Mercredi 6 décembre 2023

- Présidence de M. Philippe Mouiller, président -

La réunion est ouverte à 9 h 00.

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à prolonger en 2024 l'utilisation des titres-restaurant pour des achats de produits alimentaires non directement consommables - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Philippe Mouiller, président. - Notre ordre du jour appelle tout d'abord l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de loi (PPL) visant à prolonger en 2024 l'utilisation des titres-restaurant pour des achats de produits alimentaires non directement consommables. Cette proposition de loi, déposée par le député Guillaume Kasbarian, a été adoptée par l'Assemblée nationale le 23 novembre dernier, après engagement de la procédure accélérée par le Gouvernement.

Une proposition de loi sénatoriale analogue a été déposée par Sophie Primas, Frédérique Puissat et Alexandra Borchio Fontimp. Le calendrier de l'Assemblée nationale s'est révélé plus favorable que celui du Sénat, et nous sommes donc amenés à traiter la proposition que nos collègues députés ont adoptée.

Ce texte sera examiné en séance publique lundi 18 décembre 2023.

Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - La proposition de loi que nous examinons ce matin nous a été transmise par l'Assemblée nationale mais son dispositif nous est déjà bien connu. Il s'agit de prolonger un assouplissement temporaire des règles d'utilisation du titre-restaurant que notre commission avait proposé, à l'été 2022, dans le cadre des mesures d'urgence pour protéger le pouvoir d'achat face à l'inflation.

Le titre-restaurant, créé en 1967, est un titre spécial de paiement cofinancé par l'employeur, à hauteur de 50 % à 60 % de sa valeur faciale, et par le salarié. Les titres sont acquis par l'employeur auprès de sociétés émettrices et peuvent être remis sous forme papier ou dématérialisée.

Leur utilisation est destinée à l'achat d'un repas par journée travaillée par le salarié. À ce titre, le dispositif bénéficie d'avantages sociaux et fiscaux : la contribution de l'employeur à la valeur libératoire du titre-restaurant est exclue de l'assiette des cotisations et contributions sociales, et ce complément de rémunération est exonéré de l'impôt sur le revenu, dans la limite d'un plafond revalorisé chaque année.

L'impact du titre-restaurant pour les finances publiques s'élevait ainsi, en 2021, à 1,8 milliard d'euros, dont 1,4 milliard d'euros pour la sécurité sociale et 0,4 milliard d'euros pour l'État.

Les titres-restaurant peuvent être acceptés par les restaurateurs, les hôteliers-restaurateurs, les détaillants en fruits et légumes et par les commerces assimilés agréés par la Commission nationale des titres-restaurant (CNTR), notamment les commerces de bouche ainsi que les grandes et moyennes surfaces. Au total, 234 000 commerces, dont 65 % de restaurants, acceptent les titres-restaurant.

Le repas acheté au moyen de titres-restaurant est, en principe, composé de préparations alimentaires directement consommables, le cas échéant à réchauffer ou à décongeler, notamment de produits laitiers ; il peut également être composé de fruits et légumes, qu'ils soient ou non directement consommables.

La remise de titres-restaurant par l'employeur n'est pas obligatoire et ce dispositif coexiste avec d'autres formes de participation de l'employeur à la restauration des salariés : soit la mise en place d'un restaurant d'entreprise, soit le versement d'une indemnité repas dite « prime de panier ».

D'après la CNTR, au 31 décembre 2022, 180 000 employeurs avaient recours au titre-restaurant ; ce ne sont ainsi 5,2 millions de personnes, soit 19 % des salariés, qui en bénéficiaient.

Si le dispositif n'a pas pour vocation première de soutenir le pouvoir d'achat des salariés, il a été mobilisé à cette fin pour faire face à la forte inflation des années 2021 et 2022. Ainsi, alors que la valeur moyenne d'un titre-restaurant est de 8,25 euros, le Gouvernement a rehaussé par décret le plafond d'utilisation journalière des titres-restaurant de 19 à 25 euros à compter du 1er octobre 2022.

En outre, la loi de finances rectificative du 16 août 2022 a rehaussé le plafond d'exonération de la participation de l'employeur à 5,92 euros afin de permettre, indirectement, une augmentation de la valeur moyenne des titres. Ce plafond a ensuite été augmenté à 6,50 euros par la loi de finances pour 2023, puis à 6,91 euros par un décret du 31 mai 2023.

Enfin, dans le cadre de la discussion au Sénat de la loi du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, notre collègue Frédérique Puissat, rapporteur de la commission des affaires sociales, a proposé d'assouplir les règles encadrant l'utilisation du titre-restaurant en l'étendant à une plus large gamme de produits. Cette loi a prévu un dispositif dérogatoire permettant d'utiliser, jusqu'au 31 décembre 2023, les titres-restaurant pour l'achat de tout produit alimentaire, qu'il soit ou non directement consommable. La dérogation est notamment applicable auprès des commerces assimilés tels que les grandes et moyennes surfaces.

Depuis la mise en oeuvre de ce dispositif dérogatoire, la CNTR a constaté une augmentation de la part des grandes et moyennes surfaces dans l'utilisation des titres-restaurant de 22,4 % à 28,9 %, tandis que la part des restaurants aurait baissé de 46,5 % à 44,3 % et celle des autres professions assimilées de 30,4 % à 26,2 %.

Toutefois, selon les services du ministère de l'économie que j'ai auditionnés, la corrélation entre cette évolution et le régime d'utilisation dérogatoire n'apparaît pas avec évidence. En effet, d'autres paramètres peuvent aussi expliquer la tendance à l'augmentation de la part de marché des grandes et moyennes surfaces, à savoir le développement du télétravail, la préférence croissante pour la préparation de plats à domicile, ou encore des arbitrages entre les dépenses des foyers dans le contexte actuel d'inflation. En réalité, l'inflexion pourrait être antérieure à la mesure et remonter à la crise sanitaire.

Selon la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), la composition du panier d'achat des utilisateurs de titres-restaurant dans les grandes et moyennes surfaces aurait été modifiée sans être bouleversée par la mesure : entre 70 % et 75 % des achats payés par titre-restaurant au supermarché resteraient des produits directement consommables.

Quinze mois après l'entrée en vigueur de cette mesure, il est patent que les conditions ayant justifié la mise en place d'un régime dérogatoire sont toujours présentes. Malgré le ralentissement de l'inflation, la hausse des prix alimentaires continue de grever le pouvoir d'achat des salariés. D'après les données provisoires de l'Insee, les prix de l'alimentation auraient augmenté de 7,6 % entre novembre 2022 et novembre 2023, contre 3,4 % pour l'indice des prix à la consommation.

Interpellé à ce sujet par des associations familiales et des élus, le Gouvernement, qui n'avait pas anticipé la sortie du régime dérogatoire créé en 2022, s'est prononcé dans l'urgence en faveur de sa prolongation pour une année supplémentaire, considérant que cette facilité restait la bienvenue dans un contexte économique compliqué.

La proposition de loi de Guillaume Kasbarian, déposée le 17 novembre dernier et adoptée par l'Assemblée nationale le 23 novembre, vise donc à reporter au 31 décembre 2024 le terme de ce dispositif dérogatoire.

Le dispositif du titre-restaurant n'est pas figé et a déjà connu des assouplissements. Par exemple, la loi du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail a permis le don de titres-restaurant non utilisés à des associations d'aide alimentaire.

Ainsi, le dispositif dérogatoire ne fait courir aucun risque immédiat au régime fiscal et social du titre-restaurant, ni a fortiori au dispositif lui-même.

Toutefois, un assouplissement pérenne des règles d'utilisation des titres-restaurant pourrait avoir pour effet d'éloigner le dispositif de sa vocation initiale, à savoir financer le déjeuner de travail des salariés, laquelle justifie son financement par les employeurs et le régime fiscal et social dont il bénéficie. Il comporte également un risque de déstabilisation du secteur de la restauration, déjà touché par la crise sanitaire, le télétravail, la pénurie de main-d'oeuvre, l'inflation et la crise énergétique.

Une évolution pérenne du dispositif doit donc être envisagée avec prudence et ne saurait avoir lieu sans concertation ni étude préalable.

Je considère cependant qu'une évolution du titre-restaurant pourrait se justifier, compte tenu des changements dans les habitudes et les aspirations des salariés, mais aussi des disparités d'offres de restauration entre les territoires.

Cette réflexion sur les règles d'utilisation du dispositif doit s'inscrire dans une modernisation plus large à laquelle travaille le Gouvernement en concertation avec la CNTR, qui inclut la généralisation de la dématérialisation des titres. Dans cette perspective, il serait opportun de donner suite à l'avis rendu en octobre dernier par l'Autorité de la concurrence (ADLC) en instaurant une régulation adaptée du marché des titres-restaurant et en recherchant une solution structurelle visant à rééquilibrer le rapport de force entre les sociétés émettrices de titres-restaurant et les commerçants. L'Autorité a en effet relevé l'existence de défaillances de marché, et en particulier d'un pouvoir de marché des émetteurs historiques qui permet l'augmentation continue des commissions payées par les commerçants, notamment par les restaurateurs.

Dans l'immédiat, je vous invite à adopter sans modification cette proposition de loi.

Pour terminer, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère que ce périmètre comprend des dispositions relatives à la durée d'un assouplissement dérogatoire des règles d'utilisation des titres-restaurants. En revanche, ne me semblent pas présenter de lien, même indirect, avec le texte déposé, et seraient donc considérés comme irrecevables, des amendements relatifs aux conditions d'attribution des titres-restaurant, à leur régime fiscal et social ou à la régulation du marché des titres-restaurant.

Il en est ainsi décidé.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Notre groupe propose d'étendre le dispositif dérogatoire jusqu'en juin 2024 uniquement.

Ce dispositif dérogatoire modifie totalement la nature du titre-restaurant, qu'il met à mal. Je m'étonne que la prolongation en ait été demandée par le ministre chargé de l'économie sous le prétexte de l'inflation alimentaire, alors que celui-ci ne cesse de répéter que ce problème de l'inflation sera résolu en 2024.

Pour être accordé au salarié, le titre-restaurant nécessite deux séquences de travail dans la journée. Un salarié qui ne travaillerait que le matin ou que l'après-midi n'en bénéficierait pas. Strictement lié à la pause méridienne, le titre-restaurant permet d'acheter et de prendre un repas sur le lieu de travail ou à proximité, en se rendant dans un restaurant ou, plus souvent, dans une boulangerie. C'est pourquoi il constitue un dispositif du code du travail. Ce dernier prévoit que toute entreprise, à partir de 50 salariés, doit le proposer à son personnel, à moins qu'elle ne comporte un restaurant interne, qu'elle mette à disposition une salle aménagée ou qu'elle offre des paniers-repas.

Des dérogations ont été accordées avec la covid-19, les périodes de confinement et de fermeture des restaurants et se sont poursuivies, et nous les comprenions. La CNTR mène depuis un an une réflexion sur la question du télétravail, qui, de même, ne s'écarte pas de l'esprit originel du dispositif. Mais un autre motif qui est totalement exogène est apparu, celui du pouvoir d'achat. Et sur quelque 8 milliards d'euros dépensés en titres-restaurant, en l'espace d'un an de dérogation, ce ne sont pas moins de 500 millions d'euros qui sont revenus aux entreprises de la grande distribution. Pourtant, ces dernières, qui bénéficient de marges de négociation très importantes auprès des émetteurs des titres, ne tirent du dispositif que 1 % de leur chiffre d'affaires. Dans le même temps, les titres apparaissent vitaux pour les restaurants ainsi que pour les métiers de bouche, en ce qu'ils sont constitutifs d'une économie de proximité autour de la pause méridienne des entreprises.

De plus, le titre-restaurant implique, bien plus qu'une exonération de cotisations sociales, une véritable exemption de l'assiette de cotisation. L'employeur et les salariés participent, mais aussi l'État en perdant 1,8 milliard d'euros en cotisations sociales et en impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP). Et l'exemption n'étant pas compensée, la sécurité sociale devient un quatrième financeur du dispositif.

Dans ces conditions, sans doute devrions-nous nous en tenir à l'usage prévu par le code du travail.

Pourquoi accorder une nouvelle dérogation d'un an ? Qui en défend l'idée ? La seule grande distribution, qui vise la pérennité d'un dispositif pour l'heure dérogatoire.

La CNTR est une instance paritaire. En son sein, tant le collège des salariés que celui des employeurs sont vent debout contre le détournement du titre-restaurant en titre alimentaire. Ils ont manifesté leur désaccord par un communiqué. Toutes les organisations syndicales s'opposent également au détournement de ce dispositif. Les organisations patronales sont contre, au premier rang desquelles l'Union des entreprises de proximité (U2P) qui y voit une mise en cause du modèle économique du service de midi des restaurants. Ne sachant comment procéder autrement, le Gouvernement tient sa promesse d'un titre alimentaire sur le dos du titre-restaurant !

La grande distribution escompte que des prolongations successives, année après année, rendront difficile tout retour en arrière.

Le titre-restaurant n'est pas conçu pour acheter des oeufs ou de la farine pour sa famille en raison d'un problème de pouvoir d'achat. Ne le confondons pas avec la prime de partage de la valeur, autre mécanisme fort coûteux pour la sécurité sociale et les finances publiques. Le titre prend son sens et conserve toute sa validité à l'intérieur du code du travail.

Mme Annie Le Houerou. - À l'origine, les titres-restaurant, financés en partie par l'employeur, devaient payer les repas pris par les salariés ne disposant pas sur leur lieu de travail d'un point de restauration, c'est-à-dire des repas pris au restaurant ou sous la forme de simples plats cuisinés et prêts à être consommés. Par un changement d'orientation, leur utilisation a été étendue aux produits dits non consommables directement. Cette utilisation a bénéficié à 5,4 millions de salariés français. Elle en dit long sur la précarité alimentaire : le détournement des titres-restaurant vient compenser la précarité grandissante des salariés.

Bien que détourné de l'objectif initial, le dispositif dérogatoire rend indéniablement service, en répondant à un besoin réel des salariés. Nous jugeons donc nécessaire une réflexion d'ensemble sur leur pouvoir d'achat. L'amélioration de ce pouvoir d'achat passera par une revalorisation des salaires, non par un saupoudrage à l'aide des titres-restaurant ou d'aides de type chèques alimentaires.

Le Gouvernement mélange un peu tout, cherchant à tirer parti de tous les dispositifs et de la participation des employeurs à leur financement.

Illustration de la dérive à laquelle nous assistons, j'entendais ce matin un grand distributeur proposer une assurance alimentation. Nous marchons sur la tête !

Il est plus que temps de reconsidérer le sujet, afin d'aboutir à un recadrage des titres-restaurant ainsi qu'à la revalorisation des salaires. Une personne qui travaille doit pouvoir se nourrir correctement, sans avoir recours à ce type de dispositif.

Avec mon groupe, nous restons réservés sur cette proposition, qui, par surcroît, intervient dans l'urgence, même s'il paraît difficile de mettre fin au dispositif dérogatoire dès le 31 décembre prochain.

