cela entraîne aussi généralement une baisse de 50 % de la productivité végétale, d'après des expérimentations faites en conditions contrôlées. Enfin, cela diminue aussi de 15 % la capacité de récupération des plantes après une sécheresse. Si on baisse de 30 % la diversité microbienne du sol, on perd 50 % de la stabilité structurale du sol, c'est-à-dire sa capacité à résister à l'érosion, au tassement et à créer un réservoir utile pour l'eau, notamment pour les plantes. Enfin, en termes d'état sanitaire, si on baisse de 30 % la diversité microbienne du sol, le temps de survie des pathogènes opportunistes exogènes augmentera. Le sol, par aérosolisation, peut être inoculé avec des nouveaux organismes potentiellement pathogènes. Une perte de 30 % de la diversité microbienne du sol réduit l'effet barrière. La France est un pays pionnier, plutôt dynamique dans l'inventaire et la surveillance de la qualité de ses sols, notamment grâce à son réseau de mesures de la qualité des sols, dont vous allez visiter un site dans le jardin de Luxembourg après cette réunion. Ce réseau de surveillance s'est développé il y a une vingtaine d'années. Très tôt, l'Inrae a décidé de caractériser la biodiversité sur les sols à l'échelle nationale, grâce aux outils de microbiologie moderne et de biologie moléculaire. Aujourd'hui, la France est un des seuls pays à avoir des inventaires cartographiques nationaux, qui identifient notamment la quantité de micro-organismes, qu'on appelle la biomasse microbienne, la diversité bactérienne et la diversité des champignons. Ces cartes permettent de visualiser les zones un peu plus riches que d'autres, pour des causes naturelles ou pour des causes un peu moins naturelles, dues à certaines activités humaines. À l'échelle nationale, nous sommes très dynamiques, mais les territoires aussi commencent à s'impliquer dans cette dynamique de caractérisation de leurs sols. Par exemple, le territoire de l'aire urbaine de Dijon-Métropole a porté un projet territoire d'innovation PIA 3 et a décidé de caractériser la qualité physique, chimique et la biodiversité de ses sols à l'échelle de l'aire urbaine, de façon intensive et extensive. On retrouve la diversité bactérienne et la quantité de micro-organismes sur certaines cartes du territoire parce que nous pilotons ce projet, mais y figurent aussi les vers de terre, les nématodes, le carbone... Les approches satellitaires visent à essayer de regarder les usages et simuler les taux de carbone. Cela permettra, à cette échelle territoriale, de quantifier l'impact des sols fonctionnels, une évaluation plus fine de l'usage des sols, urbains et agricoles. On a aussi investigué les sols urbains en réalisant un référentiel territorial de la qualité des sols. Cette démarche servira la transition écologique du territoire, voire sa transition alimentaire et permettra d'articuler la ville, et plus largement les activités humaines, autour des sols, grâce aux notions de qualité des sols, de santé des sols au niveau des schémas de cohérence territoriale (Scot), des plans locaux d'urbanisme (PLU) et même du prix du foncier. Pour finir, je mentionnerai les atlas réalisés grâce aux résultats compilés par le Réseau de mesures de la qualité des Sols (RMQS). Nous avons voulu, indépendamment des valorisations académiques, produire des atlas naturalistes à destination du grand public, des usagers des sols, des agriculteurs et des politiques publiques. En 2018, nous avons publié l'Atlas français des bactéries du sol et début 2024, paraîtra l'Atlas français des champignons du sol.

Mme Chloé Girardot-Moitié, vice-présidente du Conseil départemental de Loire-Atlantique. - En tant que vice-présidente du département de Loire-Atlantique en charge des ressources milieux naturels, biodiversité et actions foncières, je tiens à vous indiquer que notre département a beaucoup travaillé sur la question du ZAN. Au cours du précédent mandat, avant même la loi « Climat et résilience » d'août 2021, l'ensemble des élus avait voté à l'unanimité une délibération en faveur du ZAN. En complément, un gros travail de sensibilisation des élus du territoire nous a peut-être permis de nous engager un peu plus rapidement sur ce chemin. Le département de Loire-Atlantique est aussi lauréat d'un appel à manifestation d'intérêt de l'Ademe pour travailler en partenariat avec le territoire d'un Scot et deux intercommunalités pour expérimenter les enjeux de la mise en oeuvre du ZAN qui démarre tout juste, dans l'objectif de partager les connaissances et les enseignements sur les difficultés rencontrées. Ce travail n'en est qu'à ses débuts. Nous étudions notamment la dimension du mode de vie avec des sociologues, pour comprendre ce qu'habiter le territoire veut dire, avec un volet associant les citoyens. Évidemment, les actions de soutien aux coeurs de bourg et à la revitalisation des bourgs s'articulent pleinement avec la politique du ZAN. La politique départementale s'appuie également sur des mesures d'animation territoriale pour promouvoir les outils comme l'établissement public foncier, le conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), les agences d'urbanisme... Nous sommes assez volontaristes dans les avis qu'on donne en tant que personnes publiques associées sur les avis fonciers ou dans les avis qu'on peut rendre au sein de la commission départementale d'aménagement commerciale (CDAC). Nous organisons également des événements et des tables rondes pour sensibiliser les acteurs et les citoyens à cette question, avec notamment des interventions, par exemple de l'Agence de l'eau, pour comprendre les liens entre les politiques, dans le cadre d'une démarche plus scientifique afin de rappeler les enjeux sous-jacents à une stratégie qui peut apparaître comme une contrainte. Concernant la question des solutions pour réussir, j'évoquais notamment les outils disponibles sur le territoire, le portage foncier, les plans-guides, etc... L'enjeu de la solidarité entre les territoires, les modes d'aménagement et la densification des usages dans nos bâtiments sont essentiels. Il existe aussi des enjeux qui ne sont pas du niveau départemental, mais qui constituent une partie de la solution et qui ont besoin d'être soutenus, comme la fiscalité. Nous disposons d'un panel de solutions et d'actions qui visent à rendre effective la mise en oeuvre du ZAN.

Concernant la question de la santé des sols, il y a un manque de connaissances qui est flagrant. Beaucoup d'élus confondent encore l'artificialisation et l'imperméabilisation. Finalement qu'est-ce qu'un sol ? À quoi ça sert ? Ses diverses fonctionnalités sont assez peu connues. Elles sont bien souvent envisagées sous l'angle de réserve de foncier. Le sol est vu comme une ressource à aménager, comme un espace d'aménagement, à travers une vision qui s'appuie bien souvent exclusivement sur les enjeux réglementaires, notamment les zones humides ou les espèces. Les questions de bactéries du sol, de sa richesse, de sa capacité de séquestration du carbone sont beaucoup moins prises en compte, connues et maîtrisées, ce qui conduit à une moindre prise en compte dans nos politiques publiques.

Nous avons aussi des craintes dans le domaine des pollutions. Je pense bien entendu aux friches industrielles à dépolluer, générant des coûts importants, mais il ne faut pas omettre la pollution chimique qui se trouve dans les sols. Cet aspect est notamment prégnant pour les captages d'eau potable : la dépollution liée aux intrants chimiques agricoles est très onéreuse. La connaissance des sols et de leurs fonctionnalités est à cet égard essentielle. Comment promouvoir certains types d'agriculture afin de protéger cette vie bactériologique ? Ce sont des discussions qui n'ont peut-être pas suffisamment lieu. Nous avons davantage besoin de cadrage scientifique dans nos politiques publiques. Je vais donner quelques exemples. Le département a instauré un fonds de renaturation. Mais comment procède-t-on aux arbitrages ? Comment cartographie-t-on les espaces prioritaires ? Doit-on favoriser la mise en place de parcs photovoltaïques sur d'anciennes friches ? Est-ce qu'il faut privilégier un retour à l'usage agricole ou installer du photovoltaïque ? C'est aussi toute la problématique des carrières. Quel type d'aménagements convient-il de préférer, par exemple pour nos pistes cyclables ? Lesquels sont les plus vertueux par rapport aux enjeux de protection des sols ? De fait, dans de très nombreuses politiques publiques, cette question des sols occupe une place centrale, avec son lot d'inconnues et avec un enjeu de cohérence générale des politiques publiques. D'un côté, il faut renaturer et de l'autre, on constate la perte de 450 kilomètres de haies chaque année en Loire-Atlantique ! Il est donc nécessaire de prioriser là où l'effort sera le plus vertueux.

Pour conclure, je pense qu'il existe une attention croissante au sujet de la santé des sols. Pour y répondre, il va falloir accentuer l'offre de formation et mieux connecter l'approche « One Health » - une seule santé - à l'enjeu des sols, de l'eau et des pratiques agricoles, ce qui n'est pas assez le cas aujourd'hui. Les actions dans le cadre des contrats territoriaux sur l'eau pour regagner la fonctionnalité de nos bassins versants contribuent à la qualité des sols : c'est pourquoi il serait pertinent d'articuler la politique de l'eau avec les stratégies en faveur des sols, parce qu'elles éminemment liées. Il en est de même pour nos politiques d'urbanisme. Nous disposons d'un certain nombre de leviers, à travers les outils d'urbanisme et de planification, pour prendre davantage en compte cette problématique.

