Jeudi 30 novembre 2023

- Présidence de Mme Dominique Vérien, présidente -

Audition de Mme Bérangère Couillard, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations

Mme Dominique Vérien, présidente. - Mes chers collègues, nous auditionnons aujourd'hui Mme Bérangère Couillard, ministre chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.

Madame la Ministre, c'est la première fois que nous vous accueillons au sein de la délégation aux droits des femmes du Sénat en audition plénière depuis votre nomination au Gouvernement.

Cette matinée est l'occasion pour vous de nous présenter les priorités de votre feuille de route ministérielle. Pour nous, elle est l'occasion de vous interroger sur le financement de ces priorités et sur le bilan de la politique gouvernementale en matière d'égalité et de lutte contre les violences faites aux femmes, notamment depuis le Grenelle de novembre 2019.

En effet, la politique gouvernementale de lutte contre les violences faites aux femmes s'inscrit toujours dans le cadre des mesures annoncées le 25 novembre 2019 lors du Grenelle de lutte contre les violences.

Pouvez-vous nous présenter le bilan chiffré des dispositifs mis en oeuvre à ce jour : ordonnances de protection effectives, téléphones « grave danger » distribués et opérationnels, nombre de places d'hébergement et leur attribution par territoire, éventuellement des bracelets anti-rapprochement ? En outre, la montée en charge du « pack nouveau départ », annoncé par votre prédécesseure l'année dernière, a pris du retard : pour quelle raison ? Quels ont été les obstacles à son déploiement ? Quelles sont les projections du Gouvernement concernant sa généralisation ?

Ce bilan des dispositifs mis en oeuvre dans le cadre de la lutte contre les violences faites aux femmes soulève deux questions connexes : celle du pilotage de cette politique publique et celle du budget qui lui est dédié.

La question du pilotage me tient particulièrement à coeur, surtout depuis la publication du rapport du plan « Rouge VIF » que j'ai co-rédigé avec notre collègue députée Émilie Chandler.

L'absence de coordination interministérielle dans le suivi de l'application des mesures de lutte contre les violences est préjudiciable : c'est un point sur lequel le Gouvernement devra, semble-t-il, nettement s'améliorer. Il me semble que c'est un ou une ministre qui devrait en être chargé. Pourquoi pas vous ? À condition bien sûr que la Première ministre vous appuie suffisamment pour gagner les négociations avec les récalcitrants...

De façon plus générale, en septembre dernier, un rapport de la Cour des comptes a dénoncé l'absence de politique continue et coordonnée en matière d'égalité femmes-hommes. Que pouvez-vous répondre à ces critiques ?

Ensuite, la question du budget est évidemment primordiale. Les crédits du programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes » s'élèvent, pour 2024, à 76 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP), soit une augmentation de 16,26 % en CP et de 22,8 % en AE par rapport à la loi de finances initiale pour 2023.

L'augmentation des crédits de 13 millions d'euros, constatée à périmètre courant sur un an, est presque entièrement absorbée par la mise en oeuvre de l'aide exceptionnelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales issue de la proposition de loi sénatoriale de notre ancienne collègue Valérie Létard.

Toutefois, comme l'ont souligné nos collègues rapporteurs spéciaux de la commission des finances, Éric Bocquet et Arnaud Bazin, à périmètre constant, les dépenses en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes n'augmenteraient que de 0,9 million d'euros en AE, et connaîtraient même une diminution de 2,4 millions d'euros en CP entre 2023 et 2024.

Nos collègues de la commission des finances du Sénat ont également estimé qu'il convenait de rester vigilant sur la mise en oeuvre de cette aide d'urgence, et ont rappelé que les associations de lutte contre les violences faites aux femmes ont relevé que le montant budgété risquait de n'être pas suffisant pour assurer une appropriation large de cette aide par les victimes. Si elle est universelle, ce n'est pas suffisant. Mais il existe peut-être des critères d'attribution, dont je n'ai pas connaissance.

En outre, un certain nombre d'interrogations entourent encore la mise en oeuvre de cette aide, notamment s'agissant de la concertation en amont des principaux acteurs concernés par son application, en premier lieu les caisses d'allocations familiales.

Plus largement, les associations féministes réclament un véritable « plan Marshall » dédié au financement de la politique de lutte contre les violences et en faveur de l'égalité, estimant qu'aujourd'hui, le compte n'y est pas. La Fondation des femmes a récemment publié un rapport à ce sujet.

Je sais qu'on ne peut pas comparer avec l'Espagne car au sein des chiffres annoncés dans le plan espagnol, on trouve également tous les financements des collectivités. En France, si on ajoutait à ce que finance l'État les montants consacrés par les départements et les régions pour participer à cette lutte, nous aurions probablement un autre regard. Ce qui amène une autre question : pourquoi ne pas essayer de chiffrer ce montant consolidé ? Ainsi nous pourrions comparer ce qui est comparable et mesurer l'effort restant à fournir.

Mais, bonne nouvelle, les associations vont pouvoir être financées dans le cadre de conventions pluriannuelles. C'est l'une des préconisations du plan rouge VIF, dont la mise en oeuvre a été annoncée par la Première ministre récemment.

Pouvez-vous nous apporter des précisions sur le montant des financements pluriannuels dédiés à cette politique de lutte contre les violences intrafamiliales d'ici la fin du quinquennat, notamment dans le cadre du plan interministériel pour l'égalité 2023-2027 ?

Pour ma part, vous savez que je plaide pour la création d'un fonds dédié à la lutte contre les violences intrafamiliales afin de ne plus entendre de la CAF « je n'ai pas de ligne pour ça » ou du ministère de la justice « il faut un autre financeur pour que j'intervienne ». Je pense particulièrement à un projet que je vous avais soumis. Il faudrait donc une espèce d'ANRU, une agence nationale, pour la politique de lutte contre les violences intrafamiliales.

Enfin, le Gouvernement a annoncé la mise en place d'un « budget genré » pour 2025 : quelles en seront les modalités ?

Madame la Ministre, je vous laisse sans plus tarder la parole et je proposerai, après votre propos introductif, à mes collègues d'intervenir.

Mme Bérangère Couillard, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. - Merci, Madame la Présidente, Mesdames et Monsieur, membres de la délégation aux droits des femmes du Sénat.

Je suis heureuse d'être devant vous. C'est l'occasion pour moi de connaître ma première audition au Sénat en tant que ministre en charge de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.

Je salue avant toute chose votre élection, chère Dominique Vérien, en tant que nouvelle présidente de la délégation. Je vous souhaite le meilleur pour ce mandat. Je remercie également Annick Billon pour son engagement et pour l'énergie déployée durant son précédent mandat à la tête de cette même délégation.

J'ai été députée et membre de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale. J'ai donc un grand respect pour les délégations, quelles qu'elles soient, au Sénat et à l'Assemblée nationale. Je souhaite aussi la bienvenue à toutes les nouvelles sénatrices et aux nouveaux sénateurs qui viennent de rejoindre cette instance au sein de laquelle on mène des travaux formidables, sur des thématiques à la croisée de plusieurs ministères. Il est toujours extrêmement plaisant d'y travailler.

Cette audition est un passage obligé auquel j'ai plaisir à me soumettre. Je crois en la nécessité de vous rendre compte, à vous, représentants des citoyens français, et particulièrement des collectivités locales, de l'action du Gouvernement, et notamment de mon ministère. La délégation aux droits des femmes joue un rôle crucial dans l'évaluation de nos politiques publiques. Votre vigilance constante sur chacune d'entre elles est indispensable pour faire progresser la condition et l'émancipation des femmes en France, et ainsi réduire les inégalités entre les femmes et les hommes. C'est une plus-value.

Depuis 2017, le Président de la République a érigé l'égalité entre les femmes et les hommes comme grande cause de ses deux quinquennats successifs. Avec votre appui, une action sans précédent a été engagée, notamment pour lutter contre les violences faites aux femmes. Ce second quinquennat porte la même ambition pour la cause des femmes. C'est d'ailleurs pour cette raison que la Première ministre a présenté le 8 mars dernier le plan interministériel Toutes et tous égaux pour l'égalité entre les femmes et les hommes 2023-2027. Il se décline en 161 mesures réparties en quatre axes prioritaires qui orientent l'action des ministères sur les prochaines années : la lutte contre les violences faites aux femmes, la santé des femmes, l'égalité professionnelle et économique, et la culture de l'égalité. C'est ainsi qu'a été construite ma feuille de route. Ce sont les sujets sur lesquels j'entends mener une action prioritaire.

Dans notre lutte contre les violences intrafamiliales, et particulièrement contre les violences conjugales, nous avons fait un très grand pas. Cette question est devenue une préoccupation majeure qui traverse l'ensemble de la société et interpelle tous les Français. Vous y avez, nous y avons, largement contribué. Le Grenelle des violences conjugales a permis un débat public exclusivement consacré à la lutte contre ces dernières. Nous avons voté cinq textes de loi, mis en place de nombreux dispositifs qui permettent de mieux protéger les victimes de violences conjugales. Pour répondre d'ores et déjà à certaines de vos questions, Madame la Présidente, nous pouvons dresser un premier bilan de ces actions.

Notre priorité a été de nous concentrer sur le recueil de la parole des victimes. Cela s'est traduit par l'extension du soutien aux victimes sur la ligne téléphonique 3919, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, par la formation de plus de 150 000 policiers et gendarmes aux violences intrafamiliales et sexuelles. 100 % des élèves sortant des écoles de police et de gendarmerie sont aujourd'hui formés. Nous avons aussi développé des dispositifs pour protéger les femmes. Je peux notamment citer le doublement des places d'hébergement d'urgence, passées de 5 000 quand nous sommes arrivés en responsabilité à plus de 10 000 en 2023. Il y en aura 1 000 de plus l'année prochaine. Nous avons également permis l'attribution de 1 000 bracelets anti-rapprochement. Pour assurer un déploiement encore plus large, une nouvelle génération de bracelets arrive cette fin d'année. Nous savons qu'ils n'étaient pas réputés pour leur grande efficacité, ce qui occasionnait un blocage. Par ailleurs, 5 000 téléphones grave danger ont été déployés, et un stock tampon permet de répondre aux urgences. Il n'y a donc pas de difficultés d'approvisionnement en la matière. Nous avons délivré 6 000 ordonnances de protection en 2021 - je ne dispose pas des éléments de 2022, mais les chiffres doivent être légèrement plus élevés -, en augmentation de 90 % depuis que nous avons voté les lois nécessaires pour réduire le délai d'attribution à six jours. Ce délai s'établissait à quarante jours lorsque nous sommes entrés en responsabilité. Nous avons l'intention de le passer à 24 heures, grâce à votre travail avec Émilie Chandler dans le cadre du rapport « Rouge VIF ».