Mme Céline Brulin. - La prolongation de l'utilisation des titres-restaurant dans les conditions actuelles n'est pas la panacée. Le problème du pouvoir d'achat requiert des mesures beaucoup plus structurelles, en particulier l'augmentation des salaires. Celle-ci serait bénéfique aux restaurateurs et aux métiers de bouche qui, les premiers, pâtissent de la réduction des dépenses des familles.

En revanche, l'urgence, toujours en considération du pouvoir d'achat, mais aussi de la demande des salariés qui ne peuvent peut-être pas faire autrement qu'employer les titres-restaurant pour se nourrir, commande de ne pas mettre un coup d'arrêt brutal au dispositif dérogatoire.

Avec toutes les réserves que nous avons exprimées, nous sommes, avec mon groupe, plutôt favorables à la proposition de loi qui en prolonge l'application.

Madame la rapporteure, vous avez évoqué à juste titre le fait que le Gouvernement n'avait pas préparé la sortie de ce dispositif. Qu'est-il envisagé au-delà de l'année de sa prorogation, au risque que nous nous retrouvions dans une situation identique et confrontés au même débat ? Je n'ai pas le sentiment qu'il y ait beaucoup de pistes.

Vous avez indiqué que des réflexions sur des modifications, et non sur un bouleversement, du dispositif des titres-restaurant suivaient les évolutions du monde du travail, notamment le développement du télétravail. Comment définir un principe d'accompagnement des salariés dans leur restauration au travail qui prenne en compte ces évolutions ?

Au travers de votre rapport, avez-vous cerné quels salariés utilisent d'abord les titres-restaurant ? Vous avez mentionné une proportion de 20 % de salariés. S'agit-il plutôt de salariés de petites entreprises ? Il me semble que la situation d'un salarié dans un grand bassin d'emploi, avec des entreprises ou des administrations qui disposent de points de restauration, parfois des restaurants inter-entreprises, diffère sensiblement de celle d'un salarié plus isolé d'une petite entreprise située en milieu rural. Il conviendrait de prendre en compte la diversité des situations dans la réflexion globale à conduire sur la restauration des salariés.

Mme Véronique Guillotin. - Qui détermine la nature des achats possibles en grande surface avec des titres-restaurant, autrement dit le contenu du panier qui en autorise l'utilisation ?

Si j'entends l'avertissement de ne pas déséquilibrer un secteur économique tel que celui de la restauration, je pense qu'il faut aussi prendre en compte le fait que tous les systèmes évoluent à la mesure des modes de vie et de consommation. Je ne suis pas certaine que l'utilisation des titres-restaurant dans les grandes et moyennes surfaces réponde uniquement à une problématique d'inflation et de pouvoir d'achat. Il se peut que des consommateurs souhaitent également se préparer des repas plus équilibrés, ce qu'on ne saurait que favoriser.

La prolongation d'un an du dispositif dérogatoire ne me pose pas de difficulté. Mais ne devrions-nous pas y ajouter des considérations de santé publique dans le ciblage des produits de consommation autorisant l'utilisation des titres-restaurant ?

M. Xavier Iacovelli. - Nous sommes favorables à la prolongation du dispositif. Avec plusieurs de mes collègues, nous avions déposé une proposition de loi qui visait à le pérenniser, en levant par ailleurs le plafond journalier d'utilisation des titres. Elle nous paraissait assurer ainsi la liberté des salariés, tout en ne pénalisant pas les restaurateurs, inquiets à l'idée d'une éventuelle pérennisation du système.

Il faut adapter notre fonctionnement aux changements des modes de consommation. Un titre-restaurant d'une valeur de 8 ou 10 euros ne permet guère, en particulier à Paris, de consommer autre chose que de la malbouffe. Il peut en revanche permettre d'acheter des produits plus équilibrés dans une grande surface ou dans une épicerie. Laissons aux salariés la liberté d'utiliser les titres-restaurant comme bon leur semble, évidemment pour l'achat de produits alimentaires.

Si l'objectif immédiat est celui d'une prompte adoption de la présente proposition de loi, afin d'obtenir la prolongation d'au moins un an du dispositif, le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI) n'en déposera pas moins des amendements destinés à faire avancer cette idée dans le débat. Le Gouvernement pourrait s'engager à réaliser une étude d'impact relative à la pérennisation du système.

Mme Corinne Bourcier. - Un montant de 9 euros ne permet, en effet, pas de prendre un déjeuner dans un restaurant en milieu de journée. Travailler dans une petite commune et ne disposer que d'une heure de pause méridienne ne le permet pas plus. Mais déjeuner d'un sandwich tous les jours n'est pas une solution ! C'est pourquoi des salariés préparent des plats qu'ils consomment sur le lieu de travail après les avoir réchauffés.

Je suis tout à fait d'accord sur la prolongation d'un an de l'utilisation des titres-restaurant pour des achats de produits alimentaires non directement consommables.

Mme Nadia Sollogoub. - Le responsable d'une toute petite entreprise m'a alertée sur ce que, dans un environnement très rural, les salariés ne bénéficient d'aucun restaurant à proximité de leur lieu de travail, pas plus qu'ils n'ont le loisir de pouvoir acheter ne serait-ce qu'une salade. Ils expriment leur lassitude des dispositifs calibrés uniquement pour des salariés qui travaillent en ville. Ils apprécient de pouvoir utiliser le titre-restaurant pour financer le plat qu'ils préparent eux-mêmes quotidiennement et qu'ils consomment sur place.

Prenons en compte qu'il existe plusieurs catégories de salariés en France.

Mme Corinne Féret. - La démonstration est faite qu'il faut se laisser un peu de temps pour explorer les différentes évolutions à l'oeuvre. N'oublions pas non plus que le système actuel s'organise autour de la CNTR, qui réunit de façon paritaire salariés et employeurs. Il importe de laisser le dialogue social s'exprimer et avancer ses propres propositions.

La souscription au titre-restaurant n'est pas une obligation pour le salarié ; elle lui est proposée sous certaines conditions, relatives notamment au temps de travail et aux solutions de restauration dans son entreprise. Les grandes entreprises possèdent quasiment toutes un point de restauration collective et ne proposent donc pas de titres-restaurant à leurs salariés. Rapportons les choses à leur juste état.

La mesure d'extension de l'utilisation des titres-restaurant aux achats de produits alimentaires non directement consommables a par ailleurs été décidée dans un contexte bien spécifique.

Nous sommes pris par l'urgence, avec l'examen de la proposition de loi en séance le 18 décembre prochain au Sénat, quand le dispositif dérogatoire prend fin le 31 décembre suivant. De la part du Gouvernement, c'est peu responsable et peu respectueux à l'endroit des organisations paritaires.

Prolongeons donc le dispositif, mais sur une durée limitée, pour se donner le temps de la réflexion et laisser s'exprimer le dialogue social.

Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - Merci de vos contributions enrichissantes et utiles à la bonne compréhension du sujet.

Je note qu'il s'en dégage un certain consensus sur l'intérêt de maintenir la souplesse du dispositif dérogatoire d'utilisation des titres-restaurant. Elle répond à des attentes légitimes des salariés, qui rencontrent des difficultés devant une situation inflationniste qui n'a pas disparu depuis que la mesure a été instituée, en particulier pour les prix alimentaires.

Vos inquiétudes n'en sont pas moins légitimes et il faudra y répondre.

Certaines portent sur la régulation du marché des titres-restaurant, avec la question du rapport de force entre les sociétés émettrices de ces titres et notamment les restaurateurs. Ces derniers sont soumis à des taux de commissions particulièrement élevés, en comparaison de la grande distribution.

Vos inquiétudes ont également trait au dialogue social. Ici, je tempérerai le propos de Raymonde Poncet Monge : toutes les organisations syndicales ne s'opposent pas au dispositif dérogatoire d'utilisation des titres-restaurant. Parmi celles que j'ai entendues, la CFTC en a reconnu l'utilité. Les autres regrettent sa pérennisation.

Les salariés apprécient globalement la souplesse qui leur est offerte de choisir dans une gamme plus large de produits pour composer le menu de leur déjeuner.

L'augmentation à 25 euros du plafond quotidien d'utilisation des titres conduit à ce que des salariés se retrouvent certains jours sans titre pour payer leur repas. Il convient de le prendre en compte.

Sans doute faut-il faire confiance aux salariés quant à leur capacité à être raisonnables dans le choix de produits ; et nous devons répondre à leurs besoins, comme à leurs attentes, qui sont aussi celles de repas équilibrés.

Plusieurs d'entre vous l'ont souligné, nous ne saurions ignorer les évolutions à l'oeuvre dans les comportements et dans l'organisation du travail. Avec la crise sanitaire, le télétravail s'est notamment durablement installé dans les entreprises.

Je veux partager avec vous certains éléments de comparaison avec des pays voisins. En Belgique et en Italie, où existent des dispositifs similaires, on note chez les salariés une propension à prendre de plus en plus souvent les déjeuners au domicile. En Italie, ce sont 62 % des salariés qui déjeunent à la maison. Cette tendance s'accompagne de la recherche, dans la composition des menus, de davantage de circuits courts et de produits de terroir.

Céline Brulin a pointé la différence de situation qui prévaut entre les salariés des grandes entreprises et ceux des petites entreprises. Il semblerait que ces derniers bénéficient moins, en moyenne, des titres-restaurant.

Le Gouvernement réfléchit à la possibilité d'un « titre-repas », ce qui constituerait une évolution du dispositif que nous connaissons actuellement. L'intervalle qui nous est donné d'ici à la fin de la prolongation du dispositif dérogatoire, si le Sénat accepte la présente proposition de loi, devrait permettre au Gouvernement ainsi qu'aux organisations patronales et salariales de mettre en place une véritable concertation au sein de la CNTR sur la régulation du marché des titres-restaurant.

L'élément géographique est aussi à considérer. La situation des salariés n'est en effet pas la même en zone dense, avec beaucoup de bureaux et de restaurants, et en milieu rural, où les possibilités d'accès au restaurant sont moindres et où, pourtant, on ne peut se contenter d'un sandwich tous les jours. La qualité de l'alimentation des salariés répond à un objectif de santé publique, comme elle participe plus généralement à la qualité de vie au travail.

Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - La liste des produits éligibles au paiement par titre-restaurant est déterminée par une charte conclue entre la CNTR et le secteur de la distribution, dans le respect de ce que prévoient la loi et le règlement. Elle fait donc l'objet de discussions régulières entre ces acteurs.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

Mme Marie-Do Aeschlimann, rapporteure. - L'amendement COM-1 rectifié prévoit d'anticiper la fin du dispositif dérogatoire au 30 juin 2024, au lieu de la fixer au 31 décembre 2024. Mon avis est défavorable.

L'ensemble des orateurs qui se sont exprimés ont fait état de plusieurs difficultés, dont la question de l'inflation et celle de la régulation du marché des titres-restaurant. Elles nécessitent une étude d'impact puis une véritable concertation des acteurs. Sécuriser et faire évoluer le dispositif des titres-restaurant requiert plus de six mois. Nous ne voudrions pas nous retrouver fin juin 2024 dans la même situation d'impréparation à l'égard du futur dispositif que celle dans laquelle nous sommes actuellement. Un an n'est pas de trop pour remettre les choses à plat et préparer un dispositif équilibré.

Mme Raymonde Poncet Monge. - La CNTR travaille depuis deux ans avec le ministre délégué chargé du commerce aux évolutions dont vous faites état. Les représentants de ses deux collèges, notamment ceux de l'U2P, m'ont fait remarquer que la dérogation qui, à l'initiative du ministre chargé de l'économie Bruno Le Maire, transforme le titre-restaurant en chèque alimentaire, ou selon leur expression en « chèque caddie », n'était absolument pas à l'ordre du jour de leurs discussions paritaires. Pourquoi, dans ces conditions, prévoir une année supplémentaire ? Le débat et la concertation ont déjà lieu sur tous les éléments que vous avez relevés.

Les syndicats et le patronat soutiennent l'amendement. Ils ne sont pas contre les évolutions, mais entendent que le dispositif des titres-restaurant demeure un dispositif du code du travail, sauf à en faire un dispositif au service du pouvoir d'achat directement piloté par le ministre chargé de l'économie. Si nous prolongeons d'un an la dérogation actuelle, qui d'ailleurs devrait ressortir à la compétence du ministre chargé du travail, aucun retour en arrière ne sera ensuite possible.

L'amendement COM-1 rectifié n'est pas adopté.

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est adopté sans modification.

Proposition de loi visant à lutter contre la précarité de la jeunesse par l'instauration d'une allocation autonomie universelle d'études - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Philippe Mouiller, président. - Nous examinons à présent le rapport et le texte de la commission sur la proposition de loi (PPL) visant à lutter contre la précarité de la jeunesse par l'instauration d'une allocation autonomie universelle d'études. Cette proposition de loi, déposée par notre collègue Monique de Marco, dont je salue la présence à notre réunion, sera examinée en séance publique mercredi 13 décembre 2023, au sein de la niche parlementaire du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (GEST).

Mme Anne Souyris, rapporteure. - La proposition de loi de notre collègue Monique de Marco répond à un constat partagé par l'ensemble des acteurs du monde de l'enseignement supérieur : le système de bourses sur critère social est à bout de souffle. En effet, il ne parvient plus à répondre ni au poids des inégalités sociales dans l'enseignement supérieur, ni à l'accélération de la précarisation des étudiants et des apprentis.

Notre commission a peu eu à se pencher, voire pas du tout, sur la situation des élèves du supérieur et en apprentissage, sur leur précarité spécifique et sur le système de bourses existant pour y répondre.

La question de la précarité étudiante et des apprentis a connu une forte visibilité lors des périodes de confinement. Il est apparu que, privés des possibilités d'exercer un emploi rémunéré en parallèle de leurs études, beaucoup d'étudiants ne pouvaient plus subvenir à leurs besoins les plus élémentaires.

L'aide alimentaire s'est renouvelée pour répondre à ce nouveau public, en multipliant les épiceries solidaires, moins stigmatisantes, et en se rapprochant des lieux d'études.

Pourtant, les statistiques dont nous disposons semblent indiquer que la crise sanitaire, tout comme l'inflation sur les denrées alimentaires, a révélé une précarité qui existait, plus qu'elle ne l'a provoquée. Ainsi, en 2020, déjà 24 % des étudiants déclaraient rencontrer des difficultés financières importantes, contre 29 % aujourd'hui.

La rentrée 2023 a, de plus, vu la crise du logement frapper les étudiants, en s'étendant aux petites surfaces locatives de villes jusqu'alors épargnées, telles qu'Angers, Rennes ou Niort.

Mais derrière cette précarité matérielle, les professionnels de la santé que nous avons entendus insistent également sur les risques psychologiques liés à l'exclusion et à l'isolement social, ce dont témoignent la saturation du dispositif de soutien Santé Psy Étudiant dans de nombreuses universités, ainsi que la hausse inquiétante de tentatives de suicide chez les jeunes depuis la fin de la crise sanitaire de la covid-19.