M. Philippe Billet, professeur agrégé de droit public à la faculté de droit Lyon 3, directeur de l'Institut de droit de l'environnement de Lyon. - Il n'est pas aisé de résumer en aussi peu de temps ce que sont les sols, vus du droit. Ce sujet constitue en quelque sorte l'arlésienne du droit. Le droit en vigueur ne donne aucune définition formelle du sol. La première n'apparaît qu'en 2010, dans une directive européenne sur les émissions industrielles, qui prend en compte le sol comme élément de référence pour sa remise en état, quand il est pollué. Lorsqu'on le recherche dans la réglementation, on le trouve sous diverses dénominations : sol, terre, territoire, fond, tréfonds, surface, etc. Comme l'a expliqué Lionel Ranjard, le sol est toujours appréhendé dans le cadre d'une approche éminemment fonctionnelle : le sol-support, support de culture, support de construction, le sol-filtre pour la production d'eau potable, notamment avec les périmètres de protection des captages. Le sol est vecteur de risque, c'est essentiellement la vision intégrée dans le droit de l'environnement : les sols pollués, le sol comme élément de stockage, le sol comme puits de carbone... Aucun texte ne prend en compte, de façon explicite, sa qualité de milieu naturel ou même sa naturalité, contrairement à l'air ou à l'eau qui sont traités de façon spécifique et en tant que milieu dans le code de l'environnement. Lorsqu'on parcourt le code de l'environnement, vous ne trouvez rien, au titre des milieux physiques, sur le sol. Vous avez les eaux en milieu aquatique et marin d'un côté, ainsi que l'air et l'atmosphère, de l'autre. Certes, la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages du 8 août 2016 a bien créé un chapitre sol et sous-sol, mais cela ne concerne que les sols malades. Le sol est encore plus invisible si l'on s'attache à la notion de patrimoine commun de la Nation. L'article L.110-1 du code de l'environnement vise un certain nombre d'éléments et va jusqu'à considérer que les sons et les odeurs qui caractérisent les milieux font partie du patrimoine commun de la Nation. Le sol n'y figure cependant pas, il est relégué dans un sous-paragraphe : « les processus biologiques, les sols et la géodiversité concourent à la constitution [du patrimoine commun] ». Le sol ne constitue pas un patrimoine commun en tant que tel. Cette prudence est liée essentiellement à la peur d'une nationalisation du sol s'il était élevé au rang de patrimoine commun, alors que ça aurait une toute autre signification ; on pourrait d'ailleurs imaginer des formulations plus rassurantes. On trouve le mot sol, en revanche, dans les articles et dispositions relatives aux parcs nationaux, aux réserves naturelles et aux zones humides, en tant qu'élément à protéger. Les études d'impact et évaluation environnementales intègrent le sol, mais se limitent la plupart du temps à son aspect surfacique. Il s'agit d'une approche quantitative et non qualitative. Je mentionnerai également les dispositifs de lutte contre l'érosion des sols, pour protéger le bon état des eaux et la lutte contre l'artificialisation. Il n'existe pas véritablement non plus de convention internationale sur le sol. Certes, il y a bien la convention alpine, notamment dans son protocole de 1998, où la protection des sols alpins est envisagée de façon durable, en vue de sauvegarder son utilisation. Mais son utilisation sert essentiellement des fins touristiques et d'urbanisation. De son côté, le partenariat mondial pour les sols de l'Organisation des Nations unies pour l''alimentation et l'agriculture de 2013 vise la sécurité alimentaire.

2015 fut l'année internationale des sols. Sa journée mondiale a été fixée, à cette occasion, le 5 décembre. C'est l'Association française pour l'étude du sol (Afes) qui organise cette journée en France. Les institutions européennes ne disposent pas de compétences explicites, le droit européen est en effet extrêmement limité en la matière. La protection des sols intervient uniquement dès lors qu'il est question de pollution industrielle. À ma connaissance, le seul cas où le sol est explicitement pris en compte en matière d'urbanisme était la première directive Seveso, en matière d'urbanisation péri-industriel autour des sites industriels. Mais le sol n'est pas véritablement pris en compte en tant que tel. On en trouve également des traces dans l'éco-conditionnalité des aides agricoles, dans le cadre de la nouvelle politique agricole commune (PAC) sur les aides en faveur de l'environnement pour la rétention du carbone par les sols et l'amélioration de leur résilience... On trouve également un écho dans la définition des bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE) pour le stockage du carbone, sous la forme de critères de conditionnalité imposant le maintien d'enherbement des sols et des limitations de l'érosion, par exemple.

Mais il n'existe aucun texte fédérateur au niveau de l'Union européenne. Un projet de directive cadre en 2006 a échoué, notamment en raison de l'opposition de la France. Un nouveau projet est en cours de discussion dans le cadre de la stratégie de l'Union européenne pour les sols à l'horizon 2030. Ce projet de directive vise essentiellement la question de la santé des sols, avec l'instauration d'un passeport santé pour les sols, l'introduction d'un certificat dans le cadre des transactions foncières ou encore le suivi de l'artificialisation des sols. Ce projet prévoit également des dispositifs de monitoring afin de déterminer les normes de qualité des sols, afin d'uniformiser la politique de protection des sols à l'échelon européen, l'essentiel étant de promouvoir une gestion durable des sols, notamment via l'agriculture régénératrice. Dans le droit de l'environnement franco-français, qui dépend essentiellement de la transposition de la directive 2004/35/CE du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux, où l'on voit apparaître les services écosystémiques des sols. En cas de responsabilité environnementale, le préfet pourra être amené à intervenir pour préserver les sols à travers des mesures de sanctions administratives, en visant notamment l'introduction, directe ou indirecte, en surface et dans le sol, de substances et autres éléments susceptibles de créer un risque d'atteinte grave à la santé du fait du sol. Ce n'est pas le sol en tant que tel qui est protégé, mais la santé humaine via les atteintes au sol. Le préfet devra veiller à ce que la restauration du sol soit effective. Ce texte pourrait imposer une responsabilité nouvelle et une obligation de restauration essentiellement en nature, avec plusieurs éléments de gradation dans la restauration qui, de mon point de vue, manquent assez singulièrement dans la politique du ZAN. Une politique de réhabilitation des sols pollués avait été mise en place par la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) de 2014. Il existe une vaste gamme de polices spéciales, pour les installations classées, les déchets, les sols pollués, etc. Tous ces éléments peuvent porter atteinte à la santé du sol et placent le préfet et le maire en première ligne avec des moyens relativement limités pour pouvoir agir.

Le sol est plus présent dans le droit de l'urbanisme. Avant 2016, il existait un principe de gestion économe des sols qui désormais n'est plus qu'un principe d'économie des espaces naturels, agricoles et forestiers, devant être gérés de façon économe avec un certain nombre de protections ponctuelles, notamment en matière de protection des espaces agricoles pour éviter l'étalement urbain. Un certain nombre d'objectifs de protection doivent figurer dans les rapports de présentation des schémas de cohérence territoriale et des plans locaux d'urbanisme, avec des évaluations récurrentes s'agissant des questions de densification et surtout de lutte contre l'artificialisation, puisque la loi Alur a supprimé un certain nombre de dispositions qui justement favorisaient celle-ci. Le dernier élément en date dans la lutte contre l'artificialisation des sols, c'est bien entendu le ZAN, qui a beaucoup gêné les écologues s'agissant du caractère net puisqu'il est fondé sur un bilan intégrant une compensation entre des atteintes et des réhabilitations. On s'interroge aussi sur ce qu'on appelle effectivement renaturation des sols. Cette démarche présente un intérêt pour le recyclage foncier, la remise en état des sols et pour un retour à la fonctionnalité des sols. Le texte confère cependant une prime aux mauvais élèves, dans la mesure où on prend comme référence les artificialisations au cours de la dernière décennie. Les territoires ayant le plus artificialisé se retrouvent en définitive avec plus de capacités d'artificialisation. Cette logique pose également le problème du retour effectif aux fonctionnalités des sols, avec un décalage temporel entre une artificialisation immédiate du sol et une réhabilitation qui peut prendre plusieurs années, voire plusieurs décennies, avant d'être pleinement effective.

Quelles seraient à cet égard les éventuelles pistes de remédiation ? On pourrait reconnaître le sol comme milieu à part entière, dans le cadre d'une politique nationale cohérente, non pas en déclarant le sol patrimoine commun de la Nation, mais en visant la variété des services rendus par le sol qui ferait partie du patrimoine commun de la Nation. Il faudrait également favoriser le recyclage foncier avec tous les avantages qui lui sont attachés, expérimenter des dispositifs d'économie des sols, dans le cadre de lois d'expérimentation sur certains secteurs, notamment à l'échelon régional. On pourrait s'inspirer de certains modèles étrangers, notamment le modèle suisse avec les surfaces d'assolement qui permettent de protéger de façon stricte, sur l'ensemble du territoire, les meilleures terres agricoles en les rendant non artificialisables, ou seulement avec des compensations strictes. On peut également imaginer des quotas de constructibilité. Il y a des expérimentations en cours en Allemagne qui permettent de promouvoir l'intérêt d'une gestion économe puisque moins on construit en surface, plus on « économise » en termes de droits. Enfin, il est également envisageable de promouvoir les services écosystémiques des sols par leur identification effective, par un rattachement soit à la propriété, soit au patrimoine commun, soit par d'autres dispositifs et puis les évaluer. Je participe également au projet ProDij à Dijon : nous utilisons des indicateurs, des référents d'usage et des référentiels qui permettent de dire si certains types de sol peuvent ou non être affectés à tel ou tel usage.