Nous nous sommes également attachés à traiter les auteurs. En 2020 et 2021, nous avons ouvert dix-huit, puis douze centres, ce qui représente trente centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales. Ils offrent un accompagnement psychologique, social, une réinsertion à l'emploi, et un traitement des addictions, souvent rencontrées chez ces publics. Dans 50 % des féminicides, le conjoint est sous l'emprise de l'alcool. Il n'est d'ailleurs pas rare que les deux personnes soient sous l'emprise de l'alcool pendant les faits. Traiter les problèmes rencontrés par les auteurs vise à éviter la récidive, encore bien trop importante dans notre pays. Son taux s'élève à 40 % en moyenne. Il nous faut la réduire. Même si l'auteur ne récidive pas avec la même victime, il pourra recommencer ses violences avec une autre. Le cercle est alors sans fin.

14 000 auteurs ont été accompagnés l'année dernière. 90 % d'entre eux sont venus sur décision de justice ; seuls 10 % étaient volontaires. Je souhaite développer ce volontariat pour faire en sorte de prendre le mal à la racine et pour traiter beaucoup plus rapidement ces individus. Il y a des pervers narcissiques, bien sûr, mais aussi des hommes qui ont besoin de se faire accompagner, mais ne savent pas vers qui se tourner. Faire connaître ces centres pourrait occasionner chez eux un déclic pour qu'ils demandent de l'aide.

Je pense qu'il est important de vous donner quelques chiffres sur la réponse pénale. En 2022, ce sont 49 616 condamnations qui ont été prononcées, contre seulement 22 206 en 2017. Nous avons plus que doublé leur nombre. 39 641 auteurs ont été éloignés en 2022. Ils n'étaient que 11 300 en 2017.

Malgré le bilan que je vous dresse sur les principaux dispositifs déployés - vous le savez, ils sont beaucoup plus nombreux que cela -, je pense que nous devons avoir l'humilité de dire que nous ne sommes pas satisfaits des résultats. Je le dis depuis mon arrivée en responsabilité dans ce ministère. C'est pour cette raison que nous allons continuer à agir. Les féminicides ne baissent pas, ou pas suffisamment pour que nous le mentionnions, ce qui nous oblige à continuer le déploiement de dispositifs. Madame la Présidente, vous évoquiez l'Espagne, pays pionnier que nous regardons avec beaucoup d'intérêt. Il y a fallu sept ans pour que le nombre de féminicides décroisse. Nous n'avons évidemment pas pour objectif d'attendre si longtemps, mais bien d'avancer plus vite. Simplement, il ne suffit pas de déployer des dispositifs pour qu'ils fonctionnent immédiatement. Il faut également s'assurer de leur déploiement, de leur bon fonctionnement. C'est aussi ma mission. Lorsque j'ai pris des responsabilités à ce ministère, j'ai souhaité autant évaluer les politiques publiques engagées qu'en déployer de nouvelles lorsqu'il était nécessaire d'agir. Nous devons répondre à l'urgence que sont les féminicides dans notre pays.

Nous avons rapidement évoqué les ordonnances de protection. Nous allons passer à un délai de 24 heures pour la délivrance des ordonnances urgentes. Cette proposition émane du plan « Rouge VIF » et illustre le travail nourri des parlementaires, au Sénat et à l'Assemblée nationale. Nous voterons très rapidement cette proposition de loi, qui sera examinée d'abord à l'Assemblée nationale, puis au Sénat.

Je peux également mentionner la création des pôles spécialisés dans les violences intrafamiliales dans toutes nos juridictions, action puissante. Il est nécessaire qu'il y ait davantage de communication entre le civil et le pénal. Je suis persuadée que ces pôles permettront de mieux accompagner les victimes.

Nous souhaitons également faciliter les séparations des victimes et des agresseurs. Pour cette raison, nous déployons le Pack nouveau départ et l'aide d'urgence, dispositifs sur lesquels vous m'avez interrogée. En moyenne, les femmes ont besoin de sept allers-retours pour quitter définitivement le domicile de leur bourreau. Nous souhaitons déployer le Pack nouveau départ dans cinq départements. Le Val-d'Oise a été en pré-expérimentation. Pour le Lot-et-Garonne, les Bouches-du-Rhône, la Côte-d'Or et La Réunion, le déploiement aura lieu en fin d'année. Madame la Présidente, nous ne sommes pas en retard. Il n'a jamais été question de lancer ce pack avant l'été dans ces cinq départements, mais bien d'avoir un département précurseur qui mènerait les pré-expérimentations pour que nous nous assurions que le dispositif fonctionne dans les quatre autres territoires au sein desquels il sera déployé. Ce sera le cas en cette fin d'année. J'ai tenu récemment un comité de pilotage dans le Val-d'Oise. Le dispositif fonctionne bien. Il a été bien testé par les agents de la Caisse d'allocations familiales (Caf). Plus d'une vingtaine de femmes ont été accompagnées. Nous pouvons désormais procéder au déploiement dans les quatre autres départements. Nous nous assurerons ainsi du bon fonctionnement de ce dispositif. Cette mise en place a nécessité un long travail d'ingénierie. Nous n'y enregistrons pas de réel retard.

Vous avez parlé de l'aide d'urgence, créée par la loi du 28 février 2023. Cette mesure forte sera mise en place à compter du 1er décembre, comme prévu. Simplement, nous n'étions pas certains d'avoir les crédits nécessaires. Nous pouvions donc mettre en place le dispositif, mais nous avions besoin des moyens associés. Pour cette raison, j'ai choisi de débloquer 1,5 million d'euros dès décembre. Ils n'avaient pas été prévus dans le projet de loi de finances pour 2023, mais il nous faut être prêts immédiatement. Ensuite, 10 millions d'euros supplémentaires sont consacrés à l'aide d'urgence pour l'année prochaine.

Nous réfléchissons également à un meilleur accompagnement des enfants, victimes collatérales des violences conjugales. La lutte contre les violences faites aux femmes inclut également la lutte contre celles faites aux enfants. Il est indispensable que nous nous y intéressions. Je sais que vous y avez travaillé dans le cadre du plan « Rouge VIF ».

La lutte contre les violences faites aux femmes inclut également la lutte contre l'exploitation et la traite des êtres humains. En France, l'exploitation sexuelle est la première forme d'exploitation. Les victimes identifiées par les forces de l'ordre et les forces de sécurité intérieure, accompagnées par les associations, sont en majorité des femmes. Si la loi de 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées constitue un combat important, son application réelle et complète nécessite encore des efforts. Je porterai donc un troisième plan national de lutte contre la traite des êtres humains. En parallèle, avec Charlotte Caubel, nous lancerons une première stratégie nationale de lutte contre le système prostitutionnel. Nous avons choisi de renforcer la loi de 2016 dans tous ses aspects : les commissions départementales, les parcours de sortie de la prostitution, la pénalisation des clients, l'utilisation de l'ensemble des moyens et de l'aide financière à l'insertion sociale, destinés à la sortie des parcours de prostitution.

Enfin, je veux attirer votre attention sur les femmes dans l'industrie pornographique, question à laquelle, je le sais, vous êtes sensibles et sur laquelle vous êtes engagés. Je souhaite à ce titre saluer la qualité du travail que vous avez fourni l'année dernière dans le cadre du rapport Porno, l'enfer du décor, publié en septembre 2022. J'ai eu l'occasion d'échanger il y a quelques semaines, dans ces murs, avec les rapporteures. Le rapport réalisé par le Haut conseil à l'égalité, plus récemment, a réaffirmé et documenté l'ampleur des violences faites aux femmes dans l'industrie pornographique. La lutte contre ces violences constitue une priorité de mon mandat et figure explicitement dans ma feuille de route. J'ai donc initié un groupe de travail interministériel avec les ministères de l'intérieur, de la justice, du travail, de la culture, du numérique, pour aborder le sujet dans ses différentes dimensions. Le ministère de la santé nous a rejoints dans ce travail. Nous travaillerons dans les prochains mois à faire émerger et à expertiser des mesures sur le retrait des contenus comportant des tortures et actes de barbarie, sur le droit à l'oubli, sur le retrait des contenus lorsque la personne concernée le demande et sur le respect du droit du travail. Je sais l'attente forte de la délégation sur ces sujets. Je veux saluer l'implication sans faille de ses membres pour les faire avancer.

Dans un autre domaine, en matière de santé des femmes, de belles victoires ont été obtenues ces dernières années. Il s'agit maintenant de concrétiser de nombreux engagements. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024 compte plusieurs mesures à souligner, dont le remboursement des préservatifs féminins pour les jeunes jusque 26 ans, après avoir concrétisé le remboursement des préservatifs masculins, mesure qui a donné les résultats escomptés. Je peux également citer la prise en charge des protections périodiques réutilisables pour toutes jusque 26 ans et pour toutes celles qui bénéficient de la complémentaire santé solidaire, soit près de 4 millions de femmes. Enfin, l'élargissement de la compétence des pharmaciens sur les cystites simples permet d'en traiter 80 % sans attendre un rendez-vous chez le médecin.

Je sais que votre délégation est particulièrement attentive à la santé des femmes, comme le prouve l'un de vos rapports publié en juin dernier. Nous regardons avec attention vos vingt-trois propositions concrètes et détaillées, je vous l'assure.

La mesure sur laquelle nous sommes les plus attendus aujourd'hui est sans aucun doute la constitutionnalisation de l'IVG. Les événements de l'année dernière aux États-Unis, particulièrement, nous rappellent à quel point les droits des femmes peuvent être fragiles. En dix-huit mois, quatorze États américains ont interdit l'IVG. Des femmes risquent aujourd'hui la prison pour avoir eu recours à l'avortement. Je crois pouvoir dire que nous ne sommes pas à l'abri face aux ambiguïtés de certains partis d'extrême droite, même dans notre pays. Le Président de la République envoie donc un signal fort pour affirmer solennellement que rien ne pourra entraver ou défaire cette liberté inhérente aux femmes en annonçant le dépôt d'un projet de loi constitutionnelle. Elle sera inscrite dans notre texte fondamental et sera donc irréversible. C'est aussi un message universel de solidarité à toutes les femmes qui voient aujourd'hui cette liberté bafouée. Grâce au travail parlementaire, issu de l'Assemblée nationale puis du Sénat, grâce au travail transpartisan et consciencieux que vous avez réalisé, je crois qu'il est temps de saisir ce moment historique, politique de consensus. Le projet constitutionnel a été soumis au Conseil d'État. Il sera soumis au conseil des ministres le 13 décembre prochain. Nous irons au bout de la promesse faite par le Président de la République. L'idéal serait d'aboutir au mois de mars. À nous d'être efficaces.

Notre pays progresse également vers une réelle égalité professionnelle. Nous avons parcouru beaucoup de chemin depuis que nous sommes en responsabilité. Les résultats confirment que nous empruntons une trajectoire positive. Le revenu salarial moyen des femmes en France est encore inférieur de 24 % à celui des hommes dans le secteur privé, en 2021. À poste comparable, en équivalent temps plein, l'écart salarial s'établit à 4,3 %. Nous avons commencé à agir sur les écarts salariaux à poste égal. Nous devons maintenant agir sur les autres écarts. L'une des problématiques majeures concerne les temps partiels subis.

