Mercredi 29 novembre 2023

- Présidence de Mme Catherine Dumas, Vice-présidente -

La séance est ouverte à 9 h 30.

Mme Catherine Dumas, présidente. - Mes chers collègues, je vais ce matin officier devant vous car notre président Cédric Perrin est à l'assemblée générale de l'ONU avec un certain nombre de nos collègues et il vient de rencontrer M. António Gutteres, Secrétaire général de l'ONU. Je vais donc assurer la présidence de cette réunion consacrée à l'examen de plusieurs avis budgétaires en commençant par le programme 185 que je rapporte avec Didier Marie.

Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Action extérieure de l'État » - Programme 185 - Diplomatie culturelle et d'influence - Examen du rapport pour avis

Mme Catherine Dumas, rapporteure pour avis sur les crédits relatifs à la diplomatie culturelle et d'influence. - Dans son discours prononcé le 16 mars 2023 à l'occasion de la clôture des États généraux de la diplomatie, le président de la République a annoncé un « réarmement » de la diplomatie française. Le projet de loi de finances pour 2024 a vocation à transcrire budgétairement cette ambition. Le programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » va ainsi voir ses crédits progresser de 62 millions d'euros en 2024 pour atteindre 806 millions d'euros au total, et cette trajectoire ascendante doit se poursuivre dans les années à venir.

Alors que l'influence a été érigée en fonction stratégique par la Revue nationale stratégique de 2022 et, qu'au cours des dernières années, la présence française a pu être contestée, parfois violemment, comme cela a été le cas sur le continent africain au Mali, au Burkina-Faso ou au Niger, il est indispensable de renforcer significativement l'effort en la matière. Nous donnons donc acte au Gouvernement de l'inflexion prévue l'année prochaine.

Ce budget comprend trois grands volets : le soutien au réseau culturel, le renforcement de l'attractivité étudiante et universitaire et le développement de l'enseignement français à l'étranger. J'aborderai les deux premiers et laisserai Didier Marie évoquer les questions relatives à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE).

Dans le domaine culturel, le PLF pour 2024 prévoit 4 millions d'euros de crédits supplémentaires au titre de la mise en oeuvre des actions de la Feuille de route de l'influence. En particulier, le programme « Villa Albertine » bénéficiera d'une enveloppe de 1 million d'euros. Ce programme est un axe fort de l'action d'influence française aux États-Unis. Il a bénéficié de près de 860 000 euros de participations externes sur la seule année 2022. Concrètement, il s'agit d'inviter 60 à 80 artistes, intellectuels ou créateurs en résidence exploratoire aux USA. La ville Albertine est un exemple d'action d'influence particulièrement réussi dont l'extension à d'autres pays devrait d'ailleurs être envisagée : c'est une des préconisations de notre rapport.

S'agissant des Alliances françaises, le PLF pour 2024 inscrit 800 000 euros au titre de la coordination et la création de nouvelles alliances, contre 620 000 euros auparavant. L'augmentation des crédits prévue en 2024, dont le montant sera proche des besoins exprimés en 2023, constitue une initiative bienvenue. Par ailleurs, une dotation de 800 000 euros est inscrite au PLF 2024 pour la mise en place d'un fonds d'aide aux Alliances françaises en difficultés. Certaines d'entre elles, à l'instar de l'Alliance française de Sao Paulo, doivent en effet faire l'objet d'un soutien renforcé, compte tenu des difficultés financières qu'elle rencontre.

S'agissant des Instituts français, leurs dotations seront abondées de 4 millions d'euros en 2024. Par ailleurs, des crédits supplémentaires ont été inscrits sur le programme 185 afin de poursuivre la démarche de convergence et de revalorisation des rémunérations des agents des établissements à autonomie financière ou les aider à faire face aux conséquences de l'inflation.

J'en viens maintenant à la question de l'attractivité universitaire et étudiante. Le regard que nous portons sur le PLF dans ce domaine est plus nuancé. L'enveloppe de bourses connaîtra certes une hausse de 6 millions d'euros par rapport à 2023, mais, d'une part, le ministère ne semble pas disposer d'une doctrine claire concernant l'emploi de ces crédits supplémentaires, et d'autre part, l'ampleur de cette hausse ne semble pas cohérente avec l'objectif fixé dans le cadre de la stratégie « Bienvenue en France » de doublement du nombre de bourses à l'horizon 2030. Nous pensons qu'il faudra que le Gouvernement clarifie ses ambitions dans ce domaine.

Par ailleurs, le montant de la subvention versée à Campus France constitue un point de vigilance alors que l'opérateur devrait connaître un déficit en 2023 et que sa situation financière dépend pour partie de l'évolution du contexte international.

Enfin, alors que la France a décroché dans les classements internationaux, il apparaît urgent de donner un nouveau souffle à la stratégie « Bienvenue en France », en s'attaquant aux questions structurelles : nous pensons ici à l'hébergement et à la lisibilité de l'enseignement supérieur français, mais cela dépasse le champ du programme 185...

Mes chers collègues, si beaucoup reste donc à faire pour réarmer véritablement notre diplomatie culturelle et d'influence, les orientations prises dans le cadre du budget pour 2024 nous semblent aller dans le bons sens. À cet égard, et même si nous partageons l'objectif de réduire les déficits publics, nous ne pouvons être que défavorables - je le souligne - à l'amendement de notre collègue Nathalie Goulet adopté par la commission des finances, qui propose une réduction des crédits du programme 185 à hauteur de 20 millions d'euros. Aussi nous vous proposerons d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 185 sans modification.

M. Didier Marie, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs à la diplomatie culturelle et d'influence. - L'enseignement français à l'étranger (EFE) constitue un levier majeur de l'influence de la France à l'international. L'ambition portée par le projet de loi de finances pour 2024 nous semble cependant insuffisante au regard des enjeux rencontrés par l'EFE.

En premier lieu, la progression du montant de la subvention versée à l'AEFE de 8 millions d'euros, quoique bienvenue, ne se traduira pas par un accroissement de ses moyens, mais permettra uniquement de compenser la moitié du coût lié à la réforme du statut des personnels détachés. La charge subsistant pour l'opérateur à ce titre s'élèvera à 15 millions d'euros en 2024. Par ailleurs, la hausse du point d'indice de la fonction publique intervenue au 1er juillet 2023, qui se traduira par un coût de près de 7 millions d'euros en 2024, devra être internalisée par l'opérateur. Au total, ce sont donc près de 22 millions d'euros qui resteront à la charge de l'AEFE. En outre, l'impact de l'inflation, qui n'a pas été compensé à l'Agence en 2023, ne le sera pas plus en 2024, pour une charge supplémentaire estimée à près de 8 millions d'euros. Ces différents surcoûts auront un effet direct sur le niveau des contributions versées par les établissements et donc sur les droits d'écolage payés par les familles. Par ailleurs, comme le relevaient nos collègues Ronan Le Gleut et André Vallini dans leur rapport pour avis de l'an dernier, l'objectif présidentiel de doubler les effectifs d'élèves à l'horizon 2030, bien que réaffirmé en 2023, semble hors de portée, au regard de la tendance constatée au cours des dernières années.

En second lieu, et même si l'AEFE a indiqué s'être « mise en ordre de marche pour travailler à la réalisation de cet objectif », d'importants freins doivent encore être levés, concernant en particulier les questions immobilières, pour permettre une croissance du réseau. Du fait de son rattachement aux organismes divers d'administration centrale, l'AEFE ne peut en effet plus avoir recours aux emprunts de plus de 12 mois depuis la loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014. Nous estimons que l'inscription d'une subvention pour charges d'investissement au sein du programme constituerait la solution la plus appropriée pour répondre à cette problématique. Nous avons envisagé de déposer un amendement pour créer une ligne budgétaire spécifique dès le PLF 2024, mais les règles de recevabilité nous auraient imposé de gager cette dépense sur un autre programme de la mission, ce que nous avons exclu.

Pour autant, il devient urgent d'apporter une solution pérenne à cette question et nous interpellerons le Gouvernement sur ce point. En effet, selon l'AEFE, les besoins immobiliers non-satisfaits au titre du schéma immobilier en cours s'élèveraient à près de 100 millions d'euros. Les premiers éléments de chiffrage pour les années à venir laissent apparaître des besoins de l'ordre de 200 millions d'euros. Si ce montant doit encore être affiné, il constitue un indicateur de l'ampleur des opérations nécessaires, qu'il s'agisse de l'entretien du bâti comme d'investissements plus importants et indispensables pour maintenir l'attractivité du réseau : construction d'installations sportives, agrandissement d'établissements, etc.

S'agissant des établissements conventionnés et partenaires, nous avons constaté des défaillances dans la mise en oeuvre du nouveau dispositif d'octroi de la garantie de l'État. Un seul arrêté a ainsi été pris à ce jour alors que 11 dossiers ont reçu un avis favorable depuis avril 2022. Cette situation n'est évidemment pas acceptable dans la mesure où elle conduit à un retard dans la réalisation des projets des établissements concernés. Nous demandons donc que les arrêtés d'octroi de garantie soient pris le plus rapidement possible afin de permettre aux établissements concernés de lancer leurs projets immobiliers.

Mes chers collègues, je conclurai en disant que ce projet de budget laisse un goût d'inachevé. Pourtant, la direction prise nous semble être la bonne. Réduire l'effort consacré à notre diplomatie culturelle et d'influence, comme le propose l'amendement de notre collègue Nathalie Goulet, apparaîtrait par conséquent anachronique dans le contexte géostratégique actuel et alors que nos compétiteurs investissent massivement cette fonction stratégiques. Je précise que les 20 millions d'économies de crédits envisagés par cet amendement impactent, pour 10 millions d'euros chacune, l'action 4 « Enseignement supérieur et recherche » et l'action 2 « Coopération culturelle et promotion du français » : vous pouvez donc constater que ces coupes budgétaires contredisent les souhaits que nous venons d'exprimer.

À mon tour, je vous invite donc à émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 185 sans modification.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Permettez-moi d'abord de vous féliciter pour la justesse de votre rapport et des propos que vous avez tenus. J'indique simplement qu'il faut regretter collectivement qu'après des années où ce ministère a été une variable d'ajustement budgétaire - comme d'ailleurs le ministère de la défense -, certains ou certaines de nos collègues puissent estimer opportun d'en réduire les crédits alors que c'est la première année depuis longtemps qu'un effort budgétaire est proposé pour une mise à niveau absolument nécessaire. Je partage donc votre réserve quant à la proposition qui a été qui a été faite en commission des finances et je souligne que nous avons besoin de l'agence pour l'enseignement français à l'étranger qui a démontré pendant la pandémie beaucoup de solidarité envers les familles ; le fait de constituer un réseau permet véritablement de donner une force de résistance aux différentes crises - politiques, climatiques ou autres - que subissent nos établissements scolaires dans certains pays. Nous avons là un outil très précieux. Je vous remercie de rappeler sa valeur et nous avons besoin de rester mobilisés pour le préserver le plus longtemps possible.

