Mercredi 6 décembre 2023

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 8 h 45.

Audition de M. Thierry Guimbaud, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président de l'Autorité de régulation des transports

M. Jean-François Longeot, président. - Nous entendons ce matin Monsieur Thierry Guimbaud, actuel directeur général de Voies navigables de France (VNF) et candidat proposé par le Président de la République pour occuper les fonctions de président de l'Autorité de régulation des transports (ART), en application de l'article 13 de la Constitution.

Cette audition était très attendue puisque, depuis l'expiration du mandat de Bernard Roman le 1er août 2022 et compte tenu du désistement de Marc Papinutti en février 2023, ce poste est resté vacant plus de seize mois. Je regrette cette durée excessive, préjudiciable aux bonnes relations que le Sénat entretient avec le régulateur depuis sa création. Il appartiendra notamment au futur président de veiller à la qualité des échanges avec les parlementaires, concernant entre autres les évolutions législatives relatives à l'ART. Depuis 2022, notre ancien collègue Philippe Richert, vice-président et membre du collège de l'ART, assure l'intérim de la présidence de cette autorité publique indépendante.

La nomination proposée par le Président de la République ne peut intervenir qu'après audition devant les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Cette audition est publique et ouverte à la presse. Elle sera suivie d'un vote, qui se déroulera à bulletin secret. Je rappelle que les délégations de vote ne sont pas autorisées et que le dépouillement doit être effectué simultanément à l'Assemblée nationale. À cet égard, je précise que la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale vous entendra tout à l'heure.

En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs exprimés dans les deux commissions représentait, au total, au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.

M. Philippe Tabarot, rapporteur. - Nous attendions cette audition depuis trop longtemps. Je suis évidemment heureux de vous retrouver à cette occasion, Monsieur Guimbaud, mais je suis surtout soulagé qu'un candidat soit enfin proposé pour occuper ces fonctions.

Comme l'a souligné le président de la commission, cette longue vacance nous a beaucoup inquiétés. Je tiens au passage à rendre hommage à l'action de Bernard Roman et à sa combativité en tant que président de l'ART. Si rien ne semblait nous rapprocher a priori - qu'il s'agisse de notre orientation politique ou de notre origine géographique -, je tiens à saluer ici le courage, l'esprit d'indépendance et la ténacité dont il a su faire preuve.

Toutefois, je ne peux m'empêcher de m'interroger sur la durée de cette vacance et je salue d'ailleurs la manière dont Philippe Richert a assuré l'intérim. Comment interpréter ces seize mois d'attente ? Faut-il comprendre que l'autorité dont vous briguez la tête n'aurait pas besoin d'un président ? Vous n'êtes certes pas responsable de cette situation, mais je souhaiterais recueillir votre avis sur cette période aussi longue que rocambolesque et je fais ici référence à la candidature de Marc Papinutti, qui s'est désisté la veille de son audition.

J'en viens à ma deuxième question : pourquoi devrions-nous vous nommer aux fonctions de président de l'ART ?

En premier lieu, cette fonction suppose une certaine connaissance des secteurs régulés et je ne doute pas de vos compétences techniques, compte tenu de votre parcours. Vous avez notamment travaillé pour Aéroports de Paris (ADP), ainsi qu'au Syndicat des transports d'Île-de-France (Stif), rebaptisé Île-de-France Mobilités (IDFM). De 2011 à 2017, vous avez également occupé les fonctions de directeur des services de transport de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) au ministère de l'écologie. Tous les interlocuteurs avec lesquels j'ai échangé pour préparer votre audition ont souligné vos compétences techniques, que j'ai pu apprécier, notamment en tant que rapporteur budgétaire pour avis sur les crédits relatifs aux transports ferroviaires, fluviaux et maritimes. À cet égard, je tiens à souligner la qualité de notre dialogue et votre disponibilité. Pour autant, certaines de ces fonctions pourraient-elles rendre nécessaire un déport de votre part si vous étiez nommé ? Il s'agissait de l'une de nos principales réserves quant à la candidature de Marc Papinutti.

En deuxième lieu, la présidence de l'ART suppose une grande indépendance ; il s'agit là d'un point central. Le futur président de l'ART aura un « devoir d'ingratitude » à l'égard du pouvoir qui le nomme. Compte tenu de votre rôle de serviteur de l'État, je m'interroge sur votre capacité à prendre position, à monter au créneau ou à tenir tête au Gouvernement. Pourquoi votre profil, plutôt administratif, serait-il meilleur qu'un profil plus politique tel que celui de Bernard Roman ? À cet égard, nous aurions pu présenter des personnalités très compétentes, venant du Sénat et même de cette commission. Comme Bernard Roman le résumait dans son rapport Six ans de régulation des transports : « Il ne peut exister de régulateur fort et respecté, à même d'apporter la valeur qui est attendue de lui aux usagers des transports, sans indépendance. »

Sous sa présidence, l'ART a démontré sa capacité à porter un discours courageux et à formuler des décisions majeures, ayant permis de régler des différends entre certaines autorités organisatrices de la mobilité et SNCF Voyageurs. Dans le secteur du transport ferroviaire, comme dans les secteurs aéroportuaire et autoroutier, les décisions de l'ART constituent autant de jalons pour nos politiques en matière de mobilités. La parole de Bernard Roman était libre et il n'avait pas manqué de qualifier le dernier contrat de performance passé entre SNCF Réseau et l'État d'« occasion manquée ». Serez-vous en mesure de vous exprimer avec la même liberté ? Quel regard portez-vous par exemple sur cette dernière actualisation du contrat de performance ? Si la multiplication des autorités et des agences questionne la performance de nos politiques publiques, l'ART occupe une place à part et bénéficie d'une légitimité à toute épreuve au regard du travail effectué.