Les inégalités socioéconomiques accentuent ces défis, affectant particulièrement les étudiants issus de milieux défavorisés. C'est pourquoi le système de bourses de l'enseignement supérieur accorde une aide complémentaire aux familles d'étudiants confrontés à des difficultés matérielles qui ne leur permettent pas d'entreprendre ou de poursuivre des études supérieures. Bénéficiant à plus de 780 000 étudiants par an, pour un budget de 2,6 milliards d'euros, ces bourses s'échelonnent de 1 450 à 6 300 euros annuels selon les ressources de la famille de l'étudiant. Leur gestion est confiée aux centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous), qui proposent aussi une offre de restauration à tarif modéré à destination des étudiants - récemment adaptée aux zones rurales par l'initiative sénatoriale de la loi Lévy - et des places d'hébergement universitaire.

Pour autant, le système de bourses fait l'objet de critiques unanimes et croissantes, du fait de sa complexité et de son incapacité à répondre à la précarisation, notamment d'une partie des enfants de la classe moyenne. Le fonctionnement par échelon a longtemps engendré des effets de seuil, aboutissant à ce qu'une variation d'un euro du revenu annuel des parents puisse faire descendre l'étudiant d'un échelon et réduire ou faire disparaître sa bourse. Par ailleurs, les bourses font l'objet d'un fort taux de non-recours, et leur revalorisation annuelle paraît insuffisante pour couvrir les besoins les plus sommaires des étudiants.

Les syndicats étudiants entendus, y compris les plus modérés, insistent également sur la méconnaissance de l'autonomie des étudiants et sur l'absence de reconnaissance qui consiste à définir la situation sociale de l'étudiant par rapport aux revenus de ses parents jusqu'à ses 25 ans. Cela est d'autant plus étonnant que ce dernier peut être en rupture avec ses parents, ou travailler pour subvenir seul à ses besoins.

La proposition de loi que nous examinons a pour objet de répondre à cette impasse du système des bourses, en lui substituant une allocation autonomie universelle d'études.

Certes, cette solution peut sembler radicale de prime abord, mais elle est pourtant soutenue par des économistes, des présidents d'université et des intellectuels peu susceptibles de complaisance pour le grand soir. Une telle allocation fait par ailleurs l'objet, dans des termes comparables, d'un consensus transpartisan depuis des décennies dans des pays tels que le Danemark ou la Suède, qui y voient d'abord une manière de responsabiliser les étudiants et de récompenser leur assiduité.

L'article unique de la proposition de loi crée une allocation universelle au bénéfice de l'ensemble des étudiants du supérieur de 18 à 25 ans d'une part, et des élèves de la formation professionnelle d'autre part. Cette allocation est fixée au niveau du montant net du salaire minimum pour un apprenti de plus de 21 ans en dernière année d'apprentissage, soit 1 078 euros par mois en 2023.

Ce montant, qui peut paraître important, est à mettre en perspective, d'une part avec les ressources moyennes cumulées d'un étudiant en France, qui sont de 1 128 euros net par mois et, d'autre part, avec le fait qu'elle se substitue intégralement aux aides non servies par les Crous dans le droit existant. Il s'agit notamment des aides personnalisées au logement (APL) et des avantages fiscaux consentis aux foyers de rattachement des étudiants sous forme de crédit d'impôt et de demi-part fiscale.

Par ailleurs, cette allocation n'est pas dénuée de conditions. En plus d'être inscrit dans un établissement éligible à la perception d'une bourse, l'étudiant, comme l'apprenti, doit également faire preuve d'assiduité, être autonome financièrement et ne pas cumuler une situation d'emploi. Ces conditions permettent ainsi que les étudiants et les apprentis concernés se consacrent pleinement à leur réussite académique, et qu'à défaut l'allocation leur soit suspendue.

En revanche, les services du réseau des Crous, notamment la restauration universitaire et le logement, seraient maintenus pour les étudiants titulaires de l'allocation, de même que les aides spécifiques proposées par les collectivités territoriales.

Une telle aide universelle semble emporter de nombreux avantages.

D'abord, l'universalité répond à la problématique de non-recours aux droits, qui conduit trop souvent à des abandons d'études faute d'avoir la connaissance du système de bourses. De plus, les statistiques dont dispose l'administration semblent indiquer que de nombreux étudiants et apprentis sont dans une situation précaire sans pour autant être éligibles aux bourses sur critères sociaux, principalement dans la classe moyenne lorsque les études sont faites loin du foyer parental.

Un système universel permettrait également d'encourager l'émancipation des étudiants, en considérant leurs besoins indépendamment de la situation matérielle de leurs parents. Plus largement, un parallèle peut être esquissé avec d'autres âges de la vie pour lesquels la prise en charge par la collectivité ne pose plus question. Pour quelle raison la jeunesse, période de vulnérabilité accrue, est-elle renvoyée aux seules solidarités familiales ?

Reste la question du coût, non négligeable, puisque les auditions ont permis d'estimer qu'un investissement annuel de 25 milliards d'euros serait nécessaire. Cependant, compensé en partie par la demi-part fiscale et par l'arrêt d'autres prestations telles que les APL, ce coût est aussi à appréhender comme un investissement en capital humain, et doit permettre de former les travailleurs nécessaires pour relever les défis auxquels nous sommes collectivement confrontés dans les domaines de l'industrie, de la transition environnementale, de la santé, ou du numérique, par exemple.

Par ailleurs, une aide universelle ne fait pas nécessairement obstacle à des effets redistributifs, et permet même de réduire les inégalités sociales selon le mode de financement qui est retenu.

La proposition de loi est prometteuse, et nécessite certainement un débat nourri pour préciser certains éléments. Les travaux menés durant l'instruction du texte ont notamment permis de souligner l'opportunité qu'il y aurait à remplacer la condition d'âge par un quota de mois d'allocation, permettant ainsi de responsabiliser les étudiants et les apprentis et de leur donner la possibilité de construire des parcours plus proches du monde de l'entreprise, avec de nombreux stages. Le niveau de l'allocation pourrait également être discuté, et donner lieu à une modulation selon la situation de l'étudiant au regard de la cohabitation ou non avec ses parents, tant le loyer est une charge importante dans les dépenses. Par ailleurs, un tempérament pourrait être introduit concernant le non-cumul du travail salarié, afin de permettre des activités de tutorat ou des expériences professionnelles dans une limite raisonnable à définir, autour de 10 heures hebdomadaires. Enfin, une adaptation territoriale pourrait être introduite, afin de répondre à la diversité des conditions de vie suivant les localités, notamment dans les outre-mer. De telles évolutions feraient l'honneur du travail parlementaire, et permettraient d'adapter l'allocation proposée aux réalités que nous rencontrons dans nos territoires.

Pour conclure, face à l'essoufflement du système de bourses et à la précarisation des étudiants et des apprentis, ce texte prévoit de répondre par l'universalité et la confiance de la collectivité nationale en la génération qui vient. Il vise à permettre à chacun et chacune de suivre des études exigeantes, avec assiduité, et de se former pour, à son tour, contribuer à la vie de la Nation.

C'est pourquoi je demande à la commission de bien vouloir l'adopter.

Pour conclure, et bien qu'aucun amendement n'ait été déposé à ce stade, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère que ce périmètre comprend des dispositions relatives, d'une part, aux prestations accordées de manière universelle par la collectivité nationale aux étudiants ainsi qu'aux apprentis et aux lycéens de la voie professionnelle, et, d'autre part, aux bourses sur critères sociaux de l'enseignement supérieur. En revanche, ne me semblent pas présenter de lien, même indirect, avec le texte déposé, et seraient donc considérés comme irrecevables, des amendements relatifs aux autres prestations et services accordés par le réseau des oeuvres universitaires, ou relatifs aux conditions d'attribution, aux règles de calcul et de versement des autres aides et prestations sociales.

Il en est ainsi décidé.

Mme Monique de Marco. - Convaincues, avec Anne Souyris, de la nécessité de légiférer, nous avons retenu la proposition des syndicats d'étudiants d'une allocation universelle, que soutiennent également un collectif de présidents d'université ainsi que des économistes comme Philippe Aghion.

La présente proposition de loi est directement issue des travaux de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Je regrette d'ailleurs que celle-ci n'en examine pas le texte, en dépit de la demande que j'ai formulée en ce sens.

À l'occasion des travaux de la mission d'information sur les conditions de la vie étudiante que nous avons conduits en 2021 à la suite de la crise de la covid-19, nous avions constaté que les étudiants avaient été durement affectés par les conséquences des confinements, la privation d'emplois les ayant contraints financièrement. Notre rapport d'information concluait au besoin d'une refonte structurelle du système des bourses. Deux ans plus tard, cette réforme n'est toujours pas intervenue. Peut-être verra-t-elle le jour en 2025, si nous en croyons les annonces de la ministre chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Comme les précédentes, l'année 2023 est marquée par la précarité. Une étude de l'Institut français d'opinion publique (Ifop) a relevé qu'un étudiant sur deux avait déjà sauté un repas par jour, faute de moyens. C'est l'un des éléments déclencheurs de la présente proposition, avec la tribune que quatorze présidents d'université ont publiée. Ceux-ci estiment que l'allocation d'études doit s'inscrire dans un véritable projet de société et qu'il faut en débattre.

Au sein de l'Union européenne, notre pays est le seul, avec l'Espagne et Chypre, à ne pas avoir ouvert largement le bénéfice du revenu de solidarité active (RSA) aux moins de 25 ans.

Dans notre proposition de loi, nous retenons une allocation d'un montant d'environ 1 100 euros par mois, équivalent au seuil de pauvreté, soit 67 % du Smic. Ce montant répond à la demande des syndicats d'étudiants. Adossé au Smic, il a la vertu d'être indexé sur l'inflation. Il nous semble cohérent au regard du montant de la seule dépense de logement des jeunes, qui représentait pas moins de 500 euros en moyenne par mois en 2020 selon l'Observatoire de la vie étudiante (OVE).

En 2020 toujours, le montant des ressources mensuelles des étudiants s'élevait à 910 euros.

Le taux de 67 % du Smic correspond également à la rémunération la plus haute prévue dans le droit actuel pour les apprentis âgés de moins de 25 ans, en dehors des dispositions plus favorables des conventions collectives.

Nous souhaitons que la nouvelle allocation complète, pour tous les apprentis âgés de 16 à 25 ans, les revenus versés par l'entreprise, lesquels s'avèrent très insuffisants. La grille indemnitaire des apprentis commence, je le rappelle, à 27 % du Smic, soit 430 euros mensuels environ.

La prise en charge des contrats d'apprentissage représente pour la puissance publique une dépense annuelle de 10,3 milliards d'euros, soit plus de quatre fois le total des différentes bourses. La proposition de loi vise d'ailleurs à interroger la pertinence du financement de cette politique, par rapport à un soutien direct aux jeunes apprentis.

L'allocation n'est pas cumulable avec le rattachement au foyer fiscal des parents ni avec le versement d'aides familiales, sauf dans les cas d'aides d'urgence. Elle remplace toutes les aides existantes, à l'exception des aides d'urgence versées par le Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (Cnous). Y serait fondue l'APL, dont le Sénat rappelle régulièrement les limites et dont le coût représente approximativement 1,5 milliard d'euros par an.

J'en viens à la question du financement, qui est la plus sensible et que nous ne cherchons pas à minimiser.

Le coût du dispositif apparaît le plus aisé à chiffrer, car, pour l'établir, il suffit de multiplier le nombre de mensualités par celui des étudiants. Il s'élève ainsi à environ 30 milliards d'euros par an.

La disparition de toutes les bourses, de toutes les aides sociales et de tous les dispositifs fiscaux permettrait un financement à hauteur de 5,6 milliards d'euros. Pourrait s'y ajouter la remise à plat de la politique de financement de l'apprentissage, dont j'ai indiqué qu'elle se chiffre à 10,3 milliards d'euros. S'ajoutent encore d'autres sources d'équilibre financier à ne pas négliger : par exemple, l'intégration du dispositif de la prime d'activité, celle des allocations chômage de jeunes qui reprendraient des études, celle aussi de la rémunération des étudiants des cursus médicaux. S'ajoutent enfin des retombées positives pour l'économie, un effet multiplicateur du fait du renforcement du pouvoir d'achat de cette tranche d'âge, peut-être également un effet positif sur le taux de chômage : les entreprises seront en effet contraintes de recruter pour compenser le retrait des jeunes du marché de l'emploi.

Les dépenses allouées à l'éducation comptent parmi celles que les économistes contestent le moins. Certains d'entre eux, tel Philippe Aghion, évoquent un revenu universel de formation. Ils l'associent à un investissement de l'État dans chaque jeune, dans la formation et le capital humain.

À ceux qui considèrent que le système des bourses sur critères sociaux est le plus juste, j'opposerai la progressivité du mécanisme actuel, qui ne bénéficie qu'à 37 % des étudiants. Certaines bourses se limitent à 1 450 euros pour une période de dix mois et les montants les plus élevés n'excèdent pas 6 335 euros. La faiblesse de ces montants oblige souvent les étudiants qui les perçoivent à abandonner leurs études pour travailler.

Un nombre important de jeunes issus des classes moyennes, mais pas assez pauvres pour bénéficier d'une bourse, subissent des effets de seuil.

Comme le montre le rapport d'information sénatorial de 2021, l'aide de la famille constitue en moyenne 42 % des ressources d'un étudiant, ce qui est considérable. En comparaison, l'aide publique ne contribue qu'à hauteur de 23 % au budget d'un étudiant.

Mes chers collègues, le texte que nous présentons est perfectible. Il a été pensé comme le point de départ du travail parlementaire et s'enrichirait d'une double lecture dans chaque chambre. Je suis donc très ouverte à la perspective d'amendements. C'est aussi un texte qui invite à réagir face à l'inaction du Gouvernement.

Je serais fière qu'après les travaux entrepris par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication le Sénat prenne ce sujet de la précarité de la jeunesse à bras-le-corps et adopte un texte, même minimal, en leur direction.

Pour nous, il ne s'agit pas d'un texte de posture. Depuis la période de la covid-19, notre jeunesse subit une dégradation de ses conditions de vie et de ses perspectives. Il s'agit d'insuffler à nouveau de l'espoir et de réaffirmer notre considération et notre souhait de réussite. Tel est le sens de cette proposition de loi.

En parallèle, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a été saisi par le président Larcher afin d'émettre un avis sur cette proposition de loi. Cet avis sera rendu prochainement ; nous espérons d'ici au 13 décembre, ou dans le courant du premier trimestre 2024.

M. Laurent Burgoa. - Cette proposition de loi reflète la réalité que vivent certains de nos étudiants, notamment depuis la crise liée à la covid-19. Mais, dans le contexte de l'examen du projet de finances (PLF) pour 2024, avec les contraintes légitimes imposées par notre commission des finances, le coût estimé à plusieurs dizaines de milliards m'interpelle. Ma question est donc la suivante : avez-vous travaillé en collaboration avec la commission des finances pour étudier l'impact de cette proposition de loi ?

Mme Frédérique Puissat. - Alors que nous bataillons pour quelques millions d'euros dans le PLF en cours de discussion, l'impact financier de ce texte se situerait, en fonction du périmètre et du montant de l'allocation, entre 6,5 et 34 milliards d'euros.