M. Olivier Cadic. - J'ai tout d'abord une question sur l'Alliance Française de Sao Paulo pour laquelle vous avez indiqué qu'il conviendrait d'apporter une aide. J'aimerais mieux comprendre cette suggestion parce que je reviens de Sao Paulo où j'ai visité l'Alliance la semaine dernière. Je constate que l'Alliance qui disposait de sept sites n'en a plus qu'un seul - ils sont en train de fermer l'un des deux qui restaient - et a enregistré en l'espace de 10 ans une perte de 20 millions de Real (soit 3,7 millions d'euros) sans aucune justification. Pensez-vous que la solution soit de subventionner l'Alliance Française ? Pour ma part, je me demande plutôt s'il ne faudrait pas revoir les systèmes gouvernance de ces organismes afin d'éviter de se retrouver dans de telles situations.

Je voudrais également revenir sur l'objectif de doublement des effectifs d'élèves dans l'enseignement français à l'étranger qui a été fixé par le président de la République : vous estimez qu'il ne sera pas atteint. Je voudrais rappeler que l'année dernière, en tant que président de l'association nationale des écoles françaises à l'étranger, j'avais demandé à être auditionné avant la discussion budgétaire. Je dois ici souligner que quand j'avais pour la première fois, en 2017, proposé de doubler le nombre d'écoles françaises à l'étranger, cette thématique a été reprise par le président de la République sous la forme d'un doublement du nombre d'enfants dans les écoles françaises à l'étranger : à aucun moment il n'a précisé que seules les écoles homologuées devaient être prises en compte. Il ne faut donc pas analyser l'enseignement français à l'étranger uniquement par le prisme des écoles homologuées de l'EFE. Si l'AEFE avait le monopole de l'enseignement français, comment expliquer que 80 % des enfants français à Madagascar qui passent le Baccalauréat et 90 % en Algérie ne relèvent pas de l'EFE ?

Je considère comme erronée la croyance selon laquelle seule une agence publique peut représenter l'enseignement français à l'étranger. Quand on regarde le résultat de notre politique dans ce domaine, on constate qu'en 2000 on comptait une école française à l'étranger pour deux anglo-saxonnes tandis qu'aujourd'hui le rapport est de 1 à 20. Je rappelle que l'éducation à l'étranger est un marché ; or à la tête de l'AEFE on trouve un diplomate et les écoles françaises à l'étranger sont dirigées par des proviseurs ou des personnes issues du monde pédagogique qui ne sont pas familiers des outils du business ou des campagnes marketing qui pourraient faire grandir leurs écoles. À Brasilia, nous refusons 50 enfants par an dans les écoles primaires parce que nos établissements sont pleins et par conséquent nous alimentons les effectifs du système compétitif : telle est la réalité.

Le problème est donc que l'on ne se pose pas les bonnes questions alors qu'il faudrait se demander qui doit diriger cet ensemble et quels indicateurs il faut surveiller. Dès lors, je formule à nouveau un souhait : pour l'année prochaine, mon rêve est d'être auditionné pour pouvoir vous montrer qu'on pourrait avec moins d'argent public être plus efficace parce que la croissance des systèmes anglo-saxons se fait sans recours au du contribuable.

Mme Catherine Dumas, rapporteure pour avis.- Merci pour cette intervention : bien entendu nous ne nous priverons pas de l'expertise de notre collègue Olivier Cadic. Avec Didier Marie, c'est la première fois que nous examinons ce programme 185 et nous n'avions pas connaissance de ce souhait mais bien évidemment nous y donnerons suite.

M. Didier Marie, rapporteur pour avis.- Nous n'avons pas la totalité des informations dont certains peuvent disposer mais nous avons pris connaissance lors des auditions des difficultés que rencontre l'Alliance Française de Sao Paulo. Elles sont notamment imputables à un patrimoine immobilier très important dont elle s'est défaite pour partie et qui a priori pèse fortement sur ses équilibres financiers : le Gouvernement a donc prévu dans le PLF pour 2024 un fonds d'aide pour l'ensemble des Alliances qui seraient en difficulté ; ce fonds peut être mobilisé temporairement pour soutenir l'Alliance de Sao Paulo qui manifestement en a besoin, faute de quoi elle risquerait de devoir déposer son bilan.

S'agissant des propos d'Olivier Cadic sur le doublement du nombre d'élèves dans les écoles françaises, je ne suis pas, à titre personnel, favorable à la marchandisation de l'éducation et je trouve que c'est un excellent atout d'avoir une agence permettant d'apporter de la cohérence ainsi qu'un cadre à l'enseignement du français. J'ajoute que l'Agence a parfaitement intégré comme objectif le doublement du nombre des élèves ; ses représentants que nous avons entendus se sont approprié cet objectif et souhaitent effectivement le porter. L'existence, par ailleurs, d'établissements privés ne suscite aucune objection mais l'Agence est indispensable : elle a des objectifs qu'elle souhaite remplir et a besoin qu'on lui alloue des moyens en conséquence. C'est la raison pour laquelle nous avons pris acte dans notre rapport de l'amélioration des moyens qui lui sont attribués en indiquant que ces derniers ne sont pas suffisants pour aller au terme de ses objectifs.

M. Rachid Temal. - Tout d'abord merci pour le rapport très complet que vous venez de nous présenter. S'agissant de notre sujet de dissension avec la commission des finances qui propose de raboter les crédits, comme on l'a vécu l'an dernier sur d'autres programmes, comme l'aide publique au développement, j'indique à mes amis de la majorité sénatoriale qu'une concertation entre eux serait souhaitable pour éviter que les uns disent dans notre commission « il faut faire » et les autres, en commission des finances « il faut moins faire avec moins d'argent » avec un débat qui se réitère ensuite en séance publique.

À propos des sujets abordés par notre collègue Olivier Cadic, je relève une forme d'hypocrisie gouvernementale qui consiste à afficher un objectif de doublement du nombre de places offertes aux élèves de l'EFE sans allouer les moyens en conséquence. En l'absence de crédits suffisants, deux options sont possibles : soit celle de la privatisation que propose Olivier Cadic en indiquant que le secteur privé est plus efficace - ce qui n'est pas notre conception -, soit on demande que lorsque l'État fait des annonces - quelle que soit l'orientation politique du Gouvernement - il prévoit les moyens appropriés et tel est le vrai sujet que nous devons traiter. Je ne crois pas que la financiarisation ou la privatisation soit un cadre souhaitable pour l'éducation parce que je considère - pour avoir été rapporteur de ces crédits pendant quelques années - qu'il faut proposer aux Français de l'étranger un service public, de même qu'en matière de services consulaires par exemple. La question est de savoir si on favorise le service public à la fois en France hexagonale et pour les Français de l'étranger ou si on décide que ceux-ci ont un statut différent ; une telle disparité existe clairement aujourd'hui sur bon nombre de sujets. Je souhaite qu'on accueille tous les enfants de Brasilia, qui souhaitent rentrer dans le système scolaire français et c'est donc la question des moyens qui est posée et non pas celle de la privatisation.

M. Olivier Cadic. - Pour éviter toute méprise, je rappelle que l'EFE n'est pas un service public : on parle ici d'écoles qui se mettent sur le marché en facturent trois fois moins cher que leurs concurrents anglo-saxons grâce à l'argent du contribuable ; de plus leur enseignement n'est pas réservé aux Français puisque deux tiers des élèves sont étrangers : ce sont les enfants brésiliens qui veulent rentrer dans l'école française de Brasilia. En moyenne, il n'y a qu'un enfant français sur cinq dans les écoles françaises à l'étranger.

M. Rachid Temal. - Il n'y a pas de méprise ; je considère que l'enseignement est un service public et il s'avère que l'EFE, d'une part, est fréquentée par des Français ou des binationaux et constitue d'autre part une composante de notre stratégie d'influence pour favoriser l'apprentissage du français par des enfants étrangers qui deviendront ainsi des ambassadeurs de la France et de ses valeurs. Je plaide donc pour améliorer cette politique publique ; on ne peut pas dire à la fois, dans la loi qui a été votée il y a quelques semaines, qu'il faut que les personnes qui viennent en France commencent à parler français et ne pas leur permettre d'apprendre notre langue à l'étranger. De même, on ne peut pas dire à la fois que les entreprises françaises doivent être performantes sur les marchés extérieurs et ne pas faire en sorte que les « classes dirigeantes » des pays d'implantation ne parlent pas français. L'EFE participe de la stratégie d'influence et joue aussi un rôle du service public et je ne vois pas d'objection à ce que les écoles françaises soient moins chères que les anglo-saxonnes.

Mme Catherine Dumas, présidente.- Je vous propose de continuer ce débat en séance publique et je consulte la commission sur cet avis budgétaire.

La commission approuve l'avis budgétaire sur les crédits du programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence ».

Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Action extérieure de l'État » - Programme 151 - Français à l'étranger et affaires consulaires - Examen du rapport pour avis

Mme Catherine Dumas, présidente. - Nous poursuivons l'ordre du jour avec l'examen de l'avis de nos collègues Ronan Le Gleut et Guillaume Gontard sur les crédits du programme 151 relatif aux Français de l'étranger et aux affaires consulaires.

M. Ronan Le Gleut, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs aux Français à l'étranger et aux affaires consulaires. - Pour ce programme, comme pour les deux autres de la mission « Action extérieure de l'État », ce projet de budget poursuit et confirme la trajectoire de hausse entamée l'an dernier. Il convient de se féliciter que notre diplomatie longtemps maltraitée retrouve progressivement des moyens à la hauteur de ses missions, même si nos collègues de la commission des finances ne partagent pas manifestement pas notre enthousiasme...

De plus, le programme 151 reçoit, cette année, toute sa part de l'augmentation des crédits, avec une hausse de 11,6 % pour 8,9 % sur l'ensemble de la mission. Même en déduisant le transfert de 4,4 millions d'euros du programme 232 lié à l'organisation des élections européennes, dont le ministère de l'intérieur prend une partie à sa charge, l'augmentation reste de 10,5 % : c'est appréciable, les rapporteurs ayant regretté l'an dernier que les crédits progressent moins vite que ceux du réseau diplomatique.

Dans le détail, l'augmentation bénéficie à la quasi-totalité des postes de dépense comme ceux de l'Assemblée des Français de l'étranger (+ 9,7 %), du réseau consulaire (+ 9,7 %), de la modernisation de l'administration consulaire (+ 22,2 %) et de l'aide à la scolarité. Une exception notable porte cependant sur l'aide sociale, qui est simplement reconduite, sous réserve d'éventuels ajustements en gestion. Pourquoi ne pas reconnaître d'emblée que le contexte inflationniste mondial et la situation de crise dans de nombreux pays justifient un renforcement du secours à nos compatriotes ?