En troisième et dernier lieu, le bon fonctionnement de l'ART suppose qu'elle ait les moyens suffisants pour exercer l'ensemble de ses missions. L'Autorité a vu son champ de compétence s'élargir de façon considérable. Ainsi, les autoroutes concédées et le transport interurbain par autocar sont entrés dans le champ de la régulation en 2015. J'en profite pour évoquer un sujet d'actualité : que pensez-vous de la fermeture prévue de la gare routière de Bercy-Seine ? Les missions de l'ART ont également été étendues au secteur aéroportuaire, sous l'effet de la loi d'orientation des mobilités de 2019. En outre, la loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine des transports, de l'environnement, de l'économie et des finances de 2021 lui a confié une mission de suivi économique et financier des aérodromes entrant dans son champ de compétence, ainsi que plusieurs missions de suivi du service européen de télépéage.

L'autorité régule désormais six secteurs, avec un plafond d'emploi de 102 équivalents temps plein travaillé (ETPT) et une subvention pour charges de service public de 15 millions d'euros, prévue par le projet de loi de finances pour 2024. Cette situation contraint l'ART à prélever sur son fonds de roulement, qui s'en trouve désormais asséché. À terme, le régulateur risque de ne plus avoir les moyens de faire face à d'éventuels contentieux. Année après année, nous déposons avec mes collègues Olivier Jacquin, Hervé Gillé et Jacques Fernique des amendements pour augmenter ses moyens. Serez-vous prêts à vous battre pour obtenir davantage de ressources ? Je ne voudrais pas comparer deux situations incomparables, mais j'observe que les effectifs de VNF ont été réduits à peau de chagrin ces dernières années, pour des raisons que nous connaissons.

Enfin, j'ajouterai que le contrôle du Parlement sur les nominations n'est plus une simple formalité, ce dont certains candidats ont pu se rendre compte à leurs dépens.

M. Thierry Guimbaud, candidat proposé par le Président de la République pour exercer les fonctions de président de l'Autorité de régulation des transports. - La proposition du Président de la République m'honore et a beaucoup de sens pour moi, tant j'ai bâti ma carrière sur les sujets de transport. De plus, nous traversons un moment stratégique dans ce domaine. J'aborde donc cette proposition avec une profonde humilité, car je connais le rôle essentiel de l'autorité. Il s'agit d'une institution qui a beaucoup évolué et qui est respectée. Le rôle du président sera de maintenir la qualité du travail et le respect qu'il inspire.

Je commencerai par évoquer mon expérience, dont certains éléments me permettront de répondre en partie aux questions posées, notamment en matière de technique et d'indépendance. Je reviendrai ensuite sur la question centrale de l'indépendance, qui est en effet nécessaire. Enfin, j'aborderai les grands défis auxquels l'ART me semble confrontée.

J'ai beaucoup travaillé dans le monde des transports, dans ses dimensions financière, juridique, stratégique et économique, mais aussi dans ses aspects les plus opérationnels, ce qui contribue à rendre mon parcours particulier. J'ai souhaité me consacrer à l'exploitation et travailler sur le terrain de manière régulière, pour m'intéresser de près à la question de la qualité du service rendu aux usagers.

J'ai commencé ma carrière au ministère de l'économie, où j'ai été commissaire chargé d'enquêtes de concurrence, notamment dans le domaine des travaux publics.

À l'issue de ma scolarité à l'École nationale d'administration (ENA), j'ai rejoint le ministère de l'équipement, où je me suis occupé du financement et de la concession des autoroutes.

J'ai ensuite travaillé pour ADP, alors établissement public, au sein duquel je me suis consacré au pilotage de certains grands dossiers stratégiques. J'en évoquerai deux.

D'abord, j'ai piloté une enquête publique sur un projet d'extension des capacités de l'aéroport Charles-de-Gaulle, qui prévoyait de passer de deux à quatre pistes. Cette enquête très importante a reposé sur une grande écoute des usagers et des riverains.

Ensuite, j'ai été responsable pendant six ans de l'exploitation de cette plateforme aéroportuaire. Il s'agissait d'un métier prenant et à forte compétence opérationnelle, qui impliquait la gestion directe et indirecte de milliers d'agents et le traitement de situations de crise parfois paroxystiques. J'ai ainsi contribué à la gestion de l'accident du Concorde et la montée en puissance de la sécurité aéroportuaire après le 11 septembre 2001.

Puis, je suis devenu directeur chargé des sujets d'exploitation au Stif, devenu IDFM, où je me suis notamment concentré sur les questions d'offre de transport, de qualité de service et de multimodalité.

Après ce parcours effectué hors de l'administration, j'ai rejoint le ministère des transports pendant cinq ans, où j'ai en particulier été responsable du pilotage de la loi du 4 août 2014 portant réforme ferroviaire, qui a notamment renforcé les pouvoirs de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (Araf), devenue Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer).

Enfin, depuis 2017, je suis directeur général de VNF, opérateur national du réseau fluvial, qui constitue un secteur non régulé.

Je suis donc familier des problèmes de transport et de régulation dans les domaines autoroutier, aéroportuaire et ferroviaire, ainsi que des questions de transport urbain et interurbain. De plus, j'ai connu ces secteurs en occupant différentes positions : concédant, gestionnaire d'infrastructure, directeur au sein d'une autorité organisatrice et directeur d'administration centrale. J'ai joué différentes partitions, au service de missions et d'intérêts divers, mais ces problématiques ont constitué le coeur de mon activité professionnelle, consacrée au service de l'État et de l'intérêt général.

Je tire de mon expérience une bonne connaissance des acteurs du secteur et de ses grandes problématiques, même si celles-ci ont évolué. Ainsi, je serai rapidement opérationnel pour occuper ce poste resté vacant pendant seize mois.