Par ailleurs, notre société est structurée par un code de la famille. Celui-ci précise que chacun des parents contribue à l'entretien et l'éducation des enfants, et y consacre des finances à proportion de ses ressources. Toutefois, certaines situations individuelles doivent être prises en compte, et un travail doit également être mené concernant le non-recours aux droits.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains émet un avis défavorable sur ce texte.

Mme Marion Canalès. - Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est favorable à ce texte. On connaît le vieil adage : « si jeunesse savait, si vieillesse pouvait » ; dans la situation actuelle, il conviendrait plutôt d'en inverser les termes : si jeunesse pouvait, si vieillesse savait. En effet, dans une société qui bascule massivement dans le grand âge, il s'agit de prendre au sérieux le temps de la jeunesse. Notre approche paternaliste en direction de la jeunesse, qui consiste à proposer des aides indirectes aux familles en passant par l'octroi de demi-parts ou de crédits d'impôt, doit être remise à plat.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain avait déjà défendu une proposition pour un RSA à destination des jeunes. De la petite enfance à la dépendance en passant par les étudiants, tous les publics fragiles sont aujourd'hui à considérer ; il ne viendrait ainsi à l'idée de personne d'affirmer que les personnes âgées doivent se contenter des solidarités familiales. Nos jeunes ont besoin d'une véritable autonomie, afin de ne pas dépendre d'un rattachement au foyer fiscal de leurs parents.

Le triptyque des ressources, déjà énoncé par mes collègues, est bien connu : famille, emploi, aides publiques. L'emploi, au même titre que le logement, est un fort vecteur de reproduction des inégalités. Au sein des Crous, seulement 7 % des besoins en matière de logement social sont satisfaits. La Première ministre a indiqué qu'elle soutiendrait la construction de 35 000 logements étudiants, sachant que la promesse de 2018 - construction de 60 000 logements - n'a pu être honorée. Quand ces logements n'existent pas, les étudiants se reportent vers le logement privé, et l'objectif des aides ne consiste pas à alimenter des bailleurs privés, qui, par ailleurs, proposent parfois des logements à la salubrité douteuse.

Un autre point concerne la précarité alimentaire. De nombreuses épiceries solidaires étudiantes se sont créées ; nous avons réussi, dans le cadre de nos échanges sur le PLF pour 2024, à abonder le programme permettant d'aider ces épiceries. Toutes ces dépenses s'adressent à des publics qui ne seraient pas contraints de se diriger vers les épiceries solidaires s'ils bénéficiaient d'une allocation leur permettant d'aller chez le commerçant de leur quartier. Aujourd'hui, l'accompagnement de la jeunesse s'éparpille dans diverses mesures.

Le sujet des étudiants ultramarins est également à considérer. Des propositions vont dans le sens d'une augmentation des bourses pour ces étudiants ayant des difficultés particulières.

À cela s'ajoute le sujet de la précarité menstruelle. Le Gouvernement a accepté un remboursement par la sécurité sociale pour les moins de 25 ans. Le montant de cet engagement s'élève entre 30 et 50 millions d'euros ; dans l'hypothèse où une allocation serait versée, ces sommes ne seraient plus consommées. Pour rappel, le coût de la précarité menstruelle s'élève pour ces jeunes femmes à 350 euros par an.

La contribution de vie étudiante et de campus (CEVC) de 100 euros, due chaque année aux étudiants, pourrait servir à abonder cette allocation. À cela s'ajoutent tous les coûts indirects pour la collectivité. Ainsi, entre 32 et 60 % des étudiants, selon les études et les syndicats auditionnés, renonceraient aujourd'hui à des soins, faute de pouvoir cotiser à des mutuelles ; un tel renoncement a un coût pour notre système de santé. Cette allocation, en favorisant l'autonomie des jeunes, occasionnerait de moindres dépenses, à terme, pour le budget de l'État.

Mme Florence Lassarade. - Cette proposition de loi met en lumière la détresse des étudiants, dont on sait que certains dorment dans des voitures. Je ne voterai pas ce texte, mais nous devons nous préoccuper, en premier lieu, du logement étudiant ; c'est sur cette question qu'il convient d'agir en priorité.

Mme Brigitte Devésa. - Personne ne peut douter de la précarité étudiante. Mais le coût estimé à 35 milliards d'euros, dans le contexte actuel, me paraît tout à fait excessif. Il aurait fallu réfléchir à d'autres solutions, comme, par exemple, la question des revenus. Beaucoup de choses sont à revoir, nous avons notamment évoqué le code de la famille et la question du logement. En l'état, le groupe Union Centriste n'est pas favorable à cette proposition de loi.

Mme Céline Brulin. - De notre côté, nous sommes favorables à cette proposition de loi pour toutes les raisons de précarité évoquées, et parce que les étudiants doivent gagner en autonomie. Une Nation doit investir dans sa jeunesse. Les remarques du groupe parlementaire majoritaire se concentrent sur la question du coût ; personne ne néglige ce point, l'auteure de la proposition de loi et la rapporteure ont précisé que le travail devait se poursuivre et qu'elles étaient ouvertes à des aménagements.

Je ne souhaite pas comparer cette dépense avec d'autres qui, à mes yeux, me semblent moins prioritaires. Nous connaissons tous les éléments budgétaires, mais cette proposition de loi mérite réflexion.

Les familles doivent soutenir leurs enfants dans la mesure de leurs ressources ou de leurs moyens, et elles le font du mieux possible. Sachant que moins de 10 % d'enfants d'ouvriers prolongent leurs études à l'université, on voit bien que de nombres familles, même le voulant, ne peuvent pas. Il ne s'agit donc pas d'un problème individuel, mais social, sur lequel nous devons nous pencher.

Ce qui est valable aujourd'hui pour les enfants d'ouvriers risque de l'être bientôt pour les enfants des classes moyennes. Ainsi, pour un couple de professeurs, il est aujourd'hui compliqué d'envoyer ses enfants à l'université, pour peu que celle-ci se trouve dans une autre région.

La question du logement est également primordiale, avec une inflation des loyers, qui pénalise en particulier les étudiants.

Mme Corinne Bourcier. - Nous pouvons comprendre les difficultés de certains étudiants, notamment sur la question du logement. Pour autant, le groupe Les Indépendants - République et Territoires sera défavorable à cette proposition de loi. Il est du devoir des parents de prendre en charge l'éducation de leurs enfants ; il s'agit d'une responsabilité familiale. Par ailleurs, le coût d'une telle mesure est trop élevé. D'autres solutions sont envisageables, avec des aides disponibles par le biais des Crous, des départements ou des centres communaux d'action sociale (CCAS).

Mme Monique Lubin. - Au-delà des étudiants, nous devons nous interroger sur la situation des jeunes dans leur ensemble. Ainsi avions-nous proposé la création d'un revenu minimum pour les jeunes. Cette responsabilité des parents avait déjà été votre leitmotiv à l'occasion des débats sur le revenu minimum. J'en déduis que, si vous êtes bien né, tout va bien, et si vous n'avez pas la chance de grandir dans un foyer avec des moyens, tant pis pour vous (Exclamations)... Inutile de vous exclamer, j'aurais pu en faire autant lorsque vous parliez de responsabilité familiale...

Mme Frédérique Puissat. - C'est le code de la famille !

Mme Monique Lubin. - Les codes sont faits pour évoluer. Il est trop facile de s'en remettre à la responsabilité des familles et de déplorer un coût trop élevé. La question des étudiants, mais aussi de la jeunesse et du grand âge, nécessite des investissements ; et l'on doit, en parallèle, s'interroger sur la manière de disposer de plus de recettes.

Mme Marie-Do Aeschlimann. - Sur un tel sujet, il convient de se garder des caricatures et des positions de principe. Nous sommes tous sensibles à l'idée que la précarité des étudiants s'aggrave. Il s'agit de trouver des solutions afin d'éviter le renoncement aux soins, les difficultés d'accès au logement et l'abandon des études.

Je m'interroge sur cette proposition de loi à trois titres. Se posent la question de la soutenabilité financière ; puis celle de la responsabilité parentale, essentielle pour l'éducation des enfants et remise en cause dans cette proposition de loi ; et enfin, au-delà du symbole, de manière presque ontologique, celle du message que nous adresserions à nos jeunes en leur disant que nous sommes prêts à les payer pour étudier. Une forme de responsabilité consiste à rappeler que l'on n'a pas à être payé pour étudier, se former et apprendre un métier.

Enfin, cette idée d'une allocation universelle forfaitaire, identique pour tout le monde, me semble peu pertinente. Sans doute faudrait-il que cette allocation, annoncée à 1 078 euros par étudiant, puisse varier en fonction de la spécificité des études et de la zone géographique.

Mme Laurence Rossignol. - Cette proposition de loi ouvre le débat sur l'allocation d'études. Le sujet n'est pas nouveau ; porté depuis quarante ans par les organisations étudiantes, il a rarement été débattu au Parlement.

Je m'étonne des réactions hostiles de nos collègues. Rappelons d'abord que le code de la famille n'existe pas ; seuls existent le code civil et le code de l'action sociale et des familles. Vous évoquez le code civil, qui précise notamment l'obligation alimentaire des parents à l'égard de leurs enfants ; cette obligation est due au-delà de la majorité de l'enfant, tant que celui-ci ne peut subvenir à ses propres besoins. Mais cette obligation dépend du niveau de ressources des parents.

Aujourd'hui, quels parents ont la capacité d'assumer le coût des études universitaires de leurs enfants ? Les universités se trouvent, le plus souvent, dans des villes et des métropoles, où la tension du logement est plus importante. À la lecture de récents rapports d'ONG travaillant sur la pauvreté, on constate que les étudiants, y compris ceux appartenant aux classes moyennes, sont de plus en plus nombreux à ne pas pouvoir se loger, et constituent également une part importante des bénéficiaires des Restos du coeur. Arrêtons de penser que tous les parents peuvent subvenir aux besoins de leurs enfants pendant leurs études.

Par ailleurs, j'entends régulièrement dans cette assemblée des injonctions appelant les gens, notamment ceux qui bénéficient du RSA, à travailler. Or, une telle logique limite les petits boulots étudiants, qui sont de moins en moins nombreux.

Par ailleurs, les bourses sont accessibles à des niveaux de revenus familiaux très faibles, et le niveau lui-même des bourses est très faible. Cette proposition de loi concerne principalement les classes moyennes. Or, qui s'oppose à cette proposition de loi aujourd'hui ? Ceux qui prétendent en permanence les défendre.

Je n'ai pas compris si votre hostilité concerne la remise en cause de la responsabilité parentale ou le coût de la mesure. Si les deux sujets vous hérissent, nous rappellerons le nombre de fois où nous avons proposé d'abonder le budget de l'État, en réduisant les exonérations dont bénéficient les entreprises, en suggérant de créer de nouveaux impôts, notamment sur la fortune, que vous avez refusés. Votre approche des questions d'équilibre budgétaire est non seulement à géométrie variable, mais résolument morale ; le fait que vous invoquiez un code de la famille qui n'existe pas en est la preuve.

M. Philippe Mouiller, président. - Quelle est votre question, madame Rossignol ?

Mme Laurence Rossignol. - Nous ne sommes pas là uniquement pour poser des questions, mais aussi pour donner les avis de nos groupes, Monsieur le président...

M. Philippe Mouiller, président. - Dans cette optique, je souhaitais simplement connaître votre sentiment.

Mme Laurence Rossignol. - Je soutiens l'adoption de la proposition de loi par la commission.

Mme Anne-Sophie Romagny. - La précarité étudiante ne peut pas être négligée, de même que la soutenabilité financière d'une telle proposition. Je pose une question simple : où trouve-t-on ces 30 milliards d'euros ?

Par ailleurs, on évoque souvent les difficultés des étudiants dans leur recherche d'emploi, mais les employeurs se plaignent également de ne pas trouver d'étudiants.

Plutôt que de réaliser un chèque en blanc, je serais davantage favorable à des aides ciblées, concernant le logement, l'alimentation, l'accès aux soins. J'attire également votre attention sur la capacité des étudiants à savoir gérer un budget ; en mission locale, on rencontre beaucoup de jeunes qui n'en sont pas capables.

Mme Raymonde Poncet Monge. - Je prolonge la question de ma collègue : comment va-t-on faire pour trouver les 100 milliards d'euros de baisse d'impôts de production, soit trois fois plus que le coût estimé de cette proposition de loi ?

Les familles participent à hauteur de 42 % aux dépenses des étudiants. Par ailleurs, le quotient familial bénéficie aux familles plus aisées, via des baisses d'impôts ; je m'étonne que l'on accepte ce mécanisme anti-redistributif - peut-être est-ce votre attachement au quotient familial qui conditionne votre opposition à cette proposition de loi.

Mme Anne Souyris, rapporteure. - J'ai entendu beaucoup de critiques, mais peu de pistes de réflexion ou de propositions d'amendements.

Concernant la question du coût, nous n'avons pas travaillé en concertation avec la commission des finances. Quand des jeunes ne peuvent pas faire d'études ou ne peuvent pas les choisir, cela représente un coût social et économique pour la Nation. Ce type d'allocation, en permettant aux étudiants en échec de bifurquer et de se réorienter, offre des opportunités de croissance à notre pays.

La solidarité familiale est naturellement essentielle, mais elle ne suffit pas ; si c'était le cas, nous n'aurions d'ailleurs pas besoin de bourses ni de logements étudiants. Je rappelle qu'il n'existe que 75 000 logements sociaux pour 3 millions d'étudiants.

Concernant le coût sanitaire, de plus en plus d'étudiants connaissent des difficultés psychologiques, voire psychiatriques. À Paris, le nombre de tentatives de suicide a augmenté de 40 %. La précarité étudiante n'explique pas tout, mais constitue un élément déterminant. Une allocation universelle permettrait de rompre l'isolement des étudiants, et les aiderait à se loger et à manger à leur faim. Elle aurait également le mérite de leur offrir une autonomie et leur apprendrait à gérer un budget et faire des choix ; d'où l'évolution suggérée de prévoir un nombre de mensualités plutôt que d'années, qui pousserait les étudiants à s'interroger sur leur manière de dépenser ce capital.

En outre, je rappelle que certains étudiants, en France, sont payés pour faire leurs études : les polytechniciens, les normaliens, autrefois les instituteurs. Cela existe déjà, et je ne crois pas que ces étudiants travaillent moins ou moins bien.

Nous avons évoqué le sujet des variations de l'allocation en fonction de certaines spécificités, notamment géographiques, avec des villes où la situation du logement est beaucoup plus tendue. Il doit être possible, en recourant à des décrets, d'adapter cette allocation en fonction des tarifs locaux. De même, au Danemark, quand un étudiant vit chez ses parents, son allocation est moindre de 400 euros ; et quand il quitte la cohabitation, il bénéficie de ces 400 euros supplémentaires.