Il est également regrettable que ce réel effort budgétaire ne se traduise que très imparfaitement dans la progression des effectifs qui se limite à une vingtaine d'ETP en plus, contre 110 pour le réseau diplomatique. Or notre réseau consulaire est mis sous pression par la reprise de la demande de visas après la pandémie. Pour les visas de long séjour, les plus complexes à traiter, la demande a même été supérieure de 30 % en 2022 à son niveau de 2019. Les demandes d'asile et de regroupement familial sont elles aussi en forte hausse.

Le ministère traite l'afflux de demandes par un système de vacations, en faisant appel à des renforts venus de la DFAE (direction des français de l'étranger et des affaires consulaires). Cependant le financement de ce système, qui repose sur les recettes de visas des années précédentes, n'est pas optimal. Il faudra, à long terme, apporter des réponses structurelles à cette situation : le rapport présenté en avril dernier par Paul Hermelin sur la politique des visas décrit des consulats débordés, voire en souffrance et propose des solutions - comme le regroupement des services de visas ou le recours à des agents de droit local pour l'examen de certaines demandes - que le ministère s'engage à expertiser. Nous y apporterons un suivi attentif.

Une autre balise importante de ce budget est la poursuite du déploiement du service France Consulaire, une plateforme téléphonique pour répondre aux demandes les plus courantes des Français de l'étranger et soulager ainsi les postes consulaires. Nous nous sommes rendus sur le site de cette plateforme, à La Courneuve dans les bâtiments des archives diplomatiques, où nous avons pu constater que le service fonctionnait de manière tout à fait satisfaisante. Les téléconseillers sont supervisés par un plateau composé de 14 agents du ministère, qui reprennent les demandes auxquels le premier niveau ne peut pas répondre et surtout constituent une base de données mise à jour en temps réel pour chaque pays.

Les crédits alloués à France Consulaire sont doublés cette année pour atteindre 3,8 millions d'euros, afin d'accompagner l'extension du service à toute l'Europe à la fin 2023, puis, à l'horizon 2025, à tous les fuseaux horaires entre GMT-8 heures et GMT+8 heures, ce qui couvre 97 % des Français de l'étranger. À terme, les horaires de réponse seront étendus de 7 à 23 heures. Il faudra faire grandir le service en conséquence, en particulier le plateau de deuxième niveau. France Consulaire est une initiative bienvenue, qui aidera nos consulats à se concentrer sur leurs tâches les plus essentielles, à la condition qu'elle ne serve pas de prétexte à de nouvelles réductions d'effectifs dans le réseau. Il y a des demandes que seul un agent sur place peut traiter, et le contact humain, dans le réseau consulaire comme ailleurs, n'est pas une variable d'ajustement.

Mon collègue Guillaume Gontard, qui se trouve avec notre président à l'Assemblée générale de l'ONU, devait aborder deux autres points de vigilance : les bourses scolaires dans le réseau de l'AEFE (agence pour l'enseignement français à l'étranger), et le concours de l'État au financement de la catégorie aidée des adhérents à la Caisse des Français de l'étranger (CFE). En son absence, il m'a chargé de prononcer son intervention.

D'abord, les crédits des bourses scolaires allouées, sur critères sociaux, aux enfants scolarisés dans le réseau de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger ont attiré notre attention. Il s'agit, et de très loin, du premier poste de dépense du programme, hors titre 2. Ces crédits sont en augmentation marquée dans ce projet de loi de finances, à 118 millions d'euros contre 104,4 millions précédemment, pour tenir compte de l'inflation, des effets de change et des évolutions dans la tarification des établissements. Mais en réalité, il s'agit d'une augmentation en trompe-l'oeil.

En effet, il est apparu assez vite, en 2023 que le montant prévu en loi de finances initiale serait insuffisant ; c'est pourquoi on a eu recours, en gestion, au « dégel » de la réserve d'un peu plus de 5 % prélevée afin de faire face aux aléas et à la « soulte », reliquat de montants non distribués pendant la crise sanitaire. À la fin 2023, les montants effectivement alloués s'élèvent ainsi à environ 113,3 millions d'euros - c'est-à-dire un montant supérieur à celui qui est prévu pour 2024, qui est de 112,6 millions, déduction faite de la réserve de précaution.

Cependant, même avec ces compléments, le montant prévu s'est avéré insuffisant. Il a donc fallu recourir à un dernier expédient : la « contribution progressive de solidarité », élégante périphrase pour désigner un rabot budgétaire appliqué au montant des bourses. Cette CPS, dont le taux est normalement fixé à 2 %, a donc été portée à 7 %, suscitant l'incompréhension des parents. Or il est à craindre, au vu des données budgétaires, que le taux de 7 % soit à nouveau appliqué cette année.

Il faut reconnaître que le suivi budgétaire de l'attribution des bourses est très complexe : les montants votés ne sont pas consommés sur l'année civile ; les versements n'interviennent pas au même moment dans les pays du « rythme Nord » et ceux du « rythme Sud » ; les variations de taux de change peuvent être très importantes, à la hausse ou à la baisse, entre la décision d'attribution et le versement effectif ; enfin des changements liés à la scolarisation peuvent intervenir en cours d'année. C'est pourquoi les montants votés à la fin de l'année n-1 sont bien différents de ceux qui sont effectivement versés à l'issue de l'année n ; et ceux-ci ne seront connus qu'au début de l'année n+1, voire un peu plus tard lorsque les établissements n'envoient pas leurs notifications à temps.

L'AEFE a engagé une refonte de son application dédiée à la gestion de ces bourses, Scola, qui devrait permettre un suivi plus étroit et une meilleure prévisibilité. Il reste que les expédients comme la hausse brutale de la CPS ne sont ni vertueux au point de vue budgétaire ni équitables vis-à-vis des parents. Les droits de scolarité sont un point sensible dans le réseau AEFE, sachant que le montant des bourses dans certains pays comme les États-Unis est de toute façon plafonné au vu des tarifs extrêmement élevés pratiqués par les établissements.

Le deuxième point de vigilance porte sur le concours de l'État à la catégorie dite aidée des adhérents à la Caisse des Français de l'étranger (CFE). Pour rappel, la CFE est un organisme de droit privé, mais titulaire d'une délégation de service public, offrant une protection sociale facultative à nos compatriotes de l'étranger. Les foyers se situant en-dessous d'un seuil de revenus - 22 000 euros annuels en 2023 - qui définit la catégorie « aidée », créée en 2002, bénéficient d'un tarif d'adhésion préférentiel à la CFE, fixé à 210 euros par trimestre.

Le coût de ce dispositif est pris en charge conjointement, depuis 2011, par l'État et par la CFE : cependant, les parts respectives n'ayant pas été fixées, le concours de l'État est allé en se réduisant. Depuis 2016, il est fixé à 380 000 euros. Or le coût du dispositif, qui concernait 2 203 contrats en 2022, est, lui, allé croissant, pendant que les marges de manoeuvre financières de la CFE diminuaient. En effet, les adhésions collectives via l'employeur, les plus rentables, ont reculé, alors que de nombreux retraités ont adhéré à la CFE, notamment en raison d'un durcissement des conditions de prise en charge par la Sécurité sociale des frais de santé des Français à l'étranger. Aujourd'hui, le dispositif coûte 4 millions d'euros et l'État en assume moins de 10 %, contre 25 % en 2011.

Ce qui est en jeu, c'est la couverture sociale de nos compatriotes les moins favorisés : l'État devrait donc prendre sa part, d'autant que les montants sont extrêmement modérés. De plus, ces dernières années, le concours de l'État a en réalité été abondé en gestion, atteignant par exemple 764 800 euros en 2022. Il serait préférable, au point de vue de la lisibilité budgétaire, de procéder à cet abondement dès la loi de finances initiale.

Compte tenu des réserves et points de vigilance que nous avons exposés, nous vous proposerons de donner un avis favorable à ce budget en augmentation marquée.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Merci pour ce rapport détaillé. Sans rouvrir nos débats précédents, je reviens tout de même sur les propos de Rachid Temal sur les économies qui ont été réalisées pendant des décennies dans ce ministère. Des suppressions de postes importantes sont intervenues dans les consulats où l'on a, par exemple, supprimé les standards téléphoniques et, à cet égard, la montée en puissance de France Consulaire est la bienvenue. Les suppressions de postes ont également concerné les agents en charge des visas et autres documents. Aujourd'hui, on fait appel à des prestataires privés et le coût est finalement élevé pour les usagers.

Il serait intéressant de savoir quelles économies ont été réalisées en rémunérant des prestataires privés pour effectuer le travail que faisaient auparavant les agents consulaires, sachant qu'aujourd'hui, de nombreux rendez-vous sont bloqués par des officines qui travaillent illégalement en faisant payer ce qui devrait normalement être gratuit, à savoir les prises de rendez-vous pour un renouvellement de visa dans un consulat.

Je pense qu'aujourd'hui, notamment après l'adoption de loi sur l'immigration qui envoie des messages pas toujours très positifs, par exemple aux étudiants étrangers venant en France, il serait souhaitable d'envoyer un message compensatoire plus bienveillant en montrant les efforts réalisés pour faciliter la mobilité des personnes, avec un service amélioré dans les consulats.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Je rebondis sur le sujet soulevé par les rapporteurs sur la CFE (Caisse des Français de l'étranger). J'ai cru comprendre qu'ils avaient envisagé un abondement de ses crédits et il ne faut pas se priver d'y réfléchir car si nous ne sommes pas en capacité de faire bouger quelques centaines de milliers d'euros au sein d'une mission, le Parlement serait tenté d'arrêter ses travaux. C'est une piste à creuser mais je rappelle le problème structurel auquel est confrontée la CFE avec l'évolution de la démographie des adhérents et la diminution tendancielle des contrats collectifs souscrits par de grandes entreprises en faveur de leurs ressortissants. S'y ajoute la réforme de 2019 votée par le Parlement, qui a eu pour conséquence un changement de tarification ainsi que des critères pris en compte.

Au total, je pense bien entendu que le conseil d'administration de la CFE réfléchit à ces grands équilibres actuariels et que le Parlement doit également étudier ce sujet, car un certain nombre de paramètres sont fixés par la loi et devront peut-être évoluer pour permettre un équilibre pérenne. En effet, la CFE ne pourra pas puiser éternellement dans ses réserves et il faut agir à un horizon de quelques années.

M. Olivier Cadic.- S'agissant des visas, il serait intéressant, dans les rapports de nos collègues de la commission des finances, de faire apparaitre la comparaison entre le coût des services de visa et les recettes qu'ils génèrent : celui de Londres encaisse 10 millions d'euros par mois et donc 120 millions d'euros par an. Se focaliser sur la seule rubrique des dépenses est peu judicieux si l'on perd de vue qu'en lui ajoutant un ETP, un service de visas peut augmenter ses revenus de 50 %.