Pour y remédier, nous devons d'abord nous concentrer sur les modes de garde des enfants. Le bénéfice de l'aide à la garde d'enfants - le complément du libre choix de mode de garde ou CMP - a déjà été prolongé des 6 ans de l'enfant à ses 12 ans pour les familles monoparentales. L'allocation de soutien familial a été augmentée de 50 % pour atteindre 185 euros par enfant et par mois dès novembre 2022. Nous allons créer le service public de la petite enfance.

En parallèle, nous déployons le plan Toutes et tous égaux. Lors de la conférence sociale, la Première ministre a annoncé qu'il nous fallait bâtir un nouvel index d'égalité professionnelle pour corriger les biais de l'index actuel. Les concertations avec les partenaires sociaux débuteront dès le mois de janvier. Ce nouvel index devrait être plus ambitieux, plus transparent, plus fiable et mieux contrôlé. Il devra servir dans les négociations entre les syndicats et le patronat.

Nous en profiterons pour mettre en oeuvre l'éga-conditionnalité de la commande publique. Je crois que c'est indispensable pour agir sur l'égalité entre les femmes et les hommes.

Enfin, je suis assez fière d'annoncer que nous avançons sur la question de la budgétisation intégrant l'égalité. Je viens de lancer une mission en collaboration avec l'IGF (Inspection générale des finances), l'Igas (Inspection générale des affaires sociales) et le SDFE (Service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes) pour que la mise en oeuvre de cette mesure ait lieu dès le PLF et le PLFSS 2025. Les travaux de la mission porteront sur les budgets de l'État et sur la Sécurité sociale. Elle remettra son rapport final au printemps 2024.

Je veux aussi que nous avancions pour concrétiser la culture de l'égalité, que nous appelons toutes et tous de nos voeux. Elle passe, j'en suis convaincue, par l'éducation dès le plus jeune âge. Vous le savez, un rapport de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche a été publié en septembre 2022. Il révèle que moins de 15 % des élèves bénéficient des trois séances d'éducation à la vie sexuelle et affective durant l'année scolaire. C'est pour répondre à ce besoin que le Conseil supérieur des programmes a été saisi le 23 juin dernier pour élaborer un nouveau programme. Les associations féministes et LGBT sont totalement intégrées et sont régulièrement consultées. Un avis sur le nouveau programme est attendu de la part du Conseil au mois de décembre. Dès sa réception, nous allons former le personnel enseignant de l'Éducation nationale, ce qui nous permettra d'intervenir sur l'ensemble des thématiques qui auront été retenues. Les associations ont bien entendu toujours leur part d'implication, puisqu'elles interviendront sur des sujets complémentaires à ceux qui ont déjà été abordés par le corps enseignant. Nous espérons que les nouvelles générations de citoyens auront toutes les clés en main pour aborder le monde avec respect et bienveillance. C'est tout notre objectif.

Nous avons aussi conscience que pour la pleine réussite de la mise en oeuvre de ces séances, il nous faudra rassurer les parents et les familles, sur les contenus qui seront enseignés à nos élèves. Nous travaillons en ce sens, avec la publication du programme par le Conseil supérieur des programmes, ce qui sera, je pense pouvoir le dire, un premier gage de confiance.

Jusque-là, l'application de cette loi n'a pas fonctionné, parce qu'elle était trop aléatoire sur le territoire et que les associations ne sont pas assez nombreuses pour répondre à la demande si tous les établissements l'émettent en même temps. Nous n'avions par ailleurs pas de contenu uniformisé.

Notre ambition politique sur tous les sujets que je viens d'évoquer s'accompagne d'un budget pour 2024. Vous m'interrogiez sur son pilotage. Le budget alloué au programme 137 s'élève à 76 millions d'euros, comprenant une hausse de 10 millions d'euros pour financer l'aide d'urgence aux femmes victimes de violences. Dans le document de politique transversale, vous pouvez même observer que l'ensemble des budgets alloués aux violences faites aux femmes par les ministères dépasse le demi-milliard d'euros, contre 475 millions d'euros en 2023. Un nouvel effort budgétaire significatif est ainsi consenti dans le cadre du PLF 2024 en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes, grande cause nationale qui perdure pour ce quinquennat. Le Comité interministériel à l'égalité entre les femmes et les hommes, sous l'autorité de la Première ministre, se réunira chaque année pour suivre l'avancement de ce plan. Il le fera donc en début d'année prochaine.

Bien sûr, nous ne réussirons pas seuls. Un travail transpartisan est indispensable. Il est primordial de le rappeler. Ici, il est en oeuvre. L'égalité entre les femmes et les hommes nous concerne tous, peu importe notre sensibilité politique. La composition de cette délégation en est l'illustration. Je l'ai mesuré à Genève, lors de l'audition devant le comité de la convention Cedaw (Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes), la France est leader sur ces sujets. Toutes les femmes à travers le monde portent leur espoir sur notre capacité à faire avancer davantage encore la cause des femmes. Vous pouvez compter sur moi pour en être garante.

Je suis maintenant prête à répondre à vos questions.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci pour vos propos. Je me tourne vers mes collègues qui souhaiteraient vous poser des questions.

Mme Annick Billon. - Merci pour vos nombreuses réponses déjà apportées. D'abord, j'aimerais vous interroger sur l'endométriose. Une proposition de loi du Rassemblement national visant à soutenir les femmes qui souffrent d'endométriose a été retirée avant son vote en séance à l'Assemblée nationale. Vous vous êtes dite favorable à un décret pour apporter des réponses et à un texte plus large. Quel en serait le contenu, dans quel délai ? Quel décret envisagez-vous, à quel moment ? L'une des mesures principales de la proposition de loi visait à accorder le statut d'affection de longue durée (ALD) aux femmes victimes d'endométriose.

Lorsque je parle de cette maladie, je ne peux m'empêcher de voir le système extrêmement lucratif mis en place face au manque de spécialistes, qui amène les patientes à se tourner vers des médecines alternatives ou des pseudo-thérapeutes. Parfois, elles paient aussi des interventions extrêmement chères. La start-up Kiffe ton cycle propose des formations en ligne payantes, comprises entre 79 et 225 euros. Kiffe ta ménopause, Kiffe tes règles sans douleur, Kiffe ton endométriose : un certain nombre d'outils se développent faute d'une réponse adaptée en termes de soin ou de spécialistes. Sur ce site, la dernière formation propose un état des lieux de la maladie, de modifier son alimentation pour mieux contrôler ses émotions, et de vivre pleinement malgré l'endométriose. Ces jolis slogans ont un prix pour toutes ces patientes. Avez-vous étudié ce qui se développe sur Internet ? Quelle réponse pouvez-vous y apporter ? Ce sujet concerne énormément de femmes. Qu'en est-il de l'aspect législatif, cette proposition de loi s'étant arrêtée très rapidement à l'Assemblée nationale ?

La Présidente vous interrogeait sur les ordonnances de protection. Vous avez annoncé un passage à un délai de 24 heures pour la délivrance de ces ordonnances. Nous ne pouvons que nous en réjouir. La durée de l'ordonnance constitue aussi un sujet. Notre collège Laurence Rossignol vous interrogeait hier, lors des questions d'actualité au Gouvernement, sur un cas dramatique ayant eu lieu ce week-end. Vous avez également évoqué le Pack nouveau départ et l'aide d'urgence aux femmes victimes de violences. J'aimerais vous interroger sur le pack, expérimenté sur cinq départements. L'aide d'urgence est la résultante de la proposition de notre collègue sénatrice du Nord, Valérie Létard. Elle l'avait expérimentée sur son territoire. Elle était tout à fait opérationnelle. Ne pensez-vous pas que l'expérimentation aurait pu être plus large, au regard de l'urgence et des chiffres observés ?

Ensuite, je souhaite intervenir sur l'hébergement d'urgence. J'étais lundi à Luçon, en Vendée, territoire dont je suis sénatrice. Nous avons, avec le Préfet, les associations, le département et les intercommunalités, inauguré un nouveau logement d'urgence. Je souhaite saluer l'engagement de l'État qui a permis cette ouverture. En même temps, la presse nous alerte sur la diminution du nombre de nuitées sur certains territoires. Je pense notamment à Toulouse. Le nombre de places d'hébergement d'urgence - vous en avez créé 10 000, et 1 000 nouvelles places sont attendues l'année prochaine - s'accompagne-t-il d'une diminution des nuitées ? Observe-t-on un effet de basculement, auquel cas nous n'aurions pas plus de places malgré les hébergements supplémentaires ? La presse quotidienne régionale s'est fait l'écho de ce cas à Toulouse et dans le département.

Enfin, je vous remercie pour vos mots à mon égard en début d'audition. La grande cause du quinquennat, c'était en 2017. Pourtant, les violences conjugales et intrafamiliales et le nombre de féminicides ne chutent pas. C'est une réalité, malgré les budgets, les places ouvertes, les évolutions de la législation. Avec la commission de la culture du Sénat, nous avons auditionné Gabriel Attal dans le cadre du projet de loi de finances. J'ai été extrêmement surprise de voir que nous en étions toujours au même point s'agissant des séances d'éducation à la sexualité. Or le Sénat alerte depuis des années sur les trois séances par an et par niveau. Il y a urgence. Vous avez évoqué nos travaux sur la pornographie. Nous éduquons des générations entières à la sexualité avec la pornographie depuis les années 2000. Quand ferons-nous preuve de cette volonté politique ? Les deux prédécesseurs de Gabriel Attal avaient travaillé sur des référentiels qu'ils nous avaient adressés. Je crois donc que nous disposons des outils. Il en existe dans de nombreux pays. Nous manquons de moyens et d'une vraie volonté politique pour faire appliquer cette loi. Les associations ne feront pas tout.

Tant qu'on ne s'attaquera pas à l'industrie pornographique, nous n'avancerons pas en matière de lutte contre les violences faites aux femmes. Les modèles véhiculés par cette industrie laissent entendre qu'on peut se permettre de la barbarie avec les femmes, dont l'image est extrêmement dégradée. Pour avoir participé à une réunion au Girouard vendredi dernier et avoir entendu le témoignage d'une jeune fille victime de l'industrie pornographique, désormais âgée de 20 ans, mais qui avait 14 ans au moment des faits, je vous le dis, il y a urgence. Ce qu'elle a dû faire, les vidéos tournées à 14 ans, est effroyable.

Mme Marie-Pierre Monier. - Je veux d'abord rebondir sur les places d'hébergement d'urgence. Sur le terrain, la situation est compliquée. Je vois beaucoup d'élus volontaires en intercommunalités pour créer ou donner des logements qu'ils dédient à l'accueil de femmes victimes de violences. Ensuite, il faut un accompagnement. Je rejoins les propos d'Annick Billon : nous avons le sentiment que moins de moyens ont été dédiés à cet accompagnement des femmes en 2022. Il ne suffit pas toujours de les mettre à l'abri. Une enquête de Médiapart l'a pointé en début d'année 2023, faisant état des directives préfectorales concernant l'hébergement des femmes en détresse. Le constat est inquiétant. Les associations accompagnant les femmes victimes de violences seraient contraintes de refuser à certaines d'entre elles une prise en charge et de réduire le nombre de nuitées hôtelières d'urgence qu'elles accordent, dans une logique de gestion de la pénurie des hébergements d'urgence. J'aimerais connaître votre sentiment à ce sujet.