M. François Descoeur, maire d'Anglards-de-Salers, administrateur de l'Association des maires ruraux de France (AMRF). - Je vous remercie d'avoir invité l'AMRF à vos travaux sur un sujet que je découvre sans le découvrir. Je regrette qu'on n'ait pas approfondi le sujet avant d'initier le ZAN. La présentation des intervenants précédents sur la nature du sol et la biodiversité existante me donne à penser qu'on ne peut pas échapper à la nécessité de prendre en compte toutes ces considérations. Nous ne sommes pas opposés au ZAN, on est simplement opposé à la méthode utilisée pour le mettre en place et nous considérons que cette stratégie n'est pas adaptée au monde rural. Certaines collectivités ont la chance d'avoir des élus ou des professionnels qui connaissent bien le sujet et qui l'ont pris en compte. Mais je ne pense pas que ce soit la majorité des cas au niveau national. Il reviendra désormais aux Scot de gérer une partie de la mise en place du ZAN. Il faut vraiment que ce volet-là soit abordé de manière sérieuse parce qu'il s'agit de notre avenir et de notre qualité de vie. Il faut éviter les erreurs en ce qui concerne la répartition des nouvelles surfaces à urbaniser sur le territoire. Dans le monde rural, il y a un bon sens naturel qui fait que souvent les agriculteurs connaissent bien leur terrain et même, sans pouvoir forcément la définir scientifiquement, la nature du sol. Cela se vérifie d'ailleurs dans leur pratique : ils n'utilisent pas le sol n'importe comment, mais en fonction de sa qualité agronomique ou hydrologique. À la suite des dernières évolutions législatives, il va falloir désormais modifier nos pratiques en matière d'urbanisation, afin de bien faire prendre conscience aux habitants que le sol est capital. Je regrette d'entendre aujourd'hui ce discours pour la première fois alors que j'ai travaillé trois ans sur le ZAN dans le cadre de l'AMRF avec l'ensemble des ministères concernés. Je ne suis pas un spécialiste du sol comme le sont les autres intervenants, mais je suis à votre disposition pour vous parler des ZAN dans le monde rural, notamment par rapport à la qualité du sous-sol.

M. Guillaume Chevrollier, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs à l'eau. - En tant que rapporteur budgétaire des crédits relatifs à l'eau, je m'intéresse particulièrement au rôle des sols dans le grand cycle de l'eau. Je pense notamment à leur capacité purificatrice et dépollutive lors de l'infiltration des précipitations dans les nappes, mais également à leur pouvoir de régulation des eaux de surface, à même d'amoindrir les dégâts causés par les inondations et de réguler les crues. Les agences de l'eau promeuvent depuis plus d'une décennie les solutions fondées sur la nature, avec la renaturation et le reméandrage de certains cours d'eau mais, à ma connaissance, n'interviennent qu'assez peu sur les sols aux abords des cours d'eau. Pour améliorer l'absorption des sols et leur rôle d'éponge naturelle, quels sont les enseignements que l'on peut tirer des observations et des recherches scientifiques ? Quelles sont les bonnes pratiques en la matière ou au contraire les erreurs à ne pas commettre ? En quoi le diagnostic précis et la cartographie précise des sols permettraient-ils de mettre en oeuvre un aménagement du territoire plus respectueux des sols ?

Ma seconde question porte sur la stratégie de réduction du rythme de l'artificialisation des sols, le ZAN. Je n'insiste pas sur les difficultés de sa mise en oeuvre et les complexités du dialogue territorial pour répartir les baisses de consommation foncière, qui sont bien réelles et que l'on retrouve dans toutes les régions. Mon interrogation porte plutôt sur un volet encore négligé, et pourtant essentiel, puisqu'il sert à calculer le ratio du ZAN, à savoir la renaturation ou la réhabilitation des sols. La loi « Climat et résilience » l'a définie comme une action ou une opération de restauration ou d'amélioration de la fonctionnalité d'un sol. J'aimerais connaître l'efficacité des opérations de désartificialisation et les progrès en matière de « génie pédologique » pour améliorer la qualité des sols sans avoir à prélever de la terre sur des sols naturels ou agricoles à des coûts économiques et environnementaux élevés.

En effet, dans le cadre normatif actuel, plus aucune artificialisation ne pourra être effectuée à partir de 2050 sans la renaturation d'une surface au moins équivalente. Il est donc essentiel que l'ingénierie et la connaissance du fonctionnement des sols progressent rapidement. Dans cette logique, à qui pourrait être confiée la tâche de s'assurer de l'efficacité de la renaturation ? Quels sont les principaux points de vigilance que vous identifiez en amont de l'élaboration de « certificats de renaturation », dont la valeur devra être la même quelle que soit la localisation ?

Mme Nicole Bonnefoy. - J'ai déposé une proposition de loi avec plusieurs de mes collègues pour la préservation des sols vivants qui tend à fixer un cadre à la reconnaissance de la qualité des sols dans notre droit commun, au même titre que la qualité de l'eau ou celle de l'air. Cette évolution du droit est recommandée depuis des années pour donner corps aux soins que nous devons absolument porter aux sols vivants. La France dispose d'une réelle expertise en matière de connaissance des sols et a mis en place des outils efficaces d'analyse. Le texte de loi que je propose vise à établir un cadre rénové pour un pilotage de la ressource en vue d'une transformation des usages, afin de garantir les services écosystémiques rendus gratuitement par les sols. Pour n'en citer que quelques-uns, je mentionnerai le captage de carbone, la conservation de la biodiversité, la régulation du climat, le contrôle des maladies et des ravageurs, la filtration de l'eau, etc... Grâce au diagnostic, les usagers de la terre pourraient se saisir de méthodes simples et vérifiées pour améliorer la fertilité des sols.

Le programme EcoVitiSol démontre bien notre capacité à transformer les pratiques agricoles et viticoles et à réconcilier les usages avec la protection des sols. Je remercie chaleureusement notre commission d'avoir organisé cette table ronde dédiée à la santé des sols qui vient opportunément enrichir nos réflexions à quelques semaines de l'examen de ma proposition de loi et dans le cadre plus global du futur projet de loi d'avenir agricole et du projet de directive européenne sur la santé et la résilience des sols. Ce texte peut constituer un premier pas important pour la préservation des sols.

J'ai quelques questions, notamment pour M. Ranjard. Pourriez-vous préciser l'importance du sol dans la filtration de l'eau ? Une bonne gestion des sols peut-elle avoir effet bénéfique sur les problématiques que nous rencontrons aujourd'hui, par exemple pour limiter les effets du gonflement des sols argileux ? Quels sont les moyens d'intervention en milieu urbain ? Les outils de diagnostic vous permettent-ils d'analyser l'ensemble des sols et de préconiser des actions précises sur tout type de sol, que ce soit des prairies, des forêts, des vignes ou des grandes cultures ? Vous relevez que dans les vignes et les grandes cultures, on perd 80 % des réseaux d'interaction de la microbiologie des sols. Les réseaux sont moins cohésifs et donc l'efficacité du fonctionnement du sol sera diminuée. La vitalité de ces réseaux d'interaction est-elle la condition d'une bonne fertilité des sols ? Concernant l'étude EcoVitiSol que vous avez menée, quelle a été la réception de votre démarche auprès des viticulteurs bourguignons ? Les pratiques recommandées ont-elles été appliquées par les viticulteurs et évaluées a posteriori ? Avez-vous constaté notamment une diminution des pesticides grâce à l'application de ces bonnes pratiques ? Pensez-vous que cette méthode peut être élargie à l'ensemble du territoire et à d'autres types de cultures ? Et quel laps de temps est-il nécessaire pour retrouver une qualité du sol appréciable ? Enfin, je partage avec M. Billet le souhait de voir le sol reconnu enfin dans la loi française. J'espère que le Sénat y contribuera. Quel regard portez-vous sur les évolutions récentes de la législation, en particulier sur le ZAN et est-ce que vous pensez que le législateur est allé assez loin dans la lutte contre l'artificialisation ?

M. Lionel Ranjard. - Je répondrai tout d'abord sur les sols et le cycle de l'eau, puisqu'ils ont donné lieu à des questions communes. Le sol est une matrice fondamentale pour le cycle de l'eau. Tout d'abord, en termes de remédiation, le sol est un filtre. Les gestionnaires des services de l'eau comptent beaucoup sur cette fonctionnalité, notamment pour certaines molécules de pesticide qui doivent se biodégrader au niveau du sol, avec des résultats plus ou moins efficaces parce que les mesures s'effectuent en laboratoire et, sur le terrain, ça se passe toujours un peu différemment. La vie est complexe et très dynamique. La bioremédiation s'appuie sur des processus physiques, chimiques et biologiques de dégradation. Ces derniers sont portés par la biodiversité, notamment les bactéries et les champignons, qui sont des acteurs fondamentaux dans la bioremédiation. Au début de mon parcours, j'ai étudié la chimie et on créait des molécules qui n'existaient pas dans la nature, parce que justement l'objectif était qu'elles soient efficaces longtemps. Mais les micro-organismes ont, après un certain temps, trouvé des voies de dégradation parce que ces molécules constituaient une source de carbone et d'énergie. Elles ont des objectifs d'utilisation de la matière, de l'énergie et aussi de détoxification de l'environnement. Ces processus biologiques sont très importants, mais ils ne sont pas toujours efficaces à 100 %. Le sol est à ce titre un filtre puissant pour la bioremédiation.

En termes de régulation des flux d'eau, la porosité du sol est essentielle. Il faut maintenir la porosité d'un sol et s'assurer que le sol est perméable si l'on souhaite que les flux d'eau soient bien régulés. Quand le sol est imperméabilisé, le problème est différent. Dans les sols agricoles, il faut éviter les pratiques qui conduisent au tassement, dans la mesure où c'est la biologie, les bactéries et les champignons, qui créent la structure du sol en créant leurs habitats. Ces agrégats font la porosité. Il faut faire coexister la perméabilité du sol et sa capacité à jouer son rôle de réserve hydrique pour les plantes, l'échange gazeux et l'échange de nutriments. La biodiversité est à l'origine de ces différents services ; c'est à ce titre que les solutions fondées sur la nature sont importantes. Aux abords des rivières et dans les systèmes agricoles, il faut préserver cette qualité biologique des sols, qui conditionne la qualité physique de structure du sol ainsi que sa capacité de dégradation.