La mise en place de France Consulaire répond à une attente qui remonte à 2008. J'avais pris l'initiative d'une résolution à l'Assemblée des Français de l'étranger en ce sens en indiquant par exemple, pour Londres, qu'on recense 140 000 Français au Royaume-Uni mais que le service aux usagers se limite à une personne qui répond au standard téléphonique.

Il n'est pas possible de parler de service public convenable dans ces conditions ; bien évidemment une plateforme téléphonique est nécessaire et il faut que ce soit le secteur privé qui la gère puisque la France dispose des meilleures sociétés privées - comme Téléperformance - pour répondre au téléphone. Il faut confier cette tâche à des professionnels car répondre au téléphone est un métier qui réclame des compétences très spécifiques. Grâce à la nouvelle directrice des Français de l'étranger, le déploiement du nouveau système s'accélère ; elle mérite nos félicitations, parce qu'elle a changé le format du dispositif et compris que faute de moyens suffisants pour embaucher des fonctionnaires, il fallait tout de même mettre en place un service téléphonique. Je rappelle que c'est Jean-Baptiste Lemoyne qui avait lancé France consulaire et sa montée en puissance mérite d'être soulignée.

Enfin, j'insiste sur la vraie nouveauté que constitue le Pass Éducation. Vous avez pu voir à la télévision des Français d'Israël qui ne parlent pas notre langue. C'est le cas de 80% des enfants français qui naissent en Israël, et il y en a autant en Algérie. Au Brésil, à Sao Paulo, la cheffe de chancellerie m'a indiqué qu'il est rare que nos compatriotes nés au Brésil parlent français. Notre réseau accueille 20 % des enfants français à l'étranger, nous leur consacrons 520 millions d'euros mais quels sont les financements alloués aux 80% restants qui risquent de ne jamais parler français ?

Pour la première fois, avec le Pass Éducation langue française, nous leur consacrons un million d'euros. Chaque année, je déposais un amendement dans ce sens pour transférer un peu de crédits du programme 185 vers le programme 151. J'approuve donc pleinement cette réelle innovation et le ministre a décidé de confier cette mission au CNED (Centre national d'enseignement à distance), ce qui mérite également d'être souligné. Nous en ferons le bilan l'année prochaine.

M. Mickaël Vallet- Je souhaite formuler une remarque qui n'a rien de taquin ou de suspicieux mais qui porte sur la mise en cohérence des travaux du Sénat. Il y a 18 mois, nous avons eu une commission d'enquête qui a fait parler d'elle sur l'influence croissante des cabinets de conseil, prolongée par une proposition de loi adoptée en première lecture au Sénat à l'unanimité. Il y a quelques semaines, nous avons pu interroger la ministre lors de son audition sur les contours de la mission dite Paul Hermelin portant sur la politique française des visas.

Je rappelle à nos collègues que ce dernier, qui occupe la fonction de président du conseil d'administration de Capgemini a été chargé conjointement par le ministre de l'intérieur et la ministre de l'Europe et des Affaires étrangères d'une mission pour laquelle il est assisté d'inspecteurs généraux des deux ministères, c'est-à-dire de fonctionnaires parfaitement compétents pour cela. Le rapport que la ministre s'était engagée à nous transmettre est parvenu à notre connaissance au moment où il a été rendu public, à l'été dernier.

Conformément aux préconisations du rapport sur les cabinets de conseil, j'appelle à la vigilance sur le fait de savoir si l'engagement de la ministre sera tenu : elle a en effet indiqué qu'elle ne voyait pas de problème à mettre en place une mission sur les visas confiée au président du conseil d'administration de Capgemini, puisque ce n'est pas un sujet qui intéresse cette entreprise. Or, comme chacun sait - ou comme on voudrait peut-être nous le faire croire - le traitement des visas ne peut pas soulever des enjeux d'organisation informatique... Il faudra veiller à la bonne articulation de nos travaux avec ceux de la commission d'enquête sur l'influence croissante des cabinets de conseil.

Mme Michelle Gréaume. - Je souhaite apporter un complément à l'intervention d'Hélène Conway-Mouret : j'ai entendu dire que l'administration paye très cher ces services et ne peut donc pas toujours mettre d'agents en nombre suffisant pour aider directement les Français de l'étranger dans toutes leurs démarches. Je relaye également les problèmes de fiabilité des accès Internet qui me sont remontés ; de vives critiques se sont d'ailleurs exprimées concernant le vote numérique lors des dernières élections consulaires à certains endroits. Je souhaite qu'on examine de près ces dysfonctionnements qui semblent générer des renonciations aux démarches par Internet.

M. Ronan Le Gleut, rapporteur pour avis sur les crédits relatifs aux Français à l'étranger et aux affaires consulaires. -Merci pour vos interventions qui permettent d'élargir l'approche de ce programme 151.

Je rappelle d'abord que la question principale est celle des effectifs : pendant trente ans, le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères a vu son nombre d'agents diminuer alors que, simultanément, le nombre de Français vivant à l'étranger ne cessait d'augmenter. Une des premières conséquences de cet effet de ciseaux a été la suppression des lignes téléphoniques, entraînant ainsi l'impossibilité de joindre son consulat par téléphone. France consulaire est une avancée que nous saluons à plusieurs reprises dans notre rapport : elle permet enfin d'avoir quelqu'un qui répond au téléphone et c'est une évolution considérable dans le service rendu aux communautés françaises à l'étranger.

Bien entendu, il n'est pas question, à nos yeux, de remplacer la présence dans les consulats par des services à distance. C'est pourquoi nous avons été attentifs à la progression de 165 ETP dans le projet de loi de finances, et ces derniers ne vont pas à France Consulaire : ce sont bien les postes consulaires qui sont renforcés. Il s'agit donc bien d'une avancée réelle et supplémentaire.

Le Pass Éducation langue française est abordé à la page 6 de l'Essentiel sur le programme 151. Nous y indiquons que, répondant à un engagement du Président de la République, il a pour objectif de permettre aux enfants français résidant à l'étranger et scolarisés dans les systèmes nationaux de garder un lien fort avec notre langue. Ce Pass éducation est doté d'un million d'euros dans le programme 151 : il financera des cours en ligne avec un tuteur pour les enfants âgés de 6 à 11 ans, soit un public potentiel de 125 000 enfants. S'il est conçu comme un outil complémentaire au FLAM (Français LAngue Maternelle), ni l'audition de la ministre de l'Europe et des Affaires étrangères par la Commission ici même, ni les auditions des rapporteurs pour avis, n'ont permis d'obtenir de précisions sur ses modalités... On est donc encore dans un certain flou dans l'exécution de ce dispositif.

En ce qui concerne le rapport Hermelin, que nous évoquons également dans notre rapport, je rappelle que les orientations de la politique des visas ne sont pas fixées dans le programme budgétaire 151, le réseau consulaire ne faisant qu'exécuter ces orientations. Une nuance toutefois : dès lors qu'il s'agira vraiment de « faire du Hermelin » - pour reprendre les termes qu'ont pu utiliser certains de nos interlocuteurs - il faudra que les postes consulaires et les ambassades mettent en place des sortes de comités qui définiront les publics prioritaires. Il y aura donc bien une mise en oeuvre par les services consulaires et diplomatiques de cette nouvelle politique. Lors de son audition, la directrice de la DFAE nous a indiqué que certains postes consulaires « faisaient du Hermelin » avant même que le rapport n'existe.

La commission adopte le rapport pour avis sur les crédits du programme 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires».

Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Action extérieure de l'État » - Programme 105 - Action de la France en Europe et dans le monde - Examen du rapport pour avis

Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis. - Je précise tout d'abord que c'est mon premier rapport pour avis au sein de cette commission et il en va de même pour Jean-Baptiste Lemoyne. Je voudrais d'abord dire un mot inspiré par l'amendement de la commission des finances dont nous avons pris connaissance assez tard. Il faudra, à l'avenir, améliorer la coordination de nos travaux car j'ai été assez surprise de devoir mener des auditions sans connaître les intentions des rapporteurs de la commission des finances en matière d'économies budgétaires et ces orientations, qui auraient pu guider notre travail, ont été prises sans l'ombre d'une concertation. En conséquence, l'année prochaine, je n'accepterai pour ma part de rapport budgétaire qu'à condition que l'on puisse organiser suffisamment tôt une réunion avec nos collègues de la commission des finances, par souci de cohérence, d'anticipation, et par respect pour notre travail.

J'en viens à nos principales remarques. Le programme 105 de la mission « Action extérieure de l'État » regroupe les moyens de l'action diplomatique de la France et ses crédits de fonctionnement. Il porte également une grande part des contributions versées par la France aux organisations internationales. En 2024, ses crédits progressent de près de 8,7 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2023, soit environ 180 millions d'euros, pour atteindre 2,26 milliards d'euros. Le ministère se félicite de la hausse, inédite semble-t-il depuis 2005, de 13 % des dépenses hors rémunérations. Observons tout de suite que le doublement de la contribution française à la « Facilité européenne pour la paix » représente presque la moitié de cet effort de 166 millions d'euros. La France consacre en effet 76 millions d'euros de plus que l'an dernier - 144 millions d'euros en tout - à ce fonds destiné prioritairement à soutenir l'Ukraine. L'impact de cette dépense n'est donc pas facile à évaluer.

Le plus gros poste parmi les dépenses d'intervention est celui des crédits consacrés aux contributions internationales et aux opérations de maintien de la paix. Ils représentent, hors crédits de personnel, deux tiers du programme, soit 927,6 millions d'euros. Sa hausse, de presque 100 millions d'euros, s'explique par l'effet-taux de change et la revalorisation de certaines contributions.

L'effort supplémentaire en faveur des contributions volontaires représentera l'an prochain 2,3 millions d'euros. Nos collègues de la commission des finances Vincent Delahaye et Rémi Féraud ont cependant bien montré l'an dernier l'attentisme français en la matière. Si la contribution volontaire de la France au système des Nations unies a bel et bien augmenté de 180 millions en dix ans, les Britanniques et les Allemands ont fait un effort, respectivement, quatre et seize fois plus grand, alors même qu'ils partaient d'un niveau plus élevé... L'impact de cet effort sur notre capacité d'influence n'est en outre pas facile à illustrer. Le ministère évoque, pêle-mêle : le renouvellement du directeur français des opérations de maintien de paix aux Nations unies, le soutien « décisif » de la France au lancement, par la CPI (Cour pénale internationale), d'une enquête sur la situation en Ukraine, le lancement de la stratégie onusienne de lutte contre la désinformation, le soutien accru à l'AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique), à l'OIAC (Organisation pour l'Interdiction des Armes Chimiques) ou à l'office des Nations unies contre la drogue et le crime...