De plus, j'ai pu développer une indépendance technique et intellectuelle. Cette question de l'indépendance vous préoccupe à juste titre ; elle est consubstantielle au travail de l'ART.

Mon indépendance tient d'abord à ma connaissance fine des dossiers et, même si les choses ont changé, des fondamentaux demeurent.

Par ailleurs, ma longue carrière de haut fonctionnaire s'achève. Je n'ai plus aucune perspective de carrière au-delà de l'ART et ne serai donc pas sensible aux pressions, quelles que soient leur nature et leur origine. D'ailleurs, je n'aurai pas été candidat si tel n'avait pas été le cas.

Cette indépendance se lit aussi dans mon parcours. Je n'ai jamais rejoint une entreprise ou un établissement dont j'avais exercé la tutelle ou pour lequel j'avais été donneur d'ordres. En outre, je n'ai pas travaillé dans les cabinets ministériels. Enfin, exerçant la fonction de directeur général de VNF depuis plus de six ans, dans un secteur non régulé, et n'ayant eu à connaître dans cette période aucun dossier lié à des secteurs régulés, je n'aurai pas à me déporter dans l'exercice de mon mandat, si vous m'accordez votre confiance.

Enfin, j'aurai une observation plus personnelle. L'indépendance est liée non seulement au statut et à la position qu'on occupe, mais aussi à la personnalité. Je crois en avoir largement fait preuve dans ma carrière. Ainsi, j'ai mené des enquêtes de concurrence parfois difficiles au sein de grandes entreprises, qui risquaient de potentielles sanctions de l'Autorité de la concurrence. Il fallait une grande indépendance puisque le commissaire enquêteur rapportait à titre personnel les constats qu'il avait établis.

De plus, j'ai participé depuis les premières loges à une opération complexe de décentralisation. Quand je suis rentré au Stif, il s'agissait d'un établissement public rattaché au ministère des transports. Il fallait en faire un établissement public local, au service des élus régionaux, départementaux, et de toutes les collectivités d'Île-de-France. J'ai joué un rôle important dans le changement d'ancrage de cette autorité organisatrice, sans aucun état d'âme car je servais pleinement la structure dans laquelle je travaillais.

Plus récemment, j'ai porté les intérêts de VNF pour obtenir des moyens, des crédits ou la signature d'un contrat d'objectifs et de performance (COP), qui n'était pas acquise au départ. Ces moyens et résultats ne s'obtiennent pas sans faire preuve d'une volonté forte et indépendante ni sans combat, y compris avec les tutelles. Je n'ai jamais eu de problème en la matière et j'ai toujours joué pleinement le rôle qui était le mien. J'ai également beaucoup travaillé avec le Conseil d'orientation des infrastructures (COI), pour faire en sorte que l'investissement fluvial double après une décennie de recul.

Il s'agit d'une exigence essentielle et cette indépendance est garantie par le statut de l'autorité, par le caractère non renouvelable du poste de président et par la collégialité de la prise de décision, ce dont j'ai pu discuter avec les quatre vice-présidents. Le président régule et anime mais ne prend pas seul les décisions, qu'il assume ensuite.

J'en viens aux grands enjeux de l'autorité dans le moment stratégique pour les transports que traverse notre pays. D'abord, je dois faire preuve d'humilité et de prudence. Malgré ma connaissance et ma vision d'ensemble du secteur, je ne voudrais pas donner l'impression de tout connaître. La question de la régulation économique sectorielle constitue un métier en soi qu'il me faudra apprendre, en m'appuyant sur les membres du collège, sur les services de l'Autorité, sur l'ensemble des parties prenantes, ainsi que sur les discussions que nous aurons avec la commission au Sénat.

Une première remarque s'impose : l'ART semble avoir trouvé sa place. Sa crédibilité repose sur la qualité de son travail très pointu dans les domaines juridique, économique et technique. La solidité de ses analyses indépendantes et fouillées en fait, au-delà de ses missions de régulateur, un tiers de confiance pour l'ensemble des acteurs, dans la conduite des politiques publiques relevant de son champ de compétence. Je remarque aussi que ses décisions, quand elles sont contestées devant la justice, sont quasi systématiquement confirmées. Ces éléments sont remarquables et constituent la force de l'ART. Le dernier rapport de la Cour des comptes l'établit clairement et le rapport plus récent encore de l'Autorité de la concurrence le confirme. Le mandat premier d'un président sera de préserver et de développer ces acquis en toute indépendance.

Néanmoins, la place qu'a trouvée l'ART est aujourd'hui menacée et la définition de son périmètre reste inaboutie. Elle est menacée parce que les moyens budgétaires de son indépendance commencent à manquer, ce qui représente pour moi une préoccupation essentielle. La dotation budgétaire pour 2023 s'élevait à 14 millions d'euros pour 102 ETPT, ce qui paraît totalement déconnecté des besoins d'une autorité publique indépendante régulant six secteurs. Le fonds de roulement, qui était important il y a quelques années, a été utilisé de façon légitime et en grande partie asséché. Il arrive aujourd'hui à son étiage. Ce phénomène menace les capacités de l'ART à renouveler ses équipements et ses systèmes d'information, à recruter des agents de très haut niveau et à faire face aux responsabilités découlant de sa personnalité juridique, dont je crains qu'elle n'ait pas les moyens d'affronter les conséquences.

Une demande pour atteindre un budget d'équilibre de 18,6 millions d'euros a été formulée. Je précise que ce montant comprend un effort de productivité, qui est indispensable, comme pour tout acteur public. Ces augmentations de contribution sont toujours difficiles à faire accepter, mais elles restent très modestes en valeur absolue et au regard des gains que l'ART procure à la collectivité. En effet, l'action de l'ART a permis d'obtenir, sur les avenants autoroutiers, une réduction de 28 millions d'euros du tarif des péages autoroutiers pour la seule année 2022.