Le coût global de cette proposition de loi semble important, mais cela répond à une situation d'urgence qui, à ce jour, n'est pas prise en compte. Pour rappel, 3 millions d'étudiants sont concernés. Les auditions ont mis en lumière un état de précarité inédit, avec un nombre croissant d'étudiants qui ne mangent pas à leur faim et se nourrissent au Secours populaire. Cette situation est scandaleuse pour un pays comme le nôtre, qui se veut une grande Nation et une démocratie attachée à l'éducation.

Des changements sont nécessaires. Au-delà de cette proposition de loi, nous devons prendre en considération d'autres coûts qui, à terme, vont grever notre budget. Je vous invite donc à réfléchir au dépôt d'amendements en vue de la séance publique.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi n'est pas adopté.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.

Audition de M. Thibaut Guilluy, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de directeur général de Pôle emploi

M. Philippe Mouiller, président. - Nous entendons ce matin, en application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, M. Thibaut Guilluy, candidat proposé par le Président de la République à la direction générale de Pôle emploi. Cette audition sera suivie d'un vote sur cette candidature pour lequel aucune délégation ne sera admise.

Je vous précise que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site internet du Sénat et sera consultable en vidéo à la demande, conformément au principe de publicité prévu par la loi du 23 juillet 2010.

Je vous rappelle que Pôle emploi est un établissement public administratif (EPA), chargé notamment de prospecter le marché du travail, d'accueillir et d'accompagner les demandeurs d'emploi, de tenir la liste des demandeurs d'emploi, d'assurer le service de l'allocation d'assurance chômage et, si nécessaire, de décider de la suppression du revenu de remplacement et du prononcé de la pénalité administrative.

Le projet de loi pour le plein emploi, définitivement adopté par le Parlement le 14 novembre dernier, prévoit de rebaptiser l'opérateur France Travail, de faire évoluer ses missions afin de l'inscrire au sein d'un réseau pour l'emploi qui regroupera l'ensemble des acteurs de l'emploi en France et au niveau local.

Le directeur général est nommé pour une durée de trois ans. Son mandat est renouvelable.

Monsieur Guilluy, je vous propose de débuter cette audition par un propos liminaire dans lequel vous nous exposerez votre parcours professionnel, en particulier les actions que vous avez conduites lors de votre mission pour la transformation de Pôle emploi et la création de France Travail, ainsi que la vision que vous avez de votre prochain mandat à la tête de cet organisme, le cas échéant.

M. Thibaut Guilluy, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de directeur général de Pôle emploi. - C'est un honneur pour moi de me présenter devant vous en tant que candidat à la direction générale de Pôle emploi. Cette audition constitue une occasion de détailler avec vous les enjeux, les priorités et les défis pour Pôle Emploi, qui écrira bientôt une nouvelle page de son histoire avec l'avènement de France Travail.

En m'autorisant à défendre ma candidature devant vous, le Gouvernement m'honore de sa confiance et, par cette audition, je souhaite désormais solliciter la vôtre afin de me voir confier cette mission au service de l'objectif du plein emploi.

Derrière cette marque de confiance, il me semble que le Gouvernement réaffirme sa volonté de mettre en oeuvre les propositions du projet France Travail. Vous le savez, elles ont fait l'objet d'une vaste concertation avec tous les acteurs de l'emploi, de l'insertion et de la formation puis d'un débat parlementaire de qualité jusqu'à l'adoption définitive du projet de loi pour le plein emploi.

En cela, il s'agit aussi de la validation d'une méthode, celle de la coconstruction, que j'ai toujours défendue et qui me paraît essentielle pour parvenir à transformer Pôle emploi en France Travail, et pour assurer une meilleure coopération entre les acteurs.

Enfin, pour ma part, cette candidature est aussi une chance unique de poursuivre mon engagement personnel, auquel je consacre toute mon énergie depuis vingt-cinq ans : permettre l'accès du plus grand nombre à l'autonomie et la dignité par le travail.

Avant de détailler ma vision des priorités pour France Travail, puis de me soumettre à vos différentes questions, je vous propose de revenir brièvement sur mon parcours.

D'abord, j'ai consacré plus de vingt ans de ma vie à l'entrepreneuriat social avec toujours la même aspiration, celle de faire en sorte que chaque personne puisse retrouver un emploi. En effet, je crois fondamentalement dans l'émancipation par le travail, et dans le rôle et la responsabilité des entreprises pour la favoriser.

C'est ce rôle social et sociétal des entreprises que j'ai incarné dans mes différents engagements : au service bénévole d'associations comme Emmaüs, Action Prévention Sport ou les Apprentis d'Auteuil ; en fondant les structures d'insertion Sport Sans Frontières puis Ateliers Sans Frontières ; ou encore en développant pendant quinze ans le groupe Ares, aujourd'hui premier acteur de l'insertion par l'activité économique (IAE) en Île-de-France avec près de 3 000 personnes accompagnées par an.

Depuis cinq ans, j'ai poursuivi cette même ambition en me consacrant aux politiques publiques, d'abord au service de la ministre Muriel Pénicaud, pour porter le pacte d'ambition pour l'insertion par l'activité économique ou organiser l'évolution du rôle des entreprises adaptées avec notamment la création du CDD tremplin, dont l'expérimentation vient d'être pérennisée grâce à vous à l'occasion du projet de loi pour le plein emploi.

Puis j'ai oeuvré auprès de la ministre Élisabeth Borne pour déployer le plan « 1 jeune, 1 solution », qui a contribué à faire baisser significativement le taux de chômage des jeunes malgré les effets de la crise sanitaire.

Ce plan était déjà préfigurateur de la démarche France Travail, à savoir mobiliser largement acteurs publics, associations et entreprises, et travailler ensemble au service d'une cause partagée. Ce plan est pour moi la preuve que toutes les forces du pays, bien coordonnées et bien orientées, peuvent produire des résultats tangibles et concrets pour nos concitoyens et la dynamique de l'emploi.

Une illustration de cette forte mobilisation, c'est aussi celle des entreprises, que je porte avec la communauté « Les entreprises s'engagent » lancée par le Président de la République, et que je copréside avec Sylvie Jéhanno, directrice générale de Dalkia.

Elle regroupe déjà plus de 70 000 entreprises partout sur le territoire, de la très petite entreprise (TPE) au grand groupe, qui s'engagent concrètement en faveur de l'inclusion des personnes jeunes, en situation de handicap, placées sous main de justice, ou encore réfugiées.

Enfin, il y a un peu plus d'un an, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, Olivier Dussopt, que je remercie pour sa confiance, m'a confié une nouvelle mission : celle de préfigurer France Travail par des propositions concrètes pour contribuer à l'objectif du plein emploi d'ici à 2027.

C'est ainsi que pendant neuf mois, avec mon équipe, nous avons mené une large mission de concertation pour formaliser un plan d'action partagé et structuré autour de 10 principes clés et 99 propositions opérationnelles que nous avons remis en avril dernier au Gouvernement, aux partenaires sociaux et à l'ensemble des parties prenantes associées.

Au-delà des propositions, France Travail c'est aussi une méthode : celle de partir des idées qui marchent sur le terrain, celle aussi de la coconstruction, avec l'exigence de remettre l'usager au centre. Nous avons donc mené plus d'une centaine de rencontres territoriales, autant d'échanges bilatéraux, ainsi que des dizaines d'ateliers collectifs pour aboutir à des propositions qui, pour la plupart, ont fait leurs preuves et répondent aux besoins des personnes, des entreprises et de celles et ceux qui les accompagnent.

France Travail, c'est aussi un pari : celui de la coopération et de l'investissement social plutôt que d'un énième exercice de mécano institutionnel. L'ambition de France Travail, c'est avant tout la meilleure coopération entre acteurs, principe fondateur que vous avez validé par l'adoption du projet de loi pour le plein emploi.

J'en profite pour vous remercier de ces débats sincères, parfois animés mais toujours constructifs, dans le cadre de l'examen du texte au Parlement et lors des concertations associées.

Il me semble que ce débat a permis d'améliorer le projet à bien des égards. Je pense notamment à la place confortée des partenaires sociaux dans la gouvernance, à la meilleure prise en compte des situations individuelles dans l'accompagnement proposé par le contrat d'engagement - par exemple, la situation des proches aidants -, ou à la compétence donnée aux organismes Cap emploi pour orienter les publics qu'ils accueillent, au même titre que la loi le prévoit pour les missions locales, ou encore aux précisions apportées sur les jeunes accompagnés par les missions locales et concernés par l'inscription à France Travail.

Le texte adopté reconnaît aussi plus clairement la place des missions locales dans la mise en oeuvre de la réforme, et je m'en réjouis parce que je sais le précieux travail qu'elles réalisent sur le terrain. C'est d'ailleurs pourquoi je suis attaché à renforcer les coopérations avec les missions locales, comme celles avec Cap emploi et tous les acteurs de l'insertion.

C'est la première des conditions si nous souhaitons parvenir à construire un accompagnement vers l'emploi adapté à chacun. C'est aussi en nous organisant mieux autour des bassins d'emploi, et en assurant un pilotage plus collectif des actions que nous pourrons répondre plus efficacement aux besoins des personnes comme aux attentes des entreprises, et tout particulièrement celles des TPE et des petites et moyennes entreprises (PME).

Fort de ces quelques convictions, si vous m'accordez votre confiance, ma prochaine mission pourrait donc être d'assurer la direction de Pôle emploi, qui deviendra France Travail dès le 1er janvier, et qui sera doté de nouvelles missions pour le compte de tous, avec l'ambition de créer les conditions de la collaboration et de l'efficacité collective.

Avant de vous préciser mes priorités pour France Travail, je tiens d'abord à saluer l'actuel directeur général, Jean Bassères, qui a largement contribué à transformer la maison Pôle emploi pendant ses douze années de mandat et avec qui j'ai eu le plaisir d'oeuvrer ces dernières années dans la mise en oeuvre de nombreuses actions. Son héritage est immense et constitue le socle sur lequel nous pouvons bâtir France Travail : une organisation solide et territorialisée, la mise en place de parcours d'accompagnements intensifs et individualisés à l'instar du contrat d'engagement jeune, le développement de la relation avec les entreprises avec la constitution d'un réseau de près de 5 700 conseillers, ou encore la transformation digitale des services.

Au-delà de son action, ce sont aussi des valeurs d'intégrité, de professionnalisme et d'engagement qu'il a su partager avec les 55 000 collaborateurs de Pôle emploi, dont je tiens à saluer l'implication sans faille au quotidien pour les demandeurs d'emploi comme pour les entreprises.

Je tiens aussi à remercier l'ensemble des membres du conseil d'administration qui m'ont fait l'honneur de leur confiance quant à ma candidature. Pour mettre en oeuvre l'ambition de France Travail, je vois trois grandes priorités à porter.

Comme je l'ai déjà exprimé, la première d'entre elles, c'est naturellement d'engager la transformation de l'opérateur pour répondre à ses nouvelles missions inscrites dans la loi avec la meilleure efficacité possible.

Avec ses partenaires et en accord avec sa gouvernance, France Travail devra conduire les travaux relatifs aux évolutions législatives qui entrent en vigueur au 1er janvier 2025, notamment le fait d'inscrire plus largement les personnes dépourvues d'emploi à France Travail dans le souci de ne laisser personne sur le bord de la route, les orienter rapidement vers le bon référent d'accompagnement pour définir ensemble un contrat d'engagement et permettre un parcours adapté, assurant un retour le plus rapide vers l'emploi.

Il conviendra aussi de mettre en place la nouvelle sanction dite de suspension-remobilisation et les nouvelles modalités de contrôle. Ces différentes dispositions supposeront un travail important dans les prochains mois avec les partenaires du réseau pour l'emploi, notamment la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), les conseils départementaux, les missions locales, Cap emploi et tous les acteurs de l'insertion dans les territoires.

France Travail devra aussi assurer la mise en oeuvre opérationnelle des missions pour le compte de tous.

Premièrement, celle de la fonction d'appui de l'opérateur à la mise en place de la gouvernance du réseau pour l'emploi. Il s'agit notamment des comités locaux pour l'emploi, et de l'élaboration de feuilles de route partagées au niveau des bassins d'emploi.

Pour l'opérateur, il s'agira en particulier de renforcer la culture du pilotage au résultat, avec la capacité donnée à l'ensemble des acteurs et des instances de gouvernance de prendre de meilleures décisions, basées sur des résultats factuels et mesurés - c'est la logique que nous poursuivons déjà avec les expérimentations et qu'il nous faudra faire monter en puissance. Je crois fondamentalement que les décisions doivent se prendre au plus proche du terrain et des usagers.

Deuxièmement, le développement d'un système d'information plateforme et des communs numériques nécessaires pour simplifier le quotidien des professionnels, des entreprises et des demandeurs d'emploi ; c'est aussi un meilleur partage de la donnée pour tenir la promesse du guichet « Dites-le-nous une fois », supprimer progressivement les charges de reporting et permettre un pilotage sur la base d'indicateurs partagés. Aussi, France Travail devra accélérer ses investigations sur l'intelligence artificielle, qui risque de bouleverser nos manières de travailler.

Troisièmement, il nous appartient de favoriser l'interconnaissance entre les professionnels, valoriser leur capacité d'initiative et d'innovation, et accompagner la montée en compétences de chacun grâce à la mise en place de l'académie France Travail. C'est une condition nécessaire pour parvenir à mener les grandes transformations que nos ambitions appellent.

J'ai confiance dans l'engagement de tous ces agents et je tiens donc à prendre soin de ceux qui prennent soin, car c'est par eux que nous réussirons.

Deuxième grande priorité, dans une logique d'efficacité et face à une conjoncture incertaine, nous devons conduire des actions qui présentent le plus haut rendement en termes de création d'emplois.

Il s'agit d'abord de déployer progressivement les actions d' « aller vers » et l'accompagnement intensif des personnes qui en ont besoin - c'est notamment la philosophie des 15 heures d'activités au moins. Les premiers retours du contrat d'engagement jeune nous montrent que cela a des effets bénéfiques sur le retour à l'emploi. Vous l'avez rappelé lors des débats au Sénat puis en commission mixte paritaire (CMP), cette intensification de l'accompagnement doit se faire en préservant la logique de personnalisation des parcours et en s'adaptant aux situations de chacun, comme le précise la dernière version du texte.

Il convient ensuite de prospecter et d'accompagner davantage les entreprises, notamment les TPE. France Travail doit être demain le partenaire « RH » (ressources humaines) de l'ensemble des entreprises qui recrutent, et non plus seulement des entreprises qui le sollicitent. C'est l'un des principes du rapport de préfiguration de France Travail : aider les employeurs à recruter plus simplement et plus rapidement pour s'ouvrir à tous les talents possibles, mieux pourvoir à tous les besoins, notamment dans les secteurs en tension, et créer in fine plus d'emplois durables.

Dans le même esprit, il faudra poursuivre le travail aux côtés des conseils régionaux et des branches professionnelles pour relever le défi des compétences d'aujourd'hui et de demain, en se mobilisant pour proposer aux demandeurs d'emploi des formations plus efficaces pour leur retour à l'emploi.