Vous avez évoqué l'éducation à la vie sexuelle et affective. La délégation a traité de ce sujet à de nombreuses reprises au cours des dernières années. Nous avions d'ailleurs demandé qu'un état des lieux soit dressé, ce qui a été fait. Vous avez mentionné les chiffres très inquiétants quant à l'organisation de ces séances. Les propos de Gabriel Attal m'interpellent : il a indiqué qu'il ne fallait pas laisser court au fantasme et à l'instrumentalisation concernant ces séances. Je comprends de votre intervention que vous jugez nécessaire une formation du personnel enseignant et une adaptation des programmes. J'espère que ce ne seront pas uniquement des programmes d'éducation à la sexualité et à la reproduction. Un travail de déconstruction des stéréotypes de genre et d'éducation au consentement doit également être mené. J'espère que vous me rassurerez sur ce point.

Je mentionnerai également le manque de moyens humains des services des droits des femmes. Dans la Drôme, nous pouvons compter sur une déléguée départementale extraordinaire, mais un récent rapport de la Cour des comptes a souligné le fait que les avancées de la politique d'égalité entre les femmes et les hommes menée par l'État étaient limitées au vu des objectifs fixés. Prévoyez-vous de renforcer davantage les effectifs de ces services ?

Ensuite, je suis une rurale et je m'occupe beaucoup des violences faites aux femmes dans les territoires ruraux. La délégation a d'ailleurs publié un rapport sur les femmes et la ruralité, dont j'étais rapporteure et qu'il me semble vous avoir envoyé. Des associations comme les CIDFF assurent des permanences, au plus près des femmes sur le terrain. De petites associations agissent avec les moyens dont elles disposent. Elles ont besoin de plus de moyens. Or, force est de constater que les appels à projets proposés sont majoritairement remportés par les grandes associations. Loin de moi l'idée de dire qu'il faut leur retirer des financements, alors même qu'elles réalisent aussi un travail extraordinaire, mais les plus petites associations disposent souvent de moins d'ingénierie leur permettant de répondre aux appels à projets. Pourtant, je le redis, 50 % des féminicides en France ont lieu en territoire rural, alors même qu'un tiers seulement des femmes y vivent. La violence est là, elle est forte. Ces femmes ont besoin d'être accompagnées. Ces petites structures doivent être prises en considération.

De plus, notre rapport préconisait de nommer un référent égalité au sein des conseils municipaux. Dans les communes rurales, le maire est en première ligne. Il est en lien avec ses administrés pour beaucoup de sujets qui ne concernent pas nécessairement la gestion d'une commune. S'il y a un référent « Défense » au sein des équipes municipales, pourquoi n'est-ce pas le cas en matière d'égalité femmes-hommes ? J'ai porté un amendement au Sénat sur le sujet mais il a été déclaré irrecevable. Peut-être pourriez-vous prendre un décret en ce sens ? Nous pourrions envisager des formations. Je pense qu'un référent par commune serait utile. Je sais que l'Association des maires ruraux de France (AMRF) a décidé de nommer un référent par département, du moins sur mon territoire ; un par commune me semble préférable.

Enfin, le sujet des addictions, qu'elles concernent le conjoint violent ou non, doit faire l'objet d'un travail.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Je propose de répondre à ces deux séries de questions avant de prendre les suivantes.

Mme Bérangère Couillard, ministre déléguée. - Cette première salve de questions est déjà bien nourrie.

Madame Billon, vous m'interrogez sur l'endométriose. J'ai eu à prendre position dans le cadre d'une émission de radio, suivie d'une dépêche AFP, sur le fait que je souhaitais avancer sur un décret pour répondre à la proposition de loi du Rassemblement national. Ma première volonté était de contrer ce parti, j'en fais un principe personnel. C'est également un engagement politique de ma part. Il m'était insupportable d'avoir une récupération politique quelle qu'elle soit concernant les droits des femmes de la part du Rassemblement national. Par ailleurs, je suis d'avis que nous devons renforcer l'existant. Nous avons déjà lancé une stratégie nationale contre l'endométriose en 2022. Nous devons faire connaître davantage les dispositifs existants. Nous avons choisi de renforcer le décret ALD 31 et d'augmenter les moyens budgétaires, notamment 30 millions d'euros en faveur de la recherche.

Vous avez raison, beaucoup de femmes se tournent aujourd'hui vers les médecines alternatives, parce qu'elles ne se sentent pas suffisamment accompagnées dans leur pathologie et dans les difficultés qu'elles rencontrent au quotidien. Il est important de faire connaître l'endométriose et de la faire diagnostiquer. C'est pour cette raison que j'étais le 4 octobre dernier avec le ministre de la santé à Rennes, où nous avons tenu un comité de pilotage sur l'endométriose pour mesurer l'engagement des régions. Les ARS (Agences régionales de santé) se sont emparées de ce sujet. Nous avons travaillé à la sensibilisation des professionnels de santé autour de ces sujets. En effet, les symptômes sont méconnus, ce qui occasionne un mauvais diagnostic. Pour cette raison, nous travaillons sur une mise en réseau des professionnels de santé. De plus en plus d'associations de victimes se constituent par ailleurs pour accompagner les femmes souffrant d'endométriose et qui n'ont souvent pas la capacité d'en parler autour d'elles. Voilà ma position. Vous avez raison, il faut mieux diagnostiquer cette maladie et faire en sorte qu'elle soit mieux prise en charge. C'est bien tout l'engagement du décret ALD 31, des moyens complémentaires et de la mise en réseau des professionnels de santé. Nous cherchons à éviter aux femmes de se sentir délaissées et de se tourner vers ces traitements alternatifs qui ne les soulagent en rien et peuvent les mettre en grande difficulté.

Ensuite, nous avons doublé le nombre d'hébergements d'urgence dédiés aux femmes victimes de violences conjugales. Vous me parlez notamment de Toulouse. Je discutais avec le préfet il y a quelques semaines à l'occasion d'un déplacement dans cette ville. Il me faisait part des tensions en matière d'hébergement d'urgence, toutes places confondues. En France, nous comptons 200 000 places d'hébergement d'urgence. Il a pu y avoir des tensions pour accueillir des femmes en précarité, parce qu'il est compliqué de faire sortir des personnes qui occupent déjà ces places, en parcours migratoire ou dans d'autres difficultés, à la rue par exemple. C'est aussi cela, la difficulté des préfets dans la répartition des places. La priorité est tout de même donnée aux femmes victimes de violences conjugales et prostitutionnelles. Elles sont privilégiées lorsqu'elles adressent une demande au 115. Les tensions observées ne sont pas une réalité globale. Elles l'ont été à un moment de très fortes tensions sur ce département, mais elles ne sont pas une généralité. Les femmes victimes de violences sont vraiment prioritaires dans l'attribution de ces places.

Ensuite, je me suis engagée à regarder la situation plus largement. Je ne suis pas certaine que nous ne devions nous intéresser qu'à l'aspect quantitatif. Le qualitatif importe également. Aujourd'hui, nous disposons d'hébergements d'urgence qui ne semblent pas adaptés aux femmes lorsqu'elles quittent précipitamment leur domicile, encore moins lorsqu'elles sont accompagnées d'enfants. De plus, certains logements ne sont pas adaptés à la famille accueillie, et, en plus, ne seraient pas dignes. La qualité du parc d'hébergements d'urgence n'est pas toujours à la hauteur. Nous devons le constater avant de mener les actions correctives qui s'imposent. Je lancerai ce chantier en début d'année. Je commence déjà à travailler avec le cabinet de Patrice Vergriete, ministre délégué chargé du logement, pour dresser un état des lieux de l'hébergement d'urgence en France. Je m'intéresse notamment à ceux qui sont dédiés aux femmes victimes de violences conjugales, mais je devrai étudier le sujet plus globalement. Cela me permettra de lever le voile sur les difficultés de création de places d'hébergements en dépit d'une volonté locale. En Vendée, l'apport de l'État a bien fonctionné. J'entends ici que des places d'hébergement ne se créeraient pas dans d'autres territoires, malgré la volonté des maires, des élus locaux, etc. Comment naissent ces projets ? Est-ce à l'initiative du préfet et du corps préfectoral local uniquement ? Beaucoup d'éléments sont à étudier. Je m'engage à le faire dès ce début d'année. C'est essentiel. C'est encore ce qui bloque principalement le départ des femmes.

S'agissant du Pack nouveau départ je vous le disais, sept allers-retours sont nécessaires, en moyenne, pour quitter le domicile. L'emprise exercée par le conjoint est réelle. Vous connaissez les cycles de la violence, avec des périodes de lune de miel durant lesquelles les femmes reviennent malheureusement en arrière. Malgré plusieurs plaintes déposées, dans certains cas, elles renoncent au départ. Ensuite, certaines sont déterminées à partir mais n'en ont pas les moyens financiers. C'est là qu'intervient l'aide d'urgence. Encore merci pour le travail réalisé au Sénat. Cette aide est comprise entre 243 euros et plus de 1 300 euros. Une femme au Smic et ayant trois enfants pourra bénéficier d'une aide de 1 337 euros pour partir, ce qui lui permettra de réaliser les premières dépenses nécessaires au départ.

Le Pack nouveau départ est décorrélé de cette aide d'urgence, qui sera en place sur l'ensemble des départements à compter du 1er décembre. Nous avons souhaité une expérimentation raisonnable, parce que cette mesure, mise en place par ma prédécesseure, était nouvelle. Elle inquiétait beaucoup les services de la Caf, à juste titre. Nous avons vu la nécessité de travailler en termes d'ingénierie. Nous sommes aujourd'hui beaucoup plus confiants. Je peux vous le confirmer à la suite du comité de pilotage que j'ai présidé il y a une semaine. Nous nous sommes engagés sur un calendrier. Les expérimentations dans quatre autres départements seront déployées en début d'année. Nous dresserons un premier bilan en avril. Sans retours négatifs, sans modifications nécessaires sur le dispositif, je l'élargirai à d'autres départements avant l'été, pour ne pas attendre la généralisation envisagée à fin 2025. Nous pourrons mener l'expérimentation sur d'autres départements, en visant les territoires périurbains, ruraux et ultramarins pour assurer un maillage intéressant à étudier.

Vous avez exprimé la nécessité d'ordonnances d'éloignement qui dureraient plus longtemps. Mme Rossignol l'a évoqué lors des questions au Gouvernement, hier. Je pense que nous devons nous y intéresser. La discussion sur la proposition de loi prévoyant la délivrance de l'ordonnance de protection en 24 heures en sera l'occasion, ouvrant le champ des possibles en termes d'amendements. Nous ne devons pas, à mon sens, occulter ce sujet. Nous aurons le véhicule législatif pour le faire, pour faire évoluer le dispositif. Je ne m'interdis rien sur ce sujet.