De plus, la place de l'ART est encore mal définie car ses compétences se sont étendues de façon progressive, sans vision systémique. Ainsi, l'implication de l'autorité est très différente selon les secteurs : approfondie dans le domaine ferroviaire, elle l'est moins dans les secteurs aéroportuaire et autoroutier. Le périmètre n'a pas la clarté de celui d'autres régulateurs comme la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Si vous confirmez ma nomination, je m'emploierai à reposer les fondamentaux de ce que doit être une autorité de régulation des transports. Il ne s'agira pas de tout chambouler puisque le travail effectué fonctionne, mais de compléter les choses et de donner un sens renouvelé au régulateur. Des réflexions intéressantes ont déjà été amorcées en interne, et la Cour des comptes comme l'Autorité de la concurrence ont rappelé leurs attentes sur ce sujet.

Enfin, j'évoquerai les trois principaux aspects de ma vision de l'évolution à venir de l'autorité.

D'abord, le régulateur a un rôle à jouer dans la transition écologique et énergétique, même s'il n'est pas acteur de l'écologie en première intention. Le bon fonctionnement des systèmes de transport auquel il veille, notamment dans les domaines du ferroviaire et des transports en commun, contribue à la transition. Les émissions de gaz à effet de serre constituent le grand enjeu pour les transports et le régulateur doit apporter sa contribution.

Ensuite, la maîtrise des prix constitue un deuxième axe stratégique, pour préserver les pouvoirs d'achat et rendre les modes de transport collectif plus attractifs.

Enfin, la qualité de service rendu aux usagers représente le troisième enjeu. J'y suis sensible et j'ai beaucoup travaillé à ce sujet en tant qu'acteur opérationnel.

Dans cette perspective stratégique, les pouvoirs d'intervention de l'ART doivent être approfondis et harmonisés. En raison de sa montée en compétence progressive, l'autorité est davantage perçue comme un régulateur des modes de transport, appréhendés mode par mode, plutôt que comme un régulateur des transports. Des initiatives pourraient être prises, à l'instar d'autres régulateurs, pour fonder en quelque sorte un nouveau pacte de l'ART.

Enfin, je serai très attaché à ce que l'ART, au-delà de son rôle de régulation, approfondisse son positionnement d'expert, de tiers de confiance et d'appui auprès des pouvoirs publics intervenant dans le domaine, qu'il s'agisse des ministères, des autorités organisatrices de mobilité mais aussi du Parlement. À cet égard, je m'engage à venir régulièrement devant votre commission, pour rendre compte de l'action de l'ART et présenter ses principaux travaux, suivant un rythme qui vous agréera. Je veillerai aussi à ce que l'ART puisse éclairer les travaux parlementaires que vous menez.

Il s'agira donc de préserver l'équilibre financier de l'ART pour qu'elle reste indépendante, de donner un nouveau cap pour approfondir ses compétences et leur cohérence, et de renforcer son rôle de conseil et de tiers de confiance à l'égard des parties, notamment publiques.

Monsieur le rapporteur, j'ignore pourquoi la vacance a été si longue mais je sais qu'elle a eu un effet péjorant. Lors de ma discussion avec les vice-présidents du collège, j'ai eu le sentiment qu'il était temps d'y mettre fin. En tout, cinq personnes doivent débattre au sein de l'ART d'orientations complexes et sensibles ; il n'y en a pas une de trop. Il faut à cet égard saluer l'intérim de Philippe Richert, qui m'a confié qu'un président était attendu avec impatience.

Je ne suis pas le mieux placé pour débattre des avantages du profil administratif par rapport au profil politique. Néanmoins, je rappellerai que je n'ai pas passé ma carrière dans l'administration centrale et n'y suis resté que dix ans, ayant voulu assumer des responsabilités et des rôles différents, en toute indépendance. À chaque fois, je pense avoir rempli mon rôle au mieux, sans me soucier de savoir si j'aurais ensuite un problème.

M. Franck Dhersin. - Nous aurions préféré un profil plus politique. En effet, Bernard Roman a été un excellent président, reconnu par tous. Toutefois, je vous connais bien, Monsieur Guimbaud, car j'ai été membre du conseil d'administration de VNF et, dans ma région des Hauts-de-France, où les canaux sont omniprésents, j'ai pu mesurer la qualité de votre travail. Vous avez été un excellent directeur général de VNF.

J'aimerais d'ores et déjà vous soumettre un cas d'école. Nous avons ce soir une commission mixte paritaire (CMP) sur une proposition de loi relative à l'ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la RATP. La loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (LOM) prévoit que l'ART est compétente pour gérer certains conflits. Or, peut-être parce qu'il n'y a plus de président, l'administration de l'autorité a convaincu un député que celle-ci ne devait pas assumer cette compétence prévue par la LOM, n'en ayant pas les moyens. J'ai été assez choqué par cette position. Quelle serait votre décision sur un tel sujet ?

J'évoquerai aussi la fin des concessions autoroutières, prévue entre 2031 et 2036. Il va falloir réfléchir à l'avenir et vous serez là pour nous faciliter la tâche et nous permettre de prendre la bonne décision. Comment envisagez-vous de mener ce travail à nos côtés ?

M. Jacques Fernique. - Face à l'urgence climatique, comment ancrer la transition écologique des transports plus fermement dans les missions de l'ART ? Faut-il avoir recours à la loi ? En ce qui concerne le secteur aérien, comment l'ART pourrait-elle mieux l'accompagner pour contribuer davantage à sa transition ?