Quelles sont les pratiques à privilégier ? Il faut éviter les agressions mécaniques et chimiques, mais aussi couvrir les sols. La couverture des sols est l'une des pratiques les plus agroécologiques. Il s'agit d'ailleurs d'un problème particulièrement saillant dans certains territoires viticoles. Au niveau des sols agricoles, la couverture en termes de durée et de diversité végétale est plutôt mauvaise, et c'est ce qui pose problème. En milieu urbain, ce n'est pas parce qu'une pelouse est belle qu'elle est diversifiée et fonctionnelle et qu'elle stimule la vie du dessous. En écologie, on dit toujours que la biodiversité au-dessus du sol génère la biodiversité en-dessous du sol. Et inversement, la disparition de la biodiversité dans le sol compliquera le développement de la biodiversité végétale.

Pour revenir à EcoVitiSol, c'est un petit projet qui me tient beaucoup à coeur. Il s'agit d'un projet participatif en lien avec les agriculteurs. On s'est focalisé sur la viticulture, parce qu'il s'agit d'une activité qui part d'un peu plus loin, du fait de pratiques historiquement un peu plus agressives, comme la mauvaise couverture des sols, l'importance de la mécanisation et l'usage des pesticides. Nous avons eu à coeur de nous concentrer sur la qualité des sols. Nous disposons aujourd'hui d'outils de diagnostic qui proviennent de la recherche. Ils sont objectifs, rigoureux et ils ont des référentiels d'interprétation avec le RMQS et avec des projets territoriaux. Si le RMQS est encore assez grossier, il a le mérite d'exister et identifie déjà des tendances nationales. Les projets territoriaux comme le projet ProDij à Dijon sont des initiatives très importantes pour affiner les référentiels et les diagnostics. Malgré la perte de 90 % des réseaux en système viticole, on constate une augmentation de la biodiversité chez les micro-organismes. Il s'agit là d'un paradoxe microbien : les micro-organismes peuvent connaître des augmentations de diversité dues à des perturbations. Il s'agit d'une diversité opportuniste qui ne conduit pas nécessairement à l'amélioration des fonctionnalités du sol et ne remplit pas obligatoirement les services écosystémiques attendus. Mais nous sommes toutefois capables de mesurer ces indicateurs et, au niveau d'EcoVitiSol, nous sommes en train de sensibiliser le monde viticole. Les agriculteurs et les viticulteurs sont déjà très concernés par la qualité de leur sol mais ne savent pas toujours comment agir. Avec EcoVitiSol, nous comparons les itinéraires techniques de différents territoires viticoles. Les modes de production biologiques, conventionnels et biodynamiques ont chacun un impact différent sur la qualité des sols, notamment la qualité microbiologique. On part du principe que l'interprétation d'un diagnostic et la comparaison des viticulteurs entre eux permettra de mieux les sensibiliser et de leur faire adopter les meilleures pratiques. On ne fait absolument pas de conseil, on leur propose de se comparer les uns par rapport aux autres sur la base d'un diagnostic : cela marche relativement bien, puisque ceux qui sont un peu meilleurs vont pouvoir diffuser plus facilement leurs pratiques. Quelles sont les bonnes pratiques en viticulture ? Il faut limiter le travail du sol, enherber les vignes... L'enherbement est une vraie science. Il faut aussi réduire les pesticides, qui sont des biocides. Certains territoires sont très vertueux, comme l'Alsace qui est un territoire qui enherbe historiquement, d'autres le sont un peu moins, comme la Bourgogne. Ces projets sont importants car ils permettent de diffuser les bons indicateurs, de comparer et de stimuler l'innovation aussi chez les agriculteurs et les viticulteurs. Je suis persuadé que l'innovation des itinéraires techniques se trouve chez les agriculteurs et les viticulteurs, qu'il suffit de l'évaluer et de les diffuser à l'échelle d'un territoire. En revanche, ce qui marche en Alsace n'est pas obligatoirement applicable ailleurs et le but d'EcoVitiSol est d'étudier tous les territoires viticoles en une quinzaine d'années. Ce projet fait l'objet d'un cofinancement par les territoires eux-mêmes, qui démontre la véritable volonté locale de mieux connaître la qualité de ses sols et d'améliorer ses itinéraires techniques, ou à tout le moins de savoir si ceux qui sont développés vont dans le bon sens.

Des diagnostics, des indicateurs et des tableaux de bord permettent de suivre la réhabilitation des sols. Des laboratoires privés ont acquis aujourd'hui les indicateurs de l'Inrae et sont capables de diagnostiquer la qualité, notamment la qualité biologique des sols et certaines fonctions, et de produire des suivis de qualité des sols. La réhabilitation des systèmes agricoles peut être assez rapide pour les micro-organismes. Les bactéries et les champignons sont des organismes à temps de génération assez courts. Si on peut très vite les dégrader, il est également possible de les réhabiliter assez rapidement. Plus on part de loin, plus c'est long, mais plus on applique les bonnes pratiques, plus ça sera rapide et efficace. Cela ne prendra pas deux ou trois générations humaines. La qualité microbiologique d'un sol agricole dégradé par des mauvaises pratiques peut être réhabilitée en quelques années. Bien sûr, tout dépend de l'investissement dans ces nouvelles pratiques et de l'état initial du sol.

Concernant le gonflement des sols argileux, à partir du moment où les micro-organismes sont impliqués dans la structuration des systèmes, ils sont impliqués dans la stabilité du système. Donc si un sol argileux est totalement déstructuré parce qu'il y a des pratiques agressives et que la microbiologie est mauvaise, une amélioration de la microbiologie conduira à une meilleure capacité du sol à agréger les argiles pour une meilleure stabilisation.

M. Philippe Billet. - De mon point de vue de juriste, je considère que le ZAN a le mérite d'exister. Je crois me souvenir que le paradigme de la loi solidarité et renouvellement urbain du 13 décembre 2000 était de « reconstruire la ville sur la ville ». Il était déjà question des resserrements, des densifications et on peut s'interroger pourquoi il aura fallu la loi Alur en 2014, la loi Elan en 2018 et la loi ZAN en 2021, si on n'a pas réussi depuis 25 ans à obtenir les résultats espérés ! Avant de se poser la question de la manière dont on évite l'artificialisation, il aurait peut-être fallu se poser la question de la raison pour laquelle on artificialise. Comme vous le savez, il existe des millions de mètres carrés vacants pour lesquels il manque singulièrement de textes pour favoriser leur occupation effective. Certes, il y a, d'un côté, le droit de propriété mais il y a également, de l'autre côté, l'intérêt général. Lorsque l'État veut s'investir dans ce cadre-là, il sait le faire et il dispose des moyens pour le faire.

Il y a également la question de la désertification dans les campagnes qui impliquera plus de constructions en ville pour accueillir ces personnes, mais qui génère dans le même temps des logements et des cellules commerciales vacants. Peut-être qu'une réflexion plus poussée sur le ZAN aurait été intéressante. Ensuite, je suis très surpris qu'on critique autant un texte avant même qu'il ait été mis en oeuvre. Je note qu'il date de 2021 et qu'il a été modifié par une loi du 20 juillet 2023, deux ans après, alors même que la stratégie n'est toujours pas mise en place. Même si certaines communes ont déjà commencé à l'expérimenter, c'est quand même assez surprenant. La logique du dernier texte ne consiste pas à améliorer la mise en oeuvre du ZAN, mais à y échapper.

Des questions restent toutefois en suspens : quelle pérennité acquiert un sol réhabilité ? Une fois réhabilité, comment évolue-t-il dans le temps ? Est-ce possible de l'artificialiser à nouveau, moyennant une désartificialisation équivalente ailleurs ? On pourrait s'inspirer, me semble-t-il, de la loi de 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages qui instaure le principe de la compensation écologique et qui prévoit notamment le sort des terrains ayant fait l'objet d'une réhabilitation à des fins de compensation écologique. À mon sens, il pourrait être opportun de renforcer cet aspect dans le cadre du règlement national d'urbanisme, qui s'imposerait au besoin au PLU et aux autres documents d'urbanisme. Ensuite, puisqu'il est question d'artificialisation d'un point de vue quantitatif, ce décompte pourrait être complété par le principe d'additionnalité écologique au sens de la loi biodiversité de 2016, afin de favoriser la remise en bon état de la fonctionnalité des sols. Il faudrait également évaluer la manière dont ce principe pourrait être transposé dans les zones rurales, où il existe déjà un certain nombre d'éléments, notamment lors de l'entrée et la sortie de bail, sur l'évaluation de l'état des sols, et trouver des référentiels pour évaluer la bonne santé des sols, au-delà de leur seule capacité de production alimentaire. Si un sol peut produire parce qu'il est en bonne santé, il peut aussi produire parce qu'il est en mauvaise santé : ce phénomène n'est pas suffisamment perçu !

M. Jean-François Longeot, président. - C'est vrai que la mise en oeuvre du ZAN se confronte à bien des difficultés, alors que cette stratégie n'en est qu'à ses débuts, vous avez raison de le souligner.

M. Éric Gold. - Aujourd'hui, de nombreuses collectivités révisent leurs documents d'urbanisme, en définissant des zonages qui engendreront automatiquement des conséquences en matière de constructibilité et de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers. Je ne sais pas si le bon sens suffira parce qu'il y a aussi, à mon sens, un enjeu de connaissances. On ne protège bien que ce qu'on connaît bien. J'aimerais savoir de quels outils disposent les collectivités pour élaborer des documents d'urbanisme, qui prennent en compte à la fois les caractéristiques des sols et la protection de leur valeur patrimoniale. Je ne suis pas certain que les élus et les services d'urbanisme aient forcément accès aux études de l'Inrae, ou en tous les cas qu'ils servent au cours du processus d'élaboration des documents d'urbanisme. Existe-t-il de véritables outils de connaissance en appui des documents d'urbanisme qui sont, en termes de planification ou en termes opérationnels, des documents servant à préserver la constructibilité des terrains ?