Sur l'éducation à la vie affective et sexuelle, je vous ai expliqué ce qui bloquait le déploiement. J'entends beaucoup de volonté de toutes les personnes qui se sont exprimées sur le sujet, mais pas de la part de tous les partis politiques. Ce travail ne sera pas facile. Si nous avons pu paraître aussi frileux jusqu'ici, c'est bien parce que nous mesurons combien cette mesure est ardue à mettre en place. Le sujet est instrumentalisé et fait l'objet de récupération politique. Nous devons être solides sur cette question si nous souhaitons que le déploiement soit efficace. Je pense que c'est ce qui nous a empêchés d'agir pendant des années.

Je tiens à rappeler la violence qui s'est abattue sur Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre de l'éducation nationale, quand elle a souhaité mettre en place l'ABCD de l'égalité. Des boucles de parents sur Whatsapp appelaient les familles à ne pas envoyer leurs enfants à l'école parce qu'il y aurait des cours de masturbation. Nous craignons énormément de récupération de la part des plus conservateurs et des plus religieux. Nous devons y être préparés, avec un dispositif qui fonctionne et qui soit en mesure de se déployer. C'est pour cette raison qu'une demande a été adressée au Conseil supérieur des programmes. Il a toute légitimité à proposer un programme dédié, ce qui permettra de cadrer les cours donnés à nos enfants. Il n'y aura plus de disparités en termes de contenus. C'est indispensable. Ensuite, il faut former le corps enseignant, mais plus largement le personnel de l'Éducation nationale. Si les professeurs peuvent être les personnes les plus adaptées pour dispenser ces cours, notamment en biologie, le CPE (Conseiller principal d'éducation), l'infirmière scolaire ou d'autres peuvent également y prendre leur part. Nous devons impliquer les professeurs et les parents. Nous avons besoin d'un contenu adapté et d'une formation des professeurs. Nous devons entendre leurs éventuelles réticences sur ce sujet.

Nous sommes convaincus de l'importance de ces cours d'éducation à la vie sexuelle et affective mais nous devons nous assurer qu'ils sont bien mis en oeuvre. Ce ne sont pas des cours de reproduction, bien qu'il y ait évidemment des sujets à aborder qui figurent déjà au programme de biologie. Ils touchent au consentement, au respect, à la pornographie, nous l'avons évoqué avec le ministre de l'éducation nationale. Nous pouvons parler plus largement de problèmes de santé rencontrés par les femmes, notamment d'endométriose. Aborder ce sujet pourrait occasionner un déclic chez certaines filles souffrant de douleurs. On pense encore que, par principe, les règles sont douloureuses, ce qui n'est pas le cas.

Pour répondre à Marie-Pierre Monier, je tiens à saluer la proposition de l'Association des maires ruraux de France de disposer d'un référent égalité dans chaque commune. J'appelle votre vigilance sur ces sujets, vous qui êtes représentants des collectivités. Il est très important de favoriser cette mesure sur vos territoires. Je suis certaine que ce référent égalité dans chaque commune permettrait de sensibiliser et de faire évoluer beaucoup de politiques locales. Tout le monde a un rôle à jouer, y compris les communes. Il est indispensable de le promouvoir. Ce dispositif fonctionne bien dans certains territoires, et notamment dans l'Yonne, en raison d'une véritable volonté politique. L'AMRF est extrêmement active dans certains départements, mais moins dans d'autres, bien que le sujet se généralise. L'État accompagne cette initiative, notamment sur le budget de ma collègue Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.

Enfin, nous augmentons aussi les moyens du Service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes (SDFE). Je suis parvenue à obtenir dix équivalents temps plein supplémentaires. Deux d'entre eux seront d'abord dédiés aux budgets sensibles au genre. Les huit autres viendront renforcer les équipes départementales et régionales dans les territoires.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Je donne la parole à trois autres sénatrices.

Mme Laurence Rossignol. - Je serai rapide pour permettre à mes collègues de s'exprimer.

Vous dites vouloir renforcer la loi de 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées ; vous avez raison. Parmi les sujets figure la loi elle-même, mais aussi son application. La mise en place des commissions départementales de lutte contre la prostitution pose parfois problème. Elles se tiennent bien dans certains départements, et moins dans d'autres. Les raisons des refus sont assez opaques. Les associations s'interrogent souvent. Un vrai travail de « SAV » semble nécessaire. Il exige un membre de cabinet qui en fasse une obsession, et des fonctionnaires dédiés qui ne lâcheront pas. C'est pour cette raison que la France dispose d'une faible politique d'évaluation des politiques publiques. Vous n'en êtes pas responsable, mais elle est coûteuse dans nos dispositifs. Il faudrait par ailleurs que le montant de l'Afis (Aide financière à l'insertion sociale et professionnelle) soit aligné avec celui du RSA. Vous annoncez vouloir renforcer l'application des dispositions de la loi de 2016, envisagez-vous de le faire par voie législative ? Je ne vous cacherais pas mon inquiétude à ce sujet.

Mme Bérangère Couillard, ministre déléguée. - Non.

Mme Laurence Rossignol. - Bien.

Dans certains départements, aucune ordonnance de protection n'est prononcée. Je vois une de vos collaboratrices froncer les sourcils, mais c'est le cas en Corrèze ou dans les Pyrénées-Atlantiques, il me semble. Je ne pense pas que ces territoires ne comptent pas de femmes victimes de violences. Nous n'avons pas fini notre travail en matière de justice.

S'agissant du logement, j'attire votre attention sur le fait que les politiques dédiées à l'égalité femmes-hommes et aux droits des femmes ne peuvent pas compenser l'ensemble des dysfonctionnements ou des reculs des autres politiques publiques. Je suis très inquiète de la baisse de construction de logements sociaux, qui affecte nécessairement la capacité des femmes à trouver un logement. Bien entendu, le Pack nouveau départ vise à les aider, mais si elles n'ont pas accès à un logement social, il ne sert à rien.

J'ai aujourd'hui l'absolue conviction que nous ne parviendrons pas à réguler l'industrie de la pornographie, après deux ans de travail sur le sujet, et après avoir entendu ce que décrivent les médecins des services de pédopsychiatrie. Ils se mettent désormais en réseau et un de leur sujet majeur concerne les jeunes filles prostituées mineures. Toutes ont été victimes de violences sexuelles subies précédemment. Et elles sont totalement influencées par la pornographie. Par ailleurs, nous sommes confrontés à un sujet nouveau, relatif à la proportion d'auteurs mineurs. Je crois que la moitié des violences sexuelles commises sur les mineurs le sont par des mineurs. Nous y voyons une influence certaine de la pornographie. Le projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique (SREN) revient à nettoyer les Écuries d'Augias avec des lingettes. Nous n'y sommes pas. Je sais le temps nécessaire pour revenir sur un dispositif législatif. Il faut fermer les sites pornographiques. Notre société devrait pouvoir dire clairement que l'éducation à la sexualité par le porno n'est pas acceptable. Nous devons l'énoncer fort car nous sommes faces à des groupes d'influence très puissants.

S'agissant de l'éducation à la vie affective et sexuelle, nous devons sortir de l'hypocrisie. Je ne m'adresse pas au Gouvernement, mais aux forces politiques d'une dualité de parole troublante. Nous savons que ce qui pose problème au Gouvernement, principalement, c'est la crainte du retour de la mobilisation que nous avons connue lors des ABCD de l'égalité et que je qualifie de convergence des luttes des serre-tête et des barbus. C'est le moment où tous les intégristes, les réactionnaires, les conservateurs se regroupent pour bloquer le déploiement de l'éducation à la vie sexuelle et affective. Il nous faut un consensus politique. Nous ne pouvons avoir d'un côté des gens honnêtes et sincères qui interpellent le Gouvernement en demandant quand seront mis en place ces dispositifs, et de l'autre leurs voisins politiques qui sont prêts à épouser et accompagner ces mouvements d'hostilité. Les dirigeants politiques doivent s'engager à soutenir le Gouvernement sur le programme d'éducation à la vie sexuelle et affective. Ces mouvements associatifs et de parents n'auront qu'une capacité d'influence très limitée si leurs seuls relais politiques sont le Rassemblement national et Éric Zemmour. Ce n'est que lorsque les dirigeants politiques relaient leur parole qu'ils trouvent de la force. J'invite ainsi le Gouvernement, le ministre de l'éducation nationale, vous-même, la ministre chargée de la protection de l'enfance, la ministre chargée des familles, à prendre tous les présidents de groupes du Sénat et de l'Assemblée nationale pour leur demander de signer, d'être avec vous. S'ils sont contre vous, qu'ils ne viennent plus vous parler d'éducation à la vie sexuelle et affective. Aucun de ceux qui les soutiennent ne devrait le faire non plus. Nous devons sortir de cette hypocrisie.

Enfin, je suis très inquiète à l'approche des Jeux olympiques de Paris 2024. Pour l'heure, la lutte contre la prostitution dans ce contexte ne me semble pas constituer une priorité. Je sais qu'elle sera portée sur le terrorisme, pour de bonnes raisons d'ailleurs. Je crains toutefois que, comme d'habitude, on ne nous explique que l'impératif de sécurité publique et la lutte contre le terrorisme mobiliseront davantage que la prostitution des mineurs. Pourtant, des offres sont déjà faites. Il existe déjà des « packs JO », comprenant un logement et une prostituée.

Mme Laure Darcos. - Dans la discussion sur les violences conjugales, j'aimerais aussi évoquer les violences économiques, dont on ne parle pas souvent. Dans le projet de loi de finances, nous avons été plusieurs à déposer un amendement pour que les femmes ne soient pas également responsables des dettes fiscales de leur conjoint en cas de divorce ou de dissolution du Pacs. On m'a demandé de réduire le champ d'application de mon amendement - qui visait à préciser le patrimoine pris en compte pour apprécier la situation patrimoniale de la personne demandant une décharge de l'obligation de paiement des dettes fiscales - au seul domicile principal, mais il me semble important de prendre aussi en compte le patrimoine personnel, par exemple. Pourriez-vous soutenir notre amendement ? Nous avons connu un petit flottement au moment de l'examen des amendements portant article additionnel après l'article 3 sexdecies du projet de loi de finances. Le rapporteur général nous a indiqué que nous avions voté un article qui ne permettait plus de défendre nos amendements. J'aimerais obtenir votre soutien au moment du vote à l'Assemblée nationale sur ce sujet majeur.

Mme Bérangère Couillard, ministre déléguée. - Pourriez-vous m'en dire davantage ?

Mme Laure Darcos. - Nous vous transmettrons nos amendements. Il s'agit de faire en sorte que les victimes ne soient pas aussi fiscalement solidaires d'ex-conjoints qui se placent en insolvabilité et font porter sur elles le poids de leurs dettes. Nous savons que les services fiscaux ne regardent absolument pas ce qu'il se passe au pénal ou au civil. C'est la double peine pour les victimes.