S'agissant du rail, les investissements de régénération constituent un enjeu primordial. Au sein de VNF, vous avez été confronté à la nécessité de reprendre des infrastructures en déclin, dégradées par un manque d'investissement. Pour le rail, il s'agit d'intensifier l'usage du réseau, largement moins utilisé que chez nos voisins européens. Sous la supervision de l'ART, quels leviers peuvent être mobilisés à cette fin ? Quid des péages ferroviaires ? Comment envisager l'ouverture à la concurrence à cet égard ? Comment préserver le fret en tenant nos objectifs pour les voyageurs ?

Enfin, comment envisagez-vous l'action de l'ART pour assurer la réussite des services express régionaux métropolitains (Serm) ? Je pense à la programmation des investissements et au financement de leurs charges d'exploitation, notamment les péages, mais aussi à l'exigence de fluidité des services pour les usagers, à travers notamment l'interopérabilité de la billettique et des services d'information.

M. Stéphane Demilly. - Que pensez-vous de la taxe sur les infrastructures de transport de longue distance ? Quel regard portez-vous sur l'idée d'affecter ces recettes par région, en fonction du réseau autoroutier de chacune ?

M. Olivier Jacquin. - Nous espérons sortir de seize mois de vacance du pouvoir qui auront fragilisé l'ART, ce qui est regrettable. Je tiens à saluer, Monsieur Guimbaud, l'un des meilleurs spécialistes des transports que compte notre pays. Pour ma part, je vous ai découvert comme directeur de VNF. L'établissement sombrait et la dénavigation d'une partie du réseau Grand Est était programmée. Votre créativité, votre entregent et votre pragmatisme ont permis la signature d'une convention avec les collectivités territoriales, pour relancer ce réseau.

Je vous ai également vu à l'oeuvre dans le cadre de la première convention établie autour de la loi visant à répartir les responsabilités et les charges financières concernant les ouvrages d'art de rétablissement des voies, dite loi « Didier ». Je pourrais aussi évoquer la signature du COP. Du côté de la compétence, je ne suis pas inquiet.

Cependant, la question de l'indépendance se pose. Vous êtes un haut fonctionnaire remarquable, mais un haut fonctionnaire passe son temps à obéir à un ministre. Faut-il un fonctionnaire à ce poste ? Bernard Roman a installé l'ART dans son rôle grâce à sa compétence, son autorité et son charisme. Je rappellerai le courage dont il a fait preuve dans la remise en cause des deux contrats de performance de SNCF Réseau, comme dans son opposition à la DGITM sur la question du coût prévisionnel de l'ouvrage de contournement de Montpellier. Enfin, il venait régulièrement et avec plaisir devant le Parlement, ce à quoi vous vous êtes aussi engagé.

En ce qui concerne l'enjeu de la décarbonation et de la transition écologique, faut-il aller plus loin du côté législatif pour mieux définir les missions de l'ART ?

Par ailleurs, quel regard portez-vous sur l'ouverture à la concurrence du ferroviaire, qui ne fonctionne pas ?

Enfin, quelle méthode appliqueriez-vous s'agissant de la fin des contrats autoroutiers ?

M. Pierre Barros. - Je commencerai par rappeler que 30 % des émissions de gaz à effet de serre sont attribuées au secteur des transports, alors que le Gouvernement a annoncé son ambition de sortir des énergies fossiles d'ici à 2050. Le transport ferroviaire est devenu la pierre angulaire de la stratégie gouvernementale en la matière et l'ART aura un rôle important à jouer dans ce processus. Dans un avis, l'Autorité de la concurrence a souligné le « rôle de la concurrence dans l'atteinte des objectifs climatiques durables » et a noté que l'ART devait voir ses prérogatives évoluer pour devenir un véritable gendarme de la concurrence du ferroviaire.

Néanmoins, nous souhaitons rappeler que l'ouverture à la concurrence dans le domaine du ferroviaire est loin de fonctionner. Les activités liées au transport de voyageurs et de marchandises ont été dérégulées et ont connu des baisses d'activité conjuguées à une dégradation du service offert. La concentration du secteur privé sur les seules activités rentables a eu pour conséquence de réduire une offre de service indispensable. À ce titre, l'exemple du fret ferroviaire est frappant et la part du rail dans le transport de marchandises a été divisée par deux entre 2006 et 2019, au profit des transports routiers, bien plus polluants.

En Écosse, en Norvège, au Pays de Galles ou en Angleterre, les activités ferroviaires confiées au secteur privé font de nouveau l'objet d'une gestion publique. Pour tenir nos objectifs en matière de transition, nous avons besoin d'une politique ambitieuse de relance du rail partout sur le territoire, en rupture avec les logiques libérales, qui privilégient les tronçons les plus rentables. La concurrence peut-elle vraiment nous permettre d'atteindre nos objectifs ? L'ART n'aurait-elle pas plutôt vocation à être l'opérateur d'un service public ferroviaire fort ?

M. Thierry Guimbaud. - Je partage l'appréciation portée sur le travail de Bernard Roman, avec lequel j'ai eu une discussion franche et ouverte.

En ce qui concerne la CMP à venir, je n'ai découvert le sujet qu'hier. Néanmoins, je comprends l'inquiétude exprimée au sein de l'ART. Sa compétence en la matière est une compétence « orpheline », c'est-à-dire qu'elle ne se rattache pas à des fonctions aujourd'hui exercées par l'autorité.

Pour autant, la loi est la loi et je ne suis pas législateur. Il faut avoir un débat sur cette compétence et examiner les conditions pour la développer, dans un système contraint, notamment en termes de moyens. L'ART sera obligée de se mobiliser à court terme et des contentieux émergeront probablement. Je comprends les positions adoptées, mais ce n'est pas à l'ART de décider du contenu de la loi. Il serait utile et légitime de maintenir la disposition lors de la CMP et le système se mettra en place progressivement. Il nous faudrait revenir pour exposer nos choix en la matière. Il serait singulier de refuser une compétence supplémentaire, mais il faut en appréhender les conséquences en toute transparence.