M. Olivier Jacquin. - Je conseille à mes collègues la lecture du roman de Gaspard Koenig, Humus, qui s'intéresse à la vie des sols et décrit très finement la question de l'éco-anxiété chez les jeunes générations. De plus, la scène finale se déroule dans le jardin du Luxembourg et au Sénat ! Mes questions s'adressent essentiellement à M. Ranjard. L'utilisation des phytosanitaires, en particulier les fongicides, sont-ils compatibles avec une bonne santé du sol ? Les tenants de l'agriculture de conservation des sols mettent en avant la seule question du carbone et de la dilution de la matière organique dans le cadre des nombreux services écosystémiques rendus par les sols, mais font abstraction des risques phytosanitaires et de la qualité de l'eau. Peut-on réduire ainsi la problématique de la vie des sols ? S'agissant de la dilution de la matière organique par un travail du sol trop profond, avez-vous recueilli des données favorables concernant les nouvelles technologies de travail superficiel, comme les charrues déchaumeuses apparues récemment ? Enfin, concernant le ZAN, plutôt que d'esquiver le problème, ne vaudrait-il pas mieux aider les petites collectivités à densifier, tant en moyens financiers qu'en ingénierie, dans la mesure où la densification coûte plus cher que l'utilisation intensive des sols ?

M. Michaël Weber. - Je voudrais en premier lieu réagir à plusieurs propos qui viennent d'être tenus. Il est vrai que le législateur n'a peut-être pas suffisamment pris en compte ce qu'étaient les sols dans la loi ZAN. Et la question n'est pas simplement de limiter l'artificialisation des sols, mais c'est aussi celle de l'identification et de l'utilisation de l'existant : je rappelle que trois millions de logements sont vacants en France pour lesquels les solutions mises en oeuvre jusqu'ici n'ont pas porté leurs fruits.

La prise de conscience de cette biodiversité des sols est récente. C'est le cas en France ainsi qu'au niveau européen. Ce phénomène se rattache, il me semble, à la thématique des biens communs, qui sont l'air, l'eau ainsi que, demain peut-être, les sols. Cela m'amène à quelques questions. En matière de biodiversité, on évoque souvent la notion de corridor écologique et on essaie de montrer qu'il y a des continuités et des liens, notamment pour la faune, et dans une moindre mesure pour la flore. Est-ce que cette notion de corridor s'applique aussi aux sols ? Existe-t-il des interactions entre les sols malgré la distance ? À l'échelle nationale, est-ce que la diversité microbienne est affectée par l'homogénéisation des cultures ? En France, les céréales occupent 60 % des terres arables : quel est l'impact de ce point de vue-là ? L'épandage des boues d'épuration représente-t-il aussi un risque pour la vie souterraine et l'équilibre du cycle naturel des nutriments ? Est-ce que les obligations réelles environnementales (ORE), mises en place en 2017, pourraient être un outil intéressant pour protéger les sols, comme c'est le cas pour les forêts ?

M. Jean-Yves Roux. - Ma question porte sur les crues que nous vivons à l'heure actuelle et les inondations. La présence de bois et d'embâcles naturels dans les cours d'eau sont de plus en plus nombreux. Durant les crues, nous avons constaté qu'il y avait beaucoup d'ouvrages menacés à cause de nombreux embâcles dans les rivières. Dans un contexte de fort risque d'inondation, ne devrions-nous pas assouplir la gestion des embâcles pour mieux protéger la population, mais aussi les sols ? Et si oui, quel pourrait être selon vous le point d'équilibre entre la protection des sols et une gestion des embâcles visant à limiter les risques ? On s'aperçoit qu'il y a un différentiel de traitement des cours d'eau par rapport aux sols. Comment pourrait-on changer notre législation par rapport à la question de la protection des sols ?

M. Lionel Ranjard. - Sur l'appui des outils et des connaissances à l'élaboration des documents d'urbanisme, c'est précisément ce qu'on essaie de mettre en place à l'échelle du territoire dijonnais à travers le projet ProDij, en alimentant toutes les politiques publiques avec des outils et des connaissances sur les sols du territoire.

Avant de vous répondre sur le comportement des sols en lien avec les produits phytosanitaires, je vous précise à nouveau que je ne suis pas agronome mais écologue. Sur la question des fongicides, 80 % des pesticides sont des fongicides dans le secteur de la vigne. Quand ils tombent au sol, cela génère une forte dépression dans les sols viticoles, en termes de quantité de micro-organismes et notamment de champignons, mais aussi de réseaux d'interaction et de diversité. Le travail du sol est à l'origine d'une forme de « double peine » : moins d'herbicides dans les vignes, presque plus d'herbicides chimiques, en revanche le fait de désherber mécaniquement affecte la biologie du sol.

Concernant l'agriculture de conservation, tout le monde ou presque se revendique aujourd'hui de l'agroécologie ou de l'agriculture biologique. Nous avons réalisé une étude internationale sur l'impact de ces différents modes de production au regard du mode conventionnel sur toute la biologie du sol, et pas seulement la microbiologie, afin d'obtenir des tendances. On constate que l'agriculture de conservation est meilleure que l'agriculture conventionnelle en termes de biologie du sol. Le bio se situe au même niveau, mais pour des raisons différentes. L'agriculture de conservation limite le travail du sol et s'appuie sur une forte couverture des sols, ce qui est très bien pour la biologie en général même si cette méthode continue d'utiliser des engrais de synthèse et des pesticides. De l'autre côté, l'agriculture bio n'utilise plus de pesticides de synthèse, moins de biocides, plus de matières organiques, mais ne pratique pas toujours une bonne couverture des sols. Pour les conversions en bio, on observe même une augmentation du travail du sol, car il faut gérer les adventices qui entraînent souvent une baisse de rendement. Les deux modes de culture sont agroécologiques, mais tout le monde est au milieu du gué. J'ai envie de dire : faisons du bio en conservation ou de la conservation en bio. Mais on me dit que c'est impossible ! Or j'ai été contacté il y a trois semaines par un groupe d'agriculteurs en Mayenne, qui fait ça depuis 15 ans et qui nous propose d'étudier la qualité de leurs sols ! Nous répondrons favorablement à leur demande. On va essayer d'appliquer nos outils de recherche parce que d'un point de vue agroécologiques, cela me semble le bon système à développer.

Sur la dilution de la matière organique en fonction du type d'engin de travail du sol, souvent les agriculteurs réduisent les techniques de travail du sol en considérant qu'ils grattent juste en surface. Or, c'est en surface que se trouve l'essentiel de la biodiversité. Les bactéries et les champignons prospèrent dans les 10, 15, 20 premiers centimètres. Le labour profond est de moins en moins utilisé et les agriculteurs utilisent des systèmes de griffage de surface, mais ces techniques sont agressives, au moins en surface, car c'est là que se trouve le carbone. Par conséquent, ces techniques ont également une incidence sur le cycle du carbone.

M. Philippe Billet. - S'agissant des indicateurs développés dans le cadre du projet ProDij, je souhaite rappeler qu'il y a eu un groupe de travail qui s'appelait Gessol il y a une dizaine d'années, initié par l'Ademe et le ministère en charge de l'écologie, qui avait développé un projet appelé Uqualisol, destiné à rechercher, par des expérimentations en grandeur réelle, la possibilité de mettre en place des indicateurs de qualité des sols, lesquels indicateurs conditionneraient l'usage du sol qui pouvait être fait. Des indicateurs montraient qu'il y avait une utilisation potentielle à des fins d'artificialisation proche de zéro, puisqu'on ne pouvait pas les artificialiser, et d'autres qui permettaient cet usage. Comme beaucoup de rapports, ses recommandations sont restées dans les tiroirs.

S'agissant du projet ProDij, deux orientations de travail se dessinent. Tout d'abord, les indices de qualité permettent d'établir une sorte de cahier des charges pour les collectivités locales, afin de les éclairer sur l'adéquation des usages en fonction des sols. On évalue si ce sol est constructible, quel que soit sa qualité, sauf pour des questions de qualité mécanique. La qualité de fond n'est que très rarement prise en compte. L'idée de ProDij consiste justement à introduire ce critère de qualité dans l'usage des sols. L'autre élément de qualité porte sur la labellisation alimentaire, avec l'introduction de la qualité des sols dans les labels. Si vous regardez tous les cahiers des charges des AOC ou des IGP, vous ne trouverez pas la qualité du sol en tant que telle. L'idée serait d'introduire la labellisation sur la qualité de l'aliment et la façon dont on a cultivé l'aliment en respectant la qualité du sol. Cette labellisation serait double. Or, comme vous le savez, les questions de qualité des sols sont essentielles en matière d'urbanisme, puisque dès lors qu'ils font l'objet d'un label de protection, il est nécessaire de solliciter l'avis préalable de l'Institut national de l'origine et de la qualité (Inao) avant toute artificialisation.

Mme Chloé Girardot-Moitié. - Comment fait-on pour soutenir les territoires dans leur démarche de densification ? Je vous répondrai avec le prisme des compétences départementales, puisque c'est de cette manière que l'on peut agir. Dans nos financements aux territoires, le dispositif coeur de bourg est central. Si les projets qui nous sont soumis ne figurent pas dans l'enveloppe qui a été définie dans le plan guide, ils ne seront pas éligibles au financement. Nous travaillons étroitement avec les collectivités dans le cadre de notre politique de soutien aux territoires pour les orienter vers les bons outils, pour les conseiller et renforcer également les moyens de l'établissement public foncier.