Je crois, par exemple, qu'un dispositif comme la préparation opérationnelle à l'emploi individuelle (POEI), dont les effets sur le retour à l'emploi sont prouvés, mériterait d'être simplifié et accéléré.

Sur ces différents objets, nous avons un enjeu de pilotage et de montée en puissance itérative. C'est d'ailleurs selon cette logique que nous travaillons dans le cadre de la préfiguration, avec les conseils départementaux, sur l'accompagnement des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA). Ce sont déjà 18 territoires pilotes qui sont entrés dans l'expérimentation, avec plus de 12 000 bénéficiaires du RSA en parcours d'accompagnement rénové et des premiers signes de satisfaction : une prise en charge beaucoup plus rapide, un diagnostic socioprofessionnel partagé qui permet une meilleure prise en compte de la situation des personnes et une accélération de l'accompagnement vers l'emploi, des données accessibles à tous en temps réel permettant un suivi au plus proche du terrain, des plans partagés de mobilisation des entreprises du territoire.

Nous travaillons aussi avec les partenaires sociaux, les élus locaux et les régions, dont sept ont d'ores et déjà signé des protocoles de préfiguration de France Travail déclinant des feuilles de route opérationnelles autour des enjeux de formation professionnelle, de services aux entreprises et d'adaptation aux besoins économiques et sociaux de chaque bassin de vie.

Nous devrons mener des évaluations d'étape au fil de nos transformations et en tenir compte dans le déploiement des différentes initiatives de la réforme et des moyens budgétaires qui y seront affectés. Je tiens à cet égard à rendre des comptes régulièrement devant vous, selon les modalités que vous voudrez bien m'indiquer.

Enfin, troisième et dernière grande priorité, il me semble que nous pouvons gagner en efficacité sur l'indemnisation des demandeurs d'emploi. Pôle emploi verse, pour le compte de l'État et des partenaires sociaux gestionnaires du régime d'assurance chômage, un ensemble d'allocations appuyées sur une réglementation complexe et qui évolue régulièrement. C'est la mission fondamentale, celle qui sécurise les demandeurs d'emploi sur leurs ressources pour qu'ils se tournent en confiance vers le retour à l'emploi.

Deux défis devront, je le crois, être relevés par France Travail : lutter plus fortement encore contre les versements à tort des allocations ; lutter, aussi, contre le non-recours aux droits, en simplifiant les demandes d'allocations et en accélérant les échanges de données entre administrations pour faire vivre là aussi le principe du « Dites-le-nous une fois ».

Voilà, mesdames et messieurs les sénateurs, les quelques grandes priorités que je tenais à mettre en avant dans ce propos liminaire et qu'il conviendra de décliner avec la gouvernance de France Travail et l'ensemble de ses collaborateurs et de ses partenaires.

J'ai eu l'honneur de travailler à la préfiguration de France Travail à vos côtés ; vous savez les convictions fortes qui sont les miennes pour servir cette belle et grande maison, et je suis donc très heureux de pouvoir en discuter avec vous. Je me tiens donc à votre disposition pour l'ensemble des questions que vous souhaitez me poser.

M. Philippe Mouiller, président. - Dans votre rapport de préfiguration, vous avez estimé qu'il serait nécessaire de mobiliser de 2,3  à 2,7 milliards d'euros de financement cumulé sur la période 2024-2026 pour réformer le service public de l'emploi et accompagner l'ensemble des demandeurs d'emploi. Au sein de cette enveloppe, avez-vous un chiffrage précis du coût pour Pôle emploi des transformations à venir ?

La réforme de Pôle emploi en France Travail a aussi pour ambition de renforcer l'offre des services aux entreprises, même si cet aspect ne relève pas directement de la loi pour le plein emploi. Quels sont, selon vous, les chantiers prioritaires pour renforcer les liens entre Pôle emploi et les employeurs ?

Enfin, quel bilan faites-vous du rapprochement depuis 2021 des Cap emploi et de Pôle emploi, sujet qui me tient particulièrement à coeur ?

M. Thibaut Guilluy. - On observe effectivement une montée en puissance progressive des moyens sur la période 2024-2026. Le Gouvernement a annoncé une trajectoire de 300 millions en 2024, 500 millions en 2025 et 750 millions d'euros en 2026. À cela s'ajoutera 1 milliard d'euros en 2027.

Au-delà de ces moyens, il sera important de renouveler le plan d'investissement dans les compétences : 3,9 milliards d'euros permettront de soutenir l'effort des régions pour renforcer la formation des demandeurs d'emploi et répondre aux besoins des entreprises.

En ce qui concerne le financement des départements dans le cadre de la contractualisation France Travail, nous étions dans une phase d'expérimentation en 2023 avec une enveloppe de l'ordre de 20 millions d'euros répartis sur les 18 territoires pilotes. Le ministre du travail finalise actuellement la mise en oeuvre de la contractualisation pour tous les départements dès 2024, avec une enveloppe de 170 millions d'euros. Celle-ci permettra d'accompagner la mise en oeuvre des principes de la loi dans chaque département, notamment ce qui concerne l'inscription et l'orientation à compter du 1er janvier 2025, et la montée en charge des territoires pilotes pour l'accompagnement rénové du RSA. Un certain nombre de départements sont suffisamment prêts pour augmenter le nombre de bassins d'emplois couverts ; d'autres, assez nombreux, souhaitent également s'engager dans la démarche.

Le service aux entreprises est un enjeu clé, bien qu'effectivement absent du projet de loi, comme vous l'avez souligné. Je salue à ce propos le travail que vous avez mené lors de l'examen de ce texte pour ajouter cet élément. La bataille de l'emploi doit évidemment fonctionner sur ses deux jambes ; l'accompagnement des services aux entreprises est aussi important pour Pôle emploi et les acteurs de son réseau que l'accompagnement des demandeurs d'emploi.

Des protocoles de préfiguration sont mis en place avec les régions, afin de favoriser la coopération entre les différents acteurs économiques. Il faut pouvoir prospecter les entreprises, main dans la main avec les chambres de commerce et d'industrie (CCI) et les chambres de métiers et de l'artisanat (CMA), mais aussi avec les branches professionnelles. En plus des 5 700 conseillers entreprises de Pôle emploi, il en existe aussi dans les plans locaux pluriannuels pour l'insertion et l'emploi (PLIE), dans les maisons de l'emploi ou encore dans les missions locales. Près de 4 000 conseillers sont également présents dans les branches professionnelles portées par les opérateurs de compétences (Opco).

Faisons équipe pour prospecter davantage d'entreprises et les accompagner au mieux. Car si les services proposés par Pôle emploi aux entreprises se sont grandement améliorés ces dernières années - le taux de satisfaction des entreprises est passé de 50 % à 83 % -, trop d'entreprises, notamment parmi les plus petites d'entre elles, n'en bénéficient pas. Favoriser l'accès des TPE-PME fait partie des priorités.

Enfin, je ne vous cache pas que le rapprochement entre Pôle emploi et Cap emploi a inspiré la réflexion autour de France Travail. Plutôt que de fusionner, le rapprochement a pour objectif de faire jouer la complémentarité de ces organismes. En témoignent les retours : plus de 80 % des personnes accompagnées se disent satisfaites ; 90 % des conseillers de Pôle emploi déclarent se sentir plus compétents face aux situations de difficultés de santé ou de handicap grâce au partage de connaissances avec les conseillers spécialisés de Cap emploi ; et la mise en place du lieu unique d'accompagnement permet de favoriser un accompagnement plus personnalisé. C'est un point sur lequel nous nous appuierons pour France Travail.

Neuf des propositions issues de la Conférence nationale du handicap seront mises en application à la suite du vote de la loi. France Travail développera une approche de droit commun : nous testerons dès 2024 avec les acteurs du handicap et les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) notre capacité à orienter les personnes concernées, et notamment les cas les plus complexes, comme ceux des jeunes qui sortent d'une unité localisée pour l'inclusion scolaire (Ulis) ou d'un institut médico-éducatif (IME).

Mme Frédérique Puissat. - J'ai travaillé avec vous dans le cadre du pacte d'ambition pour l'insertion par l'activité économique. À cette occasion, j'ai apprécié votre capacité à fédérer les acteurs et à trouver des réponses pragmatiques.

Nous avons toujours eu avec Jean Bassères un discours de vérité ; c'est ce que nous attendons du futur directeur général de Pôle emploi, France Travail demain, dans ses relations avec le Parlement, notamment le Sénat.

Ma première question porte sur le nombre d'équivalents temps plein (ETP) actuellement à Pôle emploi. Je note qu'en cinq ans ses effectifs ont progressé de 10 %. Cela peut sembler insuffisant compte tenu de l'élargissement des prérogatives de Pôle emploi. Avez-vous le nombre d'agents suffisant pour déployer la réforme annoncée ? Je rappelle que 300 ETP seront créés en 2024, sans financement. En outre, il reste un reliquat d'effectifs exceptionnels accordés du fait de la crise sanitaire. Nous demandons une évaluation des effectifs de Pôle emploi. Comptez-vous faire une telle évaluation ?

Ma deuxième question concerne le financement de Pôle emploi, notamment la contribution de l'Unédic. Longtemps fixée à 10 %, elle est passée à 11 %, sans l'accord des partenaires sociaux. Le Gouvernement a souhaité dernièrement la faire passer à 12 %, puis à 13 % dans le cadre des dernières négociations sur l'assurance chômage. Considérez-vous que le maintien du taux à 11 % soit suffisant pour mener à bien la transformation de Pôle emploi en France Travail ?

Mme Pascale Gruny. - Ma première question concerne le contrat d'engagement qui définira au moins 15 heures hebdomadaires d'activité. Bien qu'une telle mesure soit évoquée dans votre rapport de préfiguration, le Gouvernement ne souhaitait pas l'inscrire dans le texte de loi ; elle l'a finalement été sur notre initiative. Quels sont les retours des premières expérimentations ? Quelles sont les difficultés rencontrées par les demandeurs d'emploi et ceux qui les accompagnent ?

Ensuite, lors de l'examen de la loi pour le plein emploi, nous avons veillé à ce que le réseau pour l'emploi permette à tous les acteurs de travailler ensemble sur le terrain, de mettre en commun leurs moyens, tout en respectant les prérogatives de chacun - je pense notamment aux collectivités territoriales et aux missions locales. Selon vous, quelle devra être la place de l'opérateur France Travail au sein de ce réseau ? Comment va-t-il se positionner dans la prise de décision vis-à-vis des collectivités territoriales ?

Je rappelle que nous avons modifié le texte de loi pour éviter une recentralisation et pour permettre une coordination claire et précise. Certaines personnes m'ont dit que, lors de votre venue dans mon département - je n'étais pas présente -, vous n'étiez pas assez à l'écoute et que vous vous présentiez, en quelque sorte, comme le maître de la situation.

Je note également que vous ne faites pas beaucoup mention du réseau pour l'emploi dans votre discours. Lors de la discussion du projet de loi pour le plein emploi, dont j'étais le rapporteur, nous avons finalement accepté que l'opérateur s'appelle France Travail. En contrepartie, nous avons souhaité que le réseau s'intitule « réseau pour l'emploi ». L'organigramme de votre document de préfiguration, qui présentait Pôle emploi comme au-dessus des missions locales et Cap emploi, a également beaucoup crispé.

Pour réussir, il faut travailler ensemble, côte à côte. Pôle emploi, devenu l'opérateur France Travail, sera là pour appuyer les collectivités locales, mais si les échanges ne sont pas bons entre eux, cela ne fonctionnera pas. Pouvez-vous nous rassurer sur la bonne coordination du réseau, sur votre capacité d'écoute et sur le respect de la loi qui a été votée ? France Travail sera le nouveau nom de l'opérateur, mais pas celui du réseau.

M. Thibaut Guilluy. - Les ETP de Pôle emploi sont au centre de ce débat, mais il est important de ne pas perdre de vue que les 160 000 professionnels de l'accompagnement sont également répartis dans les missions locales, dans les Cap emploi, dans les associations d'insertion et dans les départements. Ils sont également 30 000 dans le secteur de l'hébergement et de l'insertion. Le défi d'un accompagnement personnalisé, sans que personne reste au bord de la route, doit être appréhendé en gardant à l'esprit cette diversité de l'ensemble des acteurs. Comme la confiance est quelque chose qui se construit, c'est probablement par les actes que je pourrai vous rassurer à ce sujet.

Les 300 ETP prévus pour 2024 nous permettent de faire face à la montée en puissance de l'opérateur. Nous discuterons ensuite des effectifs pour 2025, 2026 et 2027 en fonction de la capacité des forces en présence dans chacun des territoires - sachant que tous ne sont pas dotés de manière égale, nous serons attentifs à une approche différenciée.

Le financement de l'opérateur se fait effectivement par l'Unédic et par l'État, principalement. Ce qui n'est pas financé par l'Unédic est dans la trajectoire pluriannuelle financée par l'État. Cela dit, le renouvellement de la convention tripartite avec l'Unédic peut être l'occasion d'évaluer le rapport entre l'impact des services réalisés pour les demandeurs d'emploi et les entreprises, et les moyens mobilisés au sein de l'Unédic.

Le dispositif des 15 heures est au coeur de la philosophie du contrat d'engagement jeune, lancé en mars 2022 avec Élisabeth Borne. Nous commençons en effet à avoir un certain nombre de retours, puisque le 500 000e contrat vient d'être signé.

Nous constatons une montée en puissance, avec une moyenne qui se situe plutôt autour de 20 heures après un démarrage à 11 heures. Toutefois, il ne faut pas en faire l'alpha ou l'oméga. L'objectif est avant toute chose de proposer un accompagnement adapté qui favorise le retour à l'emploi.

Cette montée en puissance du volume d'heures s'explique par le développement des coopérations, le partage des offres de service avec les missions locales et les acteurs du territoire, mais aussi par certaines innovations. Toutefois, des défis nous attendent encore. Je pense à l'amélioration du service civique, à l'accroissement de la visibilité de certains services dans les territoires ou encore à une implication accrue des entreprises dans le cadre des contrats d'engagement jeune. Une feuille de route relative aux axes de progrès de la mise en oeuvre de ces 15 ou 20 heures a été validée avec les parties prenantes.

Le RSA relève de la même mécanique, à la différence près que le recul n'est pas le même et que les modalités de mise en oeuvre sont différentes par rapport aux contrats jeunes, mais aussi d'un territoire à un autre. À nous de faire un effort de différenciation en fonction de la disponibilité des solutions dans les territoires.

J'ai par exemple lancé une vraie stratégie d'accompagnement à la mobilité dans trois communautés de communes, dans la perspective de France Travail - un sujet sur lequel vous nous avez beaucoup sensibilisés dans les débats. À l'issue de cette expérimentation, nous créerons les conditions de sa montée en puissance progressive et de sa généralisation, si les résultats s'avèrent probants - d'où la trajectoire budgétaire montante.