De la même façon, dans mon département - mais je pense que c'est le cas ailleurs -, on observe qu'en cas de conflit, de problème de garde et de refus de la mère de l'obligation de présenter ses enfants à son mari ou ex-mari violent, les procureurs ont tendance à placer les enfants en familles d'accueil. J'ai été plusieurs fois alertée par des femmes, et ai dû leur conseiller de rester dans la médiation avec leur conjoint pour éviter que leur enfant ne soit pas placé, après une alerte des services sociaux.

Enfin, je demande votre soutien au sujet des femmes dans les milieux scientifiques et les mathématiques. C'est mon dada. J'avais alerté le Gouvernement sur le fait que les mathématiques avaient disparu du tronc commun en première et terminale l'année dernière. Cette matière a été remise au programme en première, mais pas en terminale, ce qui est strictement inutile. Nous étions à la traîne s'agissant du nombre de femmes dans les milieux d'ingénierie du numérique et des sciences. Le fait de ne plus avoir ce programme de mathématiques et cette absence d'appétence pour susciter des vocations dès l'école primaire chez les petites et jeunes filles va encore creuser l'écart avec nos voisins. Votre collègue Sylvie Retailleau, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, est très impliquée sur ce sujet, mais nous avons également besoin de votre soutien.

Mme Marie Mercier. - Je sais que vous êtes très attachée à la protection de l'enfance. Nous avons eu l'occasion de travailler ensemble. La présidente Dominique Vérien m'a spécifiquement chargée de ce sujet. Je voudrais vous parler du contrôle de l'âge d'accès dans les espaces numériques. Au mois de septembre 2023, la députée Perrine Goulet a proposé un amendement pour contrôler l'âge d'accès aux jeux d'argent et jeux à objets numériques monétisables sur Internet, avec un référentiel déterminant les caractéristiques techniques applicables aux systèmes de vérification de l'âge et le contrôle de l'Arcom. Ce dispositif est exactement calqué sur celui que le ministre Jean-Noël Barrot, chargé de la transition numérique, a proposé dans le projet de loi SREN s'agissant des sites pornographiques. Or le ministre a répondu que ce dispositif était inopérant et ne tiendrait pas en droit. Je ne le comprends pas : pourquoi, pour contrôler l'accès à un espace numérique, un dispositif en droit serait inopérant pour un sujet A, et soit disant opérant pour le sujet B, c'est-à-dire l'accès aux films pornographiques gratuits ? Vous n'êtes pas le ministre Barrot, j'en ai une conscience aiguë. Seulement, pourrez-vous essayer de vous coordonner avec lui pour que nous y comprenions quelque chose ?

Mme Bérangère Couillard, ministre déléguée. - Sur l'éducation à la vie affective et sexuelle, j'ai été claire s'agissant de la volonté de trouver un consensus avec les partis politiques raisonnables, ceux qui ne créeront pas de polémique sur cette question. Je pense plus largement qu'il ne suffit pas de dire que nous allons mettre cela en place, au risque qu'intervienne malheureusement une certaine récupération. Il me semble que nous devons y travailler en amont, parce que, comme pour tous les sujets, nous trouvons ceux qui sont persuadés du bien-fondé de la mise en place des cours d'éducation à la vie sexuelle et affective, ceux qui y sont farouchement opposés, et ce ventre mou, qui se dit qu'il y a mieux à faire, que ce n'est pas une priorité, qu'ils ont des doutes. C'est, selon moi, ce ventre mou qu'il nous faut convaincre. Tout le monde n'est pas très renseigné sur la question et ne mesure pas l'urgence qu'il y a à agir. Je vous invite à sensibiliser vos groupes politiques sur cette question. En effet, j'ai des craintes sur des partis du Gouvernement qui pourraient y être opposés. Nous devons largement les convaincre. Ce n'est pas si simple. Il nous faudra probablement réunir les représentants des groupes politiques pour en discuter, pour éviter que les débats ne s'embrasent sur cette question.

Nous devons contrer la pornographie avec ces cours d'éducation à la vie sexuelle et affective. Ces contenus comportent beaucoup de violences sexuelles, comme l'ont conclu les travaux réalisés par le Sénat et par le Haut conseil à l'égalité. C'est aussi pour cela que je mène ces groupes de travail. Je comprends que vous puissiez dire que ce ne sera pas réalisable, non pas que je l'accepte, mais la tâche est difficile. Des personnes sont clairement opposées à une régulation, parce que le système actuel les arrange bien. Nous sommes toujours en difficulté, parce que les lois affichent toujours un retard sur les dispositifs numériques.

Je reste tout de même plus confiante que vous s'agissant de la loi SREN. Je ne la qualifierai pas comme vous le faites. La commission mixte paritaire (CMP) est prévue en février 2024, le temps de regarder ce qui se passe au niveau européen. Elle nous permettra ensuite d'étudier d'autres dispositifs, Madame la sénatrice Mercier. L'accès aux sites pornographiques étant en partie bloqué avec la loi SREN puisqu'il sera bloqué pour les mineurs, il nous faudra nous intéresser à l'efficacité de cette loi s'agissant de l'accès aux contenus dégradants sur Internet.

Mme Marie Mercier. - Je vous demande une réponse technique concernant le sujet des référentiels déterminant les exigences techniques minimales applicables aux systèmes de vérification de l'âge.

Mme Bérangère Couillard, ministre déléguée. - Je l'ai bien compris, mais pouvez-vous me confirmer que vous souhaitez limiter ou interdire l'accès des mineurs à des contenus dégradants ?

Mme Marie Mercier. - Je veux leur interdire l'accès aux sites pornographiques gratuits dans leur ensemble.

Mme Bérangère Couillard, ministre déléguée. - Nous sommes d'accord sur ce point. La question de l'accès global à Internet peut se poser plus globalement, peut-être pas pour tous les mineurs, mais pour les moins de 13 ans.

Sur ce sujet, je ne suis pas en mesure de vous répondre. Je n'avais pas entendu parler de la proposition de Perrine Goulet.

Mme Marie Mercier. - Son amendement à l'article 1er du projet de loi SREN a été adopté en commission spéciale à l'Assemblée nationale en septembre. Le ministre Barrot est très mécontent que cet amendement ait été adopté à l'Assemblée nationale contre son avis. J'aimerais que vous nous donniez une réponse précise et claire.

Mme Bérangère Couillard, ministre déléguée. - Je prends le point et regarderai cela de plus près.

Madame Rossignol, vous m'avez fait part de vos remarques et interrogations au sujet de la prostitution. Il n'y aura pas de loi. Je ne crois pas nécessaire de rouvrir ce sujet. Gardons-nous de modifier un élément qui nous convient et qui rappelle la position abolitionniste de la France. C'est indispensable. Un travail est en cours pour mieux l'appliquer. Le montant de l'Afis (Aide financière à l'insertion sociale) est à l'étude. Nous ne consommons pas tous les crédits, ce qui signifie que cette aide n'est pas assez attractive pour être utilisée. Nous devons voir comment la faire évoluer pour que l'enveloppe soit consommée dans son intégralité. Je ne m'interdis rien. Je rencontrerai les associations dans les prochaines semaines. La première stratégie de lutte contre le système prostitutionnel sera présentée en janvier, avec Charlotte Caubel. Nous avons bien conscience du nombre croissant de mineurs qui se prostituent. Ces chiffres nous inquiètent fortement. Nous mènerons donc un travail commun. Nous aurons l'occasion de vous en dire davantage au mois de janvier.

Le sujet de la prostitution concerne également les Jeux olympiques, je ne l'ai pas du tout mis de côté. Je m'en suis inquiétée dès mon arrivée en responsabilités. De véritables packages de séjours touristiques prévoient aussi des activités sexuelles. C'est effrayant. Je pense que nous devons sensibiliser toutes les personnes qui arriveront sur notre territoire à cette période. Certains ne connaissent pas notre loi. La position abolitionniste de la France est assez isolée. Pour beaucoup, la prostitution est autorisée dans leur pays. Nous devons donc leur rappeler que ce n'est pas le cas sur notre territoire. Pour ce faire, nous sommes en train de travailler à une communication dédiée durant les Jeux olympiques. J'ai sensibilisé mon collègue Gérald Darmanin sur cette question. Nous verrons comment agir pour traquer ceux qui chercheraient ce type de service. Je pense que nous devons également sensibiliser en amont, dans les ambassades. J'ai prévu de le faire dès le début de l'année prochaine. Ces structures peuvent sensibiliser dès le départ les personnes qui se rendent dans notre pays, rappeler la position de la France, les peines et les amendes encourues.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Nous avons parlé des ordonnances de protection plus tôt. Je précise que c'est le Cantal, et non la Corrèze, qui n'en délivre pas.

Mme Bérangère Couillard, ministre déléguée. - Je prends le point. Ma conseillère a sourcillé, car nous apprenons ce sujet. Nous l'étudierons de très près. Il serait en effet intéressant de connaître le maillage des 6 000 ordonnances délivrées, les départements concernés et le rapport entre leur nombre et le nombre d'habitants.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Ce serait très intéressant. Le cas de Paris est également à approfondir.

Mme Bérangère Couillard, ministre déléguée. - Madame Darcos, vous avez tout mon soutien sur les mathématiques. J'étais présente hier lors de l'introduction d'un événement à HEC sur la mixité. L'école a ouvert ses portes aux femmes il y a cinquante ans. Je rappelais à cette occasion que nous ne sommes pas parvenues à l'égalité. Je crains que nous n'ayons encore une génération sacrifiée. Les chiffres n'augmentent pas. D'accord, la réforme du lycée a causé du tort ; nous sommes en train de le rectifier. Pour autant, le sujet naît bien en amont. Sans cette réforme du bac, nous avions tout de même un problème. Nous devons améliorer la situation. Je pense que nous devrions nous orienter vers des quotas. Nous avons essayé de nombreuses solutions. Bien entendu, les quotas ne suffisent pas. Il nous faut donner l'envie et la possibilité aux écoles de les remplir. À un moment donné, nous devrons tout de même les contraindre, d'une façon ou d'une autre. Ces quotas ont fonctionné en politique et dans les grandes entreprises. Je crois qu'ils constituent une piste pour faire en sorte qu'un plus grand nombre des femmes rejoignent certaines filières.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Nous travaillerons sur le sujet, qui fera donc l'objet de débats.

Mme Bérangère Couillard, ministre déléguée. - Le sujet des dettes dans le couple et de la fiscalité est complexe. Les situations sont diverses. J'ai abordé ce sujet hier avec Thomas Cazenave, le ministre délégué aux comptes publics. Il est difficile d'imaginer des dispositifs uniquement dédiés aux femmes victimes de violences conjugales car ce sujet concerne énormément de couples. La mise en insolvabilité du conjoint ou de l'ex-conjoint est, j'ose le dire, parfois un sport national.