Il faut également expliquer les modes de financement. On ne va pas pouvoir mobiliser les financements départementaux pour des projets manquant de cohérence ou qui risquent de vider les commerces du centre-bourg. Il est important de promouvoir le dialogue avec les intercommunalités et de prôner la mutualisation de certains équipements, afin de conforter cette nécessaire densification et centralisation, notamment pour les collèges du département. Je pense que c'est un état d'esprit. Il existe plein d'outils et plein d'acteurs pour accompagner ce processus. La question des financements est essentielle. Concernant les ORE, en Pays de la Loire, c'est le Conservatoire des espaces naturels qui porte surtout cette politique-là et cette expertise. Le département essaye d'y réfléchir, notamment pour les délaissés fonciers. Quand on revend du foncier départemental, nous l'associons à un mécanisme d'ORE pour garantir une sécurisation de la qualité du sol et des enjeux de biodiversité notamment. Mais nous n'en sommes qu'au tout début.

M. Philippe Billet. - Je poursuivrai sur les obligations réelles environnementales (ORE), puisque vous me tendez la perche. Sur le plan juridique, rien ne s'oppose à leur mise en oeuvre pour la protection objective du sol. En effet, le texte est assez générique dans sa rédaction, il vise le maintien, la conservation, la gestion ou la restauration d'éléments de biodiversité ou de fonctions bioécologiques, sans se préoccuper de la nature du milieu visé. Or, on ne peut protéger le sol qu'en protégeant la surface, puisque c'est l'élément essentiel au regard des travaux. La seule limite dans la mise en oeuvre du texte intervient lorsque le terrain fait l'objet d'un bail rural : l'ORE ne peut être mise en oeuvre qu'avec l'accord du preneur à bail. Cela montre bien que nous sommes face à un problème de bouleversement de la surface, qui pourrait porter atteinte au sol et à sa biodiversité en tant que tel.

Vous m'avez interrogé sur la biodiversité des sols, et notamment ce que nous appelons la « trame brune ». Il existe déjà la trame verte et bleue, nous avons également inventé la trame noire dans la loi de 2016 sur la biodiversité, et on s'oriente désormais vers la trame brune, même si cela reste sans doute une chimère pour le moment. En tout cas, la « trame brune » emporte l'idée qu'il existe des corridors de déplacements écologiques en sous-sol, qui nécessitent de maintenir ou d'atteindre une certaine qualité du sol pour permettre la circulation des éléments qui s'y trouvent. Je me demande même si nous ne pourrions pas aller dans le même sens que la directive cadre 2000/60/CE sur l'eau, avec ses trois critères : bon état biologique, bon état chimique et bon état physique. Ces critères n'ont jamais été appliqués aux sols. Il y a quelques temps, mon laboratoire a mené une étude pour savoir s'il était possible de transposer les principes de cette directive aux sols, puisqu'il existe déjà une expérimentation et une application dans ce domaine. Nous avons constaté que rien ne s'y opposait, nonobstant les nécessaires adaptations puisque nous ne sommes évidemment pas dans le même milieu, mais il existe déjà un certain nombre de critères qui pourraient être valorisés dans ce cadre-là.

Mme Chloé Girardot-Moitié. - J'avais également émis cette idée dans mon intervention, à la fois parce qu'il existe une vraie logique et un parallèle dans les critères : on ne peut d'ailleurs pas dissocier l'eau et le sol. Il s'agit également d'enjeux climatiques, puisque les sols secs et les questions liées aux inondations mettent en lumière la question de l'adaptation des territoires. Si nous voulons renforcer nos capacités et stratégies d'adaptation pour le futur, je pense qu'une approche comparable à celle de la DCE Eau pour les sols serait très intéressante.

Je voudrais également compléter mon propos en évoquant l'outil PAEN (périmètre de protection et de mise en valeur des espaces naturels et agricoles périurbains). Il existe trois PAEN en Loire-Atlantique, sur environ 26 000 hectares, qui sanctuarisent un périmètre d'espaces naturels et agricoles qui ne peuvent plus être artificialisés sans l'accord des communes, de l'intercommunalité et du département. Lorsque le périmètre est établi, il est protégé de l'artificialisation grâce à un programme d'actions dédiées. Cet outil facilite évidemment la mise en oeuvre de la loi ZAN, mais le programme d'actions et les moyens qui y sont associés permettent de travailler en faveur notamment de l'animation agricole. La chambre d'agriculture est partie prenante de ces PAEN, et le comité de pilotage inclut d'autres parties prenantes. Les débats liés à la gouvernance de ces PAEN portent notamment sur les enjeux liés à l'installation, à la transmission des exploitations, de trames vertes et bleues, d'articulation avec les contrats territoriaux Eau, et ainsi de suite. Il s'agit en définitive d'un outil « tout en un », qui instaure à la fois une logique de protection contre l'artificialisation des sols, mais aussi une capacité à développer des projets agricoles tout en préservant les sols des modes d'exploitation non prévus pour ces périmètres. Au niveau départemental, cet outil est donc intéressant, le bilan est positif dans l'ensemble des trois PAEN déjà mis en oeuvre et deux nouveaux sont en cours d'instruction. Les élus en sont satisfaits et souhaitent le renforcer, ils le voient comme un outil qui permet d'aller plus loin, c'est donc une démarche intéressante à plusieurs titres.

François Descoeur. - Lier le sol aux deux éléments vitaux que sont l'eau et l'air est une très bonne initiative. En ce qui concerne l'accessibilité des documents d'analyse de la qualité de l'environnement, dont parlait Éric Gold au sujet de l'exemple très probant de la métropole de Dijon, je voudrais préciser que dans le monde rural, nous ne disposons pas d'autant d'indicateurs, notamment sur la qualité du sol. Les personnes qui vivent et agissent sur le terrain ont néanmoins une connaissance tangible de ces questions, qui n'est certes pas scientifique, mais il serait bon de lier ces deux logiques, car la gestion de sols est un sujet primordial.

En revanche, il est hors de question de considérer que nous ne pouvons pas améliorer le ZAN, sous prétexte et au motif qu'il n'existe pas encore. Il existe bel et bien, de par son inscription dans la loi et sa perception dans le monde rural. Dans ma communauté de communes de 27 communes, 18 communes sont assujetties au règlement national d'urbanisme (RNU) et les autres ont un document d'urbanisme. La plus petite est peuplée de 40 habitants. Trouvez-vous raisonnable d'obliger l'ensemble de ces communes à élaborer un document d'urbanisme pour intégrer le ZAN ? Je ne souhaite pas opposer le monde rural et le monde urbain, mais il ne faut tout de même pas perdre de vue que le monde rural a des besoins différents du monde urbain. Nous n'allons pas dans le bon sens. L'établissement public foncier (EPF) que nous évoquions est réellement un bon outil, la nature du sol doit en effet être intégrée à ce type d'outil. En tout état de cause, il convient que les politiques publiques prennent en compte le monde rural dans le cadre d'une approche humaine, voire humaniste.

M. Hervé Gillé. - Je souhaite rappeler que la mission d'information sur la gestion durable de l'eau dont j'étais rapporteur a achevé récemment ses travaux, en soulignant l'importance de l'entretien des zones humides et l'inscription de ces objectifs dans les documents d'urbanisme. Il y a un lien évident entre la gestion de l'eau et la biodiversité au niveau des sols. Au niveau des SCoT et des PLUi, nous plaidons pour une gestion stratégique de l'eau, afin d'entretenir notamment les zones humides, dans le cadre d'une approche plus stratégique. Vous parliez de trames brunes, en Gironde nous parlons même de « trame pourpre », pour désigner les espaces de viticulture. C'est la raison pour laquelle nous voudrions inscrire ou renforcer cette vision stratégique des sols dans les Scot, notamment au travers de la gestion de l'eau. J'aimerais que vous réagissiez à ces propositions, qui pourraient faire l'objet d'une inscription réglementaire assez facilement. En termes de bénéfices rapides, nous pourrions observer des évolutions assez notables à ce niveau-là. Nous pourrions imaginer une déclinaison territoriale de ces politiques, en créant des articulations dans les territoires avec l'ensemble des parties prenantes.

Deuxième point, j'aimerais aborder la notion de capital lié aux sols, et notamment la valorisation du capital carbone. C'est un sujet important, qui nous échappe parfois, parce que les compensations carbone sont très dépendantes du secteur privé, et insuffisamment régulées par la puissance publique. Les sols peuvent constituer un véritable capital, c'est pourquoi il faut que nous réfléchissions à des stratégies privé-public pour développer les compensations carbone. De même, nous pourrions développer la notion d'aménité afin de préserver les sols et renforcer ce capital commun, dans le cadre d'une meilleure gestion.

M. Saïd Omar Oili. - Vous connaissez tous la problématique de Mayotte : nous manquons d'eau. Il ne pleut pas, l'eau est surtout présente dans les retenues collinaires, et celle-ci n'est plus consommable dans beaucoup de cas, à cause de la pollution au plomb notamment. Nous nous sommes engagés dans la course aux forages pour subvenir aux besoins locaux. Quelles évaluations faites-vous de l'impact de ces forages sur la biodiversité locale ?