D'une manière générale, je crois qu'il faudra s'interroger avec courage et lucidité sur notre place au sein de ces organisations internationales et sur notre influence. Compte tenu des moyens que nous y consacrons et de notre poids, j'estime que nous sommes, comme d'autres pays européen, à un tournant décisif : je me demande s'il est cohérent de continuer à alimenter cette dérive des moyens concomitante à la baisse de notre influence qui me préoccupe tout particulièrement.

Les crédits nouveaux du programme 105 permettront certes d'engager le « réarmement » de notre diplomatie, pour employer la formule du Président de la République, au sens où, pour la deuxième année consécutive, le ministère recrutera. Je rappelle que ses effectifs, qui avaient perdu 3 000 ETP entre 2007 et 2021, avaient alors cessé de baisser. Puis, après une augmentation factice liée au recrutement de CDD en prévision de la présidence française de l'UE, ils n'étaient repartis à la hausse qu'en 2023. En 2024, le ministère prévoit l'embauche de 165 ETP dans le périmètre de la mission « Action extérieure de l'État », dont une bonne centaine au titre du programme 105. Cette hausse s'inscrit dans la programmation dévoilée par le chef de l'État en mars dernier, à l'issue des états généraux de la diplomatie. Celle-ci prévoit 700 recrutements nouveaux d'ici 2027, avec des marches plus élevées en fin de programmation.

On se rappelle que ces états généraux ont été réunis pour apaiser les inquiétudes suscitées chez les diplomates par la réforme de leur statut, et il en va de même pour d'autres catégories de fonctionnaires. À ce jour, environ 72 % des 800 diplomates concernés ont opté pour le cadre des administrateurs de l'État. La directrice des ressources humaines table sur un taux de 80 % à terme. Un recours contre la réforme a été rejeté par le Conseil d'État il y a un mois, mais il est douteux que les inquiétudes soient totalement apaisées. Je pense que les jeunes choisissent ce nouveau statut tandis que ceux qui bénéficient de l'ancien ont souhaité le conserver, ce qui me semble parfaitement logique.

Quoi qu'il en soit, les chantiers issus des états généraux sont en cours de mise en oeuvre. L'organigramme du ministère a été revu le 1er septembre dernier. À l'école pratique des métiers de la diplomatie, créée par Jean-Yves Le Drian en mars 2022, devrait succéder l'Académie diplomatique et consulaire, dont le rapport de préfiguration doit être rendu par Didier Le Bret début 2024. La DRH mène de nombreux autres chantiers touchant aux concours et à la qualité de vie au travail ; elle vante l'organisation agile - en matière de soutien consulaire par exemple - et la multiplication des task forces.

Près d'1 million d'euros de mesures nouvelles financeront la politique sociale du ministère - avec, par exemple, l'objectif de satisfaire 100 % des demandes de place en crèche -, mais aussi l'accompagnement de la mobilité tout au long de la carrière et la formation. Nous n'avons en revanche jamais entendu parler en audition de la « réserve diplomatique citoyenne » évoquée par le Président en mars.

Je dirai enfin un mot de quelques postes de dépenses de fonctionnement. La direction de la sécurité diplomatique disposera d'une mesure nouvelle de 5 millions d'euros, dont une partie sera consacrée à l'achat de nouveaux véhicules blindés et au renforcement de la sécurité passive de nos ambassades les plus exposées. Nous avons tous en mémoire ce qui s'est passé en Afrique récemment et particulièrement au Niger : les personnes que nous avons auditionnées ont beaucoup insisté sur la nécessité de renforcer la sécurité des lieux où se trouve le personnel diplomatique.

Le montant des dépenses de protocole affiche une hausse notable en 2024, en passant de moins de 8 à plus de 18 millions d'euros. Le Gouvernement la justifie par le nombre élevé de chefs d'État et de gouvernement étrangers qui participeront, d'une part, aux cérémonies d'ouverture et de clôture des Jeux Olympiques et paralympiques et, d'autre part, aux commémorations du 80ème anniversaire des débarquements en Normandie et en Provence. Il est vrai que la France a accueilli de nombreux événements diplomatiques importants qui nécessitent un protocole de sécurité aguerri, performant et très disponible.

Cette enveloppe prend également en charge les frais des nombreuses conférences internationales - sur les droits des femmes en mars, sur le sport et la santé en marge des Jeux, ou encore le sommet de la francophonie à Villers-Cotterêts et à Paris en octobre. La professionnalisation de l'organisation de conférences internationales - telle la conférence humanitaire pour la population civile de Gaza, qui a démontré un vrai savoir-faire - est d'ailleurs un objectif du ministère. Je note qu'on aurait pu souhaiter une conférence similaire à propos des otages...

Enfin, nous n'avons pas pu approfondir les enjeux immobiliers, mais ils restent primordiaux, et pas seulement sous l'angle de leur financement par des crédits budgétaires plutôt que par les produits de cessions. Du fait, notamment, des besoins de task forces, de formations de crise, et de la rationalisation du parc engagée naguère, les locaux en administration centrale sont désormais saturés. Dans ces conditions, abriter les 700 ETP promis d'ici quatre ans par le Président de la République sera une véritable gageure.

Sans dévoiler ce que va dire Jean-Baptiste Lemoyne, j'insisterai sur la nécessité de préserver et de conforter la cellule de crise qui est probablement un des fleurons du ministère et que certains ont peut-être pu connaitre, notamment lors de la Covid ou d'autres crises.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur pour avis. - Au sein de ce budget offensif, nous avons souhaité mettre l'accent sur trois aspects qui nous semblent fondamentaux dans l'environnement géopolitique particulièrement dangereux du moment : il s'agit d'abord de la gestion de crise - Valérie Boyer vient d'introduire le sujet -, ensuite de la communication dans un monde de guerre informationnelle et, enfin, la coopération de sécurité et de défense dans un contexte africain que vous connaissez bien.

En premier lieu, sur nos moyens dédiés à la gestion de crise, on le sait peu, mais la France dispose en la matière d'un savoir-faire envié à l'étranger. Sa maîtrise est assurée par le Centre de crise et de soutien (CDCS). Un seul exemple : le 8 octobre dernier, soit le lendemain des attaques du Hamas, le CDCS a immédiatement mobilisé 90 ETP tournant quotidiennement, la nuit et le weekend, pour rapatrier 3 500 personnes, tout en traitant les milliers d'appels et de courriels de leurs proches. À cet égard, je me permets de saluer non seulement l'action du personnel du CDCS, mais aussi ceux qui viennent le renforcer lors des pics d'activité, que ce soient des agents du ministère ou des personnels de la Croix-Rouge qui arme la réponse téléphonique. Nos collègues Jean-Pierre Grand et Rachid Temal avaient d'ailleurs eu l'occasion de saluer l'action du CDCS dans leur rapport de juin 2020 sur le suivi du rapatriement des Français de passage à l'étranger pendant la crise sanitaire. C'est donc un outil très précieux dans un contexte de multiplication des crises, de leur aggravation et de leur diversité.

Si on se retourne sur l'année 2023, et encore elle n'est pas terminée - il peut encore se passer beaucoup de choses d'ici le 31 décembre -, on constate que le CDCS est intervenu à la suite du séisme turco-syrien de février, de l'évacuation au Soudan en avril et, au cours des trois derniers mois, il y a eu les événements au Gabon, les inondations en Libye, le séisme au Maroc, la guerre dans le Haut-Karabagh, puis le 7 octobre dans son volet israélien et palestiniens. Cela montre l'intensité des crises qui mobilisent son personnel.

En 2024, le budget de fonctionnement du CDCS augmentera de 450 000 euros par rapport à 2023, pour atteindre 3,45 millions d'euros. Il s'agit là naturellement uniquement de l'aspect état-major, car le CDCS brasse infiniment plus de moyens, et en particulier les crédits humanitaires, de l'ordre de plusieurs centaines de millions d'euros. Les ETP du centre, qui ont doublé en dix ans, passeront de 104 en 2023 à 109 l'an prochain. Souvenons-nous que le CDCS, créé en 2008, a fêté ses 15 ans cette année : il a commencé avec 30 personnes, a doublé en 2014, et on atteint donc l'an prochain les 109 ETP.

Il est toujours difficile de planifier le financement d'actions qui, par définition, sont imprévisibles. Néanmoins, le CDCS dispose d'une réserve de crise qui est stable à 1,5 million d'euros et qui est systématiquement réabondée en fonction des besoins et au fur et à mesure de la survenue des crises. Pour vous donner des ordres de grandeur, la gestion de la crise au Soudan d'avril dernier a coûté un peu moins d'1 million d'euros, celle du Niger 2,9 millions d'euros, et, pour l'instant, nous en sommes à 4,8 millions d'euros pour la gestion de la crise en Israël. De plus, le CDCS bénéficie de financements européens au moyen du mécanisme de protection civile de l'Union européenne lorsqu'elle rapatrie des ressortissants d'autres États membres.

Compte tenu du contexte international et environnemental, il est très vraisemblable que la charge de travail du CDCS se maintiendra à court et moyen terme. Si la situation au Proche-Orient se dégradait encore davantage, songez à ce qu'impliquerait l'évacuation de nos ressortissants du Liban, qui sont environ 20 000. Le CDCS se prépare en tout cas à toutes les éventualités.

Le deuxième aspect que nous avons examiné de plus près porte sur nos capacités de communication et d'influence, notamment dans la sphère numérique. Ce poste fait l'objet d'un effort d'un peu plus de 2 millions d'euros l'an prochain. Ces crédits permettront à la direction de la communication du ministère de renforcer ses effectifs et de mettre en oeuvre ses ambitions de lutte contre la désinformation. Celle-ci compte aujourd'hui 118 ETP, dont 19 au sein de la sous-direction créée en septembre 2022 chargée de la veille et de la stratégie. Celle-ci a vocation à surveiller les réseaux et à élaborer une riposte lorsque la guerre de l'information menace nos intérêts.

Outre cette nouvelle fonction, la DCP souhaite devenir le pilote en interministériel de la communication de la France à l'étranger, tous opérateurs confondus. Une plateforme de partage de contenus doit ainsi être créée pour rationaliser nos moyens d'influence en diffusant des contenus plus pertinents dans le réseau, qui les disséminera. Gardons en mémoire que nous publions des messages dans plus de 50 langues pour nous adapter à toutes les audiences et à tous les publics de par le monde.

La méthode est bonne. Il faut monter en puissance pour maintenir une cadence soutenue de diffusion de nos narratifs et contrer ceux qui nous sont hostiles. La cellule de veille des réseaux sociaux est pour l'heure composée de 5 personnes, ce qui ne permet pas encore de faire une veille ininterrompue.

Lutter contre les infox, c'est aussi soutenir les producteurs d'information locaux qui participent à une présentation objective des faits face à ce qu'il faut appeler tout simplement des trolls. Pour percer le mur de la désinformation, il ne faut pas se contenter d'une communication meilleure mais qui resterait estampillée « Gouvernement français ». Le Quai réserve certes des moyens pour que nos postes identifient et soutiennent les « bons » journalistes et influenceurs, notamment dans la perspective de JO de Paris.