Mme Laure Darcos. - Ce sont quand même à 80 % des hommes qui le pratiquent.

Mme Bérangère Couillard, ministre déléguée. - Je ne dispose pas de ces statistiques, mais si vous le dites, je vous crois volontiers.

Notre urgence vise à lutter contre la mise en insolvabilité d'un certain nombre. Quand les deux personnes d'un couple sont salariées, la dette repose sur les deux. On ponctionne sur les deux salaires. C'est injuste pour madame, qui n'a pas contracté ces prêts ou effectué ces dépenses, mais un partage est opéré. Cette situation est différente de celle d'un individu qui organise son insolvabilité, lorsqu'il est artisan, par exemple, qu'il fait couler son entreprise, se met en insolvabilité, remonte une boîte, et s'organise pour que ses versements soient effectués sur un autre compte, peut-être même sur celui de sa nouvelle conjointe. D'autres travaillent un peu au noir en attendant, pour passer cette période, et surtout pour embêter madame. J'ai bien conscience de la situation, mais il est difficile d'y trouver des solutions. La première des batailles consiste à lutter contre l'insolvabilité, à étudier ce mécanisme et les facilités permises pour faire couler une entreprise et en monter une autre. Nous connaissons tous un exemple de couple au sein duquel une telle situation s'est produite. Je mène une réflexion à ce sujet, mais nous n'avons encore rien trouvé d'extrêmement utile pour faciliter la vie de ces femmes. Nous avons tout de même commencé à agir. Nous avons réduit la période de référence retenue par l'administration fiscale : on n'étudie plus les dix dernières années, mais seulement les trois dernières. C'est un pas énorme qui a été fait. Je suis prête à étudier les possibilités, mais surtout, je souhaite qu'on s'attaque à la mise en insolvabilité d'un certain nombre, insupportable et injuste.

Sur le sujet de l'autorité parentale, la proposition de loi Santiago issue de l'Assemblée nationale permettra une automaticité du retrait de la garde en cas de violences. Elle est actée, ce que nous n'étions pas parvenus à faire dans la loi de 2020. Nous avançons au fur et à mesure. Le rapprochement du civil et du pénal avec des pôles spécialisés devrait également avoir une incidence sur les décisions, en termes de garde d'enfant notamment. Nous sommes également partagés vis-à-vis de la volonté d'un certain nombre d'agir en faveur de plus de garde alternée. De plus en plus de pères s'investissent dans la vie de leur enfant, mais nous sommes dans le même temps confrontés à un dilemme au regard des violences faites aux femmes. La garde alternée devient parfois un sujet de bataille entre anciens conjoints. C'est là toute la difficulté du sujet.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Heureusement, tous les couples ne sont pas concernés par les violences conjugales.

Mme Laurence Rossignol. - Les couples arrivant dans des procédures non consensuelles sont plus enclins à connaître des violences.

Mme Dominique Vérien, présidente. - On peut aussi ne pas s'entendre sans qu'il y ait nécessairement de la violence.

Mme Colombe Brossel. - Merci pour cet échange. J'aimerais revenir sur les questions d'hébergement. Vous nous avez énoncé des faits, dont le nombre de places d'hébergement d'urgence en France. Vous en avez cité 200 000, quand j'en avais 223 000 en tête. Je vous entendais évoquer des places supplémentaires pour les femmes victimes de violences prévues par le projet de loi de finances dont nous sommes en train de débattre. Pour autant, l'existant répond-il aux besoins ? Force est de constater que la réponse est non.

Les estimations réalisées par la Fondation des femmes sur l'hébergement des femmes victimes de violences laissent entendre qu'il manquerait quelques milliers de places par rapport aux besoins calculés en hypothèse basse. Par ailleurs, se pose la question des priorités. Je m'appuierai sur un exemple que je connais. Je suis sénatrice de Paris. La question des priorités nous fait faire des choses folles, en tant que société. Aujourd'hui, à Paris, lorsque vous appelez le 115, les critères de priorité 1 pour obtenir un hébergement d'urgence sont le fait d'être enceinte de plus de sept mois ou d'avoir un bébé de moins de trois mois. Ainsi, si vous êtes enceinte de six mois et demi, ou si vous avez un bébé de trois mois et un jour, vous n'êtes pas considérée comme prioritaire par le 115 pour être hébergée. C'est aujourd'hui la réalité dans la capitale.

Je m'appuie sur des chiffres d'octobre 2023, puisqu'ils ne sont pas encore consolidés pour le mois de novembre. 1 129 personnes sont restées à la rue malgré leur appel au 115, dont 856 personnes en familles, 413 enfants. Sur les trottoirs de Paris, vous avez des familles, en majorité des femmes, qui n'ont nulle part où dormir. Des directeurs et directrices d'écoles ouvrent des salles de classe pour que des enfants scolarisés ne dorment pas dehors, devant l'établissement. Sans eux, que ferions-nous ? Ce sont des familles, des parents d'élèves qui se mobilisent. Nous voyons des ouvertures, parfois sauvages, je le reconnais, de bâtiments inoccupés. La pression de parents d'élèves ou de directeurs d'écoles a permis l'ouverture du lycée Suzanne Valadon pour accueillir des femmes et enfants à la rue. Voilà la réalité dans laquelle nous nous trouvons. J'entends tous les chiffres, et je n'en disconviens pas, mais à force de prioriser sans répondre aux besoins, nous en venons à dire et faire des choses folles. Je ne peux accepter que l'hébergement d'une femme avec un enfant de trois mois et un jour ne soit pas prioritaire. Comment peut-on dire, dans ce pays, qu'un enfant de trois mois et un jour peut dormir dans la rue ?

Je pourrais terminer par une question un peu facile. En sortant de cette audition, que dis-je en votre nom, au nom de la France, aux familles qui se mobilisent ? Je veux surtout vous alerter et vous sensibiliser sur le fait qu'on ne parle pas de chiffres, mais aussi et surtout de réalités terribles à vivre.

Mme Annie Le Houerou. - Merci pour vos réponses aux nombreuses questions qui ont déjà été posées. Je reviens sur le pilotage et les équipes des SDFE. Vous avez évoqué la création de dix équivalents temps plein, dont huit dans les équipes régionales. Notre territoire compte treize régions et 101 départements. Ils équivalent donc à peu de moyens supplémentaires. Nous savons que ces politiques sont transversales et interministérielles. Les collectivités territoriales et les équipes sont en peine pour démultiplier et porter la politique d'égalité femmes-hommes et contre les violences faites aux femmes dans nos départements.

En termes de pilotage, nous manquons de formations transversales, malgré d'énormes progrès enregistrés à la police et à la gendarmerie. Nous avons maintenant besoin de croiser les expériences entre les associations, les professionnels du droit, les policiers, les collectivités territoriales... C'est aussi le rôle des équipes de pilotage, qui ne parviennent pas à le faire.

Ensuite, beaucoup a déjà été dit sur les ordonnances de protection. Dans mon département, les Côtes-d'Armor, énormément de demandes sont émises, mais les ordonnances ne sont pas prononcées. Ainsi, il est intéressant de voir quels départements les prononcent, au prorata de la population, mais aussi au prorata des demandes effectuées par les femmes.

Je ne reviendrai pas sur la prostitution et me concentrerai plutôt sur les auteurs de violences. Il est important de s'en préoccuper. Pour autant, il me semble que leur accompagnement est financé sur les crédits de votre ministère, ce que je trouve contestable. Il me semble qu'il devrait relever du budget de la justice, le garde des sceaux se targuant d'avoir augmenté le sien. Les auteurs paient mais les femmes aussi. Si j'accueille favorablement cet accompagnement, je regrette qu'il soit pris sur le budget des associations qui viennent en aide aux femmes victimes de violences.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - Merci, Madame la Ministre, d'avoir apporté des réponses aux questions posées précédemment. Je veux vous emmener dans une autre France, la France ultramarine. Je ne sais pas si vous connaissez la Guyane. Si ce n'est pas le cas, je vous invite à nous rendre visite pour toucher les réalités de ce territoire.

Pour relier la commune amérindienne de Camopi à Cayenne, il ne faut pas moins de 48 heures de trajet. Ces conditions rendent très compliquée l'intervention de la déléguée régionale aux droits des femmes. Elle m'expliquait d'ailleurs récemment qu'il lui est impossible d'organiser la prise en charge des femmes victimes de violences dans cette commune enclavée de Guyane. Que pouvons-nous faire pour éviter la double peine à ces femmes, victimes à la fois de l'éloignement et des coups des hommes ?

La Guyane est également fortement confrontée au phénomène de grossesses précoces ou non désirées. En cause, la sous-utilisation des moyens de contraception. Le ministère dont vous avez la charge a annoncé il y a quelques mois une mobilisation en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes dans les territoires ultramarins. Il a notamment été question de l'accès des femmes à la santé et de l'adaptation des campagnes de prévention et de sensibilisation. Pourtant, une responsable du réseau Périnat Guyane indiquait il y a peu qu'il subsistait des obstacles pour accéder à la contraception. Que comptez-vous faire pour faciliter cet accès ?

Mme Olivia Richard. - Je suis sénatrice des Français établis hors de France. Nous avons évidemment nos difficultés. Nous avons la particularité de vivre dans des pays de loi étrangère. Comment y faire respecter une égalité ? Comment tenir certains discours ? Vous disiez tout à l'heure que les ambassades seraient priées d'avoir une campagne de communication pour les touristes se rendant en France pour les Jeux olympiques. Je suis un peu interpellée. Sur quels budgets, avec quels moyens cette campagne sera-t-elle déployée ?

Ensuite, l'AEFE (Agence pour l'enseignement français à l'étranger), opérateur public en matière d'enseignement français à l'étranger, est référent Afnor pour l'égalité hommes-femmes en matière professionnelle. Elle est associée à de nombreuses associations pour l'éducation des enfants. Pourtant, dans certains lycées marocains, par exemple, nous voyons le retour d'élèves voilées. Les portes de l'établissement leur restent ouvertes. Comment peut-on agir sur cette question ? Travaillez-vous avec le ministère des affaires étrangères et l'AEFE à ce sujet ?

Enfin, les violences n'ont pas de frontières. Nous avons observé des cas de femmes en France à qui la police ou la gendarmerie a expliqué qu'elles ne pouvaient pas être protégées, à qui il a été conseillé de partir. Je pense à cette femme qui a dû fuir en Irlande pour se mettre à l'abri. Elle travaille aujourd'hui dans une ferme. Comment pouvons-nous venir en aide à ces femmes ?

Être victime de violences à l'étranger, c'est la double peine, parce qu'on est prisonnière dans son foyer. Parfois, on ne parle pas la langue du pays. Il suffit de voir son passeport confisqué pour être bloqué. Bien entendu, les postes consulaires sont là pour leur venir en aide, mais quand on a des enfants, on n'a pas le droit de les ramener en France ; c'est un enlèvement. Comment pouvons-nous traiter ces questions ?