En ce qui concerne ma capacité d'écoute, je note votre remarque, madame Gruny. C'est la clé d'un bon fonctionnement. Si un acteur a l'impression de ne pas être écouté, c'est un problème. Je mesure l'ampleur de la tâche, mais je suis assez confiant. J'observe sur le terrain une forte énergie de la part de personnes volontaires. C'est important qu'elles se sentent écoutées et considérées. Je dois tout particulièrement montrer l'exemple : c'est pourquoi je tâcherai de travailler sur moi-même pour corriger mon attitude. Heureusement, tout le monde ne dit pas cela de moi, mais je reconnais avoir une marge de progression.

Sur le réseau pour l'emploi, je n'ai peut-être pas su bien expliquer la philosophie de la démarche. Il faut dire que l'écosystème est particulièrement compliqué. Pôle emploi
- demain France Travail -, les missions locales, les Cap emploi et les associations sont là pour mettre en oeuvre le projet. Les décisions, elles, sont prises par ceux qui assurent la gouvernance politique, stratégique et financière - je n'ai jamais rien dit ni écrit d'autre. Les contractualisations, par ailleurs, se font par l'État et par les collectivités.

La gouvernance assurée par les élus locaux et l'État, mais aussi les partenaires sociaux, notamment à l'échelon régional et national, ne peut fonctionner que si elle est directement reliée aux opérateurs. France Travail a pour objectif de territorialiser au niveau des bassins d'emploi l'action concrète. Les moyens mis à la disposition des missions locales et des autres acteurs de l'emploi doivent être au service des décisions prises localement par les services de l'État et les collectivités.

Les maires doivent être davantage à la manoeuvre dans la bataille de l'emploi. Ils ont déjà des outils qui fonctionnent, comme les missions locales, les PLIE et les maisons de l'emploi. Nous proposons d'aller plus loin pour avoir une vue d'ensemble sur les demandeurs d'emploi et les entreprises.

M. Laurent Burgoa. - Quelle place et quelle stratégie souhaitez-vous mettre en place pour Pôle emploi dans nos quartiers prioritaires de la politique de la ville ? J'ai été pendant treize ans adjoint à la politique de la ville d'une commune de 150 000 habitants, dont l'un des quartiers connaissait un taux de chômage avoisinant les 30 %. Malheureusement, aucune agence de Pôle emploi n'était présente dans ce quartier, malgré les demandes du maire.

Par ailleurs, ces quartiers bénéficient de projets de rénovation urbaine importants, avec des clauses d'insertion sociale. Comment Pôle emploi peut-il inciter les entreprises à prendre en compte ces clauses, indispensables pour redonner de l'espoir dans ces quartiers ?

Mme Monique Lubin. - À chaque grande réforme de ce type, les présentations rivalisent en superlatifs. Or je cherche toujours la différence entre Pôle emploi et France Travail. Pouvez-vous m'indiquer en quelques mots la plus-value de cette transformation ?

Aujourd'hui, les bénéficiaires du RSA sont les personnes les plus éloignées de l'emploi et cumulent un grand nombre de difficultés. Comment allez-vous mettre en place pour eux les 15 heures hebdomadaires dans le cadre de leur accompagnement vers l'emploi ? Comment allez-vous tisser un réseau d'entreprises qui accueillera des bénéficiaires du RSA, plutôt âgés pour un certain nombre ? L'engagement des entreprises commence à s'essouffler, je le constate dans mon territoire.

Enfin, troisième question, que pensez-vous d'une éventuelle réduction de l'indemnisation des chômeurs de plus de 55 ans ?

M. Olivier Henno. - Merci, monsieur Guilluy, pour votre exposé très complet. Au sujet de la gouvernance, j'ai un doute sur votre capacité à créer de la collégialité, des connexions, avec les entreprises, les partenaires sociaux dans leur ensemble, ainsi qu'avec les territoires - régions, métropoles et départements.

Mme Jocelyne Guidez. - J'ai visité lundi une grande entreprise ; à cette occasion, j'ai pu m'apercevoir de l'absence d'inclusion des personnes handicapées. Non pas par manque de volonté, mais plutôt par manque de savoir-faire, notamment en matière de sécurité. Pouvez-vous accompagner les entreprises sur ce point ?

Vous avez évoqué rapidement la question des aidants. Une loi encadre l'adaptation de leur temps de travail au sein de l'entreprise, mais celle-ci n'est pas toujours respectée. Comment y remédier ? Les aidants ne se font pas toujours connaître. Comment permettre aux entreprises d'être plus au fait de la situation de leurs salariés ?

Mme Émilienne Poumirol. - Mes questions rejoignent celles de Monique Lubin, aux côtés de qui j'ai combattu le texte sur le plein emploi dont vous êtes à l'origine. Celui-ci procède pour nous d'une logique de culpabilisation des bénéficiaires du RSA, quand Pôle emploi est tout autant responsable de leur échec. À cela s'ajoute une idée de sanction qui, selon moi, ne fera qu'aggraver leur précarisation.

Pensez-vous que Pôle emploi est doté d'un effectif suffisant pour faire face à l'arrivée des nouveaux inscrits ? Ses agents seront-ils suffisamment formés aux techniques d'insertion ? Je rappelle que c'était une mission confiée aux départements et aux missions locales.

Je rejoins Mme Pascale Gruny sur l'impression que Pôle emploi chapeautera tout le monde à la manière d'un grand chef. Quelle est donc la réalité de la coordination de l'ensemble des acteurs du réseau ?

Enfin, un nouveau terme m'a interpellée dans votre présentation. À quoi correspond l'académie France Travail ? Est-ce un nouveau gadget ?

Mme Corinne Féret. - Je souhaite réaffirmer l'opposition de notre groupe politique au projet de loi que vous avez porté et que nous n'avons pas voté. Vous vous présentez aujourd'hui devant nous en tant que candidat aux fonctions de directeur général de France Travail.

Dans le cadre de la mission budgétaire « Travail et emploi » débattue hier au Sénat au sein de l'examen du projet de loi de finances, la programmation de 300 ETP pour Pôle emploi a été évoquée. Nous considérons que cette augmentation minime du nombre d'ETP est insuffisante par rapport aux enjeux. Sans compter que vous serez à la tête de plus de 900 agences et relais de proximité.

Les moyens dédiés à cette réforme sont aussi insuffisants. Votre rapport évoque un coût de 2,3  à 2,7 milliards d'euros d'ici à 2026, très en deçà des moyens nécessaires pour mettre en oeuvre la nouvelle façon d'accompagner les demandeurs d'emploi, mais aussi l'inscription obligatoire des bénéficiaires de RSA, lesquels représentent deux millions de nouveaux inscrits.

Au sujet de la ponction supplémentaire qui sera faite sur les recettes de l'Unédic, l'organisme est certes en excédent depuis deux ans, mais n'oublions pas le plan de désendettement très important dans lequel il est engagé. Là aussi, il faut respecter le dialogue social.

Ensuite, je n'ose vous rappeler qu'avec la réforme de l'assurance chômage, de nombreux hommes et femmes vont se retrouver sans indemnités, sans parler de ce qui pourrait être envisagé pour les plus de 55 ans. Que souhaitez-vous mettre en place précisément ?

Enfin, comment intégrer l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph), qui est, à sa grande surprise et son très grand regret, absente du réseau ?

Mme Anne-Sophie Romagny. - Je partage largement les inquiétudes de ma collègue Pascale Gruny. J'insisterai pour ma part sur la place des missions locales dans ce réseau, particulièrement dans les zones rurales. Comment concrètement mettre en place la logique d' « aller vers » dont vous parlez ?

Dans le cadre du contrat d'engagement jeune, le fait que Pôle emploi ait été contacté plus vite que les missions locales n'a pas envoyé un signal très positif aux missions locales quant à leur place dans le réseau pour l'emploi. Leurs inquiétudes sont probablement nées à ce moment-là. Je compte donc sur vous pour préserver la place importante de l'insertion des jeunes, credo des missions locales.

M. Thibaut Guilluy. - J'ai lancé ma première structure d'insertion après avoir lu le rapport de Bertrand Schwartz. Je travaille donc depuis vingt-cinq ans avec les missions locales, je ne vois pas pourquoi je commencerais à les mettre en difficulté.

En revanche, je vous donne raison sur la nécessité de renforcer l' « aller vers ». Deux exemples en témoignent.

Une bonne partie des jeunes en échec pris en charge par les missions locales sortent principalement des lycées professionnels. Or aujourd'hui, au travers d' « Avenir pro », Pôle emploi gère l'accompagnement des jeunes lycéens professionnels sur les six derniers mois avant leur sortie, notamment dans leur premier stage et leur premier emploi. J'ai proposé aux missions locales de faire équipe et de s'appuyer sur leur réseau pour mettre en oeuvre ce type d'accompagnement à compter de 2024.

Mon deuxième exemple concerne l'échec scolaire des étudiants arrivant à l'université à la suite d'une orientation subie et des difficultés sociales et familiales rencontrées. Un sur deux ne passe pas le cap des vacances de Noël. Il s'agit, ici aussi, de travailler ensemble au développement d'un parcours d'orientation et de réorientation ; j'ai présenté cette proposition devant tous les présidents d'universités il y a une quinzaine de jours. Nous travaillerons donc main dans la main avec les missions locales, mais aussi avec tous les autres acteurs du secteur pour rapprocher le monde universitaire et celui de l'insertion professionnelle.

J'ai fixé dans mon rapport les implantations de France Travail à 5 kilomètres maximum de chez soi. Ce détail peut prêter à sourire, mais il répond à la nécessité de proximité qui a été évoquée, indispensable à l'accessibilité du service public.

Pôle emploi est déjà fort de 896 agences et s'appuie sur plus de 2 000 espaces France Services. De leur côté, les missions locales comptent 7 000 implantations partout sur le territoire. Je ne veux pas préempter les futures décisions, mais ouvrir de nouvelles agences France Travail n'est pas à l'ordre du jour. En revanche, l'Union nationale des missions locales a fait part de son intérêt pour renforcer le partenariat avec les autres acteurs du réseau pour l'emploi en rassemblant nos forces et nos compétences dans un lieu unique d'accompagnement. J'espère que cette annonce lèvera un peu vos inquiétudes.

Sur la question relative aux quartiers prioritaires de la politique de la ville, des mesures ont déjà été prises, comme le dispositif « Equip'emploi ». Pour autant, une inégalité d'accès à l'emploi existe bien. Elle est notamment liée aux phénomènes de discrimination, liés au nom, à l'adresse et aux opportunités économiques proposées. C'est donc un véritable défi que de mieux accompagner les personnes de ces quartiers. Il faut que le service public soit fourni là où on en a besoin. Nous veillerons à poursuivre la philosophie mise en place par l'actuel directeur général, Jean Bassères : faire plus pour ceux qui en ont le plus besoin.

J'en viens à la question des entreprises, et aux clauses sociales. Nous avons renforcé les considérations sociales à la faveur de la loi Climat et résilience. Nous avons mis en place 500 facilitateurs de clauses, notamment par le biais du réseau « Les entreprises s'engagent », afin que les entreprises s'engagent davantage. Les clauses sociales sont passées de 22 % à 33 % entre 2022 et 2023. Nous sommes en phase de progrès et nous continuerons d'agir en ce sens.

Une autre question portait sur la montée en compétences des entreprises pour recruter des personnes en situation de handicap. C'est l'objectif du campus de l'inclusion, dont les formations proposées se sont avérées très efficaces pour développer les pratiques inclusives des TPE et PME. Nous devons maintenant changer d'échelle. Beaucoup d'entreprises sont prêtes à s'engager, mais ne savent pas toujours comment s'y prendre. Il faut les accompagner.

Il faut aussi simplifier les choses. L'immersion dans l'entreprise est un très bon outil pour cela. Il s'agit de faire une journée, une semaine, voire un mois, dans une entreprise pour valider un projet professionnel et sortir des stéréotypes de recrutement. Pôle emploi en réalise un peu moins de 200 000. Nous avons changé l'acronyme des périodes de mise en situation en milieu professionnel (PMSMP), qui faisait fuir tout le monde, pour le terme, plus accessible, d'immersion et allégé les charges administratives. Ces immersions sont désormais accessibles sur smartphone. Selon les statistiques, elles sont passées de 25 000 en début d'année à 150 000, voire 170 000, ce qui prouve que quand on stimule les entreprises à ce sujet, elles sont prêtes à s'engager. Notre objectif est à présent d'en réaliser 300 000, 400 000, 500 000, peut-être même un million demain ! Il en va de même pour la mise en oeuvre des 15 heures.

Concernant la gouvernance et vos doutes sur ma capacité à favoriser la collégialité, cela n'est effectivement pas simple. Pour se mettre d'accord sur un objectif, il faut déjà être en mesure de partager les données. Or, aujourd'hui, pas un seul maire en France n'a accès aux informations. Cela vaut aussi pour les présidents de département ou les préfets. Les fichiers de Pôle emploi donnent accès aux bénéficiaires du RSA et aux jeunes, mais pas aux autres personnes éloignées de l'emploi. Nous avons commencé à expérimenter dans les départements un meilleur partage de ces données, que nous déploierons dans les gouvernances locales et les comités locaux.

Une fois que les demandeurs d'emploi et les entreprises dans le besoin sont davantage connus, il faut ensuite pouvoir prendre des décisions. Certains ont évoqué la nécessité de mener de façon concomitante les questions de garde d'enfants et de logement. C'est précisément la philosophie de France Travail, et c'est tout l'intérêt d'un réseau.

Pour cela, il ne suffit pas de mettre les gens autour de la table : il faut leur donner les outils pour passer à l'action. Le maire a parfois les moyens de créer des places supplémentaires en crèches, mais si la région n'adapte pas son offre de formation aux personnes en situation d'aidance ou de handicap, à qui il faut proposer des temps partiels, cela ne peut pas fonctionner.

C'est pourquoi, là où aujourd'hui on compte quatre ou cinq comités locaux, une gouvernance unique et simplifiée sera mise en place. Le maire, le président de département ou son représentant, la région et l'État travailleront en commun pour atteindre l'objectif. Des territoires travaillent déjà en bonne intelligence, il faut simplement les outiller davantage pour mener à bien la bataille du plein emploi. Nous suivrons de près l'évolution de cette nouvelle gouvernance simplifiée et opérationnelle du réseau pour l'emploi.

Vous semblez découvrir l'académie France Travail, mais ce n'est pas nouveau. Elle vise à développer l'interconnaissance. En vingt ans de pratique, je n'ai jamais connu un chargé d'insertion sociale et professionnelle au fait de toutes les solutions. Entre l'accès au droit, le logement, la connaissance des systèmes très complexes de formation, d'emploi et de santé, ce n'est pas possible de tout maîtriser.

Un conseiller de mission locale qui rencontre une problématique d'hébergement doit pouvoir se rapprocher des travailleurs sociaux du centre d'hébergement d'urgence ou du centre d'hébergement et de réinsertion sociale. Développer l'interconnaissance permettra de gagner en efficacité. C'est l'objectif de cette académie.

M. Khalifé Khalifé. - Merci de votre présentation. Je salue le travail de Jean Bassères, que j'ai eu le plaisir de côtoyer en Moselle. La coordination est importante. Dans mon département, nous avons fédéré l'ensemble des acteurs, de l'État à Pôle emploi en passant par les associations, notamment en finançant des associations « facilitatrices » pour chacun des territoires. Par ce biais, nous avons diminué de façon significative le nombre d'allocataires du RSA sur notre territoire.