M. Didier Mandelli. - Si nous comprenons les inquiétudes de certains membres de l'ART, je rappelle que la LOM date de 2019 et que cette autorité a eu quatre ans pour acquérir les compétences permettant de traiter ce genre de litige.

Il ne peut y avoir de débat à ce sujet et il est regrettable que, dans le cadre de cette CMP, l'ART ait joué un rôle d'influence auprès des députés pour leur demander de modifier la LOM. Les autorités indépendantes mettent en oeuvre les missions qui leur sont confiées et il ne leur appartient pas de définir leurs compétences ; c'est au Parlement de le faire.

M. Thierry Guimbaud. - Je comprends et partage votre point de vue. Même si les difficultés sont réelles, il aurait fallu en discuter plus tôt et davantage, peut-être en liant cette question à la discussion sur les moyens.

M. Thierry Guimbaud. - J'en viens aux concessions autoroutières, sujet majeur sur lequel l'ART est très mobilisée et qui consomme beaucoup de ses moyens et de ses compétences. La fin des concessions représentera un moment capital et il nous faut développer une forte expertise indépendante sur la question. Quel est l'état du réseau remis ? La question n'est pas si simple même si, globalement, le réseau autoroutier est de bonne qualité. Des engagements ont été pris, en fonction desquels des autorisations de péage ont été émises et il faut vérifier que ces engagements sont bien tenus, ce qui nécessite une analyse technique précise et représente un travail énorme. Il s'agira de l'un des grands enjeux du mandat du président. J'ignore encore quel est le bon modèle et il faudra considérer un maximum de scénarios pour converger ensuite vers le meilleur possible, avec les pouvoirs publics. Il faudra aussi réfléchir à la manière d'introduire des dispositions à visée environnementale, puisque le concédant peut demander certains éléments relevant de ce domaine.

S'agissant de la transition écologique, les compétences de l'ART se sont développées en tache d'huile, en fonction des besoins. Je pense que le moment est venu de mener une réflexion sur le sujet et d'envisager la possibilité de déposer une proposition de loi pour redéfinir ce qu'est un régulateur des transports, pour uniformiser ses compétences et inscrire son obligation d'oeuvrer à la transition énergétique.

En ce qui concerne le domaine de l'aérien, certains besoins doivent être satisfaits de la meilleure manière possible. Le régulateur a notamment son mot à dire sur la question des redevances payées par les compagnies aériennes. Plus ces redevances sont au juste coût, plus les compagnies peuvent disposer de recettes pour investir dans le domaine de l'environnement. Les investissements des aéroports peuvent aussi être examinés dans le cadre des contrats de régulation, sur lesquels nous serons amenés à nous pencher.

Pour le rail, l'investissement dans le réseau constitue le point clé. En tant que directeur général de VNF, je connais les conséquences d'un manque en la matière : c'est pour cette raison que j'ai autant insisté, en étant parfois un peu seul au début, pour qu'un COP soit signé. Il faut une trajectoire. Ensuite, le montant doit être compatible avec les besoins d'entretien et de régénération.

L'ART a mené cette année un important travail de projection selon le niveau d'investissement sous-jacent au contrat de performance, qui doit être rediscuté, et a établi le niveau nécessaire pour ne pas se retrouver dans une position de « paupérisation ». Les décisions récemment évoquées par la Première ministre sur la relance du ferroviaire me semblent aller dans le bon sens. Il faudra les intégrer, notamment dans le cadre de la revoyure du contrat de performance de SNCF Réseau. Quel est le programme et comment le suit-on ? Un régulateur a un rôle à jouer dans ce suivi des engagements pris, en toute indépendance. Mon expérience dans le fluvial m'a convaincu de l'intérêt vital de ce genre d'exercice.

Je n'ai pas une vision religieuse de la concurrence, mais elle constitue un moteur, notamment pour l'innovation. Il faut écarter une concurrence sauvage et destructrice et privilégier une concurrence organisée et contrôlée, qui se fait dans l'intérêt de tous, y compris de l'opérateur actuel. J'entends que l'ouverture n'avance pas assez vite. Cependant, il est plus complexe d'organiser la concurrence sur un réseau ferroviaire que sur un réseau de bus. La manoeuvre est exigeante pour l'opérateur comme pour l'autorité organisatrice, que le régulateur peut aider. La concurrence permet aussi d'améliorer les coûts pour les usagers, ce qui s'est produit dans les pays où elle a été mise en place. En France, dans le cadre de services librement organisés comme celui du TGV, notamment sur la ligne Paris-Lyon, ou des contrats de service public renouvelés par les autorités organisatrices régionales, nous avons constaté une offre plus étendue et des coûts moindres. Tout le monde a besoin d'être remis en cause de temps en temps, que ce soit dans la vie personnelle ou la vie économique.

J'en viens aux Serm, qui recouvrent des sujets que j'ai bien connus en Île-de-France. Il faut développer une bonne articulation entre des modes ferroviaires structurants et des modes routiers ou d'autres modes actifs, structurés autour de l'offre ferroviaire. L'idée de confier à l'ART un suivi du plan d'investissement sur trois ans est intéressante, même si ce délai est un peu court. La question de la fluidité des interopérabilités et des multimodalités constitue souvent le point difficile. Chaque mode doit être efficace dans son domaine de pertinence. L'ART possède un peu cette compétence aujourd'hui mais gagnerait à l'étendre, notamment par rapport aux évolutions législatives que nous évoquions. La question de la tarification spécifique se pose aussi. La proposition de loi relative aux Serm représentera un « booster » important sur la question des mobilités dans et autour de nos métropoles.