Mme Bérangère Couillard, ministre déléguée. - S'agissant de l'hébergement d'urgence, je suis consciente des tensions dans les territoires, notamment à Paris. Nous sommes confrontés à des demandes très fortes, quelle que soit leur nature. J'avais 200 000 places en tête, mais elles doivent être 203 000. La priorité reste les femmes. J'apprends le critère d'attribution des places à Paris. La tension y est très forte. Je n'ignore pas non plus que des femmes qui viennent d'accoucher doivent parfois rester à l'hôpital plus longtemps, parce qu'on ne souhaite pas les remettre à la rue, à juste titre. Je le sais, j'ai conscience de ce qui se passe sur le terrain.

Malgré tout, l'Île-de-France représente 27 % du parc global, soit 2 687 places d'hébergement d'urgence dédiées aux femmes victimes de violences. Le territoire est donc bien pourvu. Pour autant, il est difficile de pouvoir gérer les différentes demandes, puisque beaucoup de femmes, dans un parcours migratoire, rencontrent des violences. Nous les aidons de la même manière que nous aidons nos concitoyennes. C'est là qu'adviennent les tensions, notamment quand d'autres publics occupent déjà les places existantes. Nous peinons à trouver des hébergements intermédiaires ou pérennes. Voilà où se trouve notre problématique. Les personnes dans les centres restent trop longtemps. Nous peinons à les faire partir pour libérer des places.

Depuis notre arrivée en responsabilité, nous avons tout de même attribué beaucoup plus de places, notamment dans les logements sociaux, aux femmes victimes de violences. Nous enregistrons 12 000 attributions par an, contre seulement 7 500 en 2017. J'illustre ici notre volonté de faire en sorte que les femmes puissent trouver un logement intermédiaire ou à plus long terme. J'ai prévu de dresser un point sur les hébergements en début d'année. Il me permettra d'établir un constat, sur lequel je serai très honnête. Je ne cherche pas à cacher une réalité qu'on ne voudrait pas voir.

Vous m'interrogiez ensuite sur les ordonnances de protection. Deux tiers des ordonnances demandées sont accordées. Je ne connais pas la réalité de votre territoire, Madame. Nous étudierons les ratios par habitant, par faits de violences, et par nombre de demandes.

S'agissant des places dédiées aux auteurs, je pense que nous avons déjà parcouru un long chemin. Je me souviens très bien des discussions de 2019. Il était à l'époque hors de question d'aider les auteurs. Pas un centime ne devait être dédié à leur traitement. Les choses ont évolué et les associations elles-mêmes conviennent volontiers que nous ne nous en sortons pas face à 40 % de récidive, et qu'il faut agir. Mon ministère finance 492 places. Le ministère de la justice en prend 165 à sa charge, financées par le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP). Elles ne sont déjà pas utilisées dans leur entièreté. Le budget n'est pas entièrement consommé, parce que nous n'avons pas, en France, cette culture consistant à faire sortir les auteurs du domicile. La priorité est de protéger les victimes, de sauver les femmes, de s'assurer qu'il n'y ait ni féminicide, ni infanticide.

Oui, on peut se demander sur quel budget ce dispositif repose. En attendant que la politique se déploie, je ne suis pas dérangée par le fait qu'il soit pris sur mon ministère. Je considère que je m'assure que ces places sont bien attribuées et financées. Vous dites que le ministre de la justice se targue d'une augmentation du budget de son ministère. Je rappelle qu'il a obtenu la hausse la plus significative de la Ve République sur le sujet, à hauteur de 40 %.

La question peut se poser. Elle se posera peut-être à l'avenir. En attendant, les places ne sont pas toutes occupées. Elles sont même souvent vides, parce que nous n'avons que trop peu cette démarche de sortir les auteurs de leur domicile pour y laisser les femmes et les enfants. Je suis confiante concernant le déploiement des centres de prise en charge pour auteurs (CPCA). 14 000 d'entre eux ont été accompagnés l'année dernière. Je mise beaucoup sur ce dispositif. Nous devons absolument arrêter cette spirale des violences. Seul le traitement des auteurs peut le permettre. Nous ne pouvons pas soigner que les plaies. Il nous faut traiter le problème à la racine. Si cela passe par le financement de places d'hébergement pour les mettre en condition et les faire se sentir coupables dans une démarche d'accompagnement psychologique, de traitement des addictions et de réinsertion professionnelle, tant mieux.

Les places d'hébergement ont leur importance. Elles doivent être bien présentes sur le territoire et pas uniquement à côté du centre de prise en charge pour auteurs, pour une meilleure couverture territoriale. Les centres de prise en charge pour auteurs sont implantés au nombre de deux par région. Nous avons consenti à un effort considérable en créant trente centres de la sorte sur le territoire français. La difficulté réside dans le fait qu'une personne qui travaille ne doit surtout pas arrêter son activité pour ne pas se retrouver en précarité. Elle doit s'engager dans une démarche de traitement psychologique des addictions, tout en conservant son emploi. L'équilibre n'est pas simple. Ce budget repose toujours sur mon ministère, du moins pour l'instant. J'entends toutefois votre remarque.

Mme Annie Le Houerou. - Votre objectif est partagé à 100 %. C'est simplement l'imputation sur le budget de la lutte contre les violences faites aux femmes qui me questionne.

Mme Bérangère Couillard, ministre déléguée. - Je le comprends. Ce point de vue se défend. Je tiens tout de même à dire que s'il est difficile de calculer le taux de récidive après un passage en CPCA, au regard de leur mise en place récente, le centre d'Arras agit depuis presque dix ans et affiche de très bons résultats. La récidive s'y établit à 13 % à la sortie.

Vous m'interrogiez sur les postes en région. J'ai évoqué dix ETP supplémentaires, dont deux consacrés, dans un premier temps, aux budgets sensibles au genre. Pour les huit autres, les priorités seront données aux régions où sera déployé le Pack nouveau départ, et dans les outre-mer.

À ce sujet, je sais que les difficultés sont nombreuses dans les territoires ultramarins, notamment en Guyane. Vous relevez, Madame la sénatrice Phinéra-Horth, une problématique de terrain que je ne suis pas venue voir par moi-même, mais que je connais. Vous évoquiez les temps de trajet compliquant l'accès à un certain nombre de choses pour les jeunes filles. Nous agissons notamment sur le sujet de la contraception. Un appel à projets de 500 000 euros a été lancé en 2023, pour soutenir les projets prévoyant de renforcer les actions en matière de santé dans les outre-mer. Ils visent en particulier à améliorer l'accès à la contraception ou à lancer des actions vis-à-vis des difficultés en couche et de la santé prénatale des enfants. Sept des trente projets retenus par la commission nationale sont situés en Guyane. Les préservatifs masculins sont en outre remboursés pour tous. Il faut le faire savoir dans le département. Il est primordial que les jeunes et moins jeunes se protègent lors de leurs relations sexuelles.

En 2021, trois des cinq départements et régions d'outre-mer - la Guyane, la Guadeloupe et La Réunion - figurent parmi les dix départements affichant les taux de violences conjugales les plus élevés. La Guyane affiche le taux de féminicides le plus élevé en 2021, supérieur à 1/100 000. Face à ce constat, nous mettons en place des dispositifs, dont l'appel à projets lancé conjointement par mon ministère et celui en charge des outre-mer. Il est structuré autour de trois axes : l'adaptation des campagnes de prévention et de sensibilisation, et l'information aux spécificités du territoire, notamment l'utilisation de la traduction et le doublage en langue locale. Lors du Grenelle des violences conjugales, nous nous sommes déplacés avec plusieurs députés sur plusieurs départements, dont certains ultramarins. Ces sujets nous ont beaucoup été remontés à cette occasion. Dans le cadre de cet appel, 38 projets sont retenus, dont sept en Guyane, pour un montant 94 millions d'euros.

Je peux également mentionner des permanences juridiques de proximité visant à aider les femmes victimes de violences intrafamiliales. Ce projet correspondant à un montant de 22 000 euros - pour 22 900 euros demandés - finance six permanences permettant d'aller à la rencontre du public et de lui proposer un accompagnement et une information juridique accessible tenant compte des spécificités géographiques.

Tous les dispositifs disponibles en territoire métropolitain le sont également dans les outre-mer. C'est indispensable. Je sais que les départements ultramarins sont confrontés à une problématique particulière : les gens connaissent tout le monde. Il est compliqué, dans ce contexte, de quitter précipitamment le domicile et de fuir son conjoint violent. Où se cacher ? Nous sommes bien conscients de ces difficultés.

Il existe aussi des dispositifs de santé. Je pense notamment à La Maison des femmes. La Première ministre s'est engagée à en installer une par département. Ce déploiement se poursuit. Plus de 6 millions d'euros y sont dédiés en 2024. Nous croyons beaucoup en ce dispositif, complémentaire au travail réalisé par les associations depuis des années et au quotidien. Nous sommes extrêmement vigilants. Philippe Vigier, le ministre des outre-mer, l'est également. Nous avons eu l'occasion d'échanger sur la question.

Madame la Sénatrice Richard, il ne s'agit pas d'une communication, mais d'une sensibilisation auprès des ambassades. Une demande a toutefois bien été adressée à l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) pour réaliser une communication en France, à destination des touristes, pour leur rappeler l'interdiction de recourir à des activités sexuelles tarifées et la politique abolitionniste du pays. Nous voulons sensibiliser les ambassades, car nous avons conscience du travail qu'elles peuvent effectuer auprès des ressortissants étrangers.

Enfin, le sujet des Français établis à l'étranger est sensible. Je mesure les difficultés, pour en avoir beaucoup discuté pendant le précédent mandat, lorsque j'étais députée, avec Amélia Lakrafi, députée des Français à l'étranger. Elle soulignait l'inadaptation des dispositifs, qui ne répondaient pas aux difficultés des femmes vivant à l'étranger. Je sais combien elles sont isolées. Je pense que nous devons travailler avec les ambassades, nos interlocuteurs. Elles peuvent nous aider à communiquer avec ces publics. Nous devons les sensibiliser davantage sur le sujet pour trouver des solutions d'accueil pour ces femmes qui fuiraient le domicile et seraient confrontées à des difficultés administratives. Je suis prête à travailler spécifiquement sur ces sujets.

Les Français vivant à l'étranger sont nombreux. Nous devons leur apporter la protection à laquelle s'est engagée la République.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Merci, Madame la Ministre, d'avoir pris tout ce temps pour nous répondre avec tant de détails.

Je vous demande encore un petit instant. Nos collègues rapporteures du rapport sur la santé des femmes au travail, Marie-Pierre Richer et Laurence Rossignol, ont été contraintes de partir, mais vous avez évoqué dans vos propos ce rapport intitulé : « Santé des femmes au travail : des maux invisibles ». Je souhaite vous le remettre officiellement.

Mme Bérangère Couillard, ministre déléguée. - Merci beaucoup.

Mme Dominique Vérien, présidente. - Nous engageons cette année un rapport sur les femmes sans abri et sans domicile. Et nous rendrons notre rapport sur les familles monoparentales aux alentours de la journée du 8 mars.