Avez-vous prévu une plateforme spécifique pour aider les étudiants à trouver un travail adapté et compatible avec leur scolarité ?

Mme Viviane Malet. - Merci pour votre exposé. Pour ma part, je vous emmène à La Réunion, un département que vous avez visité. Depuis la recentralisation du RSA et malgré ses compétences légales en matière d'insertion et d'accompagnement de tous les bénéficiaires du RSA, le département n'a plus accès à l'ensemble des données utiles à la prise en charge de ce public. L'expérimentation France Travail en est directement affectée. L'absence d'échange et d'actualisation des données rend particulièrement complexes l'identification, la mobilisation et l'accompagnement du public concerné. Que comptez-vous faire pour remédier à cette situation dans notre département ?

La loi prévoit que le Gouvernement dispose d'un délai de six mois à compter de l'adaptation de la loi pour prendre les ordonnances d'adaptation du texte au contexte spécifique des outre-mer. Les travaux n'ont pas commencé. Quel est le calendrier prévu et quelles sont les modalités de concertation avec les collectivités locales ? Dans ce cadre, comment comptez-vous prendre en compte les résultats de l'expérimentation du département de La Réunion ?

De même, mobiliserez-vous les crédits liés à la levée des freins à l'insertion afin d'accompagner la dynamique d'encouragement à la reprise d'activité engagée par le département de La Réunion dans le cadre du dispositif R+ ?

Mme Marie-Do Aeschlimann. - Permettez-moi de vous ramener à une île plus proche, l'Île-de-France, où nous avons, comme partout, les mêmes problématiques de compatibilité et de coordination des systèmes d'information. L'enjeu est de trouver le pilotage le plus efficient possible des dispositifs de tous les acteurs du champ de l'emploi à la formation professionnelle.

Pôle emploi est sans doute le premier opérateur de l'État, avec environ 55 000 ETP. Vous serez sûrement sollicité dans le cadre de la recherche d'économies. Vous projetez-vous déjà dans cette perspective ?

Un autre sujet, pour le moins lacunaire dans notre système, concerne le contrôle de la recherche d'emploi. Avez-vous prévu des dispositifs spécifiques dans un contexte de marché du travail dynamique ?

Sur le sujet de la gouvernance, en tant que vice-présidente de la région Île-de-France chargée de l'emploi et la formation pour encore quelques mois, j'ai lu le rapport de préfiguration avec beaucoup d'intérêt. Il ne fait mention de la région que deux ou trois fois, alors qu'elle est la collectivité historiquement compétente en matière d'emploi et de formation. Comment allez-vous organiser ce pilotage en mettant la région à sa place, puisque j'ai cru comprendre que vous souhaitiez travailler avec toutes les collectivités ?

Enfin, une question un peu malicieuse : seriez-vous favorable à une expérimentation associant plus étroitement la région, avec un conseil d'administration de l'opérateur présidé par la région ?

Mme Raymonde Poncet Monge. - Monsieur Guilluy, vous avez été l'architecte de France Travail et l'inspirateur de la loi pour le plein emploi. Puisque vous êtes à l'écoute, j'espère que vous avez été attentif aux critiques de vos opposants, à savoir les écologistes et le reste de la gauche.

Vous avez donc créé votre fiche de poste. (Sourires.) De ce fait, vous êtes le meilleur candidat pour l'appliquer. À nous de décider si l'on validera l'inspirateur de la loi pour le plein emploi ou le fait que vous soyez très certainement le meilleur candidat.

Je reviendrai sur l'expérimentation du contrat d'engagement dans 18 territoires. Pour ce qui est de la métropole de Lyon, nous appliquons la réciprocité du contrat. Pour les territoires qui l'expérimentent, c'est avant tout l'engagement d'un accompagnement renforcé et adapté des personnes avant d'appliquer le dispositif de suspension-remobilisation. On a d'abord des droits avant d'avoir des devoirs.

L'expérimentation se juge non pas à l'aune des 500 premiers, mais des 500 derniers. Pôle emploi est accusé de sélectionner les personnes les plus à même de sortir du dispositif. Ce reproche est peut-être faux, mais nous jugerons de votre proposition quand, comme pour les territoires « zéro chômeur de longue durée », vous vous occuperez de bénéficiaires du RSA âgés de 45 à 50 ans, avec cinq ans de chômage minimum derrière eux, ou bien en situation de handicap.

Vous préconisez un portefeuille de 60 allocataires par conseiller. C'était déjà la promesse de la fusion Assédic-Agence nationale pour l'emploi (ANPE). Quel est votre bilan critique de cette promesse non tenue par vos prédécesseurs ? D'autant que vous préconisez l'inscription de tous les bénéficiaires du RSA comme demandeurs d'emploi. Comment allez-vous tenir cet engagement de 60 allocataires par conseiller ? J'ai cru comprendre que vous mobiliserez les conseillers partout sur les territoires, notamment ceux des missions locales. Cela ne me pose pas de souci. En revanche, quelle place accorderez-vous aux organismes de placement privés, que l'on sait moins efficients que l'accompagnement public ? Sans eux, il vous sera difficile d'atteindre l'objectif de 60 allocataires par conseiller.

Ensuite, puisque vous déclarez vouloir le plein emploi, allez-vous changer les catégories de Pôle emploi pour atteindre cet objectif ? Avec l'apparition d'une catégorie F, avec les allocataires du RSA que vous n'arrivez pas à placer... Je ne vois pas comment vous y arriverez, sauf à radier de façon massive.

Pour finir, quelle place donnez-vous aux partenaires sociaux aux quatre niveaux : national, régional, mais aussi départemental et local ?

Mme Catherine Conconne. - Monsieur le futur potentiel directeur général, vous êtes appelé à faire la révolution à Pôle emploi. J'espère que celle-ci ne s'arrêtera pas uniquement au changement de nom ou à la création de nouveaux concepts.

Pôle emploi donne l'impression d'être une grosse machine, d'un gros mammouth, pour ne plagier aucune autre administration, avec une efficacité tout à fait relative. C'est du moins le ressenti que tant les usagers que les chefs d'entreprise ont en Martinique.

Nous attendons donc plus de modernité et d'efficacité de la part de France Travail, avec des enquêtes d'évaluation régulières et généralisées. Nous attendons de voir quels moyens seront mis à disposition de cette révolution dans l'institution.

Mme Laurence Muller-Bronn. - Je voudrais revenir sur l'emploi des seniors. Bruno Le Maire a évoqué la possibilité de réduire la durée d'indemnisation spécifique des demandeurs d'emploi de plus de 55 ans, pour qu'elle atteigne le niveau des autres catégories. Or, en France, un employé est considéré comme senior dès l'âge de 45 ans. En plus du deuil d'un emploi dans lequel il s'est investi de nombreuses années, nous savons que le salarié senior aura des difficultés à retrouver un emploi.

Il y a quelques années, un dispositif avait été mis en place pour inciter les employeurs à recruter des personnes en fin de carrière auxquelles il manquait quelques trimestres de cotisation. Avec le recul de l'âge de départ à la retraite, il y aura bientôt des demandeurs d'emploi âgés de 60 ans et plus. Comment créer une attractivité autour de ces profils ? Comment faciliter leur retour à un emploi stable, sans dévaloriser leurs compétences et leur expérience ?

Par ailleurs, dans le cadre du bénéfice des prestations monétaires et du contrat d'engagement, une sanction intermédiaire serait introduite : la suspension-remobilisation. Envisagez-vous de mettre en place un service de coaching pour booster le moral et les candidatures ? Comptez-vous ne vous appuyer que sur la peur de la sanction ?

Enfin, dans le cadre de France Travail, chaque entreprise pourrait disposer d'un interlocuteur privilégié. Un service dédié aux entreprises existe déjà dans les agences, qui regroupe des conseillers chargés de leur accompagnement, depuis l'offre jusqu'au recrutement final. Comptez-vous décentraliser les décisions pour permettre aux agences une plus grande adaptabilité aux réalités du terrain et offrir ainsi un service cousu main ?

Mme Solanges Nadille. - Je suis élue de la Guadeloupe. Que pensez-vous de la précarité de l'emploi chez les conseillers de Pôle emploi ? Le roulement du personnel s'élève chez nous à environ 40 % et nous comptons de nombreux CDD, ce qui ne permet pas d'accompagner les demandeurs d'emploi sur le long terme.

Dans le cadre du dispositif de l'accompagnement global, partenariat passé entre la collectivité départementale et Pôle emploi, huit assistants de service social ont été recrutés et déployés dans les agences. Avez-vous un retour sur ce déploiement ?

Enfin, le dispositif des crèches à vocation d'insertion professionnelle, dites crèches Avip, a été mis en place en Guadeloupe en mars 2023. Le retour est-il positif ?

M. Thibaut Guilluy. - Pour les demandeurs d'emploi, la prise en compte des aidants figure dans le texte. Par ailleurs, nous conduisons des travaux avec certains acteurs pour valoriser les expériences et les compétences des aidants. Le sujet est considéré par France Travail et représente un enjeu important.

En ce qui concerne le travail mené sur la mise en oeuvre des mesures de la Conférence nationale du handicap, l'Agefiph est associée au comité technique et à la gouvernance de France Travail, à chaque fois que sa contribution peut être apportée. Des échanges ont récemment eu lieu entre les sénateurs et l'association.

S'agissant de la plateforme pour les étudiants, il existe la plateforme « 1 jeune, 1 solution », que j'ai eu le plaisir de mettre en oeuvre et qui permet d'apporter une solution à chaque jeune, en fonction de sa situation. Elle compte plus de 14 millions d'utilisateurs et nous continuerons d'investir dans les années à venir. La plateforme permet d'accéder à des stages ou à des jobs étudiants, et d'offrir un accès à l'emploi et à l'apprentissage.

En ce qui concerne les conseillers, nous comptons plus de 50 000 CDI pour 5 000 CDD. De plus, le roulement du personnel de Pôle emploi s'élève à 5,1 %, ce qui permet une certaine stabilité. Je me pencherai plus en détail sur les chiffres de la Guadeloupe. Certes, nous pourrions encore améliorer les choses, mais la situation n'est pas catastrophique et le dialogue social fonctionne bien. Ainsi, 36 accords ont été signés depuis 2019. Il faut encore consolider le dialogue social et assurer un traitement plus ponctuel sur certains territoires.

Quant à l'accompagnement global, il produit de bons résultats, que nous pourrons partager. Des travailleurs sociaux et des conseillers Pôle emploi agissent ensemble pour accompagner les personnes les plus éloignées de l'emploi. Nous déployons le dispositif dans le cadre de France Travail.

Je vous remercie de mentionner les crèches Avip, dans lesquelles plusieurs dizaines de milliers de places ont déjà été créées. Il faut continuer car la question de la garde d'enfants représente un enjeu majeur pour l'accès à l'emploi. Les retours sont très bons, mais nous ne répondons pas encore à l'entièreté des besoins. Il faut poursuivre la montée en puissance engagée depuis quelques années, avec le Gouvernement et les collectivités.

S'agissant des données de la caisse d'allocations familiales (CAF), ce qui vaut à La Réunion vaut pour tous les départements. J'ai eu un échange récent avec le directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), pour que tous les départements de France puissent avoir accès aux données de la CAF. Ce sera le cas au 1er janvier 2025, au plus tard. Quand on demande des dizaines de fois à un bénéficiaire du RSA de justifier qu'il est bénéficiaire, on lui fait perdre son temps et on fait perdre leur temps aux travailleurs sociaux, alors que nous ne sommes pas sûrs de la réponse.

Nous vous ferons parvenir le calendrier pour les adaptations de la loi en outre-mer. Nous avons commencé à en discuter pour adapter et bien prendre en compte leurs spécificités dans la mise en oeuvre.

Mme Viviane Malet. - Et en ce qui concerne une possible aide financière pour le dispositif R+ ?

M. Thibaut Guilluy. - Je reviendrai vers vous sur ce sujet.

J'en viens au système d'information plateforme, pour lequel de grands investissements sont prévus et des outils ont commencé à être développés avec les départements. Le dispositif est déjà bien engagé. Il s'agit d'un sujet majeur, y compris pour que les collectivités puissent avoir accès à ces données.

Quand on pilote une organisation, il faut réfléchir à son efficience. Nous passons beaucoup de temps sur le reporting et le travail sur les outils nous permettrait d'automatiser certaines tâches, afin de nous consacrer davantage à la relation et au service, qui motivent le travail des conseillers. La charge administrative peut parfois les décourager.

S'agissant des seniors, je ne peux me prononcer sur la question de l'indemnisation. Aujourd'hui, le taux de chômage de ces personnes est plus faible que pour d'autres catégories, mais les durées de chômage sont deux fois plus importantes. Nous sommes d'accord sur le diagnostic. Que mettre en oeuvre ? D'un côté, des négociations ont été engagées avec les partenaires sociaux. Par ailleurs, des actions sont menées, qui peuvent se destiner aux entreprises sur les pratiques, accompagner la reconversion, adapter l'offre de formation ou développer la validation des acquis de l'expérience. Certaines offres figurent parmi les 99 propositions. Cependant, ce chantier reste devant nous.

S'agissant du contrat d'engagement, le problème est non pas la peur des sanctions, mais l'accompagnement. L'accompagnement personnalisé global ne peut pas fonctionner quand on suit plus de quarante personnes. Le sujet renvoie à la question des moyens. Quand je discute avec les représentants des départements, nous constatons qu'à partir du moment où l'accompagnement est renforcé pour assurer le choc de l'insertion, le nombre de bénéficiaires du RSA baisse, ce qui dégage des marges de manoeuvre, sur lesquelles les départements sont prêts à redéployer des moyens pour l'insertion.

Mme Raymonde Poncet Monge. - J'aimerais obtenir des réponses à mes questions par écrit.

M. Philippe Mouiller, président. - Il s'agit d'une très bonne proposition. Merci beaucoup pour cet exercice, monsieur Guilluy. Si vous en êtes d'accord, vous pourrez nous adresser les réponses aux sujets qui n'ont pas été évoqués.

M. Thibaut Guilluy. - Je le ferai et reste à votre disposition.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Thibaut Guilluy aux fonctions de directeur général de Pôle emploi

M. Philippe Mouiller, président. - L'audition de M. Thibaut Guilluy étant achevée, nous allons maintenant procéder au vote sur cette proposition.

Le vote se déroulera à bulletin secret, comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. En application de l'article 1er de l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote, les délégations de vote ne sont pas autorisées.

Je vous rappelle que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.

La commission procède au vote, puis au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Thibaut Guilluy aux fonctions de directeur général de Pôle emploi, simultanément à celui de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale.

M. Philippe Mouiller, président. - Voici le résultat du scrutin, qui sera agrégé à celui de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale :

Nombre de votants : 34

Bulletins blancs : 5

Bulletins nuls : 0

Suffrages exprimés : 29

Pour : 18

Contre : 11

La réunion est close à 12 h 40.