Enfin, nous avons examiné l'action du ministère en matière de coopération de sécurité et de défense. C'est une spécificité française que de faire piloter par les affaires étrangères les coopérations et formations qui relèvent, ailleurs, des ministères métier - défense, justice, intérieur, douanes etc...

Le PLF 2024 prévoit près de 120 millions d'euros pour la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) qui met en oeuvre cette coopération structurée avec les États partenaires dans le champ sécuritaire. Deux tiers des crédits sont consacrés à la masse salariale pour rémunérer ce réseau de 313 coopérants, dont 249 coopérants militaires et 64 experts techniques internationaux. S'y ajoutent des crédits d'intervention de l'ordre de 40 millions d'euros, contre 36 en 2023, ce qui va permettre d'être toujours plus présents sur l'aspect formation qui peut être étoffé. Il y a déjà un réseau d'une vingtaine d'écoles nationales à vocation régionale (ENVR) et d'une cinquantaine d'académies de par le monde qui bénéficient à environ 3 000 stagiaires à l'année et 30 000 stagiaires dans le cadre de formations infra-annuelles plus courtes. La DCSD se fixe l'objectif d'accroître cette offre de 40 %, en ligne d'ailleurs avec les propos du ministre des armées et des chefs d'état-major qui avaient dit vouloir accroître l'offre de formation des cadres militaires étrangers.

L'Afrique de l'ouest est la zone où les coopérations restent les plus denses. En dépit des événements récents au Burkina Faso ou au Niger, la demande de France reste forte dans la région. Deux ENVR y seront créées en 2024 : une école de systèmes d'information et de commandement en Côte d'Ivoire, et une école de sécurité environnementale des parcs naturels en Afrique centrale, sans même parler des redéploiements en cours dans le contexte sahélien actuel.

Une réflexion sur la modernisation de cet outil a été engagée fin 2022. Elle vise à mettre les ENVR en réseau, à les autonomiser, à diversifier leur financement, à y renforcer la francophonie. Je signale que la DCSD agit ailleurs qu'en Afrique : ainsi, dans les Balkans, ou dans la zone indopacifique - une ENVR va d'ailleurs ouvrir au Sri Lanka.

J'en termine en formulant une remarque générale sur la conception des documents budgétaires et, donc, sur l'information des parlementaires. Les outils de mesure de la performance mériteraient d'être revisités. Ainsi, l'indicateur « renforcer la sécurité de la France au travers de celle de nos partenaires » contient trois objectifs : d'abord, le taux de réalisation des objectifs de coopération de sécurité et de défense, qui est assez vague ; ensuite, le coût unitaire de formation des élèves, qui n'évolue guère dans le temps ce qui peut faire douter de sa pertinence ; enfin, la part des femmes participant aux formations. Il importe bien sûr de contribuer à l'égalité entre les femmes et les hommes en toutes circonstances mais je pense qu'il serait également important, voire plus, de disposer d'indicateurs sur le nombre de personnes formées et éventuellement sur leur trajectoires à l'issue de leur formation car il y a là aussi un enjeu d'influence qui peut être intéressant.

Pour conclure, dans ce monde fait d'accumulation de crises, de délitement du système multilatéral et d'émergence de nouveaux théâtres d'opérations, comme le terrain informationnel, ne boudons tout de même pas notre plaisir de voir le réarmement de notre diplomatie réellement engagé en termes de moyens humains et financiers. Nous vous proposons donc, avec Valérie Boyer, d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 105.

Mme Catherine Dumas, présidente. - Merci beaucoup pour vos exposés. Avant de laisser la place aux interventions, je reviens sur les propos de Valérie Boyer qui portent sur nos relations avec la commission des finances : je pense que c'est un sujet que nous aborderons à nouveau quand le président Perrin sera de retour. Je vous félicite également d'avoir apporté sur le Centre de crise et de soutien des précisions particulièrement intéressantes dans le monde en plein vertige qui est le nôtre. J'informe également la commission que mercredi prochain, nous auditionnerons David Colon, grand spécialiste de la guerre de l'information.

M. Rachid Temal. - Pour avoir travaillé en effet sur le centre de crise, je me félicite en effet qu'il dispose de quoi travailler. S'agissant de la guerre de l'information, je souhaiterais, pour fixer les ordres de grandeur, savoir ce que font d'autres pays amis ou concurrents - Britanniques, Américains, Russes ou Chinois - pour situer notre niveau de protection. En second lieu, s'agissant des experts militaires, pouvez-vous développer la question des liens avec le ministère des Armées, de façon générale et notamment en Afrique : comment cette action s'articule-t-elle avec la réorganisation de nos bases militaires ?

M. Alain Joyandet. - Je veux saluer le travail des rapporteurs et apporter un témoignage avant de soulever deux questions. D'abord, je crois qu'il faut vraiment souligner la qualité des personnels du Quai d'Orsay : nous avons dans notre administration du Quai d'Orsay une diplomatie absolument exceptionnelle ; je pense que c'est une des meilleures du monde, qu'il s'agisse des seniors ou des juniors. Ma deuxième remarque concerne le Centre de crise créé en 2008 : s'il n'existait pas, il faudrait l'inventer car cette entité est à la fois exceptionnelle et très efficace.

Ma première question porte sur le ressenti et les commentaires que vous avez recueillis au cours des auditions sur la réforme de notre diplomatie. Quelles en seront les conséquences pratiques en termes d'effectifs ?

En second lieu, comment expliquez-vous, malgré la qualité de nos moyens humains, la perte d'influence de la France dans le monde ?

M. Olivier Cadic. - À mon tour de remercier nos deux rapporteurs qui ont dressé un portrait éloquent des bons côtés de l'action de nos ambassades. Je m'associe aux propos de Valérie Boyer et voudrais mettre en garde contre le risque de saupoudrage des contributions volontaires parce que c'est une importante source d'inefficacité. Nous n'avons plus les moyens d'être partout à la fois et il faut définir les objectifs qui justifient ces contributions volontaires. Je suggère à ce titre, aux rapporteurs et même à la commission, d'entendre notre ambassadeur à l'ONU qui m'a éclairé sur le niveau ainsi que la portée de ces contributions volontaires.

Merci également au rapporteur d'avoir souligné l'importance du centre de crise et de soutien dont je rappelle qu'il a été créé en 2008 à la demande de l'Assemblée des Français de l'étranger. On a notamment pris conscience de son intérêt lors des attentats malheureux du Bataclan qui a suscité de très nombreux appels de l'étranger ; le CDC est alors devenu CDCS et on a pu en constater l'utilité lors des attentats de Nice qui ont suivi le 14 juillet. Je fais ici le lien avec les remarques de Jean-Baptiste Lemoyne sur les indicateurs figurant dans la documentation budgétaire auxquelles je souscris pleinement. Le CDCS est en effet la seule administration qui est certifiée qualité ISO 9002, ce qui s'accompagne nécessairement d'un suivi sur la base d'indicateurs pertinents. Je suggère de réfléchir à une extension de cette certification au CDCS afin d'améliorer le suivi de leur performance.

M. Philippe Folliot. - Je m'associe aux propos élogieux qui ont été tenus sur la qualité du travail de nos rapporteurs. Ma première question concerne notre réseau diplomatique qui, comme vous l'avez indiqué, ne peut pas être étendu à l'infini. Pour autant, j'avais interpellé la ministre sur le fait que nous ne disposons toujours pas de permanence diplomatique au Guyana qui, à ce jour, est l'un des plus pauvres d'Amérique du Sud mais va devenir l'un des plus riches compte tenu des gisements de pétrole qui y ont été découverts. Or nous avions constaté sur place que notre pays passe à côté de possibilités d'expansion pour nos firmes parce que les chefs d'entreprise du Guyana sont obligés d'aller chez leur voisin du Suriname afin d'obtenir un visa pour venir en France. Il me parait important d'appuyer la demande de permanence diplomatique au Guyana que nous avions faite dans notre rapport. Nous avons ouvert une représentation diplomatique peu après l'accession à l'indépendance d'autres petits pays promis à un développement économique rapide comme le Qatar, le sultanat de Brunei, le Koweït, Bahreïn, ou d'autres. Or voilà près de 40 ans que le Guyana est indépendant et nous n'avons toujours pas réagi en conséquence.

Ma deuxième question concerne les guerres et les enjeux de désinformation. Ne serait-il pas opportun de nous appuyer sur un certain nombre de nos compatriotes originaires notamment des pays du Sahel et qui en connaissent les langues vernaculaires : ils pourraient peut-être nous aider, que ce soit par le biais de la réserve ou par d'autres moyens, à diffuser sur notre pays un récit peut-être plus positif que celui qu'on entend souvent.

Mme Catherine Dumas, présidente. - J'abonde évidemment dans le sens de cette suggestion relative au Guyana, d'autant plus que nous avons constaté sur place que les Chinois étaient déjà bien implantés dans ce pays...

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur pour avis. - M. Temal, je concède que nous n'avons pas procédé à un tel benchmark et c'est certainement un travail à poursuivre : je souscris à votre suggestion. Dans ce domaine, les comparaisons ont nécessairement des limites, puisque, par exemple nous ne disposons pas, comme la Russie, d'usines à trolls. Nos outils sont assurément différents car nous avons une autre déontologie.

Le lien de notre coopération de sécurité et de défense avec les armées est très étroit. D'ailleurs le directeur de la DCSD est traditionnellement un militaire - c'est aujourd'hui un général de corps d'armée. La réorganisation de nos bases est un autre chantier, mais je dirais qu'il y a un tout de même un lien avec notre sujet car si on souhaite avoir une empreinte un peu différente, peut-être moins forte, avec des bases allégées, il faut en revanche mettre l'accent sur l'augmentation du nombre de stagiaires, la densification du réseau d'écoles nationales à vocation régionale et d'académies locales pour continuer à maintenir un lien fort avec les forces de sécurité de tous ces pays partenaires.

M. Joyandet, lors des auditions, la DRH nous a signalé que 72 % des personnels concernés, qui sont environ 800, ont à ce stade opté pour l'entrée dans le nouveau corps d'administrateurs d'État. L'objectif de 80 % devrait être atteint prochainement. S'agissant des conséquences pratiques, je citerai la réorganisation de la DRH, qui est devenue à mon avis une direction beaucoup plus stratégique, qui a ouvert des chantiers relatifs aux parcours, à la gestion de la mobilité, et la gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences. Ces outils sont assez répandus dans de grandes organisations ; sans doute moins utilisés jusqu'ici au ministère des Affaires étrangères, ils deviennent essentiels à la faveur de la réforme.