Mme Kristina Pluchet. - Je voulais réagir à ce qui a été dit au sujet des domaines agricoles. J'ai entendu des propos à charge à ce sujet. À titre personnel, je ne connais pas une seule entreprise qui ne prenne pas soin de son outil de travail. Or, l'outil de travail des agriculteurs, c'est le sol. Ce sont donc les premiers à en prendre soin chaque année, à réaliser des prélèvements afin de mieux connaître la qualité de leurs sols. Ils font des efforts depuis de nombreuses années pour préserver cet outil de travail. L'agriculture française est la plus contrôlée, la plus normée qui soit. D'ailleurs, la conditionnalité des aides au titre de la PAC est un procédé très vertueux, elle a entraîné de nombreuses prises de conscience, beaucoup d'efforts ont été consentis. Les agriculteurs, je le rappelle également, sont garants de notre souveraineté alimentaire. Nous avons l'agriculture la plus propre au monde et il est important de la soutenir. J'avais aussi une question sur l'agriculture de conservation, qui dépend fortement du glyphosate, je voudrais donc connaître votre sentiment sur ce type d'agriculture.

M. Fabien Genet. - La Bourgogne a été mise en cause en raison de son retard concernant l'enherbement. Je voudrais préciser que certains territoires bourguignons sont au contraire en avance, mon analyse diffère donc légèrement de la vôtre, puisque je viens du Charolais-Brionnais. J'espère que vous nous aiderez à classer ce territoire et ses paysages à l'Unesco, puisque l'action des élevages bovins sur les paysages est fortement liée à la qualité des sols.

J'avais également deux autres remarques, liées à la planification et au travail mené dans de nombreux territoires au travers des PLU et des plans intercommunaux. Lorsque nous devons siéger dans les commissions de travail et voter ces documents, les connaissances à disposition des personnes chargées des délibérations sont assez limitées : il y a donc un effort de pédagogie à mener en la matière, auquel cette table ronde participe tout à fait. J'ai à ce propos une proposition, peut-être révolutionnaire : ne faudrait-il pas passer du PLU/PLUi au POS (plan d'occupation des sols), ce qui permettrait de mettre en avant la dimension dont nous parlons ce matin ?

Enfin, sur le ZAN, j'émets un avis différent de celui du professeur Billet. Nous avons, nous, le sentiment que le ZAN est déjà appliqué. Il l'est déjà dans le décompte de la période en cours, il est déjà appliqué par l'État et l'administration, qui ont tout à fait intégré cette dimension dans la préparation des documents d'urbanisme. Il est toujours bon qu'il existe un dialogue entre ceux qui votent la loi et ceux qui l'expliquent. Je vous rappelle donc que, si le régime législatif du ZAN a été modifié cet été, c'est parce que la loi n'est pas encore construite par ChatGPT, mais par des représentants élus, qui représentent des territoires, et sont également des êtres humains qui vivent dans ces territoires. Lorsque nous sentons qu'il existe de réelles difficultés d'acceptabilité, et que certains enjeux n'ont pas été pris en compte, je crois que c'est tout à l'honneur du législateur que de corriger la copie. Et d'ailleurs, au vu de ce que nous vivons actuellement, il est probable que d'autres modifications législatives interviennent dans les semaines ou mois qui viennent.

Au-delà de ces précisions, comme cela a été dit par le représentant des maires ruraux de France, il ne faut pas opposer ceux qui possèdent les connaissances scientifiques et ceux qui ont le bon sens lié à l'expérience du terrain. Nous souhaitons tous préserver la biodiversité. Certains y ont certes été sensibles plus rapidement que d'autres. Notre commission veille à faciliter la transition écologique pour les territoires, par une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux. Le bon sens qui émane du territoire me mène à une conclusion : l'idée qu'en concentrant la population en un seul lieu et qu'en densifiant, on préserverait l'environnement ne va pas de soi. Les réactions épidermiques que l'on observe en milieu rural, en Bourgogne, dans la Nièvre, et en Saône-et-Loire notamment, s'expliquent en partie par ce décalage. Expliquer qu'ajouter une maison en milieu rural détruira la biodiversité tandis qu'agrandir les métropoles et leurs environs est salué comme une bonne initiative pour préserver la nature, cela crée de fortes interrogations.

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - J'ai une simple question. Les communes travaillent actuellement aux zones d'accélération de la transition énergétique, et je vois que dans mon territoire, des concertations avec le public ont fait remonter une forte demande d'installations d'agrivoltaïsme. Pouvez-vous me confirmer que ces installations sont favorables à la biodiversité, ou au contraire, est-ce inquiétant pour les milieux naturels ?

M. Jean-Claude Anglars. - Je ne voudrais pas laisser repartir le professeur Billet avec l'idée que nous n'avons pas travaillé sur la sobriété foncière. Sur le ZAN, lorsque le texte de loi est sorti, la ministre d'alors, Emmanuelle Wargon, est venue sur le plateau de l'Aubrac en Aveyron pour tester l'application du ZAN dans les 10 à 15 années à venir. Elle a elle-même été surprise par la situation qu'elle a constatée sur le terrain. Les zones peu denses ou très peu denses, les zones de montagne, les communes qui ne consommaient pas beaucoup d'espace et pratiquaient déjà la sobriété foncière n'avaient tout simplement pas été prises en compte. Au moment où nous réfléchissons à la meilleure façon de limiter la consommation foncière de 244 000 hectares à 120 000 hectares au niveau national, il me semble utile que le Sénat s'intéresse à nouveau à l'application du ZAN.

Concernant la stratégie de sobriété foncière, je me félicite d'une chose : que l'État nous ait écoutés à propos de la mise en place du Fonds vert, agglomérat de fonds instauré en 2023, à la main des préfets de département, pour que les collectivités puissent agir sur le sujet. C'est la meilleure mesure qui ait été prise pour développer l'idée de sobriété foncière sur tout le territoire. Et concernant le soutien à l'habitat, j'invite mes collègues à revoir toute la politique de soutien au logement pour arriver à cet objectif de sobriété. Je pense que le Fonds vert a bien démarré, les collectivités ont pu s'emparer des sujets de la renaturation, de la réhabilitation des centres-bourgs, et ce au plus près du terrain. Il est important que cela se passe comme ça. Le ZAN a été inventé par des citadins, c'est à mon sens l'origine d'une partie du problème. Lorsqu'on habite sur l'Aubrac ou dans tout milieu rural, les agriculteurs font ce qu'ils peuvent. D'ailleurs, j'attire votre attention sur le fait que certaines appellations d'origine, comme le Roquefort, intègrent des critères liés à la nature du sol.

M. Sébastien Fagnen. - Nous partageons tous l'objectif de sobriété foncière. La taille des parcelles constructibles diminue peu à peu, pas uniquement pour des raisons écologiques, mais surtout pour des raisons économiques, ne nous le cachons pas. En tout cas, il est plutôt vertueux que nous ayons intégré cet objectif dans la loi. La difficulté n'est pas tant l'horizon que le chemin à emprunter, car nous ne le connaissons pas aujourd'hui : il est nécessaire de réfléchir collectivement à la mise en oeuvre du ZAN, qui a pour intérêt premier de préserver la qualité des sols d'un point de vue écologique. Les incompréhensions qui peuvent exister entre les élus et le monde de la recherche sont liées à ce qui a été dit jusqu'à présent. Lorsque nous devons élaborer des documents d'urbanisme, qu'il s'agisse des Scot ou des PLUi, c'est un binôme qui se met en place entre la collectivité et les bureaux d'études. Or, rares sont les bureaux d'études qui intègrent des travaux issus du monde de la recherche à proprement parler. Dans la perspective de la mise en oeuvre du ZAN, comment pouvons-nous faire en sorte, à moyen et long terme, que le dialogue entre le monde de la recherche, que vous représentez ce matin, et les élus, puissent tisser des liens plus étroits pour élaborer les meilleurs documents d'urbanisme ?

M. Lionel Ranjard. - Les panneaux photovoltaïques installés au-dessus des cultures posent en effet des questions quant à la qualité du sol, aux capacités de production agricole sous ces panneaux, avec des enjeux en termes d'ombrage. Des expérimentations ont lieu également sur l'éco-pâturage, qui s'ajoute à la production alimentaire. Dans la mesure où les panneaux sont encore en cours d'implantation, nous n'avons pas encore le recul nécessaire pour connaître le comportement des organismes et des sols sous les panneaux. Est-ce que cela se passe un peu mieux ou un peu moins bien sous ces panneaux ? Nous l'étudierons. Ce qui est certain, c'est que l'on observera nécessairement des changements sur le couvert végétal et sur les sols, étant donné que les conditions climatiques changeront forcément. Ce qu'il faudra évaluer, c'est la portée de ces changements. Nous répondrons à cette question d'ici quelques années. C'est d'ailleurs le problème de l'implantation de ce type de dispositifs sans étude d'impact a priori, mais il s'agit d'un constat issu de ma vision de chercheur.

À propos de la Bourgogne, je parlais du strict domaine viticole, et non pas des questions d'enherbement en général. Nous avons dressé ce constat dans le cadre du projet EcoVitiSol, la Bourgogne viticole est un territoire qui enherbe peu, pour des raisons de cahier des charges et d'appellation. La densité de cépages, 10 000 ceps par hectares, fait qu'il est difficile d'ajouter une bande enherbée dans les inter-rangs car elle entrerait tout de suite en compétition avec la vigne, qui n'a pas eu de compétiteurs depuis des dizaines d'années. Mais le système peut se rééquilibrer et je vois d'ailleurs de nombreux viticulteurs se mettre à enherber à la suite de nos projets ou sous l'effet d'autres dynamiques, malgré les difficultés techniques et les baisses de rendement que cela induit. Il y a une réelle sensibilité des agriculteurs et des viticulteurs sur ces sujets.