Quant à la taxe sur les infrastructures, elle représente un sujet sensible, voire polémique. Je ne jugerai pas de son opportunité sur le plan juridique. Le sujet renvoie à la question de l'organisation des contrats de concession, notamment au risque fiscal ou au risque représenté par les décisions extérieures. À titre d'exemple, comment se répercute une baisse de l'impôt sur les sociétés ? Le débat est complexe. Comment prendre en compte les risques industriels, opérationnels, trafics, systémiques et fiscaux ? Quant à savoir si les recettes en fin de concession pourraient être réparties par région en fonction de la densité du réseau que les régions abritent, je ne connais pas bien le sujet mais il semble que ce ne serait pas idéal en termes de redistribution.

Sur le réseau VNF du Grand Est, je voudrais souligner que je n'ai pas suivi l'orientation qui m'avait été remise et qui consistait à fermer les canaux. J'ai décidé d'aborder le sujet autrement et de porter une parole dissidente, en toute indépendance. La région et les collectivités m'ont beaucoup aidé. Nous avons réussi et nous sommes encore en train d'élargir le partenariat qui lie VNF à la région Grand Est, comme à d'autres. J'ai ainsi contribué à faire changer la doxa, dans le cadre de mon mandat.

Vous dites, Monsieur Jacquin, qu'un haut fonctionnaire passe son temps à obéir à un ministre ; je ne suis pas d'accord avec cette vision. Un haut fonctionnaire passe son temps à éclairer le ministre et à lui donner des informations. Il m'est arrivé de faire part de mon désaccord. Le travail de l'ART consiste aussi à fournir un éclairage pour que des orientations soient prises. De plus, je n'ai passé qu'une mineure partie de ma carrière dans l'administration centrale. J'ai travaillé dans des établissements indépendants et dans une collectivité territoriale, dont les relations avec le ministère des transports n'étaient pas toujours simples, notamment sur le réseau du Grand Paris. J'ai été loyal à la collectivité qui m'employait, et j'aurai la même loyauté à l'égard de l'ART.

Sur l'ouverture à la concurrence encore trop limitée, on ne change pas facilement un système historique. Le rôle de l'ART est de veiller à ce que les conditions permettant de faire venir de nouveaux opérateurs pour innover ou de faire en sorte que l'opérateur historique innove lui-même soient réunies. Il ne doit pas y avoir de blocage, les informations doivent être accessibles et les règles du jeu respectées. Il s'agit un peu d'un rôle d'arbitre.

J'en viens à la méthode à adopter en vue de la fin des concessions autoroutières. D'abord, il reste une dizaine d'années, mais cette échéance est imminente. Il s'agit d'un « challenge » redoutable, que nous n'avons jamais connu. Il faudra faire en sorte que les obligations des concessionnaires soient bien mises en oeuvre. Il faut aussi imaginer la suite car tout est ouvert. Si des concessions devaient subsister, elles seraient différentes, dans leur durée comme dans leurs modalités, et leur rythme d'investissement ne serait pas aussi important. Au début, elles ont été créées, certes pour exploiter, mais surtout pour investir, parce qu'il fallait franchir un pas important en la matière.

J'en viens au rôle de la concurrence dans la transition écologique. La concurrence représente un moyen d'innover, qui doit être contrôlé et régulé pour servir l'intérêt général. Des innovations peuvent porter sur l'environnement et rendre plus attractifs les modes de transport collectif, en les rendant moins coûteux, de meilleure qualité et mieux coordonnés. L'opérateur historique a tout intérêt à se montrer efficace dans ce jeu.

Enfin, le fret ferroviaire a connu des vicissitudes ces dernières décennies, comme le fret fluvial ; il s'agit d'un problème général, qui touche les modes lourds. L'ouverture à la concurrence est arrivée après l'apparition de ces difficultés et ne les explique pas. Elle aurait même plutôt stabilisé la perte de parts de marché. Nous comptons aujourd'hui une vingtaine d'opérateurs supplémentaires, l'opérateur historique joue encore un rôle moteur et le transport combiné occupe 40 % du marché. La part du fret n'est pas suffisante, mais ces évolutions ont permis d'arrêter son déclin.

M. Simon Uzenat. - Je commencerai par revenir sur le sujet de l'indépendance, qui vaut aussi par rapport au Parlement. À cet égard, vous avez toute liberté de faire valoir une parole singulière. Pour autant, nous sommes intransigeants sur le respect de la loi et vous aurez aussi un rôle à jouer en la matière. Il s'agit d'une condition de notre réussite collective.

En ce qui concerne le ferroviaire, vous avez repris le mot « paupérisation », qui figure dans le rapport remis en juillet 2022 par Bernard Roman, dans lequel il est indiqué que « le maintien des trajectoires d'investissement actuelles, notamment celles prévues par le contrat de performance 2021-2030 pour le renouvellement et la modernisation du réseau, entraînera inévitablement le gestionnaire d'infrastructure dans une spirale de paupérisation industrielle ». Vous avez évoqué les annonces de la Première ministre concernant le plan à 100 milliards d'euros. Nous nous interrogeons régulièrement sur la réalité de ces montants et sur leur déploiement effectif, en particulier s'agissant des Serm. Selon les engagements pris, dix Serm devaient être déployés en dix ans, pour un montant estimé à 15 milliards d'euros. Or les premiers montants s'élèvent à 10 % de cette somme sur 2023-2027, qui représente pourtant la moitié de la période concernée. Quel regard portez-vous sur ce sujet ?