En ce qui concerne plus généralement les raisons de notre perte d'influence dans le monde, et en évitant l'auto-flagellation, il faut d'abord observer que l'oligopole des alliés de 1945 est battu en brèche par l'émergence, depuis quelques décennies, de nouveaux acteurs à la fois étatiques - les grands émergents comme la Chine, le Brésil ou l'Afrique du Sud, qui cherchent à se structurer dans un Sud global - et non étatiques comme certaines ONG, entreprises ou coalitions diverses et variées. Il en résulte que se faire entendre nécessite un renforcement de moyens et une agilité pour arriver à marquer des points, être rapide et structurer des coalitions au bon moment. L'anticipation, les capacités d'analyse et la réactivité me paraissent ici des facteurs clés.

Enfin, Monsieur Folliot, le sujet du Guyana est très important au regard non seulement des ressources de ce pays mais aussi des relations compliquées avec son voisin vénézuélien. J'ai noté, en ce moment même, l'existence de prétentions vénézuéliennes, notamment territoriales, qui méritent un suivi très attentif pour réagir le cas échéant.

Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis. - J'ajouterai une observation en réponse à la question d'Alain Joyandet, qui se situe au coeur de nos préoccupations. Le thème de l'influence de la France dans les relations et dans les institutions internationales mériterait probablement une mission car le sujet est fondamental. Il faut explorer les pistes d'évolution des institutions au niveau français mais aussi des pays de l'Union européenne car celle-ci n'a pas de stratégie.

Enfin, lors de nos auditions, j'ai appris l'existence des conseillers diplomatiques des préfets de région. Compte tenu des crises qui nous affectent de différentes façons, je pense que la présence de cet interlocuteur local est essentielle.

Mme Hélène Conway-Mouret. - La présence de ces diplomates en préfecture est effectivement très utile, notamment pour les entreprises - en particulier les PME - qui souhaitent partir à l'international pour la première fois et trouvent ainsi des conseils, un interlocuteur et également un relai vers de Business France qui fait d'importants efforts en matière d'exportation vers l'étranger.

Mme Catherine Dumas, présidente. - Je vous remercie et vous propose de passer au vote.

La commission adopte le rapport pour avis sur les crédits du programme 105 - « Action de la France en Europe et dans le monde ».

Vote sur l'avis de la commission sur les crédits de la mission « Action extérieure de l'État » du projet de loi de finances pour 2024

Mme Catherine Dumas, présidente. - Je consulte à présent la commission sur les crédits de la mission « Action extérieure de l'État ».

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Action extérieure de l'État » du projet de loi de finances pour 2024.

Projet de loi de finances pour 2024 - Mission « Aide publique au développement » - Programmes 110, 209, 365 et 370 - Aide publique au développement - Examen du rapport pour avis

M. Christian Cambon, rapporteur pour avis. - Monsieur le président, mes chers collègues, pour la première fois depuis 7 ans, les crédits de la mission « Aide publique au développement » ne vont pas augmenter. Ils restent ainsi stables à 5,9 milliards d'euros en crédits de paiement. Il faut toutefois rappeler que ces crédits étaient de 2,6 milliards d'euros en 2017 : ils ont donc plus que doublé entretemps !

La mission APD ne représente qu'un tiers environ de notre aide totale, qui comprend également 738 millions d'euros issus de la TTF et de la taxe sur les billets d'avions, mais aussi les dépenses de prise en charge des réfugiés et les frais de scolarité des étudiants en provenance des pays pauvres. Selon les derniers chiffres disponibles, l'APD française totale se montait ainsi à 15,3 milliards d'euros, soit 0,56% du RNB, contre seulement 10 milliards d'euros en 2017.

Nous prenons acte de cette stabilisation des crédits budgétaires dans une situation actuelle compliquée sur le plan économique. Faire une pause peut nous permettre de nous concentrer davantage sur l'évaluation de l'impact de l'aide, ce qui est indispensable compte tenu de l'importance des montants en jeu et des résultats pas toujours probants, je pense bien entendu au Sahel. L'essentiel reste d'ailleurs pour nous acquis, avec un niveau de dons-projets élevé par rapport au passé, à environ 1 milliard d'euros.

Par ailleurs, nos préoccupations, inlassablement répétées au fil des années, ont fini par porter, au moins sur un certain nombre de sujets :

-après une période de croissance exponentielle, les engagements annuels de l'AFD, qui ont quadruplé en quelques années, ont été plafonnés depuis deux ans à 12 milliards d'euros. Le contrôle des tutelles sur l'AFD et son intégration à l'équipe France ont été renforcés, avec notamment pour l'ambassadeur un « droit d'initiative » sur les subventions du don-projet de l'AFD et même un avis conforme sur les projets proposés par les agences locales.

Autre satisfaction pour nous, la Chine, qui était encore en 2019 notre 6ème récipiendaire d'APD, est passée à la neuvième place l'année suivante avant de disparaître définitivement ensuite de la liste des 20 premiers bénéficiaires. La Turquie a connu à peu près le même sort.

Toutefois, à côté de ces points positifs, nous avons été surpris par certaines décisions du conseil présidentiel du développement de mai dernier et du comité interministériel de la coopération et du développement (CICID) de juillet. Certaines semblent en effet incompatibles avec la loi d'orientation et de programmation votée à l'unanimité à l'été 2021 par les deux assemblées.

La notion de « pays prioritaires » de l'aide française a ainsi été purement et simplement supprimée. Il y a à mon sens deux raisons à cette suppression. D'une part peut-être, la volonté de ne pas afficher des résultats peu satisfaisants. Nous avons reçu confirmation que l'aide programmable à destination de ces pays les plus pauvres stagne autour de 13% du total de notre APD alors que la loi de 2021 prévoyait qu'elle s'élève à 25% en 2025. Le CICID a inauguré un nouvel objectif : 50% de l'effort financier de l'Etat doit aller en direction PMA et des « pays vulnérables ». Les PMA sont une catégorie bien connue qui regroupe une cinquantaine de pays pauvres. Les « pays vulnérables » sont en cours de définition par le Gouvernement. Selon nos informations, il pourra s'agir de pays à revenu intermédiaire particulièrement menacés par le changement climatique, comme des États insulaires. Or aujourd'hui, c'est déjà 43% de notre effort financier qui va aux seuls PMA : il est évident que si nous y ajoutons les pays dits vulnérables, nous serons vite à 50%. De l'art de remplacer un objectif difficile à atteindre par un objectif qui l'est déjà !

D'autre part, le remplacement des pays prioritaires par un ensemble plus vaste et en partie indéterminé permettra de faire varier les bénéficiaires en fonction des priorités politiques du Gouvernement. Il est certes utile de ne pas donner l'impression que l'aide constitue une rente. Mais il faut aussi prendre garde à ne pas la politiser à l'excès. Cette politique publique vise avant tout à lutter contre la pauvreté extrême, contre la faim, pour l'amélioration de la santé publique, pour l'éducation et la formation dans les pays qui en ont le plus besoin. S'il nous faut tirer une leçon de ce qui s'est passé cet été en Afrique de l'Ouest, c'est bien que la politique sécuritaire ne peut se dispenser d'une politique de développement. Ne laissons pas le champ libre aux entrepreneurs religieux extrémistes pour ouvrir des écoles et des centres de santé !

Enfin, les PMA étant au nombre d'une cinquantaine, alors que les pays prioritaires n'étaient que 19, il y a un risque majeur de saupoudrage d'une aide en dons qui n'est déjà pas si abondante.

Autre disposition de la loi non encore mise en oeuvre : la Commission d'évaluation de l'aide publique au développement. Les représentants de la direction générale du Trésor ont évoqué une prochaine sortie de crise mais nous attendons de voir !

Enfin, depuis l'attaque terroriste du Hamas, des questions ont été posées sur l'utilisation de l'aide au développement, notamment française et européenne, dans les territoires palestiniens. Nous avons demandé au Quai d'Orsay et à l'AFD de nous fournir tous les éléments sur les contrôles qui existent en la matière, que ce soit en amont ou pendant l'exécution des projets. Les éléments que nous avons reçus sont plutôt rassurants - nous les tenons d'ailleurs à votre disposition - mais nous allons poser un certain nombre de questions supplémentaires pour aller plus loin.

Voilà les principales observations que je souhaitais faire ; sous les réserves émises je vous propose de donner un avis favorable aux crédits de la mission.

M. Patrice Joly, rapporteur pour avis. - Monsieur le président, mes chers collègues, mon co-rapporteur est déjà revenu sur la non-atteinte de l'objectif fixé par la loi du 4 août 2021 pour l'aide aux pays prioritaires. Je souhaiterais compléter cette information en évoquant les deux autres indicateurs que notre commission avait introduits dans la loi.

Premièrement : la cible de 65% minimum d'aide bilatérale sur la période 2022-2025, afin de rééquilibrer une aide multilatérale jugée trop importante. Nous n'y sommes pas encore mais les choses s'améliorent : la part bilatérale devrait s'élever à 60% de notre aide en 2023 et 62% en 2024.

Deuxièmement, s'agissant de la part minimale des dons par rapport aux prêts, la loi a fixé une cible de 70%, en réalité très peu ambitieuse compte tenu de son mode de calcul. Celle-ci est donc, logiquement, déjà largement dépassée.

Il faut cependant surtout retenir que, là également, la situation s'améliore. Ceci est dû à l'accroissement des crédits en dons de la mission APD et à la stagnation des prêts de l'AFD, deux axes que notre commission a régulièrement soutenus.

Il faut ajouter que le contexte économique international que nous connaissons oblige à tendre, plus encore, vers une diminution des prêts et une augmentation des dons au sein de notre APD.

En effet, deux facteurs doivent être impérativement pris en compte:

D'abord, la question de la dette. Au début des années 2000, une crise de la dette a frappé de nombreux pays en développement, dont beaucoup sur le continent africain. L'initiative internationale « pays pauvres très endettés » avait permis d'annuler une grande partie de cette dette.

Aujourd'hui, cet endettement excessif est de retour et entrave fortement les efforts pour lutter contre la grande pauvreté. Selon le FMI, en 2013, 22% des pays à faible revenu étaient classés en risque élevé de surendettement. En juin dernier, ils étaient 52%. Il faut souligner que le surendettement crée un cercle vicieux pour de nombreux pays en développement, souvent plus exposés au dérèglement climatique, et dans l'incapacité de financer des mesures d'adaptation à cette situation.

Le Quai d'Orsay et la direction du trésor nous ont fait valoir que cette fois, les créanciers souverains et les banques de développement multilatérales ou bilatérales comme l'AFD ont peu de responsabilité dans le phénomène. La dette est en effet surtout détenue par les acteurs privés et par la Chine.

Néanmoins, cette nouvelle crise a eu deux conséquences. D'abord, la France vient de revoir sa doctrine de prêts, dans le sens d'une plus grande prudence. Ensuite, en novembre 2020, les membres du Club de Paris et du G20 ont adopté un « Cadre commun pour les traitements de dette », en s'efforçant, avec un certain succès, d'impliquer la Chine. Dans ce cadre, la France n'accorde plus d'annulation de dette comme par le passé mais uniquement des rééchelonnements. Cela a été le cas au Suriname et à l'Argentine en 2022, et il est envisagé de faire de même en 2024 en faveur de la Zambie, de l'Éthiopie, du Ghana et du Sri Lanka.