Cela me permet d'ailleurs d'évoquer les questions liées au monde agricole. Les agriculteurs sont bel et bien sensibilisés aux questions de qualité des sols, mais ils disposent de possibilités réduites pour analyser les sols. Sur le plan physico-chimique, ils peuvent en réaliser depuis des dizaines d'années. Seuls 10 à 15 % des agriculteurs le font chaque année, ce qui constitue déjà un premier niveau d'analyse et d'appréciation de la qualité des sols. Notre objectif est d'apporter des outils de biologie des sols aux agriculteurs qui réalisent ces analyses, pour leur permettre de compléter leurs informations, mais aussi de les sensibiliser et de les former. J'observe que les agriculteurs sont sensibilisés à ces questions, mais que nous avons un réel déficit de formation. On pourrait aussi parler du développement agricole, qui peine à prendre le relais au niveau de ces connaissances et de ces nouveaux outils. Les chambres, interprofessions, coopératives et instituts techniques, tous ces organes doivent s'imprégner de ces nouvelles connaissances. Nous sommes aujourd'hui dans une « guerre de thermomètres », avec de nouveaux outils, des considérations rationnelles et d'autres moins rationnelles : je pense que nous avons besoin de plus de clarté et de lisibilité concernant ces outils à venir, peut-être à travers une labellisation étatique ou institutionnelle des outils de mesure de la qualité des sols. C'est très important aujourd'hui selon moi.

Cela m'amène à un autre sujet. Nous avons parlé tout à l'heure des labels alimentaires, avec les planète-scores, les écoscores intégrant des notions de climat, de biodiversité, on parle aussi du cahier des charges de l'agriculture biologique et de l'agriculture de conservation. Ces cahiers des charges sont intéressants, mais ils portent des obligations de moyens et non de résultats, alors qu'il n'est pas toujours prouvé que les itinéraires techniques prévus par ces exigences mènent aux bons résultats. Je pense notamment au bio et à l'agriculture de conservation. Lorsqu'on diagnostique ces modes de production dans nos projets d'étude, on rencontre parfois des surprises. Ces modèles sont peut-être plus vertueux, mais on ne l'observe pas au niveau du terrain à travers nos analyses, pour des raisons diverses et variées. Il serait peut-être intéressant d'évoluer vers des objectifs de résultats - non pas des obligations de résultats, parce que ça serait coercitif. Je sais que la certification HVE3 (haute valeur environnementale de niveau 3) pourrait évoluer en ce sens, notamment en intégrant certaines mesures de microbiologie, qui sont disponibles pour juger de l'évolution d'un itinéraire technique, d'un sol soumis à un itinéraire technique ou d'une réhabilitation de sol. Il y a là aussi un potentiel conflit entre la mesure et la simulation, notamment dans les labels qui vont arriver. On parle beaucoup de big data, aujourd'hui nous avons des outils qui permettent d'extraire un certain nombre de données, mais nous ne sommes toujours pas capables de simuler la biodiversité. J'éprouve une certaine méfiance par rapport aux outils de simulation, qui sont sûrement assez attractifs en termes de coûts et de facilité d'usage, mais qui ne sont pas stabilisés aujourd'hui.

En ce qui concerne Mayotte, nous sommes à la fois face à un manque d'eau, une surpopulation, une surexploitation des ressources : il est clair que les sols vont en pâtir et en souffrir. Sur les systèmes tropicaux, il existe un réseau de mesure de la qualité des sols (RMQS) outre-mer, qui produit des référentiels de qualité des sols en milieu tropical, sur les plans physique, chimique et microbiologique. Il serait intéressant de voir là aussi l'évolution de la qualité de ces sols en fonction des urgences sociales à ce niveau-là. Il y a donc bien une équation avec les nombreuses problématiques liées à la qualité des sols et plus largement à la qualité de l'environnement sur ces territoires.

M. Philippe Billet. - Sur la question des zones humides, il s'agit d'une grande préoccupation française. Je préside la commission « Espaces protégés » du Conseil national de la protection de la nature (CNPN). Nous sommes en train de travailler avec le ministère de l'environnement sur l'identification de zones humides qui pourraient être éligibles au statut de Parc national sur le territoire français, et nous conduisons actuellement l'expertise de onze zones humides pour l'éligibilité à la Convention de Ramsar. Je suis assez surpris par cette question, parce qu'il existe déjà un outil, depuis 1964, mis à jour en 1992, le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage), qui intègre nécessairement les zones humides. Comme il existe un rapport de compatibilité entre les documents d'urbanisme et ces schémas directeurs, il suffit d'en renforcer la prise en compte au sein de ces documents de planification et de gestion. Et il est vrai que ça n'est pas toujours évident, puisque cela est susceptible de geler beaucoup d'hectares, mais dans le même temps, nous tenons compte de l'ensemble des éléments qui permettent d'alimenter ces zones humides. Je reconnais toutefois que la gestion de ces zones reste délicate, alors même que nous disposons de tous les outils nécessaires.

Deuxième point, sur la notion de valorisation du sol en tant que capital, dans le seul cadre du carbone. L'un de mes collègues a utilisé le terme de « transpropriation », qui se définit par la dissociation d'usage d'un même objet : un monument historique par exemple, dont les murs appartiennent au propriétaire et dont l'historicité appartient à la Nation. L'idée est de dissocier la gestion de ces deux réalités. Or, en matière de gestion des sols, ce dispositif existe déjà depuis 1902 : il s'agit actuellement de l'article L. 1321-2 du code de la santé publique, qui constitue le fondement juridique du périmètre de protection des captages.

On laisse la pleine propriété au possesseur du sol, et l'on asservit la capacité de filtration du sol à l'intérêt général. Rien n'interdit donc de reprendre cette dissociation entre la propriété effective du bien et l'affectation de certaines de ses qualités à la collectivité, qui serait compensée par des indemnisations comme il en existe s'agissant des servitudes en matière d'eau potable. Cela permettrait de marier deux intérêts : un intérêt privé quant à la propriété et certains usages du sol d'une part et l'asservissement à des intérêts généraux d'autre part. Il s'agirait de rémunération, d'indemnisation, qu'importe, mais nous pourrions nous orienter vers cette solution de dissociation, pour mettre en oeuvre une gestion différenciée du « capital sol ».

S'agissant ensuite de la sobriété foncière, je n'ai pas dit que le ZAN n'existait pas et qu'il ne s'appliquait pas. Je me suis simplement fondé sur les textes, en tant que juriste. Je sais que la sobriété foncière fait l'objet de beaucoup d'applications concrètes. Ce que je trouve critiquable dans le texte, c'est la volonté d'uniformiser l'application du principe sans prendre en compte les particularités locales inhérentes à ce sujet. Par ailleurs, ce que je visais dans les labels qui ne prennent pas en compte la qualité des sols, c'était l'usage effectif qui en était fait. Sur le Roquefort, nous sommes sur une « appellation d'origine » qui tient compte de la qualité géographique, notamment le sol caillouteux, mais sur lequel nous n'avons pas d'usage effectif de production par le sol en tant que tel. Je maintiens donc mon propos sur le fait qu'il n'existe que très peu d'intégration du sol dans les labels actuellement en vigueur.

S'agissant ensuite du dialogue entre les élus et le monde de la recherche, je prends l'exemple du projet ProDij à Dijon, porté par la métropole du Grand Dijon, qui permet d'accompagner la recherche sur la mise en place de dispositifs expérimentaux. Cela montre la volonté d'accompagner la recherche et la mise en place de dispositifs expérimentaux. Sur le plan juridique, nous produisons un document d'explication pour les élus sur les meilleurs moyens d'utilisation du sol dans les politiques d'urbanisme.

M. Lionel Ranjard. - Sur le plan scientifique, nous livrons aux élus les résultats de nos observations relatives à la qualité des sols. L'avantage de ce projet, c'est que nous avons observé les sols urbains, à l'intérieur de la ville donc, ainsi que les sols périurbains et ruraux, plutôt liés à des sujets agricoles. Ces rendus auront lieu cette année. Ils seront présentés aux élus et aux agriculteurs, ainsi qu'à l'ensemble des organes intéressés par la qualité des sols. S'agissant de leur intégration dans les PLU et les Scot, dans le foncier en général, nous essayons de rationaliser et de rendre les diagnostics opérationnels. La mesure est scientifique, mais nous rendons des diagnostics opérationnels. Il est inutile de présenter les recherches dans leur complexité, avec les moyennes et les écarts-types. Il faut plutôt présenter des codes couleur, un diagnostic opérationnel, comme les labels alimentaires pour le grand public, afin d'être réellement utiles aux agriculteurs. Dans le cadre d'EcoVitiSol, nous faisons de même avec les viticulteurs, nous leur fournissons un diagnostic clair et opérationnel, pratique, à même de favoriser la modification des usages.

M. Philippe Billet. - J'ajoute qu'à chaque réunion que nous organisons, l'ensemble des partenaires sont présents, notamment les représentants des collectivités locales. Cela témoigne de leur intérêt pour ce projet, au-delà de l'aspect strictement politique, justement parce que nous avons mis l'accent sur l'aspect opérationnel du projet.

M. Lionel Ranjard. - Cette production de connaissances nouvelles, que nous sommes en mesure de transformer rapidement en solutions opérationnelles, permet également de stimuler le système de la recherche. Cette démarche est dynamique dans les deux sens.

M. Jean-François Longeot, président. - Je remercie l'ensemble des intervenants pour la qualité des échanges. La question de la qualité des sols est un sujet crucial pour l'avenir. Le travail de sensibilisation doit inclure tout le monde, les acteurs de terrain, les scientifiques ainsi que les décisionnaires politiques. Ce sujet concerne l'ensemble de notre territoire, sans oublier les outre-mer où cette question est également centrale. Notre sensibilisation à la question de la qualité des sols va d'ailleurs se poursuivre, puisque nous allons à présent nous déplacer et observer le travail des équipes scientifiques dans le jardin du Luxembourg.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible sur le site internet du Sénat.

La séance est close à 11 h 35.