Enfin, j'aurais organisé dans un sens différent les trois enjeux stratégiques que vous avez évoqués, la qualité de service rendu aux usagers me semblant constituer l'élément central. Quand les services de transport seront attractifs, nous aurons des effets levier en matière de transition écologique et d'efficacité des dépenses face à l'urgence climatique. Quelle approche entendez-vous déployer par rapport à la qualité de service ? Il faut travailler aussi sur l'attractivité des métiers, le cadre social et les enjeux de recrutement.

Mme Denise Saint-Pé. - À aucun moment je n'ai entendu le mot « sécurité ». Certes, la sécurité fait partie du service rendu à l'usager, mais vous devrez avoir des exigences très fortes dans ce domaine envers les opérateurs. Personne n'en parle et on ne se pose de questions que lorsque le drame survient. Quelle sera votre politique en la matière ?

M. Thierry Guimbaud. - Le rôle de l'ART est central en ce qui concerne le respect de la loi. Je l'ai dit : le régulateur est là pour appliquer la loi. Il doit aussi rendre compte régulièrement, aux pouvoirs exécutif et législatif, de la mise en oeuvre des dispositions.

L'expression « paupérisation industrielle » semble juste. Certains projets avancent bien plus vite à étranger, comme le déploiement de dispositifs de téléconduite ou l'utilisation du système européen de surveillance du trafic ferroviaire (European Rail Traffic Management System ou ERTMS). La lenteur de la France en la matière illustre cette paupérisation d'un fonctionnement qui pourrait, à un moment, ne plus répondre aux normes industrielles et techniques européennes. Il s'agit d'un sujet crucial.

Par ailleurs, vous évoquez des montants d'investissement inférieurs à ceux qui avaient été annoncés. Cela ne m'a pas échappé. Mon travail consistera notamment à revenir sur ce sujet.

L'ordre dans lequel j'ai mentionné les trois éléments stratégiques pour l'ART n'était pas prioritaire. Ma carrière a été tournée vers la qualité de service, qui est essentielle. Le rôle du régulateur en la matière gagnera à être renforcé, notamment à travers la multimodalité, qui représente souvent un point de fragilité du système français, que ce soit dans le fret ou le transport de passagers. Tous les modes ont leur pertinence, encore faut-il qu'ils soient bien articulés entre eux. Le régulateur doit appréhender le système de façon globale et non mode par mode. À cet égard, les systèmes d'information et de tarification doivent être intégrés. L'ART aura un rôle essentiel à jouer dans la qualité de ces systèmes.

Enfin, je n'ai pas évoqué le terme sécurité, qui fait partie pour moi de la qualité de service. L'Établissement public de sécurité ferroviaire (EPSF) s'occupe de ce sujet. Un travail commun est engagé entre l'autorité et cet établissement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Thierry Guimbaud aux fonctions de président de l'Autorité de régulation des transports (ART)

M. Jean-François Longeot, président. - Nous avons achevé l'audition de M. Thierry Guimbaud, candidat proposé par le Président de la République pour exercer les fonctions de président de l'Autorité de régulation des transports.

Nous allons maintenant procéder au vote sur cette proposition.

Le vote se déroulera à bulletin secret, comme le prévoit l'article 19 bis de notre Règlement. En application de l'article 1er de l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote, les délégations de vote ne sont pas autorisées.

Je vous rappelle que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.

Il est procédé au vote.

Projet de loi de finances pour 2024 - Bilan des initiatives

M. Jean-François Longeot. - Mes chers collègues. La semaine dernière nous achevions les examens en commission de nos huit rapports budgétaires pour avis. Même si la mission « Relations avec les collectivités territoriales » est examinée en séance ce matin et les « articles non rattachés » seront examinés lundi prochain, nous pouvons d'ores et déjà tirer un premier bilan très positif de nos travaux.

Nous avons entendu deux ministres en réunion plénière : Clément Beaune et Christophe Béchu.

Nos huit rapporteurs ont été à l'écoute de pas moins de 136 personnes pendant une cinquantaine d'heures.

Trois matinées d'examen en commission, représentant près de 5 h 30 de présentation et d'échanges, nous ont permis d'adopter au nom de la commission 20 amendements sur la première partie du PLF et 20 amendements sur la seconde.

Sur les 20 amendements déposés sur la première partie du projet de loi de finances, 11 ont été adoptés dont 2 contre l'avis de la commission des finances.

Sur les 20 amendements de la seconde partie, 10 ont été adoptés dont 7 contre l'avis de la commission des finances.

J'ai bien en tête que ces amendements ne survivront sans doute pas au 49.3 de la Constitution mais j'espère que nos apports seront conservés.

Ce nombre significatif d'amendements adoptés par notre assemblée témoigne, s'il en était besoin, de l'efficacité de nos travaux qui tient notamment à l'état d'esprit dans lequel nous travaillons qui dépasse les clivages politiques et qui fait la force de nos propositions et qui manifeste de notre capacité à travailler de façon constructive.

La réunion, suspendue à 10 h 35, est reprise à 11 heures.

Avancée des négociations de la COP 28 - Audition de M. Stéphane Crouzat, ambassadeur chargé des négociations sur le changement climatique, pour les énergies renouvelables et la prévention des risques climatiques (ne sera pas publié)

Pour garantir la confidentialité des échanges, ce point de l'ordre du jour, relatif à des négociations internationales en cours, n'a fait l'objet ni de compte rendu ni de captation vidéo.

Dépouillement sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Thierry Guimbaud aux fonctions de président de l'Autorité de régulation des transports (ART)

La commission procède au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le président de la République, de M. Thierry Guimbaud aux fonctions de président de l'Autorité de régulation des transports (ART), simultanément à celui de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale.

Résultat du scrutin :

Nombre de votants : 36

Bulletins blancs : 2

Nombre de suffrages exprimés : 34

Pour : 23

Contre : 11

La réunion est close à 12 heures.