Dans le même ordre d'idées, le sommet de Paris sur un nouveau pacte financier mondial de juin dernier visait à répondre aux attentes des pays du Sud tant en matière de réforme de l'architecture financière internationale que d'accroissement des financements pour le développement. En effet, les besoins sont immenses : il faudrait environ 2 400 milliards de dollars pour atteindre les objectifs de l'Agenda 2030 des Nations unies. Ce sommet n'a pas permis d'avancées décisives. Néanmoins, quelques résultats intéressants ont été obtenus, comme le rééchelonnement de la dette de la Zambie ou la mobilisation de 100 Mds de dollars de droits de tirage spéciaux (DTS) pour les pays vulnérables. Par ailleurs la France, aux côtés de différents partenaires, s'est engagée à insérer dans ses prêts des clauses de suspension de la dette en cas de catastrophe climatique.

Deuxième élément essentiel lié au contexte économique mondial : la hausse des taux d'intérêt a fait exploser le coût pour le budget des prêts bonifiés de l'AFD. Ainsi, les autorisations d'engagement du programme 110, permettant à l'agence de faire ces prêts, sont passées de 1,1 milliard d'euros en 2022 à 2 milliards au sein du PLF 2024. Bref, les prêts nous coûtent beaucoup plus cher qu'avant. Ceci questionne la préférence française pour les prêts, l'Etat devant désormais payer plus pour générer un même montant d'aide publique au développement avec cet instrument.

Cependant il faut noter que le recours aux prêts présente l'avantage de mobiliser des sommes importantes et donc d'apporter une réponse aux besoins financiers considérables des pays en développement dans un contexte de fortes contraintes budgétaires. Les projets financés par des prêts mobilisent, selon Coordination SUD, des montants en moyenne 13 fois plus élevés que les projets financés par dons et donc sur leur taille et leur nature.

Ceci n'est pas sans incidences sur la ventilation géographique et sectorielle de l'APD française.

A cet égard, le Comité d'Aide au Développement de l'OCDE a indiqué dans son évaluation de 2021 que la France devait augmenter sensiblement son aide bilatérale pilotable sous forme de dons. Ce qui se comprend aisément puisque les dons sont indispensables pour assurer le renforcement des services sociaux de base, notamment la santé, l'éducation, l'eau, assainissement et hygiène (EAH) et la protection sociale. Ces services, essentiels à la réalisation des droits fondamentaux de toutes et tous, devraient pourtant être une des priorités de l'APD française.

Je voudrais enfin relayer deux préoccupations légitimes des organisations de la société civile (OSC), dont je rappelle qu'elles sont au plus près des besoins des communautés et qu'elles jouent un rôle important dans la mise en oeuvre de notre aide publique au développement :

- d'abord une préoccupation sur les effets de la suspension de l'aide française au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Le portefeuille de l'AFD au Niger comprenait 52 projets en cours d'exécution, pour 725 millions d'euros d'engagements, dont 224 millions € de reste à verser. Un total de 29 OSC françaises et environ 50 OSC locales étaient financées par ce biais. Plusieurs projets de développement économique et agricole ou d'accès à la santé et à l'eau sont ainsi arrêtés, ce qui pénalise davantage les populations concernées que les putchistes. Les OSC demandent donc que, comme cela était le cas par le passé, une différenciation soit appliquée entre l'aide directement versée aux gouvernants, dont il semble cohérent qu'elle soit suspendue, et celle qui arrive au plus près du terrain via les OSC, qui pourrait être maintenue ;

- en second lieu, les OSC sont favorables à une hausse de la part de la taxe sur les transactions financières (TTF) bénéficiant à l'aide au développement. J'y suis également favorable. Nous ne pouvons pas déposer un amendement sur ce sujet car il enfreindrait l'article 40. Je déposerai donc pour la séance avec mon groupe un amendement demandant un rapport du Gouvernement pour appréhender les conséquences d'un déplafonnement de la TTF dans son volet portant sur la solidarité internationale. Compte tenu du rendement dynamique de la TTF et des objectifs qui avaient inspiré sa création, il est surprenant de maintenir, année après année, le plafonnement à 528 millions d'euros de ses recettes affectées au Fonds de solidarité pour le développement. Cette piste qui pourrait d'ailleurs se combiner avec des mesures connexes telles que l'élargissement de l'assiette de la TTF ou le relèvement de son taux.

Au total, en raison des points négatifs évoqués comme le non-respect de certaines orientations de la loi du 4 août 2021, mon groupe s'abstiendra sur ces crédits de la mission « APD » pour 2024. En séance, nous voterons contre l'adoption de la mission si l'amendement de la commission des finances, qui prévoit de « raboter » 200 millions d'euros, est adopté. En effet, cette réduction des crédits va peser sur les dons versés par l'AFD, ce qui nous paraît contre-productif au moment où les pays bénéficiaires risquent de voir les financements en prêts se réduire du fait de la crise de la dette.

Je vous remercie.

M. Rachid Temal. - Nous étions défavorables à la création d'un Conseil présidentiel du développement et nous avions vu juste : le dernier conseil a effacé la loi de 2021. Il faut que nous puissions faire une mission flash pour montrer tous les points sur lesquels la loi n'est pas respectée. Quant à la commission d'évaluation, elle visait à mieux contrôler l'AFD. Au départ, nous étions contre le rattachement à la Cour des comptes, mais maintenant qu'elle l'est, il est normal qu'elle soit présidée par son Premier président. Notre commission ne doit pas faire de nouvelle proposition de loi mais simplement demander l'application du texte. Troisième point, l'AFD est une banque, il ne faut donc pas s'étonner qu'elle prête aux pays émergents. Il faut séparer organiquement l'activité bancaire de prêts et l'activité de dons. Il faudrait enfin que la prochaine loi de programmation commence à être travaillée dès maintenant, sinon elle va encore être très décalée.

M. Alain Joyandet. - En tant que membre du conseil d'administration de l'AFD, je suis heureux d'entendre que l'agence se conforme à certaines orientations souhaitées par la commission. En 2024, elle organisera un événement permettant de mieux expliquer aux parlementaires ce que fait l'AFD dans le monde. Si la commission d'évaluation existait et travaillait, les parlementaires disposeraient d'éléments pour évaluer l'action de l'agence. Les échanges de courriers entre le président de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale et le président de la Cour des comptes sont surréalistes. Nous devrions rappeler les interlocuteurs à la dignité. Cela ne me gêne pas que le président de la Cour des comptes préside la commission. S'agissant des pays où l'aide a été suspendue, je suis totalement d'accord avec ce qu'a dit Patrice Joly sur le fait qu'il faut distinguer entre les financements qui vont directement aux gouvernements et ceux qui arrivent aux populations sur le terrain, aussi longtemps bien sûr qu'il n'y a pas de risque pour la sécurité de nos agents. Enfin, je regrette que l'on plafonne les prêts de l'AFD à 12 milliards d'euros. Ce n'est pas de l'argent budgétaire. Lorsqu'on fait un prêt à la Chine, on fait du bénéfice et on est sûr d'être remboursés. Cela nous permet de prêter à des pays qui ne vont pas si mal et cela permet aux entreprises françaises de participer aux travaux d'infrastructures liées à ces prêts. Cela fait partie de l'influence de la France. Pour certains pays, on va être obligés de refuser d'aider alors que faire des prêts permet aussi d'avoir des marges pour faire des dons.

M. Roger Karoutchi. - Malgré mon estime pour les rapporteurs et pour le représentant du Sénat au conseil d'administration de l'AFD, je voterai contre ce budget. À la commission des finances, j'avais demandé que nous auditionnions le directeur général de l'AFD. C'est un Etat dans l'Etat, et aucun autre organisme n'a un tel budget sans être totalement intégré à l'administration française. Il n'y a pas de moyen réel de contrôle et d'évaluation de son action. J'avais posé une question à M. le Drian, qui m'avait indiqué qu'une structure de contrôle vertical allait être mise en place pour assurer le contrôle de l'AFD par le ministre. Cela n'a pas été fait. Lorsqu'on demande à Olivier Véran s'il y a un contrôle de l'aide à Gaza, pour lesquels nous sommes les premiers donateurs, il répond que non. 15 milliards d'APD, ce n'est pas rien pour un pays endetté comme le nôtre. Je suis favorable à ce qu'on aide les pays les plus pauvres. En revanche un prêt à la Chine ou à la Turquie parce qu'ils savent rembourser, ce n'est pas l'objectif de l'aide au développement. Tant qu'on ne réforme pas complètement l'AFD, je ne voterai pas les crédits de l'aide au développement.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Il nous faut auditionner le directeur général de l'AFD. Au-delà de la présentation préparée par l'auditionné, les questions-réponses permettent d'avoir des éclaircissements.

Mme Michelle Gréaume. - Il est curieux que l'Outre-mer soit financée par l'AFD. Ce devrait être comme la métropole. Je suis d'accord sur ce qui a été dit sur la suspension des aides, notamment en matière d'adduction d'eau.

M. Christian Cambon, rapporteur. - Sur la commission d'évaluation, j'ai proposé, pour sortir de cet imbroglio, que le président de la Cour des comptes désigne un vice-président qui pourrait être élu par les membres de la commission. Concernant les OSC, nous avons reçu Coordination Sud, il n'est pas raisonnable de suspendre toutes les aides parce que nous avons été chassés de trois pays d'Afrique. Ce sont les populations qui souffrent les premières. Sur l'AFD, dès l'origine la Caisse centrale de coopération économique était une banque, qui a gardé cette vocation de banquier. L'AFD, ce sont deux compétences : une banque de développement et une agence de dons. L'idéal serait de mieux séparer les deux activités. Par ailleurs, 12 milliards, ce sont des prêts, ce n'est pas le budget de l'AFD. Le budget en dons n'est que de 2 milliards d'euros. En réalité, l'AFD, par sa puissance financière, permet au chef de l'Etat d'annoncer des aides dans les rencontres internationales. Je souhaite que ce budget soit voté mais que les objections soient faites en séance. Par ailleurs, il nous faut mieux nous coordonner avec la commission des finances.

M. Patrice Joly, rapporteur. - Sur la commission d'évaluation, on a affaire à une compétition au sein de l'aristocratie de la fonction publique. S'agissant des OSC, elles ne se sentent pas globalement en insécurité au sein des pays concernés. S'agissant de l'AFD, le dernier contrat d'objectifs et de moyens a été signé à la fin de la période considérée. Il faut accélérer pour le prochain COM, sinon il sera difficile de contrôler les choses.

La commission émet un avis favorable aux crédits de la mission « Aide publique au développement » au sein du PLF 2024.